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Groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts

Jeudi 20 janvier 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 3

Auditions conduites par M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur du groupe de travail (Mme Arlette Grosskost, co-rapporteure, étant excusée)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Fournier, responsable de la qualité, de l’indépendance et de la gestion des risques pour Ernst & Young France 2

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux, et Pierre Berger, président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux

La séance est ouverte à 9 heures.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Fournier, responsable de la qualité, de l’indépendance et de la gestion des risques pour Ernst & Young France.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Mes chers collègues, je vous indique que Mme Arlette Grosskost, qui est co-rapporteure du groupe de travail, ne sera pas présente ce matin pour deux raisons, qu’elle m’a demandé de vous faire connaître.

Elle doit tout d’abord recevoir dans sa circonscription le ministre de l’éducation nationale.

Ensuite – et ce point est directement en rapport avec la nature de nos travaux –, son fils travaille pour le cabinet Ernst & Young et, bien que ne connaissant nullement notre intervenant de ce matin, elle en fait la déclaration et préfère en quelque sorte « se déporter » pour ne pas donner le sentiment d’être soumise à un conflit d’intérêts.

Il en sera de même pour l’audition suivante. Arlette Grosskost est avocate de profession et, bien que s’étant fait omettre du barreau aussitôt après son élection, elle a également jugé préférable de ne pas participer à cette seconde audition. Elle m’a demandé de bien vouloir l’excuser de ces deux absences auprès de vous. Elle vous fait savoir qu’elle approuve évidemment le principe de ces auditions, dont elle prendra connaissance avec le plus grand intérêt grâce à l’enregistrement audiovisuel et au compte rendu écrit.

Nous ouvrons cette troisième matinée d’auditions en recevant M. Jacques Fournier, associé en charge des sujets d’indépendance et de risk management au cabinet Ernst & Young.

Cette audition entre dans le cadre d’une série de rencontres que nous avons souhaité avoir avec des personnalités chargées, dans leur activité professionnelle, de prévenir et de gérer des situations de conflits d’intérêts.

Nous souhaiterions donc, monsieur Fournier, que vous puissiez nous décrire les règles applicables en matière de conflits d’intérêts dans votre cabinet et, plus largement, dans votre secteur d’activité, ainsi que les procédures destinées à les faire respecter.

M. Jacques Fournier, responsable de la qualité, de l’indépendance et de la gestion des risques pour Ernst & Young France. Si je comprends fort bien que vous soyez intéressés par le témoignage d’un représentant d’une entreprise soumise à des règles très strictes en matière d’indépendance et de conflits d’intérêts, je tiens à souligner d’entrée de jeu qu’il ne faut pas pousser à l’excès l’interprétation de certaines de ces règles.

En tant qu’associé du cabinet Ernst & Young chargé des problématiques d’indépendance et de risk management, je suis en quelque sorte le déontologue de l’entreprise. Adhérant totalement aux principes qui gouvernent notre profession en matière d’indépendance, de qualité et de conflits d’intérêts, je n’ai pas prévu d’évoquer mes convictions personnelles sur le sujet. Je préfère souligner qu’il s’agit là d’une préoccupation majeure pour le cabinet que je représente. Nous ne pouvons nous permettre la moindre faille dans nos procédures car il y va de notre image de marque, de l’image des membres de notre cabinet et de leurs interventions auprès de nos clients et auprès de la collectivité à laquelle nous appartenons. Nous pourrons évidemment toujours passer à côté d’une situation qui aurait dû nous alerter, mais ce sera involontairement. Nous avons une obligation de moyens, non de résultat.

Ernst & Young est une organisation intégrée et mondiale, présente dans 137 pays à travers 737 bureaux et forte de 141 000 collaborateurs, dont 4 500 en France. Faire connaître et appliquer les règles de notre organisation par un si grand nombre de personnes est un défi permanent : nous devons disposer de procédures robustes sur l’ensemble des sujets que nous traitons, d’autant que les règles applicables dans les différents pays ne sont pas identiques. Nos collaborateurs travaillant en France doivent donc connaître non seulement les règles françaises, mais éventuellement les règles applicables ailleurs. Elles doivent donc être aussi simples, lisibles et homogènes que possible.

Nous exerçons quatre métiers, dont les trois premiers sont réglementés : le commissariat aux comptes, l’expertise comptable, le conseil juridique et fiscal et, pour finir, la transaction – opérations de fusions, d’acquisitions, d’évaluation d’entreprises, de structuration fiscale.

Si Ernst & Young n’exerce pas simplement la fonction de commissaire aux comptes, c’est parce que nous considérons que la mission, très complexe, de certification des comptes des entreprises exige également des compétences en fiscalité, en droit, en analyse financière ou en actuariat. C’est la raison pour laquelle nous revendiquons notre pluridisciplinarité.

Au-dessus de cette organisation existe une direction de la qualité, que j’anime, qui a pour mission la définition de procédures permettant de respecter l’intégralité des recommandations applicables aux différents métiers et, le cas échéant, de procéder à des arbitrages. C’est à ce titre que je participe à l’exécutif d’Ernst & Young.

Les textes applicables à la profession de commissaire aux comptes sont nombreux et anciens : les premiers remontent à 1867. On les trouve évidemment dans le code du commerce et dans notre code de déontologie. Ils ont été actualisés au début des années 2000, la fin du siècle précédent et le début de notre siècle ayant été marqués pour la profession par différentes affaires ou scandales qui ont entraîné la modification des règles relatives à l’indépendance et aux conflits d’intérêts.

Aux États-Unis, la loi Sarbanes-Oxley a réformé la profession et institué le PCAOB – Public Company Accounting Oversight Board –, une autorité de tutelle. La France a connu, parallèlement, un mouvement législatif important : il s’est traduit par l’adoption de la loi de sécurité financière du 1er août 2003, qui a notamment confirmé, dans le code du commerce, le principe de la séparation des fonctions d’audit et de conseil. Il est interdit d’apporter des prestations d’audit et de conseil à la même entité du fait que le conseil, quand bien même il n’affecterait pas l’indépendance de la prestation de contrôle, serait de nature à affecter l’apparence de l’indépendance. Alors même que la qualité du contrôle n’avait pas été affectée, plusieurs affaires ont permis de vérifier qu’aux yeux du public, il était inacceptable d’apporter une prestation de conseil à une entreprise qu’on contrôle. C’est pourquoi le code de déontologie évoque non seulement l’indépendance, mais également l’apparence d’indépendance.

La loi de sécurité financière a instauré une autorité administrative indépendante, le Haut conseil du commissariat aux comptes, qui est l’organisme de tutelle de la profession, laquelle auparavant s’autorégulait, c'est-à-dire définissait elle-même les normes qui la régissaient. Désormais, cette structure indépendante, qui rend compte directement au ministre de la justice, assure la tutelle de la compagnie nationale des commissaires aux comptes. Elle veille à la bonne organisation de la profession au plan normatif – qu’est-ce qu’un audit ou une norme d’exercice professionnel ? – et donne un avis avant l’homologation des normes d’exercice professionnel par le garde des sceaux. Elle a également un pouvoir disciplinaire sur la profession.

Nous sommes soumis à des règles strictes et nous encourons des sanctions disciplinaires, civiles et pénales. L’article L. 820-5 du code de commerce précise ainsi qu’« est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait, pour toute personne » d’exercer de manière illégale la fonction de commissaire aux comptes.

Quant aux titres des articles du code de déontologie, notamment ceux du titre Ier, « Principes fondamentaux de comportement », ils sont explicites : celui de l’article 3 évoque l’« intégrité », celui de l’article 4, l’« impartialité » et celui de l’article 5, l’« indépendance » du commissaire aux comptes, tandis que l’article 6 traite du « conflit d’intérêts ».

L’article 5 dispose ainsi que « le commissaire aux comptes doit être indépendant de la personne ou de l’entité dont il est appelé à certifier les comptes » et que cette indépendance « se caractérise notamment par l’exercice en toute liberté, en réalité et en apparence, des pouvoirs et des compétences qui lui sont conférés par la loi. » Quant à l’article 6 sur le conflit d’intérêts, il prévoit que « le commissaire aux comptes évite toute situation de conflit d’intérêts. Tant à l’occasion qu’en dehors de l’exercice de sa mission, le commissaire aux comptes évite de se placer dans une situation qui compromettrait son indépendance à l’égard de la personne ou de l’entité dont il est appelé à certifier les comptes ou qui pourrait être perçue comme de nature à compromettre l’exercice impartial de cette mission. »

La puissance publique a donc repris en main la profession à travers la création d’une haute autorité, en mettant fin à l’autorégulation et en renforçant la séparation des missions de conseil et d’audit.

Votre groupe de travail porte sur « la prévention des conflits d’intérêts : vous avez utilisé une seule notion – « conflit d’intérêts » – là où nous en utilisons deux : « indépendance » et « conflits d’intérêts ». Elles sont voisines, assurément, mais il nous est apparu que, dans notre profession au moins, il convenait, ne serait-ce que pour les expliquer plus facilement à nos collaborateurs, de distinguer entre l’indépendance, qui s’impose à nous à l’égard des entités dont nous évaluons la qualité des comptes, du conflit d’intérêts, qui renvoie à des situations délicates dans lesquelles nous pouvons être placés à l’égard de deux ou plusieurs parties.

Il existe par ailleurs des règles relatives aux relations d’affaires, elles visent l’éventuel achat de prestations à ses clients par une entreprise comme Ernst & Young. En tant que commissaire aux comptes de la SNCF, pouvais-je prendre un abonnement SNCF pour me rendre régulièrement de Lyon à Paris ? Je tiens à vous rassurer : nous avons trouvé une solution !

Si le principe de l’indépendance est simple, sa mise en pratique est en revanche très difficile, du fait, je le répète, que nos 141 000 professionnels doivent pouvoir identifier les clients de l’ensemble de notre réseau d’audit. Certaines règles américaines ont une portée extraterritoriale, la Securities and Exchange Commission (SEC) exigeant notamment que, par le monde, l’ensemble des collaborateurs du cabinet d’audit soit indépendant de l’ensemble des entités contrôlées. Il nous faut donc mettre à la disposition de tous nos collaborateurs une information suffisante pour leur permettre d’identifier les clients avec lesquels il leur sera interdit d’entretenir un quelconque lien financier – détention d’actions, de SICAV, de titres de créances, de dépôts de fonds, d’emprunts ou de certains contrats d’assurance – même si, je le répète, ces collaborateurs ne travaillent pas auprès de ces entités, ou même travaillent dans un autre pays que celui où elles sont implantées. De plus, les personnes visées par ces interdictions sont non seulement les associés et collaborateurs, mais également leurs proches parents : conjoint, concubin ou partenaire de PACS, ainsi que les personnes à charge financièrement dépendantes. Nous avons évidemment dû investir dans des bases de données et dans la collecte d’informations.

Certains liens personnels sont également interdits entre le professionnel qui fait l’audit et celui qui tient la comptabilité de l’entité contrôlée. Notre règle définit ainsi le lien familial : « il existe un lien familial entre deux personnes lorsque l’une est l’ascendant de l’autre, y compris par filiation adoptive, ou lorsque l’une et l’autre ont un ascendant commun au premier ou au deuxième degré, y compris par filiation adoptive. Il existe également un lien familial entre conjoints, entre personnes liées par un pacte civil de solidarité et entre concubins. Le lien familial est également constitué entre l’une de ces personnes et les ascendants ou descendants de son conjoint, de la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité ou de son concubin ». De telles règles nécessitent, pour être comprises, un instant de réflexion ! C’est pourquoi nous présentons sous forme de tableau à nos collaborateurs les liens familiaux interdits entre le professionnel d’Ernst & Young et les collaborateurs des clients d’audit, en fonction des responsabilités que ceux-ci exercent dans l’entité contrôlée. Il faut veiller à rendre intelligibles les textes complexes.

Le contrôle est difficile, du fait que nous ne disposons pas de l’arbre généalogique de tous nos collaborateurs, ni d’un fichier mondial des personnes intervenant dans les directions financières des entreprises. Nous avons essentiellement un devoir d’alerte, d’information et de formation. De plus, et c’est de mon ressort, il convient de demander à chacun des collaborateurs de confirmer qu’ils ont connaissance de ces règles et qu’ils les respectent : une fois l’an, ils doivent déclarer sur l’honneur ne détenir aucun titre interdit – c’est la confirmation d’indépendance – et ne pas avoir exercé des missions de contrôle en contradiction avec les règles d’indépendance, sur le plan financier comme sur le plan personnel.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Il s’agit de procédures déclaratives. S’il est par exemple établi qu’un collaborateur a des liens financiers interdits, sa déclaration sur l’honneur pourra-t-elle lui être opposée pour justifier son licenciement ?

M. Jacques Fournier. Oui.

M. Richard Mallié. Il est possible de posséder des actions soit de manière nominative, soit, en bourse, de manière anonyme. Comment contrôler qu’un membre de la famille ne possède pas une action anonyme de l’entité contrôlée par un de vos professionnels ?

M. Jacques Fournier. Les liens financiers ne sont pas à confondre avec les liens personnels.

Outre la déclaration sur l’honneur, nous effectuons des sondages et des contrôles effectifs sur pièces, avec communication des relevés bancaires et des relevés de titres, documents que nous comparons à la base que nos collaborateurs ont renseignée en y déclarant les titres qu’ils détiennent. Seule la ligne de titres nous intéresse : la possession d’une seule ou de 10 000 actions est à nos yeux la même chose – nous ne nous intéressons pas aux montants. La logique veut qu’avant tout investissement, le professionnel saisisse dans cette base les titres dans lesquels il s’apprête à investir, ce qui lui permet de contrôler qu’il ne s’agit pas de titres interdits.

M. Christian Eckert. Combien d’infractions, volontaires ou involontaires, avez-vous relevées ?

M. Jacques Fournier. Il faut distinguer les règles inscrites dans le code de déontologie des commissaires aux comptes et les règles adoptées par Ernst & Young, qui sont encore plus restrictives. En France, la loi impose des restrictions sévères à l’associé commissaire aux comptes qui signe les comptes de l’entité contrôlée et à l’équipe qui intervient dans le cadre de la mission. Ernst & Young a étendu les interdictions à l’ensemble des associés et des collaborateurs, pour des raisons opérationnelles : il fallait éviter qu’un collaborateur, dont l’intervention sur un dossier était planifiée, refuse la mission le moment venu au motif qu’il aurait acheté un titre de l’entité qu’il devait contrôler. C’eût été ingérable. Notre politique, qui est contraignante pour l’ensemble de nos collaborateurs, vise à interdire la détention de titres relevant de l’ensemble de nos clients d’audit de par le monde.

Il y a donc deux catégories d’anomalies. La première est une anomalie déclarative, sans conséquence, lorsque le non-respect de la règle Ernst & Young ne constitue pas une infraction au code de déontologie. C’est le cas dans lequel se trouve un collaborateur qui, faute d’avoir effectué un contrôle pertinent, a investi dans un titre interdit sans pour autant faire partie de l’équipe missionnée, surtout si l’entité se trouve à l’étranger. En revanche, il y a sanction lorsqu’un collaborateur, a fortiori l’associé signataire, détient des titres de l’entité qu’il contrôle. À ma connaissance, on n’a pas encore rencontré cette situation chez Ernst & Young France. En revanche, nous avons rencontré des cas relevant de la première catégorie : les collaborateurs français ne connaissent pas nécessairement les clients d’audit situés à Singapour ou à Washington. Nous disposons d’une procédure d’alerte, de formation et de rappel à l’ordre, voire de sanction interne. Nous devons en effet nous montrer très vigilants et ne tolérer aucun laisser-aller.

M. Christian Eckert. Vous confirmez donc n’avoir connaissance, pour la France, chez Ernst & Young, d’aucune infraction justifiant des poursuites pénales ou une interdiction d’exercice de la profession ?

M. Jacques Fournier. En France, aucune. Aux États-Unis, si. La sanction immédiate, c’est le licenciement, même si aucune faiblesse ni aucune collusion n’ont pu être démontrées dans l’audit.

Nous contrôlons un tiers de nos associés chaque année – l’ensemble l’est donc tous les trois ans. Le Haut conseil, de son côté, effectue des contrôles sur la profession. Il a fait un contrôle de notre cabinet de février 2009 à juin 2010 : nous en attendons les conclusions.

Le code de déontologie traite également des relations de travail passées et futures avec un client d’audit, notamment en matière d’embauche d’un commissaire aux comptes par le client dont il a certifié les comptes ou, inversement, d’embauche par le cabinet d’un collaborateur de l’entité qui va être contrôlée.

Le texte est également très précis s’agissant des prestations incompatibles. Outre la séparation de l’audit et du conseil, il évoque la question de savoir si un commissaire aux comptes peut rendre d’autres prestations que celles prévues par les textes et qui visent à l’expression de son opinion sur les comptes. Le code distingue les prestations que le commissaire aux comptes peut rendre à l’entité de celles que les membres de son réseau – les actuaires, les avocats – peuvent rendre à la même entité. Il définit également les prestations qui peuvent être rendues par les membres du réseau à l’entité qui contrôle le client audité ou à celles dont ce client a le contrôle. En d’autres termes, même si nous ne sommes commissaires aux comptes ni de la « mère » ni de la « fille » – la filiale –, il existe des restrictions aux prestations que nous pouvons rendre à celles-ci.

Les règles d’indépendance couvrent donc les liens financiers, les liens personnels, les relations de travail passées ou futures et les prestations incompatibles.

Quant aux règles de la SEC américaine, elles reposent sur le principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, alors que les règles françaises reposent sur le principe contraire : tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Aux États-Unis, une dizaine de prestations sont interdites – toutes les autres sont donc autorisées. En France, au contraire, toutes les prestations que nous rendons doivent faire l’objet de normes d’exercice professionnel. Les philosophies des régulateurs sont donc totalement différentes et une entreprise internationale comme la nôtre se trouve ainsi soumise à des réglementations divergentes, ce qui n’est pas toujours facile à gérer.

Les conflits d’intérêts concernent des prestations qui, si nous les rendons à un client, nous mettent dans une situation conflictuelle avec un autre de nos clients. Il en serait ainsi si notre cabinet d’avocats était saisi par un client dans un contentieux qui l’oppose à un autre de nos clients. Votre notion du conflit d’intérêts est évidemment plus large et englobe la notion d’indépendance. Un dispositif nous permet d’identifier les situations susceptibles de créer des conflits d’intérêts avec nos clients.

En ce qui concerne les relations d’affaires, le code de déontologie autorise le cabinet à acheter des prestations à des clients – un loyer, un abonnement SNCF… – à partir du moment où ces prestations sont conclues à des conditions normales. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place des procédures systématiques d’appels d’offres. Nous devons veiller à la transparence dans le choix de nos fournisseurs.

Les relations d’affaires peuvent être directes et indirectes : ces dernières, qui font intervenir un tiers, sont difficiles à identifier. Certaines relations, à l’étranger surtout, ont soulevé des problèmes. Je prendrai pour exemple la conclusion d’un partenariat avec un professeur d’université qui se révèle être administrateur d’une entreprise dont notre cabinet certifie les comptes : le cabinet se trouve avoir une relation d’affaires directe avec le professeur et indirecte avec l’entreprise. Nous avons déjà été dans une telle situation et la SEC a considéré que nous avions violé les règles d’indépendance applicables à la profession. Dans la pratique, il n’est jamais facile d’identifier de telles situations. Pour pouvoir être pertinentes, les règles doivent être facilement applicables.

Quant à l’organisation dont nous nous sommes dotés pour assurer le respect de toutes ces règles, elle comprend une direction de la qualité et de la gestion des risques.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Vous ne confiez donc pas ce contrôle à une structure externe…

M. Jacques Fournier. Nous ne l’avons pas délégué à un prestataire de services car il relève de notre responsabilité : il y va de l’image d’Ernst & Young. Le responsable de cette direction est membre du board de l’organisation et je suis moi-même membre du comité exécutif d’Ernst & Young France. Cette organisation mondiale est déclinée dans chaque pays, dans chaque métier et dans chaque business unit.

Elle est destinée à édicter et traduire les règles, à y former les collaborateurs et à contrôler qu’elles sont bien respectées. La formation est essentielle. En outre, un code d’éthique interne, valant charte, est remis, sous forme d’opuscule, à tous nos collaborateurs. Il leur fournit des repères, notamment aux débutants qui y trouvent les principes de comportement gouvernant notre organisation.

L’organisation prévoit également la diffusion, notamment via l’intranet, de supports accessibles à tous. Nous avons fait des efforts de simplification de règles parfois complexes en éditant des fiches claires et attrayantes traitant de points précis. Enfin, je tiens à signaler l’existence d’infrastructures et d’outils adéquats ainsi que de process mondiaux. Je le répète : pour remédier à la difficulté qu’il y a à identifier la qualité d’un client, les 141 000 collaborateurs doivent avoir accès à une base de données permettant de le caractériser et de connaître les législations auxquelles il est soumis et les éventuelles restrictions qui lui sont applicables : c’est pourquoi les règles doivent êtres simples et pragmatiques.

Quant à l’organisation de l’entreprise, il lui appartient de proposer des référents accessibles aux collaborateurs, pour les aider à analyser leur situation et pour les conseiller afin de déterminer avec eux la meilleure réponse. Un dispositif de sanctions est également nécessaire. Le système doit à la fois prôner la discipline et être porteur de valeurs et d’exemples.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Vous êtes le déontologue du cabinet Ernst & Young France : vos collaborateurs peuvent-ils vous saisir directement s’ils ont une interrogation ?

M. Jacques Fournier. Bien évidemment. En France, une centaine de personnes travaillent, à temps partiel ou à temps plein, pour le cabinet, sur les questions d’indépendance et de qualité. Le principe, c’est la consultation. La mauvaise question est celle qui n’a jamais été posée.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Dès la première audition, M. Daniel Lebègue a proposé, pour l’Assemblée nationale, l’établissement d’une charte et le recours à un déontologue. Il convient évidemment de tenir compte de notre particularité : le député n’est pas membre d’un exécutif, il vote la loi, qui s’adresse à tous… Si le Bureau retenait ces deux propositions, tout député devrait pouvoir saisir un déontologue attaché à l’Assemblée.

M. Jacques Fournier. Outre l’organisation interne, que nos collaborateurs peuvent consulter pour obtenir des réponses immédiates à leurs questions, le code de déontologie prévoit explicitement que les commissaires aux comptes peuvent consulter la compagnie régionale des commissaires aux comptes, la compagnie nationale – je suis membre de la commission d’éthique professionnelle de celle-ci –, et le Haut conseil du commissariat aux comptes pour les questions les plus délicates.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. On doit donc prévoir, au-dessus du déontologue, une instance qui pourra être saisie en cas de nécessité : ce ne pourra être que le Bureau de l’Assemblée nationale, à même d’exercer une pression suffisante sur le député et qui conservera une trace de la décision prise.

M. Jacques Fournier. Il est en effet essentiel de conserver les traces de l’analyse ayant conduit à la décision, cette analyse pouvant évoluer avec le temps.

M. Christian Eckert. Qui a accès aux déclarations des collaborateurs sur les intérêts qu’ils possèdent dans telle ou telle entreprise ? Si la vie privée est respectée comme le veut la loi, n’en résulte-t-il pas un manque de transparence qui peut nuire à l’efficacité du système ?

M. Jacques Fournier. Les procédures que nous avons mises en place doivent en effet respecter, outre le droit du travail, le droit à la vie privée. La base que les associés et les collaborateurs doivent renseigner sur les titres qu’ils possèdent est strictement confidentielle : elle n’est accessible qu’à un nombre limité de collaborateurs qui dépendent de moi. De plus, les déclarations ne concernent que la détention de telle ou telle ligne de titres et non les quantités possédées : la confidentialité est donc respectée en matière de patrimoine et elle est garantie lors des contrôles que nous effectuons en fin d’année. Les relevés de titres que nos collaborateurs nous communiquent sont détruits après contrôle.

M. Christian Eckert. Lors de précédentes auditions, nous avons eu l’impression que, dans le cas des autorités indépendantes, comme l’Agence française de sécurité sanitaire et de produits de santé (AFSSAPS), ou de l’Assemblée nationale, il suffirait de s’en remettre à la publicité des intérêts et à la transparence pour assurer l’autorégulation. Chez Ernst & Young, en revanche, la transparence ne joue aucun rôle.

M. Jacques Fournier. Je le confirme : les déclarations d’intérêts de nos collaborateurs ne font l’objet d’aucune publicité. La plus stricte confidentialité est de règle. Nous respectons la vie privée de nos associés et collaborateurs. C’est la même chose dans les autres pays.

Ces déclarations sont en revanche accessibles à l’autorité de contrôle. Notre dispositif est contrôlé par le Haut conseil du commissariat aux comptes, auquel nous devons démontrer que nous avons mis en place des procédures robustes. Il a accès à la fois aux bases de données et à la documentation que nous avons conservée des contrôles effectués.

M. Christian Eckert. Quel est le rythme des contrôles de l’ensemble des collaborateurs ?

M. Jacques Fournier. C’est un point délicat. Il y a une différence entre l’associé et le collaborateur. Le contrôle tous les trois ans est obligatoire pour les associés, qui ont des obligations particulières. En revanche, nous demandons aux collaborateurs d’accepter le contrôle. Certains manifestent des réticences, ce qui nous conduit à faire preuve de pédagogie, notamment en rappelant les textes et en leur expliquant que ce contrôle vise à respecter les dispositions applicables à notre organisation et à notre métier. Il est vrai que nous imposons à nos collaborateurs des règles qui sont à la frontière de la vie privée. N’ayant aucun moyen de nous opposer à un refus, il nous faut trouver, lorsque le cas se présente, un terrain d’entente. Encore une fois, il faut faire preuve de pédagogie dans ces sujets qui touchent la vie privée.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Vous dites recourir à la pédagogie : n’est-ce pas une forme de pression ?

M. Jacques Fournier. À partir du moment où on accepte de faire un métier qui implique de prêter serment devant la cour d’appel, on doit s’attacher à respecter l’éthique et les règles professionnelles correspondantes. J’ai donc du mal à comprendre qu’on puisse refuser un contrôle, mais je n’ai aucun moyen, je le répète, de m’opposer à un tel refus.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Votre intervention nous a particulièrement intéressés, tant en raison de la distinction sémantique que vous avez opérée entre « indépendance » et « conflit d’intérêts » que de la gradation des dispositifs mis en place, du contrôle interne, effectué par le déontologue que vous êtes, au contrôle externe exercé par l’autorité supérieure. Cette gradation nous ouvre des pistes de réflexion intéressantes. Nous avons également compris que la prévention des conflits d’intérêts appelle des règles précises, simples et, de ce fait, susceptibles d’être facilement respectées.

M. Jacques Fournier. J’ai simplement voulu indiquer des points de repère mais les situations auxquelles vous êtes confrontés sont évidemment différentes.

Il faut avant tout rester pragmatique et mettre en place des procédures facilement applicables.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Je vous remercie, monsieur Fournier.

- Audition, ouverte à la presse, de MM. Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux, et Pierre Berger, président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Messieurs, je suis heureux de vous accueillir. Votre audition nous intéresse d’autant plus que nous comptons parmi nos collègues des avocats, qui relèvent de deux catégories.

Certains exerçaient cette profession avant d’être élus. C’est le cas de notre collègue Arlette Grosskost, co-rapporteure, qui, d’ailleurs, vous prie d’excuser son absence : pour éviter de se trouver dans une position qu’elle jugeait difficile, elle a préféré ne pas participer à cette audition quoiqu’elle ait cessé son activité professionnelle dès qu’elle a été élue. La deuxième catégorie compte les députés devenus avocats en cours de mandat.

À la différence de l’exercice des fonctions publiques, l’exercice d’une profession libérale est en effet compatible avec un mandat parlementaire. Toutefois, nous cherchons un moyen de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, sans pour autant établir un régime d’incompatibilité comparable à celui auxquels sont soumis les ministres ou les chefs d’exécutifs locaux – la rédaction de la loi étant par essence impersonnelle. C’est pourquoi nous souhaiterions connaître vos réflexions sur ce sujet d’intérêt mutuel, ainsi que le regard que vous portez sur notre fonction. Pensez-vous que nous devrions adopter une charte déontologique ? Quelles sont à cet égard les dispositions en vigueur dans votre profession ?

M. Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux. Étant président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux, c’est-à-dire de la commission de déontologie et d’éthique des avocats, M. Pierre Berger, qui m’accompagne, sera en mesure de préciser au besoin les règles déontologiques appliquées dans notre profession.

Comme toute notion abstraite, celle de conflit d’intérêts est susceptible de plusieurs acceptions. Pour notre profession, il y a conflit d’intérêts lorsqu’un avocat est chargé de défendre deux parties dont les intérêts sont divergents ou incompatibles. Notre déontologie dicte bien évidemment le comportement à adopter dans cette situation mais je ne crois pas que ce soit un cas de figure qui puisse vous concerner.

Il existe cependant d’autres dispositions qui sont de nature à vous intéresser davantage, dont celles, rattachées à la notion d’incompatibilité, destinées à protéger l’indépendance de l’avocat. Le respect du secret professionnel a également des incidences fortes ; l’interdiction d’utiliser des connaissances acquises grâce au contact noué avec un client dans un autre dossier impose notamment une compartimentation.

Voilà, très brièvement, dans quel cadre nous exerçons notre activité.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Pouvez-vous nous décrire les règles générales applicables à la profession d’avocat en matière de déontologie ? En particulier, existe-t-il un guide de déontologie ? Faites-vous une distinction dans l’application de ces règles entre l’avocat exerçant au contentieux et l’avocat assurant une fonction de conseil ?

Quel regard portez-vous sur l’application des règles d’incompatibilité applicables aux parlementaires, telles que les édicte le code électoral ? En particulier, la dérogation figurant à l’article L.O. 146-1, qui a pour effet de rendre compatible l’exercice du mandat parlementaire avec celui de la profession d’avocat, vous paraît-elle satisfaisante ?

L’article L.O. 149 du même code interdit cependant aux parlementaires exerçant la profession d’avocat d’accomplir certains actes, énumérés de façon limitative : interdiction de plaider contre l’État ou les collectivités publiques ; interdiction de plaider dans des affaires relatives à des crimes ou délits contre la nation, l’État ou la paix publique ; interdiction de plaider ou de consulter pour une société recevant des subventions ou assurant des prestations pour des collectivités publiques, dans le cas où le parlementaire n’était pas, avant son élection, conseil de cette société. Ces dispositions vous paraissent-elles suffisantes pour prévenir d’éventuels conflits d’intérêts ? Pourraient-elles être complétées ou simplifiées ? Aurait-on intérêt à distinguer plus précisément les actes relevant d’une activité de contentieux et ceux relevant d’une activité de conseil ?

Le décret du 27 novembre 1991 accorde aux personnes justifiant d’au moins huit ans d’expérience professionnelle dans le domaine juridique la possibilité d’accéder à la profession d’avocat. Que pensez-vous de cette dérogation à l’exigence d’être titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat ? Disposez-vous de statistiques sur cette pratique et, plus précisément, connaissez-vous le nombre de parlementaires bénéficiant de cette disposition ?

M. Thierry Wickers. En Angleterre, le code de déontologie de la Law Society comporte de 1 500 à 2 000 pages ; il s’agit d’un recueil de casuistique, dans la tradition anglo-saxonne de la common law et du collationnement des précédents. Or, dans le cadre d’une vaste réflexion sur la déontologie de la legal profession, les Anglais semblent vouloir se rapprocher du modèle continental, qui repose sur l’affirmation de quelques grands principes.

En France, ceux-ci ont été énoncés par la loi du 31 décembre 1971 ; ils sont déclinés dans le décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat, et dans celui du 12 juillet 2005, qui porte spécifiquement sur les règles de déontologie de la profession. En outre, le législateur a conféré au Conseil national des barreaux le pouvoir d’élaborer un règlement intérieur national. Cet ensemble réglementaire et législatif permet à la profession de disposer d’une déontologie unifiée sur le territoire national ; cette situation est relativement récente puisque, jusqu’à la loi de décembre 1990, il existait autant de règles professionnelles applicables que de barreaux – soit 181.

Les principes essentiels de la profession, énoncés par les articles 1 à 5 du décret de 2005 et du règlement intérieur national, « guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances » : de ce point de vue, il n’existe pas de distinction entre les activités de contentieux et celles de conseil. L’article 1er du règlement intérieur fait mention du principe d’indépendance ; l’article 2 précise les règles relatives au secret professionnel, l’article 3 celles qui concernent la confidentialité des correspondances ; l’article 4 aborde la question des conflits d’intérêts et l’article 5 rappelle au respect du principe du contradictoire. Les autres dispositions n’ont pas le même caractère fondamental ; ainsi l’article 10 traite de la publicité.

S’agissant des conflits d’intérêts, l’avocat doit, je l’ai dit, éviter de se trouver placé dans une situation où les missions qui lui ont été conférées risquent de ne pas être compatibles entre elles. Il existe en outre des règles d’incompatibilité garantissant son indépendance.

Toutes ces règles s’appliquent non seulement à l’avocat, mais à la structure au sein de laquelle il exerce : on ne peut pas les contourner en transmettant le dossier à un associé ou à un collaborateur. Si un avocat se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, l’ensemble du cabinet doit se déporter. De même, les règles d’indépendance s’appliquent à l’échelle de la structure, quelle que soit sa taille. C’est pourquoi les grandes structures nationales ou internationales ont mis en place des systèmes de surveillance du conflit d’intérêts.

Par ailleurs, notre règlement intérieur national comprend des dispositions spécifiques à certaines matières, comme la rédaction d’actes ou la fiducie.

M. Pierre Berger, président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux. S’agissant du conflit d’intérêts, si le principe est le même pour le contentieux et le conseil, les pratiques peuvent différer. Il existe en effet en France une disposition originale en Europe, qui permet à un avocat de se maintenir dans une situation de conflit d’intérêts s’il estime qu’il peut se maintenir et s’il a l’accord de ses clients. Dans les activités de contentieux, cette hypothèse est purement théorique – sauf pour certains contentieux marginaux comme les divorces par consentement mutuel. En revanche, pour une négociation ou une rédaction d’actes, cela peut se concevoir dès lors que l’indépendance de l’avocat apparaît garantie à chacune des parties. Le principe est le même mais les déclinaisons pratiques de ce principe se distinguent.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. On est loin des séparations fonctionnelles rigoureuses en usage par exemple dans des cabinets comme chez Ernst & Young.

M. Pierre Berger. Les deux situations ne sont pas comparables. Lorsqu’il s’agit d’un réseau pluridisciplinaire coordonnant l’activité d’avocat avec celle d’audit, il est indispensable de séparer les deux fonctions : la loi sur la sécurité financière l’impose. La licence que j’évoque ne concerne que les cabinets d’avocats stricto sensu.

Dans les grandes structures, il existe des procédures destinées à éviter en amont tout risque de conflit d’intérêts. Au reste, si une telle situation se présentait, elle serait immédiatement repérée, puisque les parties se proposant par exemple de contracter arriveraient avec le même papier à en-tête ! La question est plus délicate dans d’autres types de structures, lorsqu’il existe des accords de réseau peu transparents ; le conflit d’intérêts peut alors devenir toxique.

Le conflit d’intérêts, lorsqu’il est apparent, se règle naturellement, soit par le déport, soit en considérant que le professionnel qu’est l’avocat est capable de faire face à la situation.

Dans tous les cas, la règle d’or, c’est la transparence : il faut savoir à qui l’on a affaire et quelle est la qualité du professionnel.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. L’information est en effet primordiale pour assurer la transparence ; dès lors, il est possible d’identifier les intérêts en jeu.

M. Pierre Berger. Quand on identifie un problème on peut le résoudre.

M. Thierry Wickers. Quant au dispositif actuel du code électoral relatif aux incompatibilités, il nous paraît extrêmement complet – et même plutôt contraignant pour la profession d’avocat. Nous le jugeons donc satisfaisant. En tout cas, on ne nous a pas fait part de difficultés particulières.

Le point de départ est l’interdiction faite au député, par l’article L.O. 146-1, « de commencer à exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat », sauf s’il est membre d’une profession libérale réglementée, donc dotée d’une déontologie.

L’article L.O. 149 interdit ensuite à l’avocat parlementaire d’accomplir aucun acte de sa profession – c’est-à-dire ni conseil, ni défense – dans certaines affaires pénales. Surtout, il lui interdit de conseiller et de plaider contre l’État, les sociétés nationales, les établissements publics et un certain nombre d’entreprises, sauf s’il s’agit d’accidents de la circulation. Ainsi, un député qui serait avocat fiscaliste ne pourrait pas plaider contre l’État. Autrement dit, le domaine fiscal lui est interdit car en général c’est contre l’État qu’on plaide.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Dans l’article figure aussi l’interdiction de plaider contre les collectivités publiques, y compris locales. Est-elle respectée ?

M. Pierre Berger. En l’occurrence, pour ce qui est de l’application des textes que nous citons ici, il ne s’agit plus de conflit d’intérêts au sens où l’entend la profession – dans lequel la notion ne s’applique qu’à une seule et même affaire –, mais d’indépendance et de délicatesse : on n’a pas le droit de plaider contre un ancien client, sur lequel on est susceptible de détenir des informations particulières. Un député étant aussi le représentant de l’État, il représente par extension l’autorité publique ; c’est ce qui justifie ces dispositions, qui vont au-delà de ce que prévoit notre réglementation stricto sensu.

M. Christian Eckert. Vous avez dit tout à l’heure que les règles s’appliquaient à la structure comme à la personne. Une structure qui compterait un député parmi ses associés ou ses collaborateurs est-elle sujette aux mêmes interdictions ?

M. Pierre Berger. Sur ce point, les dispositions sont parfaitement claires. Une structure d’exercice, comme une société civile professionnelle (SCP) ou une société d’exercice libéral (SEL), exerce elle-même la profession par l’intermédiaire de ses membres. Les règles du conflit d’intérêts et du secret professionnel s’appliquent donc à la fois à la structure et à ses membres.

Dans le cas de structures de moyens ou de réseaux pluridisciplinaires, il ne s’agit pas de structures d’exercice, mais de modes de coopération. Tout dépend alors de leur degré d’intégration – sous réserve de l’interdiction absolue de mêler conseil et contrôle, qui découle de la loi sur la sécurité financière et est rappelée par l’article 16 de notre règlement intérieur national.

M. Thierry Wickers. Par exemple, mon cabinet est agrégé du Trésor public donc aucun des membres de mon cabinet ne peut plaider contre l’État parce que l’un des associés plaide pour l’État.

M. Christian Eckert. C’est un point important. Par conséquent, si une SCP compte parmi ses membres un député, elle ne peut pas plaider contre l’État ?

M. Thierry Wickers. En effet. Aucun doute là-dessus.

M. Richard Mallié. Même contre le Trésor ?

M. Thierry Wickers. Le Trésor, c’est l’État : on ne peut pas faire de distinction de ce type !

M. Pierre Berger. Il existe le même genre d’incompatibilité d’exercice pour les anciens fonctionnaires des impôts qui, grâce à la « passerelle », sont devenus avocats. Sur certaines missions ils doivent, pendant un certain temps, s’abstenir d’agir contre l’administration fiscale.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Pourtant, l’article L.O. 149 ne concerne pas la profession en tant que telle. Il est assez courant aujourd’hui qu’un député devienne avocat et rejoigne une structure importante. Doit-on déduire de vos propos que l’intégralité des deux cents ou trois cents collaborateurs de la SCP concernée ne pourront plus plaider contre l’État, même dans des contentieux fiscaux ?

M. Thierry Wickers. Absolument.

M. Christian Eckert. Existe-t-il un contrôle ?

M. Thierry Wickers. Le premier contrôle est de la responsabilité du professionnel lui-même : ce qui est en jeu, c’est sa faculté à exercer la profession. Il existe ensuite un contrôle du Conseil de l’Ordre, dans la mesure où il s’agit de règles disciplinaires ; ce contrôle est exercé par le bâtonnier et par le procureur général, qui est une autorité de poursuite. Enfin, le dernier contrôle est exercé par le client, qui ne manquerait pas de signaler un éventuel problème. Est-ce que vous imaginez dans un contentieux fiscal que le Trésor ne va pas lever les yeux au ciel s’il voit arriver un des associés de son propre avocat plaider contre lui ? Les clients savent aussi « faire le ménage ».

Il est donc peu probable qu’un cabinet de deux cents personnes réalisant 25 % de son chiffre d’affaires dans le domaine fiscal fasse appel à un avocat parlementaire qui leur apportera l’interdiction de plaider contre l’État. Mais vous avez aussi des cabinets qui ne plaident jamais contre l’État.

M. Christian Eckert. Si je ne m’abuse, les ministres en exercice ont l’obligation de se démettre du barreau. Toutefois, ont-ils le droit de conserver des parts de SCP ? Plus précisément, le Conseil national des barreaux a-t-il examiné le cas particulier d’une personnalité qui a été appelée à de hautes fonctions exécutives à la tête de l’État, et qui détenait des parts dans un grand cabinet d’avocats ? Savez-vous s’il les a conservées, louées ou vendues ?

M. Thierry Wickers. Cette question ne relève pas des compétences du Conseil national des barreaux, puisqu’en ce domaine, le législateur n’a donné des pouvoirs qu’aux ordres. Dans les Hauts-de-Seine, le barreau, indépendant, rend ses décisions en fonction des règles applicables, et il a l’obligation de les notifier au procureur général. À ma connaissance, jamais aucun recours n’a été formé – ce qui n’aurait manqué de se produire en cas de situation illégale. Il n’y a pas plus sûr que le mécanisme actuel, placé directement sous le contrôle du procureur général.

M. Richard Mallié. De surcroît, un magistrat siège dans les instances disciplinaires.

M. Thierry Wickers. En appel seulement. Nous sommes compétents au premier degré. En revanche, la cour d’appel de l’ordre judiciaire, dans sa totalité, est saisie des recours formés contre les décisions du conseil de discipline.

M. Pierre Berger. Pour revenir à l’incompatibilité en matière fiscale, on peut peut-être regretter que le texte soit si large. L’administration fiscale est plus concrète et plus réaliste : pour ses anciens fonctionnaires, les régimes d’incompatibilité sont moins contraignants et sont notamment limités dans le temps ; ils visent simplement à éviter qu’un ancien fonctionnaire des impôts ait à traiter, en tant que conseil, d’affaires dont il aurait eu à connaître, ou ait à agir dans un ressort qu’il aurait contrôlé.

Il n’existe aucune incompatibilité entre la fonction d’avocat et la fonction parlementaire, et c’est pourquoi l’inscription d’un parlementaire au tableau de l’ordre des avocats ne fait pas problème dès lors que les conditions en sont remplies. En revanche, son activité est soumise à un contrôle déontologique, qui relève du barreau.

M. Thierry Wickers. Parmi les plus importantes dispositions de l’article L.O. 149 figurent les restrictions relatives à l’acceptation de nouveaux clients : il est interdit à un avocat parlementaire de plaider ou de consulter pour le compte de certaines sociétés si elles ne faisaient pas partie de ses clients avant son élection. Le renvoi aux articles L.O. 145 et L.O. 146 couvre un champ extrêmement large : sont notamment concernées les sociétés qui font publiquement appel à l’épargne, celles qui passent des marchés avec l’État et celles qui ont des activités immobilières. Le dispositif, extrêmement complet, vise à éviter qu’un député devenu avocat soit employé, non pour ses qualités professionnelles, mais en raison de ses fonctions parlementaires et de sa capacité à ouvrir certaines portes. Toute situation comportant un tel risque est interdite. Aucune autre profession n’est soumise à un régime aussi strict.

M. Pierre Berger. Il s’agit en effet d’une extension par rapport à nos principes. Précisons toutefois qu’en matière fiscale, les incompatibilités énoncées par l’article L.O. 149 ne s’appliquent qu’au domaine pénal.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Cela veut-il dire hors contentieux civil ?

M. Thierry Wickers. L’article L.O. 149 associe trois dispositifs, dont le premier est en effet strictement pénal. En revanche, il interdit aussi de plaider ou de conseiller, en général, dans toutes les activités, contre l’État, les sociétés nationales, les collectivités ou les établissements publics. Il renvoie en outre à la liste des incompatibilités mentionnée par l’article L.O. 146, qui concerne à la fois le pénal et le civil pour ce qui est de l’interdiction de plaider ou de consulter pour un nouveau client, car alors le parlementaire pourrait être recherché non pas pour ses qualités d’avocat mais pour ses qualités – soyons clair – à ouvrir un certain nombre de portes. Il s’agit donc d’un champ d’interdiction extrêmement vaste. Le dispositif est assez impressionnant.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Dans ce contexte, on se demande quel peut être l’intérêt pour un cabinet de recruter un avocat parlementaire : la présence d’un député qui, n’étant pas avocat, l’est devenu en cours de mandat limiterait considérablement, par contagion, sa clientèle potentielle. Il pénalise le cabinet qu’il rejoint. L’application de ces dispositions est-elle bien contrôlée ?

M. Thierry Wickers. On peut en tout cas se demander si le dispositif est bien compris par les parlementaires qui deviennent avocats. Quoi qu’il en soit, il me semble tout à fait pertinent, et conçu pour répondre aux préoccupations qui ont justifié la création de votre groupe de travail.

M. Pierre Berger. Il va même au-delà de ce que notre profession, par sa déontologie, pourrait garantir.

M. Thierry Wickers. S’agissant de la « passerelle », les articles 97 et 98 du décret du 27 novembre 1991 prévoient soit des dispenses de la formation théorique et pratique, soit même des dispenses de l’intégralité des conditions – hormis celles de diplôme –, pour accéder à la profession d’avocat, sous condition d’une certaine expérience professionnelle.

Sur le plan des principes, l’existence, à côté de la voie générale, d’une voie dérogatoire ouverte à des personnes qui, après une première expérience professionnelle, décident à quarante ou cinquante ans de changer de parcours, nous paraît à la fois légitime – nous ne vivons pas dans une société où la voie choisie à vingt-quatre ans est obligatoirement définitive – et enrichissante pour la profession. Nous y sommes donc plutôt favorables.

Cela étant, nous ne disposons d’aucune statistique sur le sujet, car l’inscription au tableau relève de la compétence de chaque barreau. L’indépendance des ordres est telle qu’un candidat qui a été refusé quelque part peut déposer un dossier ailleurs ! Peut-être y a-t-il là matière à réflexion : le Conseil national des barreaux pourrait, sous réserve d’une adaptation des règles professionnelles, constituer un fichier national – ce qui permettrait de répondre à vos deux dernières questions. Pour l’heure, nous ne sommes pas en mesure de le faire.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. On ne va quand même pas s’attaquer à l’indépendance des barreaux.

M. Thierry Wickers. Constituer un fichier national n’y porterait pas atteinte, car elle est fondée sur la tenue du tableau.

Par ailleurs, toutes les décisions des barreaux sont soumises au contrôle du procureur général. Si une demande d’inscription était refusée alors que la personne remplissait les conditions énoncées à l’article 98, un recours serait formé soit par la personne concernée, soit par le procureur général, et la cour d’appel statuerait. Si, à l’inverse, un conseil de l’ordre décidait d’inscrire une personne ne satisfaisant pas à ces conditions, le procureur général en serait avisé, puisque toutes les décisions lui sont notifiées. Le dispositif actuel permet donc de contrôler la légalité des décisions prises, de sorte qu’il serait fallacieux de prétendre que quelqu’un a été inscrit sur sa bonne mine plutôt que sur ses diplômes – à moins de suggérer que le procureur général ne ferait pas correctement son travail.

M. Pierre Berger. D’autant que l’intégration ne concerne que des personnes disposant d’une formation juridique préalable – la possession d’une maîtrise en droit est une condition impérative – et pouvant faire la preuve qu’elles ont exercé une activité juridique dans des conditions où leur indépendance et leur autorité dans leur fonction de dire le droit furent vérifiables.

Une réflexion est actuellement en cours au Conseil national des barreaux pour déterminer si le candidat ne doit pas en outre subir un contrôle de déontologie au moment d’intégrer la profession, car on peut être un bon juriste sans connaître les règles déontologiques propres aux avocats. Bien évidemment, cette exigence ne concernerait pas les seuls parlementaires, mais tous les bénéficiaires de la passerelle.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Soyons clairs : nous ne mettons pas en cause l’existence de la passerelle ; d’ailleurs, il en existe également une pour entrer à l’École nationale de la magistrature et à l’École nationale d’administration. En revanche, il convient de respecter la déontologie de la profession et de connaître ses règles d’exercice. Votre explicitation de l’article L.O. 149 nous conduit à nous interroger sur la démarche de certains collègues !

M. Thierry Wickers. Comme l’a indiqué Pierre Berger, nous avons engagé une réflexion sur ce thème. Nous serons probablement amenés à demander une modification de l’article 98 du décret de 1991 afin que l’intégration par la passerelle donne lieu à un contrôle des connaissances déontologiques. L’exercice d’une profession suppose en effet, outre la détention de savoirs spécifiques, l’adhésion à une culture et à une éthique professionnelles. Ce contrôle serait l’occasion de rappeler les incompatibilités en vigueur.

Si vous le permettez, nous voudrions appeler votre attention sur un dernier point : la pratique du lobbying. Celle-ci n’est pas interdite à notre profession, puisqu’il s’agit de l’exercice d’un mandat, mais le sujet est sensible. Depuis mai 2008, la Commission européenne a ouvert un registre des représentants d’intérêts. Selon nous, cette pratique est parfaitement compatible avec l’exercice de la profession d’avocat.

M. Pierre Berger. Elle nous semble même être dans le droit fil de la mission d’avocat, qui consiste à conseiller et défendre un client et, en particulier, à parler en son nom. Il nous arrive ainsi d’être mandataires en transactions immobilières !

Le lobbying est une activité de mandat qui, si l’on veut éviter tout conflit d’intérêts, doit être pratiquée en toute transparence. C’est pourquoi nous ne sommes pas opposés à ce qu’un avocat soit lobbyiste, c’est-à-dire mandaté par un client pour porter sa parole et défendre ses intérêts, dès lors que cette activité n’est pas dissimulée. Son inscription sur un registre spécial à Bruxelles ne fait pas problème : elle ne porte pas atteinte au secret professionnel, puisque l’activité de lobbyiste est, par hypothèse, tournée vers l’extérieur. En revanche, si un avocat se trouve dans cette position, il faut qu’on le sache et qu’on connaisse les intérêts qu’il défend.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Un tel registre doit donc mentionner le nom de l’avocat, celui de la SCP dont il relève et celui du client pour lequel il travaille.

M. Pierre Berger. En effet.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Dans le même ordre d’idées, vous semblerait-il contraire au secret professionnel d’obliger les parlementaires à déclarer leurs intérêts, en l’occurrence professionnels, dans la mesure où vous n’avez pas le droit de divulguer la liste de vos clients ? Comment peut-on concilier les impératifs de transparence nécessaires à la prévention des conflits d’intérêts avec les obligations de confidentialité inhérentes à la profession d’avocat ?

M. Pierre Berger. Lorsqu’on est mandaté par un client pour le défendre devant un tribunal ou, dans le cadre d’une activité de lobbying, pour défendre ses intérêts auprès d’une institution, son identité ne relève pas du secret professionnel, puisque notre mission est précisément de parler en son nom. En revanche, le patrimoine d’un cabinet, notamment sa clientèle, est confidentiel. Nul ne peut obliger un avocat à livrer son carnet d’adresses, qui est couvert par le secret professionnel.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Prenons l’hypothèse où l’on créerait au sein de l’Assemblée nationale une fonction de déontologue – qui pourrait être confiée, comme le suggérait Daniel Lebègue, à un haut magistrat à la retraite – et où l’on demanderait aux députés avocats de déclarer annuellement auprès de lui l’ensemble de leurs clients ; cette liste ne serait pas rendue publique et seul le déontologue, tenu au secret, en aurait connaissance. Serait-ce quand même une atteinte au secret professionnel ?

Pour être plus précis, nous envisageons de prévenir les conflits d’intérêts grâce à un mécanisme de déport, inscrit dans notre Règlement et visant à empêcher qu’un avocat comptant parmi ses clients une entreprise concernée par un projet de loi donné ne soit rapporteur du texte – tout en lui laissant le droit de participer au vote. Il va de soi que les informations recueillies ne seraient pas rendues publiques, ni même discutées au bureau de l’Assemblée. Serait-ce compatible avec le respect du secret professionnel ?

M. Pierre Berger. Comme l’a souligné le président Wickers, notre profession a choisi d’affirmer des principes plutôt que de prendre position par rapport aux circonstances particulières. En effet, en croyant régler un problème précis, on en crée souvent de nouveaux.

L’article 16 de notre règlement intérieur vous apporte quelques éléments de réponse : il rappelle l’exigence pour le cabinet qui participe à un réseau pluridisciplinaire de s’assurer que le fonctionnement de ce réseau ne porte pas atteinte à l’indépendance de l’avocat, ni au secret professionnel. En l’espèce, s’agissant de l’indépendance, il s’agirait de vérifier que l’organisation retenue permet bien de conserver la maîtrise de la fonction de parlementaire ou d’avocat. Autre chose est le respect du secret professionnel, qui nous interdit de mettre les noms de nos clients sur la place publique, de sorte qu’il reviendrait aux intéressés eux-mêmes d’apprécier s’ils se trouvent ou non dans une situation de conflit d’intérêts.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Supposons alors qu’un député avocat renonce de lui-même à rapporter un texte de loi au motif qu’il s’occupe professionnellement du secteur d’activité concerné : cette attitude serait-elle compatible avec le respect de ce secret professionnel ? Ne serait-ce pas déjà un pas vers la divulgation de la liste de ses clients ?

M. Pierre Berger. Il est difficile de répondre à cette question.

M. Thierry Wickers. Le problème ne concerne pas les seuls avocats ! Si l’on suit cette logique, comment un député fonctionnaire pourrait-il voter le budget de l’État, qui fixe la rémunération des fonctionnaires ?

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Le mandat de député est incompatible avec le statut de fonctionnaire ; mais vous avez raison, un problème similaire se pose pour les médecins lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; toutefois, aucune règle n’empêche un médecin de se présenter comme tel.

M. Pierre Berger. L’avocat n’a pas le droit de divulguer la liste de ses clients, mais il peut, selon nos règles de publicité, afficher une expertise dans certains domaines. À ce titre, il peut faire valoir la nécessité de se déporter.

Cela étant, le raisonnement inverse est possible : on peut vouloir mettre à profit pour son activité de législateur la connaissance intime que l’on a d’une activité ou d’un marché – sous réserve qu’on le fasse en toute transparence.

M. Thierry Wickers. Il serait en effet dommage que le parlementaire avocat ne puisse pas s’exprimer dans ses domaines de compétence !

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Pour résumer, la prévention du conflit d’intérêts repose d’abord sur l’information et sur la transparence ; chacun adopte ensuite l’attitude qu’il veut. L’essentiel est de savoir d’où l’on parle.

M. Pierre Berger. Et en quelle qualité.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Une approche négative n’est en effet pas indispensable, dès lors que l’on sait qui est qui.

M. Thierry Wickers. C’est pourquoi l’exemple du lobbying nous paraît particulièrement pertinent.

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Pour en revenir au déontologue, confirmez-vous que le fait de lui transmettre une liste nominale des clients – qui ne serait pas rendue publique – serait incompatible avec le respect du secret professionnel ?

M. Thierry Wickers. Si une entreprise confie à un avocat la mission de la représenter à l’extérieur, rien n’interdit de faire figurer son nom sur un registre. En revanche, si la même société lui demande de défendre ses intérêts parce que, par exemple, elle a pollué une rivière, cette information relève du secret professionnel. Il me paraît plus pertinent de mettre en avant la nature de l’activité de l’avocat – plutôt que le secteur, d’ailleurs.

M. Pierre Berger. On peut également demander des déclarations d’indépendance. Mais le secret partagé, en dehors d’un cabinet, cela n’existe pas !

M. Jean-Pierre Balligand, co-rapporteur. Messieurs, je vous remercie pour ces précisions.

La séance est levée à 11 heures 25.