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Commission des affaires économiques

Mardi 9 février 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yannick d’Escatha, personnalité pressentie par le Gouvernement pour la fonction de président du Centre national d’études spatiales (CNES)

La commission a entendu M. Yannick d’Escatha, personnalité pressentie par le Gouvernement pour occuper les fonctions de président du centre national d’études spatiales (CNES) et assumer ainsi un nouveau mandat de cinq ans.

M. le président Patrick Ollier. Comme me l’indique Monsieur le président de l’Assemblée nationale dans un courrier qu’il m’a adressé, la loi organique modifiant le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution n’est pas encore entrée en vigueur ; cette audition ne sera donc pas suivie d’un vote. Lorsque cette loi aura été adoptée, en pareille circonstance, les deux commissions compétentes de chacune des assemblées parlementaires devront se réunir successivement et procéder à un vote.

M. François Brottes. Monsieur le président, savons-nous à quel moment cette procédure sera applicable ? En tout état de cause, au nom de mon groupe, je me félicite que l’audition de cet après-midi soit publique.

M. le président Patrick Ollier. Monsieur Brottes, je ne peux prendre aucun engagement précis mais je pense que la loi organique modifiant le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution devrait être applicable avant l’été.

Monsieur le président Yannick d’Escatha, je vous remercie d’être présent aujourd’hui devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale pour nous faire part des grandes lignes de votre projet pour le secteur spatial français et européen.

Beaucoup a été fait depuis votre accession à la présidence de cet établissement au début de l’année 2003. L’équilibre financier a été retrouvé, grâce à un effort de bonne gestion et de sélection des programmes. Des succès technologiques importants ont été obtenus : citons les 35 tirs consécutifs réussis pour la fusée ARIANE, ce qui fait de l’Europe le numéro 1 mondial des lanceurs ; le programme GALILEO, dont vous avez conçu l’architecture et qui devrait être opérationnel d’ici 4 ans ; et bientôt le lancement de SOYOUZ et de VEGA depuis le centre spatial guyanais.

Mais il existe toujours des sujets d’inquiétude. L’Europe investit 4 fois moins que les États-Unis dans le spatial civil et 20 fois moins dans le spatial militaire. La Russie, le Japon, la Chine et l’Inde consacrent un budget croissant au secteur spatial et étendent leurs ambitions aux programmes lunaires. A cet égard, l’effort français et européen en matière de recherche-développement, même s’il est en progrès, paraît nettement insuffisant. Quels sont vos programmes d’investissement en la matière ?

Sur le plan de la sécurité et de la défense, l’Europe souffre de lacunes technologiques en matière d’alerte avancée et de surveillance de l’espace. Le retard par rapport aux États-Unis est-il en passe d’être comblé ? Par ailleurs, où en est le projet CERES relatif au renseignement d’origine électromagnétique ?

En matière de lanceurs, où en sont les projets de rapprochement entre les équipes du CNES et celles de l’agence spatiale européenne ?

Le conseil d’administration du CNES a estimé que vous aviez rempli l’ensemble des objectifs assignés par le contrat de plan 2005-2010, avec toutefois une petite réserve : le réseau des centres techniques de l’agence spatiale européenne et des États membres a peu progressé. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

M. Yannick d’Escatha. Merci monsieur le président. Je souhaiterais tout d’abord vous remercier de m’avoir convié à cette audition. C’est pour moi un grand honneur. Je présenterai d’abord le bilan de mes deux premiers mandats à la tête du CNES puis j’exposerai ma vision à long terme du secteur spatial.

Vous l’avez rappelé, monsieur le président, j’ai été appelé à la tête du CNES en février 2003 alors que cet établissement traversait une crise profonde. Nous connaissions simultanément une surprogrammation, un déficit pour l’année 2002 et l’échec du vol de qualification d’ARIANE V ECA. Ma mission a été de redresser le CNES et de remettre ARIANE V en vol. Je suis heureux de pouvoir dire que cela a été accompli avec succès. Ce redressement a été opéré grâce à une redéfinition de la politique spatiale de la France dans un contexte européen. La refonte de la programmation a notamment consisté à arrêter 10 programmes sur 40. Il a fallu redéfinir la conception des projets aussi bien que leur réalisation effective et revoir les principes d’évaluation et d’organisation.

Une nouvelle organisation matricielle a été mise en place. Ainsi le CNES a-t-il supprimé un niveau hiérarchique, mis en place une charte du manager, s’est rapproché de la défense et a réorganisé la base spatiale de Guyane. Une contractualisation avec l’État a été mise en place sur la période 2005-2010. Nous avons également obtenu la nomination de commissaires aux comptes et les certifications ISO 9001 et 14001. Depuis 2003, les comptes ont toujours été équilibrés et sont certifiés sans réserves ni observations par les commissaires aux comptes. Surtout, 100 % des programmes ont abouti, alors qu’il s’agit toujours de premières européennes ou mondiales. ARIANE enregistre à ce jour 35 succès consécutifs. En moyenne, 3 satellites ou grands équipements ont été lancés chaque année. Ceci a permis de conforter le leadership de la France dans le domaine spatial. Je précise que notre pays est également le premier partenaire de la NASA. Par ailleurs, la dette de la France à l’égard de l’ESA a augmenté depuis 2002, du fait des engagements pris par la France lors des réunions ministérielles de l’ESA ; elle dépasse actuellement les 300 millions d’euros. Elle sera toutefois résorbée d’ici 2015, l’État augmentant sa contribution à hauteur de 770 millions à partir de 2011.

Le CNES fonctionne aujourd’hui dans le cadre d’une gouvernance précise et efficace. L’établissement rend compte tous les six mois de l’avancement de ses projets et de la réalisation de ses objectifs dans le cadre de la programmation pluriannuelle. Les performances, les délais et les coûts sont tenus. Les tutelles et le conseil d’administration ont donné acte au CNES qu’il avait atteint tous ses objectifs, sauf l’un d’entre eux, comme vous l’avez rappelé, Monsieur le président.

Le CNES ne cesse de prendre des initiatives, et corrélativement de se transformer de l’intérieur. Nous travaillons quotidiennement avec les industriels, afin de garantir le maintien des compétences et d’injecter de hautes doses d’innovation technologique dans l’industrie française, ce qui permet de doper sa compétitivité face à la faiblesse du dollar.

Ces questions de politique industrielle sont particulièrement difficiles et importantes. Sur ces sujets, le CNES travaille avec ses partenaires nationaux et européens en bonne intelligence, qu’il s’agisse de la DGA, de l’ESA ou de l’Union européenne, dans un cadre coopératif et dans le respect absolu du droit de la concurrence.

La vision du futur est claire et ambitieuse. Elle a été exposée par le président de la République dans son discours de février 2008. Le « pipe-line » de la préparation de l’avenir n’a jamais été aussi rempli de projets, qui sont tous des premières européennes ou mondiales. Cette vision a été déclinée dans la loi de programmation militaire, dans le livre blanc sur la défense et dans le rapport remis récemment au premier ministre sur l’avenir des lanceurs en Europe ; elle a surtout été réaffirmée dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Je suis heureux d’avoir préparé le CNES à être l’outil spatial de demain, et je souhaiterais rendre hommage aux femmes et aux hommes du CNES, qui ont fait des efforts extraordinaires et qui ont permis de redresser l’institution.

En ce qui concerne l’avenir, je crois que l’espace est quelque chose qui commence. Nous ne pouvons pas deviner tout ce que l’espace va apporter à l’humanité. Nous sommes capables de répondre de manière croissante à des besoins non satisfaits par les solutions terrestres. On va assister à une croissance de ce secteur qui va être tirée par l’aval, c’est-à-dire par les services. J’ajoute que l’investissement dans le secteur spatial est particulièrement rentable puisqu’il offre un effet de levier considérable ; ainsi, pour un investissement de 7 milliards de dollars dans les satellites et les lanceurs, on fait entrer 130 milliards dans l’économie ; l’effet de levier atteint donc 19. Il y a aussi un levier industriel très intéressant. J’insiste sur le fait que les plus technologiques que nous apportons permettent de pallier la faiblesse du dollar.

Il faut prendre conscience du fait que, si l’espace répond à tous les besoins et devient à ce point stratégique, on ne pourra plus fonctionner sans les outils spatiaux. On le constate déjà aux États-Unis. Il s’agit d’un enjeu majeur de souveraineté dans les domaines politique et économique. A cet égard, pour que la France continue à rayonner et à mener les coopérations internationales indispensables, elle aura de plus en plus besoin d’un outil présentant le plus haut niveau de compétence, qui soit reconnu sur la scène mondiale. Le CNES aura donc un rôle croissant à jouer à l’avenir.

Quelle est notre vision de ces outils spatiaux ?

Les constellations de satellites sont d’ores et déjà nos anges gardiens dans les domaines du climat, de la gestion territoriale et des catastrophes naturelles. On peut y inclure tout ce qui a trait aux télécommunications. Il y aura aussi de plus en plus de sondes spatiales, qui exploreront toujours plus loin le cosmos, au moyen de vols robotiques dans un premier temps, habités dans le futur. Ils répondent à la vocation de l’homme d’explorer son milieu, terrestre, marin, aérien et spatial.

Dans ce cadre, la vocation de la France à être leader est confirmée. Elle représente près de 40 % de l’industrie et de la recherche européennes, avec près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 12.000 emplois industriels. Dans ce contexte, le rôle du CNES est de proposer et de conduire la politique spatiale du Gouvernement, dans un cadre européen renforcé, et notamment dans le cadre déterminé par le traité de Lisbonne.

La nouvelle génération du projet ARIANE est en cours de réalisation avec ARIANE NE et bientôt ARIANE VI. J’ai le plaisir de vous annoncer que la France, conjointement avec le Royaume-Uni, a remporté un appel d’offres, pour concevoir le centre de sécurité de GALILEO. Le projet EGNOS, inventé par le CNES en équipe mixte avec l’ESA, permettra d’augmenter les capacités du GPS. J’ajoute que l’opérateur commercial ESSP va venir s’installer sur le centre toulousain du CNES.

Mais il faut aller plus loin. Le traité de Lisbonne a parfaitement clarifié les rôles. A l’Europe incombe un triple rôle de vision politique à long terme, de représentation des besoins des citoyens et de financement. L’ESA et les agences nationales doivent quant à elles conduire conjointement les programmes. Il faudra savoir utiliser les meilleures compétences, où qu’elles se trouvent. Les Etats membres ont un rôle essentiel à jouer puisque près de la moitié des moyens spatiaux en Europe sont détenus par les Etats, par le biais des universités et des centres de recherche. La création de l’Europe spatiale est donc à réaliser. Dans ce cadre, les enjeux de politique industrielle vont prendre une importance croissante, car il faudra éviter les incohérences induites par l’interaction de nombreux acteurs. Tout ceci s’inscrit dans le cadre d’une logique de niches très sélective. Comme vous l’avez rappelé, Monsieur le président, les États-Unis investissent beaucoup plus en fonds publics que l’Europe, d’une échelle de 1 à 6 si l’on mêle le civil et le spatial, ce qui justifie une coopération européenne et internationale renforcée.

De son côté, le CNES continuera de prendre les initiatives nécessaires à la préparation de l’avenir et utiles aux pouvoirs publics civils et militaires, aux citoyens, aux industriels et aux scientifiques. Vous savez que le CNES n’est pas un centre de recherche mais une agence dotée de centres techniques puissants, dont le rôle est d’être un architecte système, un concepteur d’innovation, un maître d’ouvrage. Il fait travailler ensemble, dans la meilleure symbiose possible, industriels et scientifiques. J’ajoute que des progrès considérables ont été faits pour consolider le « camp français ». Ainsi le CNES a-t-il proposé à l’ensemble des utilisateurs nationaux d’être leur département spatial. En effet, la France a capitalisé sur le CNES un investissement considérable. Tous les ministères ont besoin d’espace. D’ores et déjà, le ministère de la défense, par le biais de la DGA, nous a reconnu comme le maître d’ouvrage délégué des composantes spatiales du système de défense. Par ailleurs, nous nous rapprochons du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) pour la surveillance de l’espace, à laquelle vous faisiez allusion, Monsieur le président. Nous travaillons également avec le ministère du développement durable, pour ce qui concerne tant les transports que l’application du Grenelle de l’environnement et du futur Grenelle de la mer.

En conclusion, il est facile, me semble-t-il, de comprendre pourquoi je suis candidat. L’espace est un domaine qui me passionne. Je me suis passionné pour le nucléaire ; je me passionne aujourd’hui pour le spatial. Nous en sommes encore à l’âge des pionniers. L’espace présente la caractéristique unique d’être à la fois un secteur qui touche la vie quotidienne, qui est de l’ordre de l’utilitaire, mais également de se situer au niveau des plus belles aspirations de l’homme. C’est une alliance suffisamment rare pour être soulignée !

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.

M. le président Patrick Ollier. Je vous remercie pour cet exposé à la fois brillant et convaincant. Je passe maintenant la parole aux représentants des groupes puis aux députés qui souhaitent vous interroger.

M. Pierre Lasbordes. Je tiens à remercier monsieur d’Escatha pour le travail qu’il a accompli depuis 2003. L’image de la France dans le domaine spatial est aujourd’hui très bonne. Monsieur le président, je souhaiterais poser une question relative à l’impact du traité de Lisbonne sur la gouvernance spatiale : comment envisagez-vous aujourd’hui le rôle des agences nationales, compte tenu notamment des divergences de vue que l’on peut avoir avec nos partenaires allemands ?

M. François Brottes. Nous sommes en présence de l’un des fleurons de notre recherche et de notre industrie, et la manière dont il est géré donne entière satisfaction. Si la commission devait émettre un vote, son issue ne ferait guère de doute, car tout le monde reconnaît ici vos mérites, monsieur d’Escatha.

Pour autant, je souhaiterais vous poser quelques questions de détail. Tout d’abord, et quitte à être quelque peu trivial, l’Union européenne doit-elle être aujourd’hui considérée comme un accélérateur ou comme un boulet que l’on traîne et qui handicape notre politique spatiale ?

Par ailleurs, les décisions prises récemment par l’administration américaine en ce domaine confèrent-elles des responsabilités supplémentaires à l’Union européenne ?

Pour reprendre l’expression de « pipe-line » que vous avez utilisée tout à l’heure, l’aérospatial irrigue aujourd’hui l’ensemble du territoire, et pas seulement Toulouse et la région parisienne, via notamment ses différents sous-traitants. Comment veillez-vous à ce que les prestataires et les sous-traitants auxquels vous faites appel soient tous au niveau de qualification attendu puisque, vous en conviendrez, on ne peut se permettre la moindre erreur sur ce plan.

Enfin, il semblerait que vous délocalisiez l’ensemble des emplois situés à Évry – qui s’élèvent à plus de 500. ARIANESPACE devrait suivre bientôt. N’y a-t-il pas de solution alternative ?

M. Jean Dionis du Séjour. Ma première question sera du même ordre que celle posée par François Brottes : elle concerne les États-Unis. Le renoncement de Barack Obama à lancer de nouveaux programmes lunaires ainsi que sa décision de diminuer le budget de la NASA vont-ils se traduire par des décisions similaires en Europe, dans un contexte de crise économique ? Si oui, comment vous y préparez-vous ? En outre, si vous deviez privilégier certains programmes faute de financements, quels sont ceux que vous conserveriez ?

Ma seconde question concerne également le traité de Lisbonne. Vous avez dit que ce traité nous faisait changer d’époque, mais ne met-il pas en cause la place des agences nationales ? L’agence spatiale européenne, qui tend à devenir l’organe spécialisé de l’Union, pourra en effet contracter directement avec les industriels.

M. Claude Gatignol. Nous sommes ravis de vous accueillir, monsieur le président. Nous avons en effet constaté un net redressement du CNES mais cela n’est guère étonnant car, compte tenu de vos fonctions antérieures, vous étiez véritablement l’homme de la situation.

En premier lieu, je souhaiterais connaître la nature et l’importance des accords que vous avez conclus avec l’agence spatiale russe, notamment concernant le lanceur SOYOUZ

Ensuite, y aura-t-il une ARIANE VI ? D’autres sites de lancement que Kourou ont-ils été envisagés ?

Quelle est exactement la participation de la France dans le programme GALILEO ?

Quels sont les pourcentages respectifs du militaire et du civil dans vos commandes ?

Vos programmes de recherche sont-ils extrêmement ciblés ?

Quels sont, à votre avis, parmi les pays émergents – tels que la Chine, l’Iran, l’Inde, la Corée –, les concurrents potentiellement les plus dangereux à l’heure actuelle dans le secteur spatial ?

Enfin, la NASA va voir son budget diminuer ; doit-on de ce fait s’attendre à un transfert de clientèle vers vos lanceurs ?

M. Jean Gaubert. Ma position est plus ambivalente envers l’attitude du président Obama : renoncer à la Lune, est-ce pour autant renoncer à l’espace ? Je n’en suis pas sûr.

Pouvez-vous nous dire ce qui est véritablement stratégique dans votre action ? Plus précisément, pouvez-vous établir une hiérarchie au sein de vos programmes ?

Par ailleurs, vous avez rappelé que les satellites constituaient de puissants moyens de surveillance de la planète. De quels moyens les démocraties disposent-elles pour se prémunir contre ces technologies potentiellement dangereuses ?

M. Franck Reynier. Ma première question portera sur le secteur de l’innovation ; quels projets avez-vous en matière de mutualisation des vols en formation de satellites ?

Vous avez récemment évoqué la notion de « village communicant », qui mêle les technologies terrestres aux moyens satellitaires : pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Pierre Cohen. Je tiens moi aussi à remercier Yannick d’Escatha pour l’action qu’il a menée depuis 2003. Toutefois, je regrette que l’on ne considère l’espace qu’à travers le prisme de l’économie et des services : un effort a été accompli pour maintenir l’accès à l’espace mais l’espace, c’est beaucoup plus que cela ! Ce doit être considéré comme un investissement public important car c’est un domaine plus que jamais stratégique, notamment à l’aune du développement durable. Or, de nombreux indicateurs montrent qu’on est en train de décrocher sur le plan des financements. Dans ce contexte, comment concevez-vous l’articulation entre l’Union européenne, l’agence spatiale européenne et les agences nationales ?

Mme Laure de La Raudière. Nous sommes unanimes à reconnaître que vous avez apporté beaucoup à l’espace et nous sommes donc très heureux de la tenue de cette audition. Je souhaiterais vous interroger sur la question des télécommunications. Les satellites ont toujours été utiles au domaine des télécommunications mais souvent comme solution palliative à d’autres moyens qui permettent une meilleure couverture de l’ensemble des usages possibles ; à titre d’exemple, dans le domaine de la téléphonie, la plupart des communications satellitaires ont été remplacées par de la fibre optique sous-marine. Or, comme l’a rappelé aujourd’hui le Président de la République, les territoires ruraux espèrent rapidement bénéficier du très haut débit. Je crains que le satellite MEGASAT, du fait de son positionnement à 36 kilomètres du sol, présente un délai de latence beaucoup plus long – de l’ordre d’un facteur 10 – que la fibre optique ou que le réseau en cuivre, ce qui empêcherait la mise en œuvre de certaines applications. Les élus des territoires ruraux sont tout à fait prêts à accepter ce satellite, mais à condition qu’il soit adapté au temps réel.

Mme Christiane Taubira. J’ai déjà eu l’occasion, monsieur le président, de vous témoigner mon estime. Sans vouloir insister sur cet aspect des choses, je rappellerai simplement que c’est en Guyane que l’activité spatiale est devenue trentenaire. Vous avez dit que le CNES n’était pas un organisme de recherche et qu’il œuvrait essentiellement à rapprocher scientifiques et industriels. Or, vous savez que la définition du statut juridique de votre établissement détermine notamment son régime fiscal. Aussi je souhaiterais avoir quelques précisions sur ce point. En outre, j’aimerais que vous nous éclairiez sur l’interopérabilité entre satellites, notamment dans le cadre de la coopération avec la Russie, d’autant plus que le CNES est à présent chargé d’une mission de sauvegarde et de sûreté en la matière, le conduisant à immatriculer les lanceurs SOYOUZ.

M. Michel Raison. Monsieur le président, je m’associe aux compliments qui vous ont été adressés. Je souhaiterais savoir quel rôle vous avez joué dans la décision qui a été prise de lancer SOYOUZ depuis le centre spatial de Kourou. Quelle est la date prévue pour son lancement ? Quelles sont les retombées attendues sur les plans financier, diplomatique, voire technique, de cette nouvelle coopération ?

M. le président Patrick Ollier. François Brottes a évoqué tout à l’heure la question du vote. Je regrette personnellement qu’il n’y en ait pas. Quoiqu’il en soit, je dois dire que vous faites preuve non seulement d’un sens de la gestion, mais également d’un réel sens de l’État. C’est à mes yeux extrêmement important et je souhaitais vous en féliciter. Vous avez également démontré que vous aviez une vision européenne, ce qui est également très important. Pour toutes ces raisons, je pense que le CNES est en de bonnes mains et qu’il doit y rester. Un vote aurait été sans nul doute unanime. Je vous laisse maintenant répondre aux questions.

M. Yannick d’Escatha. Monsieur le président, Mesdames et messieurs les députés, je suis très sensible à vos interventions et vous en remercie. Je reviendrai ultérieurement sur les programmes d’investissements mais je rappelle simplement à ce stade que le CNES bénéficie en propre d’un budget multilatéral de 749 millions d’euros, auquel s’ajoutent la dotation à l’agence spatiale européenne d’un montant de 685 millions d’euros, qui sera bientôt portée à 770 millions d’euros, et différents financements provenant notamment du ministère de la défense, qui permettent ainsi au CNES de participer à plusieurs programmes militaires (HELIOS, CERES, MUSIS, ATHENA FIDUS, ELISA…). Au total, le CNES bénéficie donc d’un budget d’environ 1,8 milliard d’euros.

Les programmes d’alerte avancée commencent par la surveillance de l’espace. La France dispose du radar GRAVES, qui est mis en œuvre par le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes et qui a permis de dresser un catalogue des objets spatiaux qui sont en gravitation, notamment en orbite basse. Des coopérations sont en discussion, notamment avec les États-Unis, puisque la plupart des données que nous utilisons sont fournies par le commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. Le CNES a d’ailleurs une cellule de crise permanente sur ce sujet, les alertes étant extrêmement fréquentes. Voici un programme hautement prioritaire que je soumettrai au ministère de la défense. L’alerte avancée consiste également à détecter des départs de missiles à l’aide de satellites ; ce dernier programme figure dans la loi de programmation militaire. L’ensemble de ces programmes, qui inclut également le programme d’écoute CERES, se déroule normalement.

S’agissant à présent des lanceurs, en remettant au premier ministre le rapport sur les lanceurs du futur, nous sommes parvenus à la conclusion qu’il fallait d’ores et déjà préparer la suite d’ARIANE V, qui est parvenue à la moitié de son existence et qui revêt un caractère hautement stratégique pour l’Europe. La France et l’Allemagne ont décidé, lors du dernier conseil des ministres, de travailler ensemble sur ARIANE VI.

Mais ARIANE VI n’entrera pas en service avant 2025.  C’est la raison pour laquelle nous travaillons dès à présent sur la nouvelle version d’ARIANE V, dite « ARIANE V ME » (« Midlife Evolution »). A cette fin, j’ai proposé que la direction des lanceurs du CNES rejoigne la direction des lanceurs de l’agence spatiale européenne pour travailler conjointement à ce grand projet. Mais les statuts de l’ESA lui interdisent de quitter Paris ou les communes limitrophes, sauf par le vote unanime de ses membres. C’est la raison pour laquelle nous avons été contraints de demander à la direction des lanceurs, située à Évry, de se délocaliser à Paris.

En ce qui concerne le réseau des centres, nous avons, il est vrai, rencontré quelques difficultés. La construction de ce réseau a été possible sur certains programmes et avec certains pays, mais pas à une échelle générale. Cette colocalisation a d’ailleurs été contestée par certains États de l’Union européenne qui ont craint que le CNES n’influence la prise de décision au profit de l’industrie française. Nous avons donc mis en place une gouvernance, parfaitement transparente, pour confirmer que le pouvoir de décision était aux mains de l’ESA. D’ailleurs, de nombreuses coopérations ont porté leurs fruits, qu’il s’agisse de la plate-forme satellitaire ALPHABUS, du programme d’exploration robotisée EXOMARS ou des vols en formation évoqués par M. Reynier.

Je répondrai à présent à monsieur Lasbordes et aux députés qui m’ont interrogé sur l’évolution de la gouvernance spatiale au lendemain du Traité de Lisbonne. C’est un sujet que je suis avec attention en ma qualité de coordinateur interministériel pour le programme GALILEO. On a beaucoup travaillé avec la Commission européenne sur ce sujet pendant la présidence française de l’Union européenne. L’Union attendait cette compétence pour s’affirmer sur le plan international comme une puissance spatiale globale. Elle a perçu que l’espace était une nécessité. De fait, le dossier spatial va enfin gagner le niveau politique. C’est le cas en France depuis la fondation du CNES par le général de Gaulle en 1961, ainsi qu’aux États-Unis, en Russie, en Chine et dans toutes les grandes puissances spatiales. Mais peu de pays européens connaissent une situation similaire. De fait, GALILEO est considéré comme un programme relevant des transports et non de l’espace ! De même, GMES est considéré comme un programme relevant de la recherche et de l’environnement. Jusqu’à Lisbonne, l’espace n’était pas au cœur de la politique européenne. Or, on a vraiment besoin que quelqu’un donne un souffle politique à l’Union européenne en matière spatiale, afin, notamment, de résoudre les difficultés à coopérer sur des projets industriels. C’est pourquoi je pense que l’Union européenne constituera un accélérateur en la matière.

Quant aux États-Unis, je tiens à préciser que M. Obama, loin d’avoir sacrifié la NASA, a augmenté son budget de plus d’un milliard d’euros par an. En fait, que s’est-il passé ? Le programme lancé par le président Bush en 2004 (« Moon, Mars and Beyond »), d’un montant de 10 milliards de dollars par an, a été jugé irréalisable par une commission d’experts dirigée par Norman Augustine. Sur la base de ses conclusions, le président Obama a donc choisi de rééquilibrer les priorités américaines, insistant sur l’observation de la Terre et les explorations robotiques. Il ne renonce pas aux vols habités, comme l’atteste la permanence de la station spatiale internationale. La position américaine se rapproche en réalité de celle des Européens, puisqu’elle va dans le sens d’une coopération internationale plus étroite et définit la NASA comme une agence d’innovation. La nouvelle politique américaine va offrir, de ce fait, de réelles opportunités pour développer des projets communs. D’ailleurs, lors du conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu la semaine dernière, une initiative européenne commune a été annoncée en écho aux déclarations de M. Obama.

Monsieur Brottes, vous m’avez interrogé sur l’attention que nous portions à nos sous-traitants. Ces questions de politique industrielle sont essentielles. Nous nous efforçons effectivement de veiller à garantir un tissu de compétences clés au sein de l’industrie française et européenne.

S’agissant des questions budgétaires, je rappellerai en premier lieu que la dotation de l’État au titre de la contribution à l’agence spatiale européenne passera de 685 millions à 770 millions d’euros à partir de 2011. Je souhaite que, dans le prochain contrat pluriannuel avec l’État, nous obtenions une augmentation des crédits. Toutefois, je constate que, d’ores et déjà, l’espace est l’une des priorités retenues dans le cadre du grand emprunt.

En ce qui concerne la hiérarchie des programmes, nous avons identifié cinq segments stratégiques. Le premier d’entre eux est l’accès à l’espace, dont les priorités sont notamment les lanceurs ARIANE V et ARIANE VI, SOYOUZ et VEGA. Les quatre autres sont des segments d’application. En premier lieu, l’observation de la Terre fait l’objet d’une priorité renforcée, aux États-Unis comme en Europe. Des initiatives ont notamment été lancées en matière d’étude du climat, avec le développement de microsatellites de mesure des deux principaux gaz à effet de serre que sont le carbone et le méthane. J’insiste sur le fait que l’on se situe dans le peloton de tête : ces projets constituent en effet des premières à l’échelle européenne ou mondiale. Le deuxième segment d’application concerne les sciences spatiales. L’exploration de l’Univers est porteuse d’enjeux politiques, industriels et technologiques. Il va de soi que la recherche ne doit pas être jugée à l’aune de ses retombées immédiates. Le troisième segment a trait aux télécommunications, et notamment à l’internet haut débit. Ces programmes sont évidemment indispensables au bon fonctionnement de la société. Le quatrième secteur concerne la sécurité et la défense. Les progrès réalisés en la matière permettent de raccourcir notablement les temps de réaction, alors même que les nouveaux axes stratégiques définis par le livre blanc sur la défense sont la connaissance et l’anticipation. J’insiste à nouveau sur le fait que les investissements réalisés en la matière présentent un effet de levier considérable.

Pour répondre à monsieur Gatignol, s’agissant en premier lieu du lanceur SOYOUZ, l’accord a été conclu pour une durée de dix ans. Cet accord est très important car il permet de mieux utiliser ARIANE V. En effet, pour être vraiment efficace, ARIANE V doit lancer deux satellites à la fois. Si un client est pressé et que le deuxième satellite n’est pas prêt, SOYOUZ constitue une alors une solution de secours.

Concernant GALILEO, un grand pas a déjà été accompli, le CNES ayant mis au point le système EGNOS dans les années 1980, qui sera certifié par l’organisation de l’aviation civile internationale en mai prochain. Il s’agit d’un grand succès, car c’est la préfiguration de GALILEO ! Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, le CNES a conçu dans les années 1990 l’architecture de GALILEO. Nous allons à présent mettre au point le centre de sécurité du système. Nous pourrions apporter beaucoup à l’Union européenne et à l’agence spatiale européenne pour le développement de GALILEO. Nous le faisons déjà, notamment dans le domaine des lanceurs, mais nous pourrions le faire à une échelle bien supérieure. De ce point de vue, l’Union européenne n’a pas encore trouvé les modes d’accès à ces compétences. Je répète que le CNES est complètement à la disposition de la Commission européenne et du Parlement européen. Je précise que d’autres pays européens pourraient également faire profiter les institutions européennes de leur expertise. C’est un véritable enjeu de gouvernance et d’organisation.

Par ailleurs, le domaine militaire représente une part importante de nos investissements puisque, sur les 749 millions d’euros de dotation annuelle de l’État au titre du programme multilatéral, 165 millions d’euros sont alloués par le ministère de la défense, auxquels s’ajoutent les crédits octroyés pour l’exécution de la loi de programmation militaire.

Enfin, s’agissant de nos principaux concurrents – en-dehors bien entendu des pays européens –, je citerai les États-Unis, la Russie, l’Inde, le Japon, la Chine et, à l’état émergent, la Corée du Sud et le Brésil.

Monsieur Gaubert, vous m’avez interrogé sur les risques que les technologies satellitaires font courir à la démocratie. Nous cherchons bien entendu à nous prémunir contre le détournement des technologies spatiales. C’est la logique habituelle de l’épée et de la cuirasse.

Monsieur Cohen, vous avez affirmé que l’espace constitue avant tout un investissement public. C’est ce que nous avons indiqué au Premier ministre dans le rapport consacré à l’avenir des lanceurs en Europe. Il est important de rappeler que l’espace n’est pas une activité purement commerciale qui peut se financer intégralement par l’action du marché. D’ailleurs, à mon sens, les impératifs de souveraineté prendront une importance croissante. Cela ne signifie pas qu’il ne pourra pas y avoir d’applications sur le marché, par le bais de partenariats public-privé, par exemple.

Par ailleurs, l’Union européenne a pris conscience de l’insuffisance des financements dans sa réflexion sur la révision des perspectives financières. Des crédits supplémentaires, d’un montant de 3,4 milliards d’euros, ont d’ores et déjà été octroyés pour le programme GALILEO ; plusieurs centaines de millions ont été ajoutés pour le programme GMES. On doit saluer cette implication politique de l’Union européenne. Comme cela a été officialisé lors de la présidence française de l’Union européenne, l ’Europe spatiale repose sur trois piliers : les Etats membres, l’Union européenne et l’agence spatiale européenne. Il est important qu’aucune de ces trois composantes ne se défausse sur les autres. Chacune doit être motivée et s’investir en la matière.

J’aborde à présent la question de la coopération entre le CNES et l’ESA en matière de lanceurs. Lorsque j’ai proposé au Premier ministre d’apporter à l’agence spatiale européenne le concours de l’équipe de la direction des lanceurs, la condition posée a été que la France conserve un droit d’accès à ses équipes. Des questions de souveraineté entrent naturellement en jeu. De ce fait, une convention conclue avec l’ESA prévoira que la France pourra demander au CNES de répondre en priorité à ses besoins.

Madame de La Raudière, pour répondre à votre question concernant MEGASAT, je dois vous dire que je ne suis pas un expert en la matière. Ce que je peux vous certifier, c’est que l’internet à haut débit fonctionne très bien, sans aucune limitation. L’internet à très haut débit, quant à lui, doit permettre l’accès à l’ensemble des possibilités du multimédia de troisième génération. Je ne peux vous donner de précisions techniques dans l’immédiat, mais je vous propose d’approfondir ce sujet important, qui s’inscrit dans le cadre du grand emprunt.

Madame Taubira, je vous confirme que le CNES a un statut d’établissement public industriel et commercial, mais qu’il n’est pas un centre de recherche. Par ailleurs, j’insiste sur le fait que la Guyane est notre patrie et la contribution que nous sommes susceptibles apporter à son développement économique et au niveau d’éducation constitue pour nous une priorité absolue.

Je précise par ailleurs que l’interopérabilité de GALILEO est prévue avec le GPS.

Enfin, le CNES est effectivement chargé d’appliquer la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, mais les arrêtés d’application de la loi n’ont pas encore été publiés.

Monsieur Raison, le premier lancement de SOYOUZ aura lieu au plus tôt cet été. Comme vous l’avez indiqué, ce programme revêt une grande importance, non seulement financière mais également diplomatique et technique.

M. le président Patrick Ollier. Je vous remercie, monsieur le président. Je dois vous dire que, s’il y avait eu un vote au sein de la commission, il aurait été unanime, en reconnaissance de votre efficacité et du talent avec lequel vous avez su conduire le CNES au sommet. Je souhaiterais d’ailleurs que notre commission puisse se rendre à Toulouse, pour rencontrer des membres de votre équipe.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 9 février 2010 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Jean-Paul Anciaux, M. François Brottes, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, M. Daniel Fasquelle, Mme Geneviève Fioraso, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, Mme Josette Pons, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Henri Jibrayel, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cohen, Mme Christiane Taubira