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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 2 février 2011

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, chef du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (Ministère des solidarités et de la cohésion sociale)

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, chef du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (Ministère des solidarités et de la cohésion sociale).

La séance est ouverte à 14 heures 15.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mes chères collègues, avant d’accueillir Mme Tomé-Gertheinrichs, je veux tout d’abord vous faire part de ma vive préoccupation née du constat que, sans parler des dernières nominations au Conseil constitutionnel, la plupart des récentes nominations de membres d’autorités administratives indépendantes ont concerné des hommes que ce soit de façon majoritaire – à la Haute autorité de santé, à la Commission nationale de l’informatique et des libertés –, ou de façon exclusive – à l’Autorité de sûreté nucléaire, à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et à l’Autorité de régulation des jeux en ligne.

C’est pourquoi, je vais demander à M. le Premier ministre de soutenir la candidature de Mme Nathalie Deroche à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ses compétences techniques et son indépendance, reconnues par la Commission elle-même, justifieraient pleinement sa nomination comme commissaire.

Mme Catherine Coutelle. Ce matin, la Commission des affaires économiques a été consultée sur la reconduction de M. de Ladoucette à la présidence de la CRE. Pour ce motif de parité, j’ai personnellement voté contre, et le groupe socialiste s’est abstenu.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons maintenant Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, que je remercie d’avoir accepté notre invitation.

Madame, vous dirigez le service qui est en charge des droits des femmes et de l’égalité, avec lequel nous ne travaillons pas beaucoup. J’aimerais que vous nous disiez quelles actions vous menez, quelles sont vos motivations et quel rôle est aujourd’hui dévolu aux délégations régionales aux droits des femmes – dont, selon les informations qui nous parviennent, il est clair que les moyens ne sont pas suffisants. J’ai pour ma part toujours insisté sur la place que ces délégations doivent tenir dans les départements et les régions : rien ne sert de faire des grands discours sur les droits des femmes si l’on ne donne pas aux déléguées des moyens, à commencer par leur nécessaire reconnaissance au sein d’une préfecture. Comment défendez-vous les déléguées aux droits des femmes ? Quelle est la politique de votre service ? Quelle suite donnez-vous aux lois votées ? Je m’interroge en particulier sur les rapports de situation comparée entre les femmes et les hommes dans les entreprises : j’ai été très surprise d’entendre à de nombreuses reprises qu’il était très difficile d’obtenir les documents et les explications nécessaires à leur réalisation. Ces questions sont primordiales : il est inutile de voter des lois s’il n’existe pas un service capable d’apporter les renseignements dont les entreprises ont besoin pour mettre en pratique une politique d’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, j’aimerais connaître le contenu du projet de décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites. Relatif aux pénalités que doivent réprimer les entreprises qui ne définissent pas une politique d’égalité professionnelle, j’espère que ses dispositions iront bien dans le sens de la loi... Si ce n’est pas le cas, je n’hésiterai pas à dire ce que je pense !

Car malheureusement, force est de constater qu’en matière de droits des femmes, le bilan n’est pas bon… À quoi sert de donner un label si on n’aide pas les entreprises à faire leur rapport de situation comparée ?

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, chef du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes (ministère des solidarités et de la cohésion sociale). Je vous remercie de me donner l’occasion de rencontrer les membres de votre Délégation.

J’évoquerai donc, pour commencer, le fonctionnement du service que je dirige.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci de nous dire de quels effectifs vous disposez.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Ce service compte aujourd’hui 187 personnes en équivalents temps plein, dont 45 en administration centrale et 142 réparties sur l’ensemble du territoire – déléguées régionales, chargées de mission départementales, ainsi que divers collaborateurs. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le service a été préservé en tant que mécanisme institutionnel dédié, en partie grâce à l’action des délégations parlementaires. Désormais rattaché à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), il n’en reste pas moins une entité spécifique dont l’unique mission est de veiller au respect des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Parmi tous les services de la DGCS, il est le seul à avoir ainsi conservé ses missions propres, avec un programme budgétaire dédié.

Néanmoins la RGPP a eu des conséquences en matière de gestion des ressources humaines, dont les déléguées régionales et les chargées de mission se sont ouvertes auprès de vous entre 2008 et début 2010 : si le service lui-même, je l’ai dit, est rattaché à la DGCS, les déléguées régionales sont désormais rattachées au Secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) et les chargées de mission départementales aux directeurs départementaux interministériels (DDI).

Par ailleurs, au niveau central, a été créée la fonction de délégué interministériel, certes, aujourd’hui dévolue au Directeur général de la cohésion sociale pour des raisons d’orthodoxie administrative, mais qui a le mérite d’exister – et c’est aussi un effet de la RGPP.

Pour moi, le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes a sa place au sein de la Direction générale de la cohésion sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes étant incontestablement l’un des éléments fondamentaux de la cohésion sociale – à condition bien entendu que, dans ce schéma, le service conserve sa possibilité d’action.

Avec un peu plus d’une année de recul, il m’apparaît clairement – et cela vaut aussi bien pour l’administration centrale que pour les déléguées régionales et les chargées de mission départementales – qu’en se focalisant sur la question des positionnements respectifs, on évince la question fondamentale, à savoir la formalisation d’une politique publique ambitieuse en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis mon arrivée à cette fonction, j’ai donc beaucoup réfléchi à la manière dont on pouvait, très concrètement, faire autre chose qu’une sorte de suivisme par rapport aux nouvelles dispositions législatives – nombreuses, audacieuses et sur lesquelles vous parvenez à obtenir des votes à l’unanimité, ce dont on ne peut que se réjouir.

Quand j’ai pris mes fonctions, je me suis rendu compte que depuis un certain temps, aucune réflexion prospective n’avait été menée sur la feuille de route que, en tant qu’administration, il convenait de se fixer en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Par ailleurs j’ai mesuré combien les chargés de mission et les déléguées régionales exerçaient leur mission dans un cadre d’action difficile : peu d’instructions au niveau national et une « solitude » professionnelle parfois marquée sur le terrain. Elles devaient porter une politique à laquelle nous autres fonctionnaires n’avons pas été formés et dont la légitimité pouvait être contestée – car beaucoup d’autres priorités peuvent être considérées comme plus immédiates que l’égalité entre les femmes et les hommes. Et surtout, elles ne disposaient d’aucun instrument prospectif pour formaliser des projets fédérateurs dans les régions et les départements.

Aussi s’est engagé un travail avec elles à plusieurs niveaux. Il a d’abord fallu régler les problèmes d’intégration dans les équipes préfectorales. Les déléguées régionales ont désormais un positionnement clair – exception faite du cas de l’outre-mer, qui se règle actuellement. Les chargées de mission sont rattachées aux DDCS. Un certain nombre d’entre elles me disent que cette intégration dans une équipe préfectorale leur permet désormais de mieux travailler avec leurs collègues. Les secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) se sont emparés de ces questions, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vos propos me paraissent relever de la langue de bois… La déléguée aux droits des femmes est la représentante de l’État dans la région pour tout ce qui concerne les droits des femmes. Elle n’a donc rien à gagner à être adjointe de tel ou tel ou à entrer dans une équipe. C’est avant tout un problème de respect : est-ce que le directeur de l’équipement est l’adjoint du SGAR ?

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. La déléguée aux droits des femmes est « rattachée » au SGAR, elle n’est pas son adjointe.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pour ne pas être la dernière roue du carrosse, elle doit être indépendante.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Le schéma qui a été choisi dans le cadre de la RGPP peut naturellement être contesté, mais pour ma part, je le dis en toute liberté, je crois que l’essentiel est d’avoir conservé un mécanisme institutionnel dédié ; et, par ailleurs, je vois des avantages au fait d’être rattaché au SGAR. En ce qui me concerne, je ne suis pas à l’origine de ces évolutions, ayant été nommée à la tête de mon service peu de temps avant son rattachement à la Direction générale de la cohésion sociale. Mais il me paraît clair qu’il ne suffit pas d’être indépendant et visible pour pouvoir agir : quand on veut travailler dans un champ très atypique, les bonnes portes restent souvent fermées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et si l’on donnait aux déléguées aux droits des femmes le même grade qu’aux directeurs de l’équipement ?

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. C’est déjà le cas, mais cela ne suffit pas pour ouvrir les portes.

Au niveau national, le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes se trouvait dans la même situation que les déléguées régionales au niveau régional. Pour avoir exercé mes fonctions pendant sept mois avant le rattachement du service à la DGCS, je peux témoigner que, compte tenu de notre culture administrative, le fait qu’un service soit visible sur un organigramme ne suffit pas. J’ai vite compris qu’il fallait plutôt acquérir un vrai positionnement interministériel, c’est-à-dire se voir confier des missions clairement interministérielles.

En ce qui me concerne, dès lors que la RGPP était déjà lancée quand j’ai pris mes fonctions, j’ai concentré mes efforts sur le contenu du décret portant création de la Direction générale de la cohésion sociale. Le décret de janvier 2010, qui a acté la création de la fonction de délégué interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, confie au service des missions qui lui redonnent un positionnement interministériel. J’ai donc considéré que nous devions nous engager dans un programme d’actions interministériel, sur lequel nous avons travaillé ces derniers mois et que Mme Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, devrait annoncer très prochainement. Je me suis prévalue de ce positionnement interministériel, et non de ma fonction de chef d’un service dédié placé à côté des autres, pour aller frapper aux portes. C’est ainsi que nous avons, avec le directeur général de la cohésion sociale convoqué tous les directeurs d’administration centrale pour évoquer avec eux ce qui pouvait être fait dans chacune de leurs administrations. Le programme d’actions que Mme Bachelot-Narquin présentera prochainement donnera au service ses « galons » interministériels et sa reconnaissance par les différents ministères. Plutôt que de me focaliser sur la question du positionnement des agents en fonction de leur grade, et dans la mesure où la RGPP est pour nous une donnée incontournable, il m’a semblé indispensable de réfléchir à l’organisation d’une force de frappe à caractère réellement interministériel. C’est un travail de soutier qui n’a pu être perçu par les parlementaires, mais qui nous a mobilisés au cours de l’année écoulée afin de faire émerger un vrai projet du Gouvernement en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Catherine Coutelle. Permettez-moi, néanmoins, de vous raconter une anecdote sur la non-visibilité de votre service en région. Souhaitant écrire à la déléguée régionale aux droits des femmes, j’ai consulté le site de la préfecture. J’y ai trouvé le nom de l’ancienne déléguée, partie à la retraite en septembre dernier. Fin janvier, donc, il n’était toujours pas possible de savoir qui était la nouvelle déléguée régionale. J’ai cru comprendre que le préfet avait nommé à mi-temps une personne de l’administration, mais j’en saurai un peu plus dans quelques jours car j’ai convenu d’un rendez-vous avec elle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce sont des problèmes fréquents. En Lorraine, il faut beaucoup de bonne volonté pour parvenir à contacter la déléguée aux droits des femmes. Certes, vous n’y êtes pour rien, madame.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Je ne peux pas me contenter de dire que je n’y suis pour rien.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je l’ai déjà dit aussi au Directeur général de la cohésion sociale : quand on veut donner de l’importance à un sujet, il faut que les structures administratives assurent sa lisibilité.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Je prends bonne note de vos observations.

Lorsque la RGPP a été mise en place, les préfets étaient inégalement sensibilisés à ces questions. La majorité des directions départementales interministérielles ne l’étaient pas du tout – et elles ont vu arriver des chargées de missions qui, pourquoi ne pas le dire, ont parfois un peu souffert de cette nouvelle situation. De fait, en France, les futurs décideurs publics et privés ne sont pas formés sur ce sujet. C’est une situation que nous voulons faire évoluer dans le cadre du programme d’actions interministériel. J’ai moi-même découvert assez tard la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes, en tant que politique publique.

Nous avons donc beaucoup travaillé, au cours de l’année 2010, d’abord pour rencontrer régulièrement les directeurs régionaux de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, afin de leur expliquer notre domaine d’intervention, le pourquoi de notre organisation atypique, nos engagements internationaux et l’obligation qui est la nôtre de rendre des comptes. À ce sujet, sachez qu’il est très important pour nous de pouvoir dire, y compris à l’intérieur de la sphère publique, que la politique publique menée en matière d’égalité entre femmes et hommes a la particularité d’être sous haute surveillance, à la fois parlementaire – , médiatique et internationale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Malheureusement, mes collègues et moi-même constatons, après huit ans passés à la Délégation aux droits des femmes, que le bilan n’est pas bon.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Votre propre bilan, au vu du nombre de propositions de loi que vous avez fait adopter, est pourtant excellent.

Mme Danièle Bousquet. La question est celle du pilotage politique. Certes vous faites en sorte d’utiliser le plus efficacement possible les moyens qui sont attribués à votre service, mais le problème est de savoir quel ministre, au sein du Gouvernement, peut faire entendre la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes afin qu’elle traverse l’ensemble des politiques publiques.

Nous votons des textes et c’est bien, mais il y a un décalage entre les mots et la réalité, parce que ce gouvernement n’a pas la volonté d’engager les moyens nécessaires. Ce n’est évidemment pas vous qui êtes en cause. Je me réjouis que votre service dépende de Mme Bachelot-Narquin, dont nous connaissons les convictions, mais faute de moyens financiers on risque d’en rester aux bonnes intentions.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. En tant que fonctionnaire, j’ai accepté ces responsabilités parce que j‘ai la conviction que nous pouvons agir. Rémunérée grâce aux impôts des Français, je me dois de faire le maximum, dans le cadre imposé. C’est dans cet esprit que j’ai proposé le programme d’actions interministériel.

Le fait que les choses n’avancent pas assez vite ne tient pas seulement à un problème de volonté politique – en matière d’égalité professionnelle, six lois ont été votées depuis 1972 – : on est aussi confronté à une résistance collective.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je ne peux pas vous laisser dire cela. Quand quelqu’un va demander une méthodologie pour établir un rapport de situation comparée, il n’est pas normal que personne ne lui réponde.

Il me faut interrompre cette audition car la séance des questions d’actualité va commencer. Seriez-vous d’accord pour que nous poursuivions notre échange la semaine prochaine ?

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Avec plaisir.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous recevrons mardi prochain, à 17 heures 15. Je vous remercie.

La séance est levée à quinze heures.