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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 23 novembre 2010

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 4

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)

L’audition est ouverte à 17 heures 40.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT).

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail », accompagnée de M. Michel Parlier, chef du département « Compétence travail emploi », tous deux de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT).

L’ANACT a réalisé une étude intitulée « Genre et conditions de travail », qui compare les conditions de travail des femmes et des hommes, analysant notamment les risques au travail en fonction du genre.

Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Les constats tirés de nos interventions dans les entreprises montrent que l’égalité ne peut progresser au détriment de la santé et que, inversement, les efforts faits pour améliorer les conditions de travail gagneront en pertinence si l’on prend en compte la situation différenciée des femmes et des hommes au travail.

Voici deux ans que le réseau ANACT développe, dans le cadre de l’actuel contrat de progrès, une approche « genrée » des conditions de travail. Il s’agit de considérer ensemble les enjeux de santé au travail et les enjeux d’égalité.

Je traiterai d’abord, à partir de quelques indicateurs, de l’impact différencié du travail sur la santé des femmes et des hommes, avant d’analyser « l’effet de genre » des conditions de travail, et je terminerai par quelques propositions destinées à aider les entreprises à lier actions en faveur de l’égalité et actions en faveur de la santé.

Les effets différenciés du travail sur les parcours professionnels sont relativement connus des partenaires sociaux – c’est tout le problème des « plafonds » ou des « parois de verre ». En revanche, les institutions chargées du travail et de la prévention, de même que les entreprises, ne produisent que peu de statistiques sexuées en matière de santé au travail, et elles les diffusent encore moins volontiers. Nous avons toutefois pu étudier celles de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS) : elles révèlent des écarts importants selon le sexe, ce qui rejoint certains de nos diagnostics.

En 2008, les accidents du travail subis par des femmes représentent un tiers – 28,5 % exactement – des 700 000 accidents du travail. Sur la période 2000-2008, leur nombre a augmenté de 21 %, alors que celui des hommes a diminué de 13 %. Si l’on rapporte ce nombre à celui des actives ou des actifs en emploi, l’évolution est respectivement de + 8 % et de – 15 %.

Les secteurs dans lesquels la progression des accidents féminins a été la plus forte sont le BTP, le transport et l’énergie, la santé, le nettoyage, et le commerce non alimentaire. Les trois derniers sont des secteurs où prédomine l’emploi féminin mais, pour les deux premiers, cette progression montre que l’introduction des femmes dans des milieux masculins a pour elles des conséquences non négligeables en termes de santé. Je relève toutefois que, dans la métallurgie, le nombre d’accidents a baissé au cours de ces neuf années dans la même proportion pour les hommes et pour les femmes, à 1 % près.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Grâce à l’ergonomie, ce qui prouve que faire entrer des femmes dans un milieu d’hommes peut permettre de réduire les risques d’accidents.

Mme Florence Chappert. C’est bien notre thèse, mais ce n’est pas ce qu’on constate partout. Et cette statistique relative à la métallurgie ne porte que sur un faible effectif de femmes.

En 2008, sur 45 000 déclarations de maladies professionnelles, la moitié – 48,6 % – provenaient de femmes. En sept ans, la progression a été de 125 %, contre 62 % pour les hommes. Les secteurs concernés sont, par ordre décroissant, le BTP, le transport-énergie, la santé/nettoyage, le commerce non alimentaire, les services/banques/assurances et le commerce alimentaire. Les troubles musculo-squelettiques, en particulier, tendent à se généraliser.

Les enquêtes épidémiologiques révèlent un niveau de tension et de stress au travail bien supérieur pour les femmes – de l’ordre de 40 % à 50 % de plus. Les questions de violence au travail sont taboues et donc peu étudiées. Nous avons montré, dans une étude sur les accords relatifs à la prévention des risques psychosociaux, que ceux-ci ne prévoyaient qu’exceptionnellement des analyses sexuées, qu’ils ne prenaient pas toujours en compte la tension issue de l’articulation des temps professionnels et personnels comme facteur de risque, ou que, s’ils mentionnaient les violences racistes ou homophobes, ils omettaient systématiquement les agressions « sexistes ». D’autre part, le travail que nous avons esquissé sur une partie des 33 000 accords ou plans d’action « seniors » semble montrer qu’eux non plus ne font aucune place aux questions de genre.

On peut expliquer ce point aveugle de l’analyse par l’existence d’un risque très important de raccourci d’interprétation auquel exposerait une conception de la nature féminine, forcément fragile et soumise aux impératifs de la maternité. Reste que la recherche n’a pas assez avancé aujourd’hui pour expliquer de façon convaincante ces écarts.

Ce qui complique encore l’analyse, c’est que, d’après les études disponibles, les femmes considèrent que le travail à une influence positive sur leur santé, et qu’en cas de souffrance au travail, elles établissent moins souvent que les hommes un lien entre leurs conditions de travail et leur mauvais état de santé, qu’elles imputent plutôt à leur vie personnelle ou familiale.

J’en viens à « l’effet de genre » des conditions de travail : qu’est-ce qui, dans celles-ci, affecte différemment la santé selon qu’on est une femme ou un homme ? Nous avons pu mettre en évidence que les causes structurelles des écarts de salaire sont en fait très proches de celles qui génèrent ces écarts d’état de santé.

Il existe quatre types d’« effet de genre » des conditions de travail.

Le premier provient d’une double ségrégation, c’est-à-dire d’une ségrégation qui porte sur la distribution des emplois, mais aussi sur celle des tâches au sein d’emplois pourtant mixtes. Ainsi, dans de nombreuses entreprises du secteur agro-alimentaire, les femmes et les hommes, sous la même appellation d’emploi « ouvrier » ou « employé », ne se voient pas assigner les mêmes activités, les femmes étant moins rémunérées que les hommes pour un travail au moins aussi pénible et générant beaucoup de troubles musculo-squelettiques. Cette répartition sexuée est due à des éléments objectifs de conditions de travail, qui excluent les femmes - mais les protègent aussi de certaines contraintes - comme le port de charges lourdes. Mais elle s’explique bien sûr aussi par les stéréotypes de sexe, qui renvoient à des représentations de métier mais qui n’ont parfois rien à voir avec la difficulté réelle du travail.

Le deuxième « effet de genre » provient d’une « organisation des temps » de plus en plus en flux tendu, pénalisante pour les salariés qui cumulent d’autres activités, qu’elles soient familiales ou personnelles ou qu’elles tiennent à la nécessité d’avoir un deuxième emploi. D’après la DARES, en 2005, 60 % des horaires étaient « atypiques », et ce terme recouvre notamment le temps partiel. Le temps partiel choisi des cadres est encore souvent refusé et n’amène pas de révision de la charge de travail. En ce qui concerne le temps partiel imposé, la raison souvent invoquée par les entreprises est l’existence de pics d’activité, résultant de la concentration de la fréquentation ou de la demande sur certaines heures : ainsi dans le commerce, dans les services à la personne ou dans l’hôtellerie-restauration. Nos analyses nous conduisent à y adjoindre une deuxième raison, qui est que certains types de postes ne peuvent pas, ou ne peuvent plus, être tenus à temps plein sans dommage pour la santé, dans un contexte d’hyperproductivité. Les entreprises voient dans ces contrats à temps partiel le moyen de disposer d’employés plus « performants », mais c’est là une vue à court terme car la précarité de ces salariés, aggravée par un faible soutien du collectif de travail, amplifie l’absentéisme ou le turn-over.

Les tentatives faites, notamment dans la grande distribution, pour développer la polyactivité en vue d’offrir des emplois à temps plein, ne sont pas toujours concluantes au vu des évaluations que nous avons pu mener. Il y a à cela au moins trois causes : la polyactivité n’est pas toujours vécue ou conçue comme enrichissante sur le plan des compétences ; elle n’est pas forcément valorisée pécuniairement, alors que les salariés concernés, passant à temps plein, peuvent perdre de ce fait certaines allocations, ou avoir à assumer un surcoût de garde d’enfants ; enfin, les horaires complémentaires ne sont pas toujours bien placés et peuvent entraîner des coupures importantes en journée. Ainsi, dans le secteur des services à la personne (SAP), il est difficile de trouver des clients qui aient besoin de prestations à d’autres moments que le matin ou le soir. En revanche, on constate certaines initiatives – prises par des agences bancaires et des collectivités, sans parler de ce qui se fait dans d’autres pays européens – en vue de permettre le nettoyage des bureaux dans les horaires normaux.

Le troisième effet de genre provient de ce que les conditions de travail des femmes souffrent d’une certaine « invisibilité », qui conduit, d’une part, à ne pas rémunérer les emplois qu’elles occupent à leur juste valeur et, d’autre part, à occulter la pénibilité et les charges physiques, mentales et émotionnelles de ces emplois et, par conséquent, à faire l’impasse sur les risques d’usure au travail.

Ce qui distingue fortement le travail des femmes de celui des hommes, notamment pour les non-cadres, c’est la prédominance de la relation avec le public, le patient ou le client, impliquant un travail émotionnel soutenu pour faire face à des situations d’agressivité ou de détresse. C’est aussi l’importance du travail morcelé, répétitif, exigeant des postures contraignantes, avec peu de marge d’autonomie pour s’organiser différemment. Ainsi, les femmes sont aujourd’hui en première ligne pour l’exposition aux risques organisationnels et psychosociaux au travail.

Il est vrai que la prise en compte de leur physiologie les protège – ainsi que leurs enfants à venir – de certains risques, comme les ports de charges, l’exposition aux radiations et aux produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, ou encore le travail de nuit dont on sait aujourd’hui qu’il est générateur de cancers du sein. Toutefois, d’autres contraintes, comme certains rythmes de travail ou certaines exigences d’ancienneté ou de disponibilité, les privent de toute chance de voir leur emploi évoluer : c’est le quatrième effet de genre. La répétitivité du travail et le manque de perspectives de carrière font que les femmes, notamment au plus bas niveau de qualification, restent attachées au poste qu’elles ont occupé à leur entrée dans l’entreprise – et c’est cela même qui est générateur d’usure professionnelle. Les hommes, eux, sont davantage recherchés par les employeurs et ont plus de facilités à démissionner pour trouver ailleurs de meilleures perspectives. Si l’INSEE fait état en 2007 d’un écart d’espérance de vie en bonne santé entre les femmes et les hommes – 64,2 ans pour les premières contre 63,1 ans pour les seconds –, les spécificités sexuées du vieillissement au travail ne sont pas connues alors que la durée de la vie professionnelle s’allonge et que les femmes de cinquante à cinquante-neuf ans déclarent globalement un moins bon état de santé que les hommes –  ce qui peut s’expliquer par la ménopause et par le déclenchement de plus en plus précoce de certains cancers, mais aussi par une usure prématurée due au travail.

Mme Catherine Coutelle. On ne peut pas admettre que l’acceptation d’un temps partiel soit une condition sine qua non pour obtenir un travail.

Grâce à certains accords, des femmes qui gardaient des enfants à domicile uniquement le matin et/ou le soir ont pu trouver un emploi dans des crèches, des haltes-garderies ou des écoles maternelles. À Nantes, des entreprises de nettoyage ont incité les administrations et les services à faire faire leur ménage dans la journée, et non entre cinq et sept heures du matin, ou entre dix-neuf et vingt et une heures. C’est la preuve que l’on peut mettre un terme au temps partiel non choisi ! Ne pourrait-on envisager des pénalités pour les entreprises qui en abusent ?

Le pire s’observe toutefois dans la grande distribution, qui ne respecte même pas les délais de prévenance : les femmes doivent rester chez elles au cas où on les appellerait pour faire face à un afflux de clientèle le vendredi en fin d’après-midi ou le samedi, ce qui les empêche de chercher un deuxième emploi et les oblige à faire garder leurs enfants ! Il faut agir contre de tels comportements.

Mme Florence Chappert. De même, dans le secteur de la logistique, sur les plateformes où se préparent les commandes pour la grande distribution, les gens connaissent leur heure d’embauche, mais ignorent à quelle heure ils finiront – entre dix-sept et vingt et une heures, en fonction du volume des commandes.

Mme Catherine Coutelle. Les mentalités aussi doivent évoluer. Dans la société actuelle, on veut récupérer dès le lendemain les vêtements qu’on apporte au pressing. Ou – avant l’irruption du numérique – que des salariés soient rappelés la nuit pour développer des photos, parce que l’entreprise promettait un développement dans les 24 heures – et que l’argument séduisait les clients !

Mme Florence Chappert. Avant de vous présenter nos propositions, je voudrais vous faire part de quelques constats en ce qui concerne l’attitude des entreprises.

Aujourd’hui, elles sont encore dans le déni, s’agissant des questions de genre. Dans les premières demandes qu’elles nous adressent, les conditions de travail des femmes ne sont jamais mentionnées. Toutefois, l’expérience montre que, lorsque notre intervention conduit dans un deuxième temps à s’intéresser à ces questions de genre, cela facilite grandement le diagnostic de problèmes d’absentéisme, de turn-over, de troubles musculo-squelettiques, de stress ou d’usure au travail.

Les entreprises mixtes ne se préoccupent d’égalité que s’il y a un risque juridique ou financier à ne pas le faire – à cet égard, la pénalité de 1 % prévue dans la loi peut contribuer à un progrès, à condition qu’il n’y ait pas contournement. Toutefois, certains indicateurs de santé, comme une augmentation de l’absentéisme plus forte pour les femmes que pour les hommes, peuvent les amener à s’intéresser à ces questions d’égalité, dans le souci de préserver une productivité mise à mal, et certaines demandes récentes adressées à notre réseau confirment cette évolution.

Soit précisément parce qu’elles emploient une majorité de femmes, soit parce qu’elles ont des grilles de rémunération fortement encadrées, qui ne comportent que de faibles écarts, les entreprises à prédominance féminine sont également aveugles aux questions de genre. Or c’est souvent là, dans les métiers du social, du soin et de l’éducation, que les risques d’usure et d’épuisement professionnel sont les plus importants.

Les entreprises à prédominance masculine, lorsqu’elles ont des projets de féminisation, les motivent à partir des qualités intrinsèques que l’on prête aux femmes : qualités d’écoute et de négociation pour des postes à responsabilité, aptitude à conduire en douceur et à gérer les conflits pour des conductrices de bus… Or de tels arguments peuvent facilement se retourner contre les femmes en cas de conjoncture économique défavorable.

D’une manière générale, les partenaires sociaux sont très réticents à aborder ces questions d’égalité qu’ils considèrent comme de la discrimination positive.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On ne le dénoncera jamais assez !

Mme Florence Chappert. Cette analyse permet d’améliorer les conditions de travail de tous.

M. Michel Parlier, chef du département « compétence travail emploi » de l’ANACT. De même que l’amélioration des conditions de travail des seniors a bénéficié à l’ensemble de la population.

Mme Florence Chappert. J’en arrive à nos sept propositions pour faire progresser conjointement l’égalité et la santé en entreprise.

En premier lieu, nous recommandons d’obliger, ou d’inciter très fortement, à inscrire l’action en faveur de la mixité des emplois et des tâches dans les plans d’action ou accords sur l’égalité. Nous préconisons notamment une masculinisation des métiers à prédominance féminine car nous y voyons un facteur d’amélioration des conditions d’emploi. Ce volet « mixité » devrait, selon nous, comporter des mesures relatives à la composition des commissions de sélection, à l’ergonomie et à l’encadrement de la charge de travail, en particulier s’agissant des postes à responsabilité, pour lesquels on impose souvent des rythmes de travail incompatibles avec la vie familiale. Et c’est un souci auquel on devrait sensibiliser les enfants, dès l’école primaire.

La deuxième proposition concerne l’aménagement des temps de travail qui doit explicitement viser à une bonne articulation avec la vie familiale et personnelle. Nous suggérons que les horaires atypiques – travail de nuit ou à temps partiel –, mis en place au nom de l’intensification et de la flexibilité, fassent l’objet non seulement d’un encadrement plus strict, mais surtout d’une contrepartie, consistant à laisser aux salariés une certaine liberté pour choisir leurs créneaux horaires à l’avance et pour déterminer leur volume horaire. Concernant le temps partiel, il est essentiel de parvenir à une organisation de l’entreprise et de la société qui permette aux femmes et aux hommes de faire de vrais choix, par exemple en jouant sur le levier de la surcotisation, ou grâce à des modes de garde gratuits pour les plus modestes.

Deux exemples de pratiques allant dans le sens de cet aménagement.

Dans une fromagerie, les salariées femmes, qui n’ont trouvé place que récemment dans ce secteur, ont obtenu de travailler de jour parce que, désormais, les moyens frigorifiques permettent d’attendre pour traiter le lait, alors que les hommes préféraient continuer à travailler de nuit pour conserver les primes ou pour exercer d’autres activités en journée.

Dans la grande distribution et dans les transports publics, certaines entreprises ont offert un choix en matière de grilles horaires, pour le travail en équipe. Il convient toutefois, dans ce cas, de veiller à ce que les arbitrages de l’employeur, inévitables, prennent en compte non seulement le critère de l’ancienneté, mais aussi les charges de famille.

Notre troisième proposition concerne la prise en charge de la période de la maternité. Nous suggérons qu’un volet des accords d’entreprise y soit dédié. On peut s’inspirer là d’initiatives prises en Suède dans des entreprises à prédominance féminine. En effet, contrairement aux idées reçues, ce pays connaît un absentéisme des femmes deux fois plus important qu’en France, notamment pour longue maladie due au burn out ou épuisement professionnel. C’est que, d’après ce qu’on m’a expliqué, les femmes suédoises seraient encore plus soumises que les hommes – et que les Françaises – à des injonctions sociales : celle de travailler, celle de s’occuper de leurs enfants et de leur maison, sans jamais les sous-traiter à d’autres femmes, car ce serait les exploiter. Du coup, certaines entreprises ont élaboré des programmes maternité.

Pour nous, de tels programmes devraient être mis en place au tout début de la grossesse. Une grande entreprise a fait appel à nous parce que, les femmes qui y travaillent se mettant en congé maladie dès le deuxième mois de grossesse, elle y perdait à chaque fois un an de leur travail. Les aider peut passer par une révision de la nature du poste, des activités, des horaires et des déplacements, ou par le télétravail pour les cadres et les employées administratives. On peut aussi songer à des dispositifs permettant aux pères d’accompagner cette grossesse, en les incitant à prendre le congé de paternité ou parental.

La quatrième proposition consisterait à introduire un volet santé/conditions de travail dans les accords d’entreprise ou plans en faveur de l’égalité. Nous suggérons d’enrichir l’analyse du rapport de situation comparée par des indicateurs de santé au travail : accidents du travail, maladies professionnelles, inaptitudes, absentéisme, maladies de courte et de longue durée. Ce volet pourrait tout spécialement s’imposer dans les entreprises très fortement féminisées, où les questions d’égalité ne semblent pas se poser et où l’on se demande donc quel contenu donner à l’accord « égalité ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les entreprises répugnent déjà à établir ce rapport de situation comparée,cela risque de leur compliquer encore la tâche !

Mme Florence Chappert. Il ne s’agirait que d’une préconisation, certes appuyée, mais non d’une obligation. Cela permettrait de mettre en regard toute une série d’indicateurs, relatifs aux salaires, aux parcours professionnels, à la pénibilité, à la santé…

La cinquième proposition concerne la révision des critères de classification des emplois pour prendre en compte toutes les contraintes que leur travail fait peser sur les femmes et pour revaloriser leurs emplois. Cela a déjà été fait au Québec et un groupe de travail de la HALDE se penche sur le sujet. Il convient notamment de lever les critères pénalisants pour certaines carrières et de repenser l’organisation et les rythmes de travail ou de déplacements qui dissuadent les femmes, cadres ou non, d’accepter certains postes prenants.

La sixième proposition vise à la prise en compte du genre dans les actions relatives à l’amélioration des conditions de travail, à la santé, à la pénibilité et aux risques psychosociaux, ainsi que dans des outils tels que le document unique et les accords ou plans sur le stress, et ce avec l’implication des CHSCT.

Récemment, un rapport a mis en évidence la différenciation des risques psychosociaux auxquels sont soumis respectivement les femmes – ils sont plutôt liés aux relations de travail, à la détresse, au manque d’autonomie – et les hommes – il s’agit plutôt de la peur au travail, de conflits éthiques, d’injonctions contradictoires. Nous ne pouvons donc qu’encourager les structures d’observation et de prévention compétentes pour la santé au travail – services de santé au travail, DARES, INRS, ergonomes – à développer des analyses sexuées et, plus généralement, nous insistons sur l’utilité d’intensifier, dans cette même perspective, les recherches en amont sur l’exposition aux risques, sur les stratégies de préservation de sa santé et sur les méthodes de prévention – nous n’avons que très peu d’éléments sur ces deux derniers sujets –, ainsi que sur l’impact qu’a le travail sur la santé reproductive. La première question que nous a posée le ministère de la santé quand nous avons commencé notre étude a porté sur l’abandon de leur emploi par les femmes enceintes mais, pour notre part, nous nous interrogeons sur la relation entre travail et report du projet d’enfant, sachant qu’une grossesse pose plus de problèmes de santé à partir de trente ans et que, même si la question a été très peu étudiée, il n’est pas exclu que le travail affecte la fertilité des hommes.

La septième et dernière proposition concerne la prise en compte d’une dimension sexuée et de genre dans les actions relatives à la gestion des âges et au maintien des seniors dans l’emploi. Même si l’on peut regretter que les deux tiers aient été élaborés unilatéralement par des directions des entreprises, les accords et plans d’action en faveur de cette catégorie ont été nombreux – 33 000 –, et on le doit probablement à la pénalité de 1 %. 200 entreprises seulement ont eu à acquitter. Dans les quelque 500 documents que nous avons pu analyser, figurent un certain nombre de mesures d’aménagement et de réduction du temps de travail.

Certaines grandes entreprises proposent ainsi, parfois dès cinquante-cinq ans, des aménagements horaires – horaire fixe, normal, sur quatre jours – ou un passage à temps partiel. Dans ce dernier cas, l’entreprise abonde éventuellement le salaire et/ou prévoit un maintien des cotisations retraite sur la base d’un temps plein, mais ce pour une durée limitée : par exemple, à partir de cinquante-huit ans et pour les dix-huit mois précédant le départ à la retraite.

Certaines branches sont allées au-delà. La branche sanitaire et sociale du secteur privé prévoit, à partir de cinquante-cinq ans et sans limitation de durée, la possibilité de temps partiel à 80 % avec maintien du salaire sur la base du temps plein. La branche des industries alimentaires prévoit un abondement du salaire et une surcotisation pour les salariés de plus de cinquante-cinq ans quand la pénibilité de leur poste ou leur état de santé le justifie. La branche du BTP s’engage à examiner, lors d’un passage à temps partiel, le maintien des cotisations retraite sur la base d’un temps plein durant les deux ans qui précèdent le moment auquel le salarié peut prétendre à une retraite à taux plein.

En conclusion, si nous n’avions qu’un seul message à transmettre à la Délégation, c’est que l’égalité professionnelle ne peut progresser que si l’on prend en compte la santé et l’amélioration des conditions de travail.

Mme Catherine Coutelle. Les rapports de situation comparée sont-ils réellement le fruit d’une réflexion qui aura concerné toute l’entreprise ? D’autre part, le nombre des sollicitations qu’on vous adresse des régions tend-il à croître, ou à diminuer ?

Mme Florence Chappert. Les grandes entreprises réalisent les rapports de situation comparée dans un cadre plus large de responsabilité sociale et environnementale. Autrement dit, d’autres enjeux les poussent à élaborer ces bilans. En revanche, pour les petites et moyennes entreprises, quand elles en font, ces rapports restent des exercices purement formels. Le Service du droit des femmes a mené une opération expérimentale en vue de la production automatisée d’un document simplifié, mais nous nous apercevons que beaucoup d’entreprises sont ensuite incapables de tirer parti de celui-ci. C’est ainsi qu’une entreprise de propreté de la région Rhône-Alpes a récemment fait appel à notre appui pour analyser son rapport.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi n’y arrivent-elles pas ?

Mme Florence Chappert. Comme je le disais tout à l’heure, les entreprises ont du mal à traiter ces questions de genre et d’égalité de front, ne voulant pas s’exposer à un risque de discrimination positive et convaincues qu’elles sont, au demeurant, que l’égalité est déjà réalisée en leur sein – c’est d’ailleurs aussi l’opinion de 30 % des femmes et de 50 % des hommes en entreprise, si l’on en croit une enquête récente d’un syndicat. Pour un certain nombre de décideurs, l’égalité n’est pas un problème parce que le niveau scolaire des filles s’est élevé et qu’ils connaissent dans leur entourage un certain nombre de femmes cadres.

Lorsque nous discutons avec les CHSCT ou avec les comités d’entreprise, nous devons leur montrer nos chiffres pour les convaincre que les écarts de santé existent bel et bien – et la prise de conscience est souvent brutale ! C’est pourquoi nous avons mis au point des stratégies de restitution qui permettent de s’approprier ces données progressivement, car sinon elles sont trop difficiles à accepter.

M. Michel Parlier. On ne fait pas appel à nous explicitement pour des questions de genre et de conditions de travail, mais pour des problèmes de stress, de risques psychosociaux, de souffrance au travail, qui renvoient évidemment aux conditions de travail, c’est-à-dire, la plupart du temps, à des défaillances organisationnelles ou managériales. Et lorsque nous devons faire un diagnostic sur ces conditions de travail, nous essayons de faire apparaître la différence de situation, entre hommes et femmes, au regard des risques professionnels – et d’obtenir cet « effet révélation ».

Nous nous sommes donc dotés d’un outil et formons progressivement nos équipes pour qu’elles chaussent ces « lunettes du genre » – car jusqu’à présent, nous étions nous-mêmes sujets à une vision quelque peu unilatérale. L’amélioration des conditions de travail implique de prendre en compte la diversité des situations, pour parfois proposer des réponses spécifiques à chaque cas.

Mme Pascale Crozon. Si les problèmes ne sont pas résolus, c’est aussi parce que les syndicats ne se sont jamais emparés des lois relatives à l’égalité professionnelle. Intervenez-vous auprès d’eux afin de favoriser une prise de conscience ?

M. Michel Parlier. Nous essayons en effet de faire en sorte que les acteurs de la parité – directions et représentants du personnel – prennent conscience des enjeux de celle-ci pour l’entreprise. En interprétant les résultats du diagnostic, nous pouvons les amener progressivement à faire leur cette problématique, puis à déterminer des priorités et des actions qu’ils mettront ensuite en œuvre. Il ne s’agit donc pas tant pour nous de former les organisations syndicales, mais plutôt de les « embarquer » dans un processus progressif de découverte, de compréhension, susceptible de déboucher sur des revendications argumentées.

Mme Pascale Crozon. Il faut peut-être commencer par convaincre les confédérations…

M. Michel Parlier. Nous nous efforçons de mettre tous les sujets sur lesquels nous travaillons à l’ordre du jour de notre conseil d’administration, où siègent des représentants de ces confédérations. Les débats sont parfois un peu tendus, mais nous parvenons à les convaincre. Reste à savoir s’ils réussiront à leur tour à convaincre les syndicats à la base. Par ailleurs, certains se montrent plus sensibles que d’autres à ces questions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La CFTC, par exemple.

Mme Florence Chappert. En réalité, tout le travail de sensibilisation reste à faire auprès des organisations syndicales, à quelques individus près – une dizaine.

Comme je le disais, les entreprises sont dans le déni, s’agissant des questions d’égalité et de genre, mais on peut peut-être les y intéresser par le biais des questions relatives à la santé, à l’absentéisme et aux risques psychosociaux. Aujourd’hui en France, aucun des cabinets d’expertise ou de conseil qui interviennent dans les entreprises ne fait cette analyse de genre. Toute l’expertise reste donc à développer, ce qui signifie que nous devrons sensibiliser tous les consultants. Étant donné les résistances, ce travail sera difficile. L’outil méthodologique n’est pas suffisant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Parce que personne, ou presque, ne s’empare du sujet ! Lorsque les syndicats rencontrent les chefs d’entreprise, ils abordent la question des salaires, par exemple, mais pas celle de l’inégalité des salaires entre les femmes et les hommes.

Mme Pascale Crozon. Comment analysez-vous les dispositions sur la pénibilité figurant dans le texte de loi sur les retraites ?

Mme Florence Chappert. Si la loi énonce trois critères de pénibilité, ce qui est une bonne chose, il est difficile d’y déceler une prise en compte des problèmes spécifiques aux femmes. Pourtant, dans les entreprises où nous intervenons, elles sont toujours les plus âgées : sur les plateformes de la grande distribution par exemple, les salariés qui ont entre cinquante-neuf et soixante et un ans sont tous des femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous rendu votre rapport au ministre du travail ?

Mme Florence Chappert. Non, ce n’était pas une commande. Cela étant, ce rapport est disponible sur notre site Internet.

Mme Catherine Coutelle. Recevez-vous des demandes visant à des assouplissements de l’organisation du travail ou à des aménagements horaires en fonction des différents âges de la vie – par exemple en faveur des seniors ?

Mme Florence Chappert. Pour la moitié, nos interventions concernent les risques psychosociaux et le stress. Cependant, dans une grande entreprise où travaille un de nos collègues, un groupe de travail sur les horaires a été installé à la demande des salariés. Par le biais des risques psychosociaux, la question des temps de travail, des aménagements, du télétravail est actuellement réintroduite, alors que nous n’avions plus de demandes en la matière depuis un certain temps.

Selon moi, la pénibilité est liée, avant tout, à des problèmes de temps et de rythme de travail. C’est cela d’abord qui pénalise les femmes qui cumulent vie professionnelle et vie familiale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions beaucoup, madame, monsieur.

L’audition se termine à 18 heures 50.