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Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 8 janvier 2008

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann Présidente

• Audition de Mme Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers  2

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Christine Bard, professeure des universités en histoire contemporaine à l’Université d’Angers, responsable de l’axe « genre » du Centre d’histoire de Sciences-Po (Paris) et présidente de l’association des Archives du féminisme.

Poursuivant ses travaux sur l’égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif, la délégation a souhaité aborder avec elle les questions suivantes : l’état de la recherche sur les questions d’égalité entre les filles et les garçons et sa diffusion vers le système éducatif dans son ensemble, le regard que le monde enseignant porte sur ce sujet et les éventuelles résistances, la manière dont il faudrait sensibiliser ou former les professeurs et les responsables éducatifs sur cette question.

Mme Christine Bard, après avoir remercié la délégation de l’avoir invitée, a souligné qu’elle était une ancienne élève de Mme Michelle Perrot, déjà auditionnée par la Délégation et appartenait à la troisième génération d’universitaires qui ont travaillé sur les questions de genre et sur l’histoire des femmes. Pourtant, si l’histoire des femmes s’enseigne ainsi à l’université depuis les années 70, elle manque encore de lisibilité.

Elle a ensuite précisé qu’elle a travaillé sur l’histoire du féminisme, mais également sur celle de l’antiféminisme, ainsi que sur le thème des femmes en politique.

À Sciences-Po, elle co-anime avec Mme Janine Mossuz-Lavau un séminaire sur les femmes et le pouvoir exécutif dans le monde, qui aborde aussi bien la question du temps présent que l’histoire des femmes. Ce cours a le mérite de répondre aux questions que se posent aujourd’hui les étudiants sur la vie politique et plus largement, sur les relations entre les hommes et les femmes. Encore faut-il, cependant, que les étudiants puissent accéder à de tels cours, qui devraient être obligatoires et non optionnels. Mme Christine Bard a ainsi précisé qu’elle imposait dans le cadre de son enseignement, un cours d’histoire contemporaine sur l’histoire des femmes et du genre, qui intéresse finalement aussi bien les garçons que les filles. Si ce cours avait été optionnel, il n’aurait sans doute été suivi que par des filles.

Au-delà du monde étudiant, les conférences sur l’histoire des femmes rencontrent toujours un grand succès, comme en ont témoigné la journée du livre d’histoire du Sénat qui portait il y a deux ans sur l’histoire des femmes, ou les rencontres d’histoire à Blois sur ce même thème.

Les associations sont également très actives sur ce sujet. Pour les cinquante ans du planning familial, elle a organisé, toujours avec Mme Janine Mossuz-Lavau, un colloque sur l’histoire et la mémoire du planning familial.

Il est évidemment positif que la recherche sorte des murs de l’université ou du CNRS pour aller à la rencontre d’acteurs sociaux de premier plan. Il faut donc se réjouir que le planning familial ait ainsi eu l’opportunité de mieux connaître son histoire, de la transmettre à des personnes plus jeunes et, plus globalement, à un large public, grâce à la médiatisation de cet événement.

Mme Christine Bard a par ailleurs créé un musée virtuel sur l’histoire des femmes et du genre, Muséa, et a exprimé le souhait de voir naître un véritable musée consacré à ce sujet.

Elle a ensuite abordé les points positifs que l’on pouvait relever.

Les progrès de la recherche depuis le milieu des années 70 doivent d’abord être soulignés. Les publications en français sur la femme et le genre se multiplient, signe d’un intérêt grandissant.

Il convient également de saluer le dynamisme d’associations comme « Mnemosyne » pour la promotion de l’histoire des femmes et du genre, les « Archives du féminisme », l’Association nationale des études féministes – ANEF – pour obtenir des postes fléchés à l’université, ou encore le Réseau interuniversitaire national sur le genre, le RING. Différentes générations se trouvent réunies autour d’un objectif commun : obtenir plus de reconnaissance, plus de lisibilité, plus de soutien financier et plus de postes à l’université.

Le soutien du féminisme d’État est un autre élément positif avec la création, sous la présidence de M. Giscard d’Estaing, d’un secrétariat d’État à la condition féminine, renforcé ensuite par l’action d’Yvette Roudy au ministère des droits des femmes. Grâce au service des droits des femmes, ce domaine de recherche reçoit un soutien permanent, même s’il demeure insuffisant, par le biais de subventions aux associations spécialisées, de colloques etc. Cette aide extérieure a joué un rôle fondamental.

L’intérêt du grand public est par ailleurs essentiel, au même titre que l’intérêt des médias, constant depuis le milieu des années 1990.

La synergie positive entre la parité et le développement de la recherche sur le genre doit également être souligné. Même s’il reste beaucoup à faire, le mouvement pour la parité a dynamisé la recherche sur le genre, tout en prenant lui-même appui sur les études des politologues relatives au fonctionnement de la discrimination dans les partis.

Il convient aussi de citer les nombreuses dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en faveur de l’égalité dans le domaine de l’éducation : convention de 2000 et de 2006, loi de 2005, sans parler des efforts réalisés dans la fonction publique ou encore au niveau du Conseil économique et social, comme en témoigne le rapport d’Anette Wieviorka sur l’enseignement de l’histoire.

Il ne parait pas utile de voter de nouvelle loi, les textes en vigueur étant largement suffisants, d’autant que les publications officielles sont nombreuses. Ainsi le ministère de l’Éducation nationale, sur son site, publie toutes les informations relatives à la volonté étatique de promouvoir l’égalité.

Surtout, l’établissement de statistiques sexuées facilement accessibles s’est révélé particulièrement utile pour démontrer la persistance d’inégalités ou d’orientations beaucoup trop sexuées.

Autre point positif, la France est l’un des premiers pays d’Europe en pourcentage de femmes à l’université et dans la recherche, y compris aux postes supérieurs, ce qui n’est pas sans lien avec le développement des études sur le genre puisque ce sont essentiellement les femmes qui s’y intéressent. La France compte ainsi presque deux fois plus de chercheuses et de professeures d’université qu’en Allemagne.

Mme Catherine Quéré a indiqué que cela pouvait s’expliquer par le fait plus général qu’en Allemagne le travail féminin n’est pas encouragé comme le montre le manque de crèche.

Mme Christine Bard, a précisé que, professeure d’histoire contemporaine, elle consacre entre 50 et 70% de ses cours à l’enseignement de l’histoire des femmes. Toutes les universités, cependant, n’accordent pas autant de temps à l’enseignement de cette question. La marge de manœuvre est de surcroît réduite lorsqu’il s’agit de préparer des élèves à des concours, CAPES ou agrégation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, l’a regretté, estimant que les personnes qui se destinaient à l’enseignement devraient être particulièrement sensibilisées à cette question.

Mme Christine Bard a précisé que les élèves devraient être intéressés à la problématique du genre dès la première année, lequel peut du reste être abordé au travers l’histoire de la famille, de la maternité, de la démographie, du travail et de la politique. L’idéal serait que, parallèlement à des cours spécifiques sur le genre, les professeurs non spécialistes intègrent cette histoire dans leur thématique, car il s’agit là d’une matière transversale.

À M. Guénhaël Huet qui lui demandait si elle était contrainte de respecter un programme, Mme Christine Bard a répondu qu’en dehors des années de préparation aux concours, les enseignants disposaient à l’université d’une certaine liberté dans l’élaboration de leur programme. En général, ils enseignent leur spécialité, mais elle a cité l’exemple de son collègue, également titulaire de la chaire d’histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire des relations internationales, qui en est venu à enseigner également l’histoire des femmes. Elle a cependant regretté que les enseignants chercheurs n’exploitent pas davantage cette liberté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s’est par ailleurs demandée s’il n’était pas trop réducteur d’enseigner l’histoire contemporaine par le biais de l’histoire du genre et s’est enquise du programme du cours d’histoire contemporaine en troisième année.

Mme Christine Bard a précisé que, au-delà du fait que les enseignants avaient le choix entre plusieurs thèmes, l’histoire des femmes en étant un parmi d’autres, l’enseignement de l’histoire du genre ne concernait que son service à l’université, soit six heures de cours par semaine.

Le cours sur l’image et l’histoire au XXe siècle, pour lequel nombre des thèmes choisis sont liés à l’histoire des femmes, a pour but de préparer les étudiants au cours obligatoire d’histoire contemporaine de quatrième année qui porte, quant à lui, sur l’histoire des femmes et du genre. Outre le fait que cette spécialité n’est ni moins ni plus pointue que d’autres, elle a le mérite d’enrichir la culture générale des élèves sur de nombreux sujets.

M. Guénhaël Huet s’est inquiété de ce que l’histoire du XXe siècle, si riche, ne soit ainsi abordée qu’au travers le prisme de l’histoire des femmes,

Mme Christine Bard l’a rassuré en lui précisant que le cours d’histoire des femmes ne représentait qu’un quinzième des cours suivis par les étudiants inscrits en histoire à l’université.

Elle a ensuite abordé les points négatifs.

Tout d’abord, la féminisation de pans entiers de l’enseignement et des études est souvent mal perçue, tout comme la meilleure réussite des filles. Le féminisme doit aujourd’hui réfléchir à la manière de changer l’attitude des garçons à l’égard de la culture et des études supérieures, ce qui est inédit. Historiquement, ce sont les filles qui sont parties à la conquête du savoir, mais, aujourd’hui, il faut motiver les garçons, et, surtout, faire mentir l’adage selon lequel une profession qui se féminiserait serait une profession qui se dévaloriserait.

Par ailleurs, au sein des universités, les nombreux efforts individuels et associatifs pour développer les problématiques liées au genre n’ont pas empêché que cette question reste perçue comme secondaire.

Il faut ensuite regretter que les études sur le genre et les femmes n’aient pas davantage de lisibilité culturelle, d’autant plus que les moyens mémoriels ne manquent pas – les commémorations, les panthéonisations, les noms de rue sont autant d’outils symboliques dont l’on ne se saisit pas assez pour marquer la présence des femmes dans notre passé local, national et mondial. Aujourd’hui, 5% seulement des noms de rue sont des noms de femme, et une seule femme est inhumée au Panthéon, Marie Curie, Mme Berthelot n’y étant qu’en tant qu’épouse.

M. Guénhaël Huet s’est inquiété de son avis sur la journée des femmes.

Mme Christine Bard s’est dite favorable au maintien de cette journée qui attire l’attention des médias, et a le mérite de relancer les débats, même si certaines femmes la jugent négative.

A la suite de Mme Catherine Quéré, Mme Christine Bard a également déploré que peu d’établissements scolaires portent le nom d’une femme.

Il faut réfléchir aux moyens de faire connaître les textes en faveur de l’égalité et de motiver les acteurs sur le terrain. Tout repose aujourd’hui sur le volontariat, le bénévolat et les passions individuelles, avec les limites que cela comporte. Les associations manquent ainsi cruellement de moyens financiers. Il conviendrait de consolider et d’institutionnaliser cet ensemble, d’où la proposition de créer un musée. Il existe déjà un musée virtuel, Muséa, sur l’histoire des femmes et du genre, édité par l’Université d’Angers, qui s’appuie essentiellement sur le financement du Conseil régional des pays de la Loire, puisque le musée n’a reçu qu’un temps le soutien du Fonds social européen. Ce musée virtuel qui publie des recherches universitaires accessibles à tous a été conçu en partie pour contourner le problème des manuels scolaires qui n’intègrent pas encore, ou insuffisamment, l’histoire du genre.

Grâce au FSE, Muséa a pu engager des salariés pendant deux ans, mais il ne fonctionne plus aujourd’hui qu’avec un budget minime alloué par la délégation régionale aux droits des femmes et le conseil régional des Pays de la Loire. Il est donc impossible de financer un webmaster qui aurait pu travailler à sa publicité. La Charte de l’égalité de 2004 a eu beau encourager la création d’un musée virtuel sur l’histoire des femmes et du genre, Muséa, n’a reçu que peu de soutiens financiers, alors même que ses besoins sont finalement modestes.

M. Guénhaël Huet a demandé si Mme Brard souhaitait transformer le musée virtuel en musée réel.

Mme Christine Bard a exprimé le souhait de conserver le musée virtuel, qui pourrait largement servir de laboratoire de réflexion à un musée réel, comme il en existe dans d’autres pays ; les États-Unis en comptent plusieurs, l’Allemagne deux, le Vietnam un, tout comme le Danemark. Il s’agirait d’un moyen de défense de l’histoire et de la mémoire des femmes qui pourrait s’avérer très intéressant, car le public est de plus en plus curieux des musées de société, comme en témoigne le succès du musée de l’immigration.

Cela étant, il vaut mieux un musée sur le genre, plutôt qu’un musée consacré exclusivement à l’histoire des femmes, qui risque de ne pas susciter l’intérêt des hommes, et de ne pas être assez politiquement correct pour obtenir des subventions.

M. Guénhaël Huet s’en est étonné, la thématique de l’histoire des femmes leur paraissant plus porteuse que celle du genre, trop abstraite.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, qui est du même avis, a, de surcroît, attiré l’attention de Mme Christine Bard sur la difficulté « à faire passer » la notion de genre.

Mme Christine Bard a alors expliqué qu’il s’agissait d’un terme consacré au niveau européen pour désigner la féminité, la masculinité, ce qui s’apprend : « On ne naît pas femme, on le devient », tout en reconnaissant que ce terme pouvait masquer la réalité sociale des femmes et qu’il convenait sans doute de vulgariser cette notion. C’est du reste pour cette raison que l’on continue, en France, de parler de l’histoire des femmes et du genre, pour tout de même témoigner de l’ouverture sur les problématiques développées aux États-Unis à la fin des années 80 sur la construction sociale du féminin et du masculin.

Parler d’« histoire des femmes » a le mérite d’être compréhensible pour tous, mais l’on risque d’essuyer le reproche de ne s’intéresser qu’aux femmes, alors que l’étude de l’histoire des femmes impose naturellement de se pencher sur celle des hommes, pour comparaison. L’on ne peut faire de l’histoire sans militer pour que l’histoire devienne mixte. L’idéal serait que l’histoire des femmes disparaisse et que toute l’histoire prenne en compte le genre.

M. Philippe Nauche, à son tour, a déclaré que le terme de « genre » lui paraissait très abstrait.

Mme Christine Bard a expliqué qu’elle préférait, dans son cours, employer celui de « différenciation sexuelle », plus clair, et s’adaptant à toutes les situations.

M. Guénhaël Huet a salué ce projet de musée consacré à l’histoire des femmes, d’autant plus riche que le sujet est inépuisable – les femmes dans la littérature, dans la politique, dans la résistance, dans les arts etc. –, d’où la nécessité de prévoir, parallèlement à une exposition permanente, des expositions temporaires, ce qui aura un coût.

Mme Christine Bard revenant sur le terme de « genre », a approuvé la nécessité de réfléchir à la vulgarisation de cette notion, sans pour autant devoir renoncer à un effort d’élaboration théorique.

Mme Catherine Quéré, a observé que le terme « genre » renvoie à un parallèle avec l’analyse grammaticale et le genre des noms duquel l’on peut s’inspirer.

Mme Christine Bard a rappelé que ce terme avait le mérite d’intégrer l’histoire de la masculinité. Comment classer, par exemple, le caractère masculin de l’héroïsme, ou la prostitution homosexuelle à Paris à la fin du XIXe siècle, dans une histoire des femmes ? L’histoire du genre permet au contraire de s’ouvrir vers les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de la masculinité, aujourd’hui en plein essor. Le terme « genre » rassemble, mais il faut effectivement l’expliquer.

Elle a ensuite indiqué qu’elle était l’auteur d’un ouvrage destiné à compléter les cours délivrés aux élèves de l’enseignement supérieur. L’étape suivante devrait être la rédaction d’un manuel sur la France au XXsiècle, qui intègrera ce type d’apports. L’idéal serait que les élèves en première année d’histoire, ou en sociologie, disposent d’un manuel sur la France au XXe siècle, intégrant les découvertes de la recherche, pour que les femmes ne soient pas oubliées.

L’attention de la Délégation aux droits des femmes doit également porter sur les archives.

Trop souvent, l’on oublie la question des bibliothèques et des archives, pourtant indispensables à une bonne recherche. La bibliothèque Marguerite Durand, bibliothèque municipale, spécialisée dans l’histoire des femmes et du féminisme en France. Or, elle n’a que très peu de moyens. La France a perdu des fonds d’archives très importants, soient qu’ils aient été rachetés à l’étranger, en particulier par des Américains, soit qu’ils aient été transférés à l’étranger faute de place pour les conserver. Ce fut le cas du fonds du conseil international des femmes qui a été transféré à Bruxelles. Un centre des archives du féminisme a été créé à Angers, en partie pour répondre à cette problématique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Christine Bard pour son intervention.