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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 29 novembre 2011

Séance de 16 heures 20

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition du colonel Jean-Claude Goyeau, sous-directeur de la politique des ressources humaines de la gendarmerie nationale, et de la lieutenante Sylvie Clément, chargée du bureau Analyse et anticipation et chargée des questions de féminisation

Mme Marie-Christine Raoult, responsable de l’Observatoire social de la RATP 7

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition du colonel Jean-Claude Goyeau, sous-directeur de la politique des ressources humaines de la gendarmerie nationale, et de la lieutenante Sylvie Clément, chargée du bureau Analyse et anticipation et chargée des questions de féminisation.

L’audition commence à seize heures vingt.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions, lieutenante, colonel, d’avoir accepté de nous rencontrer dans le cadre des travaux que nous menons sur la féminisation de certains métiers.

M. le colonel Jean-Claude Goyeau, sous-directeur de la politique des ressources humaines de la gendarmerie nationale. L’intégration des femmes dans la gendarmerie est un phénomène récent dont je vais rappeler les grandes étapes avant de faire le point de la situation sur les plans statistique et sociologique. J’aborderai ensuite la problématique spécifique des femmes dans l’encadrement supérieur.

Les premières femmes sont entrées dans la gendarmerie en 1972 sous l’appellation « Volontaires du service national féminin ». Cantonnées à des fonctions administratives, elles étaient marginales dans nos rangs. À partir de 1979, la gendarmerie a recruté et formé ses propres personnels féminins, qui sont toujours employés dans les états-majors. Elle a créé ainsi une spécialité, les EAEM – emplois administratifs et d’état-major – qui sont devenus, en 1997, les emplois administratifs et de soutien de la gendarmerie. En 1983, les carrières d’officier et de sous-officier de gendarmerie se sont ouvertes aux femmes qui sont ainsi entrées dans la sphère opérationnelle, dans une limite de 5 % des recrutements annuels, limite qui passera à 5,5 % en 1985, à 6 % en 1986 et à 7,5 % en 1994. En 1987, l’École des officiers de la gendarmerie nationale de Melun a accueilli ses deux premières élèves féminines. 1998 a marqué la fin du numerus clausus pour les femmes. Et en 1999, elles ont pu intégrer la Garde républicaine et le GIGN.

Depuis la fin des quotas, la part des femmes militaires dans l’institution est passée de 2 % des effectifs globaux en 1994 à 5 % en 2000, 10 % en 2003, pour atteindre aujourd’hui 15 %, voire 16 % si l’on intègre les personnels civils. Aujourd’hui, les perspectives de carrière et d’avancement des femmes sont strictement identiques à celles de leurs homologues masculins.

S’agissant des plans statistique et sociologique, la gendarmerie a mis en place, dès le début, des outils de suivi et d’analyse pour voir comment se réalisait l’intégration des femmes et ce qu’il fallait faire pour les accompagner, le but étant de faire en sorte qu’elles puissent s’épanouir et se plaire dans l’institution. La lieutenante Sylvie Clément se consacre depuis dix ans à l’étude de ces phénomènes.

Mme la lieutenante Sylvie Clément, chargée du bureau Analyse et anticipation et chargée des questions de féminisation. Nous procédons à des suivis de cohortes, la cohorte étant une population vivant un même événement une même année. Nous interrogeons les élèves lorsqu’ils intègrent l’école, puis tous les cinq ans pendant toute leur présence dans l’institution. C’est un suivi longitudinal qui permet de voir, dix ou quinze ans plus tard, où en sont les femmes et les hommes qui ont incorporé une même année. Toutes les données que va vous communiquer le colonel sont issues de ces études. C’est un dispositif assez lourd puisque nous interrogeons environ 2 500 personnes tous les cinq ans : nous leur adressons le même questionnaire informatique pour voir comment évoluent leurs aspirations professionnelles et personnelles. Nous avons trois cohortes en cours : 1994, 1999 et 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est en fait un rapport de situation comparée !

Mme la lieutenante Sylvie Clément. La cohorte est le seul moyen dont nous disposons pour analyser objectivement l’évolution de femmes et d’hommes entrés dans les mêmes conditions la même année.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann.  Vous pratiquez ce que la loi n’arrive pas à faire appliquer dans les entreprises !

Mme la lieutenante Sylvie Clément. C’est un dispositif très lourd à gérer, qui demande du temps et suppose une déclaration à la CNIL, car nous sommes obligés de suivre les individus pour voir comment ils évoluent. Cela représente une année de travail pour une année de passation. Cela suppose aussi un système informatique permettant de toucher tous les personnels. La discipline militaire favorise ce genre d’exercice, mais je comprends que cela ne soit pas évident dans le privé.

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Nous avons aujourd’hui 16 000 personnels féminins avec des disparités très marquées selon les statuts : 5 % chez les officiers de gendarmerie ; 40 % chez les officiers du corps technique et administratif ; 10 % chez les sous-officiers de gendarmerie ; 5 % dans le corps de soutien technique et administratif, c’est-à-dire les sous-officiers qui exercent des fonctions de support militaire ; 31 % chez les volontaires et 45 % chez les civils, qui sont de plus en plus nombreux à intégrer nos rangs.

Aujourd’hui, les femmes représentent 10 % des recrutés parmi les officiers de gendarmerie issus du rang. C’est une avancée vers les fonctions dirigeantes. Nous sommes en effet articulés en deux corps et, pour accéder aux fonctions de cadre supérieur, il faut épouser la carrière d’officier. Ce sont les officiers issus du rang qui composent les gros bataillons de nos officiers mais les femmes ne sont ni suffisamment âgées ni suffisamment nombreuses pour accéder à la carrière par cette voie. Elles sont en revanche beaucoup plus nombreuses à entrer par le biais du recrutement externe universitaire : les femmes représentent plus d’un quart des promotions d’officiers à l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN). C’est un signe d’ouverture, sachant que l’EOGN fait aussi appel à un recrutement tourné vers les grandes écoles militaires, qui n’est donc pas très féminisé.

L’avancement des femmes sous-officiers est parfaitement similaire à celui de leurs homologues masculins, et je prendrai pour exemple la cohorte de 1999 : neuf ans après leur incorporation en école, 35 % des hommes et 34 % des femmes sont devenus gradés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann.  Comment avez-vous fait pour parvenir à une telle égalité sur le plan de l’avancement ?

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Cela relève aussi d’un choix personnel. Pour le gendarme qui ne souhaite pas d’avancement, traditionnellement nous ne sommes pas très exigeants en termes de mobilité professionnelle, sauf nécessité de service. En revanche, celui qui s’engage dans l’avancement en devenant officier de police judiciaire (OPJ) doit aimer assumer des responsabilités et accepter une mobilité géographique qui ne correspond pas forcément au projet de vie de tout le monde. Mais l’important c’est que la proportion de femmes et d’hommes qui s’engagent dans cette voie soit la même et que, dix ans plus tard, la proportion de gradés soit encore la même dans les deux catégories.

Mme la lieutenante Sylvie Clément. L’OPJ permet aussi aux femmes de se diriger vers les unités de recherche et donc, de mieux concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée que si elles étaient en brigade car les opérations y sont préparées et les horaires sont fixes. Les femmes sont ainsi surreprésentées en unités de recherche. L’événementiel n’y est en effet pas traité de la même façon qu’en brigade ; le rythme de travail est très différent. En outre, le métier judiciaire est très valorisé dans l’institution. Beaucoup veulent exercer le métier d’enquêteur et l’OPJ est le sésame pour y accéder. C’est une trajectoire qui est un peu plus calculée chez les femmes que chez les hommes.

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Il est vrai que l’état de gendarme impose des sujétions très lourdes, voire exorbitantes. Le temps de travail du gendarme n’est pas borné. Aux huit heures quarante de service quotidien s’ajoutent autant, voire davantage, d’astreintes. Quand le téléphone sonne à une heure du matin, par exemple, il faut être sur le terrain vingt minutes plus tard en tenue et en armes. Ces contraintes sont particulièrement difficiles à assumer pour des femmes qui ont des enfants, notamment si elles sont mères célibataires, d’autant que nous sommes articulés en très petites unités ce qui ne nous permet pas de procéder à des aménagements tels que des remplacements entre collègues. Cet impondérable quotidien peut expliquer pourquoi les femmes choisissent plutôt des métiers qui leur permettent davantage de planifier leur temps, sachant que l’intensité de travail est réelle dans les unités de recherche. De plus, ces unités sont implantées aux chefs-lieux des compagnies, c’est-à-dire aux chefs-lieux des arrondissements ou des départements, donc à des endroits moins ruraux que les petites communes où se trouvent certaines brigades territoriales.

En 2010, 71 % des candidates à l’OPJ ont été admises, contre 66 % des hommes. Le taux de réussite des femmes est donc tendanciellement supérieur à celui des hommes. Chez les sous-officiers, les femmes sont aussi globalement plus diplômées que les hommes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment expliquez-vous cela ?

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Nous n’avons pas trouvé d’explication. C’est un constat. Le fait que les femmes soient plus diplômées se concrétise par un taux plus élevé de réussite aux examens, qui leur ouvre naturellement la voie aux fonctions supérieures et d’encadrement. C’est une tendance qui va permettre un rééquilibrage.

S’agissant des caractéristiques sociodémographiques, les femmes sont beaucoup plus souvent célibataires que les hommes. En 2008, chez les sous-officiers, le taux de célibat était de 19 % chez les femmes, contre 7 % seulement chez les hommes. De plus, 32 % des femmes n’ont pas d’enfants, proportion qui n’est que de 22 % chez les hommes. L’endogamie est une autre caractéristique : les femmes vivent majoritairement leur vie de couple avec un gendarme. Elles sont 52 % de la cohorte 1999 à avoir un conjoint militaire, contre 7 % pour les hommes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque l’un d’entre eux est muté l’autre suit-il automatiquement ?

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Cela pose la question du célibat géographique. Le métier de gendarme est tellement spécifique que les femmes déclarent – je parle sous le contrôle de Sylvie Clément – rechercher quelqu’un qui comprenne les sujétions exorbitantes qu’elles vont devoir vivre au quotidien.

Dans cette même cohorte de 1999, 18 % des femmes se retrouvent en unité de recherche, contre 9 % des hommes. Les femmes sont plus présentes dans les unités de type état-major, organismes centraux, jusqu’au niveau compagnies et groupements. En revanche, elles sont sous-représentées dans les unités d’intervention comme les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) ou les unités de sécurité routière– 1 % seulement de femmes dans la cohorte, contre 8,7 % chez les hommes. Enfin, dans les unités territoriales, qui constituent le cœur de métier, il y a égalité entre les femmes et les hommes – 54 % dans les deux cas.

J’en viens à la problématique des femmes dans l’encadrement supérieur. Jusqu’à présent, le concours des officiers était interne pour une très large partie. Quant au concours externe, il s’adressait aux grandes écoles militaires. C’était un frein puissant à la féminisation du corps des officiers. Celle-ci a vraiment commencé à partir du moment où le concours a été ouvert aux universitaires, c’est-à-dire en 2002. Nous avons alors constaté un afflux de femmes qui irriguent désormais le corps des officiers. Nous avons aujourd’hui 320 officiers de gendarmerie féminins sur environ 6 000 (soit plus de 5 %). Les femmes sont présentes dans quasiment tous les grades, mais leur proportion est néanmoins encore extrêmement faible dans les strates supérieures – 24 seulement sont officiers supérieurs de gendarmerie (de chef d’escadron à colonel) dont 3 colonelles (soit 1 %). Sachant qu’il faut près de vingt ans pour accéder au grade de colonel, il faudra attendre une dizaine d’année pour avoir une forte proportion de femmes dans les grades terminaux.

En matière d’affectation, les femmes sont présentes partout : dans les gendarmeries spécialisées, la gendarmerie de l’air, les transports aériens, sur le territoire métropolitain et l’outre-mer, dans la gendarmerie mobile, la garde républicaine. Toutes les carrières leur sont ouvertes et elles sont présentes dans tous les métiers et dans toutes les subdivisions d’armes. La réussite au concours de l'École de guerre est un paramètre que nous surveillons très attentivement, car c’est une étape fondamentale pour l’accès aux fonctions dirigeantes. Aujourd’hui, sur 35 femmes officiers qui peuvent être candidates à l’École de guerre, 13 se sont présentées au concours, soit 37 %, dont 5 ont été reçues, c’est-à-dire 38 %. Il est intéressant de faire la comparaison avec les hommes. Ils sont un peu plus nombreux à se présenter au concours – 45 % –, mais seulement 21 % d’entre eux le réussissent. Le jury masculin composé de cadres dirigeants de l’institution, devant lequel les candidats passent leur oral, estime ainsi que les femmes possèdent les qualités requises.

S’agissant de la situation matrimoniale, 58 % des officiers féminins n’ont pas d’enfants. Ces femmes souhaitent privilégier leur carrière, sachant que le fait d’avoir des enfants n’est pas incompatible avec un tel métier. Elles ont ainsi en moyenne 0,6 enfant, contre 2,2 pour les officiers masculins – mais une colonelle a eu deux enfants ce qui démontre que ce n’est pas l’institution qui freine les maternités mais sans doute que cela correspond à des états transitoires, à des reports de maternité. L’endogamie est également beaucoup plus importante chez les femmes officiers : 36 %, contre 3 % chez les hommes.

Sur le plan de la représentativité dans le recrutement initial à l’EOGN, 44 % des candidats sont des femmes en 2011. Nous parvenons donc presque à la parité. Bien entendu, il faudra attendre dix ou quinze ans pour que cela se traduise au niveau de la population globale.

Le secrétariat général du ministère de l’intérieur a chargé un haut fonctionnaire, M. Dupont, avec lequel nous sommes en relation, de suivre cette question de la féminisation. Au niveau des formations initiales, nous mettons également en place des référents particuliers pour traiter des problèmes spécifiques aux femmes dans les écoles afin d’éviter l’attrition. D’une manière générale, nous avons instauré un dialogue de gestion individualisée permettant de prendre en compte les aspirations de carrière et, pour les femmes, de planifier les épisodes de maternité. Nous voulons en effet permettre à nos personnels de planifier leur vie personnelle et familiale. En matière de parité, nous devrions bientôt pouvoir disposer d’une batterie d’indicateurs plus fins. En outre, nous sommes très attentifs à l’image que nous donnons en l’espèce. Nous devons être accueillants si nous voulons favoriser l’accès des femmes. Depuis très longtemps, nous sommes ainsi très attentifs à la composition de nos centres d’information et de recrutement – CIR – qui sont majoritairement féminins. Nous veillons également à ce que les femmes soient très présentes sur les vecteurs d’images que sont les affiches ou même, dans la mesure du possible, la télévision – c’est le cas pour la série « Une femme d’honneur » dont l’héroïne qui a commencé comme adjudant-chef, est aujourd’hui capitaine.

Mme la lieutenante Sylvie Clément. Vous l’avez bien compris, nos femmes ont des caractéristiques sociodémographiques très singulières qui interpellent souvent et qui peuvent s’expliquer par un très fort sens de l’engagement. Certaines disent avoir fait des sacrifices pour arriver là où elles sont – c’est notamment le cas de celles qui sont officiers. Ce très fort sens de l’engagement, que l’on retrouve d’ailleurs chez les hommes, est en quelque sorte sublimé chez les femmes. Couplé aux notions, elles aussi très fortes, de service public, de service rendu à la nation, de justice, d’ordre, d’équité, il fait passer la vie familiale au second plan. Ces femmes ont calculé leur vie. Elles savent, par exemple, combien d’années elles veulent passer sur le terrain avant d’avoir des enfants. Et leur engagement est tellement exclusif qu’elles épousent quasiment la gendarmerie, au point de choisir leur conjoint dans l’institution pour qu’il comprenne les contraintes de leur métier. Quel que soit le type de recrutement, tous les individus ont la même vision de l’institution et de ses sujétions. Ils arrivent donc avec une vision réaliste du métier et savent très bien ce qui les attend, mais cela ne leur fait pas peur. Cela mérite d’être souligné car c’est tout à l’honneur des personnels féminins. Dans la cohorte 2010, 34 % des femmes élèves sous-officiers sont déjà en couple avec un gendarme à l’entrée à l’école, ce qui a forcément une incidence en termes de parcours de carrière. L’amour de ces femmes pour l’institution m’a toujours fascinée et touchée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une caractéristique de votre métier !

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Ce n’est pas un métier ordinaire ; c’est un état qui n’a quasiment pas de fin ! Le gendarme a quarante-huit heures de repos hebdomadaire, mais son temps de travail n’est pas borné. Seuls le statut militaire et la disponibilité qu’il implique permettent d’assurer un service public 365 jours par an, sur l’ensemble du territoire, avec des unités microscopiques. Entrer en gendarmerie suppose un engagement très fort, et peut-être davantage encore chez les femmes que chez les hommes.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le fait que les gendarmes effectuent souvent les mêmes tâches que les policiers, alors qu’ils ont un statut totalement différent, peut poser des problèmes. Par exemple, il n’y a pas de récupérations pour les gendarmes. Néanmoins, cela se passe globalement très bien. On aurait pu s’attendre à plus de difficultés.

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Depuis deux ans, nous avons des passerelles qui sont, pour l’instant, circonscrites au grade de gendarme. Mais elles ne sont que peu utilisées, même si elles peuvent constituer un instrument de mobilité, notamment pour se rapprocher de sa famille.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous avez fait un travail très intéressant !

Mme la lieutenante Sylvie Clément. C’est en effet passionnant, mais je dois dire que nous avons un fort taux de participation des personnels à nos études. Ce taux est de l’ordre de 70 %, voire 80 %, contre 30 % en moyenne pour un institut de sondage classique. Cela dit, nous ne sommes que quatre – deux sociologues et deux démographes – pour accomplir ce travail qui est très lourd. La collecte des informations, notamment, prend beaucoup de temps. Et nous essayons toujours de compléter les sondages par des entretiens afin que nos gestionnaires disposent d’un maximum d’informations pour prendre leurs décisions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis admirative, et cela m’arrive rarement !

Mme la lieutenante Sylvie Clément. Nous avons l’avantage d’être aidés par la nature même de l’institution et par l’implication des personnels.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La hiérarchie est impliquée aussi !

M. le colonel Jean-Claude Goyeau. Du gendarme au général, tout le monde porte une part de ce patrimoine collectif. Et pour transmettre celui-ci, il faut savoir évoluer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, lieutenante, colonel, pour cet exposé passionnant.

*

* *

Puis la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Marie-Christine Raoult, responsable de l’Observatoire social de la RATP.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, soyez la bienvenue. Les fonctions que vous occupez vous permettent d’apprécier l’évolution professionnelle des femmes, tous statuts confondus, au sein de la RATP. Votre témoignage sera d’autant plus intéressant qu’à l’origine, les femmes n’étaient pas très nombreuses dans cette entreprise. Utilisez-vous, pour étudier cette évolution, un rapport de situation comparée (RSC) ?

Mme Marie-Christine Raoult, responsable de l’Observatoire social de la RATP. Oui, je vous l’ai apporté, ainsi que le bilan social de l’entreprise.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je m’en réjouis beaucoup.

Mme Marie-Christine Raoult. Ces documents sont des obligations légales. En général, ils sont réalisés en mars et avril, avant d’être présentés devant les instances concernées. Notre Observatoire social élabore les documents transversaux de l’entreprise, non seulement sur l’égalité entre femmes et hommes, mais aussi sur le dialogue social, sur la base des documents réalisés au sein de chaque département professionnel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut vraiment saluer votre travail. La plupart des responsables que nous entendons, depuis presque dix ans, s’étonnent que je leur parle du RSC, que la loi de 2001 a pourtant rendu obligatoire, mais que celle de 2006 permet d’intégrer au bilan social. Élaborer ces deux documents de façon séparée, comme vous l’avez fait, est donc digne d’éloge.

Mme Marie-Christine Raoult. De fait, nous les réalisons de manière tout à fait distincte : nous les présentons l’un après l’autre aux instances intéressées, à un mois d’intervalle.

Je vous ai également apporté le protocole relatif à l’égalité professionnelle qui, négocié au niveau de l’entreprise il y a trois ans, est décliné via des actions spécifiques dans chaque département.  Le protocole de la prochaine mandature, actuellement en cours de négociation, ne sera sans doute guère différent.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous reçu le label Égalité ?

Mme Marie-Christine Raoult. Non ; il faut en faire la demande.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous mériteriez qu’on vous le décerne d’office !

Mme Marie-Christine Raoult. Aux termes de la convention « Top employeur » à laquelle nous adhérons, nous sommes évalués sur des critères tels que le recrutement ou la gestion du personnel, qui prennent d’ailleurs en compte la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

La RATP a mis en place une réglementation « soins enfants », qui permet aux mères de disposer d’un crédit annuel de jours de congé. Ce crédit peut être partagé avec le père s’il est agent de la RATP ; mais si le père est le seul membre du couple à appartenir à la RATP, il ne peut en bénéficier. Notre entreprise a été interpellée à ce titre pour non-respect du principe d’égalité : si elle le respectait, elle ne serait pas en mesure d’étendre le même crédit à l’ensemble des 45 000 agents. Le système n’est possible que parce que les femmes ne représentent que 20 % de ces derniers.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Votre protocole est remarquable.

Mme Marie-Christine Raoult. Dans le cadre de sa renégociation, la plupart des organisations syndicales ne sollicitent que peu de changements. Certains indicateurs prévus par la dernière loi sur l’égalité professionnelle sont peut-être à préciser, mais le document est à peu près complet.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vois que presque tous les syndicats, à l’exception de la CGT, l’ont signé.

Mme Marie-Christine Raoult. La CGT ne signe pas forcément toutes les conventions, mais elle participe activement aux négociations.

La RATP est majoritairement masculine.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est précisément ce qui nous intéresse dans votre audition : comment la question de l’égalité est-elle prise en compte dans une telle entreprise ?

Mme Marie-Christine Raoult. Au-delà des conventions qui peuvent être signées, il s’agit d’un travail quotidien.

Depuis 1981, tous nos métiers sont ouverts aux femmes ; le seul pour lequel nous n’avons pu en recruter aucune est celui des poseurs de voies, car il exige des aptitudes physiques hors du commun. Pour la petite histoire, la RATP avait recruté une femme pratiquant le culturisme, mais, malgré cela, elle n’avait pu passer les tests d’aptitude médicaux.

Hormis ce cas particulier, le secteur où les femmes sont les moins nombreuses– un peu plus de 1 %, chiffre qui reste stable – est celui des opérateurs de maintenance, dont les filières de recrutement – la mécanique ou l’électrotechnique - sont elles-mêmes peu féminisées. Reste que les quelques femmes présentes dans les ateliers apportent beaucoup en termes de relations humaines.

Les femmes représentent aujourd’hui 15 % des conducteurs de métro et de RER - moi-même, embauchée comme agent de maîtrise à l’exploitation en 1984, je fus d’ailleurs l’une des premières à passer le permis de conduire le métro – et 8 % des machinistes, c’est-à-dire des conducteurs de bus. Ces chiffres relativement faibles tiennent au nombre peu élevé de candidates : les tests d’aptitude technique sont évidemment les mêmes pour tous.

Les progrès les plus notables ont été réalisés dans les métiers d’encadrement, les femmes étant plus nombreuses, par exemple, dans les filières de formation des ingénieurs et techniciens. Elles représentent ainsi 23,5 % de nos agents de maîtrise et 31,2 % de nos cadres – pour autant de candidatures –, en augmentation, respectivement, de 2 % et 6 % en dix ans.

Nous faisons intervenir des femmes dans le cadre des actions menées au sein des collèges et lycées pour faire connaître nos métiers. Par ailleurs, la RATP participe au programme « Déployons nos Elles » de l’IMS-Entreprendre pour la Cité, programme qui nous permet aussi de communiquer sur les contraintes de nos métiers.

La RATP participera également, l’an prochain, au dispositif « Elle bouge », qui concerne les métiers techniques et d’ingénierie dans les secteurs du transport aérien et terrestre ; une manifestation est prévue le 5 avril prochain, en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Je vous ai aussi apporté quelques copies d’affiches réalisées dans le cadre d’une campagne de recrutement pour les métiers d’opérateur, traditionnellement perçus comme masculins ; c’est donc volontairement que nous y montrons aussi des femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une bonne initiative : habituellement, les femmes sont plutôt représentées dans les activités d’accueil.

Mme Marie-Christine Raoult. Oui, nous nous efforçons de renverser certains stéréotypes : l’application du principe d’égalité commence par l’encouragement aux candidatures féminines ; les équipes de ressources humaines y travaillent en lien avec les opérateurs et les agents, qui viennent présenter leur métier.

Nos protocoles de déroulement de carrière ne font bien entendu aucune différence entre les femmes et les hommes; reste qu’il subsiste entre eux une différence d’environ 3 % quant aux rémunérations.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cette différence est infime.

Mme Marie-Christine Raoult. Oui ; elle tient d’ailleurs en partie au fait que les femmes occupent moins de postes de nuit, auxquels sont associés des primes. Par ailleurs, si les femmes sont peu nombreuses parmi les conducteurs, elles sont majoritaires parmi les agents qui travaillent dans les gares et les stations ; or ces métiers n’étant pas les plus qualifiés, ils ne sont pas non plus les mieux rémunérés.

S’agissant du prochain protocole, la loi nous oblige à travailler sur trois domaines : l’embauche, la formation professionnelle et l’articulation entre activité professionnelle et responsabilité familiale. Des objectifs de progression seront définis selon des indicateurs précis – certains existent déjà.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le recours à des indicateurs est déjà louable en soi.

Mme Marie-Christine Raoult. Encore n’avez-vous sous les yeux que le rapport transversal : chaque département rédige le même document pour son compte. Les organisations syndicales, de leur côté, demandent parfois un suivi fondé sur d’autres indicateurs – relatifs au déroulement des carrières, notamment –, que nous annexons alors au rapport transversal.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Celui-ci est vraiment remarquable. Est-il présenté au conseil d’administration ?

Mme Marie-Christine Raoult. Oui. Il s’agit d’un document officiel, présenté aux administrateurs comme aux organisations syndicales. Nous l’avons également envoyé à l’inspection du travail.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En un mot, vous respectez la loi.

Mme Marie-Christine Raoult. Oui ; cela me semble aller de soi !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et vous ne vous arrêterez sans doute pas en si bon chemin.

Mme Marie-Christine Raoult. Notre rapport étant une déclinaison du bilan social, son élaboration ne soulève guère de difficultés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Certes, mais la plupart des entreprises nous répondent qu’il leur est difficile, voire impossible, d’extraire le rapport de situation comparée du bilan social. À l’instar de PSA Peugeot Citroën, vous nous montrez non seulement que c’est possible, mais aussi que l’élaboration d’un tel document reflète la politique menée au sein de l’entreprise.

La comparaison de l’avancement femmes/hommes, qui fait l’objet du point 16a bis de votre RSC, est tout particulièrement intéressante ; elle reprend d’ailleurs à la lettre les indicateurs prévus par la loi de 2001.

Mme Marie-Christine Raoult. Comme je vous l’ai déjà indiqué, cette comparaison est aussi réalisée dans chaque département.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La différence de 3 % entre les rémunérations concerne-t-elle aussi les cadres ?

Mme Marie-Christine Raoult. Non, il s’agit d’un chiffre global. Cette différence tient essentiellement aux primes et aux temps partiels : il n’y a pas de différences de rémunération chez les cadres.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’en est-il de l’accès à la formation ?

Mme Marie-Christine Raoult. Il n’y a pas de différence sur ce point non plus ; les femmes sont même un peu plus nombreuses que les hommes à suivre une formation.

Notre souhait prioritaire est de voir se développer les candidatures féminines aux postes d’opérateur. Les quelques jeunes filles qui travaillent à la maintenance sont particulièrement motivées et font preuve d’excellentes facultés d’adaptation. Un responsable d’atelier me faisait un jour l’éloge d’une jeune fille qui, sur tous les postes où il la plaçait, améliorait les conditions de réalisation du travail, de sorte que l’homme qui lui succédait sur le même poste n’avait plus rien à remettre en cause. C’est aussi la raison pour laquelle beaucoup d’organisations syndicales souhaitent voir encouragée l’accessibilité des femmes à certains postes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les responsables de PSA Peugeot Citroën nous ont fait les mêmes observations : souvent, les femmes améliorent l’ergonomie des machines, sur lesquelles on peut ensuite faire travailler des hommes ; ces derniers, qui occupent parfois des fonctions plus élevées, n’ont pas les mêmes capacités.

Mme Marie-Christine Raoult. En effet : ils ont davantage tendance à utiliser la force, par exemple. La faculté d’adaptation des femmes sur ce type de postes est beaucoup plus grande.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tout à fait.

Mme Marie-Christine Raoult. Cependant, pour les managers, l’image d’une jeune femme exerçant ce type de métier n’est guère habituelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’en est-il du temps partiel ?

Mme Marie-Christine Raoult. Comme on peut le voir page 21 du rapport, le taux de temps partiel atteint 12,5 % chez les cadres, qui bénéficient d’un système d’adaptation des horaires au forfait. Ce taux est plus élevé chez les opérateurs, à savoir les conducteurs, les agents de station et les ouvriers. Le temps partiel dit « conventionnel » vise les congés parentaux ; l’allocation versée à cette occasion permet aux jeunes agents de compenser la baisse de rémunération.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’est-ce que l’espace Pimprenelle ? Une halte-garderie ?

Mme Marie-Christine Raoult. Non : les opérateurs travaillent partout en région parisienne, et à des horaires souvent décalés ; dans ces conditions, mettre en place une halte-garderie, par exemple au siège de la RATP, ne leur servirait à rien. L’espace Pimprenelle, qui repose sur des conventions passées avec des nourrices, permet aux agents d’y confier leur enfant à différents endroits de Paris et de sa banlieue, et ce parfois très tôt dans la matinée ou tard dans la nuit. Ce système profite bien sûr avant tout aux opérateurs.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Selon votre rapport, 2 647 salariés ont utilisé l’espace Pimprenelle, dont 26 % de femmes et 74 % d’hommes. Cette répartition est quelque peu étonnante.

Mme Marie-Christine Raoult. La RATP est une entreprise assez familiale, qui compte beaucoup de couples. Ceux-ci travaillent souvent en service décalé.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est la première fois que je vois un rapport aussi complet ; j’enverrai un message à M. Mongin, votre président directeur général, pour le féliciter.

Mme Marie-Christine Raoult. Il en sera ravi, car il est très attentif à ces sujets. L’étude du climat social, que nous menons tous les ans, a révélé que les femmes avaient, en moyenne, un ressenti de l’entreprise légèrement plus négatif que les hommes. Après examen, il s’avère que le phénomène tient d’abord à ce qu’elles occupent souvent des fonctions d’accueil ; or le contact direct avec le public est de plus en plus difficile, d’autant plus que le sens de ces métiers a évolué avec la disparition progressive de la vente de billets au guichet. Nous avons beaucoup communiqué auprès des voyageurs pour essayer d’améliorer le contact avec nos agents. Travailler en région parisienne n’est pas toujours facile, à cet égard.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le phénomène est pratiquement le même en province, même si la RATP transporte davantage de voyageurs.

Mme Marie-Christine Raoult. Il s’agit d’un problème de société plus global : le port de l’uniforme est de plus en plus mal perçu.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Notre collègue, Mme Catherine Coutelle nous a dit avoir constaté il y a une dizaine d’années, que les épreuves de recrutement des machinistes étaient différentes pour les femmes, auxquelles l’on demandait d’effectuer des marches arrière, ce qui est en principe interdit : qu’en est-il aujourd’hui ?

Mme Marie-Christine Raoult. Les épreuves sont les mêmes pour tous. L’ensemble des candidats aux métiers d’opérateur comme d’encadrement passent des tests psychotechniques. La sélection se fait à partir des résultats.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pour les machinistes, les candidates sont visiblement presque aussi nombreuses que les reçues.

Mme Marie-Christine Raoult. Il est vrai que les candidates à ce type de poste ne sont pas très nombreuses. Si les femmes ne représentent que 8 % des machinistes en région parisienne, elles sont plus nombreuses en province. Les conditions de travail ne sont peut-être pas les mêmes : conduire un bus dans certaines banlieues de Paris n’est pas forcément facile.

Les jeunes femmes choisissent rarement les filières de la mécanique ou de l’électronique ; c’est ce qui explique leur faible présence au sein des ateliers de maintenance. Les métiers de machiniste ou de conducteur de métro, en revanche, sont accessibles aux femmes autant qu’aux hommes. Il y a trente ans, ces métiers exigeaient aussi des compétences en matière de dépannage ; mais, aujourd’hui, tous les nouveaux trains fonctionnent avec de l’informatique embarquée, et les machinistes n’ont plus à dépanner leur bus si celui-ci tombe en panne. Bref, ces métiers sont tout à fait accessibles aux femmes : le peu d’attrait qu’ils exercent auprès d’elles est sans doute lié à l’environnement parfois difficile que j’évoquais. Aussi avons-nous beaucoup communiqué sur le métier de machiniste, qui est celui pour lequel la RATP recrute le plus. Nous insistons en particulier sur le fait que, s’il est parfois perçu comme solitaire, il bénéficie d’un environnement attrayant, fait de camaraderie.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-huit heures dix.