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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 7 avril 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, sur le rapport 2008 de l’Observatoire des territoires : « Dynamiques et développement durable des territoires », accompagné de Mme Odile Bovar, responsable de l’Observatoire, et de Mme Karine Hurel, chargée de mission, géographie, cartographie

M. le président Chritian Jacob. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur Dartout, pour vous entendre sur le rapport que vous venez de publier sur les dynamiques et le développement durable des territoires. Ce rapport, qui s’inscrit dans le droit fil des travaux réalisés par notre Délégation, est une mine d’informations. Je vous invite à en faire une brève présentation avant que nous vous posions des questions.

M. Pierre Dartout. L’Observatoire des territoires doit remettre un rapport au Parlement tous les trois ans. Celui que je vous présente aujourd’hui a nécessité un long travail au sein de la Délégation Aménagement du territoire sous la houlette de Mme Odile Bovar ici présente. Je suis président par délégation de l’Observatoire des territoires, le président étant le secrétaire d’État à l’aménagement du territoire.

Je ferai, tout d’abord, deux observations méthodologiques.

Premièrement, nous avons sélectionné un certain nombre de cartes pour cette audition. Nous pourrons aborder, si vous le souhaitez, d’autres thèmes.

Deuxièmement, les chiffres sur lesquels nous nous sommes appuyés sont des résultats statistiques pour l’ensemble des années 2005-2006. Les données contenues dans ce rapport sont donc, pour l’essentiel, antérieures à la crise.

Les deux premières cartes que nous avons sélectionnées portent sur les évolutions démographiques.

La premièreL, intitulée « Poids démographique des régions européennes » indique par des bulles le nombre d’habitants par nuts 3 en 2005 et par des couleurs le taux d’évolution annuel moyen de la population entre 1999 et 2005, par nuts 3, exprimé en pourcentage. Ce que l’on appelle en langage technocratique nuts 3 – nomenclature d’unités territoriales statistiques – correspond au département français, équivalant à la province en Espagne et en Italie et au cercle en Allemagne.

Nous constatons qu’il y a en France – ce qui n’est pas une surprise – un dynamisme démographique plus fort que dans les autres pays européens, à l’exception de l’Irlande.

LPoids démographique des régions européennes en 2005

Ce dynamisme démographique français est variable. Il se concentre, pour l’essentiel, sur les zones littorales – sur une bande atlantique allant du Morbihan jusqu’aux Pyrénées atlantiques et sur une grande partie du Languedoc-Roussillon – et le long du couloir rhodanien.

La progression démographique est nulle, voire négative, dans certaines régions du grand Nord-Est de la France, plus spécialement dans les régions Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine, ainsi que dans le Nord du Massif Central – Allier, Cantal – et le Sud du Bassin parisien.

La seconde carteM portant sur les évolutions démographiques est une projection de la population française à l’horizon 2030, réalisée en prolongeant les tendances récentes, notamment les comportements migratoires. Cette carte, qui a été très largement publiée dans la presse, est à l’échelle des régions. Sont indiqués par des bulles la population à l’horizon 2030 et par des couleurs le taux d’évolution projeté de la population régionale entre 2005 et 2030 si les phénomènes actuels se poursuivent, qu’il s’agisse des accroissements naturels ou des flux migratoires.

On prévoit une baisse de population sur une bande de territoire allant de la région Auvergne jusqu’à la Lorraine et la Champagne-Ardenne en passant par la Bourgogne.

Les régions situées dans la moitié Ouest, à l’exception des Pays de la Loire et de la Bretagne, se trouvent dans une situation intermédiaire. En revanche, des régions industrielles, comme le Nord-Pas-de-Calais, qui ont connu précédemment un grand dynamisme démographie, et des régions, comme le Limousin et la Franche-Comté, qui ont enregistré, pendant plus de vingt ans, des reculs sur le plan démographique, s’inscrivent aujourd’hui dans un dynamisme démographique positif.

Les régions Rhône-Alpes, PACA, Alsace, Bretagne, Pays de la Loire et Aquitaine devraient connaître une progression supérieure à la moyenne, en continuité de l’évolution constatée jusqu’à présent. Cela démontre l’attractivité des territoires littoraux.

Enfin, il est prévu un taux d’évolution très élevé pour les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. La forte attractivité de ces régions est liée au dynamisme de leurs villes, notamment Toulouse et Montpellier. C’est dans les départements de l’Hérault et de la Haute-Garonne que le dynamisme démographique est le plus fort aujourd’hui.

Cette carte est une projection ; or il peut se passer beaucoup de choses d’ici à 2030.

Les cartes et graphiques suivants concernent les dynamiques économiques et les richesses des régions.

La premièreN indique le poids économique des régions européennes en 2005.

Les bulles mesurent le PIB régional en 2005 des différentes régions. Pour ce qui concerne la France, nous constatons – ce qui n’est pas une surprise – un phénomène de concentration sur la région Ile-de-France. Les régions PACA et Rhône-Alpes ont également un PIB important. Viennent ensuite les régions littorales : Bretagne, Pays de la Loire, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon.

La situation est différente chez nos quatre grands voisins : il y a plus de bulles de moindre importance en valeur absolue mais elles sont plus soudées et plus nombreuses. La concentration de PIB est moindre en Espagne, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie, à l’exception du Nord de ce pays – Lombardie et Piémont.

MProjection de la population française à l’horizon 2030

NPoids économique des régions européennes en 2005

Cette carte montre qu’il demeure un contraste important entre les parties Ouest et Est de l’Europe.

Les couleurs soulignent le taux d’évolution annuel moyen du PIB entre 1999 et 2005. Ma seconde remarque méthodologique s’impose ici, à savoir que les chiffres indiqués sont antérieurs à la crise.

Les taux de croissance les plus élevés se rencontrent en Irlande, dans une bonne partie de l’Espagne et dans un certain nombre de pays de l’Europe de l’Est, notamment la Roumanie et les États baltes. La situation n’est pas tout à fait la même aujourd’hui puisque l’Irlande devrait enregistrer le taux de récession le plus élevé d’Europe et que l’Espagne devrait également connaître une situation plus difficile.

Cette carte montre cependant que les pays qui ont intégré l’Europe dans les années 1970 ou 1980 ont connu un grand dynamisme. C’est peut-être la démonstration que la politique de développement régional menée en Europe, dont ont largement profité notamment l’Irlande et l’Espagne, a été bénéfique pour ces pays.

Le taux d’évolution du PIB le plus élevé en France se trouve dans les régions littorales de l’Ouest et du Sud, c’est-à-dire de la Bretagne jusqu’à la région Rhône-Alpes en passant par l’Aquitaine, le Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon.

Cette carte met en évidence la situation un peu particulière de la France en Europe ainsi que les contrastes qui peuvent exister tant en France qu’au niveau du reste de l’Europe.

OLe document suivant est un graphique indiquant en abscisse le taux de croissance annuel moyen du PIB 1990-2006 et en ordonnée le taux de variation annuel moyen de la population 1990-2006, les lignes oranges horizontales et verticales indiquant les moyennes françaises pour ces deux grandeurs.

On observe, tout d’abord, que l’Ile-de-France est dans une situation proche de la moyenne tant pour l’évolution de la population que pour l’évolution du PIB mais avec, dans ce dernier cas, un léger retard par rapport à la moyenne nationale, ce qui est nouveau. En effet, pendant longtemps, l’Ile-de-France a tiré la croissance de l’ensemble du pays.

À part l’Alsace et le Poitou-Charentes, les régions se concentrent sur deux parties sur quatre du tableau. En bas à gauche, les régions combinent à la fois un taux d’augmentation de la population et un taux d’augmentation annuel moyen du PIB inférieurs à la moyenne nationale et, en haut à droite, les régions connaissent une situation inverse.

L’Alsace a un taux d’augmentation de la population supérieure à la moyenne mais une croissance inférieure à la moyenne nationale, ce qui est une surprise. Pendant longtemps, l’Alsace a été l’une des régions les plus dynamiques.

Inversement, le Poitou-Charentes a un taux de croissance démographique inférieur à la moyenne nationale et un taux de croissance économique supérieur à la moyenne.

Le graphique montre qu’il existe des cohérences géographiques entre les deux parties du tableau puisqu’on trouve, pour l’essentiel, en bas à gauche, des régions caractérisées par un moindre dynamisme démographique : le Nord-Est de la France, notamment la Franche-Comté, le Nord-Pas-de-Calais, la Champagne-Ardenne et la Lorraine, ainsi que des régions du Massif Central comme le Limousin et l’Auvergne, la région Centre et les deux Normandies. En haut à droite, on trouve les régions littorales au Sud de la Bretagne – c’est-à-dire la Bretagne, les Pays de la Loire, le Midi-Pyrénées, l’Aquitaine – et les régions méditerranéennes.

OEvolution de la population et du PIB des régions de 1990 à 2006

Les quatre départements d’outre-mer, qui n’apparaissent pas sur le graphique, combinent à la fois un taux de croissance économique élevé et un taux de croissance démographique également très élevé, en particulier la Guyane et la Réunion.

Ce graphique met en évidence le grand dynamisme économique des régions littorales par rapport à la plupart des régions de l’intérieur.

PLe document suivant donne le PIB par habitant et le revenu disponible brut des ménages par habitant en 2005 dans les régions métropolitaines hors Ile-de-France. En prenant pour base 100, d’une part, la moyenne du PIB par habitant pour la France entière et, d’autre part, la moyenne du revenu par habitant pour la France, on calcule ensuite par région et on compare le PIB par habitant au revenu par habitant.

Pour Rhône-Alpes, les indices en termes de production et ceux en termes de revenu sont en même position. Cela signifie que, pour cette région, la production correspond en gros au revenu.

En revanche, pour toutes les autres régions et dans des proportions plus ou moins importantes, l’indice « revenu » est supérieur à l’indice « production », ce qui met en évidence l’impact de la redistribution nationale dont elles bénéficient.

Une région n’en bénéficie pas mais aurait plutôt tendance à cotiser pour l’ensemble des régions : l’Ile-de-France, qui n’est pas représentée car elle est trop importante. Sa courbe serait descendante avec un indice « PIB par habitant » de 155 et un indice « revenu par habitant » de 124. Avec un PIB représentant un peu moins de 30 % du PIB national, l’Ile-de-France détient un peu plus de 22 % du revenu.

Pour toutes les autres régions, hormis Rhône-Alpes, le rapport est inverse. Pour la région PACA, par exemple, l’indice « PIB par habitant » est de 95 et l’indice « revenu » de 99. Donc, proportionnellement, le revenu y est plus important que la production. L’écart est encore plus important pour d’autres régions, comme le Limousin où l’indice « production » est de 82 et l’indice « revenu » de 98.

Ce tableau retrace les effets des politiques de redistribution territoriale, quelles que soient leur nature ou leur importance, depuis les concours apportés par les collectivités locales jusqu’aux politiques sociales en passant par les politiques d’investissement que l’on trouve dans les contrats de projet.

Les deux cartes suivantes portent sur les risques de fractures territoriales. En dépit des effets des politiques de redistribution entre les territoires, il demeure un certain nombre d’inégalités sociales.

La première carteQ indique la part des minima sociaux dans le revenu disponible des ménages par département en 2004.

L’analyse de la situation est complexe car il n’y pas, en la matière, de démarcation claire entre les départements ruraux et les départements urbains ni entre les départements plutôt industriels et ceux agricoles.

J’oserai, cependant, trois observations concernant les départements où la part des minima sociaux dans le revenu est la plus élevée.

Sont dans ce cas les départements de la région Nord-Pas-de-Calais, auxquels on peut associer le département des Ardennes. Très peuplés ou ayant subi des reconversions industrielles importantes, ils connaissent manifestement des phénomènes de grande pauvreté.

PDisparité des PIB par habitant par rapport à la moyenne de province et décomposition : PIB par emploi, taux d’emploi, taux d’activité en 2005.

QPart des minima sociaux dans le revenu disponible des ménages par département en 2004

Entrent également dans cette catégorie deux départements du Nord du Massif Central : la Creuse et l’Allier.

La troisième catégorie englobe les départements de la région Languedoc-Roussillon. Cela signifie que cette région attire non seulement des retraités et des personnes riches, mais également des personnes en situation de précarité. Pour avoir connu l’un de ces départements, je puis témoigner qu’il ne s’agit pas d’une observation de café du commerce, si je puis m’exprimer ainsi, mais d’un phénomène général : des personnes en situation de grande précarité sociale préfèrent aller s’installer dans les départements du Sud avec la croyance que les conditions de vie y sont moins difficiles qu’ailleurs alors que le coût du logement dans certains départements peut se révéler beaucoup plus élevé que dans la moitié Nord de la France.

La seconde carteR sur les fractures sociales indique la part par zone d’emploi des demandeurs d’emploi de longue durée de moins de 25 ans dans la catégorie des chômeurs de longue durée au 31 décembre 2006.

Cette part est très élevée dans les régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne-Ardenne et Haute Normandie ainsi que dans le Sud de la France alors que le Sud-Ouest et la région Rhône-Alpes connaissent une situation plus favorable ainsi que la majorité de la région Ile-de-France.

Cette carte par zone d’emploi est moins parlante que si elle était à l’échelle départementale ou régionale mais elle est très fine et fournit des éléments d’appréciation très intéressants.

Les deux cartes suivantes portent sur la métropolisation.

SLa première montre le poids des moins de 20 ans en Europe. Les bulles indiquent le nombre d’habitants de moins de 20 ans, par région, en 2005.

La France se positionne bien sur l’échelle européenne : la population des moins de 20 ans y est importante. La situation est proportionnellement la même en Irlande ainsi que dans les pays de l’Est, notamment en Pologne et en Roumanie.

Par ailleurs, la part des moins de 20 ans est d’autant plus importante qu’on se trouve dans des grandes villes ou dans des métropoles. On observe que la moitié Nord de la France compte beaucoup de moins de 20 ans et que le Sud en compte moins, le Limousin étant la région la plus vieille de France. On note des décalages beaucoup plus forts en Espagne et en Italie, le Nord de ces pays étant proportionnellement beaucoup plus vieux, ainsi qu’en Allemagne.

Cette carte confirme le dynamisme démographique de la France et montre que les jeunes sont plutôt dans les métropoles et dans la moitié Nord du pays.

En réunissant les données fournies par plusieurs cartes, on s’aperçoit que, alors que les taux de naissance sont élevées dans la moitié Nord – le taux le plus élevé se situant dans le département des Ardennes –, les départements situés dans cette région reculent sur le plan démographique. Cela signifie qu’il y a un exode des jeunes soit vers les grandes villes d’Ile-de-France soit, ce qui est plus probable, vers le Sud de la France, toutes choses étant égales par ailleurs.

R Part par zone d’emploi des demandeurs d’emploi de longue durée de moins de 25 ans

SPoids des moins de 20 ans en Europe

La seconde carteT, qui concerne la métropolisation, compare la taille des sites sièges d’université en 2006-2007 en indiquant le nombre d’étudiants inscrits dans les universités par unité urbaine. En dehors de Paris, les villes universitaires les plus importantes sont Lyon, Lille, Aix-Marseille, Toulouse, Bordeaux et Montpellier. Les études menées sur le plan international montrent que le fait de disposer d’une très grande université est un facteur très important de dynamisme économique et d’innovation. La carte présente, de ce point de vue, des contrastes intéressants à noter.

Les deux dernières cartes de cette sélection portent sur l’organisation de l’espace.

La première1a indique les aires urbaines – en orange – et les SCOT – en bleu. On observe des situations très contrastées : certains SCOT couvrent mal les zones urbaines ; il peut également y avoir plusieurs SCOT pour une même aire urbaine.

Globalement, la meilleure organisation apparaît dans l’Ouest, en Alsace, sur le rivage méditerranéen, dans le Nord-Pas-de-Calais et dans la région Nord Alpes.

L’autre carte1b concernant l’organisation de l’espace montre les progrès que nous avons à faire en matière d’intercommunalité : elle indique en liserés bleu, jaune et gris, respectivement les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communautés de communes à taxe professionnelle unique – TPU – et en couleurs le nombre de communautés d’agglomération, de communautés urbaines et/ou de communautés de communes à TPU présentes au sein d’une même aire urbaine.

La région Ile-de-France est un cas à part : la notion d’aire urbaine n’y a pas la même signification que pour les autres grandes villes.

En dehors de la région Ile-de-France, on observe à peu près partout un certain éclatement. La fragmentation territoriale est importante, de nombreuses aires urbaines connaissant plusieurs intercommunalités à taxe professionnelle unique.

Cette carte a été transmise, à sa demande, à la commission Balladur, via la Direction générale des collectivités locales (DGCL).

Telle est la sélection de cartes que nous vous avons préparée parmi les nombreuses autres que comporte le rapport.

M. le président Christian Jacob. Il est un sujet qui, à ma connaissance, n’a jamais été cartographié alors qu’il me semble de plus en plus important.

Je représente une zone très rurale en région Ile-de-France. Les questions posées, il y a quinze ans, par les chefs d’entreprise qui cherchaient à s’installer étaient le prix du mètre carré et le taux de TPU. À celles-ci s’ajoutent aujourd’hui des questions sur les services proposés : structures d’enseignement, dont l’enseignement supérieur, services à la personne, modes de garde, activités culturelles, dont le cinéma et le théâtre, monde associatif. Ces éléments sont de plus en plus importants dans le choix d’implantation des entreprises.

Une politique d’aménagement du territoire est très compliquée à mettre en place car elle revient à accepter de donner plus là où il y a moins d’habitants, c’est-à-dire moins d’électeurs. Une grille de lecture reposant uniquement sur le nombre d’emplois par rapport à la population est très réductrice. Elle doit prendre en compte les services offerts, notamment les services à la petite enfance et les infrastructures scolaires et de formation, la préoccupation première d’un chef d’entreprise étant de savoir comment faire venir et rester des cadres.

S’il existe des cartes sur l’enseignement, je n’en ai jamais vues sur les services.

T

1a

1b

M. Pierre Dartout. Des cartes ont été établies sur un service pour lequel la population a un très grand degré d’exigence : la présence de médecins. Mais, pour les crèches, par exemple, il n’en existe pas.

M. Bernard Lesterlin. Les cartes que vous nous avez présentées sont assez parlantes sur l’organisation de notre territoire mais, à l’exception de la carte sur les sites universitaires et de recherche – qui peuvent être considérés comme des facteurs de dynamisme économique –, elles sont des photographies figées. L’exercice mériterait d’être complété par une cartographie des grandes infrastructures de transport qui permettrait de vérifier si celles-ci remplissent une fonction de dynamisation du territoire.

Nous savons que les régions desservies par des lignes à grande vitesse ont un dynamisme démographique et économique. Il serait intéressant de faire des comparaisons entre les infrastructures ferroviaires et routières.

La « grande poire vide » au milieu de la France qui part du Sud de la région parisienne, touche une partie de la région Centre et regroupe l’essentiel du Massif Central a bénéficié, notamment sous l’ère du président Giscard d’Estaing, d’un gros effort de désenclavement mais les résultats ne sont pas probants car, d’une part, il s’agit d’infrastructures routières et, d’autre part, d’infrastructures de transit et non de dynamisation de pôles. Selon un avis largement partagé lors du Grenelle, une amélioration de la desserte ferroviaire serait de nature, non seulement à désenclaver ces zones, mais également à permettre leur développement économique – je pense en particulier au Limousin et au Nord du Massif Central où se trouve mon département l’Allier.

Si je tire une certaine fierté du fait qu’un arrondissement de Montluçon ait été parmi les premiers à appliquer la loi Chevènement au début des années 2000, je sais que ce n’est pas la structuration institutionnelle ou l’organisation administrative qui induit le développement ou accroît l’attractivité d’un territoire : elle n’est qu’une condition de bon fonctionnement.

La DIACT est-elle en mesure d’apporter des informations sur les infrastructures de transport permettant d’avoir une vision plus dynamique des outils d’aménagement du territoire susceptibles d’induire une dynamisation des territoires les plus délaissés ou les plus isolés ?

M. Jean-Paul Chanteguet. L’INSEE a-t-elle tenu compte, pour faire ses projections à l’horizon 2030, des résultats du dernier recensement qui a été effectué sur la période 2004-2008, sachant qu’au 1er janvier 2009, l’INSEE nous a communiqué les chiffres de population des différentes communes au 1er janvier 2006 ?

M. Jean Proriol. Le tableau comparant le PIB par habitant et le revenu disponible brut des ménages par habitant en 2005 illustre, selon vous, l’influence des politiques de redistribution. Existe-t-il des analyses plus fines selon les aides reçues, qu’il s’agisse du FEDER et du FSE ou des aides régionales ou nationales – qui parfois se complètent ou parfois s’opposent ? Il serait intéressant d’en mesurer l’impact. Des régions sont en retard et il faut continuer à les aider. La projection à l’horizon 2030 montre bien la persistance de la diagonale du vide.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le président, les personnes qui souhaitent s’installer dans une région s’enquièrent, non seulement du prix du mètre carré, mais également de la distance à laquelle se situent l’université et le TGV. Nous nous félicitons de ce que le Gouvernement ait retenu la ligne Paris-Clermont-Ferrand car la centralité parisienne est encore très forte. Par ailleurs, il n’y a pas que les routes, il faut aussi promouvoir les liaisons ferroviaires.

Si la DIACT, grâce à ses analyses, peut appuyer la réflexion pour enrayer les handicaps, elle ne peut que bénéficier de notre soutien.

M. André Chassaigne. Une brochure de l’INRA présente quatre scénarios différents pour les territoires ruraux en 2030. On doit dès lors s’interroger, à partir de l’exposé de M. Dartout, qui est en fait une photographie de la situation actuelle, sur les différents choix possibles, entre lesquels il appartiendra aux politiques de décider.

Doit-on accompagner les tendances fortes qui ressortent de la cartographie présentée en encourageant les secteurs qui apparaissent les plus dynamiques ou les moins touchés par la fracture et en maintenant dans une situation seconde les territoires les moins compétitifs ? On pourrait appeler ce scénario celui des grandes agglomérations.

À l’inverse, ne peut-on espérer combler les retards des secteurs les plus défavorisés par une politique dynamique de péréquation ?

En d’autres termes, doit-on considérer la situation de certains territoires comme irrécupérable ou peut-on espérer instaurer une plus grande harmonie sur le territoire français ?

M. Bernard Lesterlin. La pente des courbes obtenues en comparant le PIB par habitant et le revenu disponible brut des ménages par habitant en 2005 est toujours, en dehors de celle de la région Rhône-Alpes – et celle de l’Ile-de-France, non représentée –, ascendante, ce qui signifie que la production de richesse est partout inférieure au revenu distribué. Cela ne peut s’expliquer que par l’endettement de la France. Comment analysez-vous ce phénomène ?

M. André Chassaigne. Les cartes montrent des tendances par unités de territoire. Or, on observe des évolutions à l’intérieur de chaque territoire : certaines agglomérations ont tendance à se développer alors qu’on trouve, à quelques centaines de mètres d’une autoroute, des zones complètement désertifiées. Pour reprendre une image utilisée la semaine dernière par le président du conseil général du Puy-de-Dôme, ne vaut-il pas mieux avoir une locomotive avec accrochés derrière elle des wagons pleins plutôt que des wagons vides ? Un problème d’équilibre se pose au sein même des territoires.

M. Pierre Dartout. Les questions posées sont importantes et hautement politiques.

Je reviendrai, tout d’abord, sur le graphique avec les courbes ascendantes, représentant l’impact des politiques de redistribution.

Une explication est possible : l’Ile-de-France possède un potentiel de richesse et de croissance important ; dans les autres régions – en dehors de Rhône-Alpes –, et selon des proportions différentes, la part de production est inférieure à celle du revenu.

M. le président Christian Jacob. L’indice du PIB par habitant et celui du revenu disponible en Ile-de-France se sont resserrés ces dernières années.

M. Pierre Dartout. Les indices se sont effectivement resserrés car le taux de croissance économique en Ile-de-France, qui a toujours été plus élevé que la moyenne nationale, l’est aujourd’hui un peu moins. Mais c’est toujours la région Ile-de-France qui assure une bonne partie du dynamisme de l’ensemble national et permet des politiques de redistribution, sachant que la région Rhône-Alpes se trouve dans une situation intermédiaire. Ce phénomène s’observe dans d’autres pays.

Il est possible d’en tirer un certain nombre de conclusions, qui ne vont pas forcément dans le même sens. D’où la nécessité de faire des choix.

On peut, premièrement, en déduire que la croissance économique est tirée par les métropoles et donc que ces dernières sont nécessaires : les conséquences politiques étant les différentes politiques de redistribution qui sont menées.

On peut, deuxièmement, mettre l’accent sur la cohésion territoriale et s’efforcer de donner à chaque territoire la possibilité de valoriser au mieux ses atouts – et chaque territoire en possède.

Les politiques d’aménagement du territoire doivent à la fois valoriser une excellence territoriale en aidant les territoires potentiellement les plus producteurs de croissance pour qu’ils participent à la redistribution et veiller à la cohésion territoriale en faisant en sorte que l’ensemble des territoires, non seulement bénéficient d’une certaine redistribution, mais également aient les capacités de se développer eux-mêmes.

Plusieurs constats s’imposent.

Premièrement, une économie dynamique est une économie innovante. Les pays très innovants en Europe sont aujourd’hui les pays scandinaves – notamment la Suède, la Finlande et le Danemark –, l’Autriche, l’Italie du Nord, certaines régions de l’Allemagne, le Pays Basque et la Catalogne.

Deuxièmement, les pays très innovants sont souvent organisés autour de métropoles – qui peuvent être de tailles différentes. Pour qu’il y ait croissance sur le plan national, il faut des territoires qui la portent. Or les métropoles concentrent l’innovation et la recherche dans les universités. De plus, elles ont des services de haut niveau : aéroports, gares TGV, services financiers. La présence d’un grand nombre d’individus est génératrice de créativité. Toutefois, les métropoles possèdent également leurs mauvais côtés, notamment en matière d’environnement et de sécurité.

Cette analyse n’est pas propre à la France, elle se vérifie un peu partout. La frontière est mince entre la valorisation d’une excellence territoriale et le souci de la cohésion territoriale.

Selon moi, le configuration que l’on connaît en France tient au fait que la région Ile-de-France a un potentiel économique très élevé qui contribue à tirer l’ensemble des autres régions, quel que soit le dynamisme de ces dernières. Certaines régions du Sud de la France ont un grand dynamisme démographique mais tirent leur croissance d’activités de services plus que de production ; dans d’autres régions – c’est le cas dans l’Ouest –, il y a une bonne combinaison des deux. On ne peut pas donner une réponse unique, monocolore.

Pour ce qui concerne les infrastructures, elles sont nécessaires mais pas suffisantes.

Des départements ont largement profité d’une infrastructure autoroutière ou ferroviaire. C’est le cas de la Lozère, qui est bien desservie par l’autoroute gratuite A 75 et qui connaît un taux de progression démographique élevé.

Les régions que vous avez citées, monsieur Lesterlin, ne sont pas les seules à être en difficulté. La Creuse souffre certainement d’un problème d’enclavement, mais d’autres régions, notamment dans le Centre Est et dans l’Est, quoique bien desservies sur les plans autoroutier et ferroviaire, n’en ont pas tiré suffisamment profit. À l’inverse, Toulouse, bien qu’étant la grande capitale régionale la plus éloignée de Paris en termes de temps – elle n’est pas directement desservie par un TGV et l’autoroute A 20 suit un tracé assez long –, est l’une des villes les des plus dynamiques, et il en va de même pour la région toulousaine.

Il n’y a pas de corrélation parfaite entre les infrastructures de transport, quelles que soient leurs natures, et le dynamisme économique d’un territoire. Cela dit, dans la plupart des cas, il est nécessaire que celui-ci soit bien desservi. L’accessibilité d’un territoire concourt à l’attractivité de celui-ci, au même titre que les services administratifs, commerciaux et de santé.

S’agissant des services de santé, deux cartes figurant dans le rapport renseignent sur la présence des médecins sur le territoire. La première indique la densité de généralistes libéraux de premier recours par département en 2005 et l’autre la proportion des médecins âgés de 55 ans et plus parmi les généralistes de premier recours. On constate sans surprise un héliotropisme chez les médecins, lesquels vont s’installer dans le Sud de la France.

M. le président Christian Jacob. On note également un désert médical en Ile-de-France.

M. Pierre Dartout. Il concerne le grand bassin parisien, à l’exception de Paris intra muros.

Mme Karine Hurel. Les territoires urbains manquent souvent de médecins.

M. Pierre Dartout. En revanche, ceux où il y a le plus de personnes âgées sont, dans l’ensemble, couverts par une bonne densité médicale.

La présentation de la carte sur la typologie des espaces ruraux me permettra de répondre à M. Chassaigne.

Les rayures rouges représentent les territoires urbanisés. Les couleurs bleu foncé et bleu clair indiquent le rural que l’on appelle résidentiel ou touristique : régions littorales, notamment dans le Sud et le Sud-Ouest, et régions de montagne Alpes et Pyrénées. La couleur verte signale les campagnes plutôt fragiles : Sud-Ouest, Massif Central – notamment l’Auvergne et le Limousin –, Nord de la région Midi-Pyrénées et une partie de la Bourgogne ; ce sont des régions encore à dominante agricole mais peu denses et sujettes à un certain vieillissement. Le vert plus clair concerne ce qu’on appelle le rural ouvrier, c’est-à-dire des zones à la fois rurales et d’industrialisation traditionnelle en difficulté – ce qui est le cas du grand Nord-Est. Le vert bleuté, présent notamment dans le grand Ouest, est attribué au rural dit en transition, qui se porte bien sur le plan démographique. La couleur ocre clair indique le rural en voie de périurbanisation – la quasi-totalité de la Vendée est dans ce cas car elle compte nombre de petites villes en forte expansion démographique ; le même phénomène se retrouve dans l’Ain, l’Alsace et un peu en Aquitaine.

Toutefois, au sein de ces ensembles, il existe des contrastes importants.

Par ailleurs, la part rurale de la population en France a augmenté : la population totale dans les communes de moins de 2 000 habitants s’est accrue très légèrement.

M. le président Christian Jacob. La population des centres-bourgs stagne tandis que celle des petites communes alentour augmente. Mais lorsque les gens vieillissent, ils reviennent dans les centres-bourgs.

M. Pierre Dartout. Il existe de très grandes différences régionales. Dans l’Ouest et le Sud, les zones rurales se portent plutôt bien.

Mme Odile Bovar. Les évolutions les plus marquantes ont lieu dans l’espace résidentiel touristique, très présent dans le Sud, et le rural en voie de périurbanisation. Ce sont dans ces deux espaces que la population des petites communes a le plus augmenté.

Dans l’espace rural en général, la population a beaucoup plus augmenté dans les communes isolées que dans les pôles déjà situés dans le rural. On observe une diffusion assez loin des pôles, notamment dans le Sud. Le Nord-Est, quant à lui, se retrouve en déprise, du fait du déclin industriel.

L’INSEE a fait deux projections : la première avec les résultats du recensement de 1990-1999 et la seconde en recalant les données de 1999 avec les premières enquêtes du recensement effectué sur la période 2004-2008. Autrement dit, la projection à l’horizon 2030 que nous vous avons présentée ne prend pas en compte les résultats de la référence 2006, que vous avez eu au 1er janvier dernier. Toutefois, la période entre 1982 et 1999 a été prise en considération pour bien dégager les effets structurels et ne pas se laisser rattraper par des effets conjoncturels. Par contre, le rebond des naissances depuis 1999 n’est pas pris en compte.

Un des messages très clairs de la carte donnant une projection de la population à l’horizon 2030, enrichie des données de la carte sur le poids des jeunes, est qu’il y a un effet migratoire du Nord vers le Sud, auquel s’ajoute un vieillissement des populations sur place. Cela étant, même en actualisant les projections avec les derniers chiffres connus, je ne suis pas sûre que les résultats seraient très différents.

M. Pierre Dartout. Les deux cartes relatives à l’évolution démographique par commune ne permettent pas de distinguer clairement les nombreuses communes rurales où la population augmente ; elles mettent davantage en évidence les dynamismes régionaux.

Mme Karine Hurel. Une des deux cartes montre très bien le fait métropolitain et la périurbanisation. La présence de petites bulles autour des grands pôles, très visible dans le grand Ouest, représente la croissance périurbaine entre 1999 et 2005.

L’autre carte indique – en bleu –, les communes où la population a diminué entre 1999 et 2005 et – en vert – celles où la population est restée stable. Les zones les plus touchées sont le Nord, le grand Est et quelques grandes agglomérations.

M. Bernard Lesterlin. Dans les statistiques, est-on sûr de ne recenser que les populations résidentes et non celles ayant des résidences secondaires ?

Par ailleurs, nous assistons à une « boboïsation » des centres-villes, qui sont surdotés en équipements et en médecins, et à une disparition des services dans les grandes banlieues. Ce phénomène fait que l’Ile-de-France n’apparaît pas dans le peloton de tête pour les services de proximité.

Ne s’oriente-t-on pas vers une densification des zones sous-dotées en équipements collectifs et en transports en même temps que vers une diffusion de population en zone rurale nécessitant l’usage d’une deuxième, voire d’une troisième, voiture, ce qui est totalement contraire aux objectifs du Grenelle de l’environnement ?

M. le président Christian Jacob. Je ne partage pas totalement l’analyse de M. Lesterlin. Dans une ville de 10 000 à 15 000 habitants de ma circonscription, les deux catégories de population qui augmentent sont celle des personnes âgées, qui se rapprochent des médecins et des pharmaciens, et celle des individus en situation précaire, qui occupent les logements sociaux prévus pour les accueillir, tandis que les classes moyennes vont dans des communes avoisinantes où, bien qu’il soit nécessaire d’avoir au moins deux véhicules pour se déplacer, l’accession à la propriété coûte moins cher.

M. Pierre Dartout. J’apporterai quelques nuances sur la notion d’inégalités territoriales.

La situation des régions est fort différente de celle d’il y a quarante ou cinquante ans, époque où l’on parlait de « désert français » : un rééquilibrage important a eu lieu en faveur de beaucoup d’entre elles.

Cela étant, de nouveaux déséquilibres sont apparus à autre niveau : quartiers difficiles dans les villes, départements ruraux en situation précaire par rapport à l’ensemble européen.

Les inégalités ne sont pas les mêmes. Les politiques de redistribution territoriale ont eu un effet certain et il y a moins de contrastes interrégionaux qu’avant. C’est à l’intérieur des régions, voire des départements, qu’il y a aujourd’hui plus de difficultés.

Pour le reste, je suis d’accord avec le constat qui a été fait.

Une question mérite d’être posée : s’il existe des problèmes dans certains territoires et certaines aires urbaines, c’est peut-être parce que la fragmentation institutionnelle est trop forte. L’intercommunalité contribuerait peut-être – mon expérience de préfet tend à me le faire penser – à corriger un certain nombre des phénomènes que vous avez évoqués : elle permettrait, d’une part, d’être plus offensif pour lutter contre l’étalement urbain, trop important et trop anarchique, que l’on connaît dans certaines régions, et, d’autre part, d’introduire plus de solidarité à l’intérieur d’un même territoire entre une ville centre et les villes suburbaines. Une plus grande intégration intercommunale me paraît être une bonne réponse à apporter à ces enjeux.

M. le président Christian Jacob. Nous vous remercions, monsieur le délégué.