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Mardi 3 novembre 2009

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Serge Poignant Vice-président

– Audition de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

Commission
des affaires économiques

La Commission des affaires économiques a entendu M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

M. le président Serge Poignant. Monsieur le président, chers collègues, c’est dans un contexte un peu particulier que nous vous recevons aujourd’hui puisque la commission a suspendu ses travaux sur la proposition de loi relative à la fracture numérique le mardi 6 octobre dernier, dans l’attente d’éléments complémentaires du CSA et de l’ARCEP. Nous avons auditionné le CSA le mercredi 21 octobre dernier et aujourd’hui c’est à votre tour.

La proposition de loi comprend une partie relative à la télévision numérique terrestre (TNT) et une partie relative au déploiement des réseaux de communications électroniques à très haut débit (THD). C’est sur la partie THD que nous souhaitons vous entendre aujourd’hui, et plus particulièrement sur les articles 1er G et 1er H et le projet de décision dit « multifibres ».

Je souhaite rappeler que ce projet prévoit d’obliger sous condition d’indemnisation et dans les seules zones denses les opérateurs qui posent des fibres dans les immeubles à poser à la demande de leurs concurrents des fibres qui leur seront dédiées.

Ce projet fait désormais consensus chez les opérateurs. Eric Debroeck, le directeur des affaires réglementaires de France Télécom, a en effet déclaré le mardi 29 septembre que France Télécom se félicitait « du cadre réglementaire encadrant la fibre en France, les décisions de l'ARCEP et de l'Autorité de la concurrence sur ces projets y contribuant », et que « s'agissant des zones très denses, les conditions réglementaires du déploiement s'éclaircissent favorablement, notamment sur les modalités de partage du coût du câblage dans les immeubles, et notamment lorsque des opérateurs demandent à bénéficier de fibres surnuméraires dédiées ». L’Autorité de la concurrence a par ailleurs rendu un avis très favorable sur ce projet de décision.

Il me paraît important que vous puissiez nous expliquer et nous justifier ce projet dans le détail. A l’occasion de la loi de modernisation de l’économie, nous avions en effet retenu l’idée d’une mutualisation de la partie terminale des fibres optiques, et non le principe de la pose de fibres dédiées aux concurrents dans les zones denses.

J’aimerais que donc cette audition soit l’occasion d’obtenir une réponse claire aux trois questions suivantes.

– Quels éléments justifient de revenir sur le cadre établi par la LME ?

– Quelles seront les conséquences précises du principe de « partage équitable des coûts » entre opérateurs prévu à l’article 1er G, alinéas 4 et 6, qui a longtemps fait débat entre opérateurs ?

– L’élargissement des pouvoirs de régulation conférés à l’ARCEP que transcrivent les articles 1er G, alinéa 2, et surtout 1er H sont-ils limités à ce qui est strictement nécessaire pour bien encadrer la pose des parties terminales des réseaux de fibre ?

Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Je vous remercie M. le président Silicani de venir devant la commission aujourd’hui, d’autant que vous avez déjà participé aux auditions de la rapporteure.

Nous sommes tous attachés au développement numérique des territoires, et nous voulons que ce développement soit homogène. C’est précisément l’objet de la proposition de loi.

Je souhaiterais entendre la position de l’ARCEP sur plusieurs points.

– La définition des zones très denses.

– La localisation du point de mutualisation.

– Le déploiement des opérateurs, compte tenu des annonces faites par France Télécom en septembre : quel est l’état d’avancement des travaux de l’ARCEP avec France Télécom ?

– Sur les zones moins denses : comment devrait se faire le déploiement du très haut débit, selon que l’on se trouve en zone 2 ou en zone 3 ?

– Les objectifs des opérateurs concernant la couverture mobile 3G : pour l’instant, ils ne sont pas atteints, ce qui est problématique.

– Enfin, comment s’articulent les directives de l’ARCEP prévues par la proposition de loi avec les dispositions de la loi de modernisation de l’économie ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. L’objectif de la proposition de loi répond à ce qui est une préoccupation de l’ARCEP depuis de nombreux mois. Dans la limite de nos compétences, nous estimons souhaitable que le déploiement des réseaux fixes et mobiles, haut débit et très haut débit, se fasse parallèlement, et non pas successivement selon la densité des zones. Il est inconcevable que la moitié de la population attende son tour. Plusieurs technologies permettent d’atteindre cet objectif : le THD fixe avec la fibre optique, le THD mobile grâce au dividende numérique, qui sera aussi un chantier essentiel pour l’ARCEP, au second semestre 2010. Il faut enfin traiter la question de la montée en débit : comment optimiser le HD lorsqu’il existe, mais plafonne dans certaines zones ?

Je voudrais consacrer cet exposé introductif au déploiement de la fibre optique. Je répondrai bien sûr ensuite à vos questions sur d’autres sujets.

Avec la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, le Parlement et le gouvernement ont eu le souci de faciliter et d’accélérer le déploiement des réseaux en fibre optique sur l’ensemble du territoire en assurant la meilleure sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs. L’ARCEP partage pleinement cette préoccupation.

Il s’agissait, comme l’ont illustré parfaitement les débats parlementaires, de répondre à deux objectifs :

– coordonner les déploiements de fibre optique, notamment sur la propriété privée, afin de minimiser la gêne pour les copropriétaires et éviter des passages successifs des différents opérateurs comme cela a pu être le cas à l’étranger, notamment aux États-Unis ;

– permettre un accès effectif des différents opérateurs au réseau déployé dans les immeubles, afin de s’assurer que chaque propriétaire ou locataire puisse librement choisir son opérateur de communications électroniques.

C’est dans le cadre de ces principes que se sont inscrits les travaux conduits par l’ARCEP depuis l’automne 2008 (étude préalable, expérimentations sur le terrain par les opérateurs, consultation sur la base d’orientations, …). Ils ont abouti à la présentation d’orientations en avril 2009, puis à la rédaction d’un projet de décision, publié en juin, soumis à consultation, qui a reçu un avis très favorable de l’Autorité de la concurrence, et est actuellement en cours d’examen par la Commission européenne, qui devrait l’avaliser. Ce projet devrait ensuite être adopté par l’ARCEP puis publié après homologation par le Gouvernement d’ici la fin de l’année. Ce projet de décision concerne, à titre principal, le déploiement terminal des réseaux de fibre optique dans les zones les plus denses. L’ARCEP travaille parallèlement, avec les pouvoirs publics, au déploiement de la fibre optique dans les zones moins denses. J’y reviendrai.

Je voudrais rappeler à cette occasion qu’en général la régulation du secteur des communications électroniques est asymétrique, c’est-à-dire qu’elle s’applique à un opérateur désigné « puissant » ou « dominant » : c’est le cas en droit de la concurrence, et c’est également le cas de la régulation sectorielle, effectuée par l’ARCEP, qui ne porte désormais que sur un nombre limité de marchés de gros ; cette régulation asymétrique s’applique à France Télécom, compte tenu de sa position structurelle comme unique opérateur de boucle locale en cuivre.

Nous sommes ici dans un contexte nouveau, celui du déploiement d’une nouvelle boucle locale en fibre optique permettant l’accès au très haut débit. Il ne s’agit pas dans ce contexte, et à ce stade, de mettre en œuvre une régulation asymétrique, qui pèserait sur un opérateur dominant, mais au contraire une régulation symétrique, c’est-à-dire de fixer ou de rappeler ex ante un corpus minimal de règles du jeu, afin de donner de la visibilité aux acteurs, ce qu’ils demandent.

Je rappellerai que l’on distingue les technologies horizontales, qui permettent de relier les immeubles aux réseaux, et les technologies verticales, pour fibrer les appartements. Ces deux catégories de technologies sont indépendantes les unes des autres.

Au cours des travaux conduits avec les opérateurs, il est apparu que deux architectures peuvent être utilisées pour les déploiements horizontaux : le GPON et le point-à-point. Par ailleurs, deux solutions sont également susceptibles d’être mises en œuvre pour les déploiements verticaux de la fibre (dans les immeubles) : le monofibre et le multifibres. Les travaux menés ont montré que, pour garantir l’accès effectif des opérateurs tiers, et dans un souci de respecter la neutralité technologique, qui est un principe fondamental du code, il convenait de permettre à tous les opérateurs de déployer leur propre technologie, sur la partie horizontale du réseau bien sûr, mais également sur la partie verticale, à condition qu’ils en financent les coûts. L’ARCEP tient absolument à respecter le principe de la neutralité technologique, et est donc plus nuancée que l’Union internationale des télécommunications (UIT), la Commission européenne, ou l’Autorité de la concurrence, qui préconisent, elles, le développement du multifibre.

Ce qui est essentiel c’est que l’opérateur d’immeuble ne puisse imposer aux opérateurs tiers sa propre technologie : ainsi, Free ne doit pas imposer sa technologie de fibre dédiée à France Télécom, et France Télécom ne doit pas imposer sa technologie de fibre partagée à Free. Il ne s’agit donc pas de prendre position pour ou contre le mono-fibre, ou pour ou contre le multifibres, mais de permettre aux deux principales architectures, qui peuvent chacune avoir leurs avantages et inconvénients, de se déployer : en résumé, le monofibre est un peu moins coûteux à l’investissement mais davantage en fonctionnement ; la pose de fibres surnuméraires est plus souple et plus évolutive en termes d’usage.

Le troisième objectif est la condition même de la réalisation des deux autres : c’est le financement du co-investissement, c'est-à-dire de la mutualisation de l’investissement, qui doit être réalisé dans des conditions à la fois stimulantes et équitables. Afin que ces conditions soient stimulantes, il doit y avoir préfinancement. Rappelons tout d’abord que le projet de cadre juridique de l’ARCEP prévoit que tous les opérateurs intéressés pourront participer au fibrage d’un même immeuble au même moment. Aujourd’hui d’ailleurs, les opérateurs travaillent déjà ensemble, notamment dans le cadre des groupes mis en place par l’ARCEP, pour élaborer leurs offres d’accès. Les conflits entre opérateurs mis en avant par certains sont donc loin d’être avérés : j’ai d’ailleurs moi-même pu constater lors de visites de caves d’immeubles à Paris ou ailleurs que les équipes opérationnelles, qui sont en train de préparer les plans de fibrage d’immeubles, travaillaient ensemble sur le terrain. Les opérateurs se sont mis d’accord sur les technologies - sachant que quels que soient leurs choix, ces technologies sont compatibles - et ils sont en train de préparer ensemble leurs offres d’accès afin de s’assurer qu’elles aboutissent à un partage équitable des coûts, conformément au projet de cadre juridique de l’ARCEP. Un partage équitable des coûts dans le cadre d’un co-investissement implique également un préfinancement (par l’opérateur tiers intéressé au fibrage d’un immeuble en même temps que l’opérateur d’immeuble) des travaux correspondant au choix de la technologie qu’il a fait, par exemple de la fibre surnuméraire ou des boîtiers de brassage dont il souhaite disposer. Ce système repose donc sur un partage des coûts équitable mais aussi sur un préfinancement des surcoûts. On obtient ainsi un effet de catalyseur pour l’investissement, l’opérateur d’immeuble disposant à la fois de son budget d’investissement et du préfinancement des opérateurs tiers. Parallèlement, les coûts sont évidemment partagés selon les principes de causalité, d’efficacité, de non-discrimination et d’équité qui sont pertinents en matière d’accès conformément au code des postes et des communications électroniques.

Pour en arriver là, l’ARCEP a fourni un très gros travail avec les opérateurs et les experts, des discussions ont eu lieu pendant une bonne partie de l’été, notamment avec France Télécom au mois de juillet, afin de tenir compte de ses préoccupations concernant le projet de cadre juridique qui avait été publié en juin. C’est à la suite de ces entretiens que la direction des affaires réglementaires de France Télécom a donné formellement et publiquement son accord fin septembre. Je m’en suis encore entretenu hier encore avec Stéphane Richard et Jean-Yves Larrouturou. Nous sommes donc parvenus à l’élaboration d’un cadre juridique qui semble à la fois bien correspondre à la mise en œuvre des objectifs de la loi et susciter un consensus le plus large possible des opérateurs qui vont effectivement déployer ce réseau. Sous réserve de l’avis de la Commission européenne, ce projet de cadre juridique pourrait entrer en vigueur en décembre et, dans la foulée, les opérateurs pourraient rendre publiques leurs offres de service dans un cadre juridique rénové, conformément à leurs souhaits.

Ainsi, en janvier, nous devrions disposer d’un cadre juridique clair et opérationnel pour lancer les investissements en zone 1, ce qui permettra d’enclencher le cercle vertueux des investissements en diminuant le coût des commandes passées aux équipementiers. La fibre n’a en effet pas le même coût, si l’on en commande 100 000 ou 1 000 000. On peut donc penser de façon raisonnablement optimiste que 2010 sera l’année du démarrage de la fibre optique en zone 1. En zone 3, la situation est simple puisqu’il s’agit de territoires dans lesquels l’investissement privé n’est pas rentable : il n’y a a priori de place que pour un investissement public, un investissement subventionné par les collectivités territoriales et peut-être demain par l’État si une partie du grand emprunt vient abonder le fonds créé dans la proposition de loi de M. Xavier Pintat. La zone 2 est une zone intermédiaire dans laquelle la situation est plus délicate à appréhender. Il est en effet rentable d’y déployer des réseaux mais de façon mutualisée : plusieurs opérateurs ne peuvent pas déployer des réseaux concurremment car la densité est insuffisante pour que la concurrence par les infrastructures puisse s’exercer complètement. En revanche, la mise en place d’un réseau mutualisé, ouvert à tous et qui puisse être loué par tous les opérateurs dans des conditions non discriminatoires et garantissant un accès équitable, est envisageable. Le Gouvernement s’attache actuellement à convaincre les opérateurs et les collectivités territoriales de participer au financement d’un plan d’investissement en zone 2 qui permette un degré de mutualisation suffisant pour que son coût ne soit pas excessif. Si les travaux initiés par les pouvoirs publics aboutissent dans les prochains mois, nous disposerions, dans le cadre de la proposition de loi de M. Xavier Pintat qui prévoit la création de schémas directeurs et d’un fonds destiné à soutenir les projets dans les zones moins denses, de tous les outils juridiques pour engager, parallèlement, le fibrage en zone 1 et 2, voire en zone 3 grâce au fonds de soutien à l’investissement numérique du territoire.

M. Serge Poignant, Président. Merci M. le Président pour ces explications concrètes sur le projet de cadre juridique de l’ARCEP, sujet plutôt complexe.

M. Lionel Tardy. En premier lieu, je tiens à saluer le rôle fondamental joué par l’ARCEP. Nous sommes dans un secteur qui a généré plus de 42 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour les opérateurs en 2007 et c’est bien le rôle d’une autorité administrative indépendante que d’aller y regarder de plus près. Sur le très haut débit, j’avais des questions sur les zones 2 et 3 mais vous y avez répondu. Pour le reste, je considère que le texte qui nous est soumis permet de sécuriser certaines décisions de l’ARCEP : qu’en pensez-vous ? Le président Serge Poignant a parlé d’élargissement de pouvoirs, est-ce votre avis ? Ensuite, la DSP 92 a été validée par l’Europe : qu’est-ce que cela change pour les modalités de financement et de déploiement en zone 1 ? Vous avez rencontré récemment Neelie Kroes, commissaire européenne en charge de la concurrence : qu’ont donné vos échanges ?

M. François Brottes. Monsieur le président, je souhaiterais indiquer à titre liminaire que je désire pour ma part interroger M. Silicani sur la première partie du texte de la proposition de loi et non uniquement sur la deuxième comme vous l’avez suggéré au début de cette audition. Je tiens tout d’abord, M. le Président de l’ARCEP, à vous féliciter car je suis ce secteur depuis de nombreuses années et je constate que depuis votre nomination, l’ARCEP sait parler d’une seule voix et sait également ne pas s’exprimer tout le temps. Je voudrais également rappeler qu’en termes de régulation, nous sommes passés d’une régulation asymétrique, consistant en quelque sorte à « punir » le gros opérateur historique pour faire de la place aux nouveaux entrants sur le marché, à une régulation symétrique, ce dont je me réjouis. Toutefois, l’idée initiale est bien de supprimer le régulateur une fois le marché mature, ce qui peut toutefois constituer un sujet de discussion.

En matière de télécommunications, le maître mot est la convergence. C’est pouvoir un jour, c’est-à-dire aujourd’hui, proposer l’ensemble des services disponibles sur des supports différents, qu’ils soient fixes, mobiles, qu’il s’agisse de tuyaux ou de voie hertzienne. Or, on constate que les opérateurs se sont positionnés sur plusieurs supports, Bouygues par exemple sur le téléphone et la télévision, Orange également, et que, parallèlement, le système de régulation est resté, lui, archaïque. J’estime pour ma part qu’il ne faut qu’un seul régulateur. Or, pour faire court, nous avons un régulateur qui respecte la neutralité des tuyaux - c’est l’ARCEP - et un autre qui se mêle de tout, des contenus comme des tuyaux - c’est le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Donc il existe une certaine ambiguïté dans la régulation des acteurs qui interviennent dans plusieurs champs puisqu’ils relèvent de la compétence de deux régulateurs différents. Cette situation autorise toutes les pirouettes et surtout contribue à faire durablement de la zone 3 une zone noire. Bien que Mme la rapporteure, Laure de la Raudière, m’ait indiqué que le haut débit mobile n’avait rien à voir avec les pylônes qui vont être démantelés demain, je prétends, au nom de mon groupe, qu’il existe des liens extrêmement étroits entre les deux, au nom, précisément, de la convergence. Or je déplore que l’ARCEP ne s’intéresse au haut débit mobile qu’une fois réalisé le passage à la TNT (télévision numérique terrestre). Il y a donc une incohérence sur la question de la convergence. Qu’en est-il, du point de vue du régulateur des télécommunications, qui a vocation à s’intéresser au haut débit mobile, du déploiement, du non-déploiement et même de la suppression du déploiement des « points hauts » porteurs demain de la diffusion du haut débit mobile ? Comment l’ARCEP pourrait-elle ne pas avoir son mot à dire dans le cadre des décisions prises par l’autre régulateur, le CSA, de laisser ou d’enlever les pylônes ? C’est cela qui nous inquiète, en termes d’aménagement du territoire et d’accès à cette technologie de nos concitoyens longtemps exclus d’un maillage en fibres. Il y a deux solutions : la première, c’est le satellite, lorsque celui-ci fera des allers-retours et pas juste des allers comme c’est le cas aujourd’hui ; la seconde, c’est le haut débit mobile grâce à la part qui doit lui être attribuée du dividende numérique, conformément aux dispositions adoptées unanimement sur la proposition du sénateur Retailleau.

Je voudrais donc avoir l’avis du régulateur ARCEP sur les injonctions du régulateur CSA en termes de déploiements de réseaux. Je veux bien entendre que pour la télévision numérique, le recours à la parabole peut s’avérer moins onéreux que le maintien d’émetteurs. Mais, une fois les infrastructures démantelées et l’entretien des acheminements de voirie et d’énergie stoppé faute d’opérateur, il ne sera plus temps de réfléchir à une utilisation de ce maillage du territoire, qui a été pensé intelligemment, pour le haut débit mobile. Qu’en pensez-vous M. le Président ?

M. Jean Dionis du Séjour. La régulation garantit un système libéral équilibré, elle doit demeurer. Une question se pose qui est celle de la cohérence entre un cadre réglementaire existant et les règles d’attribution des aides de l’État au déploiement de certains réseaux. À cet égard, la subvention de 40 millions d’euros attribuée au département des Hauts-de-Seine paraît pour le moins curieuse. Comment l’Europe est-elle arrivée à une telle décision. Comment motiver les opérateurs privés s’ils sont à la merci de collectivités territoriales ? La LME a organisé la mutualisation du pied d’immeuble à la prise de l’utilisateur. Or, il semble que, depuis, le discours a changé et qu’il faut permettre la concurrence.

Il faut mettre en cohérence l’opérateur privé « qui vient après » avec l’opérateur public « qui vient avant » : pourquoi ne pas inscrire ce principe dans la loi ? La concurrence pourrait s’exercer, y compris dans la dernière partie de l’opération, le dernier acteur n’acquittant que les surcoûts marginaux. Enfin, quid du fameux dividende numérique, quel est le calendrier ?

Mme la rapporteure. Je m’interroge, Monsieur le président sur le rôle de régulateur d’accès sur les pylônes TDF de l’ARCEP, il serait souhaitable que vous puissiez conduire une étude à ce sujet. Je rappelle à M. Brottes mes propos sur ce point, il y a 17 000 point-hauts GSM et trois fois moins d’émetteurs TDF.

Mme Corinne Erhel. Comment avez-vous vécu le débat relatif au taux de couverture divergents annoncés par TDF et le CSA ? Le déploiement de la fibre optique appelle un cadre réglementaire stable, d’autant plus que du temps a été perdu. En ce qui concerne l’alimentation du fonds d’aménagement numérique, vous avez évoqué le grand emprunt, d’autres ressources telles la péréquation sont-elles envisagées ? Au sujet de la répartition des coûts pour les fibres surnuméraires : deux opérateurs fournissent des estimations divergentes, 20 % pour France Télécom et 5 % pour Free, ont-ils trouvé un accord ?

En ce qui concerne la quatrième licence de téléphonie mobile, un seul opérateur a répondu. Neuf critères sont utilisés pour juger d’une offre ; or le critère « emploi », l’opérateur concerné répond à vingt-cinq pour mille de l’évaluation totale, ce qui est inquiétant.

Comment appréhendez-vous l’impact de l’arrivée d’un nouvel opérateur sur les équipementiers ? Le risque serait de voir les marchés remportés par des offres chinoises au détriment d’Alcatel notamment qui représente 10 000 emplois en France.

M. Alain Suguenot. Il semble que l’ARCEP ait évolué vers le choix d’une technologie unique du pied d’immeuble à la prise de l’utilisateur, de fait, la mutualisation peut paraître une bonne chose. Comment expliquer cette évolution entre la LME et, six mois après, la position d’aujourd’hui ? En ce qui concerne la répartition des coûts, de fortes réticences ont été constatées de la part de certains opérateurs, qu’en est-il désormais, un terrain d’entente a-t-il pu être trouvé ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP. Pour ce qui concerne la fonction de régulation de l’ARCEP, je plaide depuis plus de quinze ans pour une régulation de l’État dans tous les domaines et l’histoire m’a plutôt donné raison. Gardons par exemple en tête le renforcement récent de la régulation des marchés financiers. A fortiori lorsque l’on part d’un marché monopolistique : il faut alors favoriser la « construction » d’un marché en établissant un niveau raisonnable de concurrence. Dans ce contexte, la régulation se doit d’être asymétrique ; lorsque la situation de monopole s’estompe puis disparaît, la régulation devient symétrique.

L’organisation de la régulation constitue un sujet ultrasensible. Plusieurs modèles de régulation existent d’ailleurs dans le domaine des réseaux (audiovisuel, télécoms, chemins de fer, énergie…). Il s’agit d’infrastructures essentielles qui obéissent à des logiques économiques et concurrentielles similaires. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont le même régulateur pour l’audiovisuel et les télécoms, l’Allemagne, le même pour les télécoms, les postes, l’énergie et le ferroviaire. En France, la situation est plus dispersée puisqu’il y a le CSA, la CRE, l’ARCEP notamment. Je n’ai pas, à ce stade, d’avis à formuler dans ce domaine. J’observe cependant que le président Accoyer a annoncé la constitution d’une mission devant étudier nos autorités administratives indépendantes.

Concernant la couverture en 3G mobile, un rapport devrait être remis au Parlement d’ici quelques semaines. Le constat est que les opérateurs sont en retard par rapport aux engagements qu’ils ont pris, SFR plus qu’Orange. Les objectifs fixés dans les licences devront être tenus, au besoin en faisant usage des sanctions nouvelles prévues par la loi de modernisation de l’économie.

Concernant l’attribution des fréquences mobiles, le calendrier qui a été fixé comporte trois étapes. D’ici le début de l’année 2010, l’ARCEP étudiera le dossier de candidature pour la 4ème licence 3G déposé à l’ARCEP. Je rappelle que l’attribution d’une quatrième licence 3G est susceptible, en accroissant la concurrence, de faire baisser les prix de la téléphonie mobile, particulièrement élevés par rapport au reste de l’Europe. Ensuite, si le dossier de candidature apparaît satisfaisant, les engagements qu’il comporte seront transcrits dans l’autorisation. Il faudra alors vérifier leur respect lors du déploiement du réseau. Les indications orales qui ont été données à l’ARCEP semblent indiquer que la « pression » exercée sur Free a été plutôt bénéfique. En matière d’équipements, il nous a été indiqué qu’il était probable qu’il y aurait très peu de recours à des équipementiers asiatiques. Si tel est le cas, ce serait plutôt satisfaisant pour l’emploi en France et en Europe. Concernant l’emploi, je voudrais faire quelques remarques. Si on s’intéresse aux centres d’appel, par exemple, on voit que les opérateurs qui privilégient des implantations en France ne sont pas ceux auxquels on penserait spontanément. Par ailleurs, le secteur des télécommunications a perdu 20 000 emplois les cinq dernières années, alors que le revenu des opérateurs a augmenté : ce phénomène est dû à de forts gains de productivité. L’emploi figure enfin dans les critères pris en compte pour l’attribution de la licence, même si la pondération de ce critère est faible. La deuxième étape consistera en l’attribution du reliquat des fréquences 3G, au cours du premier semestre 2010. Enfin, dans une troisième étape, des fréquences seront attribuées pour le très haut débit mobile, notamment celles du dividende numérique, entre le second semestre 2010 et le début de l’année 2011.

Concernant la DSP 92, la décision de la Commission européenne a paru surprenante à certains. Je rappellerai simplement que la commission a fait un raisonnement classique en droit, en suivant les critères fixés dans l’arrêt Altmark de la CJCE, qui impose pour valider un service d’intérêt économique général trois principales conditions : premièrement, existence d’un service d’intérêt général, fourni à toute la population concernée ; deuxièmement, procédure de choix d’un délégataire transparente ; troisièmement, limitation de la subvention à la couverture des activités non rentables. En ce qui concerne l’appréciation des faits, je rappelle que la Commission ne réalise qu’un contrôle restreint, technique juridictionnelle répandue. Les règles que fixe l’ARCEP dans son projet de décision concernant la zone 1 s’appliquent à tous les opérateurs, notamment en matière d’ouverture des réseaux. Elles s’appliqueront donc à l’opérateur en charge de la DSP 92. L’ARCEP peut également être saisie pour régler un différend entre le délégataire et un autre opérateur s’agissant des conditions d’accès au réseau.

Concernant les contacts que j’ai eus avec Mme Neelie Kroes, ils ont porté essentiellement sur le projet de décision relatif à la fibre optique. L’avis de la commission européenne sur ce projet de décision sera rendu très prochainement. Il devrait être favorable.

Concernant le respect de la loi de modernisation de l’économie, il me semble que l’ARCEP respecte parfaitement dans son projet de décision l’esprit et la lettre de cette loi. La LME a posé le principe d’une mutualisation de la partie terminale des réseaux de fibre optique en un point situé hors des propriétés privés sauf dans les cas définis par l’ARCEP. Il revenait à l’ARCEP de préciser ces cas ainsi que les modalités techniques de l’accès. Pour le point de mutualisation, l’ARCEP a suivi l’avis des spécialistes en retenant un critère de densité fonction à la fois de la taille de l’agglomération et de l’immeuble. Pour les modalités d’accès, il apparaît nécessaire de respecter le principe général du droit des communications électroniques de neutralité technologique ; peut-être y a-t-il eu un malentendu au moment du vote de la LME sur ce point, mais il apparaît nécessaire aujourd’hui pour respecter ce principe comme pour établir une régulation symétrique, de demander aux opérateurs d’immeuble de mettre en place les équipements qui permettront à tous les opérateurs tiers de se connecter à la partie terminale des réseaux de fibre.

Sur les modalités financières de partage des coûts dans les cas de pose de fibre dédiées, il apparaît clairement aujourd’hui que le schéma retenu dans le projet de décision de l’ARCEP fait consensus, ce qui n’était pas encore le cas au début du mois d’août. Évoquer dans la loi, au-delà du partage équitable des coûts, la notion de coûts supplémentaires m’apparaît comme une source de confusion et une manière de confier au juge et à l’ARCEP un pouvoir exorbitant d’interprétation de ces termes. D’un pur point de vue légistique, je me permets donc de vous conseiller plutôt d’en rester à la formule générale et claire qui figure dans la proposition de loi votée par le Sénat.

Enfin, concernant la question de M. Brottes sur les pylônes TDF, j’ai demandé des renseignements. Sur un parc de 6 600 pylônes, 4 000 sont déjà utilisés par les opérateurs de téléphonie mobile et 3 500 pour la diffusion de la télévision hertzienne. Sur les 1 900 sites qui seront désactivés avec le basculement au tout télévision numérique, 600 sont déjà utilisés pour des usages télécom. Concernant le reliquat, TDF m’a affirmé avoir intérêt à le conserver et le valoriser.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 3 novembre 2009 à 18 h 30 :

Présents. - M. Gabriel Biancheri, M. François Brottes, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean Gaubert, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy.

Excusés. - M. Michel Lejeune, M. Daniel Paul.