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Mercredi 19 janvier 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Serge Grouard Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Orru, directeur général de WWF France

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Serge Orru, directeur général de WWF France.

M. le président Serge Grouard. Je vous prie tout d’abord d’excuser l'absence d'un certain nombre de nos collègues actuellement retenus par le débat en séance publique sur le texte relatif à la garde à vue.

Je suis heureux d'accueillir M. Serge Orru, directeur général de WWF France, accompagné de M. Jacques-Olivier Barthes, directeur de la communication, de M. Jean-Stéphane Devisse, directeur des programmes de conservation et de M. Nicolas Garcia.

Chacun sait que le WWF est, au plan mondial, une des plus importantes – si ce n'est la plus importante – organisations de protection de l'environnement, en particulier de la biodiversité. Elle compte ainsi pas moins de 5 millions de ceux que j’appellerai des participants donateurs. J'apprécie tout particulièrement ce qu’elle apporte dans une fonction d'alerte, de sensibilisation, de prise en compte : elle parvient à nous mettre, nous décideurs, face à nos responsabilités et nous pousse à engager des actions extrêmement concrètes afin de préserver la biodiversité. Je salue donc votre engagement, monsieur le directeur général, comme celui de toutes celles et tous ceux qui vous accompagnent dans cette action qui est loin d'être facile.

Je vous propose de commencer par nous présenter vos missions, vos moyens, vos résultats, les thématiques auxquelles vous travaillez plus particulièrement en ce moment. Mais il serait aussi intéressant de tracer les perspectives de votre action. Nous avons accueilli ce matin un autre passionné, M. Bertrand Piccard, qui nous a présenté son projet d'aéronef entièrement photovoltaïque Solar Impulse. Je suis pour ma part persuadé que nous avons besoin de passerelles entre notre vie politique, sans doute trop enfermée dans le quotidien, et celles et ceux qui contribuent à la réflexion et qui proposent des perspectives. Nous avons donc beaucoup à gagner à échanger avec vous sur des sujets qui nous tiennent à cœur.

M. Serge Orru, directeur général de WWF France. Notre présidente, Isabelle Autissier, qui navigue actuellement dans l'Antarctique, moi-même et toute l'équipe du WWF tenons à vous remercier chaleureusement : être auditionnés par la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale est pour nous un honneur et nous nous réjouissons de l'occasion qui nous est ainsi donnée de nous rapprocher de vous.

Le WWF existe depuis 50 ans dans le monde et depuis 38 ans en France. Il a été créé pour préserver les espèces et les espaces, enrayer la dégradation de l'environnement, tenter de montrer qu'il y a un lien fort entre l'homme et la nature, l'homme et son environnement. En 50 ans, les hommes et les femmes qui composent notre organisation, souvent experts scientifiques, se sont aperçus qu’il y a bien un lien entre nos modes de vie, de production, de consommation et la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité. Il nous a par ailleurs fallu, à un moment donné, travailler avec le monde de l'entreprise. Certes, cela a pu faire l'objet de débats, mais nous sommes de « violents réformistes », nous savons que la société évolue étape par étape, qu'il faut rechercher le consensus. En 50 ans, jamais le WWF, dont la transparence est avérée au plan national comme international, n'a été compromis dans quelque affaire que ce soit.

Le WWF a été créé par quatre Anglo-saxons, mais comment ne pas faire référence à cet homme d'une grande humilité, fondateur du WWF international comme du WWF français, dont il est aujourd'hui le président d'honneur, cet immense ornithologue qu’est Luc Hoffmann ? Aujourd'hui âgé de 87 ans, il a été l'instigateur de la convention Ramsar ; il a créé la fondation Tour du Valat qui a sauvé les flamants roses en Camargue ; il a travaillé dans le monde entier à la préservation des zones humides et il a mené bien d'autres actions.

Nous « vivons » dans le bois de Boulogne, sur une propriété de la Ville de Paris en vertu d'un bail emphytéotique de 39 ans. Notre équipe de 100 personnes est basée pour l'essentiel sur notre site parisien. Nous comptons aussi une petite équipe à Lyon, qui travaille plus particulièrement au secteur Alpes et Méditerranée ; ainsi qu'une équipe plus importante, dédiée aux océans et aux côtes, à Marseille, qui se consacre à la Méditerranée. C'est dans ce cadre que le célèbre skipper Jean-Yves Terlain réalise chaque année, sur le bateau WWF Columbus, des biopsies des rorquals communs pour mesurer leur toxicité. Nous avons également des équipes extrêmement efficaces en Nouvelle-Calédonie et en Guyane.

Nous comptons en France 170 000 membres donateurs, ce qui n'est pas rien. Leurs contributions représentent 62 % de notre budget, tandis que 26 % proviennent des entreprises. Nous travaillons avec ces dernières afin qu'elles soient des leviers du changement. Il est bien évident qu’elles sont des sources de pollution et que leur empreinte écologique est très importante, mais nous nous efforçons avec elles d'aller vers une réduction de cette empreinte et vers ce que nous appelons une « économie légère ». Car l'équation qu'il nous faut aujourd'hui résoudre, c'est de produire de la richesse sans détruire le vivant, immédiat et lointain.

C'est dans cet esprit que nous sommes parvenus à susciter le Grenelle de l'environnement en créant l'Alliance pour la planète. Nous diffusons beaucoup d'informations et de messages. Un certain nombre de documents vous ont ainsi été distribués, notamment « Entreprises et changement climatique », que nous avons réalisé avec Vigeo, qui montre en particulier l'importance de la pollution générée par les activités du monde des assurances des banques, qui ont désormais compris que leurs agences ont bien sûr une empreinte écologique, mais que c'est aussi le cas de leurs investissements financiers. Vous avez également reçu « Les entreprises face à l'érosion de la biodiversité », ainsi que « Urbanisme pour une ville désirable ». Notre emblème est le panda et la biodiversité est pour nous un sujet extrêmement important, mais vous constatez que nous travaillons dans de multiples directions, en particulier à tout ce qui a trait aux modes de vie durables. Nous sommes ainsi une association de protection de l'environnement du XXIe siècle.

M. Jean-Stéphane Devisse, directeur des programmes de conservation de WWF France. WWF France doit se demander dans quel secteur son intervention est la plus pertinente, quelle plus-value il peut apporter dans le concert des organisations qui travaillent à la préservation de l'environnement, en France, mais aussi en Europe et dans le monde, puisque nous sommes partie d'un réseau international.

Je vais évoquer devant vous ce qui nous a permis de tracer un certain nombre de grandes priorités, que partage l'ensemble de notre réseau mais que le WWF France décline de façon autonome.

Dans le monde, nos 120 bureaux nationaux développent en permanence environ 12 000 programmes d'intervention liés à la conservation de l'environnement, notion qui va au-delà de celle de biodiversité.

Si nous représentons une force certaine au sein de l'ensemble du réseau, nous demeurons modestes par rapport à un certain nombre de pays, en particulier aux États-Unis, qui sont les premiers contributeurs au réseau international.

S'agissant des programmes de préservation, nous disposons de deux grands indicateurs que nous suivons en permanence et qui sont réévalués tous les deux ans. Le premier, « planète vivante », est un indicateur d'évolution des grandes tendances de la biodiversité. Il est calculé sur la base du contrôle de niveau d'abondance d'environ 7 800 populations d'animaux et de plantes qui sont suivies tous les deux ans par des organismes de recherche que nous finançons pour l'occasion. Le second grand indicateur est « l'empreinte écologique », qui mesure l'impact de l'ensemble des activités humaines reconstituées et qui est également actualisé tous les deux ans. Il ne surprendra personne que la biodiversité se réduise tandis que l'empreinte écologique humaine augmente : nous sommes de plus en plus nombreux sur terre et les besoins de l'humanité s’accroissent, il est donc logique que la pression sur l'environnement s'accroisse également. Notre première conclusion est donc pessimiste a priori, mais nous verrons comment la traduire en éléments constructifs.

Ces indices montrent qu'en une quarantaine d'années, un quart des populations des espèces terrestres suivies ont connu une forte érosion de leurs effectifs, la proportion étant sensiblement la même pour les espèces marines, tandis que la population d'un tiers des espèces d'eau douce suivie s'affaiblit fortement. La situation est donc particulièrement préoccupante et c'est ce qui a principalement motivé la conférence de Nagoya.

Si on l'analyse de façon agrégée et par grandes régions du monde, on constate que cette situation est pire dans les zones tropicales. C'est ce constat qui fonde une de nos grandes priorités, qui est de se concentrer sur des régions du monde très riches en biodiversité et particulièrement menacées. Sur la base du référencement de 35 grandes régions qui apparaissent comme des réservoirs importants de biodiversité, le réseau WWF a choisi de faire porter son effort sur 15 régions prioritaires. Nous-mêmes, WWF France, avons décidé d'engager un effort particulier dans une partie de ces régions, celles avec lesquelles nous avons un attachement historique et linguistique, mais aussi celles à l’égard desquelles nous ne pourrions rester indifférents au regard de la richesse de leur biodiversité. Au-delà, nous avons manifesté notre attachement à travailler dans la région méditerranéenne, dont nous sommes riverains et qui nous paraît particulièrement importante, ainsi qu’à Madagascar, pays auquel nous ne saurions être indifférents. Nous nous consacrons aussi à deux zones spécifiques : l'Amazonie, à travers la Guyane française, et le triangle corallien, cette grande zone qui va de la mer de Chine jusqu'à l'Australie, où la Nouvelle-Calédonie est un réservoir de biodiversité extrêmement important. Cela me donne d'ailleurs l'occasion d'insister sur l'action que nous menons en direction de l'outre-mer : nous sommes convaincus que, si nous voulons préserver la biodiversité, comme cela a été annoncé à Nagoya, il faut « mettre le paquet » sur ces régions, qui concentrent près de 80 % de la biodiversité nationale.

Nous voyons cinq causes principales à la dégradation de la biodiversité : la destruction directe des milieux, par exemple lorsqu’on abat une forêt, en particulier en zone tropicale, pour l’importation d’un bois non certifié ; les prélèvements et la surexploitation des espèces, ce qui peut se produire partout, y compris en mer, comme le montre la polémique autour du thon rouge ; la concurrence des espèces invasives, liée aux mouvements de l’espèce humaine dans le monde et qui peut conduire à la destruction des milieux naturels d’origine, en particulier dans les régions d’outre-mer ; les contaminants toxiques, dont chaque jour révèle l’impact sur la biodiversité mais aussi sur la santé humaine ; enfin, le changement climatique et les perturbations qui y sont liées, que j’illustrerai ultérieurement.

Nous nous efforçons donc de préserver la biodiversité dans les endroits du monde où elle nous paraît la plus riche, mais aussi d’intervenir sur les causes de sa dégradation. Ces causes tiennent essentiellement à une démographie en augmentation et à une surconsommation dans certaines parties du monde, qui débouchent sur une croissance de la demande de biens, ainsi que de l’offre et de l’activité industrielle dans le monde entier. Cela entraîne certes un progrès de la prospérité et du niveau de vie qu’il faut saluer, mais aussi une pression accrue sur les écosystèmes.

I = P x A x T (en anglais Human Impact (I) = Population (P) x Affluence (A) x Technology (T) : cette formule signifie que la somme des impacts environnementaux est égale à la population, que multiplient la richesse par habitant et la technologie, entendue comme le niveau d’équipement que le confort de vie permet. Eh bien, c’est cette équation qui s’applique aujourd’hui et qu’il nous faut récrire collectivement.

Un autre indice de la dégradation est l’empreinte écologique – donc l’impact des activités humaines – qui ne cesse d’augmenter. Un graphique nous montre que cet impact s’est accru substantiellement depuis les années 1960. On le constate à travers les terrains bâtis – c’est pourquoi nous comptons une urbaniste dans note équipe –, les terres cultivées, les surfaces de pêche, les forêts, les pâturages et l’empreinte carbone, qui est le résultat des émissions de gaz à effet de serre. L’excès d’empreinte écologique se traduit par le changement climatique. Ce changement est impressionnant si on le rapporte à l’évolution du PIB mondial : l’énergie carbonée étant le moteur même de l’économie, il est logique que la combustion du carbone conduise à un relèvement des températures.

En la matière nous avons pour priorités sur deux grandes régions du monde : les pays de l’OCDE, notamment la France et l’Union européenne, qui sont parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, et les pays émergents – Brésil, Russie, Inde et Chine – dont les émissions « explosent » depuis quelques années.

Les scientifiques nous alertent sur la nécessité de limiter au maximum l’élévation des températures d’ici 2100. Un laboratoire du CNRS, le CIRED, travaille à la simulation des impacts du changement climatique et à leur modélisation économique. Si l’on prend pour référence la ville de Fréjus, en 1970, son climat correspondait à sa position sur une carte. Depuis lors, sa température moyenne a augmenté d’environ un degré et, en 2020, son climat la situera à la position qu’occupait Naples en 1970. En 2040, avec une augmentation de 2°, elle serait à la hauteur de l’Afrique du Nord, sa position se déportant sans cesse plus au Sud au fur et à mesure que la température s’élève. Or, trois degrés de plus, c’est l’anomalie climatique que nous avons connue à l’été 2003, avec pour corollaire une forte augmentation de la probabilité d’incendies de forêt. On peut dès lors s’inquiéter d’un dérèglement climatique que l’on ne parviendrait pas à maîtriser.

Pour préoccupant qu’il soit, un tel scénario est considéré comme intermédiaire par le GIEC… En fait, le problème tient à la vitesse à laquelle ce phénomène s’instaure : nous sommes aujourd’hui au-delà du scénario pessimiste des scientifiques, qui nous disent qu’il faut agir très vite pour infléchir les émissions mondiales, si possible avant 2020, c’est-à-dire dans les neuf ans que représente la durée de vie moyenne d’une voiture… On mesure le niveau de réformes auquel il faut parvenir rapidement !

C’est à partir de ces grands indicateurs que nous lançons un certain nombre de programmes, qui doivent inciter à aller plus loin encore. Toute notre action se bâtit autour de trois pôles convergents : la sensibilisation à la fragilité de l’environnement, la dénonciation en cas de problème, et les programmes que nous menons sur le terrain avec les acteurs territoriaux afin de sensibiliser les décideurs – publics et privés – aux solutions que l’on peut apporter.

Le WWF sait entretenir la polémique en cas de nécessité, mais telle n’est pas sa raison d’être. Nous adoptons systématiquement une approche de proposition et de construction. Nous préférons agir au plus près des besoins de nos concitoyens, en particulier dans ce qui touche aux besoins communs, à cet espace collectif qui fait converger les intérêts de toutes les parties prenantes. Comment s’alimenter durablement ? Comment avoir une santé durable ? Comment se loger durablement ? Ces questions sont au cœur de notre réflexion.

L’organigramme du département des programmes de conservation montre dans quels grands domaines nous développons nos activités : éducation à l’environnement et sensibilisation générale ; changement climatique et énergie, urbanisme et autres politiques publiques, au gré des échéances comme la révision de la PAC en 2013, ou la politique commune de la pêche ; arc alpin et région méditerranéenne, en lien notamment avec le tourisme ; océans et littoral ; eau douce (écosystèmes et liens avec l’agriculture) ; forêts tropicales et tempérées, commerce du bois, certification forestière ; outre-mer, en particulier Guyane et Nouvelle-Calédonie.

M. le président Serge Grouard. Je vous propose de prendre une première série de questions avant d’en venir à la présentation de M. Jacques-Olivier Barthes.

M. Jean Lassalle. Je regrette, monsieur Orru, de n'avoir pu entendre le début de votre intervention. Mais je vous connais bien… Vous avez écrit Jette pas ton mégot, deviens un héros, ouvrage que j'ai lu avec bonheur, car c’est très beau, tout comme Oui au bio dans ma cantine. Je connais aussi votre histoire, je sais que vous êtes marié, père de famille nombreuse. Vous êtes Corse, je suis Pyrénéen, d’autres sont d'ailleurs, mais nous sommes tous très attachés à notre territoire. Pour autant, je m’étonne de vous trouver là...

Vous avez dit qu’il fallait travailler avec les grandes entreprises. De fait, comment ne pas faire le lien entre Luc Hoffmann, auquel vous avez rendu hommage, et le groupe Hoffmann-Laroche ? Anton Rupert, qui a donné au WWF le succès qu’il mérite, était aussi un très grand entrepreneur, puisqu’il a été l’un des hommes les plus riches de la planète et qu’il a achevé sa carrière au sein de British American Tobacco, plus grand cigarettier du monde.

Le Canard enchaîné révélait le 5 janvier dernier que le droit d’entrée au WWF est de 50 000 euros…

M. Serge Orru. Ils se sont trompés, c’est bien plus, mais j’y reviendrai…

M. Jean Lassalle. Vous avez dit, monsieur Devisse, que la polémique n’est pas votre raison d’être. Avec moi c’est raté, ne serait-ce que parce que j’ai du mal à qualifier de modeste un budget qui atteint 320 millions de dollars tandis que vous employez pas moins de 4 000 personnes à 2 000 projets de conservation de la nature !

M. Jean-Paul Chanteguet. Je suis heureux de vous entendre, messieurs, et je vous remercie pour votre présentation.

Nous connaissons les causes de la perte de biodiversité, que nous avons en particulier évoquées à l'occasion des débats sur les textes relatifs au Grenelle de l'environnement. Néanmoins, il serait sans doute utile que vous nous indiquiez l’importance relative, dans notre pays, de l'artificialisation des sols, des pollutions, de la surexploitation des ressources – en particulier halieutiques –, des espèces exotiques envahissantes ?

Pouvez-vous par ailleurs réagir par rapport à certaines mesures contenues dans les textes Grenelle ? Le Grenelle 1 a fixé pour objectif l'acquisition par les collectivités publiques de 20 000 hectares de zones humides, le WWF, dont le rôle est aussi de mettre en œuvre un certain nombre de programmes et de projets, s'associe-t-il à de telles acquisitions ?

Je m'interroge par ailleurs sur la réalisation de la trame verte et bleue car trop peu de moyens y sont consacrés par l'État tandis que les collectivités territoriales, en particulier les régions, sont confrontées à des difficultés financières importantes qui risquent de s'aggraver. Quel est selon vous l'avenir de cette trame ?

L'agriculture biologique représente aujourd'hui environ 2,6 % de la surface agricole utile. Les objectifs sont d'atteindre 6 % en 2012 et 20 % en 2020. Je crains fortement qu'ils ne soient pas atteints.

M. Serge Orru. Pour nos besoins en industries, en routes, en logements, etc. nous dévorons tous les dix ans l'équivalent d'un département français ! Comment ne pas s'inquiéter que nous soyons de la sorte le pays européen le plus vorace en espaces naturels ?

Nous sommes très attentifs à tout ce qui a trait à l'agriculture et bien sûr favorables à l'agriculture biologique. Nous souhaitons vivement que le sort de nos agriculteurs s'améliore : c'est un monde qui souffre trop, qui disparaît. Pour nous, il n'y a pas d'un côté les bons paysans, qui font du bio, et de l'autre les mauvais. Nous appelons de nos vœux une autre agriculture. Dire oui au bio dans ma cantine ne relève pas simplement de l'incantation sympathique pour que seuls nos enfants aient dans leurs assiettes des denrées alimentaires issues de l'agriculture biologique. Nous savons très bien qu'il faut restructurer les filières agricoles, que le besoin de formation des cuisiniers et des économes est immense dans l'ensemble de la restauration collective, qui délivre chaque jour des millions de repas. Mais nous disons aussi « oui au bio » dans la cuisine de chaque Français ! Nous souhaitons par ailleurs que les maires réservent du foncier à l'agriculture biologique et que le Gouvernement aide davantage les agriculteurs qui souhaitent se convertir au bio. Ce n'est certes pas en réduisant les aides que l'on délivre un bon message en faveur du développement de cette agriculture.

Nous avons envie d'une transformation de notre société, d'une métamorphose de notre économie et nous savons bien que cela ne se fera pas en claquant des doigts ni même en manifestant. Pour autant, nous savons aussi exercer une pression et nous pouvons même faire du mal… Mais on en fait aussi, non pas à nous personnellement, mais à la planète ! Pour autant, nous ne nous considérons pas comme propriétaires de celle-ci : nous sommes une ONG et l'environnement ne nous appartient pas ! Notre travail, c'est l'éducation à l'environnement, la sensibilisation non pas uniquement des jeunes générations mais aussi des grands corps de l'État. Nous savons très bien combien de députés et de sénateurs, à gauche comme à droite, sont très sensibles à l'environnement, combien de ministres le sont également. Nous faisons de la politique, mais nous ne sommes pas partisans ! Vous ne m'entendrez jamais émettre d’opinions personnelles : même si elles peuvent transparaître ici ou là, ce sont simplement la passion des autres et la passion de la planète qui nous animent.

Il est vrai que Luc Hoffmann est l’héritier d'Hoffmann-Laroche. Mais si tous les héritiers se comportaient comme lui, le monde se porterait autrement ! À l'encontre de la vocation familiale, il a décidé de ne pas être chimiste mais ornithologue. Peut-être n'est-il pas inutile de vous dire comment s'est créé le WWF il y a un peu plus de 50 ans. Quatre Anglo-Saxons voulaient préserver en Espagne, qui était alors sous le régime franquiste, une zone humide appartenant à trois propriétaires terriens, ce qui était aussi complexe qu’en Corse ou dans les Pyrénées... Ils se sont tournés vers Luc Hoffmann parce qu'ils savaient qu'il disposait de fonds mais aussi parce qu’ils connaissaient sa grande capacité de conviction. Il a accepté de négocier avec les propriétaires terriens et avec le régime franquiste, et il est arrivé à ses fins. Il a simplement posé comme condition que ces quatre Anglo-Saxons créent une organisation non gouvernementale internationale. Gloire à lui d'avoir eu une telle vision il y a 50 ans, quand bien même son père était un chimiste et lui l’héritier d'Hoffmann-Laroche. N'y a-t-il pas, monsieur Lassalle, dans votre circonscription des sites Seveso que vous avez défendus avec la passion et l'honneur qui vous caractérisent ?

Pour notre part, je le répète, créer de la richesse et la répartir équitablement, sans détruire la biodiversité, quel est notre seul credo !

M. Jean Lassalle. Vous ne m’avez pas répondu sur Anton Rupert…

M. Serge Orru. Je le connais très peu et il est mort, est-il bien utile d’y revenir ?

M. le président Serge Grouard. Ce point ayant été traité, je souhaite que nous puissions avancer et nous projeter vers l'avenir.

M. Jean Lassalle. Une question simplement, monsieur le président : cette audition fait-elle l’objet d’un enregistrement ?

M. le président Serge Grouard. Oui, il s'agit d'une audition officielle et ouverte à la presse de notre commission. Notre débat est diffusé sur un canal de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Stéphane Devisse. Je souhaite apporter quelques réponses techniques aux questions techniques qui nous ont été posées.

En métropole, la première cause de la dégradation de la biodiversité demeure l'artificialisation, en particulier l'étalement urbain, contre lequel il n'est pas facile de lutter. La deuxième est la pollution, nous nous en apercevons chaque jour. Ensuite, les choses sont plus compliquées. On parle beaucoup de la surexploitation, mais je dirais qu’elle est différée, ou plutôt importée : je veux dire que nous importons des biens de consommation issus de la surexploitation des ressources halieutiques de la haute mer ou des forêts tropicales, qui ne nous appartiennent pas. Enfin, les espèces envahissantes jouent en effet un rôle très important, en particulier outre-mer, notamment en Polynésie mais aussi aux Antilles.

Merci d'avoir insisté sur le programme d'acquisition des zones humides, qui est une préoccupation ancienne et importante du WWF : dès les années 1990, quand d’excellents documents avaient déjà montré la tendance à l'assèchement des zones humides dans notre pays, nous nous sommes engagés dans des programmes spécifiques. Ainsi, en 1989, nous avons financé un tiers de l'acquisition d'un millier d'hectares pour la réserve du marais d’Orx dans les Landes, afin de soutenir le Conservatoire du littoral qui ne disposait alors pas des capacités suffisantes pour un tel investissement. Nous poursuivons depuis lors notre soutien aux acquisitions. Nous sommes ainsi fiers d'avoir contribué l'an dernier à l'acquisition dans la Brenne, dans le département de l'Indre, de 180 hectares gérés par la réserve naturelle de Chérine, donc en fait par le conseil général. N’oublions pas par ailleurs que la première réserve naturelle de Camargue, à la Palissade, a été acquise grâce à des fonds du WWF, dont on pourrait dire qu'ils sortaient en fait de la poche de Luc Hoffmann…

Nous sommes aussi inquiets que vous quant à la réalisation de la trame verte et bleue, ne serait-ce qu’au motif qu'elle n'est aujourd'hui pas opposable. Le manque de moyens, en particulier dans les collectivités territoriales, ne nous incite guère à l'optimisme. Je veux toutefois insister sur le fait que, quand bien même les meilleures décisions sont prises au niveau international, communautaire ou national, ce sont toujours les territoires qui les appliquent. Nous ignorons si la trame verte et bleue pourra miraculeusement s'imposer sur tout le territoire national, mais il est certain que des collectivités souhaitent s'engager dans cette voie. Nous voulons les accompagner, dans des régions où les enjeux sont importants, et ainsi faire la preuve qu'il est possible, pour peu que l'on fasse preuve de détermination, de mettre en place une trame verte et bleue.

M. Jacques-Olivier Barthes, directeur de la communication. Le WWF est certainement l’organisation non gouvernementale qui peut se prévaloir de la plus grande rigueur scientifique dans son secteur. Mais, les hommes politiques que vous êtes le savent fort bien : pour faire passer un message, il faut être créatif et savoir parler au cœur. À cet effet, nous avons besoin de l’appui de personnalités, comme Yannick Noah, partenaire de notre association depuis de nombreuses années, avec qui nous avons réalisé un spot sur le tigre, l’objectif étant de doubler la population de cette espèce d’ici 2020.

Notre programme de communication comporte également des campagnes en faveur de la biodiversité, dans le cadre de l’année internationale consacrée à ce thème, avec des affiches montrant toutes les atteintes dont elle est l’objet, par exemple des ours polaires artificiellement tagués, des thons rouges – valorisés en tant qu’espèce en les comparant aux pandas –, ou des tigres, espèce protégée depuis les années 1970 mais qui hélas disparaît.

Qu’apportent toutes ces campagnes à notre image ? Nous disposons depuis quatre ans d’un baromètre de la perception des ONG environnementales dans l’opinion publique. Les sondages réalisés en septembre 2010, par oral et sur internet, sur des échantillons représentatifs de la population confirment la bonne opinion dont bénéficie notre organisation. Ainsi, nous sommes passés depuis 2008 de 37 à 59 % de notoriété spontanée – soit la plus forte progression –, tandis que, pour ne citer que les organisations les plus connues, Greenpeace tombait de 32 à 29 % et la Fondation Nicolas Hulot et Ushuaia respectivement de 11 à 9 % et de 12 à 6 %.

En outre, plus de 90 % des Français ont une bonne opinion du WWF, soit un taux bien supérieur à celui des autres organisations – 73 %, par exemple, pour Greenpeace. On voit que notre association est vue comme la plus fédératrice, qu’elle est celle qui rencontre le plus d’adhésion et qui suscite le plus fort sentiment de proximité, tandis que Greenpeace, qui est beaucoup plus « clivante », est nettement en retrait et que même France Nature Environnement parle moins au cœur des Français. Notre association est vue comme la plus impliquée en matière d’environnement dans le monde par 49 % de nos compatriotes, contre 40 % en 2008 – ce taux est passé de 48 à 44 % pour Greenpeace. Pour l’implication en France, ce taux est de 46 % contre 23 % en 2008, tandis que la Fondation Nicolas Hulot, qui jouit pourtant d’une large notoriété dans notre pays, n’est qu’à 11 %, contre 24 % en 2008.

Les traits d’image associés à notre organisation sont principalement qu’elle est sympathique, qu’elle est digne de confiance, qu’elle mène des actions utiles pour l’environnement, qu’elle mériterait de disposer de plus de moyens, qu’elle est une institution qui fait autorité, qu’elle dispose d’une forte expertise scientifique et technique, qu’elle est constructive, dynamique, moderne et indépendante. Une large majorité de Français se sent proche de nous et considère que nos actions doivent être destinées à aider les consommateurs à mieux respecter la nature, à accroître la transparence de notre gestion. Nombreux sont ceux qui pensent qu’ils pourraient travailler chez nous.

S’agissant enfin d’un sujet fréquemment évoqué et auquel M. Lassalle a fait référence, à la suite de l’article du Canard enchaîné, plus de 70 % des personnes interrogées estiment que les partenariats avec les entreprises sont plutôt une bonne chose, car ils donnent au WWF des moyens supplémentaires et poussent les entreprises à s’améliorer.

Notre grande campagne sur le climat, « Earth Hour », que nous avons lancée en 2009 en demandant aux Français d’éteindre la lumière pendant une heure le dernier samedi de mars, va un peu changer de modèle cette année, en mettant l’accent, notamment avec RTE, le Réseau de transport de l’électricité, sur la réduction de la consommation d’énergie et en incitant nos compatriotes, avec les élus et les collectivités locales, à retrouver des gestes de sobriété en la matière.

M. Serge Orru. Jusqu’ici, l’écologie c’était « quelques-uns contre le reste du monde » : il faut désormais que nous soyons les uns avec les autres, que nous nous parlions, quelles que soient nos appartenances ou nos différences – à l’image de ce qu’a d’ailleurs été le Grenelle de l’environnement, avec toutes ses limites –, pour transcender les contradictions et les antagonismes, développer le civisme écologique et, surtout, offrir à nos enfants une planète vivante. Pour favorables que soient les sondages, nous devons faire preuve d’humilité et être ouverts aux autres, quand bien même ils ne pensent pas comme nous.

M. Patrice Martin-Lalande. Comment continuer à faire vivre l’esprit du Grenelle de l’environnement ? Faut-il le faire sous la forme de grands-messes – et, dans ce cas, à quelle échéance ? – ou trouver d’autres formes de dialogue ?

Par ailleurs, le Grenelle a pour conséquence la réduction des surfaces constructibles : ne risque-t-on pas de nuire ainsi à l’attractivité des communes rurales ? Les communes rurales, dont je suis un élu, n’offrent pas les mêmes services que les villes mais elles ont l’espace et la qualité de vie : il serait regrettable qu’elles atteignent une densité démographique proche de celle des villes sans en avoir les avantages. Comment éviter de gaspiller l’espace et protéger ces territoires sans les pénaliser ?

Par ailleurs, l’engrillagement des terrains privés nuit fortement au maintien de la biodiversité, mais le droit de propriété, qui a valeur constitutionnelle, emporte celui de pouvoir se clore. Comment lever cette contradiction, à laquelle nous sommes confrontés notamment dans la Brenne et en Sologne ? Le WWF a-t-il des propositions en la matière ?

Enfin, les normes environnementales progressent. Conjuguées à nos normes sociales, elles pèsent sur la fiscalité et nos produits s’en trouvent défavorisés par rapport à ceux des pays qui ne respectent pas ces normes. Comment sortir de cette situation ? Dans le débat sur la loi de modernisation de l’agriculture, j’avais plaidé pour que le Gouvernement rende compte chaque année de la charge supportée par nos produits agricoles par rapport à leurs concurrents. Comment serait-il possible selon vous de répartir plus équitablement les efforts ?

M. Jacques Le Nay. Nous avons en matière d’urbanisme adopté plusieurs dispositions dans le cadre du « Grenelle II » et de la loi de modernisation agricole : pensez-vous qu’elles soient suffisantes pour atteindre les objectifs que vous visez ?

Je nourris moi aussi des inquiétudes quant au danger d’une politique d’aménagement du territoire mal conçue. Citadins et ruraux ont des manières de vivre différentes : il faut que ceux qui ont passé une partie de leur vie en ville puissent revenir à la campagne non pas en habitat collectif mais dans un pavillon individuel.

Je crains par ailleurs qu’à trop vouloir protéger certaines espèces, on ne soit confronté au danger de surpopulations. Ainsi, dans le golfe du Morbihan, nous avions de grandes colonies d’oies bernaches, qui ont disparu avec les herbiers où elles se nourrissaient, tandis qu’est apparu l’ibis blanc d’Égypte, qui pose parfois des problèmes sanitaires. N’avons-nous pas trop protégé ou mal régulé les espèces ?

S’agissant enfin de la déforestation, on se demande comment bien protéger la forêt en utilisant mieux la filière bois et favoriser le développement durable. Je constate que dans vos publications, vous faites une grande place au mobilier et aux constructions en bois : or, pour les fabriquer, il faut quand même couper quelques arbres…

M. Patrice Martin-Lalande. Je partage le point de vue exprimé sur la protection des espèces : le cas des cormorans, protégés de façon excessive, est révélateur ; ce faisant, on met en péril la pisciculture, qui entretient la biodiversité des zones humides comme la Sologne ou la Brenne. Les mesures de protection doivent évoluer en fonction de la vie de la nature et des besoins. Je tire donc la sonnette l’alarme.

M. Jean-Paul Chanteguet. Il faut parfois tirer sur les cormorans !

M. Patrice Martin-Lalande. Moi aussi je leur tire dessus, mais ce n’est pas facile… De plus, nous avons un problème de nidification de l’espèce, qui se faisait auparavant dans l’Europe du Nord et s’opère maintenant chez nous. Or, on n’a pas le droit de détruire les nids, comme le faisaient les Scandinaves, et on ruine ainsi l’activité économique qui permet d’assurer la biodiversité des territoires humides.

M. le président Serge Grouard. Je souscris à ce que vient de dire M. Martin-Lalande sur la prolifération des cormorans qui fragilise l’équilibre économique mais aussi écologique. Nous sommes nombreux à le dire car cela relève du simple bon sens et l’on ne peut prétendre que nous, qui avons la fibre écologique, voulons détruire telle ou telle espèce, alors que nous défendons au contraire la préservation et l’équilibre fragile de la faune.

Les graphiques que vous nous avez présentés montrent que la dégradation de l’environnement se poursuit malgré les efforts consentis en faveur de la biodiversité, donnant le sentiment d’un phénomène inexorable contre lequel nous sommes quasiment impuissants : chaque fois qu’on réussit à protéger une espèce, dix autres apparaissent comme menacées. Alors que le Grenelle de l’environnement constitue une belle avancée, vous montrez que nous nous éloignons d’un monde durable. C’est parfois désespérant !

Aussi, je souhaiterais savoir si, dans la quinzaine de territoires sur lesquels vous faites porter l’effort, vous pouvez donner l’exemple d’un espace relativement étendu où les mesures prises en faveur de l’environnement se traduisent globalement par une amélioration sensible. Dans ce cas, pourriez-vous nous indiquer les raisons de ce succès ?

M. Serge Orru. Notre combat a une issue incertaine, mais il faut croire à l’improbable, à l’image de la Révolution française, de la victoire des Alliés en 1945 ou de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Formatés jusqu’ici par un monde productiviste et industriel, nous devons intégrer la logique écologique d’une prospérité verte créatrice d’emplois.

Le Grenelle de l’environnement – que nous avons suscité – a représenté un travail considérable, qui a mobilisé beaucoup d’acteurs et amorcé une prise de conscience et une transformation de la société française. Mais il s’agit d’un processus de long terme, qui vise à ce que l’on prenne conscience du vital, non d’un concours de Miss France ou d’une fiction où l’on se marie à la fin… Lors d’un sommet international, un chef d’État a dit « si le climat était une banque, l'Occident l'aurait déjà sauvé » : il avait raison.

On ne peut que regretter que le Gouvernement, après avoir engagé ce travail, n’en ait pas tiré profit et que, sur les 268 mesures concernées, il n’ait globalement pas pris les décrets d’application qui s’imposent : il faut faire vivre le Grenelle de l’environnement dans les territoires.

À côté des échecs des sommets de Copenhague et de Doha, nous avons bénéficié des avancées de ceux de Nagoya et de Cancún, et nous espérons que lors du sommet de Durban, en décembre prochain, nous définirons des objectifs contraignants permettant d’enrayer le péril climatique qui coûte cher au monde, au même titre que les crises sociales ou humanitaires.

Il faut par ailleurs favoriser la conversion des grands corps de l’État au développement durable : en dépit du soutien apporté par certaines personnalités, nous avons du retard dans ce domaine, en termes tant de mentalité, de formation que de culture. Si le corps enseignant fait dans les écoles primaires un travail remarquable de formation écologique, il n’en est pas de même dans les grandes écoles.

Les Français ne comprendront le bilan du Grenelle que lorsqu’ils en sentiront les effets auprès d’eux. Il est inutile de faire de la communication ou de promettre des centaines de milliers d’emplois que l’on n’a pas. Nous sommes certes parvenus à imposer des normes pour les immeubles neufs, mais ils ne concernent qu’une minorité de nos concitoyens, alors que l’habitat ancien constitue un gisement d’emplois considérable. Il faut ainsi créer un cercle vertueux dans de nombreux domaines, comme l’énergie, les transports ou l’alimentation. Si, comme le disait Paul Valéry, « le temps du monde fini commence », notre imagination, notre audace et notre capacité à travailler ensemble doivent être infinies ; l’écologie est aussi un art des relations humaines et, dans une large mesure, une forme de civisme et de respect d’autrui. On ne peut respecter les pandas si l’on ne respecte pas les hommes et les femmes, non seulement ceux qui vivent autour de nous mais aussi ceux qui nous succéderont.

Il faut profiter des sommets du G8, du G20 et du « Rio + 20 » pour que l’Europe fasse valoir sa voix, au-delà de la législation qu’elle a adoptée, car elle ne pèse pas aujourd’hui dans les négociations internationales. Il serait souhaitable que le Président de la République insiste, avec la Chancelière allemande et le Premier ministre britannique, sur l’objectif de réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre : ce serait un signal très important avant le sommet de Durban. De même les chefs d’État ne devraient pas tolérer que M. Barroso fasse ce qu’il veut en matière d’organismes génétiquement modifiés. Pour notre part, nous sommes pour une Europe sans OGM en plein champ, sans pour autant être hostiles à la recherche sous serre.

M. Jean-Stéphane Devisse. Je rappelle que le prix de l’essence à la pompe a augmenté de 40 centimes entre avril et août 2008 et que celui du baril de pétrole s’établit aujourd’hui à environ 92 dollars, ce qui pose une équation difficile : comment renforcer l’attractivité des zones rurales sans fragiliser le budget des ménages par un coût de déplacement élevé ?

Le regroupement dans les villes serait certes économe, mais il entraînerait une désertification des campagnes dont personne ne veut. Dans le Limousin, le conseil général soutient les projets de lotissement des communes rurales à condition qu’ils soient à moins d’un kilomètre d’une gare desservie par un transport express régional (TER), de sorte que les habitants puissent les rejoindre sans accroître les émissions à effet de serre ni grever leur budget. Il est donc possible de mettre fin au cercle vicieux par lequel l’installation dans une maison individuelle se traduit par une paupérisation des plus précaires. On voit aussi apparaître de nouveaux paysages conciliant l’habitat en maison individuelle et une relative densité démographique, ce qui permet de regrouper les déplacements et de revitaliser les zones rurales tout en allégeant la charge énergétique, que ce soit vis-à-vis du budget des ménages ou du climat.

Sur la fiscalité, il y a lieu, comme le préconisait Keynes, de taxer les mauvaises choses – la pollution par exemple – et de détaxer les bonnes, comme le travail ; et ce, à pression fiscale constante. Cependant, il faut veiller à éviter le protectionnisme économique, qui pourrait engendrer des effets pervers et nuire aux pays les plus pauvres. C’est un sujet bien compliqué.

En matière d’étalement urbain, je ne sais s’il convient d’aller plus loin que les dispositions contenues dans la loi de modernisation agricole, dont nous avons salué les avancées. Notre urbaniste pourra vous renseigner sur ce point.

Enfin, concernant la protection des espèces, on observe en effet des surpopulations. Ainsi, les ibis égyptiens, échappés de captivité, se reproduisent beaucoup en France métropolitaine et constituent une espèce invasive nuisible aux milieux aquatiques et à d’autres oiseaux : il n’y a pas d’autre solution que de les éliminer. Il en est de même des cormorans, dont on recueillait et on mangeait autrefois les œufs : ils pourraient être abattus par des tireurs agréés, afin d’éviter de risquer de porter atteinte à d’autres espèces.

M. Patrice Martin-Lalande. Pourquoi ne pas détruire les nids – mesure qui a fait ses preuves – puisque l’objectif est de mettre fin à leur prolifération en vue d’aboutir à un équilibre entre les espèces ?

M. Jean-Stéphane Devisse. Si pour les goélands argentés, la destruction partielle des nids a pu être efficace, une dérégulation se traduisant par le classement d’une espèce protégée en espèce nuisible risque d’ouvrir une boîte de Pandore. Il faut que la régulation se fasse de manière encadrée par le biais, le cas échéant, d’autorisations préfectorales.

M. Patrice Martin-Lalande. Il n’empêche que la rigidité des règles actuelles ne permet pas de maintenir la population des espèces au niveau souhaitable. Elle est d’ailleurs contraire à ce que l’on nous demande dans le cadre de Natura 2000 – je préside le comité de pilotage de la Sologne –, à savoir maintenir les activités ayant permis d’atteindre les objectifs en matière de biodiversité, qui est menacée par le développement de certaines espèces.

M. Jean Lassalle. Pouvez-vous me confirmer, monsieur Orru, que le budget de WWF est de 320 millions de dollars ? Cela fait beaucoup d’argent, ne le trouvez-vous pas ?

Par ailleurs, sur quels critères reconnaissez-vous les députés qui sont de bons ou de mauvais écologistes ? Travaillez-vous pour cela avec les renseignements généraux ?

Quel est le nom des quatre courageux Anglo-Saxons qui ont affronté l’Espagne franquiste et qui ont donné au WWF le visage moderne qu’il a aujourd’hui ?

Avez-vous, oui ou non, travaillé avec quelques-unes des entreprises les plus polluantes du monde et les plus spécialisées dans le luxe ? L’avez-vous dit à Edgar Morin et à Yannick Noah ?

Vous avez, monsieur Orru, été décoré de la légion d’honneur et êtes entouré de très bons spécialistes. Pourtant, j’accuse le WWF d’être l’une des plus grandes entreprises de mystification du monde, mais aussi de blanchiment d’argent sale, en le « verdissant ». Il est évident que vous pouvez attaquer ces propos puisqu’ils seront publiés ; vous pouvez aussi m’apporter des réponses si vous en avez, ou ne rien dire, ce que je comprendrais également.

M. le président Serge Grouard. Monsieur Lassalle, vos propos n’engagent que vous. En tant que président de cette commission, je ne m’y associe évidemment pas…

M. Patrice Martin-Lalande et M. Jean-Paul Chanteguet. Nous non plus !

M. le président Serge Grouard. …pas plus qu’aucun de nos collègues je pense. Votre intervention pose deux problèmes éthiques. D’une part, quand on profère de telles accusations, il faut apporter des éléments de démonstration.

M. Jean Lassalle. En ai-je le temps ?

M. le président Serge Grouard. D’autre part, nous travaillons ici, comme dans les autres commissions et selon le vœu du président de l’Assemblée nationale, en toute transparence, en rendant publiques ces auditions ; nous le faisons de façon sérieuse et sans avoir à rougir vis-à-vis des générations futures. Je regrette qu’on puisse instrumentaliser la Commission en tenant des propos hors sujet portant atteinte au respect des personnes auditionnées, qui consacrent leur temps à nous faire bénéficier de leurs compétences.

M. Jean Lassalle. Vous m’accusez d’instrumentaliser la commission ?

M. le président Serge Grouard. Pour votre part, ce sont d’autres accusations que vous avez portées… Oui, je regrette d’autant plus cette instrumentalisation que les personnes auditionnées ont accepté de jouer le jeu de la transparence et de l’ouverture. Si le débat est plus respectueux et plus fructueux lorsque cette ouverture n’existe pas, cela pose un véritable problème de fonctionnement !

Nous souhaitons, dans le contexte international difficile que nous connaissons, apporter modestement notre pierre à un édifice. Nous ne nous inscrivons pas dans la logique d’un show politico-médiatique de court terme – lequel, de mon point de vue, ne présente aucun intérêt et est même pernicieux pour la vie politique.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, je suis un député comme vous ; sommes-nous dans une commission de travail de l’Assemblée nationale, oui ou non ? Avons-nous le droit de poser des questions sans être traités ainsi ?

Je souhaite la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le WWF !

M. le président Serge Grouard. Je ne vous traite d’aucune façon – les collègues présents peuvent en témoigner – mais je me dois d’assurer la correction des débats.

Monsieur Orru, je renouvelle ma question sur l’exemple éventuel d’espace où les mesures prises en faveur de l’environnement se traduisent par une amélioration globale, afin d’identifier ce qui marche. Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur les questions d’aménagement du territoire, qui touchent à des sujets aussi importants que la ruralité, l’artificialisation, le mitage ou l’extension urbaine, sur lesquels nous pourrions concentrer nos travaux dans les mois qui viennent.

Le Comité d’évaluation et de contrôle, où nos collègues Jérôme Bignon et Bernard Lesterlin représentent notre Commission, traitera prochainement du sujet de l’aménagement du territoire en milieu rural.

M. Serge Orru. Je suis ouvert à toutes les enquêtes, monsieur Lassalle, mais pour qu’il y ait enquête, encore faut-il qu’il y ait délit. Or, quel délit avons-nous commis ? D’être des honnêtes gens ?

Le budget international du WWF est de 430 millions de dollars. Quant au WWF France, il s’agit d’une fondation au sein de laquelle on trouve trois représentants de l’État, issus respectivement des ministères des finances, de l’intérieur et de l’environnement ; donc, quand vous parlez de mystification, monsieur Lassalle, cela veut dire que nous le ferions sous le couvert de trois ministères : malgré le respect que j’ai pour vous, vous m’attristez.

Nos produits s’élèvent à 18,2 millions d’euros et nos charges à 17,2 millions. Notre budget est transparent et peut être téléchargé sur notre site Internet, et nous avons un commissaire aux comptes.

Vous pouvez ne pas être d’accord sur l’action que nous menons, mais vous ne pouvez nous traiter comme des bandits. Votre accusation me blesse profondément monsieur le député : vous avez tort. Vous voulez que nous allions devant un tribunal pour nous défendre ? Nous avons autre chose à faire, d’autres missions à accomplir : transmettre à nos enfants une planète vivante. Je rappelle que le WWF n’a jamais été mêlé en France à aucune affaire que ce soit. L’enquête du Canard enchaîné que vous évoquez a duré à peine trois mois. Bien sûr, nous travaillons avec des entreprises polluantes, mais les entreprises de votre circonscription ne le sont-elles pas ? Nous cherchons à convertir les hommes et les femmes de ces entreprises à des attitudes plus écologiques. Croyez-vous qu’il y ait d’un côté les méchants, qui seraient dans les entreprises, et de l’autre les bons ? Je ne comprends pas cette dichotomie. Nous devons faire évoluer les entreprises, sous notre pression, qu’elle soit réglementaire, associative ou syndicale – quitte à tancer ceux qui font du « greenwashing » ou « verdissement ». Quand Carrefour indique que la viande ou le poisson qu’il vend n’est pas nourri aux OGM, que son mobilier est fabriqué conformément aux normes FSC garantes de forêts gérées durablement, ou que Lafarge réduit de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre, ne sont-ce pas autant de victoires, pour nous et pour nos enfants ? Serait-il plus efficace de refuser d’habiter tout logement construit avec du ciment Lafarge ? Êtes-vous certain que votre maison n’en comporte pas ? Je ne sous-estime pas les capacités du monde économique, avec les défauts qu’il peut avoir et qu’il faut combattre.

Vous pouvez nous reprocher de ne pas en faire assez ou pas assez vite, mais nous agissons intensément. Je suis pour ma part un militant salarié.

Vous avez parlé d’honneur : il y avait des mots de déshonneur dans ce que vous m’avez dit ; je le regrette infiniment.

M. Jean-Stéphane Devisse. Pour revenir à la question que vous m’avez posée, monsieur le président, la dégradation avance en effet plus vite que la réhabilitation. Ainsi, en France métropolitaine, alors que la qualité des cours d’eau dégradés devient meilleure grâce aux efforts entrepris, celle des cours d’eau de qualité, notamment ceux de montagne, tend à se détériorer.

Cependant, de nombreuses espèces ont vu leur population augmenter ces dernières années, comme le montrent le retour du saumon dans le Rhin grâce à sa dépollution ou la situation de grands rapaces charognards dans les Pyrénées grâce à la protection de la loi de 1976 ou à une gestion pastorale durable – même si la population a chuté à partir du moment où l’Espagne a décidé de lutter contre l’encéphalite bovine en fermant les charniers où ils s’approvisionnaient. On connaît aujourd’hui les conditions permettant de bien gérer les espèces et leur milieu naturel, à l’image des coquilles Saint-Jacques à Saint-Brieuc ou du merlu dans le golfe de Gascogne. De même, en Guyane française, dans une commune gérée par une communauté d’Amérindiens, les filets des pêcheurs ont été dotés, grâce au soutien du WWF, puis avec des fonds INTERREG, du système turtle excluder device qui permet aux grosses prises de s’échapper, notamment aux tortues luths qui viennent pondre dans cette zone, tout en retenant les crevettes ; à la satisfaction de tous, naturalistes et pêcheurs. Conçus en 2002 sous l’appellation d’unités écologiques de gestion concertée, ces dispositifs apparaissent maintenant dans les pratiques de pêche en Méditerranée.

Le réseau Natura 2000 est un excellent exemple d’action positive, qui porte ses fruits, même si certains ont cherché au début à le discréditer. Il couvre aujourd’hui environ 15 % du territoire européen, mais protège en fait une zone de biodiversité beaucoup plus large. Neuf pays – dont la France – ont bien compris cela, qui ont mis en place le réseau d’aire protégée d’Amazonie, avec des parcelles forestières protégées, où est permise une exploitation durable de la ressource et qui préservent non seulement la faune mais surtout les 400 peuples autochtones. Nous sommes fiers d’y avoir contribué, avec nos fonds propres. Or, il faut pour cela des millions de dollars et c’est une des raisons pour lesquelles nous travaillons avec des entités économiques qui financent une partie de ces projets.

M. Serge Orru. Un autre exemple positif est celui des sacs en plastique. Hélas, la taxe prévue en la matière est reportée à 2014, mais de nombreux progrès ont été accomplis. Lorsque nous attirions l’attention des plasturgistes et de la grande distribution sur cette question à la fin des années 1990, cela n’intéressait personne ; à force de persuasion, on est pourtant passé de vingt milliards de sacs dans la grande distribution à moins d’un milliard aujourd’hui. Or, on connaît les dégâts qu’ils provoquent : une étude publiée avant Noël a montré la présence de 115 000 micro-fragments de plastique par kilomètre carré sur une profondeur de quinze centimètres en Méditerranée, fragments qui peuvent, par leur porosité, agréger l’ensemble de la pollution.

Nous y sommes parvenus avec nos moyens, notre volonté et notre courage, et nous continuerons inlassablement à agir ainsi.

M. le président Serge Grouard. Messieurs, je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 19 janvier 2011 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Paul Chanteguet, M. Lucien Degauchy, M. Paul Durieu, M. Seerge Grouard, M. Jean Lassalle, M. Jacques Le Nay, M. René Rouquet, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Thierry Lazaro, M. Bertrand Pancher, M. Max Roustan, M. Martial Saddier

Assistait également à la réunion. - M. Patrice Martin-Lalande