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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 8 novembre 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 7

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Présentation des conclusions du rapport d’information sur le genre et la dépendance (Mme Marianne Dubois, rapporteure)

– Audition de Mme Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pasteur

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’examen des conclusions du rapport d’information sur le genre et la dépendance (Mme Marianne Dubois, rapporteure).

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq

Mme Marianne Dubois.  L’espérance de vie des Français est passée, en 2009, à 84,5 ans pour les femmes et à 77,8 ans pour les hommes. Préoccupé par l’accroissement du nombre de personnes très âgées en situation de perte d’autonomie, le Gouvernement a lancé en février 2011 une réflexion nationale sur ce thème de la dépendance.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a estimé que la future réforme de la dépendance ne saurait se faire sans une réflexion sur le rôle considérable des femmes dans les situations de vieillissement et de perte d’autonomie.

Je tiens à remercier Madame la présidente, Marie-Jo Zimmermann, qui m’a confié cette réflexion sur une réalité qui, bien que très présente, a rarement été mise en relief.

Les travaux que j’ai menés ont été éclairés par dix-huit auditions aux cours desquelles j’ai tenu à rencontrer des acteurs de terrain, des professionnels et des bénévoles – souvent anonymes.

Deux déplacements ont été effectués dans le Loiret ; l’un pour visiter un établissement d’accueil de jour pour personnes désorientées et atteintes de la maladie d’Alzheimer ; l’autre dans une maison d’accueil rurale pour personnes âgées (Marpa).

Une phrase du rapport en résume le contenu : « Le temps de la vieillesse est le reflet d’une vie entière, d’une condition physique, d’une histoire familiale, d’une activité professionnelle, d’un milieu social, d’un ancrage local, de croyances religieuses, d’une génération et d’un genre. »

La difficulté vient du fait que ce sont les femmes qui subissent la dépendance mais que ce sont elles aussi qui prennent en charge la dépendance de leurs proches.

Les femmes âgées peinent à financer leur perte d’autonomie. Les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, que notre Délégation ne cesse de dénoncer, ont en effet pour conséquence que les femmes gagnent moins bien leur vie que les hommes ; cela se traduit par une inégalité des niveaux de pension qui creuse encore les écarts au moment de la retraite. Cette pauvreté, due notamment aux restes à charge trop élevés des frais qu’entraîne la dépendance d’une personne, est statistiquement démontrée et constitue, pour les femmes âgées, un facteur d’isolement.

Rester le plus longtemps possible à son domicile est le souhait le plus fréquemment exprimé par l’opinion publique lorsqu’elle est interrogée sur la façon dont elle envisage de vivre les années du grand âge. Une personne âgée préfère demeurer dans son environnement où le coût du reste à charge est d’ailleurs moins élevé.

Or le maintien à domicile repose sur les épaules des femmes, qu’il s’agisse d’aidantes familiales, souvent contraintes de remplir ce rôle, de professionnelles de l’aide aux personnes ou de bénévoles.

Selon la gravité de l’état de dépendance du proche, les aidants familiaux, qui sont majoritairement des aidantes, ont une charge de travail qui peut se révéler difficile à supporter ; d’autant que si les hommes aidants demandent volontiers de l’aide, surtout pour procéder aux soins du corps, les femmes ont tendance à éprouver un sentiment de culpabilité si elles ne vont pas jusqu’au bout de leur engagement.

Il n’est pas rare de voir des aidants s’épuiser à la tâche, tomber malade et disparaître avant le membre de la famille aidé. L’accompagnement d’un ascendant peut même conduire des couples à se séparer quand l’un ne supporte plus l’implication et les absences de l’autre ; et les femmes sont le plus souvent contraintes à un véritable numéro d’équilibriste entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.

Or on estime que le nombre d’aidants familiaux diminuera fortement d’ici à 2040 du fait des évolutions de notre société : mobilité et éloignement géographique des enfants, nouvelles situations de conjugalité, recompositions familiales, préoccupation grandissante des femmes seniors pour leurs petits enfants. De nombreux emplois à domicile devront donc être créés.

Aujourd’hui, les services d’aide à domicile se caractérisent par un taux très élevé d’emplois féminins et par des conditions de travail difficiles ; ce sont généralement des personnes appartenant à des milieux aisés qui y ont recours.

Conscient des enjeux économiques et sociaux que représentent ces services, le Gouvernement accompagne les partenaires sociaux et les professionnels du secteur dans leur démarche actuelle de revalorisation de leur activité.

Une convention collective de branche des services à la personne est en cours de négociation. Elle a pour objectif de rendre moins précaires les conditions de travail des salariés de ce secteur. Diverses mesures y sont discutées : mise en place d’une complémentaire santé ; meilleure prise en compte de l’ancienneté ; augmentation de la rémunération des heures en soirée ou le week-end ; prise en compte des temps de concertation dans le temps de travail effectif.

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie participe au développement de formations et aux validations des acquis de l’expérience. Il s’ensuit un véritable relèvement du niveau de qualification.

Notre collègue, M. Laurent Hénart, président de l’Agence nationale des services à la personne, considère qu’il sera à terme inévitable de « faire tomber les barrières entre le sanitaire et le social » afin de donner aux femmes la possibilité de suivre des parcours de formation.

Enfin, le travail des associations dans le domaine social et humanitaire paraît incontournable, en particulier dans les services gériatriques et ceux dédiés à la fin de vie. Les bénévoles qui donnent de leur temps auprès des personnes âgées en très grande dépendance sont, là aussi, des femmes. Non que les hommes ne fassent pas de bénévolat mais ils préfèrent sont plus enclins à, par exemple, se rendre au chevet de grands malades ; la dépendance n’est pas de leur domaine.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la cohésion sociale, a déclaré que la réforme de la dépendance se poursuivrait, même si les mesures financières les plus lourdes ont été reportées. En tout état de cause, la Délégation se montrera très attentive aux mesures qui seront proposées ou adoptées : elle veillera à ne pas faire peser l’entière responsabilité des situations de dépendance sur les seules familles, sans pour autant que la solidarité nationale se substitue entièrement à la nécessaire solidarité familiale.

J’en viens maintenant aux recommandations que pourrait formuler par notre Délégation.

La première porte sur l’organisation de grandes campagnes de sensibilisation auprès de nos concitoyens afin de les informer, de les mettre en garde sur les coûts des pertes d’autonomie et de changer le regard porté par la société sur la vieillesse.

La deuxième serait de partager, en cas de divorce, les droits à la retraite du conjoint qui n’a pas interrompu sa carrière pour élever les enfants du couple avec la mère ou le père de famille qui, pour s’occuper desdits enfants, n’a pas exercé ou a cessé d’exercer pendant la durée du mariage une activité professionnelle.

En troisième lieu, il conviendrait de mieux diffuser l’information en direction des personnes âgées et des familles en multipliant et en diversifiant davantage l’utilisation des nouvelles technologies, et en généralisant les expériences de guichet unique d’information afin de regrouper les différentes structures intervenant auprès des malades ou de leurs familles en un même endroit – ce qui faciliterait leurs démarches.

La quatrième préconisation souligne la nécessité de prévenir les états de dépendance des femmes par une proposition systématique faite aux seniors cessant leur activité professionnelle d’effectuer gratuitement un bilan de santé ; par le développement des centres multidisciplinaires de consultation en gérontologie ; par la prise en charge systématique par un gérontologue des personnes âgées admises dans les services d’urgence ; par l’organisation d’un dépistage gratuit de l'ostéoporose chez les femmes ménopausées ; et par une formation initiale et continue des médecins généralistes plus importante sur la maladie d’Alzheimer et sur les maladies apparentées.

La cinquième recommandation encourage l’autonomie et le maintien à domicile des personnes âgées par la mise en place d’aides à la vie quotidienne dans leur logement, le maintien de la vie sociale et des liens intergénérationnels, un renforcement de la professionnalisation et de l’organisation du secteur des emplois à domicile dont les intervenants, qui travaillent le plus souvent à temps partiel doivent obtenir un statut plus protecteur au sein d’une indispensable réforme de ce mode d’organisation du travail.

La sixième recommandation concerne le nécessaire soutien à apporter aux aidants familiaux. À cette fin, il est proposé de leur offrir davantage de possibilités de répit et de favoriser, sur le plan successoral, celui des membres d’une fratrie ou d’une parentèle qui rapporterait la preuve qu’il a supporté la charge d’une personne âgée au-delà des exigences résultant d’un devoir filial ou familial.

La septième préconisation consisterait à aménager les congés familiaux existants (congé de solidarité familiale, congé de soutien familial, congé parental) en faveur des aidants familiaux et à créer un compte épargne temps familial cofinancé par les employeurs et les salariés pouvant être utilisé tout au long de la vie professionnelle afin de couvrir des absences liées à des impératifs familiaux.

Enfin, la huitième recommandation porte sur la nécessité de retarder l’entrée en structure d’accueil, quand le maintien à domicile n’est plus possible, en encourageant et en généralisant les différentes solutions existantes d’hébergement alternatives à l’aide à domicile : accueil familial, maison d’accueil rurale pour personnes âgées (MARPA), logement intergénérationnel ou maisons d’accueil.

Toutes ces propositions ne prétendent pas répondre à elles seules aux multiples enjeux de société que pose la prise en charge de la dépendance. Elles dressent un constat et on peut au moins espérer qu’elles aideront à une prise de conscience collective.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faudra absolument faire connaître le contenu de ce rapport, en organisant par exemple une conférence de presse. Car les propositions qui y sont formulées sont le résultat d’un travail de recherche considérable et pourraient servir de base à une éventuelle future loi. Elles sont expliquées sans langue de bois – dire les choses telles qu’elle sont, n’est-ce pas d’ailleurs le propre de notre Délégation ? – et toutes sont pertinentes.

La recommandation qui porte sur les successions me semble en particulier révolutionnaire ! Mais toute vérité est bonne à dire… Je suggère donc qu’on prenne contact avec les médias et qu’on communique le rapport au Gouvernement.

Mme Marianne Dubois.  Je compte aussi en parler à l’occasion de l’intervention que je ferai, après demain dans l’hémicycle, lors de l’examen des crédits « Solidarité » du projet de loi de finances pour 2012.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faudra bien préciser que ces recommandations sont faites au nom de notre Délégation.

Mme Marianne Dubois. J’avoue que l’ampleur des problèmes soulevés par ce rapport peut décourager.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous avez su traduire la réalité existante avec beaucoup plus d’exactitude que tout ce que j’ai pu lire sur ce sujet. Et ce rapport mériterait d’être transmis à tous les candidats à la prochaine élection présidentielle pour leur demander ce qu’ils comptent faire face à une telle situation.

À la différence du rapport d’information de Mme Valérie Rosso-Debord sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes – dont le contenu était davantage orienté sur les problèmes de financement de la dépendance – votre étude, Madame Dubois, dit les choses telles qu’elles sont.

Mme Catherine Coutelle. Les recommandations que formule ce rapport sont concrètes et proches du terrain. C’est pourquoi elles sont très intéressantes et méritent d’être creusées. La mise en œuvre de certaines d’entre elles n’aurait certainement pas un coût financier élevé ; mais il faut reconnaître que face à l’ampleur de l’enjeu financier que représente la dépendance, les choses n’avancent pas.

Si le rapport de Mme Valérie Rosso-Debord n’a pas connu de suite, la raison en est que le Gouvernement n’a pas voulu s’engager sur la voie qu’elle proposait d’un recours obligatoire à l’assurance privée pour garantir l’aléa de la dépendance.

Tous les professionnels regrettent que les promesses relatives à la dépendance, qui faisaient pourtant partie du programme du Président de la République, n’aient pas été tenues alors que la situation est encore pire aujourd’hui qu’il y a cinq ans.

Concernant la proposition relative aux successions, il ne faudrait pas qu’elle aboutisse à ce que les membres d’une fratrie se disputent la garde de la personne âgée dans le but d’être favorisés au moment du partage de l’héritage.

La recommandation relative au congé familial n’est pas sans faire penser à la proposition de loi de M. Jean Leonetti instituant une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie. J’avais alors défendu l’idée d’instituer un capital temps que les salariés se constitueraient au long de leur carrière ; un tel dispositif donnerait également plus de disponibilité pour s’occuper d’une personne âgée.

En tout état de cause, c’est la montagne du financement qui reste à franchir. Le reste à charge pour les enfants dépasse souvent leurs moyens financiers, ce qui peut conduire à des situations dramatiques, notamment dans le cas des familles à enfant unique – d’autant que certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ne bénéficient pas d’aide du département. On sait aussi que les associations d’aide à domicile sont en grande difficulté car les prix de revient de leurs prestations sont supérieurs aux sommes qu’elles reçoivent ; il en résulte une baisse du nombre des heures effectuées.

Mme Pascale Crozon. Une meilleure diffusion de l’information en direction des personnes âgées et des familles – qui fait l’objet du troisième volet de recommandations – me paraît indispensable : il faut globaliser la problématique et fournir à tous les informations nécessaires.

Le partage des points de retraite en cas de divorce reprend une proposition que notre Délégation avait faite à l’occasion de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites. Un dispositif équivalent existe en Allemagne et en Angleterre. Il évite aussi d’avoir à attendre le décès de l’ex-conjoint pour percevoir une pension de réversion.

Concernant le soutien à apporter aux aidants familiaux, j’avais interpellé la ministre sur le problème du financement des maisons de répit. Une structure de ce type a été ouverte à Villeurbanne : elle assure d’une part l’information des personnes concernées et de l’autre propose une structure d’accueil de la personne dépendante qui permet d’alléger la charge de l’aidant pendant deux ou trois jours.

Concernant l’accueil en famille, abordé dans la huitième série de recommandations, des garde-fous seraient à prévoir afin de prévenir la création de situations de conflit d’intérêts entre les accueillants et la personne âgée.

Mme Marianne Dubois. Si je mentionne peu de chiffres dans mon rapport, j’évoque cependant la question des économies que pourrait permettre un dépistage de l’ostéoporose. Un simple examen de densitométrie osseuse coûtant 40 euros, il doit être comparé au coût, par exemple, d’une fracture du col du fémur qui peut être estimé à 16 000 euros !

À la différence de ce que propose Mme Valérie Rosso-Debord dans son rapport, je préconise un dépistage de l’ostéoporose qui interviendrait suffisamment tôt ; on sait en effet que jusqu’à l’âge de 55 ans il est encore possible d’améliorer sa condition physique.

Un autre chiffre est particulièrement édifiant: on constate une surmortalité de plus de 60 % des aidants dans les trois années qui suivent le début de la maladie de leur proche.

Mme Catherine Coutelle. Le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes mais que leur espérance de vie en bonne santé diminue avec l’âge plus rapidement qu’eux, me paraît aussi être une donnée à retenir.

La nécessité de retarder l’entrée en structure d’accueil médicalisée me semble très importante. Il faut trouver des formules moins chères que les EHPAD qui ne devraient être que des solutions de placement de dernier recours. Il est par exemple dommage qu’il devienne si difficile de disposer de lits en foyer-logement, formule pourtant moins onéreuse.

Avec davantage d’imagination et de souplesse on pourrait concevoir des dispositifs conciliant l’autonomie et l’entraide. Des systèmes de colocation dans lesquels les personnes mettent en commun l’allocation adulte handicapé rendent possible l’emploi d’un aidant à domicile. En Belgique, par exemple, le système de béguinage est un mode d’habitat groupé qui permet à chaque personne de conserver une maison individuelle.

Pourquoi, dans les territoires qui se dépeuplent, lorsque des personnes âgées ne sont plus en mesure de demeurer dans leur domicile isolé à la campagne, les petites communes n’achètent-elles pas des maisons pour permettre aux personnes devenues dépendantes de vivre en colocation dans le centre bourg ?

Mme Marianne Dubois. Des maisons d’accueil existent déjà ; elles reçoivent trois ou quatre personnes qui logent au rez-de-chaussée, l’aide familiale vivant à l’étage.

Mme Pascale Crozon. De telles structures existent aussi pour les jeunes en situation de rupture avec leur famille.

Mme Marianne Dubois. Je reconnais que le rapport n’insiste probablement pas assez sur les disparités qui existent sur ce sujet entre le monde rural et les villes. Il y a peu d’aide inter-générationnelle à la campagne.

Mme Catherine Coutelle. À Dijon et à Angers, des initiatives ont été prises pour encourager les liens inter-générationnels dans certains quartiers.

Les procédures de tutelle et de curatelle me semblent poser aussi un grave problème.

Mme Marianne Dubois. Le rapport ne soulève pas cette question ; le problème mériterait de faire l’objet d’une étude à part entière.

Pour conclure, je suggère de donner au rapport le titre suivant : Femmes et dépendance : la double peine.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je mets aux voix le rapport ainsi intitulé.

Le rapport est adopté.

Puis la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pasteur.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous poursuivons notre cycle d’auditions sur la notion de genre. Je vous remercie, Madame, d’avoir accepté notre invitation et vous invite à nous faire part de vos réflexions sur le fonctionnement du cerveau.

L’audition s’achève à dix-neuf heures quinze.