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M. Alain Claeys, Rapporteur. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle, M. Ronan Stéphan, directeur général pour la recherche et l’innovation au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Frédérique Sachwald.
Je vous prie de bien vouloir excuser le co-président de la MEC, M. David Habib, bloqué par la grève des contrôleurs aériens, ainsi que notre co-rapporteur, M. Pierre Lasbordes, empêché.
Ce dernier, Jean-Pierre Gorges et moi-même, qui avions déjà travaillé ensemble l’an dernier sur le rapport consacré aux pôles de compétitivité, sommes cette année chargés de préparer un rapport sur l’évaluation du crédit d’impôt recherche (CIR). La MEC bénéficie traditionnellement de la participation de la Cour des comptes et nous sommes aujourd’hui accompagnés de M. Philippe Rousselot, conseiller référendaire à la troisième chambre de la Cour.
Les travaux de la Cour des comptes et ceux du Rapporteur général de la Commission des finances, M. Gilles Carrez, nous ont conduits à engager cette évaluation dans la durée du crédit impôt recherche, en particulier au regard de la réforme de fond intervenue en 2008.
Je commencerai par vous demander si le dispositif actuellement en place concourt, avec d’autres, au développement de la recherche privée et à l’innovation ? Ne pénalise-t-il pas les PME au profit des grandes entreprises ? Couvre-t-il l’ensemble du processus qui va de la recherche fondamentale à la création des produits ? Qu’en est-il de la question de la propriété intellectuelle et des brevets ?
M. Ronan Stéphan, directeur général pour la recherche et l’innovation au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un diagnostic du dispositif « crédit impôt recherche » après la réforme de 2008 doit être fondé sur des données définitives. Or elles ne sont pas encore complètes pour l’année 2008 : nous ne disposerons qu’en avril prochain des indications définitives relatives aux déposants de dossiers CIR, qui figureront dans le rapport que nous devrons rendre au Parlement en octobre 2010. Les informations que je vous donnerai à partir de données tendancielles ne pourront donc faire l’objet que d’extrapolations très prudentes.
Les différentes études qui ont été conduites ont toutefois montré que la réforme du CIR a eu un impact très important sur le développement des dépenses de recherche et développement – R&D – des entreprises, notamment des PME.
Au cours de la période 1993-2003, l’étude 2007, remise au Parlement en 2008, a montré qu’un euro de CIR se traduisait, pour les entreprises, par un peu plus d’un euro supplémentaire de dépenses de R&D. Il conviendra évidemment d’évaluer l’impact par rapport à cette base de la réforme en profondeur intervenue en 2008.
La quasi-totalité des entreprises engageant des dépenses de R&D adressent une déclaration de crédit impôt recherche. L’accroissement de la demande a été significatif puisque l’on est passé de 9 700 entreprises déclarantes en 2007 à 12 400 en 2008.
De l’éventail des aides accordées aux entreprises au titre de la R&D, il conviendra toutefois d’extraire l’impact réel et différencié du crédit impôt recherche, ce qui implique de procéder à une analyse très fine, permettant de déconvoluer les chiffres dont nous disposons des autres modalités d’accompagnement des entreprises visant à stimuler leur R&D, afin de voir si la réforme a permis de dépasser en 2008, les résultats de la décennie 1993-2003 et si cet argent a été majoritairement réinjecté dans la R&D. Nous ne pouvons pas encore vous donner de conclusion à ce sujet.
Des enquêtes ont déjà été réalisées auprès des entreprises, dont les données figurent dans le rapport au Parlement 2009.
Mme Frédérique Sachwald, chef du département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises. Nous savions que nous ne pourrions pas procéder à une étude économétrique avant de disposer des données et nous avons donc conduit deux séries d’enquêtes.
La première, à la fin de l’année 2008, a porté sur la pratique du CIR en 2005-2007 et sur les prévisions des entreprises à la suite de la réforme. C’est de là que sont issues les informations sur la réactivité différentielle entre les PME et les grandes entreprises à l’accroissement du CIR et sur le fait que les entreprises utilisent souvent un portefeuille d’aides et non pas une aide unique, ce qui pose un vrai problème méthodologique d’un point de vue économétrique. En effet, il existe trois profils d’entreprises : celles qui n’ont recours qu’au CIR, l’aide la plus utilisée ; celles qui, plus petites, utilisent également OSEO et des aides régionales, les très petites utilisant le dispositif Jeune entreprise innovante – JEI – ; celles qui, plus grandes, recourent aux subventions des pôles de compétitivité et de l’Europe. Il conviendra donc de distinguer les différents impacts de chacun des dispositifs, ce que nous n’avions pas fait avant que l’enquête de 2008 ne souligne clairement cet aspect de la question. Ce sont les très petites entreprises qui ont tendance à cumuler le plus grand nombre d’aides.
La seconde enquête, conduite à la fin de l’année 2009, s’est concentrée sur un des objectifs majeurs de la réforme de 2008, l’attractivité du territoire : un questionnaire a été adressé, d’une part, à des multinationales françaises, d’autre part, à des multinationales étrangères présentes en France.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il est vrai que la période d’observation de la réforme de 2008 est brève, d’autant que nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs. Toutefois, quels sont les critères auxquels vous recourez pour vérifier, d’une part, si la réforme du CIR s’est traduite par un effet de levier en termes d’investissement dans la recherche et le développement, et d’autre part, si cet investissement a été efficace en termes de valeur ajoutée ?
M. Ronan Stéphan. Notre objectif est de réaliser les études les plus fines possibles, ce qui suppose soit de disposer des bases de données complètes, soit que les entreprises répondent à nos enquêtes de la manière la plus fiable possible. Ainsi, l’enquête sur l’attractivité du territoire, qui concerne les sociétés dont l’activité est différenciée sur le territoire européen, voire international, vise à évaluer la manière dont le CIR se traduit en matière de développement local et national des activités de R&D. Or nous éprouvons une vraie difficulté à consolider les éléments de réponse, du fait que le taux de réponse des entreprises à nos questions stratégiques de localisation de leur effort de R&D tourne autour de 10 % seulement : nous n’avons donc qu’une visibilité réduite.
Sur le plan qualitatif, nous pouvons toutefois observer que les PME notamment poussent de manière plus régulière les portes des établissements de recherche et d’enseignement supérieur pour conclure des partenariats, modestes au départ et qui s’amplifient et se pérennisent par la suite, notamment au travers des pôles de compétitivité, ce qui va dans le sens d’un accroissement, d’une part, de l’effort de R&D partenarial, d’autre part, de l’effort que les entreprises consentent, au moment du transfert, aux phases de pré-développement : nous sommes encore dans le domaine de la R&D, avant d’entrer dans celui de l’industrialisation. Il est très difficile d’évaluer les dispositifs, les plus utilisés ou les plus incitatifs, auxquels il conviendrait d’attribuer ce mécanisme vertueux.
Nous observons donc un accroissement de la R&D et un renforcement de la relation entre les PME et les laboratoires de recherche sans pouvoir isoler la contribution spécifique du CIR. Les tableaux qui vous ont été remis dans le dossier préparé pour la mission ont vocation à y aider. Nous avons besoin de disposer de chiffres plus complets, de statistiques réelles pour réaliser une analyse plus précise.
Il est probable que, dès lors qu’ils agissent au sein d’un éventail de dispositions très incitatrices en matière de développement de la R&D, les différents dispositifs ont un effet de catalyse et que leur efficacité serait moindre s’ils étaient employés isolément.
Le rapport des entreprises à la recherche et au développement entre très souvent dans un cadre partenarial, avec les centres de R&D publics ou avec d’autres entreprises, dans une recherche de synergies visant à accroître leur efficacité par le biais, notamment, de la chasse aux doublons. Le renforcement de la relation à la recherche publique permet de catalyser aujourd'hui ce facteur. Les entreprises se sont déplacées ces quinze dernières années du champ de la recherche exploratoire, qu’elles avaient investi depuis de nombreuses décennies, vers celui d’une recherche plus ciblée ou applicative, en contact avec les préoccupations du marché.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le rapprochement entre les PME et la recherche publique a donc favorisé la recherche privée de ces mêmes PME ?
M. Ronan Stéphan. Absolument !
Alors que notre recherche exploratoire reste au meilleur niveau international, même si son poids relatif diminue en raison de l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine ou l’Inde, nous n’en éprouvons pas moins une vraie difficulté à passer au stade du partenariat industriel. Et ce même dans le cas où les résultats de la recherche ont été identifiés comme prometteurs. C’est du reste la raison pour laquelle une des actions du grand emprunt visera à stimuler dans les établissements publics, avec un regard mixte, la maturation et la qualification de ces résultats, pour rendre plus aisée leur captation par les entreprises, notamment les PME, et promouvoir ainsi l’innovation. D’ici trois ou quatre ans, cette action permettra de compléter l’éventail déjà fourni des dispositifs que la France a institués en la matière.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels effets ont eu, d’une part, la suppression de la part en accroissement, d’autre part, la création d’un taux spécifique pour les primo-accédants ?
M. Ronan Stéphan. Quoique importants, ces changements n’ont pas déstabilisé le dispositif.
Pour les primo-accédants, le taux est porté à 50 % la première année et à 40 % la deuxième, afin de ne pas pénaliser les entreprises innovantes les plus jeunes dont les premières dépenses en matière de R&D, notamment dans le domaine des biotechnologies, sont très élevées, alors qu’elles souffrent par ailleurs souvent d’un double déficit de capitalisation et de capacité de suivi de leurs primo-actionnaires.
Mme Frédérique Sachwald. Précédemment, le CIR se calculait chaque année en additionnant une composante « en volume » de 10 % des dépenses de R&D engagées sur l’année et une composante « en accroissement » de 40 % de la différence entre ces dépenses et la moyenne des dépenses de même nature : pour une entreprise primo-accédante, cela revenait donc au même. D’un point de vue théorique le crédit d’impôt en accroissement paraît optimal, mais dans la pratique le dispositif était complexe et propice à l’optimisation fiscale. La mesure était donc brouillée, notamment pour les PME. Afin de rendre le dispositif plus lisible, la part en accroissement est supprimée à partir de 2008 et la part en volume représente 30 % des dépenses. Quant à la majoration du taux à 50 % puis à 40 % pour les primo-accédants, elle provient de la prise en compte de la situation spécifique des JEI dont les taux de croissance sont très forts durant les premières années et que la réforme aurait pu désavantager. La mesure ne vise donc pas tant à les favoriser qu’à leur éviter de pâtir de la réforme.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Un tel système ne risque-t-il pas d’aboutir à des subventions déguisées ?
Mme Frédérique Sachwald. Vous évoquez ce qu’on appelle l’effet d’aubaine. L’objectif des études d’évaluation est précisément de déceler cette éventualité. Elles révèlent que le dispositif précédent n’en provoquait pas. L’étude économétrique à laquelle nous allons procéder cette année, dans un cadre méthodologique qui suit l’état de l’art, visera à déceler un éventuel effet d’aubaine après la réforme de 2008. Quant à l’indicateur, comme avant la réforme, il consistera dans le multiplicateur découlant du rapport entre le CIR et la dépense supplémentaire en R&D des entreprises – il était précédemment, je vous le rappelle, un peu supérieur à 1 euro supplémentaire de R&D pour 1 euro de CIR. C’est cet indicateur qui nous permettra de conclure ou non à l’existence d’un éventuel effet d’aubaine.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous construit des indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité en termes de valeur ajoutée et de PIB des recherches financées par le CIR ou, autrement dit, de mesurer le rapport entre l’évolution de la R&D et celle du PIB ?
Mme Frédérique Sachwald. Techniquement, notre étude économétrique utilisera les méthodes les plus pointues.
Je rappelle que l’objectif premier du crédit impôt recherche est de stimuler la recherche-développement, laquelle est supposée profiter aux entreprises comme à l’ensemble de la société en favorisant la croissance et en développant l’innovation.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le MEDEF veut une définition claire et précise de la recherche-développement. Cette demande est-elle justifiée ou fait-elle débat ?
M. Ronan Stéphan. Il peut y avoir débat dès lors qu’on s’achemine vers la frontière qui sépare la recherche-développement du développement industriel : le prototypage doit-il être intégré dans l’assiette de la R&D ? Doit-il en être de même de toutes les dépenses de recherche et de développement de type normatif et, si oui, à quel taux ? Le débat n’est pas d’ordre technique mais politique.
En ce qui concerne les dépenses normatives, il est clair que l’investissement des sociétés dans les normes comme levier d’innovation est un facteur extraordinaire de compétitivité qui permettra la diffusion d’un produit sur le marché au même titre que la levée d’un verrou technologique. Ces dépenses sont déjà prises en compte dans l’assiette du CIR.
Mme Frédérique Sachwald. Pour le Livre blanc du MEDEF, la définition de la R&D dans le crédit d’impôt recherche n’est pas claire. Pour votre part, c’est la question d’une possible évolution de l’éligibilité au CIR que vous avez abordée.
La recommandation du MEDEF ne pose aucun problème puisque la définition de la R&D du CIR correspond à celle du manuel de Frascati de l’OCDE.
Il n’en est pas moins vrai que la frontière entre le développement expérimental et son aval – les prototypes industriels ou les essais pour production – est souvent difficile à déterminer, même si le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur communique sur le sujet, notamment en ligne : il y aura toujours besoin d’une expertise pour préciser certaines dépenses à la frontière.
M. Alain Claeys, Rapporteur. À l’heure actuelle, les dépenses éligibles sont-elles plus restrictives que la définition internationale du manuel de Frascati ?
Mme Frédérique Sachwald. Non, le guide du CIR actualisé annuellement par le MESR fait référence à cette définition.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous voudrions vous faire part d’une double inquiétude.
Tout d’abord, les statistiques révèlent que les secteurs bancaire et assuranciel profitent beaucoup du CIR. Certes, c’est le plus souvent par le jeu des holdings : toutefois, quelles sont les masses financières qui partent vers ces secteurs ?
Par ailleurs – ce qui serait plus grave –, les entreprises, à la demande des banques, feraient entrer dans la recherche et le développement et donc financer par le CIR, les dépenses relatives à leur mise en conformité aux nouvelles normes européennes de dialogue interbancaire – la SEPA : Single Euro Payments Area –, alors qu’il ne s’agirait que de la mise à jour de systèmes d’information. Cela serait d’autant plus injustifiable que les banques facturent à leurs clients l’utilisation de ce dispositif. Ce détournement représenterait quelque 900 millions d’euros, soit près de 25 % des 4 milliards d’euros du CIR !
M. Ronan Stéphan. La publication, il y a quelques mois, d’un tableau qui faisait apparaître les activités financières comme bénéficiant majoritairement du CIR avait suscité de l’émoi. En l’occurrence, il s’agit des holdings : pour les entreprises privées fiscalement intégrées, c’est la holding qui reçoit en totalité le CIR pour ses filiales en R&D, lesquelles remplissent les déclarations. Cela concerne notamment les domaines de la chimie, de la pharmacie, de l’automobile ou de l’aéronautique, qui sont de gros utilisateurs des aides publiques afin de soutenir leur recherche et développement.
Mme Frédérique Sachwald. Le tableau qui vous a été distribué donne la distribution des dépenses de R&D et du CIR par activité, en pourcentage, pour 2007 : il permet de distinguer les services bancaires et assurances, placés dans les services de la gestion, des holdings, qui sont placées dans les industries manufacturières.
J’ignore le problème que vous évoquez, relatif à la SEPA. Notre rôle est d’expertiser les dépenses qui sont déclarées par les entreprises lorsque les services fiscaux nous le demandent, c'est-à-dire en cas de contrôles ou de rescrits – il y a pour l’instant très peu de rescrits.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Cette expertise ne porte donc que sur les dossiers qui vous sont soumis. Sur quel type de dossiers de mise aux normes avez-vous été consulté ?
Mme Frédérique Sachwald. Il s’agit d’une mesure fiscale déclarative. Nous avons souvent été consultés sur le règlement européen Reach – enRegistrement, Evaluation et Autorisation des produits Chimiques – par les représentants de l’industrie chimique qui souhaitaient intégrer le coût de son entrée en application dans l’assiette du CIR : nous l’avons refusé, sauf si la mise aux normes engendrait des dépenses supplémentaires de R&D. Une mise aux normes SEPA dans le secteur bancaire sans impact sur la R&D ne saurait donc entrer dans l’assiette du CIR. Quant à la somme de 900 millions d’euros, elle me paraît excessive compte tenu du fait que le secteur bancaire ne représente que 2,3 % du CIR.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Il s’agit toutefois de lignes faciles à cacher. Qu’en est-il en particulier de la ligne « Conseil et assistance en informatique » ?
Mme Frédérique Sachwald. Cette ligne concerne les entreprises informatiques – IBM ou Bull – et non pas le secteur bancaire : une banque qui fait de l’informatique n’apparaîtra pas sur cette ligne.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comme il s’agit de la mise à jour des systèmes d’information, tous les secteurs sont concernés, y compris le secteur bancaire.
Mme Frédérique Sachwald. Ce sont les banques qui dépensent : ce sont donc elles qui déclarent.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est un domaine que je connais : lorsqu’une entreprise met aux normes son système d’information avec la banque, elle peut faire passer ces dépenses dans cette ligne du fait que les banques facturent le service à ses utilisateurs tout en leur expliquant que la mise aux normes sera en partie financée par le CIR.
M. Ronan Stéphan. Assurément, mais cette ligne concerne les entreprises du secteur de l’informatique et elles seules, qui interviennent comme sous-traitants, pour le compte d’entreprises désireuses de mettre à jour leur système d’informations – les dépenses de ces dernières apparaîtraient dans leurs charges propres et non sur cette ligne.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce n’est en rien contradictoire ! Ces dépenses peuvent en effet être camouflées : les représentants des PME ont appelé notre attention sur ce phénomène et c’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’étudier la possibilité de l’utilisation du CIR pour la mise aux normes des systèmes d’informations : les fonds du CIR seraient ainsi détournés de leur vocation propre avec le risque supplémentaire que les banques facturent à leur tour cette mise aux normes. Le CIR ne doit pas devenir un fourre-tout !
Mme Frédérique Sachwald. J’ai bien noté votre demande et nous serons attentifs à ce sujet lorsque nous aurons des contrôles.
Le contrôle d’une entreprise en termes de CIR porte sur les dépenses de R&D attachées à des projets. Nous demandons une description précise projet par projet – parfois plus de cinquante pour une grande entreprise. Le contrôle porte sur la description technique du projet, les objectifs, atteints ou non, les difficultés scientifiques et techniques, les personnels attachés à ce projet et la quotité de temps qu’ils y ont consacré. Il s’agit d’une étude non pas statistique mais précise.
La réforme du CIR a déjà provoqué un accroissement des contrôles, en quantité et en volume : 458 contrôles en 2008 et 570 en 2009.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Proportionnellement, les grandes entreprises bénéficient davantage du CIR que les PME, qui aimeraient savoir s’il ne vaudrait pas mieux financer des processus complets plutôt qu’un processus transversal qui s’arrête avant la phase de mise en production, voire de prototypage, difficile à réaliser pour une petite entreprise.
M. Ronan Stéphan. Les nouveaux outils en matière de maturation des résultats les plus prometteurs pouvant donner lieu à innovation seront de nature à déplacer le curseur vers l’aval, tout en restant dans le cadre de la R&D, et à accompagner de manière plus systématique la qualification des résultats de recherche avant les phases de pré-développement.
Il est vrai qu’un effort important fourni par les entreprises sur des résultats insuffisamment qualifiés conduit à des déperditions, qui seront d’autant moins importantes que les entreprises auront la capacité à suivre physiquement le processus. Cette capacité appartient évidemment davantage aux grands groupes qu’aux PME, notamment du fait que le recours aux doctorants pour suivre ce type de phase y est plus fréquent. Le nouveau dispositif permettra de disposer d’un segment partenarial entre l’entreprise et le laboratoire de recherche plus sécurisé, ce qui sécurisera du même coup les phases de développement portées uniquement par l’entreprise.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le risque n’est-il pas alors d’entrer en concurrence avec les missions d’OSEO ?
M. Ronan Stéphan. La réponse est négative tant qu’il ne s’agit pas de s’attaquer au marché mais de sortir un résultat de la communauté scientifique qui lui a donné naissance pour le mutualiser dans une approche interdisciplinaire et accroître ainsi sa qualification dans la chaîne de création de valeur. Nous ne sommes donc pas en compétition avec un dispositif OSEO. En revanche, on peut imaginer qu’un tel dispositif puisse prendre le relais, notamment à la phase du prototypage.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous aurons à la fin de l’année 2010 le bilan de l’année 2008 : ce décalage de deux ans est-il structurel ou des améliorations sont-elles susceptibles d’intervenir dans les prochaines années ?
Par ailleurs, quand disposerons-nous d’une masse de données suffisante et d’une méthodologie suffisamment fiable pour obtenir une évaluation non plus annuelle mais globale du CIR ?
M. Ronan Stéphan. Le bilan est nécessairement asynchrone puisque l’exercice d’une année est toujours déclaré l’année suivante et que la consolidation des données n’est acquise que quinze mois après la fin de l’exercice. J’ignore si on peut exiger des entreprises que leurs déclarations soient synchrones avec l’exercice afin de pouvoir disposer de capacités de contre-réaction plus rapides.
Par ailleurs, dans le contexte délicat qui est le nôtre, les entreprises rencontrent des difficultés de projection : une entreprise ignore si elle pourra amplifier son projet l’année suivante en s’appuyant uniquement sur le caractère attractif des dispositifs, compte tenu de l’intervention toujours possible de facteurs extrinsèques.
Mme Frédérique Sachwald. La déclaration en matière de CIR fait partie de la liasse fiscale : elle en suit donc les délais. Nous essayons, de notre côté, d’accélérer notre temps de saisie, mais celui-ci ne représente rien par rapport à la période de la déclaration fiscale. Nous recevons le plus gros paquet de déclarations au 15 avril de l’année n +1, et elles s’étagent ensuite jusqu’au 15 avril de l’année n +2.
L’étude que nous réaliserons en 2010 et qui fera le bilan de la réforme de 2008, s’appuiera sur les données de plusieurs années. Notre objectif est de calculer une élasticité nous permettant de déterminer le multiplicateur comme expliqué précédemment.
Il est vrai que certaines études distinguent l’effet de court terme de l’effet de long terme. C’est ainsi que la DGTPE, la direction générale du Trésor et de la politique économique, a réalisé cette année une projection macroéconomique qui répond à votre question sur le PIB, Monsieur Gorges : elle a entré les résultats de notre étude microéconomique dans un modèle macro afin de calculer à dix ans l’impact sur le PIB. Cette étude est mentionnée dans le rapport 2009 qui nous remettrons au Parlement.
M. Ronan Stéphan. Il ne faut pas oublier non plus la différence des temporalités entre la recherche publique – aux alentours de quatre ans, soit la durée d’une thèse – et la R&D privée, qui est passée en quelques années de dix-huit à quinze mois. Il s’agit donc de temporalités pluriannuelles avec des facteurs extrinsèques très importants, qui peuvent avoir un impact sur l’engagement d’une entreprise à développer un produit dans le cadre de partenariats avec la sphère académique. Il nous est donc difficile d’analyser le moyen terme, c'est-à-dire la capacité à anticiper.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La Cour des comptes a fait des remarques sur l’intégration des avances remboursables dans l’assiette du CIR, qui ne joue toutefois que sur les frais financiers.
L’impact budgétaire du remboursement anticipé des créances de CIR a-t-il été efficace ?
M. Ronan Stéphan. La mesure a en tout cas été très appréciée par les plus petites entreprises, notamment par les jeunes entreprises en croissance. C’est un élément de compétitivité qui leur confère de réels avantages au quotidien.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Êtes-vous favorable à ce que la mesure soit reconduite en 2011 ?
M. Ronan Stéphan. La décision ne nous revient pas mais nous y sommes favorables car cette mesure est de nature à stimuler l’appétit des jeunes entreprises innovantes pour le CIR.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous qu’il faudra établir des critères d’éligibilité au CIR fondés sur la taille de l’entreprise, le secteur d’activités ou un mixte des deux ? Convient-il à votre avis de limiter le champ d’action du CIR tout en l’ouvrant davantage vers l’aval ?
M. Ronan Stéphan. Les plus grandes entreprises faisant de l’optimisation à partir de certains seuils, j’ignore si la mesure aurait sur elles des conséquences significatives. En revanche, elle pourrait être considérée comme un retour en arrière en matière d’attractivité du territoire. Il convient en effet de respecter l’équilibre fragile existant entre le taux d’utilisation du dispositif par les grandes entreprises et la part d’attractivité territoriale que ce taux engendre. J’ai rencontré récemment des industriels européens du secteur de la pharmacie qui portaient des jugements très positifs sur l’attractivité de notre territoire. J’ignore en revanche à quelle implantation réelle de R&D sur le territoire correspondait leur perception de cette attractivité. Il convient également de prendre en considération les règles communautaires.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Madame, monsieur, je vous remercie.