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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 12 avril 2011

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 22

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M. Olivier Léaurant, directeur des ressources humaines du Groupe Le Figaro

– Audition de Mme Florence Méaux, directrice générale du groupe AFNOR Certification et de M. Thierry Geoffroy, chargé de mission à la direction générale

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Olivier Léaurant, directeur des ressources humaines du Groupe Le Figaro.

La séance est ouverte à quatorze heures.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le directeur, je vous remercie d’avoir bien voulu venir aborder avec nous la question de l’égalité entre les femmes et les hommes telle qu’elle se pose dans le secteur de la presse écrite. L’accès des femmes à des postes de responsabilité semble, en particulier, poser problème et la presse, tant écrite que télévisuelle, ne présente pas une image très positive sur ce plan.

Dans quelle mesure vous êtes vous efforcé, au sein de votre entreprise, d’effacer cette image négative ?

Comment, au niveau des comités de rédaction, gérez-vous l’évolution des rapports entre les femmes et les hommes ?

Enfin, comment percevez-vous l’application de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance ?

M. Olivier Léaurant. Au Figaro, comme dans toutes les entreprises de presse, les femmes sont mal représentées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je précise que ce n’est pas la situation spécifique du Figaro qui m’a alertée sur ce problème.

M. Olivier Léaurant. On aurait pu penser que le développement des journaux en ligne changerait cette tendance. Mais on a constaté, deux ans après la création du Figaro.fr, que les mêmes symptômes se manifestaient dans ce nouveau secteur. La direction du Figaro sur le web est assurée par un homme ; il en va de même pour Le Monde. fr.

Seule la presse féminine fait exception. Qu’il s’agisse de Figaro Madame, de Marie Claire ou de Femmes actuelles, les femmes sont, dans ce secteur, davantage représentées que les hommes.

La même réalité statistique me semble se constater dans l’audiovisuel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La situation dans la presse audiovisuelle me semble bien pire. La présence de plusieurs célèbres présentatrices de journaux télévisés ne reflète pas la réalité des équipes de rédaction.

M. Olivier Léaurant. Dans la presse écrite, on ne peut pas dire que la situation soit catastrophique. Le Figaro a été la première entreprise de ce secteur à avoir signé un accord quinquennal interne au groupe, dans les deux mois suivant l’adoption de la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Dans le cadre de l’établissement du rapport de situation comparée, nous avions constaté l’existence d’écarts de salaires et d’une représentation défavorable aux femmes dans les postes de responsabilité, qu’il s’agisse des conseils d’administration – mais en ce domaine la question relevait des actionnaires – ou des comités de rédaction. Dans toutes les instances de direction, la part des femmes s’élevait au quart des effectifs, sauf pour le magazine Le Figaro-Madame où la proportion était inversée.

Tous les autres groupes de presse étaient dans la même situation.

Les écarts de rémunération étaient de 20 %, les hommes occupant majoritairement les postes de responsabilité les mieux rémunérés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous parlez d’écarts de salaire sur un même poste de travail ou globalement ?

M. Olivier Léaurant. Il s’agissait d’un écart global, sur l’ensemble des salaires. Mais il est intéressant de regarder la situation poste à poste. Là, on constatait des écarts de l’ordre de 10 %.

En 2010, suite aux accords qui ont été passés, les écarts ont baissé à 3,5 %. La décision a en effet été prise de favoriser chaque année les augmentations de salaire des femmes par rapport à celles des hommes. Et cela prend un peu de temps mais cela marche !

Notre travail consiste à valider chaque année cette politique volontariste inscrite dans un accord et dans le bilan annuel. Ainsi, à poste égal, peu à peu les écarts se réduisent.

Par ailleurs, nous avons échoué à rééquilibrer la représentation des femmes dans les postes à responsabilité car ces derniers étaient déjà occupés par des hommes et on ne pouvait pas systématiquement remplacer les hommes libérant leurs fonctions par des femmes ; néanmoins, la proportion des femmes est tout de même passée à un tiers sur ce type de poste, au lieu d’un quart et sur l’ensemble des effectifs, il y a une égalité dans la répartition des postes.

Nous nous interrogeons sur les raisons de ce plafond de verre. Les hésitations qu’éprouvent les femmes à s’investir viennent du fait qu’on est amené, dans le secteur de la presse, à travailler le dimanche et le soir, ce qui pose des problèmes pour concilier la vie personnelle et la vie professionnelle. Rentrer chez soi après 21 heures n’est pas accepté par des femmes qui ont des enfants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelles sont les différentes formes de travail ? Qu’en est-il, par exemple, du travail dans les imprimeries ?

M. Olivier Léaurant. Dans les imprimeries on a surtout affaire à des hommes. Au niveau du journal, on distingue les journalistes et les commerciaux.

Même si beaucoup de femmes travaillent dans les rédactions des journaux féminins, les patrons restent des hommes. Il en va ainsi pour Elle ou Marie Claire. C’est une donnée culturelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Des femmes sont-elles choisies pour traiter de préférence certaines rubriques particulières ? Peut-on dire, par exemple, que le secteur de l’économie est attribué à des journalistes hommes plutôt que femmes ?

M. Olivier Léaurant. Les statistiques des cartes d’identité des journalistes montrent que le métier de journaliste compte 60 % d’hommes et 40 % de femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On dit que quand un métier se féminise, cela est mauvais signe.

Mme Catherine Coutelle. On peut le vérifier dans la magistrature et l’enseignement.

M. Olivier Léaurant. A l’exception des sujets portant sur la mode, où les journalistes sont plus nombreuses, et des sujets portant sur la politique pour lesquels on pourrait, peut être, constater une prédominance des journalistes hommes, tous les autres thèmes sont traités à part égale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En 2006, vous vous êtes fixé l’objectif de réduire les écarts salariaux entre les femmes et les hommes. Pour beaucoup d’entreprises, cela pose un sérieux problème car une politique de rattrapage des niveaux de salaire implique que le salaire des hommes stagne tandis que celui des femmes avance.

C’est la première fois que je prends connaissance du cas d’une entreprise qui ait fait accepter une telle démarche.

M. Olivier Léaurant. L’accord date d’il y a cinq ans et sera bientôt renégocié dans l’optique de poursuivre la même politique pour arriver à une situation d’égalité.

Les esprits commencent à s’habituer à un problème fréquemment soulevé. La question évolue aussi avec l’arrivée de générations plus jeunes. En cinq ans, le site web du Figaro est passé de 10 à 100 journalistes, hommes et femmes à proportion égale et recevant des salaires équivalents.

Cependant, l’existence d’un plafond de verre se manifeste aussi à l’occasion des élections professionnelles ; qu’il s’agisse des candidats ou des élus, on ne compte qu’un quart de femmes.

Mme Catherine Coutelle. Les négociations qui ont eu lieu à la suite de l’adoption de la loi de 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes ont-t-elles été impulsées par l’action volontaire de la direction ou sont-ce les partenaires sociaux qui se sont emparés de la loi ? Dans cette dernière hypothèse, ont-ils toujours aujourd’hui cette même revendication ?

J’ai le sentiment qu’aujourd’hui les journalistes correspondants de guerre des journaux télévisés sont souvent des femmes. En va-t-il de même dans votre entreprise ?

Le souci de la vie familiale pourrait être invoqué par les hommes aussi. Les congés paternité sont-ils souvent demandés ? Les tensions qui vont s’aggraver dans les négociations salariales font dire à certains syndicats que le congé paternité ne constitue pas une priorité.

M. Olivier Léaurant. Les négociations sur les questions d’égalité de salaires ne répondent à aucun mot d’ordre syndical. C’est la direction du Figaro, qui, par souci de l’image de l’entreprise, a impulsé l’accord signé en 2006. L’entreprise se devait de présenter la même diversité que celle de la société.

Les syndicats sont majoritairement représentés par des hommes ; ils sont peu nombreux à défendre la cause de l’égalité. Cela ne veut pas dire qu’ils se soient opposés à nos arbitrages en faveur des femmes, mais ils n’ont pas été les moteurs d’un processus, dont, au final, ils sont plutôt satisfaits.

Mais les récentes élections de mars ont confirmé cet état des choses ; la question de l’égalité n’a pas été un argument électoral.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On peut dire que c’est même un non-sujet !

Mme Catherine Coutelle. La question de l’égalité doit se poser pour tout le monde, y compris au sein des syndicats.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une mesure qu’on ne pouvait pas imposer aux syndicats, comme on l’a fait pour les conseils d’administration.

M. Olivier Léaurant. Au cours des négociations sur le protocole électoral en vue des élections professionnelles nous avions proposé que les listes fassent figurer à part égale des femmes et des hommes. Un syndicat a refusé cette disposition, arguant du fait que les syndicats étaient libres de présenter qui ils voulaient.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Une telle proposition figurait dans la loi de 2006, mais elle a été invalidée par le Conseil constitutionnel. Un responsable syndical nous avait dit, à l’époque, que ce serait impossible à gérer.

Mme Catherine Coutelle. Il n’y a pas de vivier de candidates.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il y a bien un vivier mais il est constitué de petites mains et non de responsables.

M. Olivier Léaurant. Le problème est de concilier vie professionnelle et vie familiale. C’est donc une question d’organisation du temps.

Les quelques mesures que nous avons envisagées pour essayer de trouver des solutions ont échoué. On a ainsi organisé des entretiens pour les personnes en congés maternité ou en retour de congés pour qu’elles ne se sentent pas oubliées par leur milieu professionnel. Mais les femmes, surtout pendant la grossesse, demandaient qu’on les laisse tranquilles.

Mme Catherine Coutelle. Cela se comprend, surtout avant l’accouchement !

En 2009, Mme Brigitte Grésy, dans son rapport sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, remis à M. Xavier Darcos, alors ministre du travail, avait souligné les difficultés liées à la reprise du travail après un congé maternité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce rapport avait été commandé par M. Brice Hortefeux.

Mme Catherine Coutelle. Dans quelle mesure conciliez-vous le principe de diversité, qui consiste en ce que soient représentés dans l’entreprise, par exemple les gens de couleur, les femmes ou les personnes handicapées, et le principe d’égalité entre les sexes ?

M. Olivier Léaurant. Si on réussit à maîtriser la question de l’égalité, celle de la diversité est par contre une catastrophe. Il faudrait probablement voir ce qui se passe dans les écoles de journalisme.

Mme Catherine Coutelle. Faut-il parler de formatage dans ces écoles ? On sait que parmi les boursiers qui devaient préparer l’ENA cette année, aucun n’a été reçu, faute d’en maîtriser les codes sociaux.

Seriez-vous prêts, par exemple, à recruter quelqu’un qui ne sortirait pas d’une école de journalisme ?

M. Olivier Léaurant. Non, les personnes recrutées sortent des écoles de journalisme. On peut recruter des personnes qui se forment en alternance, mais les candidats de la diversité sont rares. On peut compter quelques pigistes ayant spontanément proposé leur candidature mais la plupart étaient sortis d’une école de journalisme.

Je suis par ailleurs très étonné que nous ne recevions jamais de candidatures de personnes handicapées. Nous comptons pourtant, parmi les journalistes, une personne très handicapée. Son intégration se passe très bien.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Votre siège se situe boulevard Haussmann. Recourez-vous au télé-travail, notamment pour les journalistes travaillant sur le site web de votre journal ?

M. Olivier Léaurant. Non, en raison des équipements et du fait que le travail s’organise en équipe.

1 300 personnes travaillent boulevard Haussmann ; en tout, le groupe emploie 2 000 personnes, dont la moitié de femmes et 700 journalistes, dont là aussi, 50 % de femmes.

Je constate, par ailleurs, le succès de la formule du travail à temps partiel dans le cadre d’un congé parental. Après la troisième année de congé, la personne revient travailler à temps partiel, ce qui lui permet de se réadapter progressivement à sa tâche.

Les horaires des journalistes sont les suivants : la journée de travail commence à 10 heures, les papiers devant être prêts pour 20 heures, au moment du bouclage de l’édition à 20 h 30. Mais, selon les services, le travail peut se poursuivre plus tard ou commencer plus tôt.

Mme Catherine Coutelle. Le présentiel n’est pas en France efficace. Trop de réunions de cadres ont lieu le soir alors qu’on pourrait très bien les fixer systématiquement avant 17 heures et en raccourcir la durée.

M. Olivier Léaurant. On est également amené à travailler le dimanche. Une de nos journalistes, une jeune femme, commence même à 3 h 30 du matin pour rédiger une lettre économique qui est diffusée à 7 heures.

Les femmes sont présentes dans tous les services ; il n’y pas de problème, par exemple, pour qu’une femme soit en charge de l’information relative à l’industrie. Mais le directeur de rédaction du service économie est un homme, de même que son adjoint.

Le comité exécutif est composé de cinq membres, tous des hommes, âgés de 40 à 50 ans.

La principale difficulté est l’accès des femmes à des postes de responsabilité. C’est, je le répète, un problème culturel.

Mme Catherine Coutelle. La raison pour laquelle les boursiers que je citais tout à l’heure ont échoué au concours d’entrée à l’ENA est qu’ils n’ont pas réussi à briser ce cadre culturel.

A quelle proportion estimez-vous le nombre de journalistes qui sont membres de telle ou telle famille portant un nom connu ?

M. Olivier Léaurant. Je n’ai pas le sentiment que cela corresponde à une réalité. J’avoue que je déconseillerais à mes enfants de devenir journalistes.

Mme Catherine Coutelle. L’accord que vous avez signé en 2006 a-t-il incité les autres journaux à faire de même ?

M. Olivier Léaurant. Non. Par exemple, le fonctionnement interne du journal Le Monde est encore très marqué par la culture d’après guerre.

Mme Catherine Coutelle. Le développement des journaux en ligne devrait faire évoluer les choses.

M. Olivier Léaurant. Très certainement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation.

Puis la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Florence Méaux, directrice générale du groupe AFNOR Certification et de M. Thierry Geoffroy, chargé de mission à la direction générale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, monsieur, vous gérez au nom de l’AFNOR le label Égalité professionnelle, institué en 2004 par Mme Nicole Ameline. C’est une très belle idée, que nous devons à Mme Cristina Lunghi, mais me suivrez-vous si je dis qu’elle n’atteindra son plein effet qu’à deux conditions : que ce label, que l’on a d’abord attribué, parfois, en considération de mesures exceptionnelles, pour récompenser des entreprises « méritantes », ne le soit que sur le fondement d’un rapport de situation comparée (RSC), et que, sans attendre le renouvellement, on procède à une évaluation intermédiaire, pouvant éventuellement conclure à un retrait du label ? D’autre part, ne pensez-vous pas comme moi qu’il doit impérativement être maintenu distinct du label Diversité, qui en est inspiré ? En effet, je suis convaincue que le respect de la diversité est plus aisé à atteindre que l’égalité professionnelle.

Mme Florence Méaux, directrice générale d’AFNOR Certification. Dès lors que la création du label Égalité visait à inciter les entreprises à se saisir des outils fournis par la loi pour faire respecter l’égalité entre leurs salariés, nous ne labellisons pas les entreprises qui n’ont pas établi de rapport de situation comparée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tel qu’enrichi par la loi du 9 mai 2001, avec des indicateurs relatifs à l’embauche, à la formation, à l’articulation entre travail et vie familiale, etc. ?

M. Thierry Geoffroy, chargé de mission à la direction générale d’AFNOR Certification. Certainement. Si ces éléments ne figurent pas dans le dossier de candidature, nous ne donnons pas suite. D’ailleurs, la première chose que vérifient les partenaires sociaux, présents dans la Commission de labellisation, est l’existence d’un RSC.

Mme Florence Méaux. En sus de cette condition, qui représente déjà un frein, le cahier des charges est très exigeant, ce qui explique que le label n’ait été attribué à ce jour qu’à 48 organismes, rassemblant un peu moins d’un million de salariés – cela paraît peu, mais c’est beaucoup en l’état de notre société ! Il s’agit pour 50 % de grands groupes, pour 35 % de PME-TPE, pour 5 % d’associations et pour 10 % d’organismes de la sphère publique. La ville de Rennes est une des rares collectivités publiques à en être titulaire. Ce n’est le cas d’aucun ministère ; d’ailleurs, depuis sept ans, très peu d’entre eux se sont portés candidats, alors que certains s’engagent en faveur de la diversité. C’est d’autant plus dommage que la fonction publique aurait les moyens de se montrer exemplaire…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Sans volonté à la tête d’un groupe ou d’un ministère, les mesures restent lettre morte.

Mme Florence Méaux. Le label Égalité est délivré pour une durée de trois ans renouvelable, avec une évaluation intermédiaire au bout de dix-huit mois. Si, lors de celle-ci, on constate que la situation de l’entreprise ne s’est pas améliorée, le label est retiré. Certaines entreprises l’ont ainsi perdu.

En ce qui concerne les rapports avec le label Diversité, nous gérons les deux et les promouvons avec le même enthousiasme. Mais nous avons toujours tenu à les garder distincts. « L’égalité n’est pas soluble dans la diversité », a dit Mme Grésy. De fait, les optiques sont radicalement différentes : l’égalité concerne la totalité de l’humanité alors que le respect de la diversité suppose de comparer la situation de groupes ou d’individus à celle d’un être fictif représentatif d’une sorte de moyenne dans des conditions données.

Il est indéniable que le label Diversité se porte mieux que le label Égalité. En effet, l’exclusion, les difficultés à vivre ensemble sont très médiatisées et monopolisent l’attention alors que l’égalité est un « non-sujet » pour la société française qui considère que les femmes parviennent à conquérir les postes à responsabilité – oubliant que ce n’est que très lentement et au prix de grands sacrifices personnels... À cela s’ajoute le fait qu’à la différence du ministère de l’intérieur, qui consacre de grands efforts au label Diversité qu’il a créé, le ministère du travail et de la solidarité, qui a lancé le label Égalité, non seulement ne s’implique pas dans sa promotion, mais n’a jamais posé sa candidature à ce label, alors même que c’était à sa portée. Nous sommes pourtant allés porter la bonne parole à chaque changement de ministre et nous allons sans doute faire de même auprès de Mme Bachelot.

Certes, il est plus facile d’œuvrer pour la diversité que pour l’égalité. Néanmoins, prétendre que le label Égalité pâtit de l’existence du label Diversité serait erroné : il s’est en effet plutôt mieux porté depuis que ce dernier a été créé. Quant aux méthodes, elles ne sont guère différentes dans les deux cas et les entreprises qui ont traqué des discriminations entre hommes et femmes n’ont pas de difficultés à transposer ce travail aux dix-huit « piliers » de la diversité. C’est pourquoi un certain nombre de celles qui ont obtenu le label Égalité ont ensuite décroché le label Diversité – l’inverse est plus rare, mais possible.

Néanmoins, je le répète, nous prêchons pour le maintien de la séparation, car le label Égalité, se focalisant sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, est plus exigeant que n’importe quel « pilier » du label Diversité. Pour celui-ci, nous vérifions si les procédures de l’entreprise sont à même de cerner et combattre les sources de discrimination dans tous les domaines où elle y est exposée, mais il est évident que nous ne pouvons scruter les situations au microscope même si nous invitons ces entreprises à analyser leurs risques propres, de sorte que, sur les dix-huit piliers, elles n’en retiennent par exemple que cinq ou six.

Le ministère de l’économie et des finances, qui en a retenu sept, a réalisé un travail colossal : les entretiens de recrutement font systématiquement l’objet d’un enregistrement, auquel un candidat peut désormais faire appel en cas de suspicion de discrimination, et les jurys de ces oraux bénéficient d’une formation. Cela se justifie car nous sommes tous des discriminateurs en puissance : homme ou femme, lors des tests sur ordinateur pour définir le candidat idéal, vous avez toute chance de dessiner le portrait-robot d’un bel homme de quarante ans, brun aux yeux bleus, avec un costume, une cravate et une chemise blanche… Parmi les piliers retenus, figure l’égalité entre hommes et femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Voilà le danger pour le label Égalité professionnelle !

M. Thierry Geoffroy. Distinguons : le ministère a l’obligation de traquer toutes les discriminations, quelles qu’elles soient, et il est ainsi amené à identifier les inégalités liées au sexe, mais il ne les traite pas : le label Diversité, qui ne prend pas en compte celles qui sont liées à la maternité, à l’existence de stéréotypes ou à la répartition des tâches ménagères au sein des couples, n’est pas le cadre qui le permettrait.

Mme Florence Méaux. On ne constatera pas de discriminations flagrantes entre hommes et femmes dans les organismes qui ont obtenu le label Diversité. De toute façon, les partenaires sociaux ne nous laisseraient pas le décerner si nos évaluateurs avaient acquis la conviction qu’y subsisteraient des problèmes de ce genre. Il est toutefois exact que l’attribution de ce label n’implique pas que les conditions sont réunies pour une vraie égalité professionnelle. Pour l’accorder, nous ne vérifions jamais qu’on s’abstient d’organiser des réunions après dix-huit heures ou qu’on autorise des aménagements d’horaires au retour du congé de maternité, par exemple. Le fait que les procédures de recrutement d’une entreprise permettent aux femmes d’être jugées sur leurs seules compétences ne leur garantit pas non plus un accès aux plus hautes fonctions. Seul le label Égalité prend en compte ces obstacles insidieux en relation avec la question – essentielle à cet égard – de la parentalité.

M. Thierry Geoffroy. Environ 260 organismes détiennent le label Diversité, qui existe depuis seulement deux ans. Quatre autres ministères régaliens se préparent pour l’obtenir…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Contre 48 pour le label Égalité qui existe depuis sept ans, et aucun ministère ! Il est vrai qu’à propos du décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites, un conseiller de Matignon a fait valoir qu’on obligeait déjà les entreprises à des efforts en faveur des handicapés et des seniors, et qu’on ne pouvait les pénaliser « en plus sur les femmes ! » Pourtant, celles-ci constituent la moitié de l’humanité…

M. Thierry Geoffroy. Le paysage n’est pas si noir : une entreprise titulaire du label Diversité a été conduite à identifier les discriminations entre hommes et femmes en son sein, et donc à réfléchir sur le sujet. Cela a forcément des répercussions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le label Diversité ne doit pas étouffer le label Égalité ! En effet, non seulement l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est de 19 %, mais, en matière de formation, les femmes subissent des discriminations entre trente et quarante ans, c’est-à-dire à l’âge où se décide une carrière et où elles doivent, elles, s’occuper beaucoup de leurs enfants. Or l’égalité salariale et la formation sont des critères primordiaux pour l’attribution du label Égalité.

M. Thierry Geoffroy. Les entreprises n’ont pas une conscience claire de ces problèmes. Elles s’estiment même irréprochables, en général. Nous pourrions par conséquent avoir beaucoup plus de titulaires du label Égalité si nous les acceptions sans exiger le rapport de situation comparée. Mais au moins les deux tiers des entreprises qui se portent candidates ignorent tout de ce rapport !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous n’avons pas su vendre la loi de 2001 ! Et celle de 2006 a entretenu la confusion entre le bilan social et le RSC, qui sont deux choses totalement différentes. Si le législateur s’était contenté d’adapter la loi de 2001, notamment aux TPE et PME, nous aurions progressé en matière de communication, dont le ministère chargé du label aurait dû se préoccuper davantage. La Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée, elle, organise des conférences de presse.

Les entreprises dont la candidature a été refusée faute de rapport de situation comparée déposent-elles un autre dossier par la suite ?

M. Thierry Geoffroy. En général, nous n’entendons plus parler d’elles…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Essayent-elles d’intégrer le volet égalité dans le label Diversité ?

M. Thierry Geoffroy. Non, car les partenaires sociaux – associés à la décision de délivrance du label – sont très attachés à ne pas mélanger les deux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais n’avez-vous pas dit que le ministère de l’économie et des finances avait intégré une préoccupation d’égalité dans la gestion du label Diversité ?

M. Thierry Geoffroy. Pour les discriminations entre sexes, il s’est avant tout intéressé aux questions de progression dans la hiérarchie et de fragilité au quotidien. Le label Diversité obligeant à installer une cellule d’écoute que peut saisir tout salarié s’estimant victime d’une discrimination, Bercy a ainsi pu déterminer le portrait type de la personne discriminée : il s’agit d’une femme de quarante-cinq ans, parent isolé de santé fragile. Le ministère a dès lors été à même de mener des actions spécifiques dans les départements qui comportaient le plus grand nombre de personnes correspondant à ce profil. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il agit spécifiquement en faveur de l’égalité hommes-femmes.

Mme Florence Méaux. Le nombre de labels Égalité n’aurait pas été plus élevé si le label Diversité n’avait pas vu le jour. Ce dernier fait – un peu – progresser la cause de l’égalité professionnelle. La question est de savoir comment la relancer fortement. L’idéal serait qu’un grand ministère montre l’exemple.

M. Thierry Geoffroy. Les partenaires sociaux demandent instamment à l’État de s’impliquer sur le sujet.

Mme Florence Méaux. Sur les 48 labels Égalité, les deux tiers sont en cours de renouvellement, ce qui représente une vraie réussite. Aux dires de nos clients, le label les aide réellement à progresser.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous essayé de mettre cela à profit pour faire connaître le label avec leur aide ?

Mme Florence Méaux. Oui, mais nous avons du mal à trouver des axes de communication. Nous nous sommes adressés aux journaux féminins en essayant de les convaincre de publier des témoignages d’entreprises, mais le sujet ne les passionne pas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ils peuvent au mieux favoriser une prise de conscience, si par exemple, dans une salle d’attente, une femme lit dans Elle ou Marie-Claire vingt lignes sur la loi sur l’égalité mais, pour une explication de ce qu’apporte le label, mieux vaudrait essayer d’obtenir des articles de la presse économique – Les Échos et les pages économiques du Figaro et du Monde, par exemple – en invitant les journalistes à une réunion qui regrouperait les 48 entreprises labellisées.

Mme Florence Méaux. Nous ne l’avons jamais fait, mais c’est une bonne idée, d’autant qu’un grand nombre de ces entreprises sont prêtes à témoigner.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comme PSA, L’Oréal, la BNP, etc. La BNP fait d’ailleurs un rattrapage de salaires.

Mme Florence Méaux. Le rattrapage des salaires est un des critères du label Égalité, pris en compte dans les évaluations périodiques.

Les femmes sont peu nombreuses dans les conseils d’administration et, surtout, dans les comités exécutifs. Et les hommes ne sont pas ravis à la perspective de devoir leur céder la place en application des quotas ! Certains chefs d’entreprise sont progressistes – Daniel Lebègue, Louis Schweitzer, Jean-Martin Folz, etc. –, mais ils sont rares ! Toutefois, on peut être optimiste en constatant que les jeunes générations sont plus attachées à la qualité de vie et à l’éducation des enfants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans les entreprises où les décisions importantes sont prises entre dix-huit et vingt heures, les femmes sont pénalisées. Le label Égalité intègre-t-il cet élément ?

Mme Florence Méaux. Oui. Un des critères obligatoires pour tous les organismes est l’aménagement des horaires et l’instauration de méthodes de travail favorisant la compatibilité des vies professionnelle et familiale – des hommes comme des femmes. Il suppose une charte des temps proscrivant les réunions tardives, ou trop matinales pour ne pas empêcher les gens d’emmener leurs enfants à l’école.

M. Thierry Geoffroy. Pour nous, les mesures adoptées doivent être efficaces. J’ai le souvenir d’une grande société qui avait ouvert, pour les enfants de ses employés, une crèche dans un des plus beaux arrondissements de Paris où se trouve son siège social. Habitant en banlieue, son personnel n’a pas vu l’intérêt d’emprunter les transports en commun avec leur bébé dans les bras, de sorte que la crèche n’a été remplie qu’à 5 %. Nous avons jugé la mesure inefficace.

Mme Florence Méaux. Nous sommes également très attentifs aux dispositifs en faveur du télétravail, pour lequel la France est très en retard par rapport aux pays scandinaves, alors que les durées de transport en Île-de-France – incompatibles avec des vies de père et de mère de famille – plaident en sa faveur.

M. Thierry Geoffroy. Les exemples remarquables sont rares, mais ils existent. Ainsi, certaines entreprises offrent des services pour faciliter la vie au quotidien : entretien de la voiture, nettoyage et repassage du linge,... Les femmes qui travaillent y sont sensibles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faudra mettre en évidence ces éléments lorsque quand vous réunirez vos 48 labellisés.

Mme Florence Méaux. Effectivement, une communication générale des labellisés présente un grand intérêt. Et il serait intéressant de l’organiser avec l’animatrice du club des labellisés, Cristina Lunghi. Mais sachez aussi que, dans son livre sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, notre collaboratrice Élisabeth Ferro-Vallé a déjà compilé les meilleures pratiques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On pourrait imaginer un logo qui permettrait aux entreprises de se prévaloir du label sur leur site et sur leurs documents officiels. Et que pensez-vous d’une suggestion de M. Jean-Pierre Jouyet, qui consisterait à prendre en compte cet élément dans l’attribution de marchés ?

Mme Florence Méaux. Ce serait un levier puissant, mais cela suppose de modifier le code des marchés publics.

M. Thierry Geoffroy. En revanche, dans cette matière des marchés, on peut constater des évolutions en faveur de la diversité. La rédaction de l’article 14 du nouveau code, en vigueur depuis 2006, ouvre la possibilité de prendre en compte des critères sociaux et, au titre de ces clauses sociales, le Guide pratique des acheteurs publics, refondu régulièrement, a intégré la notion. Le choix entre les soumissionnaires ne peut se faire sur ce critère mais l’entreprise retenue devra démontrer qu’elle s’attache à promouvoir cette diversité dans le cadre des travaux ayant donné lieu au marché public. Ce guide est très important car il est lu par l’ensemble des acheteurs publics et ne se limite pas aux seuls grands marchés de l’État.

Les entreprises titulaires du label Diversité qui font connaître à l’ensemble de leurs fournisseurs et clients leur attachement à la promotion de la diversité font aussi énormément avancer les choses. En interrogeant par exemple sur leur politique en la matière les cabinets de recrutement ou les agences d’intérim qu’elles font travailler, elles les sensibilisent et les amènent à s’engager, ce qui a un effet d’entraînement sur d’autres.

Enfin, les départements des achats de certaines grandes entreprises peuvent « sanctuariser » des budgets en faveur d’entreprises exemplaires, même si leurs prestations sont plus chères que celles de leurs concurrentes – ce peut être des sous-traitants faisant travailler des personnes handicapées, des ateliers protégés...

Ce qui vaut pour le label Diversité ne vaut pas pour le label Égalité. Néanmoins, ce dernier n’est pas figé : de même que son cahier des charges a évolué sous l’effet de la nouvelle loi sur l’égalité salariale, il est vraisemblable qu’il évoluera encore après le vote des dispositions instituant des quotas dans les conseils d’administration.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le coût du label Égalité est-il élevé pour l’entreprise ?

M. Thierry Geoffroy. Non, car il dépend de l’effectif. Pour une petite entreprise, il est compris entre 3 000 et 4 000 euros sur trois ans.

Mme Florence Méaux. Ce qui est cher, ce sont les coûts cachés de la démarche d’accession au label – travail de la DRH, du chargé de mission égalité professionnelle, éventuellement d’une société de conseil. Pour une PME, cela peut se monter à 20 000 ou 30 000 euros ; la labellisation elle-même n’y compte que pour 10 % à 15 %. Ces montants sont sans commune mesure avec le retour sur investissement que l’entreprise peut espérer en termes de dialogue social, de bien-être au travail et donc de productivité.

M. Thierry Geoffroy. Dans le BTP, les accidents du travail ont diminué grâce à la présence des femmes sur les chantiers, car elles portent les vêtements de protection, et les hommes ont fini par les imiter !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le travail sur l’ergonomie en faveur des femmes chez PSA a également bénéficié aux hommes.

M. Thierry Geoffroy. On peut aussi citer l’exemple d’Eurocopter. Mais le label peut aussi jouer directement pour les hommes, dans de rares cas : ainsi l’Agence de communication Euro RSCG, où les femmes sont surreprésentées, a pris des mesures en leur faveur, en particulier à propos du congé de paternité.

Je tiens à souligner un élément très important : c’est que les partenaires sociaux associés au label Égalité sont extrêmement constructifs sur le sujet, et ce depuis le départ. Il y a entre les syndicats un consensus remarquable.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et pourtant aucun syndicat ne pourrait obtenir le label Égalité aujourd’hui…

Mme Florence Méaux. Nous pouvons labelliser un organisme qui ne serait pas irréprochable pour ce qui est de la proportion de femmes ou de l’égalité salariale, mais qui s’engagerait à établir les documents prévus par la loi et à progresser sur tous les points figurant au cahier des charges du label. Si nous refusions celui-ci aux organismes dont le comité exécutif comprend peu de femmes, nous n’en labelliserions aucun… Mais si nous ne constatons aucune amélioration au bout de dix-huit mois, nous lui retirons le label.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.