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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 22 juin 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 34

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Réunion, ouverte à la presse, au cours de laquelle seront présentées les propositions de la présidente sur le temps partiel et vote sur ces propositions

– Audition de M. Antoine de Gabrielli, fondateur de l’Association « Mercredi-c-papa » et de Mme Sophie Michon, membre de l’Association 6

La séance est ouverte à 16 heures 15.

La Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a présenté ses propositions sur le temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. – Dans deux rapports d’activité, en 2004 et en 2007, la Délégation avait dénoncé la responsabilité du travail à temps partiel dans les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

Des recommandations avaient été formulées, notamment sur la nécessité pour les entreprises d’appliquer la disposition introduite par la loi du 21 août 2003 sur les retraites permettant de cotiser sur la base d’un temps plein, ou encore sur le respect du principe de la priorité des salariés à temps partiel pour l’attribution des emplois équivalents à temps plein.

La majorité de ces recommandations n’ayant pas été suivie d’effets significatifs et la situation des femmes à temps partiel continuant de se dégrader, notamment en termes de revenus, d’évolution de carrière, d’horaires, de formation et de retraite, la Délégation a décidé de procéder à un nouvel examen de ces questions.

Notre décision a également été motivée par l’annonce qu’a faite Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, à l’occasion des 15 ans de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, en décembre 2010, que son ministère organiserait, à la fin du mois de juin, une table ronde sur le travail à temps partiel dans le cadre de la concertation sur l’égalité professionnelle.

Depuis, le sujet de cette table ronde a évolué ; le thème traité sera celui du partage des responsabilités professionnelles et familiales. Pour autant, les problèmes liés au temps partiel devraient tout de même être évoqués le 28 juin.

C’est pourquoi il était important que la Délégation examine dès aujourd’hui, et avant le bouclage définitif du rapport qu’elle rendra sur cette problématique, les nouvelles propositions en matière de temps partiel, lesquelles sont beaucoup plus exigeantes que les précédentes.

Il faut savoir en effet qu’en trente ans, nous sommes passés de 1 500 000 salariés à temps partiel à 4 600 000, dont 82 % de femmes.

La moitié des salariés à temps partiel déclare percevoir un salaire mensuel net, primes et compléments compris, inférieur à 800 euros par mois.

Aujourd’hui, le recrutement à temps partiel est devenu la norme dans certains secteurs d’activité employant du personnel majoritairement féminin et sous qualifié. Mais il est également de plus en plus fréquent pour les jeunes filles qualifiées qui entrent sur le marché du travail pour la première fois ; pour elles, le risque est sérieux d’être maintenues dans ce statut pendant longtemps.

Le temps partiel s’adressait à des femmes entre 30 et 50 ans ; il était choisi par elles pour des raisons liées à l’éducation des enfants. Maintenant, des temps partiels inférieurs à 15 heures sont proposés aux femmes en début de carrière, ce qui a des conséquences sur leurs droits sociaux et leurs futures retraites. Cette situation très inquiétante est un élément central dans la question de la répartition du temps professionnel entre les hommes et les femmes.

Certes des femmes font le choix volontaire de travailler à temps partiel. On peut cependant se demander, comme le fait la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), si un temps partiel choisi n’est pas toujours, pour partie, subi. En tout état de cause, comme le prévoit la loi sur les retraites, il convient que la femme qui a fait ce choix soit correctement informée sur ce qui l’attend en fin de carrière

Partant du constat que le cadre juridique actuel est trop peu contraignant et que l’emploi à temps partiel, qui a pu constituer un moyen d’accès au marché du travail pour les femmes, se referme aujourd’hui sur elles comme un piège, la Délégation propose une approche nouvelle.

Les propositions qu’elle présente visent donc à rendre dissuasive l’embauche à temps partiel et à renforcer les droits de celles qui ne peuvent l’éviter.

Il est de la responsabilité du législateur de s’inquiéter des problèmes futurs qui se poseront immanquablement à ces femmes au moment de leur départ à la retraite. Un positionnement politique sera nécessaire sur cette question à l’occasion des élections présidentielles ; le temps partiel étant essentiellement un temps féminin, son encadrement doit exprimer le respect pour les femmes.

C’est pourquoi ces propositions ne sont pas réservées à la Délégation ; elles sont mises, si l’on peut dire, sur le marché des propositions qui seront présentées aux femmes en 2012.

La première proposition est la suivante : les accords collectifs sur la durée et les horaires de travail doivent être négociés au niveau de la branche d’activité. Il s’agit d’une proposition émanant de la CGPME. Elle devra s’imposer à toutes les branches d’activité qui recourent au temps partiel.

Nous formulons ensuite une série de propositions visant à ce que le temps partiel devienne moins attractif pour les entreprises.

La première consiste à introduire l’obligation de justifier un recrutement à temps partiel.

La deuxième appelle à renforcer la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents à temps complet.

La troisième est d’imposer une durée légale minimum de temps de travail.

La quatrième est de rendre obligatoire le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel.

La cinquième consiste en une majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle.

La sixième est l’obligation de surcotiser pour l’assurance vieillesse si le salarié en fait la demande. Il s’agit certainement de la mesure phare car trop de femmes partant à la retraite se retrouvent avec des pensions inférieures au minimum vieillesse. Le législateur doit se soucier de ce problème dès maintenant.

La septième consiste à supprimer les dérogations autorisant des interruptions de plus de deux heures de la journée de travail. Les horaires de travail des femmes à temps partiel sont en effet répartis dans la journée d’une façon inadmissible.

Dans la même perspective, la huitième proposition consiste à supprimer les dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail.

Un troisième axe de travail serait de décourager les abus du temps partiel et le recours systématique à cette forme d’emploi, parfois pour de très courtes durées de travail.

Enfin, nous formulons encore deux propositions tendant à améliorer les conditions d’accès aux assurances chômage et à la retraite : il conviendrait d’ouvrir un droit au chômage en cas de pluralité d’employeurs et de garantir une retraite à taux plein à 65 ans.

L’ensemble de ces propositions peut s’inscrire dans le cadre d’un projet présidentiel.

Mme Danielle Bousquet, vice présidente – Je soutiens toutes ces propositions.

La question de l’emploi salarié des femmes s’est posée à compter des années soixante. Depuis, le développement du temps partiel n’a pas favorisé l’emploi féminin.

Le temps partiel correspond, de fait, à des durées de travail inférieures à des mi-temps.

Instauré pour les mères de famille, il a été encouragé par les politiques publiques de droite comme de gauche. Or, aujourd’hui, la grande majorité des femmes concernées ont moins de 25 ans ou plus de 55 ans, et les horaires imposés – très tôt le matin ou très tard le soir – ne sont pas compatibles avec une vie de famille.

L’argument selon lequel 35 % des femmes choisiraient le temps partiel parce qu’elles sont mères de famille est donc fallacieux. Il camoufle le fait que le temps partiel des femmes est une variable d’ajustement qui a conduit à la multiplication de ce qu’on appelle maintenant «  les jobs féminins », à savoir des emplois sous payés.

Pauvres aujourd’hui, ces femmes le seront encore plus demain car elles recevront des pensions de retraite inférieures de 40 % à celles des hommes.

Le législateur doit tenir compte de ces situations.

N’oublions pas que nous serons nombreuses à vivre jusqu’à 95 ans. Face au risque de la grande dépendance, les femmes qui auront travaillé à temps partiel seront complètement démunies.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. – La CGPME est d’accord pour reconnaître la nécessité d’introduire plus de lisibilité dans les règles organisant le temps partiel.

Il convient d’alerter les pouvoirs publics sur cette question gravissime pour une majorité de femmes. Le thème choisi pour la table ronde à venir – le partage des responsabilités professionnelles et familiales – montre que nous n’avons pas obtenu satisfaction, puisque le temps partiel ne sera qu’un élément du débat. Nous comptons beaucoup sur les intervenants à cette réunion pour qu’ils fassent part de la précarité croissante des femmes concernées.

De son côté, la Délégation organisera, à la rentrée, avec la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE) une table ronde sur le temps partiel. Nous prendrons contact avec la Délégation aux droits des femmes du Sénat pour l’associer à nos débats. Nous pourrons également convier les syndicats et des chefs d’entreprise. Ces derniers commencent d’ailleurs à prendre conscience des difficultés.

Il est temps de prendre des décisions pour anticiper les problèmes. Au cours du débat sur les retraites, nous avions tous su montrer que la question de la retraite des femmes était centrale ; nous devons faire de même sur le problème du temps partiel.

Je lance donc un appel à tous ceux qui auront des responsabilités en 2012 pour que des engagements portant sur l’encadrement du temps partiel soient pris. Tout doit pouvoir être mis sur la table et discuté car, à travers cette question, c’est la place des femmes dans la société qui est en jeu.

M. Jean-Luc Pérat – Parmi les propositions présentées, deux me paraissent particulièrement importantes.

La première relative à une durée légale minimum de temps de travail me semble fondamentale. Cette règle sera un pilier pour une meilleure organisation du temps partiel.

La seconde porte sur la surcotisation obligatoire pour l’assurance vieillesse. C’est une garantie pour l’avenir. Je remarquerai cependant que la proposition lie cette procédure à une demande exprès du salarié. Mais encore faut-il que ce dernier soit informé de cette possibilité par l’employeur. Il me semble que l’information devrait faire l’objet d’un écrit signé par les personnes concernées. On sait que les paroles s’envolent mais que les écrits restent.

Mme Danielle Bousquet, vice présidente – Si je suis favorable à la fixation d’un nombre minimum d’heures de travail, j’attire votre attention sur le problème des aidants familiaux. Il faut distinguer la situation des employés en entreprises et celle des personnes employées par des particuliers.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. – Le rapport mentionne les exceptions qu’il conviendra d’aménager à cette règle.

Mme Edwige Antier  – La proposition portant sur la majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle me semble importante car très souvent un temps partiel au 4/5ème se transforme en un 6/5ème sans augmentation de salaire.

La proposition relative à la surcotisation est également intéressante. Il me semble cependant que le conjoint pourrait, lui aussi, cotiser en complément pour préparer la retraite de sa femme ; c’est en effet elle qui s’est occupée des enfants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. – Les femmes sont trop pénalisées par le temps partiel. Un travail fouillé et pointu est donc nécessaire de notre part pour ne plus permettre une telle exploitation.

Je mets aux voix les propositions de la Délégation.

Les propositions relatives au temps partiel sont adoptées à l’unanimité.

*

* *

Puis, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes a procédé à l’audition de M. Antoine de Gabrielli, fondateur de l’Association « Mercredi-c-papa » et de Mme Sophie Michon, membre de l’Association.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, monsieur, d’avoir accepté notre invitation. Je m’en félicite car je souhaitais que vous repreniez devant notre Délégation les propos que vous avez tenus hier à l’occasion de la convention de l’UMP sur « la place des femmes dans la société » et qui ont impressionné M. Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP. Celui-ci a jugé très pertinente votre réflexion sur le temps de travail et sur le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes.

M. Antoine de Gabrielli, fondateur de l’association « Mercredi-c-papa ». Vous me rassurez. Je n’étais pas certain d’avoir réussi à faire passer mon message…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Votre conception de la vie professionnelle n’est pas ordinaire et n’avait jamais été présentée de la sorte ; elle nous invite à engager une réflexion sur la vie professionnelle en France. . Nous allons devoir nous montrer inventifs si nous voulons avancer sur ces questions. Cela suppose en particulier de réfléchir à la responsabilité des pères, au sein de leur famille et dans le monde du travail : le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise est un concept totalement nouveau, riche d’enseignements en matière d’organisation du temps de travail – je cite souvent le cas de ce DRH, formé en Amérique, qui réunit l’équipe de direction non plus à la fin de la journée mais le matin, ce qui fait qu’à 18 heures tout le monde a quitté l’entreprise et ce qui évite que d’aucuns prétextent d’une réunion pour rentrer tardivement chez soi…

M. Antoine de Gabrielli. L’association « Mercredi-c-papa » s’est donné pour mission de réfléchir à ce qui bloque l’accès des femmes aux postes à responsabilités dans les entreprises les plus avancées. Quelques grands groupes, avec lesquels nous travaillons, ont fait des efforts, notamment en mettant en place des groupes de partage ou des réseaux de femmes et en éliminant les obstacles habituels à la promotion des femmes.

Une frontière importante subsiste néanmoins entre les femmes et les hommes, en raison du phénomène de présentéisme. Cela dit, la cause de la mixité ne peut progresser durablement si nous maintenons une approche accusatoire et culpabilisatrice des hommes : les hommes doivent en devenir partie prenante, en particulier dans l’entreprise où ils occupent la majorité des postes à responsabilité.

Nous devons les impliquer de manière positive, c’est le travail de notre association : le jour où nous parviendrons à motiver les hommes sur les questions de mixité, l’accès des femmes aux postes à responsabilité fera un bond en avant. Les femmes assurant encore 80 % des tâches domestiques, il leur est difficile d’accepter des postes qui exigent qu’elles terminent leur journée à 22 heures ; il faut changer cela.

Il existe différentes façons de le faire. On peut en effet agir sur les horaires de travail, en permettant que l’on quitte l’entreprise plus tôt, comme dans un certain nombre de pays anglo-saxons, et en évitant de programmer des réunions après 18 heures. Cela est assez simple.

Reste une question plus politique et plus complexe : en France, une personne travaille beaucoup ou ne travaille pas du tout. Nous compensons nos cinq semaines de congés payés et nos réductions du temps de travail (RTT) par des journées de travail très lourdes. Le nombre d’heures de travail est à peu près le même que dans les pays anglo-saxons, mais les journées y sont moins chargées – en revanche ils ont beaucoup moins de jours de congé. Certes, il serait difficile de revenir en France à quinze jours de congés payés…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous voulez provoquer une révolution…

M. Antoine de Gabrielli. En revanche, nous pouvons remettre en question notre vision monolithique du travail. Dans notre système, chacun a cinq semaines de congé et doit travailler un certain nombre d’heures. Pourquoi ne pas laisser le choix, par exemple de ne prendre que quinze jours de vacances en échange de quelques heures de travail en moins chaque jour ? Cela n’a rien d’impossible. Mobiliser l’intelligence et l’énergie de chacun est désormais un défi pour les entreprises. Faire en sorte que chaque collaborateur puisse donner le meilleur de lui-même est devenu la base même du management : il faut pour cela, en négociation avec l’entreprise, laisser les salariés libres d’organiser leur temps et leur mode de travail en fonction de leur manière de fonctionner.

Imposer une organisation du temps de travail unique aux parents de trois enfants de moins de cinq ans, aux célibataires, aux fanatiques du travail et à ceux qui ont une vie sociale très riche n’a guère de sens. En la matière, seule la diversité nous permettra d’avancer.

Il serait difficile d’appliquer de manière globale la réduction des congés payés ou la suppression des RTT, mais nous pouvons réfléchir à un système plus simple. Dans les pays scandinaves, les entreprises offrent à leurs salariés la possibilité de travailler à distance deux jours par semaine. Le travail à la maison, le télétravail, le travail nomade ne sont pas des notions tout à fait identiques mais on voit bien que l’on peut travailler chez soi plus efficacement qu’au bureau. En France, certaines entreprises ont passé des accords en ce sens. Le groupe Renault accorde depuis peu une journée de travail à distance à ses collaborateurs, et cela fonctionne très bien : tout le monde peut avoir envie de travailler à son domicile plutôt que dans un open space.

Ce modèle, mis en œuvre dans un certain nombre de pays, ne s’oppose pas à la logique de l’entreprise, mais il peut s’opposer à la logique culturelle des entreprises extrêmement hiérarchisées, ce qui n’est pas le cas des entreprises plus modernes, où l’on travaille dans un esprit de confiance.

Ces deux jours de travail à distance peuvent se suivre, être séparés, ou être répartis en quatre demi-journées. Cette souplesse fait disparaître le problème du présentéisme et permet aux femmes et aux hommes d’organiser leur temps à leur convenance : ils peuvent assister à des réunions à l’école, récupérer leur enfant malade à l’école, travailler en attendant le médecin. Certes, cette organisation, décidée en accord avec l’entreprise, n’est pas possible à tous les postes et dans tous les métiers : elle est plus difficile à mettre en œuvre dans l’industrie que dans les services et pour les postes à faible responsabilité. Mais c’est possible : ainsi, le groupe Auchan a institué des pôles de caisses pour permettre aux caissières de mieux organiser leur temps de travail. Si nous parvenons à l’instaurer, cette souplesse révolutionnera le monde du travail et fera sauter l’obstacle du présentéisme. Que des cadres ambitieux souhaitent assumer des responsabilités dans l’entreprise sans lui consacrer tout leur temps entrera dans notre culture.

Ce modèle d’organisation peut paraître très innovant, mais il correspond à la façon de vivre des étudiants. Il est d’ailleurs plébiscité par les jeunes dans plusieurs sondages récents. Selon le premier, réalisé par le cabinet Deloitte auprès de 400 étudiants de niveau bac + 5, 96 % des étudiants sont favorables à ce que le travail soit organisé de façon souple entre le domicile et le bureau, 85 % souhaitent des horaires flexibles, 84 % espèrent avoir un accès aux outils technologiques de l’entreprise 24 heures sur 24, 65 % plébiscitent le travail nomade c’est-à-dire qu’ils ne jugent pas indispensable pour travailler d’être en permanence dans son bureau  : ils ne veulent plus passer neuf heures dans un bureau et être évalués sur leur temps de présence ; ils veulent qu’on fasse confiance à leur capacité de s’organiser pour répondre aux objectifs qu’on leur assigne.

Ce modèle correspond à une vision adulte du travail. L’entreprise de formation que je dirige compte vingt personnes. Aucun d’entre nous n’a de bureau. Nous ne sommes pas évalués sur notre présence mais sur le travail que nous accomplissons avec nos clients.

Mme Edwige Antier. C’est de cette façon que travaillent les avocates et les journalistes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et les députées !

M. Antoine de Gabrielli.  Nous avons tous vécu de cette façon. Il n’y a rien là de révolutionnaire. La maîtrise du temps de travail offre une vie plus épanouissante. Les collaborateurs ne veulent plus être des gamins sous surveillance !

Mme Edwige Antier. Le télétravail, dans la mesure où il réduit le temps de transport, permet d’économiser de l’énergie. Ce qui libère le temps de travail, c’est l’utilisation d’internet !

M. Antoine de Gabrielli. Vous avez raison. Rien ne s’oppose aujourd’hui à l’évolution du temps de travail.

Le deuxième sondage, réalisé par le cabinet Universum auprès de 300 000 étudiants, montre que la majorité d’entre eux considère que l’objectif principal d’une carrière est d’apporter un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Ce sondage indique également qu’aux États-Unis, 62 % des entreprises proposent le travail nomade.

Enfin, une étude réalisée par Skype sur un millier de personnes – 50 % de dirigeants et 50 % de collaborateurs – montre que 82 % d’entre eux souhaitent que le choix du lieu de travail par les salariés devienne la norme.

Mme Edwige Antier. Sur le site auféminin.com, un grand nombre de femmes ont plébiscité la flexibilité du temps de travail.

M. Antoine de Gabrielli. Flexibilité qui leur est refusée comme elle l’est aux hommes. Actuellement l’évaluation des collaborateurs de l’entreprise ne repose que sur leur présence : il faut être là ! Un cadre, s’il est un peu ambitieux, ne peut partir avant 22 heures... Depuis dix ans, une fois par mois, je réunis dans un café, autour du thème « réussir sa vie », une cinquantaine d’hommes qui discutent de leur vie professionnelle, familiale et personnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Accepteriez-vous que nous assistions à l’une de ces réunions ?

M. Antoine de Gabrielli. Naturellement.

Ces réunions m’ont appris que les hommes subissent le présentéisme. Un homme n’est pas génétiquement heureux de rester au bureau jusqu’à 23 heures ; s’il le fait, c’est pour obéir aux stéréotypes masculins de la réussite.

Mme Edwige Antier. J’appelle cela l’heure des machos, car c’est après 20 heures que sont décidées les promotions pour participer au conseil d’administration, pendant que les femmes font réviser la grammaire à leurs enfants !

M. Antoine de Gabrielli. Nous connaissons les stéréotypes des hommes sur les femmes, nous commençons à mieux connaître les stéréotypes des femmes sur les femmes ; nous connaissons moins bien les stéréotypes des hommes sur les hommes, mais il est clair qu’ils subissent les stéréotypes masculins liés à la performance. Quand on leur offre la possibilité d’en parler sans être jugés, ils expriment une grande souffrance.

Mme Edwige Antier. Certains hommes ne connaissent pas leurs enfants !

M. Antoine de Gabrielli. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que les hommes estiment que leur femme attend d’eux qu’ils rentrent à 22 heures car c’est un gage de leur succès. Ils n’évoquent pas cette pression avec leur femme, ce qui engendre du stress et de graves difficultés personnelles. Ce n’est pas un hasard si les suicides chez Renault ou France Télécom sont massivement le fait des hommes.

J’ai la conviction que les hommes verraient avec enthousiasme la fin du verrou du présentéisme et que, si on le leur proposait, ils choisiraient massivement d’organiser librement quatre demi-journées de travail. Chez Renault, entreprise de culture machiste, à la suite d’un accord d’entreprise portant sur une journée par semaine les hommes sont aussi nombreux que les femmes à avoir fait ce choix. C’est un énorme succès !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut que toutes les entreprises proposent un tel accord !

Mme Edwige Antier. Je rappelle que je suis pédiatre. Lorsque je me suis rendue en Suède, j’ai rencontré trois jeunes papas, ingénieurs chez Ericsson. Les parents bénéficient là-bas de congés de mater-paternité durant lesquels ils perçoivent 80 % de leur salaire. Les mamans choisissent de s’arrêter les six premiers mois après la naissance pour allaiter et les papas s’occupent de l’enfant au cours des six mois suivants. Par la suite, tous les enfants bénéficient d’une place gratuite dans une crèche jusqu’à l’âge de sept ans. La crèche est accessible 35 heures par semaine pour les mamans qui travaillent, mais également 15 heures pour celles qui ne travaillent pas – on sait à quel point il est difficile de s’occuper de très jeunes enfants. Ces trois jeunes papas, qui se sont rendus à notre entretien avec leurs enfants, se sont dit satisfaits d’avoir bénéficié de six mois de congé, reconnaissant que cela les avaient humanisés. Mais ils ont ajouté que leurs femmes avaient plus de chance qu’eux car il est plus facile de s’occuper d’un bébé que d’un enfant de plus de six mois et qu’elles ne se rendaient pas compte de leur fatigue lorsqu’elles rentraient à la maison !

Tous les hommes que je rencontre me l’avouent : s’ils rentrent tard, c’est pour échapper au bain et aux caprices. Car les enfants sont incontestablement la plus belle aventure de la vie, mais ils exigent une énergie extraordinaire. Une mère au foyer est dix fois plus fatiguée qu’une femme députée ou médecin. Cet effort constitue peut-être une barrière pour les hommes.

M. Antoine de Gabrielli. C’est en effet une barrière, pour les hommes comme pour les femmes. Il se trouve que je suis moi-même père de six enfants. Lorsqu’ils étaient petits, ma femme travaillait aussi : nous avons souvent reconnu qu’il était plus tranquille de rester au bureau que de rentrer à la maison…

Mme Edwige Antier. Si l’homme ne se rend pas compte de ce que vit sa femme, c’est le couple qui est en danger. Je suis d’accord avec vous, mais veillons à valoriser le temps passé avec l’enfant car c’est un temps précieux, tant pour l’enfant que pour la mère.

M. Antoine de Gabrielli. Une personne qui travaillera quatre demi-journées à domicile sera amenée à s’occuper des enfants, ce qui entraînera un redécoupage des tâches au sein du couple. Mais avant que les hommes effectuent la moitié des tâches ménagères, il faudra peut-être attendre vingt ans…

Le partage de la parentalité est important pour les familles mais également pour la vie sociale. Les hommes sont monomaniaques : ils travaillent tellement qu’ils n’ont de temps à consacrer ni à leur famille ni à autre chose. Ce n’est pas un hasard s’il n’y a sur les bancs de l’Assemblée nationale quasiment aucun homme – et aucune femme – ayant des responsabilités dans une entreprise. S’ils disposaient de quatre demi-journées, les hommes pourraient avoir un engagement social et politique. Il faut y réfléchir avec les organisations syndicales et rechercher une façon de limiter les horaires, car avec les outils numériques certains iraient jusqu’à travailler jour et nuit.

Nous avons beaucoup réfléchi au sein de notre association au congé paternité, essayant de trouver une solution gagnant-gagnant. En y incluant les congés pathologiques, le congé parental – Brigitte Grésy parle de « délit de maternité » –, dure en moyenne six mois. Or il est extrêmement difficile pour une entreprise de gérer l’absence d’une personne pendant ce temps. Jean-François Copé nous a invités à ne pas stigmatiser les patrons qui font la tête lorsqu’ils apprennent qu’une femme est enceinte  : mais leur absence pose un grave problème, surtout dans les petites entreprises. Or, les TPE de moins de vingt personnes représentent 97 % des entreprises en France et plus de 4 millions de salariés. Le congé paternité est une idée intéressante, mais je préfèrerais que les pères aient le choix entre un mois à temps plein, deux mois à mi-temps, ou encore quatre mois à quart-temps.

Mme Edwige Antier. Un congé à la carte est une idée intéressante, étant entendu que les trois premiers mois doivent être accordés à la mère, dans l’intérêt du bébé.

M. Antoine de Gabrielli. Dans une entreprise, l’absence d’une personne pendant plusieurs semaines est très complexe à gérer. Permettre à cette personne de travailler deux heures par jour faciliterait les choses et éviterait cette rupture dont les femmes sont souvent victimes. Par ailleurs, la réduction du congé parental de trois à un an, faciliterait la reprise de la vie professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Plutôt que de le réduire, nous avons proposé de le fractionner. Anne-Marie Comparini et moi-même avions déposé un amendement en ce sens dès 2006 : le congé parental n’était alors guère de mode, le congé de paternité apparaissait comme une aberration et Mme Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, avait ainsi trouvé notre proposition totalement irréaliste…

Il est vrai que le congé parental de trois ans coupe la mère de sa vie professionnelle ; son fractionnement permet aux parents d’utiliser leur congé plus tard, par exemple lorsque leurs enfants sont adolescents. L’idéal serait que les personnes disposent d’un capital temps, qui pourrait être fractionné, sur le modèle du droit individuel à la formation. Lorsque j’ai évoqué le congé parental fractionné, Jean-François Copé s’est d’abord montré dubitatif, mais après réflexion il a admis que ce n’était pas une mauvaise idée et je me félicite, que nous l’ayons reprise lors de la convention. Nous devons aller vers plus de souplesse, c’est d’ailleurs ce qu’attend la jeune génération.

Mme Edwige Antier. Lorsqu’elles ont un certain niveau d’études, l’utilisation d’internet permet aux femmes qui prennent un congé parental de rester en contact avec le monde et de retrouver plus rapidement une activité par la suite.

M. Antoine de Gabrielli. Pour encourager l’accès des femmes aux postes à responsabilités, qui est un véritable enjeu, il faut leur permettre de rester en contact avec l’entreprise.

Il faut non seulement, comme vous le proposez, offrir aux salariés la possibilité de fractionner le congé, mais aussi leur laisser le choix de travailler un mois à mi-temps ou à tiers-temps. Il faut en finir avec le « tout ou rien ». Nous constatons aujourd’hui que les femmes cadres en congé de maternité travaillent chez elles quelques heures par jour.

Mme Edwige Antier. En effet ! Les femmes qui s’arrêtent quelque temps, que ce soit pour un congé parental, par convenance personnelle ou parce qu’elles ont été licenciées ne se considèrent pas comme des femmes au foyer mais plutôt comme professionnellement « entre parenthèses ».

M. Antoine de Gabrielli. Elles travaillent chez elles en toute illégalité, ce qui inquiète les entreprises dont elles sont salariés. Il est donc indispensable d’acter ce phénomène et de proposer des congés fractionnables.

Mme Edwige Antier. Cela suppose que l’entreprise s’adapte, ainsi que les modes de garde.

M. Antoine de Gabrielli. Nous devons être attentifs aux difficultés des petits patrons : ils seraient beaucoup moins contrariés si les personnes en congé pouvaient travailler un peu, ne serait-ce que deux heures par jour.

Beaucoup de femmes souhaitent « rester tranquilles » pendant un an, mais pas forcément pour se consacrer uniquement à leurs enfants. Elles préféreraient peut-être prendre un an à mi-temps, à tiers-temps, ou à deux tiers de temps. Il faut leur en laisser le choix. Le patron d’une petite entreprise sera ravi d’accorder une prime à une femme qui produit deux heures de travail par jour. Certes, un tel dispositif n’est pas simple, il exige de bâtir un cadre juridique, en accord avec les organisations syndicales, mais c’est l’intérêt des patrons, des salariés et de la société tout entière car c’est de la sorte qu’on évitera que trop de femmes ne quittent leur entreprise.

Mme Sophie Michon, membre de l’association « Mercredi-c-papa ». Donner cette liberté aux femmes témoignerait d’une relation transparente de confiance entre elles et l’entreprise et supprimerait la peur qu’elles ressentent lorsqu’elles doivent annoncer qu’elles sont enceintes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Votre objectif est donc d’améliorer le climat dans l’entreprise.

M. Antoine de Gabrielli. Absolument, dans l’intérêt des femmes et les hommes ! Leur offrir quelques heures pour s’occuper d’eux traduirait une véritable égalité de traitement sans qu’il soit nécessaire de tenir un discours égalitaire.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cela encouragerait également le dialogue, si souvent absent dans l’entreprise.

M. Antoine de Gabrielli. Si certains patrons de PME tiennent un discours caricatural sur l’embauche des femmes, c’est qu’ils ont été confrontés à des problèmes insolubles. Il faut que nous les entendions et que nous apportions des solutions : il suffit de supprimer certaines rigidités.

Mme Edwige Antier. Pourquoi avoir choisi d’insister sur le « mercredi » dans le nom de votre association ?

M. Antoine de Gabrielli. Nous avions d’abord choisi de l’appeler « Papa est en haut » mais, cela prêtait à certaines interprétations ; nous avons donc choisi « Mercredi-c-papa », même si nous ne nous contentons pas de militer pour que les papas ne travaillent pas le mercredi.

Mme Edwige Antier. Si notre jeunesse est malade, c’est que nos enfants ne sont pas, comme on pourrait le croire, des enfants rois mais des enfants bousculés en permanence, qui vivent trop en collectivité et ne passent pas assez de temps avec leurs parents. Nous en sommes réduits à renforcer ensuite les sanctions dans les établissements scolaires et la justice des mineurs, alors que c’est nous qui les avons bousculés lorsqu’ils étaient petits. Quant à l’école, c’est une vraie machine à détruire. Si ensuite ils passent leur temps devant la télévision et les jeux vidéo, on comprend pourquoi ils vont si mal. En tant que pédiatre, je répète sans cesse que les enfants ont besoin de leurs parents, mais on me reproche de vouloir ramener les mères à la maison…

M. Antoine de Gabrielli. Ma mère était pédiatre, je me souviens du mal qu’elle se donnait pour consacrer du temps à ses enfants. Mon père était aussi médecin, nous les voyions tous deux à des horaires décalés, mais nous les voyions !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce que nous faisons subir à nos enfants est parfois d’une telle violence…

Mme Edwige Antier. Et on s’étonne ensuite que les jeunes soient « déglingués » !

Mme Sophie Michon. J’ajoute que lorsque les hommes et les femmes ne font rien en commun pour les enfants, ils ne peuvent pas en parler ensemble, ce qui nuit beaucoup au couple.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie pour votre action en faveur de la parité.

La séance est levée à 18 heures.