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Mercredi 2 novembre 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Serge Grouard Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique.

M. le président Serge Grouard. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique. Il nous a en effet paru utile d’entendre celui qui prépare, pour le compte de la France, ces négociations dans le cadre de la prochaine réunion de l’ONU sur le changement climatique, qui se tiendra à Durban, en Afrique du Sud, du 28 novembre au 9 décembre 2011.

Monsieur l’ambassadeur, quel est l’état des négociations sur le changement climatique, et qu’en attendez-vous ?

Après l’espoir né de la conférence de Copenhague, partiellement déçu, nous avons aujourd’hui le sentiment d’être entrés dans une négociation quasi permanente qui ne débouche sur aucun résultat concret, malgré les nombreux efforts européens, en particulier français.

Dans ces conditions, la conférence de Durban va-t-elle être la réédition d’un jeu international bien connu, avec peu d’avancées du fait de la ligne de fracture – déjà en germe à Copenhague – entre certains États, sachant que l’échéance du Protocole de Kyoto est fixée à 2012 ?

Bref, peut-on parler de continuité par rapport à Copenhague et Cancun, ou pensez-vous que les esprits évoluent et nous permettront d’espérer des engagements forts ?

Pour commencer, monsieur l’ambassadeur, pouvez-vous nous dire comment vous percevez votre fonction ?

M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique. Je vous remercie beaucoup de m’accueillir aujourd’hui.

La fonction d’ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique, qui n’existait pas lorsque j’étais ministre en charge de l’écologie, est à mes yeux très importante.

L’ambassadeur a d’abord un rôle de coordination des experts qui travaillent, pour ces négociations, dans des secteurs très différents selon les ministères. Lors de la conférence de Durban, les experts français seront au nombre de cinquante, une trentaine travaillant en permanence sur la seule question du réchauffement climatique.

Le deuxième rôle de l’ambassadeur consiste à faire le lien entre les experts et le politique. La ministre chargée de l’écologie ne peut en effet suivre, au jour le jour, l’état des négociations sur le réchauffement climatique, d’abord parce que ces dernières font l’objet de nombreux processus, ensuite parce qu’elle est fréquemment sollicitée sur des questions essentielles, comme les gaz de schiste et le nucléaire. L’ambassadeur, lui, peut suivre toutes ces questions dans le détail et faire le relais avec le politique : ainsi, dès qu’une question doit être arbitrée, je n’hésite pas à contacter immédiatement la ministre.

La conférence de Copenhague, en débouchant sur un accord, non pas global, mais de principe entre la plupart des États, a été considérée comme un échec. Néanmoins, elle a permis des avancées dans un certain nombre de domaines, que la conférence de Cancun, elle, a concrétisées par un accord global.

D’abord, les accords de Cancun ont consolidé le système onusien, qui prévoit une acceptation par l’ensemble des pays. Grâce à un consensus, ils ont remis en marche la négociation dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC, en anglais United nations framework convention on climate change, UNFCCC).

Ces accords visent à maintenir l’augmentation moyenne des températures mondiales en dessous de deux degrés Celsius par rapport à la période préindustrielle, avec des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays développés, d’une part, et de limitation de ces émissions pour les pays en développement, d’autre part. Ce point d’accord traduit un niveau d’ambition et une vision partagés par l’ensemble des pays. Ils permettent la mise en place d’un système de mesure et de vérification du respect par les pays de leurs engagements de réduction des émissions, dit « MRV » (mesure, reporting et vérification). À cet égard, le renforcement de la transparence est un élément très important.

Une autre avancée prévue par les accords de Cancun est la création d’un « Fonds vert » avec, dans un premier temps, des financements précoces, dits fast start, de 30 milliards de dollars sur trois ans (2010, 2011 et 2012), la France étant engagée à hauteur de 420 millions d’euros par an. À partir de 2020, ce fonds devrait mobiliser 100 milliards de dollars par année pour toutes les actions menées par l’ensemble des organismes concernés, les pays développés s’étant engagés à mener des actions à hauteur de cette somme contre le changement climatique. Ce qu’il adviendra entre 2012 et 2020 est une question politique actuellement posée dans les négociations.

Les accords prévoient également la création d’un comité pour l’adaptation aux changements climatiques pour guider les actions des pays en développement.

Ils prévoient en outre la mise en place d’un centre de technologie pour le climat pour développer le savoir-faire sur les nouvelles technologies vertes dans les pays en développement. Cela permettra des transferts de technologies du Nord vers les pays en développement afin d’aider ces derniers à mener des actions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Enfin, les accords adoptés à Cancun permettront la mise en place du mécanisme REDD + pour la protection des forêts.

Les enjeux de la réunion de Durban sont de deux ordres.

Le premier est la mise en application opérationnelle des accords de Cancun. Aujourd’hui, des groupes de travail s’emploient en permanence et lors des réunions intermédiaires à mettre en place les systèmes dont j’ai parlé, en particulier celui du MRV, dont les principes, actuellement en discussion, peuvent faire l’objet d’arbitrages politiques. Dans la mesure où les choses se déroulent bien, il me semble que des décisions intéressantes pourraient être prises à Durban sur cette mise en application.

Le deuxième enjeu est de décider de la suite à donner aux points qui n’ont pas fait l’objet d’un accord à Cancun. Avant tout, il s’agit de savoir si les pays de l’Annexe 1 – les pays développés pour lesquels le Protocole de Kyoto prévoit une première période d’engagement pour la réduction de leurs émissions de gaz à effet et dont l’échéance est fixée au 31 décembre 2012 – décideront de s’engager dans une deuxième période d’engagement.

Ainsi, deux grandes questions politiques se posent à nous aujourd’hui, la première étant de décider, ou non, de nous engager dans une deuxième période d’engagement. Quant à la seconde, elle consiste à savoir si nous engageons une véritable négociation en vue d’un accord global qui comprendrait, au-delà des pays de l’Annexe 1, l’ensemble des pays du monde. À cet égard, on distingue trois groupes de pays.

Le premier est constitué des pays de l’Annexe 1 qui souhaitent s’engager dans une deuxième période d’engagement, dont les États membres de l’Union européenne et, éventuellement l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suisse. Les premiers représentent entre 11 % et 15 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde ; au total, les pays de l’Annexe 1 représentent environ 27 % de ces émissions.

Le deuxième groupe est celui des pays en développement, y compris émergents – appelés « G77 plus la Chine » –, qui, sans être engagés dans l’Annexe 1, sont favorables à une deuxième période d’engagement.

Le troisième groupe est formé par les pays développés qui, engagés dans la première période, refusent clairement de s’engager dans une deuxième. Il s’agit du Japon, du Canada et de la Russie, les positions de cette dernière étant d’ailleurs parfois ambiguës.

Je rappelle que le Protocole de Kyoto, ratifié par 191 États, ne l’a pas été par les États-Unis.

Au sein de l’Europe, la France a été en pointe pour faire avancer la négociation, notamment vers la décision d’une deuxième période d’engagement. En effet, sa crédibilité à l’international est bonne sur ces questions – ce qui n’était pas le cas il y a dix ans, certains ayant pointé son retard dans l’application des directives européennes –, en particulier grâce aux engagements pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

En liaison notamment avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède, nous avons défendu l’idée qu’une deuxième période d’engagement pouvait être envisagée, mais à une condition : que les pays émergents – dont les émissions de CO2 par tête d’habitant se développent désormais fortement – évoluent dans leur position en vue d’aboutir, à terme, à un accord global comprenant l’ensemble des pays du monde.

Ainsi, le conseil européen des ministres de l’environnement du 10 octobre dernier a pris position sur l’ouverture d’une deuxième période d’engagement, assortie, d’une part, de l’engagement d’un mandat de négociation en vue d’un accord global juridiquement contraignant – sachant que ces dernières notions devront être définies – et, d’autre part, d’un accord sur un agenda précis.

Au sein du « G77 plus la Chine », un grand nombre de pays ont commencé à intégrer nos arguments sur la Chine, le Brésil et l’Inde, à savoir que ces pays devront, à terme, accepter l’idée d’objectifs et d’engagements propres. J’en veux pour preuve la déclaration officielle, la semaine dernière à Bruxelles, de l’ambassadrice du Bangladesh – pays très vulnérable au changement climatique – selon laquelle la Chine a le devoir de s’engager sur ces questions.

Au fond, c’est la conférence de Copenhague qui a donné une image différente des négociations. Depuis Kyoto, les négociations sont annuelles – c’est le seul processus international permanent –, mais le processus doit être mené par étapes. À cet égard, je pense que Durban peut, sans être le lieu où toutes les décisions seront prises, constituer une étape importante en décidant, comme je vous l’ai expliqué, de l’application des accords de Cancun, de l’entrée dans une deuxième période d’engagement dans le cadre du Protocole de Kyoto, et du lancement d’une véritable négociation en vue d’un accord global.

Compte tenu de la date butoir de décembre 2012, retenue pour trouver un prolongement au traité de Kyoto, un accord ne pourra pas être ratifié avant cette date par les Vingt-sept, compte tenu notamment des processus de ratification des différents pays. Pour sortir de cette difficulté, la France propose – et elle a été assez écoutée dans les négociations – de prendre une décision politique à Durban pour une deuxième période d’engagement, mais aussi de conditionner le lancement du processus de ratification par l’Europe à l’engagement parallèle d’une négociation vers un accord global comprenant l’ensemble des pays. Au final, cette position permettrait de mettre l’Europe au cœur de la négociation et de faire avancer le processus.

M. Stéphane Demilly. Depuis sa création le 1er juillet 2009, notre commission a reçu l’ambassadeur de France en charge des négociations sur le réchauffement climatique avant chaque grand rendez-vous international sur le climat. C’est ainsi que nous avons auditionné à deux reprises Brice Lalonde – à qui vous avez succédé en février dernier, monsieur l’ambassadeur –, la première fois en octobre 2009 en vue du sommet de Copenhague, et la seconde fois en novembre 2010, dans la perspective du sommet de Cancun.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir de vous recevoir pour évoquer tout particulièrement la préparation du sommet des Nations unies à Durban, qui doit se tenir dans quelques semaines. À cet égard, je voudrais vous remercier pour votre intervention, claire et spontanée, qui a permis de resituer les enjeux de cette échéance internationale importante pour l’avenir de notre planète.

Il y a deux ans, et le président Serge Grouard l’a rappelé en introduction, Copenhague nous a laissé, à tous, un goût amer. Comme tous ceux qui y ont participé, j’en suis sorti déçu et frustré, avec le sentiment d’un incroyable décalage entre les convictions affirmées en amont et le contenu de l’accord présenté. Malgré deux ans de négociations préalables et les intenses efforts diplomatiques de la France et, d’une façon générale, de l’Union européenne, il n’en est ressorti aucun engagement chiffré contraignant. On a dû, à l’époque, se contenter d’un accord politique de principe, et encore…

Retenons cependant que l’on avait réussi à réunir 192 pays représentés par 119 chefs d’État et de gouvernement, ce qui en avait fait le plus grand rassemblement de l’histoire des Nations unies, et que des décisions y ont tout de même été annoncées : celles relatives au Fonds de solidarité et à la lutte contre la déforestation.

Certes, le sommet de Cancun, en décembre 2010, a rendu possible un certain rattrapage, en permettant notamment d’obtenir un engagement international à limiter le réchauffement à deux degrés Celsius d’ici à la fin du siècle – ce que vous avez appelé « un niveau d’ambition partagé » –, ainsi que des avancées sur la mise en place du fameux Fonds vert d’aide à l’adaptation au changement climatique. Malheureusement, moins d’un an plus tard, ces avancées positives semblent déjà en péril.

En premier lieu, le Groupement d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) a estimé récemment qu’une hausse de plus de deux degrés des températures est d’ores et déjà inéluctable d’ici à la fin du siècle, quels que soient les efforts accomplis. La France en a d’ailleurs pris acte avec pragmatisme, en adoptant en juillet dernier un plan national d’adaptation au changement climatique. La sémantique n’est pas neutre : vous-même avez cité à plusieurs reprises le terme d’ « adaptation », en évoquant notamment les comités d’adaptation.

En deuxième lieu, les préoccupations immédiates liées à la crise économique et financière mondiale ont, depuis, pris clairement le pas sur les préoccupations environnementales, perçues comme moins urgentes. Ainsi, aux États-Unis, le président Obama, qui avait suscité beaucoup d’espoir parmi les défenseurs de l’environnement, a été sévèrement interpellé l’été dernier par l’ancien vice-président Al Gore pour n’avoir pas su, ou pas voulu, mobiliser l’Amérique dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et pourtant, les États-Unis représentent, avec la Chine, 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Enfin, une nouvelle perspective inquiétante se profile, celle de l’arrivée à échéance l’an prochain, vous l’avez dit, des accords de Kyoto, signés en 1997 et qui constituent à ce jour le seul cadre juridique un tant soit peu contraignant en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Si rien ne vient remplacer Kyoto, nous risquons de nous retrouver dans une situation de vide juridique forcément préjudiciable. Or le pessimisme, qui prévaut actuellement, n’a jamais résolu les problèmes.

Le groupe Nouveau centre souhaite, de façon pragmatique et optimiste, que la France, qui a toujours été leader sur cette question, se fixe deux grandes priorités pour Durban. Tout d’abord, comme le souhaitent les pays de l’Annexe 1, prolonger le Protocole de Kyoto sous une forme juridique, avec comme objectif d’aboutir, à terme, à un accord juridiquement contraignant et allant au-delà des simples déclarations politiques ; ensuite, rendre opérationnel le fameux « Fonds vert » d’adaptation au réchauffement climatique, ce qui suppose de résoudre la question de son financement car nous sommes très loin aujourd’hui des 100 milliards de dollars qu’il devrait mobiliser à partir de 2020.

Plusieurs pistes sont évoquées, comme une taxe sur les transactions financières, ou encore une taxe sur les carburants des transports maritimes et aériens. Il y en a sans doute beaucoup d’autres, mais il est essentiel d’aboutir sur ce point, faute de quoi l’action des Nations unies n’aura aucune crédibilité.

Alors qu’il existe plus de 500 traités internationaux relatifs à l’environnement, y compris sur le réchauffement climatique, une autre priorité en termes d’efficacité ne serait-elle pas de mettre de la coordination et du volontarisme dans tout cela en relançant, enfin, la bonne idée de créer une organisation mondiale de l’environnement ? La crédibilité française, que vous avez soulignée, monsieur l’ambassadeur, pourrait y contribuer.

M. Jean-Paul Chanteguet. À Copenhague, un accord portait sur la mise en place d’un financement précoce à hauteur de 30 milliards de dollars sur la période 2010-2012 : 7,2 milliards d’euros pour l’Union européenne ; 420 millions par an pour la France, soit 1,2 milliard d’euros au total. Ces financements devaient être nouveaux et additionnels.

Or selon un rapport de l’Union européenne, la France a bien consacré 425 millions à la lutte contre le réchauffement climatique en 2010, mais essentiellement sous forme de prêts – à hauteur de 390 millions –, alors que l’accord de Copenhague prévoyait des dons ou des subventions en la matière.

En outre, la France avait prévu de financer une partie de ces 420 millions en vendant les crédits carbone dont elle était bénéficiaire dans le cadre du Protocole de Kyoto ; or les conditions du marché des quotas étant particulièrement difficiles, elle n’en a vendus aucun.

Le rapport d’Henri Emmanuelli, rapporteur spécial de la Commission des finances pour l’aide publique au développement, est tout aussi éclairant : il indique en effet que les financements précoces s’élèvent en réalité à quelques dizaines de millions d’euros seulement – bien loin des 420 millions supplémentaires. Dès lors, on comprend que la réaction des pays en voie de développement soit particulièrement négative. Si les pays développés veulent que leurs relations avec les pays en voie de développement soient empreintes de sérénité et de confiance réciproque, ils doivent d’abord respecter leurs propres engagements !

S’agissant du « Fonds vert », pour lequel devraient être mobilisés 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 – ce qui est une somme considérable –, des pistes ont été évoquées : la réorientation d’une partie des subventions à la production et à l’utilisation des carburants fossiles, une taxe carbone mondiale, ou encore une taxation des carburants des transports aériens et maritimes. Qu’en pensez-vous ?

M. Bertrand Pancher. Monsieur l’ambassadeur, je tiens d’abord à vous remercier pour votre présentation à la fois réaliste et enthousiaste. Vous avez parfaitement démontré que les engagements de la France et de l’Union européenne sont marquants sur le plan international et peuvent dessiner les contours d’un modèle de développement de nos productions énergétiques plus équilibré. Preuve est faite que la France, à travers le Grenelle de l’environnement, et l’Europe, moteur du processus de Kyoto, souhaitent réussir leur formidable pari de transition énergétique, mais aussi encourager les autres pays de la communauté internationale à s’engager sur cette voie.

Il ne suffit pas de vouloir nous engager dans une deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto, encore faut-il atteindre nos propres objectifs. Si je ne doute pas du volontarisme de la France en la matière, je n’en dirai pas autant de certains grands pays européens, en particulier de l’Allemagne dont la décision brutale et surprenante de sortir du nucléaire semble inquiétante. Quand j’entends des responsables politiques français déclarer vouloir engager notre pays sur cette voie, voire dans un effort plus ambitieux, j’ai beaucoup de doutes quant à notre capacité de tenir nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En sortant du nucléaire, l’Allemagne, où de nouvelles centrales thermiques sont actuellement en cours de construction, ne va-t-elle pas nous empêcher d’atteindre nos objectifs européens ?

Enfin, la communauté internationale – y compris les pays très développés – n’est pas prête à s’engager en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans ces conditions, la signature par certains États d’« accords Kyoto II » ne devrait-elle pas aboutir à une forme de fiscalité verte aux frontières, perspective qui inquiète beaucoup la Chine et l’Inde car elle conduirait à réduire leurs exportations, notamment vers le continent européen ? Avez-vous le sentiment que cette piste, régulièrement mise en avant sur le plan international, pourrait utilement compléter les dispositifs actuels et nous permettre de nous engager dans une réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre ?

M. Jean-Marie Sermier. J’avais cru comprendre que l’Europe souhaitait en finir avec sa naïveté… Un engagement a été pris par le plus grand nombre, mais est appliqué par quelques-uns seulement.

Je vous remercie des informations que vous nous avez apportées, notamment de la confirmation imminente par la Suisse et la Norvège de leur engagement. Qu’en est-il de l’accord de financement prévu à Copenhague pour la Chine et l’Inde ?

Par ailleurs, quelles sont vos relations avec le GIEC ? Vous a-t-il fourni davantage d’éléments sur l’évolution du réchauffement climatique, mais aussi sur sa nature et son origine ?

Enfin, le Protocole de Kyoto prévoyait l’utilisation de l’énergie électrique, qui représente actuellement 16 % de l’énergie de notre planète. Les schémas ont-ils été révisés au regard de l’abandon par certains États de leur programme nucléaire ? Une réflexion est-elle prévue sur le fait que l’énergie nucléaire pourrait très probablement apporter beaucoup plus de sécurité ?

M. Philippe Plisson. Aucune mesure concrète n’a été adoptée au sommet de Copenhague, dont les enjeux planétaires avaient pourtant été relayés par l’ensemble des médias. Avec la crise économique, l’écologie est passée au deuxième rang des préoccupations, y compris en France.

Je maintiens que la loi « Grenelle 2 » a détricoté une bonne partie des dispositions de la loi « Grenelle 1 » et qu’ainsi nous n’atteindrons pas nos objectifs en matière d’énergies renouvelables. J’ajoute qu’un arrêté récent autorise l’augmentation des épandages de lisier, à l’origine de la pollution causée par les algues vertes, et que la taxe kilométrique poids lourds en Bretagne vient d’être allégée.

Quel regard portez-vous sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre de notre pays, qui ont augmenté en 2011 ?

Pensez-vous sincèrement que l’objectif de limiter à deux degrés l’augmentation des températures mondiales d’ici à la fin du siècle ait une chance d’être atteint ?

M. Martial Saddier. Monsieur l’ambassadeur, je salue votre engagement et vous remercie pour la clarté de vos propos, mais aussi d’avoir rappelé l’excellente image de la France sur le plan international en matière d’environnement. N’oublions pas que c’est cette majorité qui a fait adopter tous les grands textes en la matière.

Les États-Unis n’ont pas ratifié les accords de Kyoto ; le Japon, le Canada et la Russie refusent une deuxième période d’engagement ; la Chine et l’Inde ont leur position propre. Étant donné le poids de ces pays dans les émissions de gaz à effet de serre, et malgré la présence de bons élèves, dont la France fait partie, l’objectif de limiter à deux degrés l’élévation des températures mondiales pourra-t-il raisonnablement être tenu ?

En outre, qu’en est-il des positions scientifiques du GIEC sur l’intensité et les causes du réchauffement climatique ?

S’agissant du « Fonds vert », quelles pistes sérieuses de financement sont susceptibles d’être adoptées compte tenu du contexte économique actuel ?

Enfin, s’agissant du calendrier de ratification d’un accord prolongeant Kyoto, l’espoir d’une unanimité des Vingt-sept est-il toujours d’actualité, étant donné la crise économique mondiale ?

Mme Geneviève Gaillard. Aujourd’hui, mon sentiment est que nous voulons rester optimistes, mais que, malheureusement, la période qui s’annonce ne nous permettra pas de réduire très fortement les émissions de gaz à effet de serre.

La planète compte actuellement 7 milliards d’êtres humains et nous savons qu’il faudra attendre une trentaine, voire une quarantaine d’années avant que la courbe de croissance démographique des pays les plus peuplés ne commence à s’infléchir. Or les aides qui sont allouées à ces pays diminuent régulièrement : ainsi, cette année, le budget de l’Institut de recherche pour le développement – IRD – baissera d’environ 2 %. Dans la mesure où cette forte croissance démographique entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, comment œuvrer avec ces pays pour la limiter ?

La France a-t-elle vraiment envie d’avancer et de s’exonérer des ressources non renouvelables ? Il y a de quoi s’interroger quand on constate que, malgré la loi qui a été votée, on propose d’explorer des gisements de gaz de schiste ou d’explorer et d’exploiter un gisement de pétrole au large de la Guyane, au risque de perturber l’écologie de l’Atlantique ?

M. Gérard Menuel. Comme vous l’avez dit, monsieur l’ambassadeur, l’Union européenne a pris la tête de la lutte contre les émissions de CO2 et celles des gaz à effet de serre. L’enjeu des négociations sera donc d’amener les principaux pays émetteurs que sont l’Inde, la Chine et les États-Unis, qui n’ont jamais ratifié le Protocole de Kyoto, à s’engager fermement à réduire leurs émissions. Il est possible que la réunion de Durban débouche sur une reconduction du Protocole de Kyoto, mais avec moins de membres et moins d’efficacité car les États qui ont été les éléments moteurs dans son élaboration ne sont pas en position de force en raison de la crise latente – notamment celle des dettes souveraines. Par conséquent, ne pensez pas que la conférence de Durban est en partie conditionnée par l’évolution des négociations actuellement menées dans le cadre du sommet du G 20, à Cannes ?

M. Philippe Tourtelier. J’ai trouvé très intéressante votre présentation de l’articulation entre la deuxième période du Protocole de Kyoto et la négociation globale.

Lors du sommet de Cancun, la France s’était préoccupée des transferts de technologie et deux comités avaient été mis en place. Où en est-on ? A-t-on avancé sur le droit de la propriété intellectuelle ? En effet, ces transferts ne se font quasiment qu’entre pays développés. Le programme REDD + a-t-il avancé concrètement ? Est-il maintenant lié à l’agriculture, domaine qui avait été laissé de côté lors de ce sommet ?

Reste que le cœur du sujet est bien le Protocole de Kyoto. En cas de vide juridique, on risque de perdre toute l’expertise et les financements mis, notamment, dans les dispositifs MDP (mécanisme de développement propre) et MOC (mise en œuvre conjointe). L’enjeu est extrêmement important et la position de l’Union européenne est, en la matière, fondamentale. Celle-ci ne risque-t-elle pas de devoir accepter un Protocole de Kyoto réduit, pour garder ces instruments et atteindre l’objectif des « trois fois vingt » ?

L’Union européenne veut-elle d’ailleurs garder son leadership ? Va-t-elle annoncer le passage de 20 % à 30 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 ? À Bali, nous nous étions engagés sur une réduction de 25 %. On dit que nous avons atteint nos objectifs. Pourtant, une étude réintégrant dans les évaluations le montant des émissions imputables aux biens importés montre que nous connaissons, en fait, une augmentation de 7 %.

Il y a une différence entre les dons et les prêts. En effet, les prêts gonflent artificiellement le montant de l’aide, dans la mesure où leur remboursement n’est pas anticipé. Par ailleurs, un certain nombre de pays ne peuvent pas faire bénéficier leur agriculture de prêts, dans la mesure où leurs agriculteurs ne disposent pas des capacités qui leur permettraient de rembourser. Or il me semble que, malheureusement, l’aide française au développement a développé le système des prêts et diminué celui des dons.

Quant aux financements, en France, ils ne sont pas additionnels.

M. Didier Gonzales. Le sommet de Cancun avait acté la création d’un « Fonds vert » pour le climat, destiné à aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques. L’ONU a été chargée de travailler aux modalités de fonctionnement de ce fonds. Comment celui-ci sera-t-il financé ? Quelle sera la participation de la France ? Où en est l’idée de taxer le carburant aérien ?

Par ailleurs, que se passera-t-il si aucun accord n’intervient ou si l’on peine à trouver un accord sur l’avenir du Protocole de Kyoto, autrement dit si le sommet de Durban s’avère décevant ?

M. Christophe Bouillon. L’enjeu du sommet de Durban est de passer d’un accord sur les objectifs à un accord sur les moyens. Ce passage se vérifiera, notamment, par la mise en place d’un cadre juridique efficace, c’est-à-dire contraignant, pour l’après 2012. Mais en quoi la contrainte serait aujourd’hui plus acceptable qu’elle ne l’a été jusqu’alors ? Les difficultés qui se sont fait jour au moment du sommet de Copenhague semblent prouver le contraire.

Pour alimenter le « Fonds vert », des financements innovants devront être mobilisés. Ainsi, on évoque souvent une taxation des transactions financières ; mais je remarque qu’une telle taxation est mise « à toutes les sauces ».

Objet du programme REDD +, la lutte contre la déforestation est un enjeu essentiel. Des mécanismes ont-ils été mis en œuvre à cet effet ? Avec quelle efficacité ?

Enfin, quel sera l’impact de la crise sur la conférence de Durban ? Manifestement, la maison brûle encore et il est impossible de contester les rapports du GIEC – au reste, un rapport financé par de grandes entreprises pétrolières américaines s’est montré encore plus alarmiste que cet organisme.

M. Jacques Kossowski. Monsieur l’ambassadeur, je suis très heureux de vous revoir. Vous avez évoqué tout à l’heure la nécessaire ratification des Vingt-sept. Ce sera tout de même très difficile. Si deux ou trois pays ne ratifient pas, que ferons-nous ? Devrons-nous attendre ? Pendant ce temps-là, la pollution continuera à augmenter.

Par ailleurs, de nombreux accords ont été signés. Qui les contrôle ? Quelles sont les sanctions prévues ?

Mme Claude Darciaux. Les mesures prises dans le monde pour répondre au défi du changement climatique ne me semblent pas à la hauteur des enjeux. On le voit aujourd’hui avec tous les phénomènes climatiques mondiaux : sécheresse en Somalie, inondations en Thaïlande... Les coûts économiques entraînés par ces phénomènes climatiques extrêmes peuvent-ils affecter les marchés financiers mondiaux ?

La crise actuelle ne risque-t-elle pas d’hypothéquer la rencontre de Durban ? Pouvons-nous espérer que des négociations s’engagent pour renoncer à la règle de l’unanimité, dont la conséquence est qu’il est aujourd’hui difficile de parvenir à un accord contraignant et efficace ?

Enfin, est-il possible – à moyen terme – de fixer un prix unique du carbone et d’instituer une taxe carbone aux frontières, ce qui nous permettrait de lutter efficacement contre le changement climatique ?

M. Joseph Bossé. Le réchauffement de la planète a pour conséquence la baisse de la pluviométrie. Que peut-on faire pour maintenir le niveau des nappes phréatiques et, donc, pour préserver la production agricole ?

M. le président Serge Grouard. On parle de la crise financière et de la crise environnementale, mais sans toujours établir de lien entre les deux. Pourtant, il serait logique d’établir un tel lien : ainsi, un certain nombre de pays procèdent à des déforestations pour faire face à leur endettement.

La moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre produits par l’activité humaine sont le fait des États-Unis, qui n’ont pas signé le Protocole de Kyoto, et de la Chine – cette dernière augmentant chaque année ses émissions d’un montant supérieur à ce que des pays comme la Grande-Bretagne ou la France produisent pendant la même période. Certes, la Chine prend quelques engagements nationaux, mais elle ne veut pas les traduire sur le plan international. Il serait temps que ces deux États acceptent de négocier sans faux-fuyants. Sinon, on ne pourra raisonnablement espérer aboutir à des accords contraignants.

J’avoue que le déroulement depuis plusieurs années des négociations internationales me rend pessimiste. Si la corrélation s’établit plus nettement encore entre les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement et le dérèglement climatiques d’un côté, et la responsabilité humaine de l’autre, je crains qu’apparaissent de fortes tensions entre les États. Ceux qui font des efforts risquent d’accuser ceux qui n’en font pas d’être responsables d’un certain nombre de maux et de dérèglements ayant des conséquences sur le niveau de développement. J’ai déjà cru voir se dessiner une ligne de fracture au moment du sommet de Copenhague entre, d’une part, certains pays émergents, et, de l’autre, certains pays développés ou en développement sensibles aux questions environnementales.

M. Serge Lepeltier. Avant de répondre à toutes les questions pertinentes qui m’ont été posées, je tiens à dire que je suis très heureux de retrouver certains d’entre vous qui, dans l’hémicycle, m’ont soutenu lorsque j’étais ministre.

Je veux d’abord faire observer que le sommet de Copenhague a tout de même modifié le système. Avant ce sommet, on décidait d’une réduction globale d’en haut et l’on répartissait ensuite cette diminution par pays – c’est le système de top-down. Depuis Copenhague, on part d’en bas, on évalue les engagements de chacun des pays, et l’on voit si la somme des engagements correspond à ce qui est souhaité – c’est le fameux bottom-up.

Par ailleurs, on ne doit pas négliger l’engagement interne pris par la Chine, qui a décidé d’un douzième plan, dont les objectifs, en matière d’efficience énergétique, sont très élevés. Consommer moins d’énergie par point de croissance ou par produit est une préoccupation partagée par les pays en développement, voire par certains pays industrialisés. Globalement, aujourd’hui, la somme des engagements domestiques pris dans le système multilatéral représente 60 % de ce qu’il faudrait faire pour ne pas dépasser une croissance de la température mondiale de deux degrés Celsius, ce qui est notre objectif.

Malheureusement, le GIEC considère que ces deux degrés Celsius seront dépassés. Un degré Celsius est déjà acquis, les années 1975-2000 ayant été marquées par l’accélération du réchauffement climatique. Nous voyons difficilement comment nous pourrions atteindre l’objectif fixé.

Peut-être suis-je trop optimiste, mais je crois que les négociations pousseront les États-Unis et la Chine à évoluer.

Certes, les États-Unis ne prendront aucune décision politique – et ne signeront aucun traité – avant les prochaines élections présidentielles. Mais il est évident que, politiquement parlant, ils ne peuvent pas rester seuls, au bord de la route, montrés du doigt par les autres pays. Voilà pourquoi ils souhaitent rester dans la négociation. Nous les sentons évoluer, notamment sur la question de l’accord global. Ils ont commencé à préciser ce qui, dans la négociation, serait acceptable ou inacceptable pour eux : cela signifie qu’ils rentrent un peu dans la discussion.

La Chine, quant à elle, évolue également sous l’influence des pays en développement. La relation qu’elle a nouée avec eux, notamment en Afrique, est très importante pour elle. Si ces pays lui expliquent qu’elle doit modifier sa politique, elle changera un peu de comportement.

Pour autant, il est exact que ces deux grands États sont très réservés sur quelque accord multilatéral contraignant que ce soit. Ils acceptent de discuter, d’avancer, de prendre des engagements qui leur sont propres, mais ne veulent pas être contraints par le reste du monde. Politiquement, le problème est là. Il sera très difficile de les faire s’engager dans un accord contraignant multilatéral.

L’adaptation, évoquée par Stéphane Demilly, est un sujet qui revient de plus en plus souvent dans les discussions. En effet, les pays en développement sont très demandeurs de financements destinés à leur permettre de s’adapter au changement climatique. Toutefois, les financements d’adaptation ne doivent pas limiter les actions d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre : l’adaptation n’est en effet que la conséquence d’un volume d’émissions trop important.

Stéphane Demilly a également proposé de relancer l’idée de créer une organisation mondiale de l’environnement. La question de la gouvernance mondiale en matière d’environnement est, avec la « croissance verte », à l’ordre du jour du sommet « Rio + 20 », qui sera organisé en juin prochain par mon prédécesseur Brice Lalonde. La France est très engagée sur cette question et elle a renoué des contacts pour avancer dans cette voie. Dans son esprit, l’organisation mondiale de l’environnement pourrait résulter d’une transformation du Programme des Nations Unies pour l’environnement – PNUE – et serait chargée, toujours depuis Nairobi où se trouve le siège du PNUE, de coordonner les quelque cinq cents accords internationaux existants.

Je ne partage pas l’analyse de Jean-Paul Chanteguet sur le montant des financements. La France respecte aujourd’hui ses engagements, qu’il s’agisse de financements nouveaux ou de financements additionnels. En 2010, les 425 millions d’euros qui ont été engagés sur des actions sont venus compléter les sommes versées en 2009 et les actions menées par la France pour lutter contre le changement climatique.

Il ne me semble pas qu’il ait été décidé à Copenhague que les financements précoces consacrés à la lutte contre le changement climatique prendraient nécessairement la forme de dons et de subventions. L’engagement pris par les pays développés portait sur un certain montant d’actions. Il est exact qu’une part importante de la contribution de la France a pris la forme de crédits, mais ces crédits permettent de mener des actions.

J’invite chacun à regarder le rapport de votre collègue Henri Emmanuelli dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2012 (n° 3805, annexe 5), qui traite de ces questions. Par ailleurs, la France fournit régulièrement des chiffres à la Commission européenne.

Certes, la France n’a pas pu vendre ses « crédits carbone », mais, pour ce qui concerne le financement de REDD +, dont le montant était parfaitement défini, elle a compensé avec le Fonds environnemental mondial.

Comment pourra-t-on mobiliser 100 milliards de dollars pour le « Fonds vert » ? Doit-on réorienter les subventions ? Doit-on instaurer une taxe carbone mondiale ? La position de la France a été exprimée très clairement par le Président de la République et par la ministre chargée de l’écologie : en l’absence de financements innovants, nous ne pourrons pas compter sur les budgets des États pour prendre le relais. Les financements innovants sont donc indispensables. Actuellement, notre pays travaille sur l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, mais il se penche aussi, avec l’Organisation de l’aviation civile internationale et l’Organisation maritime internationale, sur la création de taxes – ou de mécanismes de marché – sur les transports aériens et maritimes.

En ce qui concerne la baisse des subventions accordées aux énergies fossiles, inutile de vous dire que j’y suis extrêmement favorable ! En tant que parlementaires, vous devriez vous intéresser non seulement aux subventions accordées aux énergies fossiles, mais aussi aux aides octroyées à des mesures nuisant à l’environnement – il en existe encore dans notre système fiscal. Ainsi, il y a quarante ou cinquante ans, nous avons encouragé la plantation de peupliers pour assécher certaines zones humides et éloigner les moustiques ; nous avons aujourd’hui compris qu’il s’agissait d’une mesure présentant de sérieux inconvénients.

La question des fonds innovants est très actuelle. Les actions contre le changement climatique mondial représentent un coût d’environ 30 milliards de dollars par an ; nous savons que ce sont 100 milliards de dollars par an qui seraient nécessaires.

Monsieur Pancher, la France respecte largement ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notre pays est même en dessous du niveau fixé par le Protocole de Kyoto.

Doit-on inclure les consommations intermédiaires importées dans le décompte des émissions ? Le Protocole de Kyoto ne le prévoit pas. Nous tenons donc nos engagements.

M. Bertrand Pancher. Et l’Europe ?

M. Serge Lepeltier. L’Europe prise globalement tient également ses engagements.

S’agissant de l’Allemagne, je tiens à vous préciser que le jour même où celle-ci a décidé de « sortir du nucléaire », elle a pris l’engagement de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Or l’Allemagne n’a pas l’habitude de ne pas respecter ses engagements.

Si l’Allemagne, qui est pratiquement le premier pays industriel du monde, s’est fixé un tel objectif, c’est parce qu’elle sait que la réduction des émissions favorisera son industrie et son économie dans la mesure où elle permettra de faire baisser la consommation d’énergie, de réduire les coûts de production et de diminuer les importations. Il est très important que nous fassions valoir cet argument dans nos discussions avec les entreprises françaises, qui craignent en effet qu’une réduction trop rapide des émissions des gaz à effet de serre ne les pénalise et n’affecte notre système économique. Je ne sais si les Allemands vont atteindre leur objectif. En tout cas, ils s’engagent très fortement dans cette voie, notamment en développant les énergies renouvelables.

S’agissant de la fiscalité verte aux frontières, c’est-à-dire le mécanisme d’inclusion carbone, de nombreux pays européens – en particulier le Royaume-Uni – sont assez réservés sur le sujet. La réflexion est engagée, mais elle a du mal à progresser.

À Jean-Marie Sermier, qui s’est demandé si l’Europe n’aurait pas intérêt se montrer moins naïve, je répondrai qu’il ne faut pas oublier que le phénomène que nous devons combattre, c’est le changement climatique. En la matière, l’Europe est en pointe et il faut qu’elle le soit – elle compte en effet 500 millions de consommateurs. En mettant en place de vraies mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle accroît non seulement son autonomie énergétique, mais elle oblige de surcroît les entreprises désireuses de s’implanter sur son marché à respecter un certain nombre de règles. Par ce biais, les nouvelles technologies « propres » irrigueront le monde entier.

Juste avant l’été, les experts du GIEC se sont réunis à Brest – où je me suis moi-même rendu – pour travailler à leur cinquième rapport sur le changement climatique, et ils ont rencontré la ministre à Paris. Bien que l’information ne soit pas encore officielle – puisque ce rapport ne sortira qu’en 2013 ou 2014 –, il semblerait que les évolutions soient encore plus rapides et plus importantes qu’on ne l’imaginait. Le GIEC se demande d’ores et déjà si le réchauffement climatique n’atteindra pas, à terme, 5 à 6 degrés Celsius. Dans ce cas, nous risquons de nous trouver dans une situation économique désastreuse.

Pour ce qui est du nucléaire, je considère – y compris en tant qu’ancien ministre de l’écologie – que la France doit conserver la position très courageuse adoptée après la catastrophe de Fukushima. Il faudra procéder aux audits qui seront nécessaires et faire en sorte que cette catastrophe ouvre la voie à nouvelles solutions. Toutefois, un point me semble certain : si nous savons résoudre techniquement les problèmes du nucléaire, nous ne savons en revanche pas résoudre les conséquences du changement climatique.

Monsieur Plisson a estimé que l’écologie était passée au deuxième rang des préoccupations, après celles liées à la crise économique et financière. Certes, c’est compréhensible sur le plan médiatique. Mais n’oublions pas qu’aujourd’hui, économie et climat sont intimement liés : si nous ne résolvons pas les problèmes liés au climat, la crise économique s’accentuera très fortement.

Monsieur Saddier a évoqué la ratification par les 27 pays de l’Union européenne d’un accord prolongeant le Protocole de Kyoto. Le processus risque d’être extrêmement long et dépendra de la volonté des uns et des autres. C’est vraiment une question politique majeure.

Madame Gaillard, on ne peut pas dire que l’aide au développement diminue. En tout cas, nous ne pourrons atteindre nos objectifs qu’en mobilisant des financements innovants ; chacun connaît la situation budgétaire des États.

Vous vous demandez également si la France a envie d’avancer. Je le crois et je le constate. Même si le Grenelle de l’environnement semble parfois « se détricoter », notre pays reste globalement à la pointe du combat. Par ailleurs, en ce qui concerne le gaz de schiste, ma position est la même que celle de la ministre chargée de l’environnement.

Qu’adviendra-t-il si la conférence de Durban se solde par un échec et ne débouche pas sur une deuxième phase du Protocole de Kyoto ? J’observe que, de toute façon, l’Europe est engagée dans le paquet « énergie-climat », adopté sous la présidence française et dont l’objectif est, entre autres, de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Cet engagement sera tenu. La feuille de route européenne mise aujourd’hui en avant fait même passer cet effort à 25 % d’ici à 2020. Il n’en reste pas moins que nous devons absolument travailler à la réussite de la conférence de Durban.

Le résultat de la conférence de Durban est-il conditionné par celui des négociations menées dans le cadre du G20 à Cannes ? C’est l’évidence même. Les jours qui viennent seront excessivement importants pour l’avenir des financements innovants. Nous savons que ce ne sera pas facile, surtout après ce qui s’est passé hier. Mais, même si des décisions ne sont pas prises sur ces financements innovants, une dynamique peut s’instaurer sous la présidence du Mexique pour que les études se poursuivent. C’est même absolument nécessaire.

Monsieur  Tourtelier, vous avez fait remarquer à juste titre que l’agriculture avait été mise de côté à Cancun – du fait, me semble-t-il, de l’attitude de l’Arabie Saoudite. Nous nous battons, avec quelques pays, pour que l’agriculture soit réintroduite dans le dispositif et nous sommes quasiment parvenus à un accord, qui devrait être officialisé à Durban.

En matière de transferts de technologie, les discussions avancent bien. Une avancée devrait être officialisée à Durban.

Le programme REDD + progresse également de manière satisfaisante.

Que fera-t-on des instruments du Protocole de Kyoto, si la conférence de Durban ne débouche pas sur une deuxième période d’application du Protocole ? C’est un vrai sujet politique. J’observe que le Japon, qui n’est pas favorable à cette deuxième période, désire pourtant continuer à en utiliser les instruments.

Quoi qu’il en soit, le MDP, le MOC et, plus généralement, tous les systèmes qui nous permettent – dans le cadre du paquet « énergie-climat » – de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, seront maintenus d’une façon ou d’une autre, même en cas d’échec à Durban. Nous y travaillons actuellement.

Pourquoi les contraintes seraient-elles aujourd’hui plus acceptables qu’hier ? Tout simplement parce que, sous la pression d’autres pays, les États-Unis et la Chine notamment commencent à comprendre la situation. La Chine, en outre, risque d’être gravement touchée par le changement climatique.

J’aborderai maintenant certaines questions très importantes soulevées par Claude Darciaux.

Le rapport Stern (2006) a évalué le coût des catastrophes climatiques, qui s’accélèrent et s’accumulent. Assez rapidement, ce coût pourrait atteindre 1 % du PIB mondial. Et si la température augmente de 4 à 5 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle, le PIB mondial – et donc la consommation mondiale – baissera de 5 % par an, voire, à terme, de 20 % ! Ce que l’on connaît aujourd’hui n’est donc encore rien par rapport à ce que nous risquons de connaître. Imaginez, alors que le monde est en croissance démographique, les crises que peuvent provoquer une telle baisse de la consommation et du PIB au niveau mondial.

Vous vous êtes également interrogée sur l’opportunité de conserver la règle de l’unanimité. En effet, aujourd’hui, un seul pays sur 192 peut bloquer une décision. Je remarque d’ailleurs que le consensus qui s’est dégagé à Cancun n’était pas une unanimité. Quoi qu’il en soit, une réflexion s’est engagée et le Mexique et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont fait des propositions pour instaurer la règle de la majorité qualifiée. Même si cette question ne semble pas encore parvenue au plus haut niveau politique, l’ONU devra bien se la poser à un moment ou à un autre. Peut-on accepter, en effet, qu’un seul pays producteur de pétrole bloque tout le dispositif ?

Monsieur Kossowski m’a demandé qui contrôlait les accords et quelles étaient les sanctions prévues à l’encontre des pays qui ne respecteraient pas leurs engagements – c’est notamment le cas du Canada, qui est particulièrement en retard pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Des sanctions ont bien été prévues, mais dans le cadre de la mise en œuvre d’une deuxième période d’application du Protocole de Kyoto, moment où l’on pourra apprécier les efforts réalisés – ou non – au cours de la première période. Le sujet est encore peu évoqué, car on attend de voir ce qui va se passer et s’il y aura, ou non, une deuxième période. Il n’empêche que cela conduit à s’interroger sur la définition d’un accord juridiquement contraignant : que signifie « juridiquement contraignant » si les pays qui ne respectent pas leurs engagements n’en subissent pas les conséquences ? Peut-on imaginer d’appliquer, fin 2012, les sanctions prévues ? C’est une question d’ordre politique.

Enfin, que peut-on faire contre la baisse de la pluviométrie et pour maintenir le niveau des nappes phréatiques ? Il n’y a pas de solution technologique pour lutter contre la baisse de la pluviométrie. Cela dit, aujourd’hui, on construit des puits pour fournir de l’eau aux pays les plus en difficulté, tels que les pays africains, où les nappes phréatiques qui ont été constituées depuis des dizaines de milliers d’années ne se reconstituent plus : il s’agit bien là d’une question d’adaptation au changement climatique.

La ville dont je suis maire est entourée par une zone agricole. Je sais donc que nous sommes parfois confrontés, en France, à des périodes de sécheresse. Mais parce qu’il est en zone tempérée, notre pays n’a pas et n’aura pas de réel problème de quantité d’eau, malgré le changement climatique. Cela ne nous dispense pas de nous interroger sur les usages et l’équilibre des usages de l’eau – par exemple, certaines productions en consomment beaucoup plus qu’il ne le faudrait. Nous ne sommes pas menacés de rupture, mais il faut y réfléchir sur le long terme.

M. le président Serge Grouard. Merci, monsieur le maire de la très belle ville de Bourges (sourires), pour ce bilan clair et précis, avant la tenue de la conférence de Durban sur le changement climatique. Pour notre commission, il s’agit d’un sujet clé, comme le débat de ce matin est venu nous le rappeler.

J’observe que la crise de la dette n’est qu’un élément d’une crise beaucoup plus grave, dans laquelle l’environnement occupe une place déterminante. Les chiffres que vous avez donnés ont de quoi inquiéter : une perspective de réduction du PIB mondial comprise entre 5 et 20 % ! Cette crise financière n’est donc que la partie émergée d’un iceberg qui, comme chacun le sait, est en train de fondre… (sourires)

Merci beaucoup, mes chers collègues, pour ces échanges d’une très grande qualité. Nous allons donc suivre très attentivement les négociations de Durban pour lesquelles vous avez, monsieur l’ambassadeur, tout notre soutien.


Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 2 novembre 2011 à 9 h 30

Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Joseph Bossé, M. Christophe Bouillon, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Paul Durieu, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Daniel Goldberg, M. Didier Gonzales, M. Serge Grouard, M. Antoine Herth, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, Mme Odile Saugues, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Claude Thomas, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Françoise Branget, M. Philippe Briand, M. André Chassaigne, M. André Flajolet, M. Joël Giraud, M. François-Michel Gonnot, M. Michel Havard, M. Armand Jung, M. Jean Lassalle, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Martin, M. Yanick Paternotte, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. André Vézinhet

Assistait également à la réunion. - Mme Catherine Quéré