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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 1er juin 2011

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Margaret Maruani, sociologue

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Margaret Maruani, sociologue.

La séance est ouverte à 14 heures.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame, d’avoir accepté cette audition.

En 2004, lorsque la Délégation a publié son rapport sur le temps partiel, notre ambition était de faire évoluer la situation. En 2010, au moment de la discussion sur la réforme des retraites, nous nous sommes aperçus que la période passée à travailler à temps partiel pénalisait les femmes au moment de l’ouverture de leurs droits. Aujourd’hui, sept ans après notre rapport, pratiquement aucune de nos recommandations n’a été suivie d’effet. Et je crains fort qu’aucune des tables rondes qui devraient se tenir à la fin du mois ne soit consacrée au temps partiel.

Force est de constater que la question n’est pas suffisamment prise en compte, alors même qu’elle est au cœur de la problématique de la carrière des femmes. Quel est votre point de vue ? Avez-vous des propositions à nous transmettre ?

Mme Margaret Maruani. Madame la présidente, ce fut un vrai plaisir pour moi de répondre à votre invitation.

Je sais que, pour vous, le travail à temps partiel est une question centrale, sur laquelle je travaille moi-même depuis des années. Malheureusement, la situation n’évolue pas. Je ne pourrai rien vous livrer de nouveau depuis ma précédente audition, si ce n’est quelques données actualisées, qui figurent dans le document que je vous ai remis.

Il y a longtemps que je tire la sonnette d’alarme : le temps partiel nuit gravement à l’égalité entre les hommes et les femmes.

En Europe, le temps partiel est un phénomène, multiforme, contrasté et diversifié. Il occupe les trois quarts des femmes actives aux Pays Bas, contre un dixième en Grèce. Il concerne aussi bien des salariés qui ont opté pour une réduction individuelle de leur temps de travail que d’autres, qui se sont résignés à prendre un petit emploi de quelques heures, plutôt que de se retrouver au chômage.

Nous pouvons relever malgré tout quelques constantes.

Premièrement, dans toute l’Europe des Quinze, qui dit « temps partiel » pense « femmes » : en 2010, 38 % des femmes et 9 % des hommes travaillaient à temps partiel. Les Pays-Bas sont le seul pays où la proportion des hommes est relativement importante, puisqu’elle y atteint 25 %. Mais cette importance est à relativiser, dans la mesure où, chez les femmes, la proportion est de 76 %.

Globalement, le taux de féminisation du temps partiel dépasse en Europe les 80 %. Cela étant, une coupure géographique nette marque les frontières : ce mode de travail est massivement le fait des femmes de l’Europe du Nord ; il est beaucoup moins fréquent dans l’Europe du Sud ; en France, il se situe entre les deux.

Dans les pays qui ont connu un développement important du temps partiel, la contribution des femmes à la croissance de l’emploi s’est faite, pour l’essentiel, à temps partiel, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et en France. Cela signifie que là où le travail à temps partiel progresse de façon importante, il mord sur la croissance de l’emploi à temps plein. Par exemple, en France, entre 1975 et 2008, sur les 3 831 000 emplois créés, les deux tiers, soit 2 663 000, l’ont été à temps partiel. Pour les femmes, sur les 3 762 000 emplois créés, près de 70 %, soit 2 287 000, l’ont été à temps partiel.

Deuxièmement, contrairement à une idée très répandue, ce n’est pas chez les femmes en âge d’avoir et d’élever des enfants – de 25 à 49 ans – que ce mode de travail est le plus fréquent. Dans la plupart des pays européens, il concerne d’abord les femmes âgées de plus de cinquante ans. De fait, la répartition du travail partiel y était, en moyenne, en 2010, de 35,7 % chez les femmes de 25 à 49 ans, de 39,4 % pour les femmes entre 50 et 64 ans et de 69,8 % au-delà de 65 ans. Au Danemark, en France, au Portugal, en Suède, en Grèce et en Finlande, les plus faibles pourcentages de femmes travaillant à temps partiel concernent les femmes de 25 à 49 ans. Le travail à temps partiel n’est donc pas la solution idéale plébiscitée par les mères de famille.

Cela étant, le temps partiel recouvre des réalités sociales très différentes : pour une part, il correspond à la volonté des femmes ; pour une autre une part, il est le produit des choix faits par les employeurs. Mais à l’heure actuelle, on ne sait pas apprécier cette répartition.

Au sein de l’Europe, la France fait figure d’exception.

Le travail à temps partiel est apparu plus récemment dans notre pays que chez nos voisins. Son essor ne date que du début des années quatre-vingt – environ 1,5 million de salariés en 1980, près de 4,6 millions aujourd’hui. Il n’est pas une composante de la croissance de l’activité féminine dans notre pays comme ce fut le cas en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où il a permis aux femmes d’entrer dans le salariat. Dès les années soixante, les Françaises avaient afflué sur le marché du travail, mais par le biais du temps plein. C’est en ce sens que je considère que le développement du travail partiel en France constitue un recul.

Entre les années quatre-vingt et 2000, avec la crise de l’emploi et sous l’impulsion de politiques fortement incitatives, les mesures se sont succédées. Quels que soient les gouvernements, l’objectif était le même : encourager l’emploi à temps partiel en accordant des aides financières aux employeurs qui y recouraient. À droite comme à gauche, on favorisa les créations d’emplois à temps partiel, car il était « bon pour les femmes ». C’est en ce sens que Nathalie Cattaneo parle de l’« immunité politique » du travail à temps partiel.

En 2010, selon la dernière enquête « Emploi » dont nous disposons, 4 600 000 personnes, dont 3 700 000 femmes (31 % des salariées) et 870 000 hommes (6 % des salariés), travaillaient à temps partiel. Les hommes avaient moins de 25 ans (étudiants, stagiaires, jeunes en début d’insertion professionnelle) ou plus de 60 ans (préretraités). Les femmes appartenaient à toutes les classes d’âge. Et ce n’est pas entre 25 et 49 ans que leur proportion était la plus forte, mais avant 25 et après 60 ans.

De récentes recherches, menées en 2009 par Valérie Ulrich, et appuyées sur l’enquête « Emploi » de 2005, viennent renforcer cette idée. Interrogés sur les raisons qui les avaient amenés à travailler à temps partiel, 31 % seulement des salariés (hommes et femmes) avaient évoqué des raisons familiales (6,8 % chez les hommes et 35 % chez les femmes.) La raison principale était qu’ils n’avaient pas trouvé d’emploi à temps plein.

En revanche, ce qui ne se dément pas, c’est l’adéquation entre travail féminin à temps partiel et concentration des emplois. En effet, cette pratique est très inégalement répartie selon la profession et selon les catégories, et se concentre dans un petit nombre de groupes socio-professionnels : plus de la moitié des femmes à temps partiel sont des employées ; parmi les ouvrières à temps partiel, une sur deux fait des travaux de ménage pour des entreprises de nettoyage ; enfin, dans le secteur privé, lorsqu’elles ne font pas des travaux de ménage, ces femmes sont vendeuses ou caissières. En fait, le travail à temps partiel s’est surtout développé dans les secteurs qui constituent les bastions de l’emploi féminin peu qualifié.

Les métiers où le travail à temps partiel est le plus répandu sont, dans leur écrasante majorité, des métiers très féminisés, peu ou pas qualifiés : femmes de ménages, ouvrier(e) s du nettoyage, caissier(e) s, assistantes maternelles, aides à la personne. En se développant, le travail à temps partiel n’a fait que renforcer la concentration des emplois féminins dans un nombre réduit de professions et de secteurs d’activité.

Pour autant, les statistiques dont nous disposons ne rendent pas compte de la diversité des situations. Elles amalgament, dans une même catégorie statistique et sémantique, le mercredi libre des fonctionnaires et le petit emploi de quelques heures de la caissière de supermarché. Or ce ne sont pas les mêmes femmes, ce n’est pas la même réalité sociale, ce n’est pas le même travail à temps partiel : dans le premier cas, il s’agit d’un travail à temps réduit, d’un aménagement individuel, à l’initiative du salarié ; dans le second cas, il s’agit d’un emploi partiel, créé à l’initiative de l’employeur. Ces deux situations n’ont rien à voir. Mais comment les distinguer ?

La notion de choix, qui paraît évidente au premier abord, ne me semble pas la plus pertinente. En effet, certaines femmes peuvent choisir de travailler à temps partiel pour faire face à des contraintes familiales, pour mieux supporter leurs contraintes professionnelles – je pense notamment aux infirmières – ou pour éviter d’être licenciées. Dans ces conditions, si subjectives, peut-on parler de choix ?

Prendre en compte l’origine du temps partiel, qui est une donnée objective, me semblerait plus pertinent et devrait nous permettre de savoir pourquoi nous sommes passés, en trente ans, de 1 500 000 à 4 600 000 salariés à temps partiel.

Nous sommes encore dans l’incertitude, car nous ne disposons pas encore de toutes les données chiffrées. Néanmoins, des travaux menés par des chercheurs de la DARES nous apportent un début de réponse.

À partir de l’enquête « Emploi du temps » de l’INSEE, Jennifer Bué a tenté de distinguer le temps partiel d’embauche, le temps partiel choisi pour les enfants, ou le temps partiel choisi pour d’autres raisons. Le temps partiel d’embauche, proposé par l’employeur, était majoritaire : 52 % des réponses – dont 49 % pour les femmes et 70 % pour les hommes. Le temps partiel choisi pour s’occuper des enfants était minoritaire : 30 % des réponses – dont 34 % pour les femmes et 6 % pour les hommes. Cela confirme mes propos précédents.

Nous savons également que la forte croissance du travail à temps partiel ne s’explique pas par sa progression dans la fonction publique, où le dispositif est régulé, où les salariés peuvent choisir de se mettre à temps partiel puis, éventuellement, de revenir à temps plein. Il s’explique par sa progression dans le commerce, l’hôtellerie, la restauration, les services aux particuliers et aux entreprises. Dans ces secteurs, la plupart des vendeuses, caissières, femmes de ménage n’ont pas choisi de travailler à temps partiel, mais ont accepté le sous-emploi pour ne pas rester sans emploi.

Ce qui se passe dans le commerce est de ce point de vue très éclairant. De nombreux chercheurs ont travaillé dans ce secteur, et j’ai moi-même enquêté, il y a plusieurs années, dans la grande distribution. Nous sommes tous arrivés au même résultat : si le temps partiel y a pris une aussi grande place, c’est parce que le recrutement s’y fait d’emblée à temps partiel. Par la suite, certaines embauches seront transformées en temps plein, le temps partiel servant, en quelque sorte, de période d’essai.

Dans d’autres secteurs, la pression du chômage peut prendre la forme plus brutale d’un chantage au licenciement. Dans un certain nombre d’entreprises, quand arrive le temps des licenciements, interviennent de « providentielles » propositions de travail à temps partiel.

Il y a bien longtemps, j’avais mené une enquête dans une entreprise aux prises avec un problème de « sureffectifs ». Les salariés se virent proposer trois solutions : soit une « charrette » de 146 licenciements secs, soit une réduction du temps de travail à 35 heures sans compensation salariale, soit un travail à mi-temps pour 260 salariés. Les syndicats optèrent pour la dernière solution. Dans la semaine, l’ensemble des femmes de l’usine – et seulement les femmes – reçut une lettre où on leur demandait de choisir entre le mi-temps ou le licenciement. Toutes se prononcèrent pour le mi-temps.

Ni les patrons ni les responsables du personnel n’avaient voulu me recevoir, mais j’ai pu discuter pendant des heures avec les représentants syndicaux ; je voulais notamment savoir pourquoi 260 « personnes » étaient devenues 260 « femmes ». J’ai fini pas obtenir cette réponse de l’un d’entre eux : « J’ai eu trois enfants. Au moment de l’accouchement, c’est ma femme qui est allée à l’hôpital, ce n’est pas moi. » Il voulait dire par là que le travail à temps partiel était naturellement féminin, tout autant que la maternité. Pour lui, c’était évident.

Les femmes qui avaient été mises d’autorité à temps partiel le vivaient mal. L’une d’elle m’a même confié : « Depuis que je suis à mi-temps, mon mari n’arrête pas de me dire : « Ça ne te gêne pas de manger, toi qui ne travailles pas ? Tu ne gagnes rien, mais tu bouffes ! » On a dit que le travail à temps partiel permettait de concilier vie professionnelle et vie familiale, mais on n’a pas dit à quel point il pouvait être destructeur, ni à quel point les salaires influaient sur les rapports de domination au sein de la famille. Ainsi, pour beaucoup de femmes, le travail à temps partiel est une violence qui leur est faite, un mode de travail qu’on leur impose et qui a de graves conséquences pour elles.

Voyons maintenant dans quelles conditions travaillent les salariées à temps partiel.

Comment se définit leur temps de travail, sur la journée, la semaine et le mois ? Le temps partiel est généralement associé à la flexibilité des horaires de travail et à la souplesse du temps de l’activité. Qu’en est-il dans la réalité ?

On peut considérer que les femmes qui ont demandé de passer à temps partiel et qui savent qu’elles peuvent revenir à temps plein ont fait un véritable choix qui leur apportera de la souplesse dans leur emploi du temps – je reprends l’exemple des femmes de la fonction publique, qui sont libres le mercredi. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des femmes qui travaillent à temps partiel.

Quand le travail à temps partiel s’établit à l’initiative de l’employeur, la gestion du temps quotidien et des horaires échappe bien souvent aux salariées. Dans la pratique, il s’agit de vendeuses, de femmes de ménage, de caissières, qui travaillent deux heures le matin, trois heures l’après-midi, parfois le soir et le samedi. Souvent, elles ignorent combien de temps et selon quels horaires elles vont travailler le lendemain ou la semaine suivante. Comment concilier vie professionnelle et vie familiale, quand on n’a pas la maîtrise de ses horaires ? Quelle précarité plus grande que de ne pas savoir ce que l’on va gagner à la fin du mois ? Si flexibilité et la souplesse il y a, c’est du côté des employeurs, et pas du côté de ces femmes.

Les études menées par l’OCDE, en France et en Europe, montrent bien que le travail à temps partiel s’accompagne souvent de longues journées de travail, avec des horaires décalées, de longues semaines s’étendant jusqu’au week-end, voire des horaires variables d’un jour à l’autre. Les femmes concernées n’ayant que de petits salaires, elles acceptent de travailler dans de telles conditions, même si leur vie familiale s’en trouve complètement déstructurée.

En outre, un travail à temps partiel n’est pas reconnu comme un travail à temps plein. Il n’a pas la même valeur sociale et n’est pas payé de la même façon.

Le problème est double : les salaires horaires des travailleurs à temps partiel sont plus bas que ceux des travailleurs à temps plein. Des études d’Eurostat ont montré, en 1997, que le salaire horaire des travailleurs à temps partiel s’établissait à 85 % de celui des personnes travaillant à temps plein en Suède, à 71 % en France, à 69 % en Espagne et à 60 % au Royaume-Uni. En France, en 2007, des enquêtes ont prouvé que la moyenne des salaires horaires à temps plein était de 13,04 euros ; contre 10,92 euros à temps partiel. Par ailleurs, les revenus mensuels du travail à temps partiel sont très bas, parce que le travail est partiel et s’exerce sur des postes peu ou pas qualifiés.

En France, les données sur les salaires mensuels du travail à temps partiel sont récentes. Il a fallu attendre des années pour les obtenir. Moi-même, qui ai siégé au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, j’ai très souvent demandé, en vain, combien les salariés à temps partiel touchaient à la fin du mois ; les statisticiens faisaient la sourde oreille.

Les premiers travaux, ceux de Christel Colin, datent de 1997. Ils montrent que les salariés à temps partiel perçoivent des salaires très bas. En 2007, leur salaire moyen mensuel était de 926 euros, contre 1 801 euros pour ceux qui travaillaient à temps complet.

Inévitablement, le travail à temps partiel nous amène à traiter de la pauvreté laborieuse et des bas salaires, sur lesquels se sont penchés Sophie Ponthieux et Pierre Concialdi. De fait, la forte progression des très bas salaires est étroitement liée au travail à temps partiel.

L’INSEE mesure la pauvreté laborieuse non pas par individu, mais par ménage : les travailleurs pauvres sont ceux qui travaillent dans un ménage pauvre. Elle calcule les revenus du ménage et les divise par le nombre de personnes et donc d’unités de consommation. Dans ces conditions, les hommes sont en majorité ; il s’agit, la plupart du temps, d’ouvriers qui touchent un salaire voisin du SMIC, et dont la femme ne travaille pas ; plus ils ont d’enfants, plus ils risquent de rentrer dans cette catégorie. Mais si on se base sur les bas salaires, les femmes sont en majorité ; il s’agit alors de femmes qui travaillent à temps partiel.

Sophie Ponthieux est en train de travailler sur une mesure individuelle de la pauvreté laborieuse. Notre débat, « M. Gagnepain et Mme Gagnepetit », tournera autour de cette problématique. Intellectuellement, je n’arrive pas à comprendre comment la pauvreté laborieuse peut être mesurée à l’échelle du ménage, et non de l’individu, puisqu’il s’agit d’apprécier la pauvreté issue du travail.

Cette question de la pauvreté laborieuse renvoie à celle du sous-emploi, lequel concerne les personnes qui travaillent moins que ce qu’elles souhaiteraient, et a été mesuré par l’INSEE à partir de 1990. À l’époque, la France comptait 901 000 personnes en sous-emploi, dont 638 000 femmes et 263 000 hommes. En 2010, elle en comptait 1 560 000, dont 1 080 000 femmes et 480 000 hommes. Et il ne s’agit d’ailleurs là que du sous-emploi visible déclaré – certaines personnes, comme les femmes de ménage, sachant qu’elles ne pourront jamais travailler à temps plein, ne se donnent pas la peine de se déclarer en sous-emploi.

La progression du sous-emploi a été en partie masquée par la modification de la définition du sous-emploi. Depuis 2007, en effet, sont recensées en sous-emploi les personnes qui déclarent travailler moins qu’elles ne le souhaiteraient, et être disponibles dans la semaine suivante pour travailler davantage. Sinon, elles disparaissent des statistiques du sous-emploi. Mais de nombreuses femmes, notamment en raison de leurs contraintes familiales, ne peuvent pas être immédiatement disponibles. Voilà pourquoi, entre 2007 et 2008, le nombre de personnes en sous-emploi a diminué de près de 200 000. Cette exigence de disponibilité immédiate a réduit les chiffres du sous-emploi, comme elle avait d’ailleurs réduit ceux du chômage : on dénombrait 1 416 000 personnes en sous-emploi en 2007, contre 1 247 000 en 2008 : 332 000 hommes en 2007, contre 300 000 en 2008 ; 1 083 000 femmes en 2007, contre 947 000 en 2008.

Ces chiffres nous invitent à sortir le travail à temps partiel d’un débat qui serait principalement centré sur l’aménagement du temps de travail. C’est sur le salaire, et plus généralement sur les conditions de travail, qu’il faut raisonner. En France, les salariés pauvres sont plus nombreux que les chômeurs. Il a fallu attendre longtemps pour connaître les données établissant cet état de fait. Je crains qu’il ne faille attendre encore longtemps pour qu’elles soient prises en compte dans le débat social. Le sous-emploi, la pauvreté laborieuse individuelle concernent massivement les femmes. Or, sur ces questions, la tolérance sociale reste très forte.

Au bout de cinquante ans de croissance continue et soutenue de l’activité féminine, l’essor du travail à temps partiel a fait régresser le mouvement d’homogénéisation des comportements d’activité féminin et masculin. Il a contribué à institutionnaliser un mode d’emploi féminin et à généraliser des formes d’activité réduite. Dans le meilleur des cas, lorsqu’il est demandé – je ne dis pas choisi – par les femmes, il favorise la discontinuité des cycles de vie professionnelle des femmes. Dans le pire des cas, quand il est subi, il repousse une partie des femmes actives vers le sous-emploi et la pauvreté. Et tout cela aura des conséquences au moment de leur retraite.

Les inégalités face à la retraite sont une sorte de décalque des hiérarchies et des segmentations qui parcourent le monde du travail. Comment avoir une pension décente quand on a eu une vie professionnelle hachée par le chômage, les petits boulots et le temps partiel ? Comment imaginer avoir un revenu de remplacement suffisant quand, pendant des années, on a travaillé à temps partiel pour des salaires inférieurs au SMIC ?

Quelle que soit la manière de compter, les retraites des femmes représentent à peu près la moitié de celles des hommes. Et les écarts entre les retraites des hommes et des femmes sont plus importants que les écarts de salaires.

La pension moyenne, si l’on s’en tient à la retraite de droit direct, c’est-à-dire à ce qui est acquis en contrepartie des années d’activité professionnelle, est de 692 euros pour les femmes, contre 1 535 euros pour les hommes. Si l’on y rajoute les pensions de réversion et les autres avantages, elle atteint 979 euros pour les femmes et 1 625 euros pour les hommes. L’écart se réduit, mais il demeure. Ajoutons à cela que les femmes partent plus tard à la retraite parce qu’elles ont moins d’années de cotisation mais que, leur espérance de vie étant plus longue, elles émargent plus longtemps aux caisses de retraite.

Il conviendra de mesurer l’impact du travail à temps partiel sur la retraite des femmes. C’est sans doute lui qui fait que l’écart du montant des retraites entre les femmes et les hommes est bien plus important que l’écart de leurs salaires.

En conclusion, ce qui caractérise aujourd’hui la situation des femmes, au-delà même du travail à temps partiel, c’est qu’elles sont plus instruites et plus diplômées que les hommes à 20 ou 25 ans, moins qualifiées et moins bien payées qu’eux dès qu’elles arrivent sur le marché du travail, et bien plus pauvres quand sonne l’heure de la retraite. J’entends souvent qu’une telle situation finira bien par s’arranger, avec le temps. Mais elle dure depuis trente ans, et je n’y crois pas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est désespérant. Mais pourquoi tarde-t-on à s’attaquer au temps partiel, qui constitue le cœur du problème ?

Mme Margaret Maruani. Nombreux sont ceux qui considèrent encore que le temps partiel est un bienfait pour les femmes. L’image de la fonctionnaire, mère de famille épanouie, qui a choisi de se libérer le mercredi pour s’occuper de ses enfants, perdure. Que cette femme existe, je n’en disconviens pas. Mais cela ne saurait justifier les salaires misérables des caissières.

D’autres considèrent que le temps partiel finira par se masculiniser. Une telle idée est fausse et ne s’est vérifiée nulle part. Cette forme d’emploi n’intéresse pas les hommes ; elle est réservée aux femmes.

Mme Claude Greff. Les données incontestables dont nous disposons aujourd’hui n’ont pas suffi à faire prendre conscience de la réalité du travail à temps partiel, et l’on continue à assimiler celui-ci à la maternité. Il faudrait déconnecter le temps partiel de la maternité, insister sur le fait que son développement est le résultat de la stratégie des employeurs, qu’il conduit à la pauvreté des femmes et ne concourt pas au bien être général.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est fondamental en effet de ne plus lier temps partiel et maternité. D’ailleurs, on peut ne pas avoir d’enfants et choisir de travailler à temps partiel.

Mme Claude Greff. Certes, mais il s’agit là d’un temps partiel choisi, qui n’entre pas vraiment dans nos préoccupations. Ce qu’il nous faut dénoncer, c’est le recours au temps partiel féminin comme variable d’ajustement de l’emploi.

Mme Margaret Maruani. Pour un précédent ouvrage, j’ai étudié les débats parlementaires qui ont conduit au vote des lois de 1980. J’y ai lu que le temps partiel concernait les hommes et les femmes … et une phrase plus loin, que le temps partiel permettait aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Mme Danielle Bousquet. Je pense qu’aujourd’hui, les arguments ne seraient pas très différents.

Mme Margaret Maruani. Pour éviter ce genre d’arguments, parlons plutôt des salaires et des retraites que le temps partiel permet de toucher.

M. Jean-Luc Pérat. Nous avons mis en place des contrats aidés de 20, 24, 30 heures, pour accompagner certains publics vers l’emploi. Je pense maintenant qu’il eût sans doute mieux valu proposer des contrats aidés à temps plein. Cela dit, a-t-on étudié le pourcentage des personnes heureuses de travailler à temps partiel ?

Mme Margaret Maruani. Je ne connais pas d’enquête de satisfaction sur le sujet. Il est clair que les caissières, les vendeuses, les femmes de ménage dont nous avons parlé souhaitent travailler davantage. Elles font partie des personnes qui se déclarent en sous-emploi.

M. Jean-Luc Pérat. Le fait de passer à 35 heures par semaine ne perturberait-il pas leur vie quotidienne ?

Mme Margaret Maruani. Peut-être, mais le problème ne se pose pas en ces termes : la plupart de ces femmes ont été embauchées sur des postes créés à temps partiel, indépendamment de leur situation familiale.

Pour qu’on puisse la traiter, la question du travail à temps partiel doit être également déconnectée de celle de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

M. Jean-Luc Pérat. Ne pourrait-on pas inciter les employeurs à proposer un travail complémentaire aux salariées à temps partiel ? Par exemple, les caissières pourraient ranger les produits dans les rayons ou procéder à leur inventaire.

Mme Margaret Maruani. D’une manière ou d’une autre, il faudra réguler davantage le travail à temps partiel. Nous savons qu’au bout d’un certain moment, un employeur est obligé de faire passer en CDI un salarié embauché en CDD. Pourquoi ne pas décider qu’au bout d’un certain moment, un salarié à temps partiel a le droit de passer à temps plein ? Cela changerait tout. Aujourd’hui, un employeur peut créer deux emplois à mi-temps, au lieu de créer un emploi à temps plein ; il y a de quoi rester pantois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il ne faut plus laisser dire que le travail à temps partiel est un travail d’appoint, ou qu’il permet au moins d’avoir du travail. Il faut dire qu’il sert aux entreprises …

Mme Margaret Maruani… et que celles-ci ne peuvent pas faire tout ce qu’elles veulent.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous allons devoir légiférer en ce domaine, où la compassion n’est pas de mise. Je vais faire comprendre à Mme Roselyne Bachelot l’importance qu’il y aurait à débattre du temps partiel à la fin de ce mois, en mettant en avant des arguments basés sur les salaires et sur les retraites.

Madame Maruani, je vous remercie.

La séance est levée à 15 heures.