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Mercredi 9 février 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Serge Grouard Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS)

– Informations relatives à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS).

M. le président Serge Grouard. Merci, Monsieur Vincent Chriqui, d'avoir répondu à notre invitation. Il nous paraît en effet important d’auditionner des personnalités qui, comme vous, disposent d'une capacité d'analyse et de recul leur permettant de mettre en perspective les grandes évolutions de notre société.

Créé en 2006 pour prendre la succession du Commissariat général du plan et accueillant en son sein plusieurs personnalités tout à fait remarquables, le Centre d'analyse stratégique a publié ces derniers temps un grand nombre de rapports très intéressants, notamment sur les enjeux de la consommation durable en France, sur les perspectives énergétiques, la fiscalité environnementale, la déforestation, la croissance verte, la cession de terres agricoles…

M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique (CAS). Placé auprès du Premier ministre, le Centre d'analyse stratégique compte environ 150 agents répartis entre quatre départements : économie, travail et emploi, questions sociales, développement durable.

Ce dernier couvre bien évidemment un champ très vaste que nous essayons de traiter en nous intéressant à des questions comme les transports, les comportements écologiques, la croissance verte, la consommation durable et l'énergie. Afin de pouvoir ensuite répondre aux questions, je me contenterai de balayer rapidement ces sujets, en insistant sur nos travaux les plus récents.

La consommation durable a fait l'objet d'un rapport que j'ai récemment remis à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. En la matière, le constat est connu : une forte pression s'exerce aujourd'hui sur les ressources naturelles, par le biais des émissions de gaz à effet de serre et d'une consommation non soutenable des matières premières. Certes, des progrès technologiques sont enregistrés, mais ils ne suffisent pas : pour atteindre les objectifs recherchés, il faut aussi parvenir à changer les comportements et les modes de consommation. Ainsi, on estime que la moitié des objectifs que l'on se donne en matière de lutte contre le changement climatique peuvent être atteints par des améliorations technologiques qui permettront de produire avec moins d'énergie et ainsi de « verdir » la production, mais que l'autre moitié viendra des consommations : certes, les voitures consomment de moins en moins d’énergie, mais cela ne sera pas suffisant si l'on ne parvient pas à rouler moins.

Notre rapport analyse donc toute une série de pistes qui visent à faire des consommateurs les vrais acteurs de leur consommation : si beaucoup sont conscients des enjeux du développement durable, rares sont ceux qui traduisent cette prise de conscience dans leurs actes de consommation. Parmi les pistes identifiées, on trouve en particulier des mesures d'incitation et de formation dès le plus jeune âge ; des propositions relatives aux modes de consommation comme les circuits courts et les éco-quartiers ; ce qui a trait aux progrès technologiques ; des dispositifs d'information, en particulier par le biais de labels ; les signaux prix, en particulier avec l'application de bonus-malus et des prix plus élevés pour certains types de consommation ; enfin les actions des collectivités locales pour favoriser certains types de consommation.

Une telle politique ne peut être efficace qu'à long terme car il s'agit en fait de changer de société. Par ailleurs, nous ne faisons pas de lien entre une société plus économe, avec une consommation durable, et la théorie de la décroissance : pour nous, il ne s'agit pas de consommer moins mais mieux ; ce sont souvent des objets plus sophistiqués qui le permettent. Cela pose d'ailleurs une autre difficulté car la consommation durable ne saurait être réservée à une élite.

Je ne brosserai bien évidemment pas ici un tableau d'ensemble des énergies renouvelables. Un mot peut-être de l'éolien qui est actuellement le sujet principal. La situation de la France est assez complexe. Tout l’éolien onshore installé dans notre pays vient de producteurs étrangers car nous n'avons pas acquis la maîtrise technologique en la matière : sur les 7 000 emplois en France dans ce secteur, 90 % sont dans la distribution et l'installation, et seulement 3 % dans la fabrication ! Le contexte est différent pour l’offshore, industrie naissante dans laquelle nous disposons, avec Vergnet, d'un producteur spécialisé, et qui bénéficie d'un très ambitieux programme gouvernemental de 10 milliards d'euros afin de lancer les appels d'offres en vue de la construction, à l'horizon 2015, de 600 éoliennes, pour une production totale de 3 GW, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. Si nous parvenons à mener parallèlement une véritable politique industrielle, nous aurons ainsi la possibilité de créer une véritable filière française de l'éolien.

Même si l’on y entend plutôt parler des transports, la déforestation est un sujet très important dans les négociations sur le réchauffement climatique. On estime que 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre lui sont liés. Pour lutter contre ce phénomène, on a prévu à Cancun de procéder par étapes : élaboration de plans de lutte, puis rémunération partielle des efforts, enfin pleine rémunération, soit par un marché, soit par un fonds. La France et la Norvège ont été en pointe sur ces questions ; elles ont créé un partenariat mondial destiné à collecter quelque 4 milliards d'euros pour l'ensemble de ces programmes.

Pour sa part, le Centre d'analyse stratégique s'est demandé comment cet argent pourrait être dépensé de façon efficace, ce qui paraît assez difficile dans la mesure où les États les plus directement concernés sont souvent fragiles et où il n'est pas facile d’y mener des politiques d'incitation adaptées. Nous considérons qu'il convient en la matière de mener des politiques globales. Ainsi, la lutte contre la déforestation ne peut pas être déconnectée de la politique agricole, en particulier de la place de l'agriculture et des exploitations familiales, donc du subventionnement et, par exemple, de la diffusion de semences sélectionnées afin d’éviter d'aller vers une exploitation intensive. De même, en matière d'exploitation forestière, il faut clarifier les régimes fonciers, établir une cartographie des espaces, donc s'intéresser aux aspects juridiques liés au droit de la propriété – je vous renvoie sur ce point à un autre de nos rapports, consacré aux actifs agricoles.

Nous nous sommes aussi intéressés ces derniers mois aux nouvelles mobilités. On voit bien que la trajectoire actuelle en matière de transports n'est pas durable : les émissions de gaz à effet de serre ont diminué dans tous les secteurs, elles ont augmenté de 20 % dans les transports, tandis que le parc automobile a doublé en une trentaine d'années, de même que le nombre de déplacements en voiture. Je l'ai dit, les voitures sont de plus en plus efficaces, on commence même à disposer de véhicules électriques et hybrides, mais cela ne suffit pas à compenser l'accroissement du nombre des déplacements, d'autant que nous restons très dépendants de la voiture, autour de laquelle notre société a été largement construite. Or, nous disposons d'exemples inverses à l'étranger : à Zurich, 44 % des déplacements se font à pied ; à Copenhague, 36 % se font à vélo ; à Ulm, 10 % de la population sont inscrits au système d'autopartage. L'évolution passera d'abord par les villes, avec davantage de partage, une nouvelle génération de véhicules et des initiatives des collectivités locales en faveur de schémas de déplacements.

En 2011, nous traiterons d'autres sujets également liés au développement durable. Nous continuerons bien évidemment à travailler sur la lutte contre le changement climatique. Nous nous pencherons sur les outils de régulation économique, en particulier la taxe carbone, et sur des incitations à des modifications de comportements. Nous réfléchirons aux véhicules du futur, en nous interrogeant sur l'évolution des voitures traditionnelles comme sur les nouveaux types de véhicules.

De manière plus générale, nous nous efforcerons de conduire une réflexion sur la croissance verte. Outre que le sujet est complexe, il est propice aux polémiques, on l'a vu récemment avec une étude du Trésor qui montrait que les investissements liés à la croissance verte pouvaient générer de la croissance à court terme mais que les choses étaient plus compliquées à long terme, dès lors que l'on tenait compte de la contrainte budgétaire. Je crois, en effet, qu'il faut être prudent et tenir compte des contraintes environnementales, de la nécessité de se montrer plus économe dans l'utilisation des ressources, toutes choses qui, en elles-mêmes , ne sont pas créatrices de croissance. Pour autant, la croissance peut suivre grâce à des gains de productivité, à des innovations technologiques qui permettent de gagner en efficacité et en compétitivité pour peu que nous les développions avant les autres. Mais cela ne « tombera pas du ciel », il faut une réflexion stratégique afin de distinguer les secteurs dans lesquels notre pays peut-être à la pointe et mener une politique industrielle adaptée. Ce sont tous ces sujets que nous explorerons tout au long de l'année, en lien avec le Commissariat général à l’investissement et aux dépenses d'avenir.

M. Yannick Paternotte. S’agissant de la capacité à produire plus d’énergie, en particulier plus d’énergie renouvelable, à quel niveau pensez-vous que l'on pourra placer le curseur dans les années qui viennent ? On sait bien, en effet, que les énergies renouvelables ne seront pas la panacée et qu'il faudra mixer les sources, surtout si les besoins continuent à s'accroître. Comment envisagez-vous par conséquent l'évolution de ces besoins ?

Notre commission est assez sensible au sujet des matières premières stratégiques. À l'occasion d'un récent débat sur le photovoltaïque, nous avons évoqué la question des terres rares à propos du lithium et du thallium. Quel est votre point de vue à ce propos ?

Nous sommes aussi frappés par la course actuelle à l'acquisition de terres arables. Certes, la France n'est pas concernée pour l'instant mais, avec la désertification du monde rural et la concentration des exploitations, ne risquons-nous pas d'être confrontés à l'avenir à ce problème sur le continent européen ? J’ajoute que cette question renvoie aussi à celle du droit du tréfonds, d'autant que l'on a besoin de stocker des déchets, y compris nucléaires, dans le sous-sol. Vous intéressez-vous à ce sujet ?

Enfin, en ce qui concerne les déplacements, menez-vous des études d'impact et des simulations sur les reports modaux liés aux changements de comportements ? En fait, j'aimerais savoir si l'on peut attendre un retour en termes d'émissions de carbone, des investissements très importants consentis en la matière, sujet que nous avons abordé hier encore à l'occasion de l’audition consacrée au Grand Paris. J'ai d'ailleurs fait part de mon étonnement que le fret n'ait pas été intégré à la réflexion sur le réseau transport automatique.

M. Jean-Paul Chanteguet. Le Centre d'analyse stratégique anticipe, à la demande du Premier ministre, les principales réformes du Gouvernement, pouvez-vous nous indiquer lesquelles vous avez plus spécifiquement portées ?

En matière de lutte contre le réchauffement climatique, qui fait l'objet de votre note d'analyse 213, le Gouvernement a pris un certain nombre d'engagements aux plans international et européen. Vous a-t-il demandé d'évaluer les mesures qui ont été adoptées dans ce cadre, en particulier dans les deux textes Grenelle I et Grenelle II ?

La politique de consommation durable fait l'objet de la note 212. S'agissait-il d'une commande du Gouvernement ? À ce propos, votre analyse me paraît particulièrement intéressante. Vous écrivez que l’« on s’accorde aujourd’hui largement sur le caractère non durable de notre modèle de consommation, excessif dans ses prélèvements comme dans ses rejets, destructeur du climat et de la biodiversité. Face à ce constat, les États ont jusqu’ici cherché à  verdir l’économie  en favorisant une production plus respectueuse des normes sociales et de l’environnement. Cette approche se révèle insuffisante. » Voilà qui devrait conduire certains responsables politiques à réfléchir… (sourires)

Considérez-vous à ce propos qu'avec les textes Grenelle, le Gouvernement a véritablement mis en place une politique de consommation durable, ce que seuls trois pays – le Royaume-Uni, la Suède et la Finlande – ont fait à ce jour au sein de l'OCDE ?

Plusieurs de vos propositions me paraissent très intéressantes, en particulier celle qui consiste à vouloir faire payer le carbone que nous émettons – bien évidemment à un coût acceptable par les ménages défavorisés. Vous faites ainsi allusion à la contribution climat énergie ou à la taxe carbone, qui n'a pas existé bien longtemps… Militez-vous auprès du Gouvernement pour que cette contribution voie le jour et pensez-vous qu'elle devrait porter sur toutes les énergies, y compris l'électricité ? Le prix de la tonne de carbone devrait-il se situer autour de 30 à 32 € comme l'a proposé la commission Rocard ? Faudrait-il selon vous atteindre les 100 € en 2050 ?

Vous évoquez également dans vos propositions la lutte contre le gaspillage ainsi qu'un régime moins carné – c’est, je crois, la première fois que cette idée est évoquée devant notre commission, peut-être pourriez-vous nous en dire davantage à ce propos – et le recours à l'économie de la fonctionnalité. Cette dernière orientation, vers non plus la vente mais la location de biens, me semble en effet devoir être promue.

M. André Chassaigne. S'agissant de la lutte contre le changement climatique comment analysez-vous, après Copenhague et Cancun, le fait que les pays de l'Annexe 1 n'aient pas prolongé les objectifs de Kyoto ?

Quelles réflexions vous inspire par ailleurs le fait que l'on se soit contenté, à Copenhague et à Cancun, de simples effets d'annonce et de miser sur des mécanismes de marché ou sur des efforts « volontaires », alors que l'intérêt général climatique commande de vrais objectifs chiffrés de réduction pour parvenir à une limitation du réchauffement à deux degrés, comme l'a recommandé le GIEC ? Envisagez-vous de mener un travail sur la planification, en France mais aussi en Europe et dans le monde, de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, sur la base non pas d'avantages concurrentiels comparatifs mais d'une véritable coopération internationale destinée à satisfaire des intérêts de tous les peuples ?

Vous avez insisté sur l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans les transports, en évoquant surtout l'automobile. Mais on ne saurait oublier que les objectifs du Grenelle en matière de fret ferroviaire n'ont pas été atteints, loin s'en faut. Avez-vous dressé un premier bilan de la suppression des wagons isolés de la SNCF et de la promotion des opérateurs ferroviaires de proximité ? Peut-on espérer que règnera un jour la transparence sur ce qui se passe dans ce secteur, qui est selon moi d'une extrême gravité pour nos territoires ?

En 2010, un de vos axes de recherche a été l'énergie notamment avec ce que vous appelez le « réseau électrique intelligent du futur ». Quelle analyse faites-vous des coûts induits par le raccordement des installations de production d'énergies renouvelables, par exemple du solaire photovoltaïque ? Envisagez-vous de dresser un bilan du développement des filières privées de production d'énergies, renouvelables ou non, en mettant en parallèle les coûts, les prix pour les consommateurs, l'impact sur les émissions de gaz à effet de serre et l'efficacité énergétique et en prenant en compte les effets la loi de libéralisation dite « loi NOME » ?

Avez-vous cherché par ailleurs à dresser le bilan de l'utilisation des biocarburants, non pas seulement en termes d'objectifs français d'incorporation dans les carburants classiques, mais de façon plus globale, en prenant en compte les conséquences sur les forêts, la disparition de communautés villageoises, l'aggravation de la fracture alimentaire en raison des coups portés à l'agriculture vivrière ?

Enfin, c'est à juste titre que vous avez évoqué la nécessité d'un changement de société. Pour ma part, je ne pense pas que l'on puisse changer le mode de développement en continuant à s'inscrire dans le cadre d'un système libéral. Du moins, lorsque l'on parle de « croissance verte », faut-il envisager autrement la croissance et rechercher de nouveaux critères permettant de l'évaluer car le PIB ne paraît aujourd'hui plus adapté aux objectifs d'un nouveau mode de développement.

M. Vincent Chriqui. Je vois que la représentation nationale nourrit pour le Centre d'analyse stratégique de grandes ambitions et je lui en suis reconnaissant… (sourires)

S'agissant du mix énergétique, le Grenelle fixe un objectif très ambitieux de 23 % d'énergies renouvelables en 2020. L'éolien peut bien évidemment être une des clés. N'oublions toutefois pas, du point de vue de la lutte contre le changement climatique, donc des énergies décarbonées, et sans tenir compte des autres problèmes, que, grâce à notre parc nucléaire, notre situation est bien plus favorable que celle des autres pays.

C'est parce que l'on s'inscrit dans une certaine logique de production que l'on prend les terres rares en Chine, mais on en trouve ailleurs et il n’y a pas de problème d'épuisement des ressources, mais plutôt de sécurité géopolitique de l'approvisionnement en produits qui sont de plus en plus au cœur des technologies les plus avancées.

Nous nous sommes intéressés à l'acquisition des terres arables dans notre rapport sur la cession d'actifs agricoles. La Chine, la Corée, certains pays du Golfe, procèdent à de telles acquisitions, notamment dans des pays d'Afrique, afin de s'assurer de nourrir leur population dans les années à venir. La presse s'est ainsi fait l'écho d'achats très importants de terres à Madagascar par un géant coréen, ce qui a entraîné la chute du gouvernement malgache. C'est dans ce contexte que l'on a commencé à parler de land grab. Bien sûr, ce phénomène peut être très dangereux pour les populations locales lorsque les fermiers perdent leurs terres, mais n'oublions pas qu'il s'agit de pays où le sous-investissement est criant, notamment en matière agricole, et que l'arrivée de capitaux étrangers peut favoriser des modes de culture plus innovants. Ainsi, certains modèles fonctionnent très bien, je pense en particulier à la fondation Aga Khan qui met des technologies à la disposition des producteurs kényans de haricots, à la condition que ces derniers consacrent 75 % de leur production à des cultures vivrières, les 25 % restants étant destinés à l'exportation et permettant de dégager des devises. C'est bien pour promouvoir de tels modèles durables que nous préconisons des labels et des coopérations.

Nous n'avons pas pour rôle de mener des études d’impact, qui incombent plutôt à Bercy, mais de tracer de grandes perspectives d'avenir. La question des transports est bien évidemment essentielle et nous continuerons à y travailler.

Il est vrai que nous raisonnons plutôt secteur par secteur, en particulier ceux du transport et de l'énergie, et que nous n'avons pas véritablement de vision d'ensemble sur le réchauffement climatique.

Notre note d'analyse sur la consommation durable répondait en effet à une commande du Gouvernement. Le Grenelle de l’environnement comporte bien des éléments à ce propos mais vous avez raison de souligner que le Royaume-Uni, la Suède et la Finlande sont les seuls à mener une politique d'ensemble en la matière ; peut-être la France y viendra-t-elle également, à la suite de notre rapport ; il m'a semblé que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet était intéressée par nos propositions : elles rejoignent d'ailleurs des politiques déjà menées, en particulier en ce qui concerne l’étiquetage des produits, un grand nombre d'industriels ayant été invités à s'engager dans l'expérience en la matière.

S'agissant d'une taxe carbone de 30 puis de 100 euros, nous ne sommes pas là pour dire ce qu'il convient de faire mais pour analyser différentes pistes de nature à modifier les comportements. Dans certains pays, on privilégie l'incitation ; ainsi, en Californie, on ne se contente pas de vous dire qu'il faut consommer moins, on vous donne des informations très précises sur les ménages comparables au vôtre qui y sont parvenus. Si l’on s'inscrit davantage dans une logique de taxe, l'efficacité commande d'aller progressivement vers un niveau cohérent avec un prix global du carbone. Mais on peut encore imaginer d'autres méthodes, par exemple raisonner en quotas de production de carbone, ce qui est aussi une manière de faire entrer le carbone dans le prix.

Faut-il que la taxe porte sur l'électricité ? C’est un vaste débat. Certes, il faut que la base soit large, mais, je l'ai dit, notre électricité est déjà très largement décarbonée. Cela étant, il faut adopter une approche d'ensemble et faire en sorte que les efforts ne portent pas uniquement sur un secteur : à quoi bon demander un effort très important aux transports ou aux ménages si l'on ne cherche pas à obtenir des résultats tout aussi efficaces dans le domaine industriel ?

Si manger du poisson est bon pour la santé, le rapport faisait mention du régime moins carné à partir de l'idée que si les Chinois se mettent à consommer autant de viande que les Français, voire que les Texans, on ne sera pas capable de produire suffisamment : n'oublions pas qu'il faut sept à huit kilos de nourriture végétale pour obtenir un kilo de nourriture animale…

L'économie de la fonctionnalité est aussi le sujet d'un vaste débat, mais je crois que c'est une vraie piste de consommation plus efficace pour l'avenir. L’évolution est engagée : aujourd'hui, on achète une voiture, demain on achètera de la mobilité, la disponibilité d'un véhicule à un moment donné.

S'agissant de Kyoto et de Cancun, il est évident que l'on a changé de logique. À Kyoto, on a émis l'idée d'un modèle top down : pour obtenir un certain résultat dans la lutte contre le changement climatique, il faut que, globalement, on ne produise pas plus d'une quantité donnée, que l'on se répartit entre pays développés. À Cancun, on s’est heurté à un mur…

M. André Chassaigne. Le mur de l'argent ! (sourires)

M. Vincent Chriqui. Pas seulement ! On s’est en effet aperçu qu'il n'y avait pas de sens à n’appliquer cette nouvelle contrainte qu’aux pays développés quand on voit ce que représentent aujourd'hui la Chine, l’Inde et quelques autres. Qui plus est, un certain nombre d'États n'étaient plus disposés à entrer dans la logique précédente. On peut le déplorer, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne se passe plus rien aujourd'hui en la matière : même des pays comme la Chine engagent des politiques parfois très ambitieuses et, si les États-Unis ont du mal à mener une politique fédérale, des efforts importants sont faits dans certaines industries et on voit le rôle que jouent les quotas de carbone ainsi que les innovations en matière de transports. Je pense qu'il faut garder comme ambition de parvenir à un cadre général qui puisse se décliner dans les différents États mais, dans cette attente, il faut aller plus loin dans le cadre de Cancun tout en montrant que la somme des engagements des différents pays ne suffit pas à limiter à deux degrés le réchauffement climatique à l’horizon 2050, ce qui est l'objectif que nous nous sommes fixé ensemble.

Le fret ferroviaire est un sujet passionnant qui est à notre programme de travail de cette année et vous aurez donc ultérieurement les réponses que vous appelez de vos vœux. L'enjeu me paraît davantage européen que français.

Le réseau électrique du futur est aussi un sujet d'actualité. Nous travaillons à un rapport et des éléments d'étapes seront fournis au Gouvernement dans les prochains mois. Cela adviendra à coup sûr et la vraie question est donc de faire en sorte que les ménages aient accès à cette information et puissent l’utiliser de manière concrète pour réduire leur consommation, ce qui signifie qu'il faut les informer, prendre des décisions en matière de tarification, se demander s'il faut diffuser de façon systématique un compteur intelligent ou laisser à chacun la faculté de s'engager dans cette voie.

À l'évidence, les résultats de la première génération des biocarburants n’ont pas été à la hauteur des espérances. Cela nous renvoie au débat sur la déforestation. On peut faire des choses très intéressantes avec la canne à sucre, mais il ne faut pas que cela joue à l'encontre d'autres objectifs. Là aussi, une politique de labellisation peut avoir des résultats positifs.

Le changement de société est un enjeu à terme de ce débat. Des initiatives ont été prises, notamment à la suite du rapport de Joseph E. Stiglitz et Amartya Sen, qui porte précisément sur l'idée que la croissance ne suffit pas et qu'il faut un indicateur plus large de bien-être. Lorsque je lui ai remis le rapport sur la consommation durable, Nathalie Kosciusko-Morizet a fait observer que lorsque l'on se cassait la jambe, cela suscitait une activité, notamment médicale, donc une augmentation du PIB… On voit bien que la production, c'est la somme de ce que l'on fait, y compris pour réparer ou pour compenser la dépréciation du capital. Les discussions vont se poursuivre mais changer la société ne se fait pas du jour au lendemain, c'est une œuvre de long terme : c'est pour cette raison qu’on parle de développement durable.

M. le président Serge Grouard. Il est très juste de dire que l'on a besoin d'une vision globale, mais cela amène de ma part deux réflexions un peu pessimistes.

Cela tient en premier lieu à l’idée que, projeté au niveau mondial, même un modèle de transition économique dit « durable » n'est pas viable, dès lors que l'on prend en considération l’effet démographique de masse. Partagez-vous ce sentiment ?

À l'échelle nationale je suis ensuite frappé par le fait que nous sommes engagés dans une transition économique et sociale qui nécessite un investissement global très onéreux – qu’il s'agisse des transports, de l'énergie, du renouvellement du parc nucléaire ou du projet Grand Paris. Sans doute serait-il utile que le Centre d'analyse stratégique nous aide à faire le total de ces investissements, que l'on pourrait ainsi mettre en rapport avec la ressource nationale disponible pendant la période correspondante. Ce qui me rend pessimiste, c'est que j'ai l'impression que les ordres de grandeur ne sont pas comparables, et dans ce cas, comment procéder ? Il faut bien évidemment optimiser les investissements – et proposer des modèles pour cela –, mais aussi fixer des priorités. Si l'on ne peut pas financer la totalité du projet du Grand Paris, pour justifié qu'il soit, il va bien falloir opérer des choix ! Si l'on ne peut pas construire des lignes à grande vitesse partout, ne vaut-il pas mieux utiliser le réseau ferré existant et prévoir des raccordements pour ces lignes ? En fait, j'ai l'impression que, pour chacun des thèmes qui nous intéressent, il existe une sous optimisation et que c'est la somme des sous optimisations qui donne le véritable optimum…

M. Jean-Marie Sermier. S’agissant des véhicules du futur, vous avez, monsieur Chriqui, évoqué plusieurs possibilités, en particulier les moteurs hybrides et les moteurs électriques. Mais disposez-vous également d'études sur le moteur à hydrogène, carburant relativement répandu dans l'univers, que l'on pourrait utiliser assez rapidement, notamment en France, à condition que les textes soient adaptés ?

Avez-vous aussi des études et des chiffrages précis en ce qui concerne l’éco-redevance sur les poids-lourds, s'agissant en particulier des véhicules qui emprunteront les routes et autoroutes soumises à cette taxe ? À quelle augmentation du coût des transports faut-il s'attendre ? Se traduira-t-elle par une augmentation du tonnage des véhicules ?

M. Albert Facon. J’aimerais avoir votre avis sur la gestion des forêts françaises, sujet qui ne dépend que de nous. Lorsque des ingénieurs, non pas sur le terrain mais devant les ordinateurs parisiens de l’ONF, décident qu'il faut abattre en 2011 un certain nombre d'hectares pour régénérer les forêts, on se retrouve avec des zones nues et laides, où il faut replanter. Les ventes de bois sont opérées par adjudication publique ; ce sont bien souvent des étrangers qui l'emportent et l'on voit des camions de bois partir vers la Belgique ou l’Allemagne. On m'a même dit récemment que les bois tirés dans une forêt du Valenciennois partaient pour la Chine. Bravo pour le transport !

Avec notre ancien président, Christian Jacob, nous avons été quelques-uns à nous rendre dans la Sarthe, où les propriétaires privés gèrent les forêts de façon différenciée : il n'y a pas de coupes claires, on prélève en fonction des cours des différentes essences, cela crée de l'emploi tout en coûtant moins cher et en n’obligeant pas à replanter. Qui plus est, ce département a conservé ses scieries et dispose donc d'une filière complète.

Mme Fabienne Labrette-Ménager. C’est exact que, dans notre département, nous avons su garder la filière entière.

M. Albert Facon. Nous sommes obligés d’importer du bois travaillé et donc nous perdons la valeur ajoutée !

M. Christophe Priou. Il est normal que le directeur du CAS nous parle d'orientations stratégiques, mais on a quand même l'impression qu'un grand nombre de politiques sont lancées et qu’on a un peu de mal à les assimiler sur le terrain. Tel est le cas des éco-quartiers : le ministère chargé du logement a lancé des appels à projets pour que les communes de 1 000 à 2 000 habitants soient également concernées. Mais comment pourraient-elles remplir certaines exigences, comme celle imposant l’accessibilité des transports à toute heure et tous les jours ? De même, il est bien difficile de satisfaire tous les critères d'éligibilité aux éco territoires ruraux.

S'agissant par ailleurs de la sensibilisation des jeunes générations, si cela a fonctionné pour le tri sélectif, on a l'impression que la vingtaine d'autres recommandations nécessitent un travail de vulgarisation, nos concitoyens étant surtout sensibles à la preuve par l'exemple. Comment mettre tout ceci concrètement en application dans nos territoires ?

M. Jacques Le Nay. Après nous être aperçu des progrès rapides de l'étalement urbain, nous avons beaucoup légiféré, en particulier avec la loi de modernisation de l’agriculture et le Grenelle II, pour préserver les espaces agricoles et les forêts. Mais il faut aujourd'hui se demander comment vont cohabiter les espaces réservés à la forêt d'une part, à l'agriculture d'autre part. En effet, alors que, pour les deux activités, les zonages étaient assez proches dans les anciens plans d'occupation des sols, ils diffèrent désormais dans les PLU et on a un peu l'impression d'une sanctuarisation des territoires. Doit-on par exemple s'interdire de constituer des massifs forestiers dans certaines régions où les boisements sont saupoudrés ?

M. Didier Gonzales. Dans votre rapport sur la consommation durable, vous expliquez qu'il faut inciter les citoyens à changer leurs pratiques et leurs comportements, et vous faites des propositions en matière de sensibilisation et d'éducation. Cela va dans le bon sens. Les citoyens demandent en effet qu'on les aide à intégrer ces comportements dans leur vie quotidienne. Peut-on espérer une prise de position claire permettant de dégager des priorités en la matière, en particulier en intégrant un volet écologique à l'éducation civique ?

Enfin, puisque vous avez parlé de mobilité, je proposerai en forme de clin d'œil que l'on utilise l'avion avec plus de modération, surtout à partir d'Orly… (sourires)

M. André Vézinhet. Pour que l’analyse stratégique ait un sens, pour que les conseils que vous distillez aux plus hautes autorités puissent trouver application, et pour mener à bien le chantier du développement durable, il me semble indispensable de passer quelquefois par la voie de la contrainte.

J'en veux tout d'abord pour preuve l’éolien offshore, qui offre d'extraordinaires possibilités en matière d'énergies renouvelables : partout, dans mon département qui présente 90 km de côtes, on voit se créer des entreprises mais les associations se crispent et il n'y a pas moyen d'avancer. Or, ceux qui crient le plus fort sont ceux qui ont voté avec le plus d'enthousiasme les Grenelle I et II, et s’apprêteraient à voter un éventuel Grenelle III… (rires) Je le redis, sans contrainte, on n'y arrivera pas !

Autre exemple, nous disposons en France d’un formidable patrimoine forestier mais nous le gérons de manière tout à fait irrationnelle. Il faudra bien un jour que l'on sache en la matière dégager une rentabilité et créer des emplois.

S'agissant de la mobilité, on a le plus grand mal à s'y retrouver dans le maquis des autorités organisatrices de transport. La loi SRU a tenté d'inciter à les regrouper. Les difficultés des transports en commun se rencontrent essentiellement en ville : pas plus tard que ce matin, j'ai mis 1 heure 30 pour rallier l'Assemblée nationale depuis Orly ! Dans l’Hérault, nous avons mis à profit l’incitation de la loi SRU pour regrouper toutes les autorités organisatrices, le département étant le chef de file. De la sorte, nous évitons désormais des millions de transports individuels, en particulier scolaires. Mais, là aussi, si l’incitation ne suffit pas, il faut que la loi contraigne.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Le Centre d'analyse stratégique est une boîte à outils fort utile pour la prise de décision.

Évoquant votre rapport sur la consommation durable, vous avez opportunément évoqué le rôle des collectivités locales dans l'initiation à une consommation responsable. C’est le cas dans la valorisation des circuits courts pour leurs produits locaux, mais aussi dans la prise en charge, dans la restauration scolaire, des surcoûts liés à la consommation de viande ou de produits locaux ou issus de l'agriculture biologique. Elles sont aussi de plus en plus souvent à l'initiative des circuits et des plates-formes de covoiturage. Elles valorisent les transports en commun en prenant des initiatives comme celle que vient d'évoquer André Vézinhet, mais aussi en en réduisant le coût pour l'usager. Elles imposent souvent la clause d'insertion sociale dans les chantiers qu'elles conduisent ou dont elles sont partenaires.

Or, tout ceci est onéreux et il ne vous aura pas échappé que les collectivités locales sont dans une situation un peu compliquée, avec le gel pendant trois ans des dotations d'État, avec une autonomie fiscale nulle pour les régions et très réduite pour les départements. Comment, dans ces conditions, pourraient-elles continuer à être à l'initiative de politiques innovantes ?

Ne conviendrait-il pas de faire le bilan du rôle des décideurs locaux en matière de consommation et de développement durables ? Le CAS pourrait-il aider les plus hautes autorités de l'État à prendre conscience que, sans l’implication des acteurs locaux, il ne peut y avoir ni politique de développement durable ni consommation durable et responsable ?

M. Jean Lassalle. Vous êtes, Monsieur Chriqui, un élu local en charge d’un grand organisme national de réflexion à visée mondiale. Il me semble que c’est un bon positionnement.

Lorsque l'on évoque un changement de leadership mondial aux 60 millions de Français, on présente souvent la Chine comme un pays de un milliard et quatre cents millions d’habitants possédant le même niveau de vie. Pour m’y être rendu récemment, il m'apparaît que présenter les choses de la sorte est une erreur pour un organisme de réflexion comme le vôtre comme pour les décideurs politiques que nous sommes : s'il y a quelques dizaines de millions de Chinois « haut de gamme »,

Plusieurs députés. Vous voulez dire plusieurs centaines de millions !

M. Jean Lassalle. Je ne suis pas à cent millions près… (rires)

Plus d'un milliard vivent encore au Moyen Âge ! Et la situation est identique en Inde. Bien sûr, Shanghai peut être comparée à New-York, à Paris ou à Berlin, mais comment va se développer tout le reste du pays et quelle stratégie mondiale va-t-il falloir élaborer ? Pour avoir participé à des réunions de l’OMC et du FMI, je trouve que tout cela manque cruellement de politique : on assiste en fait à la rencontre de quelques technocrates, entourés par 80 000 insurgés qui vocifèrent, sous la surveillance d'avions de chasse américains… (sourires)

Puisque nous nous plaçons du point de vue de l'analyse stratégique et que la France a un supplément d'âme, il lui incombe de proposer la création de structures à finalité humaine, où siègeraient véritablement des politiques pour y faire de la politique.

Pour en revenir à la France, les voies de communications y sont bien sûr une nécessité absolue. Le problème, c'est que l'on n’a pas un « fifrelin » pour entretenir ce qui existe et pour développer ce qui devrait l’être. On a beaucoup construit d'autoroutes et de lignes à grande vitesse, mais on s’est peu préoccupé du réseau secondaire, qui irrigue pourtant l'ensemble des territoires. Comme l'a dit notre président, tout est question d’acceptabilité. Là où, jadis, on se heurtait à deux ou trois opposants que l'on ralliait sans trop de difficultés au projet, aujourd'hui on doit faire face à des dizaines de milliers de citoyens, attachés à leurs maisons, leurs collines, leurs vallons, leurs panoramas et les choses sont beaucoup plus compliquées. Avec tout le « bazar » que font, avec l'argent quelquefois le plus sale de la planète, ces « furieux » de protecteurs de la nature, on a réussi à inculquer aujourd'hui aux Français l'idée que tout ce qui a trait aux voies de communication est mauvais. Je le sais bien puisque je fais partie de la Commission nationale du débat public : dès qu'on lance un projet, deux clans irréconciliables s'affrontent. Il va donc falloir trouver de l'ingénierie d'anticipation, de l'ingénierie politique pour démontrer l’utilité des projets et pour les mener à bien. Qui plus est, comme l'a dit aussi notre président, beaucoup d'infrastructures existantes pourraient être bien mieux utilisées qu'elles ne le sont, ce qui serait bien plus facile que d'en construire de nouvelles.

Un mot du financement : nous n'avons ni les structures ni l'argent nécessaires. Il faut que nous retrouvions des marges de manœuvre. La France ne peut pas rester dans l'état dans lequel elle se trouve : comme aurait dit le général De Gaulle, elle « s'emmerde », or, quand elle « s'emmerde », un jour ou l'autre, elle fait une bêtise.

Le CAS a des idées formidables à propos des nouvelles énergies. Mais concrètement, les choses sont bien difficiles ! On m'a dit qu'il fallait faire de l’énergie renouvelable, j'ai donc voulu faire des microcentrales, mais j’ai dû renoncer au projet à cause d'une ou deux espèces de poissons ; j'ai voulu implanter des panneaux solaires de très bonne qualité sur un bâtiment destiné à accueillir des personnes handicapées, mais l'architecte des Bâtiments de France a refusé parce que nous étions à 200 mètres d'un site classé ; j’ai alors voulu construire en bois, mais le commissaire à l'aménagement des Pyrénées a refusé au motif que cela contribuerait à la déforestation ! (sourires)

Est-ce ainsi que l'on parviendra à 25 % d'énergies renouvelables ?

Enfin, je suis persuadé que le déséquilibre qui s’instaure entre les territoires est mauvais : on ne vit plus en ville, on ne vit plus dans les campagnes, on va tous vivre en banlieue !

M. le président Serge Grouard. Jean Lassalle le conte sur un mode humoristique, mais il a raison de dire que la conjonction des normes et des contraintes paralyse souvent les projets : les maires que nous sommes le vivent fréquemment.

M. Bertrand Pancher. Vos études montrent qu'il y aura dans le monde de demain moins de croissance et plus de développement, mais on ignore comment on va y arriver, avec quelle répartition du travail et selon quel mode de financement. Je souhaite donc savoir si le Centre d'analyse stratégique réfléchit au modèle de développement du futur. Si tel n'est pas le cas, qui travaille sur ce sujet ?

Pouvez-vous par ailleurs m’indiquer, dans la gouvernance du Centre, quel est l'équilibre entre les différentes parties prenantes au Grenelle – grandes associations, État, entreprises, partenaires sociaux ? Ont-elles la possibilité de commander des rapports et d'en contrôler la qualité ?

Comment communiquez-vous sur vos rapports ? Sont-ils accessibles à tous et intelligibles pour le grand public, ce qui me paraît indispensable pour que nos concitoyens s'approprient vos analyses ?

Enfin, la réforme constitutionnelle permettant au Parlement de mieux contrôler l'action du Gouvernement et de faire valoir plus aisément ses propositions, nous aurions besoin de pouvoir conduire nos propres études. Disposons-nous pour ce faire d'une forme de droit de tirage sur le CAS ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Je siège habituellement au sein non pas de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire mais de celle des affaires économiques. Toutes deux étaient autrefois réunies et cela permettait de faire converger les exigences du développement durable et du développement économique. Je suis en effet persuadé que l'on ne parviendra pas à promouvoir le développement durable et à protéger l'environnement si on les déconnecte des questions relatives au développement économique. Cela permet notamment de voir que les contraintes peuvent aussi être des chances pour développer ou transformer notre industrie. Ainsi, je crois encore en l’industrie chimique : sauf à renoncer délibérément à tout ce qu’elle peut apporter, c'est par une chimie verte qu'on la fera évoluer vers une activité moins consommatrice d'énergie et de matières premières.

Il en va de même de ce qui a trait à la production d'énergie. Or, on voit bien, s'agissant par exemple du photovoltaïque, que l'on n’aborde pas la question de la même manière dans nos deux commissions. Nous devons nous efforcer de concilier les deux approches.

J'espère qu'avant de lancer les appels d'offres pour l'éolien offshore, on prendra toutes les garanties pour que les industriels français ne soient pas écartés car, si le développement de ce secteur se traduit par des importations massives, cela aura certes un intérêt pour la production d'énergie renouvelable, mais sera très regrettable sur le plan de l’emploi. Cessons donc de faire preuve de naïveté et manifestons plus clairement notre patriotisme économique.

Enfin, alors que nous disposons de massifs forestiers très importants, nous devons importer du bois parce que la filière n'est pas capable de produire en qualité standard. Cela me rappelle ce mot de Coluche : « Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu'ils achètent du sable ailleurs »... En fait, nous exportons du bois brut et nous importons du bois traité et calibré. Pour que l'on ne continue pas indéfiniment de la sorte, je propose que la gestion de la filière bois soit confiée au ministère de l'industrie.

M. Vincent Chriqui. Je serai, monsieur le président, plus optimiste que vous. En 1980, 1es économiste Julian L. Simon et Paul Ehrlich ont fait un pari sur l'évolution en dix ans du prix de cinq ressources prises au hasard. Et bien, contrairement à ce qu'on pouvait penser, leurs prix ont diminué sur la période. Ce phénomène est régulièrement confirmé : quand on observe l'économie à un moment donné, on se dit que les ressources se raréfient, mais on découvre ensuite des ressources supplémentaires ou de nouvelles technologies et on se rend compte que tout n'était pas aussi dramatique qu'on l’imaginait.

Certes, la situation est aujourd'hui un peu différente en raison de la croissance de la Chine et des pays émergents, qui nous pose un défi d'une ampleur sans précédent. Selon les prévisions des Chinois eux-mêmes, leur production d'automobiles absorberait d'ici 15 à 20 ans la totalité de la production d'acier de la planète…

Je pense que l'on atteindra un autre équilibre entre des tendances qui apparaissent aujourd'hui insoutenables et des innovations technologiques apportant des solutions que l'on ne peut pas encore imaginer. Il faut se donner les moyens de les trouver au plus vite et c'est bien ce à quoi nous nous sommes attelés, même s'il est bien évidemment très difficile d'apprécier si le niveau global des investissements sera suffisant. La démarche des investissements d'avenir s'inscrit parfaitement dans ce cadre en mettant l'accent de façon proactive sur les technologies dont on pense qu'elles permettront dans quelques années de relever les défis qui nous sont posés.

Plusieurs questions ont porté sur les véhicules du futur. À l'évidence, on a du mal à trouver les bonnes solutions pour le moteur à hydrogène, en particulier en raison du risque de fuite. N’oublions pas par ailleurs que les véhicules thermiques classiques offrent des marges de progression considérables : accepter de rouler un peu moins vite ou d'avoir des voitures moins puissantes permettrait déjà de dégager des économies très importantes, sans attendre la transition ultérieure vers le véhicule électrique.

Je ne suis pas un spécialiste de la forêt mais je note que ce sujet suscite beaucoup d'intérêt ; il pourrait faire l'objet d'une réflexion du Centre d'analyse stratégique.

Nous n’allons pas entrer maintenant dans un débat sur la réforme des collectivités territoriales, mais il est bien évident que leur rôle sera essentiel, ne serait-ce que parce que les problèmes de mobilité se présentent de façon extrêmement variable. Notre rapport proposait d'ailleurs de donner plus de pouvoir aux autorités organisatrices de transport, même si des regroupements sont effectivement à prévoir.

J’accorde une grande importance au volet écologique qu’a évoqué Didier Gonzalez. Toutes les entreprises affichant aujourd'hui des préoccupations écologiques et les produits étant couverts de mentions qui y font référence, je crois que l'on approche du moment où le consommateur arrivera à saturation : il y a donc place pour une harmonisation et une labellisation aptes à restaurer la confiance.

Je n'entrerai pas non plus dans le débat sur la Chine, mais il est bien évident qu'il y a dans ce pays des disparités considérables entre la région côtière et l'intérieur du pays mais aussi entre les habitants. Ces disparités font d'ailleurs totalement partie du modèle de développement : on n'imagine pas qu'un paysan décide du jour au lendemain de se lancer dans une autre activité. Pour autant, je ne pense pas que cela durera éternellement. Dans ce pays très puissant, structuré et doté d'une véritable administration, on peut tout à fait imaginer que l'on décide un jour d'assouplir les choses et d'utiliser au profit d'une industrie en forte croissance cette réserve de main-d'œuvre que constitue le milliard de Chinois de l'intérieur, qui pourraient ainsi accéder, et c'est heureux, à un niveau supérieur de prospérité. On peut y voir aussi une réserve de croissance pour ce pays.

Le modèle de développement du futur qu'a évoqué Bertrand Pancher est un vaste sujet. La réponse ne saurait être unique et l'ensemble de nos travaux y sont en fait consacrés. « Moins de croissance et plus de développement » a-t-il dit. Je ne pense pas que l'équation se pose en ces termes : il faut de toute façon davantage de croissance, mais il faut aussi dégager plus de pouvoir d'achat pour répondre aux attentes des Français et faire en sorte que ce pouvoir d'achat prenne une forme différente. Cela suppose encore plus d'innovation et d'imagination.

La gouvernance du CAS est assez simple puisqu'il s'agit d'une direction d'administration centrale rattachée au Premier ministre. Je pourrais donc dire : « la gouvernance du centre, c'est moi », sous l'autorité bien évidemment du Premier ministre… Mais je m’efforce d'associer tous les autres partenaires au sein de groupes de travail, notamment sur tout ce qui a trait au développement durable. Pour que nos propositions soient le plus possible prises en compte dans le débat public, tous nos travaux sont publics et accessibles sur notre site Internet, sous une forme complète – celle des rapports – ou simplifiée – celle des notes de synthèse – , afin qu'un lecteur pressé ait immédiatement accès à la synthèse et aux propositions.

Enfin, je crois que M. Gagnaire a fort bien résumé l'une des finalités de notre action, qui est de concilier économie et développement durable. Au sein du CAS, j’incite les membres de ces deux départements à communiquer le plus possible. Le pire des scénarios est celui dans lequel on a moins de pétrole et de ressources, avec moins de possibilités de produire, moins de croissance et finalement une forme d'appauvrissement collectif. On peut aussi craindre que toutes les technologies d'avenir partent à l'étranger. Mais il y a aussi un scénario optimiste, dans lequel on mise sur la croissance, sur l'innovation, sur la productivité, avec des démarches d'avenir mais aussi avec une vraie politique industrielle, pour que la France soit un pays d'excellence, de croissance et d'industrie. C'est le vœu que nous pouvons tous former.

M. Albert Facon. Nous avons été plusieurs à vous interroger sur la filière bois, dont l’avenir ne dépend finalement que de nous. Or, vous ne nous avez pas apporté de réponse.

M. le président Serge Grouard. Il me semble qu’il vous avait été répondu par avance que le CAS continuerait à travailler sur ce sujet.

Monsieur Chriqui, je vous remercie d’avoir contribué à notre réflexion.

◊ ◊

Informations relatives à la commission

La commission a procédé à la nomination de rapporteurs.

Elle a désigné :

– MM. Christophe Bouillon et Michel Havard, rapporteurs pour la mission d’information sur la gestion durable des matières premières ;

– MM. Daniel Goldberg et Didier Gonzales, rapporteurs pour la mission d’information sur la sûreté et la sécurité des transports aériens.

M. le Président Serge Grouard. Compte tenu de la demande de M. Jean-Paul Chanteguet, au nom du groupe SRC et de M. François-Michel Gonnot, je propose à la commission de créer une mission d’information sur le gaz de schiste et de la confier à deux de nos collègues. Leur désignation interviendra mercredi 16 février prochain. M. François-Michel Gonnot étant candidat, je propose que le groupe SRC communique le nom du co-rapporteur.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 9 février 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Lucien Degauchy, M. Olivier Dosne, M. David Douillet, M. Raymond Durand, M. Paul Durieu, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jean Lassalle, M. Thierry Lazaro, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. René Rouquet, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Claude Thomas, M. Philippe Tourtelier, M. André Vézinhet

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Yves Besselat, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Frédéric Cuvillier, M. Philippe Duron, Mme Geneviève Gaillard, M. Antoine Herth, M. Philippe Plisson, M. Max Roustan

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Gagnaire, M. Francis Saint-Léger