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Mercredi 13 octobre 2010

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Christian Jacob Président et de M. Axel Poniatowski Président de la commission des affaires étrangères

– Conférence organisée conjointement par les présidents des commissions des affaires étrangères et de l’aménagement du territoire et du développement durable sur le thème : « Repenser l’aide au développement : les crises imposent-elles la recherche de nouveaux modèles ? L’exemple du commerce équitable »

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Christian Jacob, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. A l’occasion de la semaine mondiale de l’alimentation et de la venue en France du Père Francisco Van der Hoff, le fondateur du commerce équitable, nous avons souhaité organiser cette réunion commune pour discuter de deux thèmes qui sont très liés et qui méritent une réflexion commune.

Ce colloque a deux objectifs : premièrement montrer, à partir de l’exemple du commerce équitable et d’autres formes de partenariat entre acteurs économiques, comment il est possible de corriger certains déséquilibres inhérents à une économie libérale mondialisée et peu régulée, déséquilibres qui ont été révélés par les récentes crises, afin d’assurer une répartition de la valeur plus équitable dans le monde ; deuxièmement, envisager comment l’aide publique au développement, bilatérale et multilatérale, peut ou doit soutenir le développement et le changement d’échelle de ces initiatives visant à bâtir une économie plus solidaire.

A travers deux tables rondes successives, animées par Aymeric Mantoux, journaliste et reporter, nous essayerons, d’abord, de voir comment le commerce équitable représente un modèle imperméable à la récession élaboré par les producteurs eux mêmes permettant de leur garantir des conditions propres à élever leur niveau de vie et de protection sociale et environnementale. Ensuite, nous analyserons comment l’aide publique au développement doit nécessairement évoluer afin de mieux prendre en compte ces acteurs qui sont incontournables, par leur mode d’intervention de « terrain », dans la mise en place de soutiens appropriés aux filières solidaires et aux entreprises locales.

L’objectif attendu de cette rencontre, est d’aboutir, à de nouvelles pistes d’action communes, à des changements dans les modèles classiques de référence afin de progresser vers un système économique mondial plus équitable.

M. Axel Poniatowski, Président de la commission des affaires étrangères. C’est sans doute d’une grande banalité aujourd’hui de souligner que la mondialisation a entraîné des changements profonds, durables, et que les répercussions des crises et des récessions sur les conditions de vie de millions d’habitants des pays en développement, notamment, sont d’une ampleur sans précédent. Mais pourtant, comment mieux introduire le sujet qui nous rassemble cet après-midi qu’en rappelant certaines vérités essentielles qui étaient encore à l’ordre du jour du sommet des OMD il y a quelques semaines à New York.

Chacun se souvient des émeutes de la faim de 2008 qui avaient éclaté sur la plupart des continents, de l’Egypte à Haïti, du Cameroun aux Philippines, et qui sont venues rappeler aux pays industrialisés la réalité quotidienne de populations entières subissant de plein fouet les effets des hausses de prix des produits alimentaires de première nécessité. Les causes en ont été multiples et cumulatives : sécheresse ici, croissance démographique là, coûts énergétiques, diminution des excédents, politiques agricoles, aussi, dans les pays de l’OCDE. Sans doute aussi, le fait que les agricultures des pays du sud n’étaient plus au centre des préoccupations des politiques d’aide au développement depuis longtemps.

Quoi qu’il en soit, si le lit de la crise s’est creusé sur une longue durée, ses effets ont été tels qu’ils ont brutalement remis en cause certaines des avancées réalisées en vue d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. En quelques mois, des dizaines de millions de personnes qui peinaient à en sortir ont de nouveau basculé vers la grande pauvreté.

Certes, les gouvernements, les institutions internationales et les organisations de solidarité ont su se mobiliser dans l’urgence et ils ont montré leur forte capacité de réaction. Certes, au-delà du traitement des situations d’urgence, cette année 2008 aura aussi été d’une certaine manière décisive, peut-être historique, compte tenu de l’importance des rencontres internationales qui ont été organisées : à Rome, tout d’abord, pour donner une réponse immédiate à la crise alimentaire ; à New York ensuite, sur les OMD ; puis à Accra, en septembre, sur l’efficacité de l’aide et enfin à Doha en novembre sur les financements de l’aide. D’une certaine manière, c’est l’ensemble des questions qui aura ainsi été traité en quelques mois pour donner à la communauté internationale un nouvel élan, pour relancer la dynamique nécessaire à la réalisation des OMD d’ici à 2015.

Malgré tout, aujourd’hui encore, un milliard de personnes se trouvent actuellement en situation d’insécurité alimentaire et de malnutrition. Un milliard de personnes qui souffrent aujourd’hui de la faim, un chiffre sans précédent.

Mais ce n’est pas seulement le niveau des transferts financiers de l’aide qui est en débat désormais. Le bilan des OMD à mi-parcours était déjà trop mitigé pour qu’on s’en satisfasse. Si l’aide publique au développement reste indispensable pour accompagner sur la voie de leur développement les pays du Sud, elle est sans doute aujourd’hui à la croisée des chemins et des enjeux.

La coordination des acteurs, la cohérence des politiques publiques sont des aspects essentiels, tout comme l’appropriation des projets par les bénéficiaires eux-mêmes ; ce sont des relations de partenariat qui doivent s’instaurer entre les acteurs, qu’ils soient donneurs ou bénéficiaires, étatiques, institutionnels, privés, publics, ONG ou fondations. Elles ont pris ces dernières années une importance croissante et conditionnent la qualité et l’efficacité de l’aide fournie.

En d’autres termes, la recherche de nouveaux modèles est aujourd’hui indispensable pour que l’aide au développement, quelles que soient ses modalités, réponde enfin aux attentes qu’on met en elle : cinquante ans après les indépendances africaines, le bilan global n’est pas si glorieux. De nouvelles voies doivent être explorées, alternatives ou complémentaires de l’aide officielle pour donner toutes ses chances au développement.

C’est la raison pour laquelle, avec Christian Jacob, nous avons souhaité profiter de la semaine mondiale de l’alimentation et de la venue en France du Père Francisco Van der Hoff, pour organiser cette rencontre commune à nos deux commissions sur le thème : « Repenser l’aide au développement : les crises imposent-elles la recherche de nouveaux modèles ? » en tirant profit de l’expérience du commerce équitable.

Nous avons voulu donner deux axes à notre réflexion cet après-midi. D’une part, montrer comment il est possible d’essayer de corriger certains déséquilibres inhérents à l’économie libérale mondialisée et peu régulée, pour assurer une répartition plus équitable de la valeur dans le monde. En cela, l’exemple du commerce équitable et d’autres formes de partenariat entre acteurs économiques sera très éclairant. Ensuite, réfléchir à la question de l’aide publique au développement, bilatérale et multilatérale, dans cette perspective.

Pour traiter de ces thèmes, deux tables rondes ont été organisées. La première, réunie notamment autour du Père Francisco Van der Hoff, dont je salue la présence parmi nous, débattra du modèle de commerce équitable qu’il a inventé et des garanties qu’il apporte aux producteurs des pays en voie de développement. La seconde, sans doute d’un caractère plus institutionnel, réfléchira sur les évolutions envisageables de l’aide au développement. Je voudrais notamment souligner que participera à cette deuxième table ronde Jean-Paul Bacquet, membre de la commission des affaires étrangères, qui préside actuellement une Mission d’information que la commission a constituée il y a quelques mois, sur l’équilibre entre le multilatéralisme et le bilatéralisme au sein de notre APD.

Je laisse maintenant la parole à notre animateur pour vous présenter l’ensemble de nos invités et introduire la première table ronde.

*

M. Aymeric Mantoux, animateur. Quels sont les principes de fonctionnement du commerce équitable et en quoi représente-t-il un nouveau modèle économique ?

• Première table ronde : « De la mondialisation de l’économie de marché à la mondialisation de la démocratie dans les marchés : la recherche de modèles équitables et responsables, l’exemple de la filière agricole  »

M. Francesco Van der Hoff. Le commerce équitable comme modèle est une solution qui vient d’en bas à la différence des modèles dominants.

L’élément nouveau de la crise financière, c’est qu’elle est venue des pays riches et a plus affecté les pays pauvres. Il faut aller aux causes de la crise et ne pas proposer de mesures temporaires : il est nécessaire de reformuler les présupposés du capitalisme libéral.

Défendre la vie et le droit de chaque habitant d’avoir une vie bonne : est-ce utopique ? Est-ce possible aujourd’hui ? Il faut construire avec ténacité et être concrets, à partir de la base, de la majorité des gens.

Le commerce équitable est une initiative nouvelle qui reformule le marché et l’économie et présente une nouvelle logique. Cette logique s’exprime en 5 points fondamentaux : le respect de l’environnement s’accompagne de l’exploitation durable des ressources naturelles qui sont une propriété de l’humanité ; le commerce équitable incorpore la logique bilan coûts/bénéfices pour l’environnement et il prône la satisfaction des besoins fondamentaux comme la santé publique, l’éducation, l’eau courante etc. ; la nécessité de démocratiser l’économie car il n’y a pas de « main invisible » ni de progrès infini garanti par le marché mais il faut avoir des règles claires, instaurer de nouvelles conditions politiques et sociales, instaurer des formes nouvelles de participation citoyenne, la pauvreté ne pouvant plus être tolérée dans le monde ; la notion de marché juste signifie la mise en place d’un prix minimum garanti, le processus d’apprentissage et de renforcement des capacités de négociation, c’est-à-dire le droit d’avoir un revenu quel que soit le travail ; enfin, le progrès va de pair avec le développement démocratique et culturel : il faut sortir de la pensée unique de l’ultralibéralisme et mettre en place d’autres formes de communautarisme.

M. Joaquin Muñoz, directeur général de Max Havelaar France. Comment concrètement traduire ces idéaux ?

Cet autre monde est possible à travers un certain nombre d’actions. Tout d’abord, le soutien des producteurs dans les pays en voie de développement à travers un prix minimum garanti : le commerce équitable génère 50 millions d’euros sur un total de 80 millions de consommateurs dans les pays du Nord qui impactent la vie de 1 million de producteurs dans les pays du Sud. A travers la prime collective sociale, la communauté fait ses propres choix en matière de développement social. L’engagement clair des acteurs tout au long de la filière suppose l’absence de discrimination et au contraire de la visibilité. Enfin, il est impératif de prendre en compte l’impact sur l’environnement.

Le label commerce équitable garantit que ces conditions sont respectées.

M. Jean-Pierre Blanc, directeur général des cafés Malongo. Comment une entreprise peut-elle s’engager dans la mise en place d’un modèle économique alternatif ?

En 1997, les cafés Malongo ont démarré leur première production de café équitable. A l’époque on nous disait qu’il n’existait pas de marché pour ce type de produit en Europe. Cela a été un travail de très longue haleine car au début on achetait le café à un prix supérieur au prix du marché mais l’entreprise a quand même, au final, progressé de 10 % par an depuis. C’est la preuve que le commerce équitable peut servir tout le monde : le marché, les actionnaires, les petits producteurs.

Comment repenser le modèle ? Il faut revoir les règles du marché afin d’assurer une nouvelle répartition du développement économique dans le monde et respecter les populations.

M. Xavier Beulin, vice-président de la FNSEA. La vision classique est de considérer que les politiques publiques n’ont rien à faire et que le marché peut se réguler tout seul. Si on prend l’exemple de la filière oléagineuse française, on prouve le contraire: une 3ème voie est possible entre les petites exploitations et les grands consortiums.

Deux actions sont prioritaires et pourraient tout à fait être reproduites dans certains pays en voie de développement, à l’image du dispositif de co-investissement et de co-développement que SOFIPROTEOL a mis en place en Afrique de l’Ouest : premièrement, organiser les filières à travers le maillage de l’ensemble des acteurs, notamment les femmes, la recherche de la valeur ajoutée collective mais répartie de manière équitable ; deuxièmement, inviter la communauté et les organisations paysannes à bénéficier de l’organisation des filières, afin d’obtenir une reprise de leur production à un prix garanti et de bénéficier d’une formation afin d’augmenter leur capacité contractuelle.

L’organisation de la filière est possible et souhaitable dans les pays en voie de développement.

M. Aymeric Mantoux, animateur. Quels sont les freins qui font que ce modèle ne puisse pas s’établir de façon plus étendue ?

M. Francesco van der Hoff. Ce modèle que nous décrivons est-il possible ? Les freins ne sont-ils pas trop importants ? Cette question se pose au-delà des causes de la crise. C’est un type de vision de l’homme. Si l’homme cherche son propre bénéficie personnel et si le caractère social se perd, on va vers l’injustice.

Nous devons mettre un terme au mythe que le progrès est infini et que le marché est doté d’une « main invisible » qui règle tout seule les problèmes.

Comment organiser le marché ? Le marché du plus fort ou celui du plus petit ?

Il faut imposer l’exigence de reconnaître les plus petits acteurs. Ils peuvent sortir de l’exclusion, de l’exploitation pour retrouver leur dignité. Aujourd’hui, c’est l’expression de la frustration dans ces pays qui doit nous interpeller.

M. Xavier Beulin. Je suis frappé par la façon dont les négociations se déroulent à l’OMC : c’est le contraire de ces principes qui s’applique.

Ouverture des frontières, liberté d’entreprendre sont les mots d’ordre mais en termes de politiques d’aide au développement, on tâtonne : faut-il concentrer l’aide dans les PMA pour les soutenir lors des crises, mettre en place un investissement plus pérenne ou organiser la structuration des marchés agricoles et alimentaires Nord-Sud ?

La communauté internationale considère que l’on est dans une économie de marché donc qu’il faut laisser faire le marché : ce sont donc les modèles économiques, sociaux et de développement qu’il faut repenser. La réforme de la PAC offre une nouvelle opportunité d’action : la PAC a commis des excès mais on a besoin de la PAC et cela pourrait être le terrain d’une refonte des modèles de financement et de développement sur la base d’un système qui répond aux besoins des sous-ensembles cohérents de pays.

M. Jean Pierre Blanc. L’étude Max Havelaar sur les habitudes des consommateurs prouve que ceux-ci achètent désormais des produits issus du commerce équitable car ils se disent que, s’ils devenaient pauvres, ils aimeraient que l’on pense à eux ; c’est un basculement vers un certain pessimisme.

Le co-partenariat est une clé : les projets de coopération que nous menons à Sao Tomé et à Port-au-Prince par exemple prouvent que, si on met autour de la même table des entreprises privées, des organismes multilatéraux, tels que le FIDA, les différents Etats, on peut arriver à des résultats ; dans notre cas, l’objectif c’est de re-développer la caféiculture.

Aujourd’hui l’aide au développement est pensée en fonction de la capacité d’absorption de la population. Le problème, c’est que lorsque l’aide au développement n’existe plus, il n’y a pas de fonds de trésorerie permanent et les effets de l’aide ne sont que transitoires.

Il y a donc un travail de réflexion à engager pour créer des conditions de trésorerie favorables à un développement régulier en amont de l’économie dans les PVD.

M. Joaquin Muñoz. La valeur de travail a été remise en cause avec la mondialisation des échanges et la concurrence des pays émergents. Le commerce équitable est un outil pragmatique, du quotidien, qui contribue à aller dans le bon sens, mais il n’est pas révolutionnaire.

Ce n’est plus aux pays du Nord de trouver des solutions toutes faites pour les pays du Sud ; mais c’est une question d’ « enpowerment » : les pauvres ou les petits producteurs savent quelles solutions leur conviennent : les bailleurs de fonds doivent les aider à les mettre en œuvre.

M. Jean-Paul Chanteguet, membre de la commission du développement durable. J’ai bien entendu et particulièrement apprécié le contenu du discours du Père Francisco Van der Hoff ; c’est vrai que nous nous interrogeons tous sur l’ « autre » modèle de développement : nous sommes soumis aujourd’hui à la pensée unique selon laquelle il y a un modèle de développement qui est celui des pays occidentaux, des pays riches, et c’est vrai que les responsables politique des pays en développement aimeraient le copier. Mais aujourd’hui nous connaissons les conséquences de ce type de développement comme le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la surexploitation des ressources, en particulier halieutiques, alors que deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité et que la moitié de la population des pays du Sud vivent avec moins de 2 dollars par jour. Nous sommes obligés de nous interroger sur l’autre modèle de société que nous voulons bâtir mais personne aujourd’hui n’a de réponse à cette interrogation. Le commerce équitable, qui jouit d’une image particulièrement positive auprès d’un certain nombre de consommateurs, permet d’apporter un début de réponse, mais il ne permettra pas de répondre à tous les défis qui se posent au monde aujourd’hui. Il faudra nous trouver d’autres réponses.

M. Jean-Louis Christ, membre de la commission des affaires étrangères. Je relève un paradoxe : le commerce équitable est-il menacé par un modèle agricole industriel ? D’autant plus que, lorsque je me rends au Brésil ou en Afrique, je constate de nombreux changements d’affectation des sols en faveur des nouvelles énergies ; des paysans sont chassés de leur terre pour cette raison. Quelle place peut encore trouver le développement agricole que constitue le commerce équitable face à ce rouleau compresseur ? Comment pouvons-nous alors construire une agriculture respectueuse de son environnement, vivrière notamment sur le continent africain ?

Mme Catherine Quéré, membre de la commission du développement durable. Serait-il possible d’interdire toute spéculation sur des produits, notamment alimentaires ?

M. Jérôme Bignon, membre de la commission du développement durable. Nous sommes dans une situation de « regards partagés » entre le Nord et le Sud ; je m’intéresse beaucoup à l’outre-mer français et je suis frappé que nous n’ayons pas été capables, alors que c’est notre pays, d’assurer une production locale qui corresponde aux besoins des populations ! Nous possédons un très bon laboratoire de réflexion qui nous permettrait, par exemple, de cultiver des tomates et des haricots verts en Nouvelle-Calédonie ! On me répond qu’il est impossible de créer une véritable économie agricole qui puisse à la fois aider les agriculteurs, protéger la nature, et en même temps assurer la satisfaction des besoins des populations locales. Y-a-t-il des éléments de réponse qui pourraient être trouvés dans le commerce équitable ?

Père Francesco Van der Hoff. Au sein de la famille du commerce équitable, en Amérique latine, il existe une forme d’interdiction de la spéculation sur les aliments parce que c’est un blasphème de spéculer sur le « contenu de l’estomac » mais c’est ce qui se passe de facto. En fondant le commerce équitable et en le diffusant dans les pays du Sud, nous protestons contre l’utilisation des aliments dans le but de production d’énergie, qui conduit à dédier des terres à la monoculture. Il ne faut pas utiliser de produits comestibles pour la production d’éthanol, pour laquelle il existe d’autres techniques plus appropriées, moins nocives pour l’environnement, l’énergie éolienne par exemple.

Le commerce équitable est un système bien modeste, et nous souhaitons que ce principe demeure pérenne ; il n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes mais est un outil d’apprentissage, au même titre que d’autres tels que les mouvements syndicaux. Nous organisons des manifestations afin de montrer ce que nous sommes et proposer des politiques publiques différentes. Nous avons appris qu’il est insensé de manifester sans projet ou intention réalisables, ces deux faces du combat allant de pair. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement mexicain entame des discussions lorsqu’il y a des manifestations dans le pays. Nous faisons également du lobbying au Parlement afin qu’il adopte des lois plus favorables aux petits producteurs et que ces lois soient appliquées.

C’est pourquoi nous optons davantage pour « l’autonomie alimentaire » que pour la sécurité alimentaire, afin de renforcer les marchés écologiques courts.

*

• Deuxième table ronde : « Quelle aide au développement pour des économies équitables et responsables ? »

M. Jean-Paul Bacquet, membre de la commission des affaires étrangères.

Nous avons mené une réflexion sur l’équilibre à trouver entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale : quelle gouvernance ?

Aides au développement bilatéral et multilatéral présentent toutes deux une grande difficulté dans la mesure où elles sont relativement illisibles ; nous ne sommes pas capables de dire où on en est en termes de pourcentage du PIB (0,34 % si l’on retire le remboursement de la dette, l’écologie, etc…).

Pour le bénéficiaire, tout ce qui compte c’est l’efficacité, quelle que soit l’origine. Or, l’aide au développement ressort souvent encore d’une démarche humaniste, d’une œuvre quelquefois de charité, voire de repentance post-coloniale. Il s’agit maintenant de revenir aux concepts d’influence ou de partenariat, de considérer le bénéficiaire comme un véritable partenaire sur un projet qui lui est propre.

À la suite de la disparition du monde soviétique, l’effondrement des crédits d’aide au développement s’est accentué avec la mondialisation alors qu’elle aurait dû être considérée comme un élément pour résoudre les problèmes de sécurité et la gestion des équilibres économiques et financiers par les Etats. Or, la mondialisation doit devenir une force positive pour toute l’humanité. C’est ce qui explique la création du G8 puis du G20 pour améliorer la gouvernance de l’aide.

Les freins les plus souvent cités sont nombreux. Tout d’abord, il ne s’agit pas seulement d’aide financière mais des transferts des crédits des immigrés des pays du Sud (2 à 3 fois supérieure au montant de l’aide publique mondiale) ; ensuite, il est nécessaire que la volonté politique soit forte pour passer de 0,34 à 0,7 % du PIB consacré à l’APD ; la nécessité d’une gouvernance forte passe par le choix de la bonne instance, G8 ou G20 ; par ailleurs, la prolifération des organisations internationales et des ONG pose le problème de la lisibilité et de l’éparpillement (40 en 1940 ; 263 ce jour) ; enfin, il paraît nécessaire de trouver un équilibre entre le bilatéral et le multilatéral.

Quels sont les avantages et les inconvénients respectifs de deux dispositifs ? Dans le cadre du bilatéral, les avantages sont clairement liés à la lisibilité notamment diplomatique (celui qui reçoit, celui qui donne) et à la rapidité de l’intervention ; mais la vision partielle et limitée constitue un inconvénient majeur. Le multilatéralisme est nécessaire pour mener les projets des grandes infrastructures ou liés à la santé ou le climat, mais il présente des inconvénients tels que la multiplicité des acteurs, la nécessité du compromis, la déconnexion par rapport au contribuable et l’anonymat.

En fait il existe une complémentarité entre les deux types d’aides, c’est le pouvoir politique qui doit piloter et coordonner, mais aujourd’hui ce pilotage politique manque.

La progression des crédits est certes nécessaire mais il faut surtout que le politique reprenne le dessus et retrouve son rôle de pilotage de l’aide publique.

M. Jean-Yves Grosclaude, directeur technique des opérations de l’Agence française de développement (AFD). Pour une agence d’APD bilatérale comme l’AFD, l’action des organismes multilatéraux (ONU, Banque Mondiale, etc.) est nécessaire notamment sur les biens publics mondiaux (climat, biodiversité, épidémie…) et au titre de la coordination et de l’efficacité de l’aide dans les PED.

Cependant, l’aide bilatérale a des avantages importants au regard de l’action de multilatéraux, qui ont une tendance naturelle à l’uniformisation, à la pensée unique, à la prescription de modèle dont on sait pourtant les limites. L’action bilatérale autorise les innovations qu’elle peut catalyser. Elle peut faciliter leur mise en œuvre. L’aide française bilatérale permet la promotion des approches françaises dans lesquelles les institutions publiques ou professionnelles de régulation, jouent un rôle central pour un développement économique durable. L’aide bilatérale a des domaines d’intervention que le multilatéral n’a pas.

Ainsi, dans le domaine de l’agriculture, on constate que la crise alimentaire de 2007 -2008 a moins touché les pays ayant une politique publique structurée de développement agricole et rurale. Les pays les plus affectés sont ceux qui, suivant les recommandations des institutions multilatérales, ont abandonné toute action publique en la matière, dans l’illusion d’un fonctionnement parfait des marchés internationaux et d’une vision simpliste des avantages comparatifs naturels. Dans son dialogue avec les ministres des finances des Etats du Sud, l’aide bilatérale française, notamment l’AFD, a souvent été la seule dans les années passées à soutenir qu’une politique agricole structurée était, sur le long terme, même en termes strictement financiers, préférable, à la facilité de court terme d’un recours aux importations. La crise de 2007-2008 et aujourd’hui la hausse et la volatilité croissante sur les marchés mondiaux de produits agricoles confirment la pertinence de cette approche à contre courant, pour de nombreux pays d’Afrique du Nord et au Sud de la Méditerranée.

Je voudrais donner trois exemples concrets d’engagements anciens de l’AFD, sur des questions qui font aujourd’hui « la une » et pour lesquelles l’aide bilatérale française a des effets d’entraînement, avec quelques délais, des institutions multilatérales.

La volatilité des prix agricoles : aucun paysan n’a intérêt à prendre le risque d’augmenter ses investissements pour moderniser sa production si les prix sont trop incertains. En 2005, dans le contexte de la privatisation des filières cotonnières africaines et d’évolutions importante du marché du coton, contre l’avis de la Banque Mondiale, institution internationale très active sur ce dossier, l’AFD a soutenu une réflexion sur les différents niveaux de gestion de la volatilité des prix du coton en Afrique de l’Ouest, région où cette spéculation a une importance économique et sociale considérable. Cela a conduit les partenaires de la filière du Burkina-Faso (producteurs et industriels), avec le soutien de l’Etat, à créer un fonds de lissage des prix du coton. Cinq campagnes de fonctionnement de ce dispositif en ont montré l’utilité, en terme de fixation des prix aux producteurs et d’équilibre financier de la filière. A la demande des professionnels une évaluation est en cours, qui associe la Banque mondiale, désormais convaincu de l’intérêt de la démarche.

La sécurisation foncière des exploitations familiales et des investisseurs privés. Cette sécurité est, avec la visibilité sur les prix, l’autre question clé pour l’investissement en agriculture, que ce soit pour une intensification durable des terres aujourd’hui cultivées (développement de l’irrigation, des pratiques de conservation des sols) ou pour l’extension des terres cultivées qui est à la fois une nécessité et une opportunité pour de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. L’AFD en soutenant depuis 10 ans les réflexions et réformes engagées par des pays le Mali, Madagascar, le Sénégal, le Niger, le Bukina-Faso, a contribué à faire en sorte que, dans ces pays, la question des acquisitions massives de terre soient abordées en connaissance des enjeux et des défis, entre des acteurs nationaux informés. Aujourd’hui, la Banque mondiale publie un rapport sur ces acquisitions à grande échelle, dont l’une des observations est que ces acquisitions se font dans des conditions d’autant plus contestables que la gouvernance de cette question est plus faible. Elle engage donc à réinvestir cette question.

L’intégration des marchés agricoles régionaux. Des régulations des marchés agricoles mondiaux sont sans doute nécessaires. Ce sera l’un des sujets du G20 sous présidence française. Mais, ainsi que l’a indiqué Xavier Beulin, dans les régions du monde balkanisées, comme la plupart des régions d’Afrique sub-saharienne, c’est au niveau d’ensembles sous-régionaux de complémentarité, de solidarité et de mutualisation des moyens qu’il faut agir. C’est pourquoi, l’AFD, en Afrique de l’Ouest soutient et soutiendra les commissions de l’UEMOA et de la CEDEAO dans la mise en œuvre de véritables politiques régionales, portant sur les politiques à leurs frontières internes et externes et sur l’harmonisation de leurs règlements autant que sur les infrastructures transfrontalières. La position de la France, forte de son histoire européenne, est à cet égard pionnière, les agences bilatérales en restant à des approches pays par pays.

M. Pascal Liu, Economiste à la division du commerce international et des Marchés de la FAO. Je voudrais revenir un instant sur le thème du commerce équitable qui peut être un instrument de développement mais peut être complété par l’aide publique, compte tenu de ses limites : un marché très étroit (1 % des produits agricoles seulement), et pas de moyens pour réduire les contraintes structurelles auxquelles les agriculteurs des PVD sont confrontés en amont comme le manque de formation, d’assistance technique, d’accès au crédit…

Le commerce équitable n’est pas une solution pour tous : en effet, sur 2,5 milliards d’actifs agricoles, il n’y a qu’un million d’actifs dans les PVD bénéficiaires du commerce équitable.

Alors comment le commerce équitable et l’aide au développement peuvent-ils se compléter ? Il y a trois niveaux d’action. D’une part, au niveau national, l’aide publique doit aider les gouvernements des PVD à mettre en œuvre de bonnes politiques agricoles et commerciales afin de réduire les contraintes structurelles qui pèsent sur l’agriculture.

D’autre part, en ce qui concerne l’aide multilatérale, la FAO a mis en œuvre un projet pilote dans les années 2005-2009 pour aider les États à renforcer les organisations des paysans et accroître leur possibilité de mettre en place des filières d’exportations bioéquitables. Il s’agit de soutenir des partenariats multi-acteurs par secteur, filière par filière, fondés sur la participation de tous les acteurs, sur le dialogue et la coopération, et sur la juste rémunération de chaque acteur, verticale et horizontale.

Le « forum mondial de la banane », animé par la FAO, est un exemple réussi sur le terrain de collaboration entre des organisations de producteurs, des entreprises, des syndicats, des multinationales, des chercheurs, la grande distribution, des ONG et d’autres représentants de la société civile. Les objectifs visent à arrêter le nivellement par le bas et la destruction de l’environnement, à favoriser l’adoption de normes volontaires durables au niveau mondial, à réduire les déséquilibres dans les filières, en particulier vers l’amont, enfin à internaliser les coûts pour la société et l’environnement. A la différence de certains autres réseaux multi-acteurs, le Forum mondial de la banane ne se limite pas à être un espace de discussion mais met en œuvre des projets concrets sur le terrain.

Enfin, dans le cadre des normes multilatérales, la « hiérarchie » des accords pose problème : dans la pratique, les accords de l’OMC ont des mécanismes d’application plus contraignants que d’autres accords internationaux. De plus, il y a une asymétrie entre les pays en matière de budget de soutien à l’agriculture et de productivité agricole. La compétition commerciale entre les PVD et les pays du Nord ne se joue pas sur un pied d’égalité. La participation des acteurs les plus faibles dans les accords internationaux pose problème à cause de leur manque de moyens pour peser dans les négociations.

M. Philippe Lacoste, directeur adjoint des Biens publics mondiaux au ministère des affaires étrangères et européennes. L’APD suit des modes : depuis 2007-2008, il y a eu un retour vers l’aide à l’agriculture et aux régions rurales qui avait énormément baissé dans les vingt dernières années car l’effort avait été mis sur les villes.

Or, il faut dépasser l’aide alimentaire et créer de vraies filières de production, en particulier dans les zones fragiles comme le Sahel.

Lors de la prochaine présidence française du G20, la France compte mettre les sujets suivants sur la table : améliorer la gouvernance des crises alimentaires, en particulier en prêtant attention aux alertes ; améliorer la transparence des marchés agricoles et réhabiliter la notion de stocks ; perfectionner les mécanismes de couverture des risques ; investir en priorité dans les agricultures des pays du Sud, notamment en matière de modernisation de la production, de gouvernance du foncier, et de R&D.

M. Jean-Paul Bacquet. Je trouve très optimistes les considérations sur la gouvernance politique de l’aide et sa perception. En République démocratique du Congo par exemple où l’aide française représente à peine 2 % de l’aide publique, qui sait que nous sommes l’un des plus gros contributeurs de la lutte contre le Sida ?

Le vote des budgets d’aide se passe dans la plus grande illisibilité et il y a peu de contrôle démocratique que ce soit à l’échelle nationale ou mondiale. De plus, quel est le poids de l’Europe dans les instances onusiennes alors qu’elle finance pourtant près de 40 % du budget de l’ONU ?

M. Jean-Yves Grosclaude. Effectivement, la présence européenne n’est guère lisible ; de plus, les Etats interviennent parallèlement ce qui n’est pas toujours simple. L’AFD recherche des modèles qui intéressent les PVD et risque d’entrer en contradiction avec les modèles retenus en France, ce qui suppose alors des arbitrages politiques.

M. Christian Jacob, président de la commission du développement durable. C’est une nécessité pour l’aide au développement de se rapprocher du terrain. Aujourd’hui, il est plus facile de mettre en oeuvre un grand programme national que de trouver des financements et d’accompagner de plus petits projets de développement local, par exemple au niveau d’une coopérative.

M. Jean Yves Grosclaude. L’AFD répond à des projets qui doivent être portés par un maître d’ouvrage dans son propre pays, un Etat, une ONG ou une institution locale. Ensuite l’AFD cherche les outils financiers adéquats. Ces projets peuvent concerner le soutien à un Etat qui souhaite mettre en œuvre une politique agricole structurée, l’aide à une ONG ou un industriel qui a une idée originale, ou une organisation de producteurs : ainsi, au Burkina Faso, nous avons engagé près de 10 millions d’euros pour aider des agriculteurs à introduire des normes techniques et se former sur le plan financier. A chaque fois, il faut démontrer l’efficacité du projet afin de passer le relais à une autre institution.

M. Jean-Pierre Blanc. De manière générale, la démarche qui fait que les populations locales des PVD attendent l’aide des institutions n’est pas saine.

Pour les acteurs privés comme une entreprise, il est trop compliqué d’avoir accès aux programmes d’aide publique car il faut rentrer dans la ligne exacte du programme, souvent très théorique et pas adapté aux projets de terrain. De plus, la démarche est trop longue à mettre en œuvre. Or, il convient d’engager des programmes plus petits, avec une plus forte réactivité, une plus grande rapidité.

M. Bernard Lesterlin, membre de la commission du développement durable. La réalité m’apparaît différente. Il y a un décalage entre les discours théoriques et la réalité sur le terrain. Je souhaiterais citer l’exemple des Comores où je me suis rendu récemment. Le maître d’ouvrage dicte quelquefois ses règles. La coopération bilatérale comme multilatérale y reste modeste. La coopération décentralisée butte sur le fait que les collectivités locales ne sont pas en mesure de mener les projets. Le co-développement qui tend à mobiliser les ressources de la diaspora est une piste sérieuse car ces ressources représentent un montant supérieur au budget de l’Etat.

Je citerai le cas d’une route sur l’île d’Anjouan. Le projet est ancien et concerne seulement 6 000 habitants dans une zone enclavée. Je me pose la question de la faisabilité de ce projet car les exportations de produits alimentaires qu’il pourrait faciliter vers Mayotte sont impossibles pour des raisons sanitaires alors que Mayotte est à 40 % de suffisance alimentaire. 

Mme Fabienne Labrette-Ménager, membre de la commission du développement durable. Je m’interroge sur l’efficacité et sur l’évaluation des projets. En Amérique centrale, par exemple au Salvador, des financements européens ont porté sur des programmes innovants, mais des questions de base comme l’accès à l’eau potable ont été négligées. N’y a-t-il pas un décalage entre ce qui décidé ici et ces manques sur le terrain ?

Je souhaiterais également appeler l’attention sur la maîtrise du foncier qui fait l’objet d’investissements importants de la part de grands groupes aux dépends d’investissements sur des équipements et au détriment des populations.

Enfin, je ressens qu’il y a plus souvent de la compétition que de la complémentarité entre les ONG.

Mme Catherine Quéré, membre de la commission du développement durable. En revenant sur l’objectif de 0,7 % du PIB consacré à l’aide publique au développement, je voudrais connaître votre avis sur l’efficacité de la taxe dite Tobin ?

M. Jean-Paul Bacquet. La taxe Tobin a été reconnue par tous comme efficace. Prenons toutes les ressources disponibles afin d’éviter les problèmes liés à l’acceptabilité de l’aide au développement.

Mayotte est bénéficiaire de l’APD alors qu’elle est française. C’est une incohérence qui rend moins crédible notre action.

Les projets surdimensionnés et peu adaptés sont nombreux et justifient que soit renforcée la coordination entre aides bilatérale et multilatérale malgré les difficultés. Ainsi, en RDC, il ne sert à rien de développer l’agriculture dans l’Est du pays sur des financements bilatéraux, s’il faut 8 à 10 jours pour acheminer les produits vers Kinshasa : seule une action multilatérale peut permettre la création d’un axe de transport Est-Ouest.

Les actions sont d’autant meilleures qu’elles sont construites sur un véritable partenariat entre donateurs et bénéficiaires, et sur les besoins exprimés par ces derniers.

Revoyons la répartition entre les dons et les prêts : il n’y a plus de dons et on fait des prêts uniquement à ceux qui apparaissent solvables comme la Chine !

L’aide publique au développement doit être considérée comme de la politique étrangère - c’est le cas aux Etats Unis ou en Grande Bretagne – et non comme en France de la gestion comptable ou budgétaire.

M. Jean Yves Grosclaude. L’AFD réagit à des demandes locales qui lui sont présentées, qui sont évaluées et qui peuvent évoluer, elle ne décide rien d’elle-même.

Le retard dans la mise en œuvre de projets peut toujours s’expliquer mais quelquefois, malgré notre avis, ils sont réalisés. La coopération aux Comores est un vrai sujet car il n’y a pas d’appropriation des projets par les décideurs maîtres d’ouvrage : ainsi des montants importants d’APD ne sont pas dépensés et auraient pu être utilisés ailleurs.

En ce qui concerne l’évaluation des projets, la durée n’excède pas 8 ou 9 mois.

M. Francesco van der Hoff. Je relève une véritable confusion dans les débats, ici comme dans tous les autres conférences auxquelles j’assiste. Je souhaite rappeler que tous les calculs sérieux qui ont été réalisés sur le développement montrent qu’il y a un rapport de 1 à 6 entre les montants d’aide publique et celui des bénéfices réalisés par des entreprises dans les pays du Sud et exportés au Nord.

Pourquoi ne pas créer des impôts sur les bénéfices obtenus dans les pays du Sud et réexportés pour que ces bénéfices reviennent aux pays d’origine ?

L’aide publique au développement est illogique. Elle transforme les habitants qui les reçoivent en mendiants qui ne sont pas respectés. On ne peut pas résoudre tous les problèmes avec de l’argent. Pour les grandes catastrophes naturelles, l’aide est essentielle. Mais l’amélioration des situations locales est du ressort des Etats.

J’ai coutume de dire qu’en ce qui concerne le commerce équitable, tout ce qu’on ne fait pas soi-même ne vaut pas la peine, et que le processus d’amélioration doit venir de nous, avec le peu d’argent que nous gagnons. Je m’interroge même parfois : le meilleur choix ne consisterait-il pas à ne rien faire ?

M. Patrick Caron. Des deux débats, il me semble ressortir un besoin fort de modestie et de renforcer notre capacité de réflexion sur les expériences. Je souhaiterais souligner que la France a le privilège d’avoir maintenu des institutions de recherche tournées vers les questions de développement et rappeler que notre pays hébergera le consortium des centres de recherche agronomique.

Le commerce équitable est une alternative au commerce international fondée sur des valeurs de proximité et de justice. Lors d’un colloque en 2008 qui a regroupé 200 chercheurs, il a été montré qu’il était difficile de mesurer les impacts du commerce équitable, tant ceux-ci sont divers et quelquefois contradictoires, le risque de marginalisation n’étant pas exclu sur des marchés étroits. La vraie question n’est-elle pas liée à la production, aux échanges et au contrôle des normes ?

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M. Aymeric Mantoux, animateur. Je vais laisser M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement, faire la synthèse de nos travaux.

M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement.

L’AFD agit désormais sur tous les secteurs et dans tous les pays, avec un accroissement des décisions d’autorisation (en prêts) qui sont passées de 1,5 milliard à 6 milliards d’euros par an, soit un passage de 16 à 18 % d’aide publique au développement.

En ce qui concerne les dons, ils sont concentrés notamment en Afrique sud saharienne sur 14 pays prioritaires, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

Les prêts bonifiés sont destinés notamment aux secteurs de l’agriculture, de l’agro-industrie, les infrastructures.

Le secteur de l’agriculture reste une priorité car il n’y a pas de développement économique d’un pays sans développement de l’agriculture, donc l’agriculture et l’agro-industrie sont en Afrique des gisements considérables d’emplois, de croissance et de développement

L’expérience de l’AFD, c’est que le progrès, en agriculture, a un besoin impératif de structuration des filières agricoles, en facilitant les relations entre des producteurs organisés et des agro-industries. Ce n’est pas une règle générale, mais cela facilite grandement les choses. Des mini-filières de commerce équitable aux filières cotonnières, le schéma fonctionne sur les produits d’exportations. Il fonctionnera aussi, de plus en plus sur le vivrier, car les villes induisent la structuration de la distribution.

Il y a un regain d’intérêt pour l’agriculture au G20 : la sécurité alimentaire de l’Afrique et la volatilité des prix ont été inscrits comme des priorités à l’agenda.

Le problème de la distorsion de concurrence entre les pays due aux subventions nationales est cruciale : depuis 2002, la production de coton américaine et chinoise ont progressé de moitié alors que, en même temps, la production africaine baissait de moitié parce qu’elle n’a pas été subventionnée.

M. Christian Jacob, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Le commerce équitable part de l’acte de production qui est lié de façon cruciale à l’enjeu fondamental des années à venir : la sécurité alimentaire mondiale. Sur le marché mondial des produits agricoles, seulement 10 % des produits sont échangés au niveau international, pour le reste il s’agit des marchés de proximité ou régionaux. Si on met en place un système de régulation qui s’applique, pour chaque produit, sur 10 sous-ensembles régionaux cohérents nous pouvons couvrir 90 % des échanges mondiaux.

Je voudrais tirer un certain nombre de conclusions qui sont pour moi autant des pistes de travail commun afin de trouver une complémentarité entre le modèle du commerce équitable et l’aide publique au développement :

1) soutenir au sein du G20 le modèle développé par MOMAGRI afin de mettre en place une nouvelle gouvernance mondiale pour l’agriculture et l’alimentation ;

2) pour ce qui est de l’aide bilatérale, mettre en place des lignes budgétaires permettant de couvrir de petits projets plus réactifs et proches du terrain qui peuvent être menés par des acteurs privés, notamment des entreprises, en partenariat avec des acteurs locaux ;

3) mettre en place des règles de conditionnalité de l’aide obligeant les gouvernements des pays bénéficiaires à accompagner le développement des coopératives et des organisations des petits agriculteurs locaux ainsi qu’à structurer et à organiser les filières agricoles ;

4) redéfinir les contours du monde associatif et humanitaire afin de réduire le nombre des ONG impliquées et améliorer la lisibilité et la légitimité de certains acteurs et éviter les doublons, les projets concurrents et l’opacité actuelle ;

5) jouer la complémentarité entre l’aide bilatérale et multilatérale : par exemple sur des initiatives telles que « le forum de la banane » menée par la FAO, pourquoi ne pas associer les agences de développement nationales et les gouvernements des pays donateurs afin de financer les mesures qui auront été décidées au sein des groupes de travail par pays qui ont travaillé au sein du forum ? L’exemple pourrait être transposé à d’autres produits agricoles.

Ce sont des pistes de travail que je souhaiterais approfondir, si vous le voulez bien, avec votre concours.

Je vous remercie d’avoir participé à cette réunion très riche et vous invite à visiter l’exposition sur le commerce équitable que l’Assemblée Nationale accueille pour un mois dans ses locaux.

Ä 16 heures : Mot d’accueil de M. Axel Poniatowski, Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale

Ä 17 h 30 – 17 h 45 : pause

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 13 octobre 2010 à 16 h 15