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M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je remercie M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, d’avoir répondu à notre invitation. L’objectif de cette Mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’enseignement français à l’étranger étant comme toujours de dégager des propositions consensuelles, majorité et opposition y sont représentées, de même que les différentes commissions concernées, par l’entremise de trois rapporteurs : M. Hervé Féron pour la commission des Affaires culturelles et de l’éducation ; M. André Schneider pour la commission des Affaires étrangères et moi-même pour la commission des Finances. La Cour des comptes participera également à cette audition, en la personne d’un de nos anciens collègues, M. René André, conseiller maître en service extraordinaire, et de M. Philippe Geoffroy, conseiller référendaire qui a participé au contrôle de l’Alliance française en 2009.
Monsieur le secrétaire général, pouvez-vous, avant de répondre à nos questions, présenter votre Fondation et nous situer le rôle des Alliances françaises dans le dispositif de l’enseignement français à l’étranger ?
M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance française a connu en janvier 2008 un tournant historique lorsque la maison mère est devenue une fondation, chargée d’animer et de coordonner le réseau international en poursuivant ainsi une mission assumée depuis 1883, tandis que l’école du boulevard Raspail, restée association de la loi de 1901, continuait d’accueillir les étudiants étrangers.
La Fondation s’attache à rechercher des capitaux afin de mieux soutenir l’action des Alliances françaises réparties sur le globe. Elle a connu un bon départ, en parvenant à collecter, en 2007-2008, 5,5 millions d’euros, ce qui n’était pas chose facile auprès d’entreprises privées qui considèrent en général la défense du français à l’étranger comme l’affaire de l’État. Élargir ce capital est plus ardu depuis que la crise a éclaté ; nous nous efforçons de rechercher des partenariats sur des projets spécifiques et nous nous tournons à cet effet vers des mécènes ou des donateurs animés par la passion de la langue et de la culture françaises.
Alors que l’Alliance française à Paris se bornait depuis un siècle à fournir conseils et expertise aux membres de notre réseau, la Fondation est donc à même, désormais, de leur apporter une aide financière directe. Il s’agit certes de sommes modestes, mais elles ont un impact important et permettent à des projets de développement d’aboutir – une cinquantaine en 2008, autant en 2009.
Nous avons ainsi le sentiment euphorisant de pouvoir davantage soutenir un réseau qui fait face à une demande croissante de français, la progression annuelle du nombre d’étudiants étant comprise entre 3 et 4 %. Traditionnellement ancré dans les Amériques, où il a un quasi-monopole et où il fonctionne de manière remarquable, ce réseau connaît depuis huit ans un développement important à l’Est, notamment en Chine et en Russie où respectivement 15 et 11 établissements ont ouvert leurs portes et parviennent à s’autofinancer dans une large mesure. Ce rééquilibrage géographique s’est fait à la demande du ministère des Affaires étrangères, qui a préféré là l’implantation d’Alliances à celle de centres culturels.
Sur le continent africain, le réseau de l’enseignement français se partage en revanche entre Alliances et centres culturels. Les états généraux des Alliances françaises d’Afrique que nous avons organisés pour la première fois en 2009, à Nairobi – en terre anglophone –, ont rassemblé les représentants de 33 pays. Ceux-ci ont ainsi pu confronter leurs pratiques très diverses et échanger sur la base d’intérêts et d’une passion qui leur sont communs.
Nous accorderons cette année une attention particulière à la situation, plus difficile, des Alliances françaises européennes. Elles sont les seules à ne pas connaître une progression marquée de leurs effectifs d’étudiants, ce qui reflète le recul très préoccupant du français dans les organisations de l’Union et dans les échanges commerciaux intra-européens. Or si le français perd la place éminente qui était la sienne en Europe, il deviendra difficile de soutenir son développement sur les autres continents. Nous allons donc réunir ces Alliances à Bruxelles afin d’étudier les actions à entreprendre dans un tel contexte.
Compte tenu d’une vive concurrence, il paraît important que les Alliances se professionnalisent. Le ministère des Affaires étrangères nous apporte une aide importante depuis cinq ans en finançant des actions de formation et, fin 2009, il nous a même accordé un supplément de crédits de 600 000 euros. Cela étant, hormis peut-être en Chine et en Russie où il est concevable d’ouvrir encore quelques Alliances, la Fondation s’emploie, plutôt que de l’étendre, à consolider le réseau dont elle a la charge. Nous cherchons à mobiliser le millier d’Alliances qui actuellement se répartissent en trois tiers à peu près égaux : celles qui bénéficient d’une convention avec le ministère et sont comparables en taille avec les centres culturels ; celles qui dispensent un enseignement dans des villes relativement modestes ; enfin, celles qui s’apparentent à de simples clubs de gens amoureux de la culture française, et qui ne dispensent aucun cours. Ces « clubs » seront incités à offrir des cours de langue, les établissements de taille moyenne à passer des conventions avec le ministère des Affaires étrangères, les grandes Alliances à améliorer encore leur efficacité.
Ces projets, le dynamisme du réseau, le nouvel éclat donné par le terme même de « fondation » nous apportent beaucoup d’énergie et nous incitent à l’optimisme. Reste la question de la réforme. Le président de la Fondation et moi-même rencontrerons prochainement le ministre des Affaires étrangères pour discuter de l’articulation entre centres culturels, Alliances françaises et agence culturelle en gestation.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous vous remercions pour ces propos introductifs, empreints d’un rare optimisme !
M. André Schneider, Rapporteur. Quelle part de vos activités les Alliances françaises de France représentent-elles ?
M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance française Paris-Île-de-France, avec un peu plus de 10 000 étudiants, est la deuxième Alliance au monde – derrière celle de Lima ! Comme d’autres Alliances françaises de France – Toulouse, Lyon, Marseille, Nice, Rouen, Strasbourg, Dijon, Montpellier, Bordeaux –, elle accueille des étudiants étrangers, mais aussi, pour une période de quelques mois, des personnes désireuses d’acquérir un bagage culturel français, avec un apprentissage intensif de la langue le matin et une découverte de Paris et de la vie française l’après-midi. Toutes ces Alliances se portent bien et fonctionnent comme celles de l’étranger.
Pour qu’on ne se méprenne pas sur son importance, je précise que la Fondation Alliance française, elle, n’emploie que douze personnes – accueil et archives compris. Cette équipe, très restreinte si on la compare à celles qui animent le Goethe Institut ou le British Council, ne gère pas de personnel, il est vrai, mais elle s’efforce de fournir des conseils en matière budgétaire, administrative, juridique, culturelle ou pédagogique aux Alliances françaises et de coordonner le réseau mondial.
Comme je l’ai expliqué, nous avons disjoint il y a deux ans les missions du siège parisien et nous nous en félicitons. La gestion de cette PME qu’était l’Alliance française de Paris – 200 salariés, 5 syndicats – avait fini par absorber le président et le secrétaire général, au détriment du réseau international.
M. André Schneider, Rapporteur. De quel ordre de grandeur est la participation financière des étudiants ?
M. Jean-Claude Jacq. Nous appliquons des tarifs comparables à ceux pratiqués par la Sorbonne ou l’Institut catholique de Paris, dont peuvent s’acquitter des étudiants étrangers qui ont les moyens de venir et de séjourner dans notre capitale. Notre souci n’est évidemment pas de faire des bénéfices, mais de nous autofinancer, sachant que nos professeurs ne sont pas mis à disposition par l’Éducation nationale mais rémunérés par nous et que nous avons d’autre part à financer l’entretien de nos bâtiments.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Les personnes que nous avons auditionnées ont toutes évoqué la nécessité de rechercher une cohérence globale dans l’action des divers opérateurs. Vous avez expliqué que les Alliances françaises offraient des prestations de qualité diverse, de l’établissement culturel aux « clubs » plus modestes. Avez-vous l’intention de rendre ce réseau plus homogène ? Quels sont les critères qui vous permettent d’évaluer les Alliances ? L’évolution de la fréquentation est-elle un indice ? Enfin, comment opérez-vous les choix lorsque les levées de fonds ne s’avèrent pas conformes aux objectifs que vous vous êtes fixés ?
M. Jean-Claude Jacq. Nous pouvons nous prévaloir, je crois, d’une certaine excellence quelle que soit la taille des établissements. Celle-ci, en revanche, dépend des ressources locales et l’Alliance française d’Oulan Bator, par exemple, ne saurait bien sûr rivaliser avec celle de New York en termes d’installations et d’activités. Notre réseau regroupe 910 Alliances françaises, soit autant que le Goethe Institut, le British Council, la Sociétà Dante Alighieri et les Instituts français réunis : à côté de nos grandes Alliances, nos prédécesseurs ont volontiers « allumé des petites lumières au fond de la pampa », créant ainsi des relais très nombreux qu’apprécient les ambassadeurs… Cette politique se défendait mais, aujourd’hui, le monde ayant évolué, tout en nous appuyant sur ce maillage exceptionnel, nous devons rechercher un peu plus d’homogénéité, sachant que nous ne pourrons jamais proposer les mêmes offres à Paris et à Tucumán ou Bangui.
Une fois n’est pas coutume, je veux rendre hommage à la Cour des comptes. Son rapport, dense et complet, nous est très utile s’agissant des besoins d’évaluation, de nos rapports avec le ministère des Affaires étrangères, ou encore de la façon dont l’activité de chaque Alliance doit s’articuler avec l’action de l’ambassade. Ses conclusions poussent dans le sens où nous voulions aller sans toujours oser le dire : celui d’une professionnalisation accrue des établissements et d’une clarification du réseau dans sa relation avec les pouvoirs diplomatiques.
Entre une gestion « de marque » – qui imposerait une labellisation soumise à des procédures de contrôle très strictes – et une attitude plus laxiste – qui laisserait le réseau s’étendre de façon spontanée –, nous devons trouver un point d’équilibre. L’enseignement de la langue et de la culture françaises n’est pas un produit répondant à des critères de productivité ou de qualité ; il est le fruit d’un élan international, porté par des bénévoles courageux, que nous nous devons de soutenir.
En tout état de cause, la Fondation n’est pas en mesure d’employer suffisamment de cadres pour procéder à une évaluation sérieuse d’un réseau mondial très dense. Mais nous sommes épaulés par l’inspection générale du ministère des Affaires étrangères, qui inclut dans l’évaluation des postes celle des Alliances locales, et par nos quelque quarante délégués généraux, chargés dans chaque pays de suivre l’activité des Alliances, de former et d’aider les personnels, et qui nous remettent des rapports annuels. En outre, dans la suite du rapport de la Cour des comptes, nous avons conçu avec le ministère des Affaires étrangères une « démarche qualité ». La gestion des Alliances, leur gouvernance, leur offre de cours sont évaluées selon des critères distribués en trois catégories : recommandé, très recommandé, obligatoire. Avec l’aide du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, nous accompagnerons chaque année une quinzaine d’établissements dans leur auto-évaluation. Les Alliances, quelle que soit leur taille, devront satisfaire aux critères obligatoires et s’efforcer, en fonction de leurs moyens et de leur importance, de tendre vers les autres objectifs. Cette démarche souple, qui encourage les établissements à progresser plutôt qu’elle ne les sanctionne, nous paraît concilier l’exigence de qualité et l’esprit du bénévolat.
Du point de vue financier, il est certain que nous avons dû revoir à la baisse nos ambitions, la levée de fonds n’ayant permis jusqu’ici de réunir que 5,5 millions d’euros au lieu des 22 millions escomptés. Nous sommes cependant sur une pente ascensionnelle. Le produit de ces 5,5 millions d’euros nous a permis de multiplier par deux les aides ponctuelles aux Alliances de l’étranger entre 2008 et 2009. Nous y consacrons aujourd’hui 150 000 euros, ce qui représente des interventions directes d’un montant compris pour chacune entre 5 000 et 10 000 euros. Le colloque international que nous organisons chaque année prend de l’ampleur, grâce à nos partenaires et au mécénat d’entreprise. Dans le cadre d’un projet « Alliances vertes », nous cherchons de nouveaux soutiens pour inciter les Alliances françaises qui souhaiteraient effectuer des travaux de rénovation ou de construction à le faire en respectant des critères environnementaux.
M. André Schneider, Rapporteur. Les Alliances de France organisent-elles toujours des voyages à l’étranger, comme le faisait dans ma jeunesse celle de Strasbourg ?
M. Jean-Claude Jacq. Cela peut faire partie des diverses activités d’une Alliance, mais nous avons dû nous adapter aux changements culturels et moderniser nos actions. Ainsi, alors que les grands conférenciers français attiraient autrefois de nombreux auditeurs, il nous faut aujourd’hui imaginer de nouvelles formules pour faire recette, comme des débats entre intellectuels français et intellectuels du pays d’accueil.
Confrontés à la concurrence, nous devons renoncer à un fonctionnement « familial » et nous professionnaliser davantage. Mais nous devons aussi conserver ce précieux patrimoine, bâti autour de la passion de la langue française, laquelle n’a cessé, tout au long de ma carrière, de me surprendre par sa force et son dynamisme.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur les autres acteurs, tels que le ministère des Affaires étrangères, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ou la Mission laïque française ? Avez-vous tissé avec eux des liens satisfaisants ?
M. Jean-Claude Jacq. Je parais être le seul à penser que l’idée d’incohérence de notre action culturelle, colportée notamment par la presse, est fausse. Pour avoir exercé tous les métiers de ce secteur, je considère comme infondées les accusations de gabegie ou de mauvaise gouvernance. Le ministère des Affaires étrangères publie chaque année des orientations globales mais précises. Localement, ses partenaires et opérateurs exercent leur métier. Le rôle du conseiller culturel est de répercuter l’effort de cohérence impulsé de Paris et d’amener l’Alliance, l’Agence française de développement, les lycées français ou encore le service scientifique à travailler ensemble.
D’aucuns souhaitent tout rassembler sous une même houlette. Je pense, au contraire, que le fonctionnement actuel comporte bien des avantages. Le double réseau des Alliances et des centres culturels est même un atout : tandis que certains pays préfèrent voir s’installer une institution nationale sur leur territoire, il est beaucoup plus difficile d’ouvrir des centres culturels français en Birmanie ou en Chine, ce qui justifie alors la création d’Alliances françaises. Cette souplesse nous est d’ailleurs enviée par nos homologues du Goethe Institut ou du British Council.
Quand on parle d’incohérence ou de manque d’orientations, on cherche en fait à dissimuler la décrue invraisemblable des moyens, le seul véritable problème auquel nous soyons confrontés. Les centres culturels et les services culturels subissent chaque année une baisse de 15 à 20 % de leurs moyens en matériels et en personnels. En vingt ans, ils ont perdu la moitié de leurs cadres et personnels détachés et la moitié de leur budget. Quelle autre institution aurait résisté à un tel régime ? Si les agents sont débordés, c’est qu’ils voient leurs responsabilités s’accroître tandis que leurs moyens diminuent. Les conseillers culturels doivent tout faire, sauf, peut-être, passer le balai. Nous assistons à une incroyable saignée, et ce n’est pas la création d’une agence unique qui résoudra le problème.
Nous entretenons de bons rapports avec les autres acteurs : nous avons des conventions avec la Mission laïque française, l’AEFE ou CulturesFrance et, localement, nous organisons des activités communes.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel est le contenu de ces conventions ?
M. Jean-Claude Jacq. Il est entendu que les établissements scolaires, les Alliances françaises et les centres culturels français doivent se prêter main-forte. Les premiers ouvrent leurs portes aux seconds pour les examens, les professeurs des lycées sont sollicités pour intervenir dans les Alliances, celles-ci hébergent les CEF, les centres de recherche en sciences sociales ou les « campus France ». La loi qui définit les missions de l’AEFE précise quant à elle que l’Agence doit, comme nous, « contribuer au rayonnement de la langue et de la culture françaises ». Ces réseaux s’imbriquent donc les uns dans les autres en se rendant mutuellement service sans qu’il y ait pour autant de doubles emplois.
Certes, des tensions existent, mais elles sont davantage dues à des rivalités de personnes qu’aux institutions elles-mêmes. Encore une fois, le problème majeur est celui de la pauvreté des moyens et de la formation. Il y a vingt ans, les futurs conseillers culturels étaient au préalable formés par le ministère ; aujourd’hui, ils partent sans compétence gestionnaire, avec pour unique bagage leur expérience dans le domaine éducatif ou culturel. C’est aussi le cas des futurs directeurs d’Alliances, pour lesquels il faudrait peut-être imaginer un tutorat qui leur permette de se former pendant un mois au contact d’un directeur d’Alliance confirmé. Il faut aussi, j’y insiste, que l’hémorragie des moyens cesse.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Nous ne cherchons pas à prouver une quelconque gabegie et si nous évoquons une possible mise en cohérence, c’est que nous voulons savoir comment faire en sorte que les choses progressent. De manière unanime, nous constatons le manque de moyens et de formation. À cet égard, je suis frappé par le décalage qui existe entre le discours officiel – les ambitions affichées dans la lettre de mission du Président de la République en sont un exemple – et les moyens consacrés à l’enseignement français à l’étranger.
M. Jean-Claude Jacq. Je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : quels que soient les gouvernements, le décalage entre le discours politique et la réalité est patent. Combien de fois ai-je entendu chanter les louanges de l’Alliance française et de nos centres culturels et pourtant les moyens qui leur sont alloués diminuent constamment, et très fortement ! Et que l’on ne s’abrite pas derrière les contraintes budgétaires : le budget de l’État, que je sache, ne diminue pas, lui ! En fait, les politiques sont à l’image de nos concitoyens : le rayonnement culturel extérieur de notre pays leur est indifférent. Pourtant, ce fut loin d’être toujours le cas : la France a été l’un des premiers pays à se doter d’une politique en la matière. Qu’elle s’en désintéresse aujourd’hui me paraît suicidaire.
Face à cette situation, la formidable capacité de résilience de l’Alliance française lui permet de s’adapter, mieux peut-être que les centres culturels qui sont plus dépendants des crédits publics, ne serait-ce que parce qu’elle doit compenser la décrue de ses moyens en s’appuyant sur les ressources locales.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Précisément, qu’en est-il de la formation des « recrutés locaux » ?
M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance de Paris-Île-de-France organise des stages pour ces futurs directeurs.
Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les présidents des Alliances, qui sont des nationaux, mettront leur point d’honneur à résoudre les différents problèmes auxquels ils sont confrontés, en particulier les problèmes immobiliers. Mais, grâce notamment au ministère des Affaires étrangères qui a participé depuis vingt ou trente ans à ces acquisitions pour la moitié ou le tiers de leur montant, deux cents Alliances françaises sont à ce jour propriétaires de leurs locaux, ce qui les aide à traverser les périodes de crise. Au final, les avantages d’une telle organisation non étatique me paraissent donc l’emporter très largement sur ses inconvénients.
À la demande du ministère, les Alliances françaises s’installent depuis plusieurs années dans les pays – notamment européens – où les centres culturels ferment. Des Alliances ont ainsi vu le jour à Gênes, à Porto et, récemment, à Turin et parce qu’une telle tendance, qu’on constate aussi du côté allemand et britannique en raison du redéploiement vers l’Asie, ne fera que s’accentuer, nous avons l’obligation historique d’être encore plus professionnels et efficaces afin de pallier ce retrait de la présence publique. L’organisation de la Fondation Alliance française – où l’État est présent sans être majoritaire puisque, avec un représentant du ministère de l’Intérieur et un du ministère des Affaires étrangères, il dispose de deux sièges sur seize – permet d’y travailler dans une logique il est vrai plus partenariale que directive dont certains membres du ministère auraient tort de s’inquiéter : nul président étranger d’une Alliance française ne nous a jamais empêchés d’organiser une exposition ou une conférence ! Même si je comprends les inquiétudes qui s’expriment – l’État, en effet, ne contrôle pas « tout » –, ce serait un pari d’autant plus admirable et fructueux d’utiliser comme outil de développement cette formule unique de totale « décentralisation », que la coopération culturelle mondiale sera de plus en plus fondée sur le dialogue et l’échange, non sur des décisions unilatérales. Mais c’est un point de vue que j’ai du mal à faire partager…
M. André Schneider, Rapporteur. Quelle est la proportion respective des bénévoles et des professionnels au sein des Alliances françaises ?
Par ailleurs, que doivent faire selon vous les politiques afin d’accroître l’influence de notre langue et de notre culture dans le monde ?
M. Jean-Claude Jacq. Les administrateurs sont tous bénévoles et les professeurs, évidemment, salariés.
Les politiques, quant à eux, doivent aider nos concitoyens à prendre conscience de l’importance des enjeux culturels à la fois sur un plan pratique – notre diplomatie a intérêt à disposer d’interlocuteurs qui partagent notre culture – et symbolique – il nous faut être fiers de notre histoire et de notre héritage. La France devrait-elle être le seul pays au monde à ne pas s’enorgueillir de sa langue, de ses écrivains, de ses cinéastes, de ses danseurs ? Nos partenaires étrangers nous reprochent presque d’en avoir honte ! Je songe également à ces Papous venus nous visiter à Paris voilà trois ou quatre ans et qui, émerveillés, s’exclamèrent : « Qui a construit tout cela ? Vos ancêtres ? Vous devez beaucoup les admirer ! »… En outre, si le Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol avait bien sûr quelque chose d’excessif, notre langue n’en demeure pas moins la deuxième au monde, après l’anglais, non par le nombre de ses locuteurs mais par sa diffusion géographique et son importance intellectuelle. Nos centres culturels et nos Alliances rencontrent un fort succès dans tout l’ensemble « BRIC » – Brésil, Russie, Inde, Chine – et c’est dans les plus grands pays que nous avons le plus fort taux de développement. Nous avons d’autant plus de motifs de chercher à proposer une offre de qualité, vivante et dynamique, qu’aucune autre culture ne suscite le même bénévolat, comme le reconnaissent nos amis britanniques, allemands et espagnols qui jugeraient fort difficile de mettre sur pied aujourd’hui l’équivalent pour eux des Alliances françaises ! Profitons de cet attachement extraordinaire à notre culture ! Si nous sommes heureux et fiers de notre patrimoine, si nous savons le partager, je suis persuadé que nous avons encore un grand avenir devant nous !
M. André Schneider, Rapporteur. Nous avons grand besoin de personnes comme vous.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie pour ces propos pleins d’espoir et d’enthousiasme que, soyez-en certain, nous faisons nôtres.
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