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Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 11 décembre 2007

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann Présidente

• Audition de Mme Nicole Mosconi, agrégée de philosophie, docteure en sciences de l’éducation, professeure émérite à l’Université de Paris X Nanterre, membre du Centre de recherche Éducation et Formation 2

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Nicole Mosconi, agrégée de philosophie, docteure en sciences de l’éducation, professeure émérite à l’Université de Paris X Nanterre, membre du Centre de recherche Éducation et Formation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente a remercié Mme Mosconi d’avoir répondu à l’invitation de la Délégation. Les inégalités hommes-femmes résultent pour partie d’un héritage où l’éducation joue un rôle important, non seulement dans le choix des orientations scolaires et professionnelles mais également dans la manière de se penser et de se construire en tant que filles ou garçons. Il importe donc de savoir quelle est l’analyse que l’on peut faire de cette situation.

Mme Nicole Mosconi a indiqué qu’elle avait dressé à partir des chiffres de 2005, un état de la place des filles dans les différentes filières de l’enseignement secondaire. Ces tableaux ont pour but de montrer que, contrairement à ce que l’on pense, les filles sont plus nombreuses à préparer le baccalauréat scientifique que le baccalauréat littéraire et même que le baccalauréat économique et social. Ils mettent également en évidence que les choix peu équilibrés sont plus le fait des garçons que des filles. En effet, ces dernières se répartissent de manière plus égale entre les différentes sections du baccalauréat général.

Quand on compare les chiffres correspondant des baccalauréats, y compris le baccalauréat professionnel divisé, pour simplifier, en deux rubriques : « Production » et « Services », on constate que les filles se trouvent majoritairement dans les sections du baccalauréat général (59 %) alors qu’elles ne représentent que 27 % des effectifs du baccalauréat technologique et 14 % du baccalauréat professionnel. Pour les garçons, il y a peu de différence pour le baccalauréat technologique, même si de forts écarts apparaissent selon les sections choisies en son sein, mais il y a près de dix points de différence entre le baccalauréat professionnel (23 %) et le baccalauréat général (48 %).

Les orientations différentes entre filles et garçons sont fortement liées au fait que les sections professionnelles sont beaucoup plus intéressantes pour les garçons que pour les filles. Avec un BEP ou un CAP de secrétariat, les filles ne trouvent plus de travail aujourd’hui tandis qu’avec un BEP, les garçons peuvent trouver un travail d’ouvrier professionnel intéressant permettant ensuite de passer technicien.

Finalement, les orientations des filles sont beaucoup plus équilibrées que celles des garçons. Ces derniers préparent majoritairement le baccalauréat scientifique (31 %), peu le baccalauréat ES (13 %) et très peu le baccalauréat L (4 %). C’est un problème qu’aussi peu de garçons préparent un baccalauréat littéraire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que ce diplôme n’ouvre malheureusement que peu de débouchés.

Mme Nicole Mosconi a observé qu’il mène nécessairement à des études supérieures. S’il y a peu de garçons en L, cela signifie qu’il y en a peu qui passeront un CAPES et une agrégation littéraires, et donc, qu’il y aura peu de professeurs hommes. Que les hommes refusent les fonctions d’éducation de la jeune génération est un problème.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que la difficulté essentielle tient à la reconnaissance du métier d’enseignant.

Les anciens élèves des sections économiques et sociales ou scientifiques accèdent à des professions où un garçon peut se réaliser et gagner correctement sa vie.

Mme Nicole Mosconi a observé qu’il y a également un déséquilibre très fort concernant le baccalauréat technologique. Les garçons sont quasiment inexistants en sciences médico-sociales, largement majoritaires en sciences et techniques industrielles, avec un taux de 14 %, contre 1,12 % pour les filles, et présents en sciences et techniques tertiaires – 12 % contre 17 % pour les filles. Ils y étudient en particulier la comptabilité et le commerce.

En conclusion, ces tableaux montrent que l’orientation des garçons est moins équilibrée et plus ciblée sur des sections précises que celle des filles, qui est plus diversifiée.

Par ailleurs, s’ils mettent en évidence que les filles sont plus nombreuses à passer le baccalauréat S que le baccalauréat ES et L, cela ne retentit pas sur les orientations après le baccalauréat S qui sont différentes chez les filles et les garçons. La différence est très forte à niveau social égal et s’accentue encore chez les classes populaires. Les garçons intègrent davantage les classes préparatoires aux grandes écoles. Les filles font plus médecine que les garçons et quand elles font des sciences, elles vont à l’université.

Selon les études de la Direction de l’évaluation et de la prospective de l’Éducation nationale, on note une petite évolution puisqu’il y a à peu près 30 % de filles dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques. Dans les classes préparatoires littéraires et commerciales, le rapport est à peu près équilibré.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que la différence s’accentue encore dans les grandes écoles d’ingénieurs.

Mme Nicole Mosconi a précisé que l’on pouvait corréler le pourcentage des filles au prestige de l’école : plus elle est prestigieuse et moins le pourcentage de filles à l’intérieur de celle-ci est élevé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si des statistiques ont été réalisées sur les majors. Alors qu’il n’y a que sept filles pour 120 garçons à l’ENSAM de Metz, les majors sont des filles.

Mme Nicole Mosconi rappelle également que lorsque Polytechnique a été ouvert aux filles, c’est une fille qui a été major.

Des études montrent que les professeurs ont souvent tendance à penser que les garçons réussissent parce qu’ils sont doués et parce qu’ils ont des capacités et pourraient encore faire mieux s’ils travaillaient plus. Les filles par contre réussissent par leur travail, sans qu’on leur accorde, a priori, de dons. En tout cas, on n’explique pas leur réussite scolaire par leurs capacités et on ne leur accorde pas de capacités au-delà de leurs performances réelles. L’étude des appréciations portées sur les livrets scolaires fait ressortir une tendance : « Peut mieux faire » s’adresse plutôt aux garçons.

Cela paraît un stéréotype de sexe très ancré même si tous les enseignants ne portent pas ce type de regard sur les élèves.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a reconnu avoir fonctionné ainsi quand elle enseignait, ce qui, avec le recul, lui donne mauvaise conscience.

Mme Nicole Mosconi a précisé qu’elle n’enseignait déjà plus dans le secondaire quand elle a découvert ces travaux.

Les premiers ont été réalisés en Angleterre et aux États-Unis. Le travail sur des observations de classe a été lancé en France parce que l’on avait des difficultés à admettre ce qui était écrit dans les articles anglais et américains. Les enseignants à qui l’on dit qu’ils ont deux tiers d’interaction avec les garçons dans les classes mixtes et un tiers avec les filles, le nient avec véhémence.

Aujourd’hui, les résultats obtenus en France corroborent les études anglo-saxonnes. L’analyse doit cependant être affinée. Il faut prendre en compte le sexe de l’élève, mais aussi son origine sociale et son niveau scolaire. Si l’on croise ces trois données, on constate que les professeurs ne traitent pas de la même façon les filles et les garçons.

Mme Mosconi a précisé que la méthode utilisée consistait à observer très finement le déroulement d’une leçon. Neuf chercheurs et chercheuses ont ainsi étudié pendant trois ans une heure de classe de mathématiques.

Une leçon se compose de trois moments : on rappelle d’abord les savoirs acquis lors de la séance précédente, on construit ensuite un savoir nouveau puis on fait des exercices d’application pour vérifier que l’ensemble de la classe a compris. Au moment où le savoir nouveau de la séance se construit, les enseignants ont tendance à interroger des garçons en position scolaire haute, c’est-à-dire les bons élèves. Inversement, pour rappeler des savoirs acquis un peu délicats, ils font appel aux filles parce qu’ils savent qu’elles sont fiables et qu’elles ne vont pas faire perdre du temps pour rappeler des choses supposées connues.

On a également observé, sur une classe de primaire, que l’enseignante interroge les filles à leur place mais fait venir les garçons au tableau. Ils ont alors une craie avec laquelle ils peuvent écrire au tableau. Quand l’enseignante sollicite une fille pour venir aider le garçon qui se trompe au tableau, elle n’a pas de craie pour écrire.

On a ainsi découvert le « pouvoir de la craie ». Avoir la craie, c’est normalement la prérogative du professeur dans la classe. Mais, quand les élèves sont sollicités pour écrire, la distribution de la craie est cruciale.

De même que les parents ne traitent pas de la même façon leurs fils et leurs filles, même s’ils disent le contraire, les enseignants, qui ne sont pas plus sexistes que les autres, mais ne le sont pas moins, ne traitent pas de la même façon leurs élèves garçons et leurs élèves filles. Mais cela s’exprime par des choses extrêmement fines qui passent aussi par du non verbal : intonations de la voix, gestuelle, distance par rapport aux élèves et, en particulier, par rapport aux élèves interrogés.

Un collègue belge a vérifié cette dernière caractéristique dans un colloque entre un enseignant du supérieur et sa doctorante. Selon l’attente que l’enseignant a du doctorant – soit qu’il pense qu’il va faire une très bonne thèse, soit qu’il s’attend à une mauvaise thèse –, la distance dans l’entretien est plus ou moins grande.

Cela se vérifie dans les classes. L’enseignant se rapproche de l’élève dont il attend beaucoup et s’éloigne de celui qui ne lui renvoie pas une bonne image de lui-même parce qu’il n’apprend pas bien. Les bons élèves sont d’ailleurs utilisés comme des auxiliaires didactiques dans la classe. Une enseignant demande à son meilleur élève de montrer au tableau comment il a fait l’exercice. Or, la consigne n’est pas claire et l’élève se trompe. L’enseignant est frustré et se rapproche de plus en plus de l’élève, et écrit même à sa place. Il y consacre du temps, ce que les enseignants appellent le « temps de latence », c’est-à-dire le temps laissé à un élève qui a donné une première réponse insatisfaisante pour qu’il puisse la corriger. Très souvent, quand une fille est interrogée et qu’elle se trompe, un garçon l’interrompt pour donner la bonne réponse. Les filles prennent rarement la parole sans y être invitées. Ce sont en général les garçons qui veulent se poser en dominants, parce qu’ils sont de bons élèves ou parce qu’ils veulent s’imposer par de l’indiscipline.

Les enseignants ont un double regard sur l’indiscipline. Ils l’acceptent plus volontiers de la part des garçons – elle est insupportable mais d’une certaine façon inévitable – et beaucoup moins de la part des filles. L’indiscipline est alors jugée beaucoup plus sévèrement. En effet, quand un garçon est indiscipliné, c’est dans sa nature tandis que, quand une fille est indisciplinée, l’enseignant s’en rend responsable. D’où les réactions souvent agressives de ce dernier vis-à-vis des filles indociles.

Il y a toute une série de stéréotypes qui font que les attentes et les conduites sont différentes selon le sexe de la personne qui est en face de soi. Cela vaut pour les élèves comme pour toutes les personnes et il est difficile d’avoir prise sur ces stéréotypes.

Tout cela est facteur chez les élèves de construction de leur identité sexuée. On apprend également à l’école mixte des positions sociales inégales.

Selon Baudelot et Establet dans « Allez les filles ! », c’est parce que les filles sont plus dociles que les garçons qu’elles s’intègrent mieux dans le cadre rigide de l’institution scolaire et y réussissent mieux. Cette interprétation de la réussite scolaire des filles n’est pas entièrement convaincante. En effet, tant que les filles allaient peu à l’école et avaient peu l’occasion d’y réussir, on expliquait déjà cela par leur soumission. Comment se fait-il que, maintenant qu’elles peuvent aller à l’école et qu’elles ont, grâce à la mixité, accès à tous les savoirs, on explique leur réussite par cette même docilité ? Il y a là un premier paradoxe. Il y a un autre paradoxe qui tient au fait que, constater une supériorité des filles dans un domaine, est tellement contre-intuitif que l’on a besoin de compenser cette supériorité par une explication qui les replace dans une certaine infériorité.

Il y a une explication positive de la meilleure réussite des filles : elle vient de ce qu’elles ont compris l’enjeu que représentent pour elles l’école et le fait d’avoir des diplômes. Elles savent que, sur le marché du travail, c’est plus difficile pour elles que pour les garçons.

Très probablement aussi l’éducation familiale qui est donnée aux filles facilite plus l’adaptation des filles à l’école que celle des garçons. À force de dire à ces derniers qu’ils doivent être indépendants et se défendre quand on les attaque, on façonne chez eux une identité sexuée masculine, voire virile, qui ne prédispose pas à accepter l’autorité à la fois de l’enseignant et du savoir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé à Mme Mosconi comment elle voit les enjeux de la mixité.

Mme Nicole Mosconi a observé qu’elle a pris pleinement conscience de l’importance de la mixité en discutant avec des collègues espagnols pour qui la non-mixité était liée à la période de Franco et l’avènement de la mixité une réelle libération.

Les pays qui refusent aujourd’hui la mixité ne sont pas des pays de liberté et ne reconnaissent pas le principe d’égalité des hommes et des femmes. La mixité scolaire est un principe politique qui affirme l’accès de toutes et tous à tous les savoirs. C’est un principe de liberté et d’égalité, tel qu’il figure dans notre Constitution française, c’est en outre un principe moderne allant de pair avec la démocratie. Les sociétés dites traditionnelles imposent la séparation des hommes et des femmes en dehors du monde privé. Or, l’école est l’entrée dans le monde public. Les filles et les garçons, c’est-à-dire les futures femmes et les futurs hommes, doivent s’y retrouver ensemble.

L’Église catholique a beaucoup évolué à ce sujet en France. Une étudiante qui voulait faire sa thèse sur les établissements mixtes et non mixtes en France s’est adressée à l’enseignement privé catholique. Ayant été prise pour une mère d’élève, on lui a expliqué l’importance de la mixité pour l’éducation des enfants !

Sur un plan concret, la mixité est une condition nécessaire à l’égalité des sexes mais non suffisante. Les difficultés rencontrées dans certains établissements mixtes ne concernent pas uniquement les quartiers sensibles. Elles viennent du fait que la mixité a été introduite pour des raisons économiques, au moment où la scolarité a été prolongée jusqu’à seize ans sans avoir été véritablement pensée. Cela correspondait, bien sûr, à une évolution des mœurs et de la société, évolution qui rendait la mixité envisageable.

Après la création de l’enseignement secondaire de jeunes filles, à partir des années 1900, une réflexion a été menée sur la mixité, appelée « coéducation » à l’époque. Certains sont allés aux États-Unis et ont constaté que les établissements mixtes ne fonctionnaient pas si mal que cela. Ils ont finalement dit non à la mixité mais on sent que ces Républicains plus ou moins anticléricaux sont gênés car, en se déclarant défavorables à la mixité, ils défendent la même position que les catholiques américains. Ils expliquent ce paradoxe de la manière suivante : en Amérique, comme le protestantisme est prépondérant dans la société, il y a plus de liberté et de liens entre les hommes et les femmes que dans la société française, qui est à prépondérance catholique et où prime encore la séparation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remarqué qu’en effet les écoles protestantes ont été mixtes beaucoup plus tôt.

Mme Nicole Mosconi a souligné que ce qui manque encore aujourd’hui à la mixité, c’est d’être vraiment pensée d’un point de vue éducatif.

Les conventions interministérielles de 2000 et de 2006 pour l’égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif sont excellentes. Si elles étaient vraiment appliquées, ce serait parfait, mais elles ne le sont pas.

On peut formuler quelques hypothèses sur les verrous qui empêchent cette application.

Le verrou principal vient de ce que l’administration de l’éducation nationale, dans sa majorité, résiste fortement. Il y règne l’idée selon laquelle la mixité suffit à l’égalité.

On a longtemps vécu sur l’idée que la mixité était une sorte de déclinaison de la laïcité, ce principe auquel la France tient tant, laquelle implique que les enseignants fassent abstraction des particularités des élèves, le sexe en étant une parmi d’autres. Il n’y a dès lors pas lieu de penser que le système scolaire traite différemment les filles et les garçons.

Cette idéologie de la laïcité – positive quand il s’agit des croyances et des particularités personnelles – prévaut mais, en matière de mixité, il ne suffit pas de poser le principe, il faut ensuite qu’il soit réellement appliqué. Et c’est très difficile.

Les démonstrations exposées sur les différences des sexes peuvent également être faites sur les différences sociales : les enseignants ne traitent pas de la même façon les élèves selon leur origine sociale.

Une expérience a eu pour but de voir comment catégoriser les élèves sans, pour autant, les pénaliser. L’hypothèse de recherche était que, pour gérer une classe, il faut catégoriser les élèves de façon à savoir, par exemple, à quel moment l’enseignant doit interroger tel élève et pas tel autre. C’est ce que tout enseignant apprend peu à peu par l’expérience.

La classe était un cours moyen. L’enseignante fait un premier exercice et demande aux élèves qui croit avoir juste et qui croit s’être trompé. Un petit garçon n’a levé le doigt à aucune des deux questions. L’enseignante se tourne vers lui et lui dit : « Il est prudent, Ahmed ! ». C’est la seule interaction qu’elle a eue avec cet élève de toute la séance alors que les autres élèves étaient nommés plusieurs fois. L’équipe de recherche qui travaillait en aveugle avait fait des catégories un peu caricaturales de départ. Elle avait mis le petit Ahmed dans la catégorie des mauvais élèves. Or, il s’est révélé être le deuxième de la classe. Simplement, il portait un prénom arabe et avait un physique arabe. L’équipe de recherche n’était pas particulièrement raciste, et pourtant elle a complètement mésinterprété la remarque de l’enseignante qui était simplement une façon de dire que l’élève réfléchissait avant de parler. Peut-être aussi n’avait-il pas osé lever le doigt par timidité.

À la fin de la séance, l’enseignante interroge une petite fille qui est en grande difficulté et certainement d’un milieu modeste. On observe que, autant elle était près de ceux qu’elle interrogeait avant, autant elle se met à distance de cette petite fille et l’on voit qu’elle fait des efforts. On voit bien que cette élève l’agace. Dans l’équipe, une chercheuse a proposé l’idée que l’enseignante voyait en la petite fille une sorte de double négatif. Elle lui parle d’une manière plus condescendante et plus contrainte qu’aux autres.

On a également observé que les enseignants interrogent à la fin des séances les élèves en difficulté. Le résultat est qu’ils les pressent alors qu’il faudrait, au contraire, leur laisser du temps pour qu’ils puissent comprendre.

Les séances d’observation de séances d’apprentissage de la lecture donnent lieu aux mêmes remarques.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait remarquer que le propos de Mme Mosconi n’est pas rassurant.

Mme Nicole Mosconi a assuré qu’il est possible de sensibiliser les enseignants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que les enseignants doivent être sensibilisés à la fois à l’égalité et au savoir à transmettre.

Mme Nicole Mosconi a indiqué que c’est un argument qui lui est souvent opposé par les enseignants. Ils ont déjà tellement de choses à gérer qu’ils sont réticents à en ajouter une de plus. Mais pourquoi celle-ci serait-elle moins importante que les autres ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait remarquer que la transmission du savoir était une chose de plus en plus difficile.

Mme Nicole Mosconi a avancé que l’on peut voir aussi les choses dans l’autre sens : il y a plus de jeunes de milieu populaire qui accèdent à des niveaux d’enseignement auxquels ils n’accédaient pas avant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a précisé que sa remarque portait sur l’imagination dont les enseignants doivent faire preuve aujourd’hui pour rivaliser avec les moyens modernes de communication.

Mme Nicole Mosconi a évoqué la thèse d’une collègue angliciste, formatrice en IUFM, qui a enseigné aux États-Unis, et mené son enquête à la fois en observant des classes américaines et des classes françaises. Aux États-Unis, l’égalité des sexes fait partie intégrante de la formation des enseignants, même de leur « professionnalité ». Quand cette collègue a répercuté ses observations de classe aux enseignants américains et leur a montré qu’ils n’étaient pas vraiment égalitaires – tout en l’étant plus que les enseignants français –, ils ont été extrêmement mal à l’aise. Pour eux, il s’agissait d’une remise en cause de leur professionnalité enseignante. Ils ont d’ailleurs demandé que ces observations ne soient pas répercutées au chef d’établissement.

Cela prouve qu’on peut faire plus que ce qui est fait en France.

Quand un enseignant a intégré dans sa formation professionnelle qu’il fallait traiter de la même façon tous les élèves sans faire de différences sociales, ni de différences entre les filles et les garçons, il a le souci de le faire. En France, malgré tous les efforts qui sont faits – et malgré le travail de Mme Zancarini-Fournel à l’IUFM de Lyon –, la majorité des enseignants n’ont pas été sensibilisés à cette exigence. Certains enseignants du secondaire réagissent même encore avec une grande agressivité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a envisagé d’intervenir auprès du ministère, bien qu’elle soit consciente que la démarche ne soit pas évidente, mais tant que l’égalité ne sera pas un enseignement obligatoire dans les IUFM, les choses n’avanceront pas.

Mme Nicole Mosconi a souligné qu’il y avait une résistance extrêmement forte de tous les responsables, ainsi que de beaucoup d’inspecteurs. L’argument opposé est qu’il y a déjà tellement de choses à apprendre aux professeurs stagiaires qu’il n’y a plus de place pour l’égalité.

Après la signature de la convention, des directeurs d’IUFM ont considéré qu’une conférence sur le sujet suffisait à l’application de la convention. Or il faut du temps pour assimiler ces questions. Une conférence n’est qu’une sensibilisation.

À La Réunion une session de quatre jours avec un groupe d’enseignants et de personnels d’orientation a été organisée. En effectuant des jeux de rôle et en inversant les personnages, les participants ont pu réfléchir sur la manière de se positionner dans son identité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s’est étonnée de la réticence des inspecteurs.

Mme Nicole Mosconi a précisé que, pour les inspecteurs, le savoir est épicène : il n’est ni masculin, ni féminin, même si on peut montrer par ailleurs que le savoir ayant été construit dans l’histoire par les hommes, des biais se sont produits.

Pour les inspecteurs, le savoir étant neutre, les questions de relations ne sont pas vraiment pertinentes dans l’école.

Par ailleurs, il y a beaucoup plus d’inspecteurs que d’inspectrices, même si un petit effort est fait dans le primaire pour augmenter la proportion des femmes parmi les inspecteurs des établissements du primaire. Mais il n’y a pas beaucoup de femmes parmi les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) et encore moins parmi les inspecteurs généraux (IG).

Le texte de la convention est bon. Le problème est qu’elle n’est pas appliquée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, remercie Mme Mosconi.