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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 24 mai 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 28

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po

La séance est ouverte à 11 h 05

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po, qui va nous parler de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que du décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites.

Mme Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po. La loi sur l’égalité salariale du 23 mars 2006 et la conférence tripartite de novembre 2007 ont permis, d’une part, de préciser le contenu du rapport de situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise (RSC) et, d’autre part, une ouverture vers des sanctions financières à l’encontre des entreprises n’ayant pas négocié un accord sur l’égalité professionnelle ou rédigé un RSC. La mise en place et la publication des indicateurs du RSC devaient constituer une base de négociation en matière d’égalité professionnelle dans les entreprises. J’y reviendrai.

La loi qui devait fixer les sanctions financières, à la suite de celle de 2006, n’a pas été déposée pour cause d’« encombrement du calendrier parlementaire »… C’est dans la loi de 2011 portant réforme des retraites, en particulier dans l’article 99, que les choses ont été précisées.

Aujourd’hui, le projet de décret d’application de cet article 99 est en recul par rapport à la loi. Etudié dans le cadre d’une réunion récente du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle – convoqué en 48 heures, alors qu’il ne s’était pas réuni depuis très longtemps ! –, ce décret a suscité la colère des syndicats à la fois sur le fond et sur la procédure, certains n’ayant pas eu le temps de l’analyser juridiquement. Les discussions se sont donc déroulées dans des conditions déplorables, et tous les syndicats ont voté contre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je crois savoir que le MEDEF s’est abstenu.

Mme Françoise Milewski. Ce projet de décret pose à mes yeux deux problèmes majeurs.

D’abord, celui de la négociation. La loi sur les retraites dispose que « Les entreprises sont soumises à une pénalité lorsqu’elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle ou, à défaut, par le plan d’action ». Dans mon esprit, les mots « à défaut un plan d’action » se justifiaient par la nécessité de ne pas exclure du champ d’application de la loi les entreprises ne comportant pas de représentation syndicale. Il aurait été souhaitable que le décret d’application soit plus explicite, et précise la formule : « un accord avec les partenaires sociaux ou, à défaut – constaté par un procès-verbal de désaccord – un plan d’action ». L’égalité professionnelle devrait en effet faire partie intégrante de la négociation sociale, et il faut tout faire pour l’impulser.

Or la tendance actuelle est de mettre sur le même plan la négociation collective et le plan d’action unilatéral. Cette évolution des relations sociales est frappante.

Au total, le projet de décret est en retrait par rapport à l’article 99, par rapport à ce qui aurait été nécessaire après la loi de 2006 et aussi au regard des engagements pris à l’époque.

Un plan d’action n’est pas un accord. Les premiers bilans de la loi sur les seniors montrent que certaines entreprises se contentent de produire un plan d’action, sans objectif ambitieux, uniquement pour se conformer à la loi ! Je crois donc à la nécessité, d’une part, du rapport de situation comparée et de sa publication, d’autre part, de négociations avec les partenaires sociaux et de leur publicité. A défaut d’accord, l’entreprise ferait un plan d’action, mais, au moins, les choses seraient claires.

Le projet de décret pose ensuite le problème de la sanction financière.

Si l’Inspection du travail constate l’absence d’accord ou de plan d’action, l’entreprise aurait six mois pour se mettre en conformité avec la loi. Il suffira donc d’attendre le constat, et de réaliser alors un plan d’action. Il permettra à l’entreprise de ne pas être soumise à une sanction financière. Même si c’était le cas, c’est-à-dire si l’entreprise ne se mettait pas en conformité en réalisant un plan d’action, cette sanction ne porterait que sur les six mois de défaut de mise en œuvre. J’ajoute que le nombre d’inspecteurs du travail est insuffisant et que le contrôle des infractions à l’égalité entre les femmes et les hommes n’est qu’une de leurs nombreuses tâches.

Enfin, le projet de décret prévoit que la sanction financière sera au maximum de 1 % des rémunérations et des gains ; mais ce principe de la modulation figurait déjà dans la loi.

Au total, après la loi de 2006 et la conférence de 2007, on est revenu « à la case départ » en matière d’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes.

Les indicateurs du RSC avaient pourtant fait l’objet d’une réelle discussion au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, dont un groupe de travail a d’ailleurs contribué à l’élaboration du diagnostic égalité professionnelledocument proche du RSC – élaboré par la CNAVTS et fourni aux entreprises de moins de cinquante salariés. Toutes ces démarches ont été constructives.

Je voudrais dire aussi quelques mots sur les autres sujets en cours de discussion. Le rapport de Françoise Guégot sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique comprend des dispositions très intéressantes sur l’accès aux emplois supérieurs et la transposition à la fonction publique de dispositions applicables au secteur privé. Il est évident que celle-ci ne doit pas rester à la traîne. J’espère qu’un projet de loi concrétisera les propositions du rapport. À cet égard, l’État peut donner l’exemple, en particulier s’agissant des emplois à la décision du gouvernement, pour lesquels la situation n’est pas meilleure que pour les autres emplois supérieurs : en la matière, une loi n’est pas nécessaire !

En ce qui concerne le temps partiel, la fameuse conférence tripartite, promise de longue date (elle devait se tenir dans la foulée de la conférence de novembre 2007), n’a malheureusement pas eu lieu. Elle fut enfin annoncée pour le mois de juin 2011, mais on ne voit rien venir. La question devrait être intégrée à la conférence sur le partage des responsabilités professionnelles et familiales ; mais, si la discussion des questions sur le partage des responsabilités et la parentalité est effectivement importante, elle ne devrait pas se substituer à l’engagement de négociations concrètes sur le temps partiel et la précarité, ni à l’engagement des pouvoirs publics sur ce problème.

La période actuelle est contradictoire à plusieurs titres.

D’un côté, les choses bougent. Des entreprises privées se mobilisent grâce à la mise en œuvre de la loi sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration. Beaucoup de réseaux de femmes voient le jour, et discutent des développements de carrière. Autres exemples, pêle-mêle : les syndicats développent la formation sur l’égalité entre les femmes et les hommes ; la recherche sur les questions de genre se renforce et de plus en plus d’enseignements traitent des inégalités entre les femmes et les hommes.

D’un autre côté, la grande agitation législative n’a débouché que sur la loi relative à la représentation des femmes dans les conseils d’administration – puisque celle sur l’égalité salariale est aujourd’hui vidée de son contenu par le décret – ; la loi sur la fonction publique se fait toujours attendre ; la conférence sur le temps partiel n’a pas lieu. On verra quelles mesures seront prises à l’issue de la Conférence de juin qui portera sur les stéréotypes et le partage des tâches.

Le temps partiel est pourtant un sujet crucial. Pourquoi ne pas taxer (ou faire perdre le bénéfice de certains avantages sur les bas salaires) les entreprises qui utilisent massivement des temps partiels très courts, de moins de quinze heures ?

De façon plus générale, dans un de mes articles publiés l’été dernier, je me suis interrogée sur les raisons pour lesquelles les politiques publiques étaient si peu suivies d’effet.

La première explication, certes simpliste, est le décalage entre le discours et sa mise en œuvre. La deuxième est l’inertie des acteurs, notamment aux niveaux intermédiaires, qui, tant que les lois ne comporteront pas de sanction, continuera à bloquer toute évolution.

La seconde concerne la question de la cohérence des politiques publiques. Le développement du temps partiel, de la précarité, des petits boulots, est en partie le produit des politiques publiques, en particulier économiques, du fait de la déstructuration du marché du travail. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les écarts de salaires ont cessé de se réduire depuis le début des années 1990. Par conséquent, il est impératif d’apprécier les politiques publiques d’égalité entre les femmes et les hommes y compris dans leurs composantes économiques.

En outre, il faut introduire dans le débat, l’évolution des structures familiales, avec l’accroissement du nombre de divorces et de séparations. L’incidence sur les retraites des femmes, par exemple, est importante : une femme qui a fait le choix du temps partiel se retrouvera, en cas de séparation, dans une situation de faible revenu puis de faible pension de retraite. Plusieurs études récentes de l’Institut national d’études démographiques (INED) montrent que certaines catégories de femmes seules seront pauvres à la retraite. Cette réalité, pour après-demain, n’est pas anticipée par les politiques publiques : il faudrait réfléchir au partage des droits à la retraite des conjoints en cas de divorce ou de séparation.

Il faut donc rediscuter de la question plus générale des politiques publiques.

Pour revenir d’un mot sur la fonction publique : la re-mise en œuvre du RSC et des tableaux de bord statistiques est nécessaire, car les changements de méthodologie ont opacifié le constat, et l’obligation de déposer tous les deux ans un rapport de situation comparée aux assemblées parlementaires n’est plus respectée. Il faudrait aussi transposer les mesures favorisant l’accès aux emplois de direction (objectifs chiffrés, comme proposé par Mme Françoise Guégot), car pourquoi demander au secteur privé ce qui n’existe pas dans la fonction publique ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La réforme constitutionnelle le permet.

Mme Françoise Milewski. Du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, il est inacceptable que certaines dérogations ouvertes pour la constitution des jurys perdurent depuis dix ans !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avec le décret de l’article 99, la marche arrière est enclenchée par rapport à la situation de 2001 ! Et la table ronde de juin sur le temps partiel portera sur des stéréotypes que l’on connaît depuis longtemps ! Je comprends que les gens soient révoltés.

Mme Françoise Milewski. La précarité engendrée par le développement du temps partiel et des emplois de service à la personne est connue depuis longtemps. Les propositions faites en la matière le sont tout autant : dispositifs correctifs du temps partiel, organisation du travail, etc. Nous répétons toujours les mêmes choses ! À présent, il s’agit de prendre les mesures et de les faire appliquer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi de 2006 était vouée à l’échec puisqu’elle ne comportait aucune contrainte, aucune sanction. Les dispositions en la matière ont sans cesse été reportées. Et aujourd’hui, non seulement le décret est en recul par rapport à la loi, mais il n’en reprend même pas les termes sur le RSC. Autrement dit, il n’y a pas de continuité et nous avons travaillé pour rien pendant dix ans ! C’est la preuve qu’une loi sur la fonction publique s’impose : si elle est votée, j’en demanderai une application immédiate.

Mme Françoise Milewski. Le projet de décret ne retient plus que trois indicateurs portant sur la situation respective des femmes et des hommes, dont un sur la parentalité.

En outre, il prévoit « quatre motifs de défaillance » qui permettent aux employeurs de ne pas se voir réclamer la pénalité en cas de non-respect de la loi.

Mme Danielle Bousquet. Tout le monde connaît la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes, dites-vous. Selon moi, elle est connue dans le milieu des chercheurs, des enseignants et des DRH, mais pas dans la population. Les gens écarquillent les yeux quand on leur présente le temps partiel comme une trappe à pauvreté pour les femmes ! Une de nos collègues a même rédigé il y a quelques années un rapport émerveillé sur le choix du temps partiel pour les mères de famille… Je crois donc indispensable de continuer à écrire sur le sujet, à en parler dans tous les cercles et à marteler les vérités, y compris auprès de nos collègues !

Vous dites que les blocages sont intermédiaires. Selon moi, ils sont partout. Il faudrait donc parvenir à les identifier un à un – dans tous les domaines, y compris politique – pour trouver des éléments de réponses à chacun d’entre eux. Il n’est pas normal de se heurter à autant de difficultés pour faire intégrer cette exigence d’égalité entre les femmes et les hommes, qui détermine toutes les autres !

Mme Françoise Milewski. Ceux qui élaborent les politiques publiques connaissent depuis longtemps la problématique. Nous aussi dans nos cercles restreints. Il est vrai que la population, elle, n’est pas assez informée. C’est pourquoi, il faut reprendre systématiquement les explications sur les fondements des inégalités femmes-hommes, et sur la justice sociale.

Aujourd’hui, la politique d’égalité est traitée hors du champ de l’économie, sous l’angle de la seule correction des effets. C’est ce blocage majeur qu’il faut mettre en cause. Cela ne sera pas facile, d’autant qu’il faut aussi combattre les stéréotypes (à l’école, dans la famille, dans l’entreprise…).

Certes, le MEDEF n’est pas favorable aux sanctions, mais … le thème de l’égalité est politiquement correct et ne creuse pas le déficit public ! Pourquoi un tel recul sur la question de l’égalité salariale avec ce projet de décret ? On en revient au débat évoqué tout à l’heure sur les politiques publiques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

La séance est levée à 12 h 05