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M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur Leprince, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Cette audition s’inscrit dans le cadre des travaux que la Mission d’évaluation et de contrôle, issue de la commission des finances de l’Assemblée nationale, consacre au crédit d’impôt recherche. Nous avons auparavant mené un travail semblable sur les pôles de compétitivité.
Notre objectif est d’obtenir une bonne photographie du dispositif de crédit d’impôt recherche après la réforme de 2008, d’en faire une évaluation, de détecter d’éventuels effets d’aubaine ou effets pervers, de déterminer si tous les secteurs de l’innovation sont pris en compte ou s’il subsiste des zones d’ombre.
La Cour des comptes a déjà tiré un certain nombre d’enseignements du travail qu’elle a consacré à ce sujet. Le rapporteur général de la Commission des finances, M. Gilles Carrez, a également examiné la question.
À un moment où l’on veut faire de la recherche une priorité nationale, il est important d’évaluer ce dispositif qui représente une mobilisation importante du budget de l’État.
M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu. Je vous remercie de votre invitation.
Comme vous m’avez envoyé une série de questions préalables, les éléments de réponse que je vous fournirai proviennent de plusieurs sources : du conseil d’administration du comité Richelieu et de sa commission R&D ; de la commission innovation de la CGPME à laquelle nous participons ; des travaux approfondis menés récemment par le MEDEF ; enfin, des résultats d’une enquête que nous avons menée auprès de nos adhérents.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le nombre d’adhérents à votre association ? Parmi ces adhérents, combien bénéficient du CIR, et selon quelles proportions par domaine d’activité et par catégorie d’entreprise ?
Quel est l’avis général que vous portez sur la réforme de 2008.
M. Emmanuel Leprince. Les 275 adhérents du comité Richelieu sont des PME innovantes indépendantes (il n’y a pas de filiales). Par « innovantes », nous entendons que ces entreprises proposent, chacune dans son domaine, une offre qui se différencie de ce qui existe en France.
Parmi elles, 90 % bénéficient du crédit d’impôt recherche, dans de multiples secteurs : technologies de l’information et de la communication, électronique, télécommunications, industrie, énergie, secteur médical, ingénierie, conseil et services.
Le Comité Richelieu s’emploie à comprendre pourquoi les PME françaises à potentiel ont en général du mal à devenir des entreprises de taille intermédiaire, des ETI. À la demande des entreprises, notre axe d’action prioritaire est l’accès au marché.
Les entreprises du Comité Richelieu sont à 40 % des très petites entreprises, TPE, comptant moins de 10 salariés, 30 % ont entre 10 et 50 salariés, 20 % entre 50 et 250, 10 %, soit 27 entreprises, sont des ETI, regroupant plus de 250 salariés. Après la remise du rapport du sénateur Bruno Retailleau au Premier ministre, nous avons créé une « commission ETI ».
Le regard que portent nos adhérents sur le crédit d’impôt recherche en général est très positif. Sur les 76 réponses que nous avons reçues, le sentiment général est quasi unanime, certains allant même jusqu’à dire que la formule est préférable, compte tenu de sa simplicité et de la brièveté des délais, aux autres formes d’aide telles que les aides sur projet.
La question de l’accès à la recherche publique dans le cadre des travaux éligibles au CIR est soulevée, dans la mesure où il arrive à certains laboratoires d’exiger de passer par les cellules de valorisation, qui, elles, ne sont pas éligibles au coefficient 2.
Une remarque récurrente est que le dispositif présente un vrai différentiel par rapport aux autres pays européen, mais que le recours aux consultants afin de sécuriser la démarche de la PME se traduit par un coût important.
Le Comité Richelieu avait en son temps approuvé la réforme, estimant que la simplification apportée répondait aux besoins des PME. Certes, la question du poids des grandes entreprises parmi les bénéficiaires se pose, mais il faut reconnaître que, malgré sa diminution en valeur relative, le montant dont les PME bénéficient a doublé en valeur absolue. Il n’y a donc pas eu d’impact négatif sur la participation des PME au CIR.
Rappelons qu’en moyenne, les dépenses de R&D des grands groupes français sont déjà supérieures à celles de leurs homologues américains ou japonais. Notre performance globale est mauvaise car nous ne comptons pas suffisamment d’acteurs de cette taille. C’est donc en facilitant la croissance des PME ou ETI à potentiel que nous pourrons l’améliorer durablement.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que le dispositif profite vraiment aux PME, ou plutôt aux grandes entreprises ?
M. Emmanuel Leprince. Il est évident que, proportionnellement, il profite plus aux grands groupes. Néanmoins, il profite plus aux PME que le système antérieur. Pour ce qui concerne les PME, il y a donc une amélioration.
M. Alain Claeys, Rapporteur. De quel type ?
M. Emmanuel Leprince. La simplification des démarches.
M. Alain Claeys, Rapporteur. La CGPME a estimé au contraire que c’était un peu compliqué.
M. Emmanuel Leprince. La réforme a apporté une simplification objective par rapport au mode de calcul précédent. Mais il existe toujours effectivement une véritable complexité pour déterminer la frontière entre les dépenses de recherche et les dépenses aval, ce qui pose des problèmes sur le plan fiscal.
Cela étant, la première réponse de nos entreprises est que c’est une très bonne mesure et que c’est une très bonne réforme.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur quels secteurs la réforme a-t-elle principalement porté ses effets ?
M. Emmanuel Leprince. Nous ne disposons malheureusement pas d’analyses sectorielles car le Comité Richelieu est une organisation transverse. Les biotechnologies sont toutefois peu représentées au Comité Richelieu. (Les entreprises de ce secteur ont donné une réponse sur l’intérêt du dispositif semblable à celle des autres PME). Il est donc difficile d’affiner l’analyse.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Vos adhérents ont-ils évoqué le problème de la propriété intellectuelle ?
M. Emmanuel Leprince. Non.
M. Alain Claeys, Rapporteur. La CGPME estime que toutes les dépenses relatives au dépôt de brevets et à la propriété intellectuelle devraient être éligibles au CIR.
M. Emmanuel Leprince. C’est un thème important qui suppose un élargissement du CIR, ou la mise en place d’un éventuel crédit d’impôt innovation.
Notre principal sujet de préoccupation, lorsque nous avons vu que la part des grands groupes dans le dispositif a augmenté après la réforme, a tenu à l’impact sur les budgets d’Oséo et Oséo innovation. On peut s’interroger sur un éventuel lien de cause à effet entre l’explosion du montant du CIR et la diminution des budgets consacrés aux aides sur projet.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Certaines entreprises ne se contenteraient-elles pas de profiter d’un effet d’aubaine ? N’y a-t-il pas un subventionnement déguisé d’entreprises qui auraient quoi qu’il en soit fait de la recherche ?
M. Emmanuel Leprince. Pas pour les PME innovantes, qui sont de toute façon soumises à des contrôles fiscaux. En revanche, nos adhérents se demandent si de tels phénomènes ne peuvent exister dans de grandes structures, où il est peut-être moins évident que le CIR ait toujours un impact direct sur la R&D.
S’agissant du plafonnement, il est singulier que les filiales des grands groupes soient considérées comme des entreprises indépendantes. D’après nos informations, le plafond ne s’applique pas à l’ensemble du groupe en consolidé, mais à chacune de ses entités. Cela pourrait fausser le dispositif.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le système est-il vraiment accessible ? Fournit-il une vraie visibilité ?
M. Emmanuel Leprince. Les deux tiers des entreprises qui nous ont répondu estiment que la réforme profite suffisamment aux PME.
Cela dit, les PME sont plus concernées par la recherche aval que les grandes entreprises, ce qui nous conduit, avec la CGPME, à demander un élargissement du périmètre vers l’aval. Le crédit d’impôt recherche est adapté au long terme ; il répond moins bien aux besoins de court terme des PME.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Alors que l’aide est transversale, la CGPME estime qu’il vaudrait mieux financer une chaîne complète, en intégrant les prototypes et en allant pratiquement jusqu’à la mise en production. Elle souhaiterait aussi que les avances remboursables intègrent les frais financiers.
M. Emmanuel Leprince. C’est un sujet de fond que nous avions déjà évoqué au sujet des pôles de compétitivité : quand la France fait les entretiens de Grenelle, l’Allemagne fait des panneaux solaires. La recherche et la réflexion sont nos points forts, pas vraiment la production et le chiffre d’affaires. Nous avons quelques idées pour éviter que tout l’effort ne porte sur l’amont.
Pour ce qui est des PME, on peut soulever la question du crédit d’impôt innovation, voire du crédit d’impôt commercialisation, car les besoins en la matière ne sont pas limités à l’exportation. Du point de vue de nos adhérents, le besoin prioritaire des PME se situe en aval du crédit d’impôt recherche : il semble se trouver aujourd'hui dans le périmètre d’Oséo innovation, par exemple pour les dépenses de prototype ou d’industrialisation. Pour certains, le problème se situe encore plus en aval, au niveau de l’accès au marché, donc d’un Small Business Act, qui est un objectif prioritaire du Comité Richelieu. Il n’est pas très utile de dépenser beaucoup d’argent en R&D si les projets n’aboutissent pas à des produits vendus à des clients. Tant qu’il y aura un verrou en aval, on n’aura pas traité la cause du problème.
« La recherche est source d’innovation mais les innovations ne sont pas toujours le fruit de la recherche », nous a-t-on notamment répondu. Ce qui signifie qu’une PME innovante peut entrer à l’aval du dispositif. La problématique, je le répète, se situe plus en aval.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il élargir l’assiette du CIR ?
M. Emmanuel Leprince. On ne peut poser cette question sans poser celle du périmètre des missions d’Oséo innovation. Oséo avait mis en place un programme « Passerelle », destiné à financer les prototypes réalisés par les PME pour les clients potentiels. La démarche est très intéressante puisqu’elle vise l’accès au marché, les clients étant généralement de grands groupes. Le MEDEF a pris parti en faveur de cette initiative. Le dispositif est très développé en Norvège et en Corée du Sud où des budgets de plusieurs dizaines de millions d’euros lui sont attribués annuellement. En France, il a bénéficié de 1,3 million d’euros l’année dernière. Il ne s’agit pas de la recherche collaborative telle que l’encouragent les pôles de compétitivité, mais d’une démarche où le client finance un tiers du prototype, et les pouvoirs publics un autre tiers.
Faut-il transférer ce dispositif vers un crédit d’impôt innovation ou revient-il à Oséo de poursuivre dans cette voie ? Le Comité Richelieu n’a pas encore formulé de position officielle à ce sujet et les deux approches ont chacune leurs avantages. Mais on ne peut pas ne pas poser la question.
À la question : « Faut-il compléter le dispositif de soutien à la recherche et au développement par la création d’un crédit d’impôt innovation ? » les PME nous répondent oui à 73 %. C’est une position que nous partageons avec la CGPME.
Dans les réponses, il apparaît que l’existence d’un brevet devrait être déterminante pour l’éligibilité à un tel dispositif, de même que le développement de nouveaux produits.
La Mission d’évaluation et de contrôle évoque également la possibilité d’un « crédit d’impôt recherche + ». Je crois que notre souhait concerne surtout le crédit d’impôt innovation, principalement pour financer les dépenses de prototype.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous rejoignons le débat qui s’est tenu au sujet des pôles de compétitivité.
M. Emmanuel Leprince. S’agissant d’éventuelles évolutions, 91 % des réponses sont défavorables à une modulation des critères d’attribution en fonction des secteurs d’activité, 87 % sont défavorables à conditionner cette attribution à l’embauche de chercheurs et 92 % sont défavorables à la conditionner à un projet de recherche collaborative. La recherche collaborative est intéressante pour les PME, mais les projets individuels restent les plus rapides et les plus simples.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Sans compter le risque de confiscation par les partenaires.
M. Emmanuel Leprince. Surtout, la mise en place est très lourde.
En revanche, 70 % estiment que la modulation du CIR en fonction de la taille de l’entreprise serait une bonne chose, certains proposant de revenir aux critères antérieurs pour les grandes entreprises. Il faudrait aussi que le plafond s’applique à la grande entreprise consolidée, filiales incluses.
Par ailleurs, il est de plus en plus suggéré que les grandes entreprises bénéficiaires du CIR soient tenues de s’engager dans le Pacte PME afin de créer avec les PME innovantes des écosystèmes durables et pérennes. Un comité de suivi du Pacte PME, composé de représentants de PME et de grands groupes, assurera désormais une autorégulation qui pourra aboutir à l’exclusion d’un grand groupe qui ne jouerait pas le jeu. Le label nous paraît donc offrir suffisamment de garanties pour être associé à l’éligibilité au CIR. Cela nous semble plus efficace et plus structurant que d’imposer aux grands comptes de sous-traiter une grande part de leur recherche aux PME.
Quant à l’intégration des avances remboursables dans l’assiette, le Comité Richelieu estime que le problème tient à l’existence même d’avances remboursables. Il recommande que les aides sur projet soient des subventions, quitte à les attribuer de façon beaucoup plus sélective. Quant aux entreprises interrogées, elles sont majoritairement d’accord avec le rapport de la Cour des comptes, qui considère qu’il y a superposition de deux aides.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est marginal puisque cela ne touche que les frais financiers.
M. Emmanuel Leprince. Certaines associations ont été assez virulentes.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour votre part, vous défendez l’idée de subventions sur projet…
M. Emmanuel Leprince. Effectivement
Pour ce qui est du remboursement anticipé de la créance du CIR, qui représente un coût important dans le budget de l’État, les PME estiment qu’il s’agit de quelque chose de fondamental qui explique le succès du dispositif. Au moins pour les PME, il faut pérenniser cette disposition.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cela donne de la trésorerie...
M. Emmanuel Leprince. Il n’y a pas de raison que ce soit le seul crédit d’impôt qui soit décalé.
Interrogées sur les freins dans l’accès au CIR, les entreprises citent beaucoup moins le contrôle fiscal, qui auparavant figurait en première position. Cette évolution est peut-être liée au rescrit. Sont en revanche cités le coût du recours aux consultants et le problème de la définition des dépenses éligibles, notamment pour ce qui touche à la frontière entre R&D et innovation. Il est demandé une notice ou des formations qui permettent de clarifier ces aspects.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous remercie.