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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 1er février 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), chaire de droit social

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), chaire de droit social.

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le professeur, je suis heureuse de vous accueillir à la Délégation aux droits des femmes. Vous portez, sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, un regard scientifique et malgré nos divergences politiques, nous partageons le même combat. La route vers l’égalité est encore longue. Nous aimerions connaître votre point de vue sur la législation actuellement applicable en la matière et, en particulier, sur le rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des hommes et des femmes dans l’entreprise.

M. Michel Miné. Le cœur de ma réflexion porte sur les inégalités professionnelles dans toutes leurs dimensions : recrutement, promotion, déroulement de carrière, rémunération, santé au travail – un aspect de la question qui est très rarement abordé. Je recherche des leviers pour intervenir sur ces différents paramètres.

Depuis des années, notamment grâce à l’influence du droit européen qui a permis des progrès très significatifs, nous disposons de nombreux textes législatifs. Reste que, fondamentalement, la situation des femmes ne s’améliore pas dans les entreprises. Les chiffres publiés par la DARES, en fin d’année dernière, ont révélé un accroissement des inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes, même lorsque celles-ci n’ont pas connu d’interruption dans leur carrière. En clair, il s’agit de discriminations, parfois volontaires, parfois involontaires. Tel est mon angle d’attaque.

La question des rémunérations est le point de cristallisation des inégalités. Aujourd’hui, en France, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, pour un travail de valeur égale, est en moyenne de 27 %. Notre pays se situe au 127e rang sur 134 pays recensés !

On incite les chefs d’entreprise à consulter les comités d’entreprise, à mener des négociations collectives ; on prévoit que davantage de femmes pourront accéder à des postes de responsabilité ou aux instances de direction. Reste qu’un diagnostic complet, sincère et précis des inégalités entre les femmes et les hommes dans les entreprises est incontournable, car si la situation initiale de l’entreprise n’est pas connue, il impossible de négocier valablement pour résorber ces inégalités. Et pourtant, dans certaines entreprises, la négociation a été menée sans ce diagnostic de base. Voilà pourquoi, des représentants des entreprises, des organisations syndicales et des experts ont travaillé à une réforme du rapport de situation comparée.

La nouvelle mouture du 22 août 2008 n’est pas parfaite, mais elle a permis de progresser sur un certain nombre de plans, notamment celui des promotions. L’entreprise doit calculer et présenter la durée moyenne entre deux promotions pour les femmes et les hommes salariés, au sein de chaque catégorie. Ce paramètre est très important. Il permet de déceler les inégalités de rémunération dont souffrent les femmes, dont les carrières sont souvent plus courtes et se déroulent plus lentement : les femmes peuvent rester pendant des années à un même niveau, alors que les hommes ne font qu’y passer. Il faut donc avoir de cette question une vision dans le temps.

Pour apprécier, à partir du rapport de situation comparée, les inégalités de rémunération, il faut d’abord analyser les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes qui font un travail de valeur égale : l’employeur doit assurer l’égalité de rémunération, cette obligation, prévue depuis la fondation de l’Organisation internationale du travail en 1919, reprise en 1951, figure dans le code du travail français depuis 1972 et dans le traité de Lisbonne.

Ensuite, il faut travailler sur l’évaluation des emplois très féminisés, en examinant les compétences mises en œuvre et les contraintes subies. Des discriminations sont possibles, quand bien même la comparaison avec des hommes est impossible.

Enfin, je l’ai dit, il faut apprécier l’évolution des rémunérations dans le temps, ce qui suppose d’examiner, entreprise par entreprise, branche par branche, le déroulement de carrière des femmes et des hommes, à chaque niveau de recrutement et de qualification.

Tant que ce travail n’aura pas été fait, les textes seront inopérants et la situation actuelle ne changera pas. Une entreprise peut toujours décider de recruter davantage de femmes, de leur dispenser une formation professionnelle ou d’affecter une enveloppe globale à des rattrapages de carrière entre les femmes et les hommes sans que cela ait des conséquences significatives et durables en terme de rémunérations. Par exemple, l’enveloppe prévue risque de passer dans des augmentations individualisées, personne n’étant capable d’analyser la réalité qu’il s’agit de corriger.

Si incroyable que cela paraisse, les acteurs de l’entreprise, les employeurs, les représentants des organisations syndicales, ont besoin d’apprendre à distinguer les discriminations que rencontrent les femmes. J’en veux pour preuve les actions que certaines salariées ayant connu des discriminations de genre pendant des années – par exemple dans les affaires Mme Bastien contre TMS Contact, Mme Niel contre la BNP ou Mme Otelli contre l’AFPA, – ont dû engager auprès des conseils de prud’hommes, des cours d’appel et de la Cour de cassation pour se faire entendre. Pourtant, leurs entreprises avaient parfois signé un accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La démarche de l’entreprise est parfois schizophrénique : d’un côté elle signe des accords sur l’égalité, de l’autre, elle continue à pratiquer des discriminations, volontaires ou parfaitement involontaires, produites par des manières de faire, des habitudes, ce que les sociologues appellent des « discriminations systémiques ».

En outre, il serait nécessaire de réétudier les critère des grilles de classification des branches, lesquelles génèrent de la discrimination indirecte : dans les grilles des professions très féminisées, le déroulement de carrière est plus lent, la carrière plus courte et les niveaux de salaire plus bas. Personne n’a voulu discriminer les femmes qui étaient dans ces emplois, simplement, ceux qui ont élaboré ces grilles, marqués par des stéréotypes et par des représentations culturelles, considéraient que ces femmes avaient des aptitudes innées, qui ne constituaient pas des compétences pouvant être reconnues sur un plan professionnel.

Dans l’accord interprofessionnel du 1er mars 2004 relatif à la mixité et à l’égalité entre les femmes et les hommes – accord étendu par arrêté du ministère du travail – les syndicats de salariés et les organisations d’employeurs – MEDEF, CGPME et UPA – ont admis que dans un certain nombre de professions on devait parler non pas d’aptitudes innées, mais de compétences. Il faut donc les reconnaître et les rémunérer comme telles.

Tant que l’on ne s’attaquera pas aux grilles de classification négociées au niveau des branches, l’entreprise qui applique, de bonne volonté, sa convention collective, ne modifiera sa situation qu’à la marge. En effet, et c’est tout à fait surprenant, au niveau national, l’écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est de 27 %, mais dans de très nombreuses entreprises, quand le rapport de situation comparée est établi, on conclut qu’il n’y a pas, dans l’entreprise, d’inégalités entre les femmes et les hommes. Et s’il n’y a pas d’inégalités, il n’y a pas d’actions à mettre en œuvre…

A l’occasion de la réforme des retraites, ces inégalités ont fini par émerger : les discriminations dont les femmes sont victimes au cours de leur carrière professionnelle réapparaîtront au moment de leur retraite, selon des mécanismes qui ont été très bien mis en lumière. Il faut donc retravailler cette question en l’abordant dans sa réalité et dans sa totalité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment travailler sur ces grilles de qualification ?

M. Michel Miné. Au sein de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), nous avons monté un groupe de travail qui se penche de façon pluridisciplinaire sur l’évaluation des emplois. Ma contribution a porté sur la jurisprudence communautaire.

Le juge européen, notamment depuis l’arrêt Gisela Rummler du 1er juillet 1986, prévoit qu’une grille de classification doit être fondée sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins, et non sur des critères qui auraient tendance à survaloriser le travail des hommes. Autrement dit, il faut adopter un regard « genré » sur les emplois et examiner, à chaque fois, les compétences mises en œuvre et les contraintes imposées. Il faut le faire de manière non sexiste. L’enjeu est important car nos grilles de classification sont largement marquées par des stéréotypes culturels.

Pendant de nombreuses années, quand une très grande entreprise de la métallurgie embauchait un jeune homme sortant de l’appareil scolaire avec un BTS d’électromécanicien, elle le classait comme technicien ; et quand une jeune fille sortait avec un BTS d’assistante de direction, elle la classait comme employée. Ce problème, aujourd’hui réglé, était le résultat de représentations culturelles.

Les grilles de classification véhiculent des discriminations indirectes : leurs règles ont l’apparence de la neutralité mais, une fois appliquées, elles pénalisent les femmes. Ainsi, dans les filières occupées majoritairement par des femmes, les carrières sont plus courtes et les niveaux de rémunération plus bas.

Les branches négocient rarement sur cette question. Même lorsqu’elles le font, elles adoptent une démarche parallèle : d’un côté, une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes aboutissant à un accord ; de l’autre, une négociation sur les grilles de classification ne prenant pas en compte l’objectif d’égalité professionnelle. Voilà pourquoi la disposition de la loi de 2001, qui oblige à aborder la question de l’égalité professionnelle dans toute négociation obligatoire, constitue une avancée. En fait, nous avons besoin à la fois d’engager des négociations spécifiques sur l’égalité entre les femmes et les hommes et d’aborder le sujet dans toutes les négociations obligatoires, voire dans toutes les négociations.

Le Parlement a donné aux partenaires sociaux des outils pour résoudre les problèmes liés à l’inégalité professionnelle. Encore faut-il qu’ils en aient la volonté mais aussi les moyens, en particulier qu’ils soient suffisamment formés. De fait, repérer les discriminations salariales entre les femmes et les hommes ne va pas de soi. Ainsi, il a fallu aller jusqu’à la Cour de cassation pour faire reconnaître qu’une salariée directrice des ressources humaines faisait un travail de même valeur que son collègue masculin, directeur commercial.

Sans formation suffisante, il n’est pas possible de repérer les discriminations et on travaille complètement à la marge. J’ai le souvenir de consultants qui, pour calculer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, n’avaient pris en compte qu’un seul critère : un travail égale et des fonctions identiques. Ils en avaient trouvé peu, car il est très rare, dans une entreprise, que des femmes et des hommes fassent exactement le même travail. Après comparaison, l’écart n’était que de 4 %. Ainsi dans l’entreprise, la négociation ne pouvait-elle que se fonder sur cet écart, à rapporter aux 27 % admis au niveau national. Les entreprises doivent mettre en place une politique d’incitation à la formation et des mesures d’accompagnement à cette négociation.

Une telle observation vaut pour l’appareil d’État et ses agents de l’inspection du travail. Examiner les écarts de rémunération au sein d’une entreprise suppose une formation, une coordination et la définition d’une politique en la matière.

Au Conservatoire national des Arts et Métiers, nous avons organisé une formation sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, un cycle de formation sur les discriminations et une formation de formateurs des avocats sur les questions de discrimination – une session a eu lieu le 27 janvier au Conseil national des barreaux. Notre pays, qui n’en est qu’au début de la mise en œuvre du droit de la discrimination, a besoin de se former en la matière.

Mme Marianne Dubois. Quelles formes de discrimination sont-elles traitées ?

M. Michel Miné. La formation sur l’égalité professionnelle est spécifique mais, au cours des cycles de formation sur les discriminations et de la formation destinée aux avocats, toutes les formes de discrimination sont abordées. Cela nous amène d’ailleurs à étudier les discriminations cumulées, dont les femmes font très souvent l’objet : femme et âge, femme et apparence physique, femme et origine, femme et handicap, femme et orientation sexuelle, etc.

De fait, lorsque l’on aborde les discriminations liées au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’âge, il faudrait ne pas oublier la question du genre, sauf à laisser de côté une partie du problème.

Divers freins à la mise en œuvre du droit ont été identifiés. Le premier est constitué des stéréotypes et des représentations culturelles. S’intéresser à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale suppose de reconnaître la valeur du travail des femmes dans l’entreprise et, plus généralement, dans la Cité et à la maison.

Le deuxième frein est lié à la non reconnaissance de la qualification des femmes. Dans certains secteurs, bien qu’elles aient suivi des formations poussées et obtenu un bac plus 2 ou plus 5, des femmes continuent à être rémunérées à de très bas niveaux, en tant qu’employées. Le fait que des femmes se forment remet en cause l’organisation du travail, amène à repenser la répartition des rémunérations, modifie la répartition du pouvoir entre les hommes et les femmes. Soyons clairs : si l’égalité entre les femmes et les hommes ne se met pas en œuvre, c’est aussi parce que certains hommes n’y ont pas intérêt.

Le troisième frein est d’ordre financier : l’égalité entre les femmes et les hommes coûte cher. J’ai ainsi le souvenir d’une affaire où une salariée, entrée dans une entreprise comme sténodactylo, avait gravi différents échelons. Arrivée à un niveau de responsabilité où elle était la seule femme, elle s’aperçut que ses collègues hommes étaient mieux rémunérés. La direction de l’entreprise se justifia en mettant en avant le fait qu’à la différence de ses collègues, elle ne possédait pas de diplôme universitaire. Pourtant, elle faisait le même travail qu’eux. L’intéressée ayant saisi le conseil de prud’hommes, la cour d’appel et la Cour de cassation gagna à chaque fois, et finit par obtenir un rappel de salaire de plus de 240 000 euros (Affaire Mme Otelli contre l’AFPA).

On comprend bien que tout rattrapage amène à partager un peu différemment le « gâteau ». La question mérite d’être posée.

Mme Martine Billard. Dans une entreprise où il y a des femmes et des hommes, les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes. Quelles en sont les conséquences ? Pourriez-vous également nous procurer la dernière mouture du modèle de rapport de situation comparée ?

M. Michel Miné. Sur le site du ministère de travail vous trouvez d’une part le texte du décret du 22 août 2008, donc la liste des informations devant figurer dans le rapport de situation comparé, d’autre part le guide mis au point par le ministère, avec des tableaux et des commentaires plutôt bien faits.

Les indicateurs que contient le décret constituent un minimum, chaque entreprise devant, par la suite, identifier d’autres critères pertinents, qui varient suivant les branches et les entreprises. Par exemple, dans certaines entreprises, il a été décidé, sans doute après discussion entre le comité d’entreprise et l’employeur, d’utiliser un critère qui n’apparaît pas, en tant que tel, dans le décret : le nombre de promotions des salariés à temps partiel ; un tel critère est parfois très pertinent, mais dans d’autres cas il n’a pas beaucoup de sens. Mais encore trop souvent, certaines entreprises considèrent que les critères identifiés par le décret sont un maximum, et il faut encore négocier pour obtenir des rapports complets.

S’agissant du temps partiel, il faudrait mettre en concordance notre code du travail avec la jurisprudence communautaire. Je pense en particulier à la rémunération des heures effectuées au-delà du contrat de travail, qui constitue un exemple emblématique de discrimination indirecte : pour le salarié à temps complet, ces heures sont en général majorées, sauf accord dérogatoire, à 25 % pour les huit premières heures, et ensuite à 50 % ; pour le salarié à temps partiel, on applique une franchise de 10 % ; ensuite, les heures lui sont majorées à 25 %, mais jamais à 50 %. Or ce type de discrimination indirecte a déjà été dénoncé par le juge européen dans un arrêt Ursula Voß contre Land de Berlin du 6 décembre 2007.

Plus généralement, si l’on veut travailler sur la question des écarts de rémunération, il faudra toiletter le code du travail pour éviter qu’il ne soit lui-même source de discriminations.

Mme Martine Billard. J’ai entendu dire que l’on envisage une nouvelle simplification du code du travail, ce qui est assez angoissant… On envisagerait que les accords d’entreprise puissent fixer des temps de travail inférieurs à ceux du code du travail.

M. Michel Miné. Je n’ai pas d’information à ce propos. Les accords d’annualisation permettent déjà des temps de travail inférieurs.

Mme Martine Billard. Oui, mais on ne peut pas descendre en dessous du nombre d’heures autorisé dans le code.

M. Michel Miné. Non, on ne peut pas aller au-delà – 1607 heures en durée maximale annuelle. Le code dispose que, normalement, la durée du travail se calcule à la semaine mais, depuis l’ordonnance du 16 janvier 1982, on peut très largement y déroger.

Il faudrait, et ce pourrait être un des objets du travail de la Délégation, examiner, dans le cadre de l’étude d’impact, les éventuelles discriminations indirectes que seraient susceptibles d’entraîner les textes de cette sorte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’avais essayé de l’intégrer à la loi organique, mais les sénateurs ne l’ont pas voulu. Dès qu’il s’agit d’égalité, ils ont tendance à freiner des quatre fers. C’est un gros problème.

M. Michel Miné. Pourtant, par la loi du 16 novembre 2001, qui est une loi de transposition des directives européennes, le Parlement français a fait figurer dans le code du travail le concept et la méthode de discrimination indirecte, que les entreprises ont l’obligation d’appliquer. Et vous pourriez rafraîchir la mémoire de vos honorables collègues en leur rappelant les termes de la loi du 27 mai 2008, qui a été votée sous la pression de la Commission pour mettre les définitions françaises des discriminations en harmonie avec les directives européennes.

Mme Martine Billard. En 2010, seules 8 % des entreprises avaient remis un rapport de situation comparée. Je remarque toutefois que le décret d’application de la loi de 2006 n’est sorti qu’en 2008.

M. Michel Miné. Pour autant, on ne peut pas parler de vide juridique. Quant au décret, il est suffisamment complet. Si toutes les entreprises établissaient leur rapport selon ses indications, on ferait un pas très significatif.

En outre, aux termes de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites doivent figurer dans le rapport les objectifs de progression, la définition qualitative et quantitative des actions et l’évaluation de leur coût, ce qui n’est pas très nouveau mais va dans le bons sens. Le problème c’est la disparition de la fixation d’une échéance pour la suppression des écarts de rémunération. Le rapport présenté au comité d’entreprise ne visant qu’à assurer une progression au regard de l’objectif d’égalité, si les écarts de rémunération sont de 27 % et qu’on les réduit d’1 % par an, il faudra du temps pour l’atteindre… Il est véritablement regrettable que la loi ne fixe plus un délai pour le faire. Il a été créé de ce fait une déconnexion entre la négociation au terme de laquelle les écarts de rémunération doivent être supprimés, mais sans échéance précise, et le rapport qui doit être remis au Comité d’entreprise avec une échéance, mais sans nécessité d’aborder les écarts de rémunération.

Mme Martine Billard. Lors du débat sur les retraites, j’ai été frappée que M. Woerth, alors ministre en charge du dossier, répète à l’envie que les inégalités des femmes en matière de retraite n’étaient pas liées à des inégalités de carrière, alors qu’il s’appuyait sur la situation comparée des femmes et des hommes âgés de trente ans.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Certains vont même jusqu’à prétendre que dans vingt ans, le problème de la retraite des femmes ne se posera plus. C’est incroyable ! Qui plus est, on commence à entendre le même raisonnement à propos de la dépendance : les femmes n’auront pas plus de difficultés que les hommes à l’affronter, car leur problème de retraite aura été réglé…

Mme Catherine Coutelle. Cela figure dans la projection du Comité d’orientation des retraites (COR), qui estime que le nombre des trimestres cotisés par les hommes et par les femmes se rapproche.

M. Michel Miné. Pour rester sur mon terrain, je voudrais appeler votre attention sur la santé des femmes au travail. Cette question a été très longuement occultée, notamment quand on abordait les accidents mortels, dans des secteurs d’activité essentiellement masculins.

Depuis ces dernières années, au niveau européen, à la Fondation européenne de Dublin pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, à l’Agence européenne de Bilbao pour la santé et la sécurité au travail, à l’Institut syndical européen, à Bruxelles, et maintenant en France, nous disposons d’études intéressantes sur la sous-évaluation des risques professionnels rencontrés par les femmes : troubles musculo-squelettiques (TMS), risques psychologiques, etc. De telles situations sont très mal prises en compte. L’entreprise - ou la branche - se préoccupe, par exemple, des risques de chutes de hauteur ou des problèmes d’amiante qui concernent d’abord les hommes, mais pas des pathologies que rencontrent ou que vont rencontrer les femmes.

Les TMS concernent davantage les femmes que les hommes et les taux d’incapacité qui s’ensuivent sont plus graves pour elles. L’organisation du travail dans des secteurs très féminisés génère davantage de « risques psychosociaux » pour les femmes que pour les hommes. La situation ayant tendance à se dégrader, il convient d’aborder, dans le cadre de la lutte pour l’égalité professionnelle, cette question qui a récemment fait l’objet d’un avis du Conseil économique, social et environnemental : La santé des femmes en France (n° 2010-16)

Mme Martine Billard. Les femmes ne risquent-elles pas de subir des discriminations lorsqu’elles demanderont à partir en retraite anticipée pour raison de pénibilité ? C’est d’autant plus prévisible que le taux d’incapacité de 20 % correspond à un handicap élevé, qui ne sera sans doute pas appliqué aux TMS.

M. Michel Miné. Il serait en effet opportun d’étudier la question sous cet angle.

Mme Catherine Coutelle. Lors du débat sur les retraites, on nous a opposé le fait que les femmes ayant une espérance de vie plus longue que celle des hommes, elles pouvaient travailler un peu plus longtemps. Sauf qu’elles ne restent en bonne santé qu’un an de plus que les hommes (respectivement 68 et 69 ans) et que leur santé se dégrade alors plus vite, selon un rapport de l’INSEE.

Cela constitue une autre inégalité qui est peut-être due à leur vie précédente. Dispose-t-on de statistiques sexuées sur le sujet ? Il faut dire que l’on n’en a pas beaucoup, de façon générale. Par exemple, le seul élément dont on dispose sur la délinquance est l’augmentation de 13 % des violences faites aux femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas faute d’en demander !

M. Michel Miné. Il serait déjà important d’obtenir que toute entreprise établisse, comme elle le doit, une évaluation annuelle des risques professionnels, transcrite dans un document unique servant de base à la politique de prévention de l’entreprise : quelques entreprises ne le font pas, quelques-unes le font mal ou le font surtout pour se couvrir en cas de contentieux ; d’autres essaient de le faire correctement.

Ensuite, il faudrait que ce document soit sexué, ce qui permettrait d’avoir une idée complète des risques dans l’entreprise. A l’heure actuelle, on a tendance à considérer dans certains secteurs que s’il n’y a pas de graves risques mécaniques, chimiques ou autres, il n’y a pas de risques. Or si certaines femmes peuvent être menacées par des risques de ce type, la plupart sont concentrées dans un certain nombre de filières que l’on a tendance à oublier.

Certains, au sein de l’Agence nationale pour l’amélioration des condition de travail, ont commencé à travailler sur le thème « conditions de travail et mixité ». Ils méritent d’être encouragés. Leurs études pourraient nous fournir des données sexuées par entreprise.

Certes, cela relève du domaine réglementaire, mais, dans la mesure où il peut s’emparer de toute question relevant des droits fondamentaux, rien n’empêcherait le législateur de demander que cette évaluation soit sexuée, ce qui serait stratégiquement très utile.

Mme Marianne Dubois. Ainsi pourrait-on s’apercevoir que des hommes sont discriminés dans certaines filières ou certains emplois, comme celui d’assistante maternelle.

Mme Catherine Coutelle. Je voudrais vous interroger sur le cas des « matermittentes », ces intermittentes du spectacle qui n’ont pas doit aux congés de maternité. Entre le code du travail, les Assedic et la Sécurité sociale, elles se trouvent dans des situations très discriminantes. Il y a un vide juridique qui fait que, même si elles sont inscrites aux Assedic, la Sécurité sociale considère qu’elles n’ont pas droit au congé maternité si elles n’ont pas assez travaillé. Et il y aura ensuite une double peine car, n’existant pas pour la Sécurité sociale, elles perdront leurs droits aux Assedic. La question a été portée devant la HALDE, devant les tribunaux administratifs, etc.

Elles nous disent que leur cas est comparable à celui de toutes les femmes qui ont des emplois précaires et incomplets. Ainsi, une caissière qui travaille 24 heures par mois et a dû s’arrêter, n’aura pas droit non plus à des congés de maternité si elle n’a pas travaillé un certain nombre d’heures. C’est un problème considérable dans notre époque où la précarité connaît un essor fulgurant et où les contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) diminuent leurs heures.

Mme Martine Billard. Je connais bien cette situation car ma circonscription du centre de Paris est celle des intermittents du spectacle. En fait, il n’existe pas de politique uniforme sur l’ensemble du territoire : tout dépend des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), certaines acceptant de contourner les textes. De notre côté, nous avons formé des recours gracieux auprès de la CPAM. Or, sans savoir pourquoi, nous avons obtenu un accord à l’amiable dans certains cas et pas dans d’autres. Cela dit, le problème n’est pas lié à l’intermittence, mais au fait de ne pas avoir travaillé suffisamment d’heures.

Le cas des intermittentes est par ailleurs invraisemblable, constituant une triple peine : le nombre d’heures exigé pour indemniser le congé maternité est supérieur à celui qui est exigé pour être indemnisé par les Assedic ! Mais lorsqu’elles n’ont pas droit au congé de maternité, elles n’ont plus droit aux Assedic. Je me suis adressée à Mme Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, qui m’a dit qu’elle n’était pas compétente en ce domaine et que je devais contacter le ministre du travail, lequel m’a répondu qu’il n’était pas compétent non plus. Pour l’instant, nous n’avons pas avancé d’un pouce !

Mme Catherine Coutelle. Toutes les femmes à temps partiel peuvent-elles être touchées ?

M. Michel Miné. Oui. A partir du moment où vous n’avez pas généré suffisamment d’heures, il n’y a pas d’ouverture de droit. Mais nous savons depuis très longtemps qu’il faut croiser les règles du code du travail et celles de la protection sociale complémentaire, que ce soit en matière de maladie, de maternité ou de chômage.

Nous aurions besoin d’une instance comme la vôtre pour travailler sur la notion de discrimination indirecte. Certains mécanismes institutionnels, sans qu’il y ait eu aucune volonté discriminatoire, aboutissent à défavoriser certaines personnes. En l’occurrence, il s’agit bien d’une discrimination indirecte subie par des femmes, au regard du congé de maternité.

Mme Catherine Coutelle. Les intermittentes ont mis sur leur site le dossier, très complet, qu’elles ont fait pour la HALDE.

M. Michel Miné. La HALDE a-t-elle répondu ?

Mme Catherine Coutelle. Non, pas pour le moment ; le dossier est délicat. En outre, aucune donnée chiffrée n’existe sur ce sujet.

Mme Martine Billard. Parfois, les Assedic font comme si les intéressées n’avaient pas été en congé de maternité et prennent en compte les heures qu’elles avaient effectuées avant cette période. Or, de ce fait, certaines de ces intermittentes se sont fait accuser de fraude. C’est kafkaïen !

M. Michel Miné. La loi de 1973 sur le travail à temps partiel prévoyait que les salarié-e-s à temps partiel devaient obligatoirement travailler la moitié de la durée légale. Il s’agissait précisément d’éviter que des personnes, ne cotisant pas suffisamment, n’aient pas de couverture. Quand la loi a été modifiée, tout seuil minimal a été supprimé. Le problème est donc identifié depuis longtemps, et il faut évidemment faire quelque chose.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. D’autant que le temps partiel explose, avec les services à la personne.

M. Michel Miné. Ce qui se développe, c’est le temps partiel, l’annualisation du temps de travail et les forfaits en jours.

La France vient de se faire épingler sur les forfaits jours : le Conseil de l’Europe a considéré pour la troisième fois que la législation française en la matière n’était pas conforme au droit européen.

Les forfaits jours concernent les salariés cadres ou non cadres dont le temps de travail est considérée comme tellement autonome qu’on ne calcule plus leur temps de travail en heures mais en jours. Or le Conseil de l’Europe constate que ces salariés peuvent, de fait, légalement travailler jusqu’à 78 heures par semaine et jusqu’à 282 jours par an, ce qui n’est pas une durée raisonnable. Ainsi la France viole-t-elle la Charte sociale européenne révisée. Cette décision ayant été rendue publique le 14 janvier 2011, vous serez sans doute saisies, dans les semaines qui viennent d’une demande de révision de la loi.

Les forfaits jours sont également source de discriminations, ainsi que je l’avais écrit il y a quelques années dans un article de la revue du MAGE. Imaginez qu’une entreprise mette en place un système de forfait en jours sans aucune limite (si ce n’est 11 heures de repos entre deux journées de travail et 35 heures de repos par semaine). Comme la répartition des tâches ménagères et des tâches liées aux enfants ne se fait pas à égalité entre les femmes et les hommes, les hommes pourront, plus facilement que les femmes, travailler tard et emporter des dossiers chez eux. Lorsque l’employeur aura à accorder des promotions, il privilégiera les hommes, qui auront donné davantage à l’entreprise. Ce système d’apparence complètement neutre entraîne donc une discrimination indirecte à l’encontre des femmes. La décision du Conseil de l’Europe vous donne l’occasion de reprendre cette question, qui a trait au temps de travail et qu’il convient d’aborder sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il en est de même des violences faites aux femmes, sur lesquelles il faudrait avancer. N’oublions pas que les organisations d’employeurs ont écrit noir sur blanc, dans l’accord interprofessionnel de 2004, que le harcèlement sexuel constituait un obstacle à l’égalité professionnelle. L’ennui, c’est que nous ne disposons pas de données suffisamment précises en la matière.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup pour toutes ces informations fort utiles.

La séance est levée à dix-huit heures quarante.

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