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Mercredi 7 juillet 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 79

Présidence de M. Serge Poignant Vice-président puis de de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter entreprises industrielles et de la sous-traitance

Commission
des affaires économiques

La Commission des affaires économiques a entendu M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter entreprises industrielles et de la sous-traitance.

M. Serge Poignant, président. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, accompagné du préfet Nicolas Jacquet, directeur général.

Je vous prie d’excuser l’absence de M. le président Patrick Ollier, empêché, qui devrait pouvoir nous rejoindre plus tard.

Je salue la présence parmi nous d’une délégation de l’Assemblée nationale du Liban, composée de M. Simon Abiramia, président de la commission de la jeunesse et des sports, de M. Chant Jenjenian, président de la commission des déplacés, de M. Adel Raouf Hijazi, inspecteur général à l’Assemblée nationale, et de Mme Abir Abi Khalil, directrice du projet conjoint du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)-Assemblée nationale du Liban, auquel notre Assemblée nationale prend une part active.

Nous avons beaucoup travaillé sur la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie (LME), et nous avons organisé au printemps une réunion de contrôle sur l’efficacité des mesures de soutien au financement des entreprises. Votre venue, monsieur Volot, nous fournit une occasion d’approfondir aujourd’hui les enjeux industriels.

Les états généraux de l’industrie avaient fait le constat d’un recul de l’emploi industriel, d’une faible dynamique d’investissement et d’innovation et d’une faiblesse persistante du tissu de grosses PME en France. Votre nomination comme médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, le 6 avril dernier, et celle de vingt-trois médiateurs régionaux, le 23 juin, traduisent la politique de mobilisation et d’engagement de tous les acteurs autour de l’objectif de reconquête industrielle.

Quel premier bilan tirez-vous de votre action ?

Vous avez eu des mots très durs pour décrire les méthodes des grands industriels pour pressurer les fournisseurs. Combien de plaintes avez-vous reçues depuis votre nomination ? Quels sont les principaux griefs soulevés ?

Pouvez-vous nous présenter le dispositif des plaintes collectives et anonymes que vous avez mis en place ?

Vous avez constaté qu’il n’y avait aujourd’hui ni réglementation, ni surveillance efficace de ces dérives. Le ministre chargé de l’industrie, M. Christian Estrosi, a annoncé une réforme de la loi de 1975 qui encadre la sous-traitance, et vous a chargé, d’ici au 30 juillet, d’un audit sur cette loi et sur la jurisprudence qui en découle. Quels sont les points qui méritent principalement d’être revus ? Mme Laure de La Raudière, chargée d’une mission de simplification de l’environnement législatif et réglementaire de l’industrie, sera particulièrement intéressée par votre réponse.

Notre commission étant compétente en matière de recherche industrielle et d’innovation, deux problèmes parmi les plus graves cités par le ministre me semblent particulièrement préoccupants : les incitations à la délocalisation, et la spoliation de droits intellectuels. Quels sont les procédés en cause ? Quels remèdes préconiseriez-vous ?

La LME a réduit les délais de paiement de 90 à 60 jours. À peine était-elle votée que les accords dérogatoires se sont multipliés, ce qui fausse en partie son esprit. Nous y réfléchissions récemment avec le président de l’Autorité de la concurrence et Mme Catherine Vautrin, présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales, qui vous prie également d’excuser son absence aujourd’hui. Le contrôle de l’application de ce texte est crucial. Comment peut-il être renforcé ?

Une charte des bonnes pratiques pour améliorer les relations entre donneurs d’ordres et petites et moyennes entreprises (PME), signée en février, a été complétée par Mme Christine Lagarde avec une vingtaine de grands groupes le 29 juin. Quelle est la portée réelle de ces engagements ?

Je rappellerai enfin que vous êtes également président de l’Agence pour la création d’entreprises (APCE). Quelles sont les perspectives dans le secteur industriel ?

M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance. Je précise d’emblée que j’ai toujours été entrepreneur, que je suis toujours en exercice et que j’ai été sous-traitant. Je sais donc comment les choses se passent. Aujourd’hui, je suis équipementier des métiers de l’aéronautique et ma grosse PME est très exportatrice.

Qu’est-ce qui m’a conduit à la médiation des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance ? Le constat sur le terrain. J’ai créé, avec René Ricol et avec l’assistance précieuse du préfet Jacquet, la médiation du crédit aux entreprises, afin d’aider les entreprises à obtenir du crédit auprès des banques. S’est à nouveau manifesté dans ce cadre un problème que je connaissais bien par ailleurs, à savoir les mauvaises relations qui existent, dans beaucoup de cas, entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants. René Ricol et moi-même nous sommes rendu compte très tôt de la nécessité d’intervenir également dans ce domaine, en dépit des difficultés car l’État se doit d’exercer un certain contrôle sur ces relations. Les états généraux de l’industrie, auxquels ont participé 5 000 personnes, ont montré l’urgence qu’il y avait à agir.

Je veux vous rassurer : dans la majorité des cas, les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants sont normales – nous sommes dans un pays de droit. Cela étant, il existe, malheureusement, trop de cas où elles ne le sont pas. Les abus constatés sont-ils à mettre sur le compte des contraintes de productivité imposées au monde industriel par la compétition internationale ? Probablement. Mais notre propos est de montrer comment on peut remédier aux situations anormales.

La création d’une médiation des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance est l’un des vingt-trois points des états généraux de l’industrie. Les autres points sont en voie d’installation.

Le médiateur industriel a trois missions claires :

La première consiste à mettre en œuvre une médiation individuelle dès lors que l’entreprise qui le saisit en exprime la demande ;

La deuxième est d’assurer une médiation collective dès lors que plusieurs demandes convergentes lui sont adressées – le nombre permet de se sentir plus fort – ;

La troisième mission consiste à étudier les textes régissant les relations entre les entreprises.

La loi de 1975 que vous avez citée est très importante. Élaborée à la suite de la première crise rencontrée par le secteur du bâtiment au cours du second semestre 1973-1974, elle permet à un fournisseur de rang 2 d’être payé par le premier fournisseur, c’est-à-dire par le client, en cas de défaillance du fournisseur de rang 1.

Quels sont les résultats après presque trois mois d’activité ?

D’abord, il a fallu monter la médiation, ce qui a nécessité tout un travail de préparation.

Nous avons déjà reçu 39 dossiers de pré-médiation, consistant en des plaintes de personnes n’osant pas se déclarer publiquement, par peur de représailles de la part de leurs clients. La « trouille » – je n’hésite pas à employer ce mot – qui régit les relations entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants empêche nombre de ces derniers de se déclarer.

Au début, nous ne prenions pas ces cas en compte. Mais, depuis quatre semaines, nous avons décidé de les comptabiliser de manière confidentielle afin d’établir une cartographie des mauvais comportements. Ces derniers sont dus soit au non-respect de la loi, soit à certaines pratiques propres à certains secteurs. Vous savez qu’il existe des usages particuliers qui ont force de loi dans certaines professions.

Autant, dans la médiation du crédit, il est facile d’indiquer le montant des crédits et le nombre d’entreprises et de salariés concernés car il s’agit d’une médiation du chiffre, autant, dans le domaine des relations inter-entreprises industrielles, on ne peut donner qu’une estimation, car on est dans la médiation du droit.

Aujourd’hui, 33 médiations individuelles sont entreprises, représentant à peu près 4 600 salariés, et 5 médiations officielles collectives, contre de très grands donneurs d’ordres, représentant 41 000 salariés.

Parmi les pré-médiations collectives, il y en a 11 qui représentent 475 000 emplois.

Comme vous le voyez, dès que des fédérations professionnelles sont en jeu, l’impact est très grand, ce qui montre que, bien que nous agissions en « micro », nous avons un rôle « macro ».

Cela montre également l’importance des relations inter-entreprises industrielles. Les comportements anormaux ont des conséquences très lourdes puisque le nombre d’emplois concernés par la médiation du crédit, après un an et demi d’existence, n’est que de 250 000.

Quand nous nous déplaçons en province, de nombreuses personnes nous font part de situations très difficiles. Mais elles n’osent pas ensuite se déclarer. Nous devrons traiter ce problème de la peur afin que l’existence d’un médiateur soit perçue comme une chose normale, de nature à améliorer les relations entre les clients et les fournisseurs.

À cette étape de mon exposé, je ferai un petit aparté sur le secteur du bâtiment car il constitue un modèle dont nous devrons nous inspirer. La Fédération française du bâtiment (FFB) a, depuis longtemps, créé en son sein une structure de médiation regroupant tous les métiers, les petits comme les grands, afin de régler les problèmes qui peuvent survenir.

Vous m’objecterez que les commandes sont différentes et ne subissent pas la même concurrence que les autres secteurs industriels. Lorsqu’on construit un immeuble, une usine, des logements collectifs ou individuels, les différents corps de métier sont obligés d’être solidaires autour du projet commun et de se parler. Ce n’est pas la même chose que de fabriquer pendant dix ans une pièce particulière pour une voiture de Renault, et la concurrence des Chinois n’est pas la même si l’on construit des télévisions.

Ce qu’il faut retenir des métiers du bâtiment, c’est l’état d’esprit grégaire qui les anime et qui permet de régler les problèmes sans avoir affaire à un médiateur. Si l’industrie française était construite sur le même modèle, je n’aurais pas de raison d’exister et je ne serais pas en face de vous aujourd’hui. Il y a beaucoup d’enseignements à tirer du mode de fonctionnement dans le bâtiment pour faire progresser les relations inter-entreprises et nous comptons travailler avec ces métiers afin de mettre en évidence toutes les dimensions vertueuses de leur accord. Nous les avons d’ailleurs auditionnés juste avant de venir devant vous.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, M. Christian Estrosi m’a demandé de réfléchir à la philosophie de la médiation qui m’était confiée. J’ai tout de suite dégagé trois points essentiels, auxquels je me tiens encore trois mois plus tard, sans préjuger l’avenir.

Premier point essentiel de la médiation : « réhumaniser » la relation entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants – les fournisseurs de toutes sortes, comprenant aussi bien les façonniers et les équipementiers que les prestataires de services. Vous avez tous entendu parler de ces nouvelles races d’acheteurs qu’on appelle les cost killers, qui ne tuent pas seulement les coûts, mais aussi les entreprises et les emplois, et qui détruisent la maille des PME industrielles en France. L’exemple du bâtiment est, là encore, instructif : quand vous êtes tous les jours sur le même chantier à devoir traiter les problèmes ensemble, le dialogue existe et il n’y a pas de problème. Dans les médiations industrielles que nous faisons, nous avons observé que, à chaque fois que nous mettions les gens autour de la table et que nous les incitons à parler, les solutions arrivaient.

Deuxième point : faire comprendre aux leaders de filière en matière industrielle que leur responsabilité ne se limite pas au compte d’exploitation de leur entreprise, mais qu’elle s’étend à l’ensemble de la filière, et qu’il est important qu’ils aient autour d’eux des fournisseurs solides les incitant à faire de la R&D et à gonfler la valeur ajoutée produite.

Prenons des exemples à l’étranger : Toyota a totalement intégré la dimension économique et sociale de ses rangs 1 et demandé à ces derniers de faire de même avec les rangs 2, et ainsi de suite, ce qui lui donne une dimension totalement différente. Volkswagen pratique la même stratégie, dont M. Varin dit s’inspirer grandement chez Peugeot.

Je ne suis pas en train de décrire un monde idyllique : je mets l’accent sur la structure de dialogue existant dans ces entreprises.

Troisième point essentiel : faire comprendre aux patrons de PME que, lorsqu’ils sont trop dépendants de leurs donneurs d’ordres, ils se mettent en danger. Quand c’est le client qui fait la stratégie d’une entreprise, celle-ci est « foutue ». J’ai toujours veillé, depuis presque quarante ans que je suis patron de PME, à ce que le patron chez moi, ce soit moi, et jamais mon client.

Le premier défaut que nous rencontrons chez les entreprises qui s’adressent à nous, comme chez celles qui faisaient appel à la médiation du crédit quand René Ricol et moi y étions, est un taux de dépendance trop élevé. Nous devons les aider à réfléchir et à définir une stratégie qui leur soit propre. Notre mission revêt à cet égard une dimension pédagogique.

Les défauts rencontrés – nous en avons recensé une bonne quarantaine sur notre site – sont faciles à qualifier : ils relèvent tous du non-respect de la loi.

Bien que la France soit régie par des lois et des jurisprudences claires, nettes et invariables, de grands donneurs d’ordres n’hésitent pas à rédiger des conditions générales d’achat en infraction avec la loi, car cette dernière ne punit pas. En cas de conflit, soit le fournisseur abandonne les poursuites, soit, s’il va devant les juges, il s’ensuit une longue discussion pour conduire les juges à rendre, par erreur, une décision contraire à la loi. Mais les juges ne sont pas dupes et cela ne pourrait se produire que dans des cas très spécifiques. C’est un point que nous devons surveiller en permanence.

C’est pourquoi j’ai reçu une lettre de mission de M. Hervé Novelli et de M. Christian Estrosi, dans laquelle il m’est demandé de faire le point de la législation encadrant la sous-traitance afin de déterminer ce qui devrait être revu ou ajouté pour éviter de telles situations.

Lorsque je détecte une situation anormale, c’est-à-dire une dérogation à la loi, mon travail de médiateur consiste à aller voir le donneur d’ordres, à lui donner les références du texte de loi non respecté et à lui demander de se mettre en conformité. Ce n’est pas compliqué : ma mission consiste à demander que la loi soit respectée.

Vous avez parlé d’incitation à la délocalisation. Le chantage existe en effet, mais il n’est pas couvert par la loi.

Des donneurs d’ordres menacent certains fournisseurs de ne continuer à leur passer des commandes que s’ils s’installent en Roumanie ou en Chine. C’est un piège. J’ai personnellement toujours refusé, et tous ceux qui ont accepté l’ont, un jour ou l’autre, regretté. En effet, le montant des investissements et des matières premières est le même que chez nous ; seule diffère la rémunération de la main-d’œuvre. Or le donneur d’ordres récupère ce gain en faisant travailler le fournisseur non plus au prix de la main-d’œuvre française, mais à celui de la main-d’œuvre du pays étranger, ce qui génère des drames car le fournisseur ne peut plus alors amortir les investissements réalisés.

Une PME ou une entreprise de taille intermédiaire (ETI) ne doit se délocaliser dans un autre pays que si cela représente un intérêt pour sa stratégie commerciale, c’est-à-dire si elle exporte dans ce pays, et non pour répondre à la demande de ses clients.

Face à de telles demandes, qui sont fréquentes, nous ne pouvons qu’exercer une action morale sur les grandes entreprises qui en usent, en leur rappelant un certain nombre de principes. L’État, que j’ai l’honneur de représenter, dispose d’atouts qu’il est temps qu’il applique. En tant que parlementaires, vous pouvez beaucoup m’aider en la matière.

L’État est actionnaire. Il est temps que ses représentants dans les conseils d’administration défendent les intérêts de l’État et du pays. Actuellement, ils ne font pas leur travail et le Président de la République comme les ministres de l’industrie et de l’économie les ont, dernièrement, rappelés à leur devoir.

L’État est également client. Avant d’acheter, il peut s’enquérir de la qualité des relations de l’entreprise avec ses fournisseurs sur le territoire national et de sa politique de délocalisation. Il n’est pas très normal que, après s’être bagarré avec M. Carlos Ghosn pour qu’il ramène en France le gros de la production de la Renault Zoé, qu’il avait délocalisé à l’étranger, l’État s’aperçoive qu’il n’y a que 40 % des pièces fabriquées chez nous alors qu’il lui avait demandé d’en produire 75 % et qu’il lui verse des aides !

L’État est aussi prêteur, et vous êtes bien placés pour le savoir puisque vous avez voté un texte lui permettant de soutenir les entreprises et les banques du fait de la crise. Il peut donc faire valoir des exigences afin de lutter contre les délocalisations et les comportements anormaux.

Après avoir vu que le Fonds stratégique d’investissement (FSI) était intervenu chez un grand équipementier automobile alors que ce groupe applique des conditions générales d’achat scandaleuses, je prends l’engagement d’être présent, lors des prochaines interventions du Fonds, pour demander préalablement un audit des conditions d’achat de l’entreprise concernée et de ses relations avec l’ensemble de ses fournisseurs.

L’État est, enfin, censeur, s’il veut bien l’être. Même si elle n’a plus des effectifs très importants, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) existe et peut agir sur des points particuliers.

Un médiateur n’étant ni « flic », ni avocat, ni juge, je souhaite que le bon sens prime. Mais il faut savoir que j’ai des atouts et des armes à ma disposition, et que j’ai l’intention de les utiliser.

M. Serge Poignant, président. Je vous remercie, monsieur Volot, pour ce premier bilan.

Quelle portée a la charte des bonnes pratiques, qui a été signée par quarante-cinq grands groupes ?

M. Jean-Claude Volot. Je suis à l’origine de cette charte, qui a été initiée par la médiation du crédit, puis reprise par ma nouvelle médiation. Signée, en février, en présence de Mme Lagarde, par vingt-deux grands comptes, elle a été étendue, la semaine dernière, à quarante-cinq grands comptes, représentant plus de 200 milliards d’euros d’achat. Elle contient des règles de bonne pratique, décidées par les deux parties.

La situation est, en effet, loin d’être désespérée. Un nouvel état d’esprit se manifeste. Les gens voient l’intérêt d’une plus grande solidarité pour lutter contre la désindustrialisation du pays. Si l’industrie représente moins de 17 % du produit intérieur brut, il ne faut pas oublier que 82 % de nos exportations viennent de ces 17 %. Le poids de l’industrie en matière d’exportation reste considérable. Or, comme je le précisais dernièrement à Mme Idrac, ce sont les PME qui ont le plus de capacités d’exportation. C’est donc en leur direction qu’il faut agir, et tel est l’objectif de la charte.

Le préfet Jacquet a accompli un très important travail de persuasion vis-à-vis des grands groupes pour les amener à adhérer à la charte. Nous allons continuer. Une troisième vague de signatures est prévue.

Nous comptons ensuite faire évoluer cette charte. Celle-ci est opposable à tout acheteur : si un donneur d’ordres ne respecte pas un article de celle-ci, on peut lui mettre le texte sous le nez en lui rappelant que son président de groupe l’a signé !

Pour la première fois, il va y avoir des actions de bouclage. Jusqu’à maintenant, une information était envoyée sans que l’on se préoccupe de la manière dont elle arrivait aux fournisseurs. La médiation aura pour effet de boucler le processus, c’est-à-dire de mettre en place des pratiques normales d’achat.

M. François Brottes. En vous écoutant, on se permettrait presque de croire de nouveau au Père Noël… Malheureusement, de moins en moins souvent, surtout après m’être entendu répondre dernièrement dans l’hémicycle qu’on ne peut pas procéder à un contrôle fiscal parce que cela risque de faire perdre des emplois !

Mais on peut rêver à l’application d’une charte qui, bien qu’assez molle sur le plan de la norme, si je puis me permettre cette expression, va dans le bon sens.

Votre référence au secteur du bâtiment est importante et peut même être étendue à d’autres domaines. La solidarité autour d’un même projet est poussée très loin puisqu’il existe, à la fin du chantier, un compte « prorata » : tous les petits aléas de parcours et tous les dépassements sont pris en charge par chacun, au prorata de sa contribution. C’est donc une très bonne piste de réflexion.

Nous nous sommes réjouis de la création du médiateur du crédit. Il n’y a donc aucune raison que nous ne nous réjouissions pas de la création du médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, à condition qu’il dispose d’un minimum de pouvoirs coercitifs. Vous en convenez vous-même, monsieur Volot, et j’ai le sentiment que vous êtes un homme à faire respecter les moyens qui vous seront donnés.

J’attire votre attention sur le fait que la DGCCRF a été noyée dans l’Autorité de la concurrence, laquelle vise plus à favoriser la concurrence tendant à diminuer les coûts que la concurrence loyale sur la qualité du produit et du service rendu. Je crains que, demain, des entreprises ne se plaignent auprès des autorités chargées du droit de la concurrence d’avoir subi un préjudice au motif qu’elles ne font pas partie d’un collectif. Voilà un exemple de détournement, non pas de procédure, mais de pratique, qui peut exister.

Un contrôle inopiné me semblerait plus efficace qu’un contrôle après signalement. Comme vous l’avez fort justement souligné, le fournisseur aura toujours du mal à tirer la sonnette d’alarme, de peur d’être démasqué : c’est le pot de terre contre le pot de fer.

Peut-être faudrait-il vous faire obligation d’analyser des contrats clients-fournisseurs tant de fois dans l’année. Cela étant, on risque de se heurter au secret commercial. L’idéal serait – mais cela risque de paraître trop « socialiste » – d’obliger tous les contrats à passer devant le médiateur pour s’assurer qu’ils sont conformes à la législation en vigueur. Mais, outre le fait que l’État n’en aurait certainement pas les moyens, il n’en aurait pas non plus le temps. Cela ne paraît donc pas raisonnable. C’est pourtant ce qui est prévu dans les collectivités locales : toutes les délibérations des conseils municipaux sont censées être vues par le service de contrôle de légalité. Et il y a sans doute autant d’actes commis par les collectivités locales que de contrats conclus dans le secteur privé.

En tout cas, il me semblerait judicieux de vous permettre de faire d’autorité du contrôle inopiné, sous le sceau, bien évidemment, de la confidentialité.

Quant à l’humanisation des acheteurs, je ne suis pas sûr qu’elle puisse être réalisée par le biais d’une charte. J’ai été fournisseur de grands comptes et ai eu plusieurs fois envie de « casser la gueule » à mes interlocuteurs. Quand, après avoir franchi une étape, où votre compétence et vos qualités ont été reconnues, vous devez encore vous soumettre à deux entretiens, l’un pour parler du prix, l’autre pour préciser les conditions de paiement, destinés uniquement à vous mettre « à poil » – pardonnez-moi l’expression –, vous vous dites qu’on a atteint des sommets d’inconséquence, en comparaison desquels Kerviel fait figure de petit joueur. La relation commerciale qu’on a pu connaître a été dénaturée : on est passé d’une exigence de qualité de fournisseur et de produit à une exigence de service à rendre au client final. Je serai très attentif aux solutions que vous pourrez préconiser.

Le dernier point que je souhaite soulever est le mono-sourcing ou le bi-sourcing, c’est-à-dire le fait d’être le seul fournisseur référencé ou d’être en concurrence avec un autre. L’élimination complète de la concurrence risque de faire perdre toute compétence à une filière. Pour avoir joué aux plus malins, de grands comptes ont, dans certains grands secteurs autres que celui de l’automobile, démantelé tout un tissu de compétences professionnelles et de recherche. À force de « chasser » à n’importe quel prix, on peut supprimer toute une partie de métier : s’il n’y a plus d’embauche dans ce métier, les lycées professionnels ne forment plus pour l’exercice de celui-ci tandis que les personnes compétentes sont parties à la retraite, si bien que certains industriels – j’en ai eu encore un exemple lundi, dans le secteur de l’acier – se plaignent de ne plus trouver de compétences, qui sont parties ailleurs.

L’État a le devoir de s’assurer, par territoire ou par filière, que des filières de compétences ne sont pas menacées de mort par des pratiques de mise en concurrence éhontées. On ne peut pas affirmer vouloir redévelopper l’industrie sans se préoccuper de ce qui, en amont, entrave celle-ci. Quand il y avait une masse critique suffisante, quand une « boîte » fermait, une autre s’ouvrait. Aujourd’hui, des filières entières sont atteintes par des pratiques scandaleuses.

M. Franck Reynier. Permettez-moi d’abord de saluer votre action et la démarche que vous avez initiée, monsieur le médiateur. Grâce à vous, nous terminons cette session en croyant au Père Noël et au changement d’état d’esprit de certains entrepreneurs.

Le soutien à l’économie est une priorité nationale. Il est indissociable du soutien à l’emploi. En cette période de crise, nous devons être le plus structurés possible afin d’accroître au maximum notre efficacité. L’amélioration des relations entre les donneurs d’ordres et leurs fournisseurs participe de cette démarche. Le dialogue, l’échange, une meilleure compréhension sont des mécanismes importants qui méritent d’être remis en avant car ils favorisent le travail en équipe.

Vous avez eu raison d’insister sur l’importance du facteur humain. Ce qui fait la richesse et la force d’une entreprise, c’est, en plus des contrats et des grands marchés, la qualité de celles et de ceux qui la composent, ainsi que la capacité de ses dirigeants à tirer la quintessence de tout cet ensemble. J’ai apprécié que vous ayez mis l’accent sur la nécessité d’humaniser et de responsabiliser tous les acteurs.

Je me félicite que vous ayez créé un site internet. C’est important pour votre visibilité et pour la communication.

Je me réjouis également qu’ait été mis en place un réseau de médiateurs régionaux. Un maillage du territoire est, en effet, indispensable pour pouvoir assurer la proximité nécessaire avec le terrain et répondre avec réactivité.

Vous êtes nommé pour trois ans, monsieur le médiateur. J’espère que les constats que vous avez faits aujourd’hui, notamment en matière de délocalisation, se traduiront en préconisations et en actions.

Quelles sont les premières difficultés auxquelles vous avez été confronté et quelle analyse faites-vous de celles-ci ?

En préconisant de nouvelles pratiques et de nouveaux comportements, le Grenelle de l’environnement entraînera des mutations économiques pouvant s’accompagner de contraintes pour les donneurs d’ordres français, que les donneurs d’ordres des autres pays – je pense en particulier à la Chine – peuvent ne pas connaître.

Quelles actions pouvez-vous mener en lien avec l’ambition nationale et européenne de mettre l’environnement plus en avant ?

M. Lionel Tardy. Il existe, en Haute-Savoie, notamment dans la vallée de l’Avre, une grande activité de décolletage, accompagnée de ses métiers annexes, et nous travaillons avec le commissaire à la réindustrialisation en Rhône-Alpes, M. Gérard Cascino, afin de dégager des voies de changement.

Entre 2008 et 2009, nous avons réussi à contenir les défaillances d’entreprise grâce à un certain nombre d’actions publiques. Comme celles-ci ne peuvent pas être pérennes, nous nous attendons à des difficultés de financement lors de la reprise économique, d’autant qu’il faut s’attendre à ce que la demande continue de baisser – elle ne retrouvera jamais son niveau de 2008 – et à ce que les banques soient plus sélectives qu’en 2009. Que penseriez-vous de la création de fonds départementaux d’intervention en entreprise, permettant aux acteurs locaux d’aider certaines entreprises, au-delà des sommes que peut leur consentir l’État, entre maintenant et la vraie sortie de crise ?

La sous-capitalisation des PME constitue un lourd handicap. Or les outils existants - je pense notamment au FSI - ne peuvent pas prendre véritablement en compte les besoins des PME et des très petites entreprises (TPE) car les sommes en jeu sont beaucoup trop importantes pour ce type d’entreprise. Quel est votre avis à ce sujet ?

Les entreprises souffrent généralement d’une insuffisante diversification de leur activité. Elles sont souvent très individualistes et leur taille ne leur permet pas de relever les défis d’un marché mondialisé. Elles manquent également de stratégie collective. Un déficit de marketing et d’image territoriale constitue souvent un frein à leur développement. Les offres de ces entreprises sont généralement mal positionnées et mal segmentées. Elles manquent de notoriété et de visibilité, si bien qu’elles ne sont pas reconnues par les donneurs d’ordres. Quel est votre avis à ce sujet, pour ce qui concerne tant la France que l’international ?

Sur le plan international, Mme Christine Lagarde préconisait de travailler en escadrille, c’est-à-dire de profiter des grands groupes pour amener des PME sur ces marchés. Cela rendrait les relations inter-entreprises un peu plus saines. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, en matière de modernisation des relations clients-fournisseurs, tout reste à faire. Un système de « coopétition » serait, en n’en pas douter, préférable au système de compétition actuel. Au lieu de cela, la pratique des enchères inversées devient récurrente, pose d’énormes problèmes à l’ensemble des industries françaises et ne laisse souvent pas grand-chose à celui qui a le marché. Que pensez-vous de la généralisation de cette pratique et comment comptez-vous y mettre fin ?

Mme Pascale Got. Le problème des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants est ancien. La loi de 1975 n’a pas permis de mettre un terme aux dérives.

Parmi ces dérives, vous avez évoqué le chantage à la délocalisation, mais on pourrait également citer le fait d’imposer un calendrier de baisse des prix sans prendre en retour le moindre engagement sur le volume ou la durée des achats. Si de telles pratiques demeurent, c’est notamment, selon moi, parce que le dispositif juridique encadrant les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants est insuffisant. Dans ces conditions, la médiation ne risque-t-elle pas de trouver rapidement ses limites ?

En outre, les sous-traitants captifs, ceux qui sont soumis à la pression d’un donneur d’ordres unique, peuvent-ils vraiment prendre le risque de dénoncer les mauvaises manières dont ils sont victimes ?

Enfin, on peut se demander si la mise en place d’une charte constitue une réponse suffisante à la dureté qui caractérise les marchés en période de crise. J’ai bien noté les trois points sur lesquels porte votre action – réhumanisation, responsabilité, stratégie –, mais je crains que cela ne soit pas suffisant, en particulier dans un contexte économique aussi tendu.

M. Jean-Paul Anciaux. Je me réjouis de la création de l’institution que vous dirigez. Elle est particulièrement utile, aujourd’hui plus que jamais.

Selon moi, la différence est grande entre un médiateur et un contrôleur. En tant que médiateur, vous intervenez à la suite d’une suggestion, après avoir obtenu une information ou sur sollicitation officielle, mais vous n’avez en aucun cas la capacité juridique de procéder à des contrôles. C’est du moins la conception que j’ai de votre fonction. Qu’en pensez-vous ? Il est important de préciser les choses, car les démarches de contrôle et de médiation ne sont pas du tout les mêmes.

Lorsque j’ai contribué à mettre en place les maisons de l’emploi sur tout le territoire, la création d’une charte était l’une des premières mesures que j’avais envisagées. Une telle démarche implique non seulement un engagement des signataires, mais aussi leur auto-évaluation, suivie d’une évaluation officielle par une structure nationale. Au final, tout cela se traduit nécessairement par une reconnaissance, que celle-ci prenne ou non la forme d’un label. Envisagez-vous d’appliquer une procédure similaire aux relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants ?

Avez-vous la possibilité d’évaluer finement les résultats de votre action, ou serez-vous bientôt en mesure de le faire ? Une telle évaluation devrait être opérée selon des paramètres précis, de façon à savoir, par exemple, si l’apport de la médiation entraîne le retour à une situation entièrement ou partiellement normale. Ainsi, lorsque vous pointez le non-respect de la loi par un donneur d’ordres, savez-vous quelles en sont les conséquences ? Si j’insiste sur ce point, c’est parce que le travail que vous effectuez me paraît très important.

Vous incitez les sous-traitants à se diversifier : dans l’absolu, vous avez raison. Mais, dans une région comme la mienne – je suis député du Creusot –, tournée vers l’industrie nucléaire et la mécanique lourde, les sous-traitants sont généralement très spécialisés. Et vous savez comme moi qu’un spécialiste agréé de la mécano-soudure ne peut pas se lancer dans la micromécanique ou le décolletage ! C’est pourquoi, même si une diversification peut être réalisée dans certaines activités de sous-traitance, il ne s’agit en général que d’un vœu pieux.

(M. Patrick Ollier remplace M. Serge Poignant à la présidence de la séance.)

Mme Geneviève Fioraso. Nous traînons depuis des années cette question des relations entre les grands groupes et les sous-traitants : peut-être s’agit-il d’un problème d’ordre culturel. Quoi qu’il en soit, une telle situation porte préjudice à la croissance des PMI-PME et compromet leur transformation en entreprises de taille intermédiaire (ETI). Alors que les liens sont faibles entre grands groupes et petites entreprises, l’État, à travers les aides distribuées par Oséo et le Fonds stratégique d’investissement, a tendance à accentuer les différences entre ces deux catégories. En effet, même si l’on prétend rediriger l’action du FSI vers les PMI-PME, dans la réalité ce n’est que très rarement le cas, comme j’en ai eu la confirmation il y a quelques jours lors d’une réunion avec le directeur du Fonds.

Je me demande s’il ne faudrait pas organiser un « tour de France pédagogique » avec les organismes consulaires et vos représentants régionaux – qu’il va falloir dynamiser, soit dit sans méchanceté. Ce serait particulièrement nécessaire dans la grande région industrielle de Rhône-Alpes : il serait bon de venir à Lyon et à Grenoble pour mobiliser les acteurs économiques et faire de la pédagogie, de façon à provoquer une évolution culturelle.

J’ai travaillé dans une start-up, et je me souviens que nous avons dû signer des contrats léonins avec de grands opérateurs comme EDF, qui faisaient pourtant partie de nos actionnaires. Même du point de vue juridique, ces contrats n’étaient pas corrects. Mais comment les refuser ? Comment éviter d’avoir des relations avec EDF quand on travaille dans le secteur nucléaire ?

Par ailleurs, dans la mesure où l’État aide les grands groupes par le biais du crédit d’impôt-recherche ou des pôles de compétitivité, ne pourrait-on pas envisager de leur faire prendre certains engagements ? Il ne s’agit pas de leur faire adopter une succession de vœux pieux, mais de les inciter très concrètement à adopter certaines pratiques vis-à-vis de leurs sous-traitants : les con duire à l’export, par exemple, ou s’attacher à faire vivre la filière. C’est ce qu’a fait Schneider Electric en signant avec Oséo, il y a cinq ans, à l’occasion du Forum de l’innovation organisé chaque année à Grenoble, une charte de la sous-traitance. Cette entreprise organise même des actions d’insertion avec les collectivités territoriales et ses sous-traitants, car il est plus facile à des PMI-PME d’insérer et de former des gens. Il serait donc souhaitable de conditionner nos aides à l’adoption de bonnes pratiques vérifiables.

De ce point de vue, une disposition du crédit d’impôt-recherche me paraît tout à fait dommageable. Quand une grande entreprise contracte directement avec un laboratoire public, elle bénéficie de 10 % d’abondement : elle n’est donc pas obligée de passer par un pôle de compétitivité, ce qui impliquerait la signature d’un partenariat avec une PMI-PME. Une fois de plus, on sépare les grands groupes des petites et moyennes entreprises, et les donneurs d’ordres des sous-traitants. Le travail engagé sur les niches fiscales devrait donc être l’occasion de revenir sur cette disposition : cela aurait un effet vertueux, aussi bien sur les finances de l’État que sur les PMI-PME.

Mme Annick Le Loch. Je souhaite pour ma part aborder la question du commerce et de la distribution en France – bien éloignée, je le reconnais, des problèmes relatifs aux filières industrielles et à la sous-traitance.

Dans notre pays, cinq centrales d’achat bénéficient d’une puissance énorme et exercent, au détriment d’une multitude de PME, un rapport de force très déséquilibré. Certains fournisseurs vivent même une véritable relation de dépendance à leur égard. Ne pensez-vous pas que cette situation pourrait entraîner à terme, si ce n’était déjà le cas, la déstabilisation du tissu français de petites entreprises ?

M. Jean-Claude Volot. Vous m’avez posé de nombreuses questions, qui ne relèvent pas toutes de ma compétence.

Avant tout, je dois faire attention à ne pas effaroucher les donneurs d’ordres, car rien n’empêche une société d’accélérer sa démarche de délocalisation et de passer des commandes à l’étranger. Ma position est médiane : je recherche non pas le maximum, mais l’optimum ! Je ne suis ni juge, ni avocat, ni « flic » : je suis médiateur, c’est-à-dire que j’amène les gens à se rencontrer autour d’une table pour rechercher des solutions. À cet égard, nous avons déjà quelques très beaux succès à notre actif. Mais nous devons être bien d’accord sur le rôle d’un médiateur. Pour effectuer des contrôles inopinés, il existe déjà une administration, la DGCCRF, avec laquelle je peux d’ailleurs être conduit à avoir des contacts. Mais je perdrais toute crédibilité si j’essayais de sortir de mon rôle de médiateur.

Lorsque j’assistais René Ricol, l’ancien médiateur du crédit, nous tentions de faire comprendre aux banques que le succès de chaque médiation était aussi un succès pour les banquiers. Il en est de même aujourd’hui : lorsqu’une de nos médiations a une issue positive, il s’agit aussi d’un succès pour les entreprises qui acceptent de modifier leurs comportements. J’ai pris pour devise l’expression latine « primum non nocere » : « d’abord, ne pas nuire ». Nous devons améliorer les choses, mais surtout éviter de nuire par des actions qui ne respecteraient pas l’esprit de la médiation.

Vous avez souligné les dangers liés à la stratégie du fournisseur unique, au nom de laquelle des fournisseurs sont abandonnés du jour au lendemain par certains clients. Les grandes entreprises emploient pour désigner cette pratique une expression abominable, la « massification ». Or tous les spécialistes la déconseillent, car elle conduit à des erreurs d’achat. Non seulement elle tue des entreprises, mais elle nuit à l’acheteur, qui réduit ainsi ses possibilités de consulter un tiers sur des problèmes techniques ou sur les prix. C’est une façon de couper la branche sur laquelle on est assis. Je m’exprime donc sur le sujet dès que j’en ai l’occasion : c’est un aspect de la dimension pédagogique de mon action.

Je pratique également la médiation de terrain, et la région Rhône-Alpes, madame Fioraso, est justement la première que j’ai visitée. Nous y avons nommé très rapidement des médiateurs, l’un à Grenoble, l’autre à Lyon. J’effectue régulièrement un tour de France, région par région. Je me rends également dans des bassins industriels spécifiques, comme celui qui entoure l’usine de Bure. La pédagogie est donc un aspect essentiel de mon action.

De même, la stratégie est très importante pour nos entrepreneurs, même lorsqu’ils sont spécialisés. Jusqu’à l’année dernière, j’étais moi-même professeur de stratégie à l’Université de Paris IV-Sorbonne, en master 2. Je l’ai enseignée pendant des années, et elle est déterminante dans ma vie d’entrepreneur.

Si vous demandez à dix patrons de PME – y compris des dirigeants d’entreprises de 200 salariés – s’ils ont une stratégie, tous vous répondront par l’affirmative. Mais, en les interrogeant plus précisément, on s’aperçoit vite qu’en réalité huit patrons sur dix ne savent pas ce qu’est une stratégie. Là réside le gros problème des PME, et c’est ce qui explique que trop peu d’entre elles parviennent à se développer et à passer à l’état d’ETI. Il est pourtant essentiel de définir une stratégie réfléchie, adaptée au marché, de façon à devenir le meilleur sur un créneau d’activités précis.

Dans ce domaine, le slogan à la mode dans les années 1980, selon lequel « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier », était une belle bêtise ! La compétition mondiale est si aiguë que l’on est condamné, aujourd’hui, à devenir très fort sur son créneau. C’est pourquoi je passe mon temps à conseiller des industriels en matière d’analyse stratégique, comme je le faisais déjà à la médiation du crédit.

Un député m’a suggéré d’accroître la communication du médiateur. Je ne me force pas à communiquer dans la presse généraliste, mais je suis très présent dans la presse spécialisée, celle qui est lue par le monde industriel – Le Moniteur des travaux publics, Usine nouvelle, la Lettre de l’acheteur. J’ai même négocié l’ouverture d’une rubrique spéciale du médiateur dans Usine nouvelle ! De toute façon, avant d’attaquer en force les opérations de communication, il était nécessaire de nommer tous les médiateurs régionaux. Ceux-ci sont une petite trentaine, et rassurez-vous, madame Fioraso, ils ont été soigneusement sélectionnés : leur profil est celui de l’ingénieur des mines, autrefois rattaché aux directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) et faisant désormais partie des pôles économiques des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Ils connaissent donc très bien le territoire. En outre, appartenant généralement à la catégorie des seniors, ils ont, avec les gens, des relations apaisées, ce qui est essentiel pour faire de la bonne médiation. Enfin, ils ont eux-mêmes la possibilité de communiquer sur leur territoire via les syndicats professionnels.

J’en viens au problème de la trésorerie des entreprises et à la création de fonds départementaux. Même elle ne fait pas partie de mes attributions, j’ai une vraie passion pour la question : je suis membre du conseil de France Investissement, j’ai créé avec René Ricol le Fonds de consolidation et de développement des entreprises, et j’ai contribué au montage de fonds régionaux destinés à intervenir auprès des petites PME.

Contrairement à ce que l’on prétend, le FSI a une vraie action en direction des PME, grâce à France Investissement, dont on oublie trop souvent l’existence. Cette structure a pourtant déjà injecté 2 milliards d’euros, et doit investir encore 1 milliard supplémentaire. Ses ressources proviennent pour deux tiers de l’État, et pour un tiers d’investisseurs privés. Il est vrai que la réforme Solvency II tend à tarir les ressources issues du monde de l’assurance, mais nous allons trouver une solution à ce problème. Quoi qu’il en soit, le montant moyen des apports de France Investissement est inférieur à 2 millions d’euros : ce dispositif bénéficie donc essentiellement à des PMI et à des ETI, voire à de très petites entreprises. Mais le FSI communique mal : quand on lui reproche de négliger les petites entreprises, il oublie de rappeler que France Investissement constitue un vrai outil d’investissement en direction des PME.

Dans les régions, des plateformes d’accompagnement des PME ont été mises en place par Oséo et la Caisse des dépôts et consignations afin d’accueillir tous les fonds et investisseurs régionaux ou départementaux – pour ma part, je préfère l’échelon régional. De telles initiatives doivent être préférées aux fonds régionaux à caractère politique qui, dans les années 1980, pratiquaient l’action sociale en direction des entreprises, entraînant ainsi la faillite de fonds et caisses de garantie entiers. Pour ma part, je prône une vraie politique d’investissement, de soutien et de développement local. C’est ainsi que des fonds ont été créés en Franche-Comté, dans le Puy-de-Dôme, en Lorraine, en Champagne-Ardenne, dans les Pays de la Loire, avec un fort soutien de la part des politiques, ce dont je me réjouis.

Nous sommes toujours prêts à aider à la constitution de fonds d’investissements de ce type, mais il faut prendre garde à ce qu’ils ne soient pas concentrés sur un seul métier. En effet, si ce métier est en crise, tout le système s’écroule. Il est vrai qu’il existe des fonds très spécialisés, comme Aerofund I et II dans le secteur aéronautique. Mais, par exemple, un fonds de soutien et de développement du décolletage en Savoie serait bien fragile. Or nous avons aussi des devoirs envers les investisseurs, qui apprécient de retrouver leur argent, voire un peu plus.

J’en viens aux enchères inversées, une pratique contre laquelle je me suis battu dès qu’elle a été introduite en France, il y a une dizaine d’années. J’ai même essayé de faire fermer certaines entreprises, qui en faisaient la promotion. Il s’agit en effet d’un outil extrêmement pervers qui assimile l’établissement d’un devis à un jeu de casino, et peut conduire un décisionnaire à réduire ses prix de 30 à 40 %. Mais qui peut empêcher les enchères inversées ? Même vous, députés, ne pourriez y parvenir !

M. le président Patrick Ollier. Notre Commission a consacré des heures à ce sujet !

M. Jean-Claude Volot. On ne peut qu’essayer de convaincre les entreprises de ne pas y avoir recours. Pour ma part, je crois beaucoup à la politique menée à la suite des états généraux de l’industrie, et qui consiste à constituer de vraies filières industrielles regroupant des entreprises solidaires entre elles. Le bâtiment, à cet égard, fait figure de modèle.

Une telle évolution permettrait de faire cesser, dans chaque profession, la pratique des enchères inversées. Ce n’est pas un vœu pieux : je me battrai pour cela.

Compte tenu de l’énergie que nous avons déployée pour la mettre en place, ce que vous m’avez dit au sujet de la charte des bonnes pratiques me fait de la peine, monsieur Brottes. Ce n’est pas un filet d’eau tiède : nous avons fait signer de vrais engagements à tous les grands comptes. Et ce n’est que le début : nous avons l’intention de faire évoluer ce document, avenant après avenant. Il y va de l’intérêt général.

N’oubliez pas, monsieur le député, que nous avions face à nous la Fédération des acheteurs et quelques très grands groupes. Il a fallu négocier mot par mot le contenu de la charte !

Si une charte n’est pas respectée, c’est parce que l’on oublie de la faire vivre. Une fois que le texte a été élaboré et signé, on croit que le travail est terminé. Or notre rôle est justement de faire vivre la charte régissant les relations entre grands donneurs d’ordres et PME. Nous avons d’ailleurs recruté ce matin même la personne qui effectuera ce travail. Au passage, je note qu’en termes de moyens, et dans un contexte économique difficile, j’ai obtenu, grâce à des redéploiements de fonctionnaires, à peu près tout ce que j’avais demandé. La personne en question est une acheteuse professionnelle – qui, dans son domaine, avait plutôt la dent dure. Elle sera chargée de faire vivre la charte et de nous signaler tout comportement déviant.

M. Jean-Paul Anciaux. Vous avez l’intention d’aller plus loin ?

M. Jean-Claude Volot. Bien entendu.

M. Jean-Paul Anciaux. Jusqu’à la reconnaissance par un label ?

M. Jean-Claude Volot. C’est effectivement notre objectif. Je vois que vous êtes vraiment dans le coup…

M. Jean-Paul Anciaux. Je suis qualiticien de formation.

M. Jean-Claude Volot. Dans ce cas, vous devez savoir qu’il y a sept ou huit ans deux nouvelles mentions ont été ajoutées aux normes ISO 9001, les points 21 et 22, afin de mesurer la satisfaction du client. Mais on a oublié de mesurer la satisfaction du fournisseur. J’ai donc contacté l’AFNOR afin qu’un point 23 soit ajouté aux normes de contrôle qualité. Au niveau international, cette préoccupation existe également : les Pays-Bas ont fait une demande officielle en ce sens, et d’autres pays comme le Danemark ont déjà réglé le problème.

Je crois beaucoup à la norme, et c’est pourquoi des groupes de travail réfléchissent à la façon de faire évoluer la procédure vers une labellisation. Nous avons même prévu de mettre en place un label « achat responsable » pour reconnaître les acheteurs dont le comportement est correct.

Au sujet de la grande distribution, nous avons veillé à agir en coordination avec la commission présidée par Catherine Vautrin.

M. le président Patrick Ollier. Nous avions d’abord confié à M. Charié, président de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), décédé depuis, le soin de mettre en œuvre une charte de bonne conduite entre la grande distribution et ses fournisseurs. Plusieurs réunions ont eu lieu avant que le décès de M. Charié n’entraîne son remplacement par Mme Vautrin. Celle-ci a donné ce matin une conférence de presse sur le sujet. Elle devrait achever son travail en septembre et nous en rendre compte au début du mois d’octobre. Ainsi, vous et Mme Vautrin effectuez un travail de même nature mais, dans un cas, la relation est verticale et dans l’autre, horizontale.

M. Jean-Claude Volot. Nous avons rencontré Catherine Vautrin la semaine dernière : dans la mesure où sa mission recouvre une partie de la nôtre, nous avons décidé de travailler ensemble. Elle a d’ailleurs accepté de participer au comité stratégique de la médiation. Nous allons donc travailler étroitement pour faire en sorte que les fournisseurs de la grande distribution, quel que soit leur rang, puissent être placés sous notre « protection ».

En ce qui concerne l’aide aux grands groupes, les modalités du crédit d’impôt-recherche sont de la compétence des parlementaires, et non d’un médiateur. Cela étant, je surveille cette question de très près.

On est toujours le fournisseur de quelqu’un. Ainsi, une demande nous a été adressée via le ministre de l’industrie pour protéger un équipementier automobile, dont un site risquait d’être pénalisé par une décision de son donneur d’ordres. Nous allons donc intervenir en faveur de cet équipementier. Cependant, la charte d’achat de cette entreprise comprend des dispositions contraires à la loi : elle fait primer ses conditions générales d’achat sur toutes conditions générales de vente et oblige son signataire à renoncer à toutes ses prérogatives. Notre aide sera donc conditionnée à la modification de celles des pratiques de cette entreprise, qui sont abusives.

De même, chaque fois que l’on sollicitera notre intervention, nous demanderons à l’entreprise concernée si elle se montre elle-même vertueuse dans ses relations avec ses fournisseurs, et si elle est prête à signer notre charte.

Certaines interventions auxquelles nous nous sommes livrés nous ont conduits à mener de grands chantiers à effets macro-économiques.

Je prendrai l’exemple des conditions d’achat des granulés de plastique. La compétitivité de nos entreprises est mise en danger par l’explosion actuelle du prix de ces granulés, due au fait qu’il n’existe plus dans le monde que sept grandes fabriques de monomères, dont une seule française. Celles-ci se sont « partagé le gâteau » et forment un cartel de fait. La situation est la même que dans le secteur de l’acier, où ne subsistent que quatre fournisseurs. Dans le domaine du plastique comme dans celui de l’acier, l’offre est inférieure à la demande ; il suffit qu’un des acteurs décide d’une augmentation des prix pour que les autres suivent. L’offre est inférieure à la demande. Il ne leur est même pas nécessaire de se concerter. La fédération de la plasturgie, qui concerne 135 000 salariés, est donc prisonnière de décisions prises dans d’autres pays. C’est pourquoi nous avons décidé, avec le ministre de l’industrie et les équipes de Mme Lagarde, d’inviter à une conférence les sept grands décisionnaires européens du secteur de la production de plastique.

Un autre sujet très grave concerne l’ingénierie française. Ce secteur, qui comprend des entreprises comme Altran, emploie 200 000 ingénieurs et techniciens, mais il est mis en danger par la constitution de cartels d’acheteurs. Bien que cela soit strictement interdit, des acheteurs d’entreprises se rencontrent pour mener des actions contre les métiers de l’ingénierie, mettant ainsi en danger 35 % de la capacité dont dispose notre pays dans ce domaine. Le problème est que la trahison y est une pratique habituelle : même si cinq personnes adoptent une position commune vis-à-vis d’un client, il s’en trouvera toujours au moins deux pour accéder aux nouvelles exigences de ce dernier ! J’ai donc décidé de réunir dans une même plateforme les grands acheteurs – ainsi, la DGCCRF ne pourra pas me reprocher de contrevenir aux règles de la compétitivité – et les grands acteurs de l’ingénierie française. Le but est que les gens se parlent et établissent entre eux des conventions, à l’image de ce qui existe dans le bâtiment. Ils pourront ainsi travailler intelligemment plutôt que de chercher à s’éliminer mutuellement.

Mme Fioraso a cité Électricité de France. Cette entreprise a mis en place une nouvelle catégorie de managers, les credit managers, chargés de consulter le bilan des entreprises afin d’évaluer leur taux de risque. Or les bilans de 2009 n’étant pas bons, EDF a décidé de renforcer ses exigences en termes de garantie pour la fourniture de courant. Nous avons aussitôt décidé de rencontrer M. Proglio, afin de lui expliquer qu’une telle pratique constituait une rupture unilatérale de contrat. Et la médiation a été un succès puisque le président d’EDF a consenti à revenir aux anciennes conditions de garantie.

Dernier exemple de grand chantier : je viens de lancer une mission concernant le prix de l’électricité, non pas sous l’angle de la tarification, qui n’est pas de mon ressort, mais pour évaluer l’effet de l’évolution du prix du courant sur la détérioration de la compétitivité des entreprises.

De nombreuses missions, de grands chantiers : comme vous pouvez le constater, nous n’avons pas chômé en trois mois.

M. le président Patrick Ollier. Merci, monsieur le médiateur, pour ces précieuses informations. Je propose que nous nous rencontrions à nouveau au début du mois d’octobre pour approfondir cet échange et faire le point sur votre collaboration avec la CEPC. Votre mission et celle de Mme Vautrin sont en effet complémentaires, même si la loi vous donne une plus grande autorité.

Notre commission est amenée en permanence à traiter de la vie des entreprises. Il serait donc intéressant que nous puissions vous recevoir régulièrement.

M. Jean-Claude Volot. Je suis à votre disposition.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 7 juillet 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Jean-Paul Anciaux, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Corinne Erhel, Mme Geneviève Fioraso, Mme Pascale Got, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Franck Reynier, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Jean-Michel Couve, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. François Pupponi