Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle |
M. Alain Claeys, Rapporteur. M. David Habib, président de la Mission d’évaluation et de contrôle, ne pouvant être parmi nous, je présiderai la séance. Notre collègue Pierre Lasbordes, corapporteur, est également empêché et il vous prie de l’excuser.
Je remercie M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques et fiscales, ainsi que M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale, d’avoir répondu à notre invitation inaugurant ainsi les travaux que nous allons consacrer au crédit d’impôt recherche (CIR).
Jean-Pierre Gorges et moi-même avons déjà travaillé ensemble sur les pôles de compétitivité, et nous sommes rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour les crédits de la recherche. La MEC est assistée dans sa tâche par la Cour des comptes.
Pourquoi le crédit d’impôt recherche ? Nous constatons aujourd'hui que l’effort de recherche-développement du secteur privé est en retard dans notre pays. Depuis 1983, le crédit d’impôt recherche a été remanié à plusieurs reprises. La dernière réforme, remontant à la loi de finances pour 2008, visait à donner une forte impulsion à l’effort de recherche des entreprises. Le champ du dispositif a été élargi, notamment aux grandes entreprises, et la dépense fiscale de l’État a considérablement augmenté : près de 5,8 milliards d’euros en 2009, compte tenu du remboursement anticipé accéléré décidé dans le cadre du plan de relance.
Le crédit d’impôt recherche est l’objet de critiques, notamment de la part de la Cour des comptes, laquelle a mis en évidence un effet d’aubaine au profit de grandes entreprises qui auraient de toute façon investi, même sans l’aide de l’État. Plus généralement, on peut s’interroger sur les effets économiques de ce dispositif : encourage-t-il les PME ? Quel est son effet sur la croissance ? Contribue-t-il au développement de la recherche et à l’attractivité de la France ? Enfin, quels sont les risques de fraude ?
M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. C’est à notre tour de vous remercier, monsieur le président, messieurs les députés, de commencer vos auditions avec la CGPME.
La CGPME, je vous le rappelle brièvement, est une organisation patronale interprofessionnelle qui regroupe 200 branches professionnelles dans quatre catégories : commerce, industrie, services et artisanat. Nous sommes constitués en 123 unions territoriales, soit une union par département et par région. Tout ce qui touche aux PME nous intéresse et le crédit d’impôt recherche est fondamental pour nos adhérents.
Nous sommes convaincus que la réponse à la crise passe par l’innovation et, à cet égard, le crédit d’impôt recherche est un rouage essentiel de la reprise dans notre pays, dont les PME seront la courroie de transmission. Les pouvoirs publics ont consenti un effort colossal en réformant le crédit d’impôt recherche, puisque la dépense fiscale est passée de 1 milliard d’euros en 2007 à 5,8 milliards en 2009. L’essentiel pour nous est que les PME puissent en bénéficier au même titre que les grandes entreprises.
Les PME profitent d’environ 20 % du crédit d’impôt recherche nouvelle mouture, avec des différences, très importantes à nos yeux. Sans surprise, ce sont les plus petites entreprises qui en profitent le moins puisque celles qui comptent entre zéro et dix-neuf salariés représentent 4,3 % de la dépense fiscale, contre 16,5 % pour les entreprises qui emploient entre vingt et deux cent cinquante salariés. Il faut donc recalibrer le mécanisme pour que l’aide soit mieux répartie.
Le crédit d’impôt recherche, aussi positif soit-il, s’est arrêté en cours de route, au seuil de la propriété intellectuelle. Le dépôt d’un brevet, qu’il s’agisse d’un modèle ou d’un dessin, n’est pas pris en compte dans le cadre du crédit d’impôt recherche. Nous suggérerons de faire en sorte que le financement des brevets soit éligible au crédit d’impôt recherche.
D’une manière générale, il nous semble que le dispositif actuel est trop tourné vers la recherche fondamentale et pas suffisamment vers la recherche appliquée. Nous ne comprenons pas pourquoi une entreprise qui fabrique du chocolat ne peut bénéficier du CIR si elle entreprend d’améliorer son packaging, c'est-à-dire le conditionnement de ses produits qu’elle aura ainsi valorisés et qu’elle pourra mieux vendre par la suite. L’innovation ne se limite pas aux nouvelles technologies et elle doit se diffuser dans toutes les catégories d’entreprise car toutes ont vocation à innover. Si un plombier décide demain d’équiper sa camionnette d’un GPS de façon à être plus efficace, il s’agira bien d’innovation et il serait dommage qu’il ne puisse pas bénéficier d’une aide.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le nombre de vos adhérents ? Qui sont les bénéficiaires du CIR en nombre et en pourcentage ? Quelle en est la répartition par secteur d’activité ? Et par taille d’entreprise ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Notre vocation est de représenter les PME, c'est-à-dire les entreprises de zéro à deux cent cinquante salariés, selon la définition européenne. Elles sont 1,7 million en France et nous regroupons 550 000 adhérents, directement ou par le biais des fédérations professionnelles.
M. Pascal Labet, directeur des Affaires économiques et fiscales de la CGPME. S’agissant des chiffres, nous n’avons pas d’autre choix que de nous référer au rapport de M. Gilles Carrez du 2 juillet 2009 car nous n’avons pas d’études statistiques, bien que des informations remontent jusqu’à nous par l’intermédiaire des branches ou des structures territoriales.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel diagnostic global portez-vous sur le CIR ?
M. Alain Claeys, président et rapporteur. L’année 2008 a-t-elle marqué une rupture ? En quoi ? Avec quels effets, positifs ou négatifs ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Oui, l’année 2008 a marqué une rupture. Oui, la réforme a été extrêmement positive. J’ai en tête l’exemple d’une entreprise grenobloise, Saunier-Plumaz, qui, grâce au crédit d’impôt recherche, a créé des systèmes de chauffage sous forme de tableau, à peine plus épais qu’une toile classique, et décoré au gré de l’acheteur.
M. Gérard Orsini, président de la Commission juridique et fiscale de la CGPME. Les avantages et les inconvénients du dispositif perdurent, malheureusement. Malgré la réforme, la réaction des PME est la même. Le CIR reste mal connu et les PME hésitent au seuil de la recherche en raison du flou de sa définition.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce le dispositif qui est mal connu ou sont-ce les PME qui sont réticentes à se lancer dans des programmes de recherche-développement ?
M. Gérard Orsini. Les deux. Le dispositif est mal connu dans la mesure où la définition même de la recherche est mal appréciée par les chefs d’entreprise. Les critères ne correspondent pas à la sensibilité des PME les plus performantes, si bien qu’il y a toujours un hiatus entre la définition stricte du crédit d’impôt recherche et son application. Qui plus est, les chefs d’entreprise ont peur du contrôle fiscal et de la remise en cause de l’avantage qui a été consenti. Certes, des procédures de rescrit sont prévues pour les rassurer, mais l’information ne passe pas toujours bien, qu’il s’agisse de la définition du CIR, de son application ou de sa sécurisation. Il est difficile de sauter le pas en se lançant dans un projet de longue durée, et c’est là que le bât blesse. Le problème persiste, en dépit des améliorations – les rescrits ont notamment mis fin au risque d’un double contrôle du ministère des finances et du ministère de la recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous un service dédié pour aider les petites entreprises ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Nous représentons les PME, nous sommes pauvres par définition. Nous ne pouvons pas accompagner les entreprises comme nous le souhaiterions. Nous diffusons l’information et, quand les entreprises ont des questions à poser, elles se tournent en général vers les structures locales présentes sur le terrain, et que nous utilisons aussi comme canal de diffusion.
En ce qui concerne les secteurs bénéficiaires, selon nos informations, un tiers du dispositif va à l’industrie et deux tiers vont aux services, en particulier au secteur bancaire.
M. Gérard Orsini. D’après les dernières statistiques parues, celles de 2007, le secteur banques-assurances est largement bénéficiaire du CIR tant en nombre d’entreprises – 914 sur 6 771 bénéficiaires – qu’en montant puisqu’il a drainé 312 millions d’euros.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela tient à la classification des entreprises.
M. Pascal Labet. Il y a une grande inconnue, nous semble-t-il, liée à la montée en charge du système SEPA, l’Espace unique de paiements en euros, qui harmonise les systèmes de paiement interbancaires au niveau européen. Il s’est déployé par étapes, depuis le passage à la monnaie unique en 1999. Son coût est colossal pour les établissements bancaires et il serait très intéressant de savoir s’il a été répercuté sur les usagers et si le crédit d’impôt recherche n’a pas été utilisé dans ce cadre. Il y a peut-être un problème de classification des entreprises, mais la question du financement du passage à l’euro, dont le coût se situe entre 500 millions d’euros – hypothèse basse– et 5 milliards d’euros – hypothèse haute – demeure.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le CIR serait-il utilisé pour financer les logiciels nécessaires au fonctionnement du nouveau dispositif de paiement, qui n’a pas grand-chose à voir avec de l’innovation ?
M. Pascal Labet. Oui, tout en reportant le coût sur l’usager. En tout cas, la question se pose.
M. Alain Claeys, Rapporteur. On va la creuser, même si nous ne disposons pas encore d’un bilan exhaustif de l’année 2009.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La réforme n’a-t-elle pas créé un effet d’aubaine et provoqué un détournement du CIR de son objectif premier ? Dans le cas que vous avez cité, le problème serait double : un mauvais usage du CIR couplé à une facturation des coûts à l’usager. Mais, au-delà, dans les petites entreprises que vous représentez, n’avez-vous rien relevé ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Pour nous, la question est plutôt de savoir si le périmètre du CIR est adapté aux PME. Je ne peux citer d’exemple concret de dérive de l’utilisation du crédit d’impôt recherche. Dans les plus grandes entreprises, on pourrait s’interroger sur l’externalisation des dispositifs de la recherche, mais les PME n’ont guère cette possibilité.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR est-il, à vos yeux, une aide à l’innovation ou bien une subvention à la recherche privée ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Ce n’est pas qu’une subvention à la recherche privée. Le CIR devrait être une aide à l’innovation mais, en l’état actuel des choses, on comprend que certaines entreprises y voient une subvention déguisée.
M. Gérard Orsini. Pour les PME, le crédit d’impôt recherche est incontestablement une aide à l’innovation en ce qu’il permet de vaincre leur frilosité entretenue par la question de la définition de la recherche. En matière de présentation, de design, les petites entreprises sont prêtes à faire des efforts, mais pas pour la recherche fondamentale. Le CIR est une aide que l’État leur apporte pour promouvoir les produits français.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles évolutions faudrait-il pour recentrer le CIR sur l’innovation ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Il faudrait aller au bout du processus d’innovation et intégrer dans le périmètre du crédit d’impôt recherche le coût de la propriété intellectuelle. C’est important pour l’économie française : le nombre de brevets a plutôt tendance à diminuer et certaines de nos PME renoncent parfois à protéger leurs produits, au risque de les fragiliser, pour des raisons purement financières.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous avez évoqué le risque que le dispositif soit réformé, voire suspendu.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Nous souhaiterions bien sûr une stabilité des textes législatifs. Cela dit, quand les entreprises choisissent d’investir dans l’innovation, ce n’est pas uniquement en fonction de l’avantage fiscal, lequel ne doit constituer qu’un aiguillon supplémentaire. L’objectif reste la rentabilité du produit et de l’entreprise et, au-delà, la croissance et l’emploi. Le CIR doit permettre d’enclencher un cercle vertueux.
M. Gérard Orsini. Le CIR est le type même du dispositif qui dure puisqu’il a été créé en 1983. L’insécurité vient des évolutions qu’il a subies. S’agissant de la définition des termes, il y a le référentiel de l’OCDE, le manuel de Frascati, dont on peut s’inspirer. Le CIR, qui a maintenant quelque vingt-sept ans, est pertinent mais il mérite d’être affiné.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Il y a un autre point très important à nos yeux pour éviter l’instabilité juridique, c’est la pérennisation du remboursement anticipé, qui a été un véritable booster.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela représente un coût supplémentaire pour le budget de l’État.
M. Jean du Mesnil du Buisson. L’État s’y retrouvera puisque le mécanisme permet aux entreprises de croître.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, c’est utile ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Vraiment très utile !
M. Pascal Labet. Il s’agit d’une simple anticipation de trésorerie, et non d’un coût net supplémentaire pour l’État.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels sont, dans l’ordre, les freins qui bloquent l’accès au CIR des PME ? Comment les supprimer ?
M. Gérard Orsini. Le premier handicap, c’est la crainte de voir un mécanisme de soutien disparaître, ou remis en cause par les contrôles.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous voulez dire que les chefs d’entreprise redoutent de s’engager dans une procédure qu’ils ne connaissent pas très bien.
M. Gérard Orsini. Le rescrit, même si le délai a été ramené à trois mois, ne suffit pas. Sans doute faudrait-il des guichets où l’on puisse se renseigner plus facilement. À cet égard, la CGPME produit une information d’ordre général diffusée par l’intermédiaire de ses structures locales.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Comme 65 % seulement des entreprises de 250 à 500 salariés connaissent l’existence du crédit d’impôt recherche, il reste une marge de progression importante. La proportion tombe à un tiers parmi les entreprises de moins de vingt salariés.
M. Gérard Orsini. Connaître l’existence du dispositif ne veut pas dire connaître ses arcanes.
M. Alain Claeys, Rapporteur. La prise en compte de la propriété intellectuelle suffirait-elle à transformer le CIR en crédit d’impôt innovation ? Que signifie exactement pour vous la notion d’innovation ?
M. Gérard Orsini. Sur le plan pratique, l’entreprise est poussée à innover faute d’avoir trouvé sur le marché ce qu’il lui fallait. L’exemple du packaging ou du design est caractéristique. Beaucoup d’entreprises adaptent les emballages à leurs produits. Or les dépenses afférentes ne sont pas éligibles au CIR. L’innovation réside dans l’aspect pratique du packaging mais elle peut donner lieu aussi à un dépôt de brevet, surtout si le conditionnement porte sur un produit très courant ou standardisé.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Autre exemple : les prototypes. La fabrication d’un prototype entre dans le cadre du CIR, mais pas l’étape suivante, au moment de passer à l’industrialisation et à la valorisation du produit.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Que les choses soient claires, le CIR ne s’arrête pas à la recherche fondamentale : il intègre la recherche appliquée.
M. Pascal Labet. Entendue de façon restrictive ! En définitive, seuls les brevets déposés stricto sensu sont reconnus par la doctrine administrative, contrairement aux autres types de propriété intellectuelle comme les marques, dessins et modèles, d’où les amendements que nous suggérons depuis deux ans. L’innovation ne se résume pas à des titres de propriété intellectuelle. Le Sénat nous avait objecté que cela coûterait 100 millions d’euros. C’est pourquoi il faudrait affiner progressivement la définition de façon à amortir le choc d’une prise en compte globale trop brutale.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La MEC a travaillé sur les pôles de compétitivité et elle a relevé des ruptures entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et l’entreprise. Nous avons recommandé que les crédits aillent davantage à la recherche appliquée. Que faudrait-il faire de plus pour toucher les petites entreprises qui sont très peu concernées par la recherche fondamentale ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Il faudrait mieux traiter la valorisation de l’innovation en aval, en particulier les dessins et modèles, les concessions de licence et, plus généralement, les dépenses engagées pour assurer le débouché des produits. Entre le prototype et la commercialisation, il y a une étape. Il faudrait accompagner les petites entreprises jusqu’au bout. Pour elles, cela changerait radicalement la donne.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au lieu de faire du saupoudrage, ne vaudrait-il pas mieux financer la chaîne complète jusqu’à la valorisation ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Ce serait préférable, pour les PME en tout cas, et cela irait dans le sens d’une meilleure prise en charge de l’innovation sans risquer de financer des dépenses qui seraient engagées en tout état de cause.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il ne s’agit pas d’accorder des subventions déguisées.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Le risque est plutôt dans les grandes entreprises. Dans le secteur automobile, par exemple, la recherche est permanente et, dans ce cas, un crédit d’impôt fondé sur l’augmentation des dépenses de recherche était sans doute plus incitatif que celui calculé sur le volume des dépenses. Mais, pour une PME, s’il n’y a pas de dépenses de recherche, il n’y a pas de crédit d’impôt. Dans ce cas, la PME n’est pas incitée à se lancer dans un programme de recherche tant qu’elle ne bénéficie pas d’un dispositif assis sur le volume. Et elle a besoin d’être soutenue jusqu’à la production. Sinon, elle s’appauvrit trop.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Faudrait-il transformer le crédit d’impôt recherche en crédit d’impôt innovation ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. L’important est de couvrir la chaîne de bout en bout et d’accompagner l’entreprise qui fait l’effort d’innover. Notre propos n’est pas de dire que le dispositif doit moins profiter aux grandes entreprises.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il réserver le crédit d’impôt recherche à certains secteurs d’activité – biotechnologies, développement durable, notamment – ou à certains types d’entreprise ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Pourquoi pas des efforts particuliers, en faveur du développement durable par exemple ? Mais nous ne sommes pas favorables à l’idée de cibler le CIR sur certaines catégories d’entreprise. À trop cibler certains secteurs, on fera à nouveau rimer innovation avec nouvelles technologies. Or nous sommes convaincus que toutes les entreprises, quels que soient leur secteur et leur taille, peuvent innover.
M. Gérard Orsini. Qui plus est, sur un plan strictement technique, plus on met de frontières, plus le risque juridique s’accroît.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous de l’amendement du Sénat qui visait à inclure dans l’assiette du CIR les dépenses des PME financées par les avances remboursables d’Oséo ?
M. Pascal Labet. Il faut surtout pérenniser le remboursement anticipé car la PME doit financer l’ensemble des dépenses. Une fois obtenue, la première avance permet d’autofinancer les dépenses suivantes éligibles au crédit d’impôt recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. La Cour des Comptes parle à ce sujet de « superposition » des aides. Que lui répondez-vous ?
M. Gérard Orsini. Le remboursement accéléré était avant tout une mesure conjoncturelle prise pour soutenir les plus exposés à la crise. C’est pourquoi il est difficile de parler d’un doublement de l’aide. Le dispositif profite à l’entreprise en améliorant sa trésorerie à un moment où c’est nécessaire.
M. Pascal Labet. De toute façon, l’aide réelle se limite au loyer de l’argent puisqu’il s’agit seulement d’une anticipation de flux.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il était question de conditionner le CIR à l’embauche de chercheurs et aux projets de collaboration public-privé, la recherche fondamentale étant surtout le fait du public et des grandes entreprises. En travaillant sur les pôles de compétitivité, nous avions déploré l’absence de tuilage, c'est-à-dire que les chercheurs spécialisés dans la recherche fondamentale ne suivent pas leurs découvertes dans les entreprises et ne se lancent pas dans la recherche appliquée. Les actions transversales contribuent au saupoudrage. On engage des sommes importantes mais sans obtenir forcément des résultats à la hauteur. Financer un processus de bout en bout devrait, à mon avis, donner de meilleurs résultats et créer in fine davantage de valeur ajoutée.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Conditionner strictement les aides à l’embauche de chercheurs interdirait aux PME l’accès au crédit d’impôt recherche, ce qui me paraît dangereux.
M. Gérard Orsini. Une PME n’a pas les moyens de recruter à ce niveau de compétences. Pouvoir externaliser la recherche est pour elle fondamental. Il faut aussi rapprocher le secteur public et le secteur privé. L’accès des PME aux laboratoires d’université est essentiel même si l’organisation et le financement des programmes doivent être améliorés. Les délais de réponse et de financement ne sont pas adaptés car le poids de la gestion administrative ne correspond pas toujours à la réactivité nécessaire dans une entreprise. Ainsi, on voit des dépenses comptabilisées par l’entreprise qui ne donnent pas lieu à versement immédiat puisque, en contrepartie, la prestation n’est pas rendue, ce qui risque de conduire à une remise en cause du CIR par les instances de contrôle. La dette de l’entreprise est certaine mais elle n’est pas réglée au secteur public.
M. Jean du Mesnil du Buisson. Au sujet des partenariats public-privé, deux ou trois points méritent l’attention. Certaines grandes entreprises achètent des brevets qu’elles n’exploitent pas. On se prive ainsi de création de richesse, et c’est dommage. Nous sommes en train de voir avec une grande entreprise qui a beaucoup de brevets dans ses tiroirs comment faire en sorte que des PME puissent les valoriser. Nous souhaiterions aussi que la puissance publique acquière des brevets et organise en quelque sorte une bourse pour les PME.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Préféreriez-vous que ce soit l’État qui porte les brevets ?
M. Jean du Mesnil du Buisson. Cela permettrait de mieux les valoriser grâce à des partenariats public-privé.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous vous remercions d’être venus jusqu’à nous.