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M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous sommes heureux d’accueillir M. Stéphane Romatet, directeur général de l'administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes, M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, M. Etienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’action sociale à la direction des Français de l’étranger, et Mme Marie-Hélène Lamy.
Je rappelle que la MEC s’appuie sur le travail de ses trois rapporteurs : M. Hervé Féron, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, M. André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères, ainsi que votre serviteur. Trois membres de la Cour des Comptes participent également à nos travaux : MM. Jean-François Bernicot, conseiller-maître, président de section à la 4ème chambre, René André, conseiller-maître en service extraordinaire, et Joël Montarnal, conseiller référendaire.
Pouvez-vous commencer par faire un point sur la situation financière de l’enseignement français à l’étranger ? M. Aubin de la Messuzière, président de la Mission laïque française, que nous venons d’auditionner, nous a fait part de ses inquiétudes en la matière et nous a indiqué que nous n’étions plus dans une phase de développement, mais de préservation du réseau. Qu’en est-il selon vous ?
M. Stéphane Romatet, directeur général de l'administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes. Nous sommes très heureux que la MEC fasse porter ses travaux sur l’enseignement français à l’étranger qui constitue une politique publique très importante pour le ministère des Affaires étrangères et européennes.
Nous allons fêter en 2010 le vingtième anniversaire de la création de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. Depuis qu’elle a été créée, par la loi du 6 juillet 1990, l’Agence a très bien rempli sa mission d’accueil des élèves français scolarisés à l’étranger et sa mission d’influence par le biais de la formation des élites étrangères. Au terme de ses vingt ans d’existence, la politique publique d’enseignement français à l’étranger est aujourd’hui à la croisée des chemins, et la puissance publique va devoir se prononcer sur un certain nombre d’évolutions. À mon sens, trois questions majeures se posent.
La première question est de savoir comment nous allons faire face à la demande croissante de scolarisation d’élèves, aussi bien Français qu’étrangers. La qualité de l’enseignement délivré est en effet reconnue. Dans le contexte actuel des finances publiques, apporterons-nous à cette demande une réponse publique par un renforcement des capacités d’accueil du réseau de l’AEFE, ou bien y répondrons-nous par la définition de nouvelles modalités d’accueil dépendant moins directement de l’État ?
Une seconde question concerne le partage de l’effort, aujourd’hui pour les deux tiers à la charge des familles et pour un tiers à la charge de l’État. Cette répartition est-elle optimale ? Où placer le curseur entre les contributions demandées aux familles et le financement apporté par l’Etat compte tenu de la situation prévisible des finances publiques dans les années à venir ? Question connexe : de quel accompagnement peut-on faire bénéficier les familles en difficulté sociale, sous forme de bourses ou d’une prise en charge de la scolarité par l’État ?
Tout aussi importante pour l’Agence et pour les autres opérateurs, tels que la Mission laïque française et l’Alliance israélite universelle, est la question des investissements de l’État. Quel effort l’Agence et l’État sont-ils prêts à consentir en la matière ? Pour des raisons essentiellement budgétaires, l’État propriétaire a mal assumé ses obligations d’entretien du parc scolaire, en pleine expansion au cours des dernières années. Comment allons-nous respecter nos obligations en matière de sûreté et de sécurité des installations et quel type d’investissements immobiliers sommes-nous en mesure de consacrer à l’entretien de ce patrimoine ?
Sur ces différents sujets, le travail de la MEC arrive à point nommé. Il devrait nous éclairer sur les choix qui nous attendent.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le président Georges Tron va certainement regretter d’avoir dû nous quitter : chacun sait qu’il porte un intérêt particulier aux questions immobilières.
Vous avez indiqué que l’État avait mal assumé ses responsabilités. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la situation actuelle et sur les défis qu’il faudra relever dans les années à venir ?
M. Stéphane Romatet. Il faudra tout d’abord se demander qui assume la responsabilité politique, financière et technique de l’entretien du parc scolaire à l’étranger : est-ce le rôle de l’opérateur ou bien celui de l’État ? La diversité du réseau scolaire à l’étranger rend cette question particulièrement complexe, l’État ayant une responsabilité beaucoup plus immédiate pour les établissements en gestion directe que pour le réseau des établissements conventionnés ou homologués.
Il faut également s’interroger sur notre effort financier. On constate aujourd’hui un retard préoccupant dans l’entretien du parc : selon les évaluations réalisées en liaison avec l’Agence, 30 millions d’euros seraient nécessaires pour remplir nos obligations. Un tel coût correspond aux travaux urgents à réaliser en matière de maintenance, d’entretien et de mise aux normes du parc actuel, c’est-à-dire sans prise en compte de son éventuelle extension.
Depuis 2006, le choix a été fait de transférer la responsabilité immobilière d’un certain nombre de lycées en gestion directe à l’Agence. Une dizaine d’établissements ont ainsi été transférés par arrêté conjoint du ministre des Affaires étrangères et européennes et du ministre chargé du domaine. Ce transfert ayant eu lieu sans transfert de ressources, l’AEFE a dû demander une contribution aux familles pour honorer ses responsabilités. Nous sommes convenus avec elle qu’il fallait arrêter ce processus de dévolution immobilière en l’absence de réponse à ces deux questions : qui paie et quel effort réalisons-nous ?
Dans la situation actuelle, l’Agence n’est pas en mesure de réaliser cet effort de 30 millions d’euros à moins de faire davantage appel aux contributions des familles. Nous avons apporté une première réponse dans la loi de finances pour 2009 en augmentant légèrement la subvention pour charges de service public, inscrite au programme 185 Rayonnement culturel et scientifique de la mission Action extérieure de l’État. Cet effort, poursuivi en 2010, permet d’aider l’AEFE à faire face à ses responsabilités immobilières. Toutefois, il reste limité eu égard aux financements nécessaires et devra être poursuivi dans les années à venir si nous voulons que le réseau scolaire à l’étranger soit en mesure d’accueillir convenablement les élèves.
M. Hervé Féron, Rapporteur. D’après les informations dont nous disposons, j’ai le sentiment que la somme de 30 millions d’euros est quelque peu sous-évaluée. En outre, ce n’est pas le seul problème financier auquel l’Agence doit faire face : le dispositif de prise en charge, ou « gratuité », n’a pas que des conséquences sur la fréquentation des établissements, mais aussi sur la charge budgétaire. On peut également se demander pourquoi la compensation de la part patronale des pensions n’est pas intégrale, comme c’est le cas pour les autres établissements publics.
La solution consistant à demander une contribution aux établissements est assez mal perçue, et elle ne suffira probablement pas. D’où la nécessité de nous interroger sur nos objectifs ainsi que sur les moyens alloués à l’AEFE. En effet, il y a aujourd’hui un décalage entre les ressources attribuées à l’Agence et les objectifs fixés par le Président de la République. Nous subissons le poids du passé, comme le montre le manque d’entretien du patrimoine immobilier.
M. Stéphane Romatet. À mon sens, les questions budgétaires qui se posent à l’Agence sont de quatre ordres. Il y a lieu, tout d’abord, de s’interroger sur la capacité de l’Agence, et plus généralement du budget de l’Etat, à assumer le coût de la prise en charge, aujourd’hui mise en œuvre de la terminale jusqu’à la seconde : à la rentrée 2010, irons-nous au-delà, compte tenu du coût très important et croissant que cela représente pour le budget ? Il s’agit d’un choix de nature politique, qui influera sur le budget du ministère pour les années à venir. Deuxième question, du fait de son autonomie budgétaire, l’AEFE doit assurer les charges patronales. Jusqu’en 2008, cette dépense était prise en charge par l’Etat pour les personnels détachés auprès de l’Agence. Dans un but de transparence des coûts, il paraît de bonne politique qu’elle soit désormais assumée par l’opérateur. Reste à savoir si le transfert budgétaire correspondant à cette évolution est convenablement calibré, c’est-à-dire neutre pour l’Agence. Le montant de 120 millions d’euros qui a été transféré en loi de finances pour 2009 et consolidé pour 2010, est aujourd’hui suffisant à taux de charges patronales constant, mais l’Agence serait en difficulté financière si ce taux devait évoluer.
Je ne reviens pas sur les problèmes de nature immobilière que j’ai évoqués. Ils constituent la troisième hypothèque financière.
Quatrième point, une autre inquiétude porte sur le niveau dangereusement fragile du fonds de roulement de l’Agence, inférieur à deux semaines de fonctionnement. L’AEFE étant le premier établissement public administratif de l’État par la masse des personnels gérés, son fonds de roulement devrait être calibré de façon à lui garantir une certaine sécurité de fonctionnement. À cet égard, nous avons atteint une limite qu’il ne serait pas prudent de dépasser.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Si le fonds de roulement est si bas, n’est-ce pas parce qu’il a fallu le ponctionner au cours de l’exercice précédent pour les différentes raisons que vous venez d’expliquer ?
M. Stéphane Romatet. C’est tout à fait exact.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il semble qu’il y ait un écart croissant entre le coût compensé des charges patronales – 120 millions d’euros – et leur coût réel à taux constant – 126 ou 128 millions cette année, en augmentation pour 2011. Le problème ne devrait que s’aggraver à l’avenir.
M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire. J’évoquerai, pour ma part, les aides à la scolarité. Les chiffres que je vais mentionner sont détaillés dans le dossier que nous remettons à la mission.
La réforme de la prise en charge des frais de scolarité, la PEC, qui a été engagée dès 2007, a d’abord concerné les classes de terminale, puis les classes de première à la rentrée 2008-2009 et les classes de seconde à la rentrée 2009-2010. Elle s’est accompagnée d’un abondement de l’action 2 du programme 151 « Français à l'étranger et étrangers en France » d’environ 20 millions d’euros supplémentaires par an, soit un total de 66 millions d’euros en 2008, de 86 millions en 2009, de 105,48 millions en 2010, et probablement de 126,9 millions d’euros l’année prochaine.
Cet effort sans précédent a permis de porter à 29 000 le nombre d’élèves bénéficiant d’une aide à la scolarité – 9 000 au titre de la PEC et 20 300 au titre des bourses scolaires – sur les 105 000 élèves français scolarisés dans le réseau de l’AEFE.
Le bénéfice de la PEC est aujourd’hui limité au second cycle de l’enseignement secondaire et l’article 133 de la loi de finances pour 2009 conditionne son extension à la réalisation d’un bilan d’étape. Comme Stéphane Romatet l’a indiqué tout à l’heure, nous sommes à la croisée des chemins et les conclusions de la MEC devraient être très utiles.
Je souhaiterais rappeler qu’il y a un délai entre la prise de décision et son impact budgétaire : la distance entre le Titanic et l’iceberg n’est pas négligeable… Nous devons impérativement en tenir compte, car, en cas de sous-évaluation, la seule solution est le recours à une procédure de régulation brutale.
Je rappelle également que la réforme de la PEC a été réalisée dans un contexte de forte augmentation des coûts : même en l’absence d’évolution du dispositif, nous constatons aujourd’hui une dynamique à la hausse, aussi bien de la prise en charge que des bourses.
Bien que la proportion d’élèves étrangers reste stable, on constate un effet d’éviction, notamment dans le bassin méditerranéen. Un désengagement des entrepreneurs individuels commence, par ailleurs, à se produire. Les sièges des grandes multinationales n’ont pas encore donné d’instructions, mais on relève de plus en plus de décisions prises localement par les filiales.
Au terme d’une assez large concertation, un premier train de mesures de régulation a été décidé en 2009, avec effet en 2010, dans le but de contenir la progression des dépenses : sauf cas de force majeure, les dossiers déposés hors délai sont désormais irrecevables ; la part du revenu disponible des familles affectée aux frais de scolarité, le « coefficient K », a été portée de 20 à 25 % dans tous les pays, hormis aux États-Unis où il a été fixé à 35 % ; pour les fratries éligibles à la fois aux bourses et à la PEC, le montant des droits couverts par la PEC est désormais exclu du calcul des frais de scolarité à la charge des familles ; le montant des droits couverts par la PEC a été cristallisé dans les établissements homologués; à cela s’ajoutent un certain nombre de mesures en matière de contrôle.
Compte tenu du délai dont je vous ai parlé, les mesures décidées à l’été 2009 ne commenceront à produire leurs effets qu’à l’automne 2010, et en année pleine en 2011, soit avec un différé de plus de 18 mois. Leur impact financier est estimé à 2,7 millions d’euros en 2010, 4,4 millions en 2011, et 3,9 millions en 2012. Autrement dit, les mesures décidées en année n, publiées en janvier de l’année n+1, commencent à produire leurs effets en septembre n+1 pour le « rythme Nord », et atteignent leur plein effet en année n+2. Il faut tenir compte de l’inertie du système, qui est considérable, chaque variable ayant sa propre dynamique.
La dotation totale pour les bourses et la PEC était de 51,96 millions d’euros en 2007, 66,2 millions en 2008 et 86,1 millions en 2009.
D’après les prévisions réalisées en extrapolant l’évolution observée depuis 2007 – soit une augmentation moyenne de 5 % par an du nombre de bourses et de PEC et de 12 % du coût moyen d’une aide –, le coût total estimé sera, avec moratoire, de 107,4 millions d’euros en 2010, 126,3 millions en 2011, 150 millions en 2012 et 177 millions en 2013. Pour la PEC, les estimations sont de 39,3 millions d’euros en 2010, 47,4 millions en 2011, 55,8 millions en 2012, et 65,6 millions en 2013. Pour les bourses, elles sont respectivement de 70,8 millions d’euros, 83,3 millions, 98 millions et 115,3 millions d’euros.
Il y a donc une dérive qui touche aussi bien la PEC que les bourses, ces deux composantes augmentant du fait de la hausse du nombre d’élèves et du coût de la scolarité.
Le coût moyen pour les bourses scolaires a augmenté : de 2 589 euros pour l’année scolaire 2007-2008, il est passé à 2 742 euros pour 2008-2009 et à 3 109 euros en 2009-2010. Pour la PEC, les coûts sont respectivement de : 3 200, 3 500 et 4 000 euros.
De 2007 à 2010, l’évolution du nombre de boursiers à base constante des classes de maternelle à la troisième est de + 6,3 % et celle du coût moyen de + 11,3 %. Pour la PEC, ces chiffres sont respectivement de + 12 % et de 13 %.
S’agissant de l’évolution de la subvention à l’AEFE avec et hors bourses et prise en charge sur les programmes 185 Rayonnement culturel et scientifique et 151 Français à l'étranger et étrangers en France ont augmenté, et la part bourses et prise en charge, proche aujourd’hui de 25 % du total, est en augmentation, au détriment du financement des autres actions.
Par ailleurs, le coût de l’aide à la scolarité varie beaucoup en fonction des régions. Il est le moins élevé en Afrique, le plus élevé en Amérique du Nord : ainsi le coût moyen de la PEC est de 20 723 euros pour 47 PEC au Lycée international franco-américain de San Francisco, soit un total supérieur de 973 992 euros, et de 16 581 euros pour 143 PEC au Lycée français de New York, soit un coût global de 2,371 millions d’euros.
Les personnes qui, au ministère, travaillent sur le programme 151 Français à l'étranger et étrangers en France et sur le programme 185 Rayonnement culturel et scientifique ont des relations quotidiennes et excellentes, mais l’essentiel des actions pour les Français de l’étranger est porté par le premier, le personnel consulaire étant au service de nos compatriotes. On constate en 2010 que l’action 2 absorbe de plus en plus de crédits du programme 151. Sur un total de 325 millions d’euros, 189 millions d’euros sont consacrés aux dépenses de personnel – pour des fonctionnaires qui sont directement en contact avec le public – avec une progression de la masse salariale quasiment nulle, de 0,3 % cette année. À cela s’ajoutent 7,5 millions d’euros pour le fonctionnement – dépenses des postes consulaires, frais de tournée – et 18,9 millions pour le pôle social – prestations sociales non contributives –. Cela amène à se demander si l’on préfère conserver un réseau consulaire ou continuer à mettre l’accent sur l’action 2.
Si j’en juge par les demandes qui nous sont adressées, il paraît souhaitable de répondre aux besoins généraux des Français de l’étranger, tout en parvenant à maîtriser la dépense de l’action 2 où la situation est actuellement très préoccupante.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si je comprends bien, le Titanic s’est rapproché de l’iceberg en peu de temps…
M. André Schneider, Rapporteur. On a beaucoup évoqué la situation matérielle – gestion et entretien des immeubles, scolarité, bourses –, mais il nous faut aussi parler du rayonnement de la langue française à l’étranger. Comment ne pas s’interroger sur le fait que, selon le président de la Mission laïque française, le taux d’étrangers qui entrent dans nos établissements soit plutôt stable ?
S’agissant du recrutement, de l’affectation et du renouvellement des personnels, vous avez parlé de choix politique. Que peut-on faire pour que le français et l’influence de la France dans le monde ne reculent pas ?
M. Jean-François Mancel, Rapporteur La subvention à l’AEFE représente 70 % du programme Rayonnement culturel et scientifique, et les bourses 30 % du soutien à nos expatriés. Si rien ne change, il s’ensuivra un déséquilibre entre l’enseignement et le service à nos expatriés. Le problème politique est donc de définir la priorité : le rayonnement et le développement de la langue ou le service à apporter à nos compatriotes expatriés ?
M. Stéphane Romatet. Cette question est au cœur de la réflexion sur la politique publique en la matière. Pour moi, ces deux missions sont compatibles. Donner le sentiment que nous voulons faire évoluer notre système scolaire à l’étranger vers sa composante scolarisation des Français au détriment de notre vocation d’influence serait, à terme, très pénalisant pour nos intérêts en matière de politique étrangère et de promotion de la langue française.
Lorsque nous parlons de ces sujets avec nos ambassadeurs dans le cadre des réformes que nous mettons en œuvre, ils nous disent toujours que le plus important à l’étranger est la présence scolaire française, en raison de cette mission d’influence. Je suis pour ma part convaincu que l’État est encore en capacité de confier à son opérateur pivot, l’AEFE, cette dualité de mission.
Cela étant dit, il nous faut aussi être capables d’imaginer de nouveaux modes de présence scolaire à l’étranger. C’est la raison pour laquelle nous préparons actuellement un plan d’orientation stratégique, avec un contrat de performance que nous allons négocier avec l’Agence. Les travaux sur ce point portent sur le type de présence et la façon de répondre à la pression de la demande. Le modèle d’un lycée français à l’étranger est-il unique et indépassable ou d’autres formules plus légères, plus partenariales, avec les systèmes scolaires étrangers sont-elles envisageables ? Nous souhaitons orienter l’opérateur pivot dans cette dernière direction. Des initiatives très intéressantes sont prises, comme des classes de français dans des établissements étrangers, des classes bilingues, etc. Une partie de la réponse à cette pression scolaire à l’étranger proviendra de ce type de formule, plutôt que de la construction de salles de classe à la française dont nous n’avons plus les moyens aujourd’hui. L’AEFE va fêter ses vingt ans cette année : nous devons être capables, pour les vingt prochaines années, d’inventer ces formules, probablement beaucoup moins dépendantes du seul financement public, d’autant que des partenaires étrangers peuvent nous aider.
Telles sont les pistes sur lesquelles nous travaillons. La directrice de l’Agence pourra vous faire part des orientations très particulières qu’elle entend proposer à sa tutelle dans les mois à venir.
M. François Saint-Paul. Quelques compléments à l’appui de ces propos, avec lesquels je suis entièrement d’accord.
En dix ans, la population française à l’étranger a augmenté de 45 %. Le rythme de croissance moyen est de 3 % à 4 % aujourd’hui et même de 5 % au Moyen-Orient et en Extrême Orient.
Si l’on veut soutenir nos entreprises et nos investissements à l’étranger, la première question est : y a-t-il une école ?
Les hypothèses pour 2010-2013 étant raisonnables, deux solutions se présentent. Soit on se situe dans le cadre dont j’ai parlé, et il ne faut pas « sous-budgéter » la dépense, sachant que la régulation prend effet au bout de 18 mois. Soit on réfléchit à d’autres mesures.
Avec le train des dernières mesures prises, les économies atteindraient 2,7 millions d’euros en 2010 ; 4,4 millions en 2011 ; 3,9 millions en 2012 ; et 3,9 millions en 2013. Ces montants ne sont pas à la hauteur de la dérive dont je vous ai parlé, car la dépense continue de croître.
Nous sommes impatients que cette mission aboutisse à des propositions. Nous connaissons les pistes : soit le plafonnement de la prise en charge de ces coûts ; soit la prise en compte du critère de revenu, qui introduit de l’équité, mais représenterait aussi une lourde charge de travail de vérification dans les consulats et nécessiterait davantage de personnel. Ce sont des choix politiques.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Sans même parler de la perspective d’un développement de notre présence en matière d’enseignement, la situation actuelle est inquiétante avec des problèmes immobiliers considérables et la dérive des coûts de la PEC et des bourses qui s’inscrit dans une perspective de forte inertie.
M. François Saint-Paul. Le coût total estimé en 2011 est de 126,3 millions d’euros avec moratoire et de 144 millions si l’on applique la réforme à la classe de troisième ; en 2012, de 150 millions avec moratoire, de 197 millions avec la classe de quatrième ; en 2013, de 177 millions avec moratoire, de 265 millions avec la classe de cinquième.
M. Stéphane Romatet. En cas de décision politique étendant la prise en charge à l’ensemble des cycles scolaires, du primaire jusqu’à la terminale, le coût pour les finances publiques serait d’environ 700 millions d’euros.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. À quelle échéance doit être prise une décision sur les politiques à venir ?
M. Stéphane Romatet. Compte tenu des délais de réactivité du système, et dans le contexte de la programmation budgétaire 2011-2013, une décision politique sur la poursuite du moratoire ou la reprise de l’extension de la prise en charge doit être prise à la fin du printemps. Concrètement, compte tenu des instructions à donner à nos postes diplomatiques et consulaires, notamment pour les dossiers de bourses – la commission nationale des bourses se réunit en juin, la commission locale à l’automne –, le signal politique doit avoir été donné d’ici l’été.
M. André Schneider, Rapporteur. Quelle comparaison peut-on faire entre notre politique et celle menée par certains de nos principaux partenaires, Angleterre, Allemagne, États-Unis ?
M. Stéphane Romatet. La France n’est pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger, mais le seul à disposer d’un service public d’enseignement à l’étranger. Dans beaucoup de capitales étrangères, une concurrence s’exerce entre l’établissement scolaire public français et un réseau d’écoles privées, anglaises, américaines, parfois allemandes.
La population étrangère est attirée vers le système public de l’enseignement français à l’étranger pour deux raisons. D’abord, la qualité de notre enseignement est maintenue, avec un taux de succès au baccalauréat très élevé. Il faut avoir à l’esprit cet objectif de maintien de la qualité, d’où la question de la bonne articulation entre les personnels expatriés, très minoritaires, les personnels résidents et les personnels de recrutement local. Ensuite, nos écoles françaises à l’étranger sont réputées moins coûteuses que les écoles privées américaines ou anglaises.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Au fond, notre système semble victime de son succès. Grâce à la gratuité, le nombre d’élèves augmente, d’où le problème de l’accueil, donc de l’immobilier. Mais comme notre système repose justement sur une présence d’établissements « en dur », il est plus difficile de procéder à des fermetures en cas de réorientation. Pourtant, beaucoup d’établissements ont été fermés, notamment au Maroc, pour permettre d’en ouvrir ailleurs.
Quels critères doivent donc être maintenus pour que l’enseignement du français à l’étranger reste attrayant, tout en faisant évoluer les choses ?
M. Stéphane Romatet. Ce qui est recherché, c’est le label « éducation nationale française » et la capacité d’un établissement scolaire à délivrer le baccalauréat de l’enseignement général français.
Comme j’ai pu le constater grâce à mes expériences d’expatriation, la réputation à l’étranger du baccalauréat général français reste aujourd’hui très forte. Il nous faut organiser un système qui nous permette de labelliser des formations secondaires dans des établissements dont les élèves peuvent être amenés jusqu’à ce baccalauréat général. D’où l’idée, à laquelle nous réfléchissons, de classes de français labellisées Éducation nationale, allant jusqu’au baccalauréat français, dans des établissements scolaires étrangers. Ainsi l’Agence réfléchit actuellement à l’ouverture de classes de français dans des établissements russes, en raison des difficultés du Lycée français de Moscou de répondre à la demande. Cette idée est intéressante car elle permettra de conserver ce label. C’est très important en termes d’influence et de promotion de la francophonie dans le milieu scolaire russe.
Beaucoup de vertus s’attachent à la diversification des offres scolaires françaises, au lieu de simplement raisonner en termes de « béton ».
M. André Schneider, Rapporteur. Il conviendrait également d’améliorer le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, notamment via la politique de bourses d’enseignement supérieur.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel est le sentiment des Français de l’étranger à ce sujet ?
M. François Saint-Paul. Pour eux, la question de l’accès à l’enseignement français est essentielle. L’avenir des bourses et de la prise en charge est une préoccupation majeure. Les annonces de 2009 ont été mal vécues. Comme on ne sait pas faire de la régulation, il faut une budgétisation sincère d’une dépense évaluée sincèrement.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Ont-ils conscience que le système doit être revu ou le considèrent-ils comme un acquis ?
M. François Saint-Paul. Ils ont conscience des avantages du système – mais aussi de son coût – et ont besoin d’être assurés de sa pérennité.
S’il leur est bien expliqué que les mesures assureront l’existence même du système, un « paquet » sera possible, d’autant qu’il y a une grande convergence chez les élus sur certains problèmes. Autrement dit, la méthode de la réforme sera aussi importante que la réforme elle-même.
M. André Schneider, Rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le recrutement du personnel ?
M. Stéphane Romatet. Il nous faut aussi réfléchir à une politique équilibrée pour les 10 000 personnels de l’Agence, répartis en trois catégories : 1 000 à 1 200 personnels expatriés, aujourd’hui très minoritaires alors qu’ils formaient autrefois l’ossature des effectifs de l’Agence ; 5 000 à 5 500 enseignants résidents, recrutés sur place avec un contrat de résident (traitement et indemnité de cherté de vie) ; 3 000 à 3 500 employés de recrutement local, dans des fonctions administratives et de soutien.
Comment bien calibrer la répartition entre personnels expatriés et personnels résidents, sachant qu’une très forte pression s’exerce pour diminuer la part des premiers, qui coûtent cher par rapport aux seconds ? Cela dépend beaucoup des situations locales. Dans certains pays, nous pouvons recruter sans difficulté des enseignants – et le contrat de résident est une très bonne formule. Dans d’autres, l’offre de professeurs n’étant pas suffisante pour bénéficier d’un corps enseignant au niveau requis en quantité et en qualité, l’envoi de professeurs de France reste une nécessité. Par ailleurs, certaines fonctions doivent nécessairement continuer d’être assumées par des personnels formés et expérimentés, notamment celles de directeur d’établissement.
Aujourd’hui, nous sommes parvenus, me semble-t-il, à une forme d’équilibre dans la répartition des effectifs entre expatriés et résidents.
M. André Schneider, Rapporteur. En effet, il semble que nous ayons atteint un seuil. La qualité des enseignants est très importante, tout comme la vocation de ces personnels à se sentir, en dehors de leur établissement, des ambassadeurs de la France et des Français.
L’Agence a mis un certain temps à fonctionner puisque, entre la loi de 1990 et les décrets qui ont mis en place le système de gestion, treize ans se sont écoulés. Mais depuis 2003, il semble que les choses se passent bien du point de vue tant de la tutelle du ministère que de l’autonomie de gestion de l’AEFE.
Rappelons simplement que le président du conseil d’administration de l’Agence est aussi directeur général de la mondialisation au ministère : comme l’a indiqué la Cour des comptes, c’est à l’équilibre entre tutelle et supervision qu’il faudrait réfléchir.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous poserai deux questions en guise de conclusion. Le gestion de l’immobilier pourra-t-elle un jour trouver sa place dans la future société foncière de l’étranger ? La tutelle de l’État sur l’AEFE est-elle bien assurée ?
M. François Saint-Paul. S’agissant de la tutelle, nous travaillons en totale transparence avec l’AEFE : nous construisons ensemble les chiffres, tirés de ses logiciels officiels. Je ne sens pas de difficulté au fait que les financements reposent sur deux jambes : envisageons les mêmes mesures pour avancer.
M. Stéphane Romatet. Le champ principal de l’opérateur de gestion de l’immobilier de l’État à l’étranger – projet que nous sommes en train de monter – doit être l’immobilier standard de bureau, pour lequel nous devons consentir des efforts en termes de gestion, de réduction des surfaces, de valorisation du patrimoine.
En revanche, l’immobilier scolaire est un patrimoine spécifique. Le sujet de la foncière étant suffisamment complexe pour ne pas charger l’opérateur d’un patrimoine éloigné de son cœur de métier, l’immobilier scolaire serait plutôt, à ce stade, en dehors de son périmètre.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie.
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