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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Enseignement français à l’étranger

Jeudi 18 mars 2010

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Georges Tron, Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Roger Ferrari et Patrick Soldat (SNES) et de Mme Pilar Struillou (SNUipp hors de France), représentants du personnel au conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons maintenant les représentants du personnel au conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) : M. Roger Ferrari et M. Patrick Soldat pour le Syndicat national des enseignants du second degré, le SNES, et Mme Pilar Struillou, pour le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège – PEGC – enseignant hors de France. Les membres de l’UNSA-éducation tenant aujourd’hui leur congrès annuel, nous verrons comment recueillir le point de vue de leurs représentants. Madame, messieurs, je vous invite à présenter brièvement vos organisations respectives et à nous faire part de votre point de vue quant à notre politique d’enseignement français à l’étranger.

Mme Pilar Struillou, représentante du SNUipp hors de France. Pour ma part, je représente les enseignants du premier degré ainsi que les personnels détachés auprès de l’AEFE, des établissements homologués de la Mission laïque française, du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) et des établissements privés à niveaux homologués, de même que les personnels détachés par le ministère des Affaires étrangères.

M. Roger Ferrari, représentant du SNES. Mon organisation syndicale se préoccupe depuis longtemps de l’enseignement français, et plus particulièrement de son financement, questions dont je suis en charge depuis plus de vingt ans. J’ai ainsi participé, en 1990, à la création de l’établissement public AEFE, lequel nous conduit, depuis un certain temps, de déception en déception.

Nous déplorons, avec d’autres partenaires, le sous-financement, par l’État, de l’établissement public et un transfert de charges vers les usagers, c’est-à-dire les parents d’élèves. Il y a de quoi s’inquiéter s’agissant du rayonnement et de l’efficacité du réseau.

Alors que nous avions mis beaucoup d’espoir dans la création de l’établissement public, celui-ci ne remplit pas toutes ses missions, non pas parce que ceux qui le dirigent ne veulent pas les remplir, mais parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de le faire.

M. Patrick Soldat, représentant du SNES. Les conséquences de ce sous-financement sont de plus en plus visibles, à tous les niveaux. Toutes les catégories de personnels sont aujourd’hui touchées : personnels enseignants ou non enseignants ; personnels expatriés et personnels résidents, détachés de l’Éducation nationale ; personnels recrutés locaux, très nombreux dans le réseau de l’AEFE et qui y jouent un rôle aussi important que les autres catégories. Les conditions de travail et de rémunération de ces différentes catégories de personnels se sont nettement dégradées dans le contexte de plus en plus contraint évoqué par Roger Ferrari.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Selon vous, la création en 1990 d’un opérateur, sous forme d’un établissement public, a-t-elle été une bonne chose ? Les compétences exercées par ce dernier sont-elles satisfaisantes et correspondent-elles aux objectifs fixés par la loi ? Comment se présente sa situation financière ? Les difficultés que vous avez évoquées portent-elles exclusivement sur la situation des enseignants ou sur d’autres points, par exemple la prise en charge des frais d’écolage par les familles ?

M. Roger Ferrari. Je suis d’autant plus à l’aise pour parler de la situation de l’établissement public qu’en 1989 nous n’étions pas très favorables à sa création, estimant qu’il convenait de maintenir un service au sein de ce qui était à l’époque le ministère des Affaires étrangères et de la coopération. L’expérience aidant, nous nous sommes aperçus de son intérêt, mais encore faudrait-il qu’il ait les moyens de fonctionner.

L’établissement public a notamment été créé pour assurer une coordination du réseau, pour donner des moyens aux établissements et pour mettre à leur disposition des personnels détachés, sachant que la Mission laïque française, qui n’était qu’un partenaire, a développé depuis une bonne dizaine d’années, en concertation avec l’AEFE, un réseau parallèle. Cela signifie que des établissements se créent et se développent en dehors de l’établissement public, la Mission laïque française apparaissant comme un « simili-opérateur ».

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Pourtant, elle se défend d’être un opérateur.

M. Roger Ferrari. Elle se qualifie en effet de « partenaire ». Reste que l’on assiste au déconventionnement d’établissements – en Espagne, en Égypte ou au Koweït encore très récemment – ce qui les conduit, leurs liens avec l’AEFE étant rompus, à se tourner vers la Mission laïque française pour qu’elle les gère.

Cela affecte la cohérence du dispositif et la situation des personnels. Ces derniers, qui sont des résidents, passent sous statut privé, ce qui a pour eux des conséquences en matière de protection sociale, de niveau de rémunération, de contrat de travail,...

M. Georges Tron, Président. Comment ce passage de l’un à l’autre est-il justifié ?

M. Roger Ferrari. L’AEFE déconventionne les établissements qui coûtent trop cher ou qui n’ont pas suffisamment d’élèves français, et la Mission laïque française intervient alors comme « repreneur ». Cela dit, l’expérience n’est pas toujours probante. C’est ainsi que la Mission, qui a repris il y a deux ans l’école franco-italienne de Florence, est aujourd’hui confrontée à des demandes qu’elle juge exorbitantes de la part des personnels et des organisations syndicales qui demandent le respect de la réglementation sociale italienne.

Mme Pilar Struillou. La loi créant l’AEFE a donné un statut aux personnels titulaires de l’Éducation nationale qui, pour des raisons diverses, étaient installés à l’étranger et qui étaient considérés comme des personnels privés. Elle a donné cohérence à ce corps qui assurait, par sa connaissance du réseau, du pays et souvent de sa langue, une certaine pérennité dans les équipes et dans la pédagogie, à côté des personnels expatriés venus pour des missions courtes.

La création de ce statut voilà vingt ans a ainsi constitué un progrès social énorme pour ces titulaires et, d’une certaine façon, il y a aussi une reconnaissance pour nos collègues ayant intégré les établissements du réseau avec des contrats locaux, et auxquels on essaie, depuis lors mais sans beaucoup de résultat, de donner aussi un statut et des prestations.

M. Roger Ferrari. S’agissant des missions de l’Agence autres que la scolarisation des enfants français, on ne peut pas parler de coopération avec les systèmes éducatifs. Au Maroc, par exemple, il existe bien quelques partenariats entre établissements de l’AEFE et des établissements du pays, mais ce n’est pas de la coopération à un niveau élevé.

Le sujet a été repris à l’occasion de la préparation par le ministre Kouchner du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, où la défunte direction générale de la Coopération internationale et du développement tentait de retrouver un champ d’action. L’idée était que l’AEFE pourrait engager une véritable coopération éducative avec le système local en s’appuyant sur des personnels affectés par ailleurs à des tâches d’enseignement, non pas qu’une telle action n’ait pas lieu, mais parce qu’elle dépend de la bonne volonté des chefs d’établissement.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il manque une stratégie globale ?

M. Roger Ferrari. Et aussi des moyens.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Mais, pour peu qu’on lui en donne les moyens, l’AEFE est-elle le bon acteur pour prendre en charge des initiatives en matière de coopération éducative ?

M. Roger Ferrari. Oui, à condition qu’elle mette en place une action complémentaire. En tant que représentants syndicaux, nous avons à cœur de soutenir le développement de l’éducation. Mais qu’en est-il sur le terrain ? Au lycée français de Bangui, le proviseur forme les enseignants locaux de biologie ou de physique aux manipulations et aux expériences en laboratoire. Mais, dès lors que leurs établissements ne disposent pas du même matériel que les nôtres, ces actions ne servent à rien. C’est pourquoi il faut non seulement renforcer le rôle de coopération des établissements publics, en donnant aux personnels la possibilité de s’y consacrer, mais aussi prévoir une action complémentaire avec d’autres établissements.

De même, le lien avec les établissements culturels est trop souvent ponctuel. Il ne suffit pas d’organiser une visite avec des élèves pour créer un véritable lien avec un établissement culturel.

M. André Schneider, Rapporteur. Qu’il faille tisser des liens avec l’environnement local me semble aller de soi, même si certaines formes de coopération n’entrent pas directement dans le champ de notre mission. En revanche, puisque notre objectif est de faire rayonner la France et le français dans le monde, j’aimerais savoir quelle est la situation à cet égard. De quelle manière évolue l’intérêt des pays étrangers pour l’enseignement en français ?

Par ailleurs, quel est votre sentiment sur la rotation des personnels ? Combien de temps les enseignants restent-ils à un poste ? Comment appréciez-vous sur place la proportion respective des personnels locaux, résidents et expatriés ?

M. Patrick Soldat. Notre attachement à la dimension publique du service de l’éducation à l’étranger n’est pas uniquement théorique ou idéologique. C’est pourquoi nous regrettons que le plan d’orientation stratégique élaboré par l’AEFE procède d’un mauvais diagnostic. En tant qu’enseignant du réseau de l’Agence, j’ai exercé au Danemark, puis à Madagascar et je suis actuellement en poste en Espagne, de sorte que j’ai pu observer des configurations très différentes. Partout, j’ai constaté de la part des usagers un fort attachement au caractère public de notre enseignement. Celui-ci est souvent pris pour modèle, et pas seulement par les familles francophones ou celles qui veulent faire apprendre le français à leurs enfants. C’est pourquoi nous souhaitons que l’AEFE ne renonce pas à son rôle d’établissement public.

Sur place, les enseignants comme les élèves participent au rayonnement de la France. Ils constituent une sorte de référence qui ne se limite pas à la sphère de l’éducation. Cependant, j’observe aujourd’hui beaucoup d’inquiétudes. On parle de partenariat et de projets, en distinguant quatre statuts : les établissements à gestion directe, les établissements conventionnés, les établissements homologués et les établissements sous label « MAEE », délivré par le ministère des Affaires étrangères et européennes. Si ces solutions ne sont pas satisfaisantes, c’est parce qu’elles procèdent d’une hypothèse erronée selon laquelle les parents qui mettent leurs enfants dans notre système éducatif feraient un acte de consommation.

Le principe de l’autofinancement oblige ces parents à acquitter des frais de scolarité de plus en plus élevés, tandis qu’il contraint les établissements à renoncer à certaines options ou à certaines possibilités qu’ils offraient aux élèves. À ce jeu, nous risquons de perdre notre spécificité. Or, je le répète, quand on évoque avec les familles les autres systèmes éducatifs, le système américain par exemple, on s’aperçoit qu’elles sont attachées à la touche française, qui privilégie la réflexion et l’analyse. Si l’on dilue le label « France » entre de nombreux opérateurs, sur lesquels on n’aura plus la main, il faudra renoncer à une qualité qui est au cœur du rayonnement de notre système éducatif à l’étranger.

J’ajoute que certains élèves issus de pays en voie de développement, qui ont eu accès à des bourses, ont ensuite intégré des écoles françaises prestigieuses, ce qui constitue manifestement une forme coopération. C’est pourquoi les familles qui résident à l’étranger – notamment celles dont les parents sont des personnels résidents ou détachés de l’éducation nationale – ne comprennent pas que, pour des raisons économiques, on refuse désormais de leur attribuer des bourses, alors même que d’autres bénéficient d’une scolarité gratuite.

Mme Pilar Struillou. La proportion respective des enseignants expatriés, résidents et locaux varie d’un pays à l’autre. À Mexico, sur quatorze classes de maternelle, on compte trois titulaires résidents pour onze contractuels locaux. La proportion est la même dans le cycle élémentaire, où l’on trouve un à deux titulaires par niveau, les autres enseignants étant sous contrat local. En Europe, le taux des titulaires résidents est de 80 à 90 %, pour très peu de contractuels locaux. Enfin, dans les pays difficiles, notamment pour des raisons politiques ou économiques, la proportion de résidents est plus importante, en raison de la faiblesse de ce qu’on nomme le « vivier local ».

L’inspecteur de zone est chargé de la formation initiale des contractuels locaux comme de la formation continue de tous les personnels enseignants. Toutefois, la situation s’étant dégradée ces dernières années, nous aimerions que la mission de formation de ces inspecteurs soit renforcée. Nos collègues sous contrat local doivent en effet s’adapter à une pédagogie spécifiquement française, dispensée dans les écoles normales ou les IUFM, et dont ils ne sont pas familiers. Dans les pays d’Amérique latine, où il n’existe plus d’école normale, des universitaires, des mères de famille, voire d’anciens résidents français se retrouvent tout à coup devant une classe sans avoir reçu de formation initiale. Il est important de les aider.

Quant à la question du rayonnement, un rapport d’Édufrance sur les anciens élèves du réseau français a souligné que les adultes qui se tournent le plus souvent vers la France sont ceux qui ont été à l’école primaire ou au collège dans notre système.

Lorsque l’AEFE a mis en place un véritable système d’orientation, avec une équipe issue de l’Éducation nationale, le pourcentage d’élèves choisissant de faire leurs études en France a augmenté de 50 %. C’est dire que, pour peu qu’elle s’en donne les moyens, l’Agence peut exercer une réelle influence dans ce domaine.

M. André Schneider, Rapporteur. Nous convenons tous de la nécessité de renforcer la formation initiale des enseignants. Leur bon niveau ne peut qu’aider au rayonnement de la France.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si la proportion des expatriés, des résidents et des recrutés locaux varie selon les pays, est-ce en raison du public auquel on s’adresse ?

Mme Pilar Struillou. Cela tient plutôt à l’histoire de chaque établissement, aux liens que tel pays a pu entretenir avec le nôtre et à sa proximité par rapport à la France. Chaque catégorie d’enseignants a une mission spécifique.

La plus courte est celle des expatriés. Leur nombre est désormais réduit : dans le primaire, les seuls expatriés sont les directeurs, et la direction des toutes petites structures est désormais assumée par des résidents.

Ceux-ci, qui représentent la plus grande partie des titulaires, signent des contrats de trois ans renouvelables plusieurs fois. Ils peuvent donc rester longtemps dans un pays et assurent à ce titre la pérennité des équipes. La loi de 1990 leur a donné un statut. Ils disposent désormais d’un salaire indiciaire, bénéficient d’une formation continue et peuvent travailler à l’étranger comme professeurs des écoles ou instituteurs. Ils contribuent à la stabilité du système, face aux directeurs qui changent tous les cinq ans et aux professeurs ou aux maîtres formateurs qui effectuent des missions courtes. En l’absence de maîtres formateurs, ils assurent également le suivi des contractuels locaux.

M. André Schneider, Rapporteur. Je suis un peu inquiet de vous entendre ainsi parler de stabilité. Cinq ans, c’est déjà long. À votre sens, combien de temps faut-il rester dans un établissement pour garantir sa stabilité ?

Mme Pilar Struillou. Si la loi de 1990 a donné à ces personnels titulaires, qui ont été formés, la possibilité d’exercer leur métier à l’étranger, c’est parce qu’ils représentent un apport essentiel en termes d’éducation et d’influence. Bien que leur rémunération soit pratiquement la même que celle qu’ils recevraient en France, leur rôle est primordial, notamment en raison de la formation continue dont ils bénéficient et de leur stabilité au sein de l’équipe pédagogique.

M. Roger Ferrari. On ne peut pas s’intéresser à l’enseignement français à l’étranger sans adopter une approche historique, car l’histoire joue un rôle déterminant sur la coopération, l’implantation des établissements ou l’état du réseau. Les jeunes qui fréquentent nos établissements sont attirés autant par la langue française que par la qualité de l’enseignement qui y est dispensé.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous sommes d’accord.

M. Roger Ferrari. S’il y a plus de recrutés locaux dans les établissements d’Amérique du Sud, c’est pour des raisons historiques – forte présence de l’Alliance française, nombre élevé de résidents français, attrait pour la langue française –, qui justifient que des enseignants locaux se soient investis dans ces établissements. Néanmoins, la situation a considérablement changé depuis quelques années. J’ai connu l’époque où l’on comptait plus de 2 700 enseignants ou directeurs expatriés ; ils ne sont plus que 1 200 aujourd’hui.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On compte actuellement 600 enseignants et 600 directeurs expatriés.

M. Roger Ferrari. Dans le premier degré, il n’y a pratiquement plus d’enseignants expatriés, alors qu’ils assuraient jadis la rotation du personnel, en effectuant généralement deux missions consécutives de six ans chacune. Aujourd’hui, la mobilité n’est plus assurée que de manière négative : les enseignants qui souhaitent partir à l’étranger ne trouvant plus de postes d’expatriés, ils acceptent ceux de résidents. De ce fait, ils ne restent en général que trois ans sur place, car la rémunération n’est pas toujours avantageuse, l’indemnité spécifique de vie locale n’est pas considérable et, après ce délai, ils ont le sentiment d’avoir fait le tour du pays. C’est ce qui explique qu’il y ait peut-être plus de mouvement aujourd’hui. Mais est-ce positif pour l’enseignement lui-même ? Rien n’est moins sûr.

Il est navrant que la qualité de réseau ne soit pas davantage prise en compte, et que seuls prévalent les critères économiques. Les postes d’expatriés sont supprimés. Le salaire des résidents, presque exclusivement supporté par les familles, n’augmente pas et leurs postes sont parfois remis en cause. Les recrutés locaux, dont la rémunération est encore moins importante, constituent la variable d’ajustement. Cette situation ne correspond pas à une décision pédagogique : le recours aux recrutés locaux obéit à des raisons purement financières.

M. André Schneider, Rapporteur. Ne voyez aucune malice dans ma question, mais, par rapport aux autres enseignants du pays, quelle est la situation d’un enseignant local recruté par un établissement français ?

M. Roger Ferrari. Il est mieux traité, puisqu’il perçoit dans un établissement français un salaire supérieur à celui qu’il recevrait dans un établissement local. C’est pourquoi ces enseignants sont attirés par les postes que nous leur offrons.

En 2000, nous avons mené en faveur des recrutés locaux une action qui a porté ses fruits, notamment dans les établissements en gestion directe. Mais, depuis cette date, en dépit des promesses du ministère, aucune amélioration n’est intervenue, par exemple en ce qui concerne leur couverture sociale.

M. André Schneider, Rapporteur. Quelles perspectives de carrière ont-ils, dès lors qu’ils répondent aux critères exigés ?

M. Roger Ferrari. Rien ne les empêche de rester dans les établissements.

Mme Pilar Struillou. Les contrats locaux concernent autant les Français installés à l’étranger qui n’ont pas le diplôme d’instituteur que les professeurs de langue. En Amérique latine, un enseignant d’espagnol sera beaucoup mieux payé par un établissement français que par un établissement public de son pays.

M. Roger Ferrari. Certains recrutés locaux enseignent d’autres matières que les langues, par exemple les mathématiques. Mais la pédagogie à l’œuvre dans le système éducatif local et celle d’un établissement français qui prépare au baccalauréat ne sont pas toujours les mêmes. Je l’ai observé au Liban, au lycée de Beyrouth, sous convention avec l’AEFE et géré par la Mission laïque : on peut enseigner les mathématiques en français sans pour autant appliquer la pédagogie des établissements français. Certains pays privilégient encore la répétition au détriment de la compréhension ou de l’expérimentation. D’où la nécessité de veiller à la formation des personnels locaux.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Existe-t-il un seuil de répartition optimal des différents types d’enseignants ? Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’AEFE, considère qu’il ne faut pas descendre au-dessous d’un seuil de 600 enseignants expatriés, chiffre qui lui paraît suffisant, compte tenu de la taille du réseau. Partagez-vous son avis ?

M. Patrick Soldat. Mme Descôtes n’a pas tort de souligner qu’il ne faut pas descendre au-dessous d’un certain nombre d’expatriés, mais celui de 600 nous semble très insuffisant. Outre la question de la mobilité, il faut tenir compte de l’éloignement du pays par rapport à la France et de la difficulté de recruter des professeurs sur place. Dans certains pays comme le Congo, on manque d’enseignants car, contrairement à une idée répandue, il est très difficile de trouver à Pointe-Noire un détaché résident ou un recruté local qui puisse enseigner la philosophie. Quand nous avions prévenu l’Agence qu’il ne fallait pas supprimer certains postes, on ne nous a pas écoutés, mais, deux ans plus tard, il a fallu rétablir ceux qui avaient été supprimés.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Avez-vous établi une liste des pays dans lesquels vous considérez que la qualité, l’efficacité et la réputation de l’enseignement français sont compromises, faute d’un nombre suffisant d’expatriés ?

Mme Pilar Struillou. On peut citer le cas à Bangui, en République centrafricaine.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le cas échéant, il serait utile que vous nous transmettiez cette liste.

M. Patrick Soldat. En fait, il est difficile d’établir une carte des besoins en matière d’enseignants expatriés, car la situation diffère qualitativement d’un pays à l’autre. Dans certains cas, par exemple au Maroc, les besoins sont considérables, parce que le réseau est dense, alors que d’autres pays ne disposent que d’un seul établissement d’enseignement français, qui, de la maternelle à la terminale, n’accueille pas plus de 500 élèves. Il faudrait également affiner la situation discipline par discipline : il est difficile de recruter des enseignants en physique ou en SVT. En outre, les besoins locaux imposent parfois de rechercher certains profils très précis, ce qui pose problème. Mieux vaut recruter un expatrié si l’on cherche un enseignant formateur ou un directeur ; mais, dans d’autres cas, le problème est, non d’envoyer sur place un expatrié surprofilé, mais tout simplement de mettre un enseignant devant les élèves.

M. Roger Ferrari. Nous aussi, nous contestons le chiffre avancé par Mme Descôtes. À nos yeux, il faudrait beaucoup plus que 600 enseignants expatriés, car ils sont les seuls à pouvoir assurer la mobilité des personnels. Pour citer à nouveau l’exemple du Congo, à Pointe-Noire, pour sept postes de résidents déclarés vacants – ce qui témoigne de conditions de travail peu attrayantes –, on a reçu vingt et une candidatures, ce qui est dérisoire au vu du nombre moyen de demandes pour chaque poste d’expatrié.

Quand l’Agence a commencé à supprimer massivement les postes d’expatriés, la consigne était de maintenir un expatrié par discipline. Elle a considéré ensuite qu’il fallait un expatrié par groupe de disciplines. Aujourd’hui, le mot d’ordre est que l’on n’a plus du tout besoin d’enseignants expatriés. C’est pourquoi je suis sceptique à l’égard des chiffres officiels. Pour ma part, à défaut de pouvoir obtenir un expatrié par discipline, je considère qu’il faudrait au moins un expatrié par groupe de disciplines.

Si l’on veut éviter que des enseignants expatriés ne se promènent de postes en postes à travers le monde, il suffit de n’envoyer à l’étranger que des professeurs qui enseignent en France, et qui rejoindraient la France après cette expérience.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le problème est de savoir quel est le nombre minimum d’expatriés à maintenir.

M. Roger Ferrari. Il faut aussi tenir compte du fait qu’à certains endroits, on ne peut pas du tout recruter localement, ce qui justifie l’existence d’un poste d’expatrié. À Lagos, deux postes d’expatriés ont été supprimés, l’un en lettres classiques, l’autre en allemand. L’Agence, qui se targuait de les pourvoir avec des enseignants résidents, n’a trouvé aucun candidat. Du coup, on a recruté un professeur d’enseignement général de collège – PEGC – pour enseigner le français et un Nigérian qui parle un peu l’allemand.

M. André Schneider, Rapporteur. Soyons plus précis sur le nombre moyen de candidats par poste d’expatrié ouvert au recrutement. En 1973, la première fois que j’ai posé ma candidature, il y avait cinquante demandes par poste, et j’ai dû attendre cinq ans avant qu’on m’en propose un.

Il reste un paradoxe : vous dénoncez une situation difficile en termes de personnel, mais la qualité de l’enseignement et le taux de réussite au baccalauréat sont bien supérieurs dans les établissements français à l’étranger qu’en métropole.

Mme Pilar Struillou. C’est juste. Le taux de réussite au baccalauréat est compris en 98 et 100 %, ce qui montre que les enseignants ont bien fait leur travail.

Pour avancer un chiffre, nous souhaiterions qu’il y ait un directeur expatrié par école primaire. À Madagascar, les postes de direction ont été supprimés dans chacune des quatre écoles primaires de Tananarive. C’est regrettable compte tenu de l’histoire de ce réseau en particulier et de l’importance des missions assurées par un directeur dans le réseau : première partie de la formation des contrats locaux, relations avec les parents d’élèves, gestion administrative d’écoles comprenant parfois trente à quarante-trois classes. Par exemple, l’Agence n’a trouvé personne pour diriger l’école primaire de Bogota, qui compte quarante-trois classes, alors que les candidats seraient plus nombreux si l’on affectait un directeur à la tête de chacun des trois cycles.

M. Roger Ferrari. Trois facteurs expliquent les bons résultats que vous avez rappelés. Les élèves des établissements français sont issus de milieux sociaux aisés et cultivés, ce qui les aide à mieux réussir leurs études. Le nombre d’élèves par classe est généralement réduit, ce qui, contrairement à ce que prétendent certaines hautes instances de l’Éducation nationale, n’est pas sans incidences sur les résultats scolaires. Enfin, l’effectif des personnels d’encadrement est généralement plus important dans ces établissements qu’en France.

Cependant, aucune étude de cohortes n’ayant été entreprise, au motif qu’elles sont trop compliquées à réaliser, nous ne disposons d’aucune statistique. Ainsi, les élèves en échec qui sortent de ce système ne sont pas comptabilisés. Quand ils rentrent en France, nous ne savons pas ce qu’ils deviennent. En outre, nous ignorons toujours les conclusions du rapport Schneiter et le contenu du plan stratégique présenté au conseil d’administration le 15 mars, qui, semble-t-il, ne suscite pas l’adhésion de Bercy.

Mme Pilar Struillou. Du fait de l’augmentation récente des frais de scolarité, les enfants des universitaires, qui ne sont pas payés aussi bien que les négociants, doivent quitter nos établissements, alors que ce public participait à la mission d’influence de la France. On le voit au lycée franco-mexicain de Mexico, qui possède deux antennes : Polanco, au nord de la ville, et Coyoacan, au sud. La seconde voit partir un grand nombre d’enfants d’universitaires, qui travaillent dans la zone de la UNAM, l’université nationale autonome du Mexique. Il est regrettable que ces enfants qui baignent dans un milieu remarquable sur le plan culturel, et qui sont propres à assurer à la France, qui les a formés, une sorte de « retour sur investissement », ne puissent plus rester dans nos établissements.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Vous pensez que l’augmentation des droits d’écolage met toute une catégorie de la population à la porte de nos écoles ?

M. Roger Ferrari. Oui, la plupart des enfants d’intellectuels.

Mme Pilar Struillou. C’est très grave.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Considérez-vous que l’évolution de la prise en charge joue aussi un rôle négatif à cet égard ?

Mme Pilar Struillou. Oui.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Cependant, il y a quinze jours, en me rendant à l’Assemblée des Français de l’étranger, j’ai constaté que la moitié de présents soutenait cette mesure, à laquelle l’autre moitié était très défavorable. Je pensais qu’elle suscitait davantage d’hostilité.

M. Roger Ferrari. Pour le budget des établissements publics, cette mesure est une catastrophe. Depuis plusieurs années, les crédits de fonctionnement ont diminué et les crédits publics ne permettent plus de couvrir les augmentations de salaires. Les cotisations patronales pour pension civile...

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Qui sont de 6 %.

M. Roger Ferrari. …ne sont plus totalement acquittées par l’Agence. Une telle politique manque totalement de cohérence avec les propos du Président de la République sur l’autofinancement des établissements publics. Si les entreprises payaient autrefois les droits de scolarité des personnels expatriés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Autant de financements perdus pour l’AEFE ! C’est pourquoi les mesures qui ont été prises sont effectivement contre-productives.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il me semble que le débat est plus ouvert que vous ne le dites. Admettons que la prise en charge soit prolongée, comment pallier ses conséquences négatives sur le budget de l’AEFE ? Faut-il considérer que la prise en charge doit être totalement indépendante de l’AEFE, au motif qu’elle ne concerne pas ses missions propres ?

Mme Pilar Struillou. Je ne suis pas experte en économie, mais je suis frappée du fait que la prise en charge, désormais intégrée à l’aide à la scolarité, au même titre que les bourses, a contraint le budget de celles-ci. C’est-à-dire que les familles qui connaissent le plus de difficultés n’y auront pas accès, alors que le nombre de demandes ne cesse d’augmenter actuellement à cause de la crise.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Seriez-vous favorable à un système calqué sur ce qui se passe en France, c’est-à-dire fondé sur la gratuité de l’enseignement assortie de l’octroi de bourses aux familles qui en ont le plus besoin ?

Mme Pilar Struillou. Oui.

M. Roger Ferrari. Nous préférerions la suppression de la prise en charge et le retour à l’attribution de bourses scolaires en fonction de critères de revenus.

Une solution intermédiaire consisterait à faire gérer ces frais par les consulats, sans qu’ils interfèrent avec le budget de l’AEFE. Certains sénateurs nous ont fait remarquer que le budget de l’Agence n’avait jamais été bien doté qu’aujourd’hui, mais les 60 millions d’euros qu’elle reçoit actuellement ne lui sont pas destinés en propre.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Considérez-vous que le ministère de l’Éducation nationale est suffisamment impliqué dans le dispositif ?

M. Roger Ferrari. Dès la création de l’Agence, nous étions favorables à une cotutelle du ministère des Affaires étrangères et de celui de l’Éducation nationale. On nous a même reproché, en tant que syndicalistes, d’avoir pactisé avec des parlementaires de droite en soutenant ce point de vue.

À nos yeux, le ministère de l’Éducation nationale doit être présent non seulement comme intervenant pédagogique ou financier, mais pour assurer un réel service d’éducation. Dans ce domaine, le personnel de l’Éducation nationale est plus compétent que celui des Affaires étrangères. Ainsi, quand un inspecteur général de l’Éducation nationale rédige un rapport, il le fait en toute indépendance. Ce n’est pas le cas de ceux qui sont rattachés à l’Agence.

M. André Schneider, Rapporteur. Pour avoir posé la question à tous nos interlocuteurs, je suis tout à fait d’accord avec vous tant pour la formation que pour la certification et l’évaluation des personnels.

M. Roger Ferrari. J’ajoute que les conseillers d’orientation psychologues, dont le rôle est actuellement remis en cause en France, jouent un rôle indispensable.

M. Patrick Soldat. Il faut créer des postes dans ce domaine.

M. Roger Ferrari. Oui, il faut en créer sur place, car il ne suffit pas d’envoyer ponctuellement du personnel si l’on veut améliorer le chaînage entre l’enseignement secondaire français à l’étranger et l’enseignement supérieur en France. Mieux orienter les élèves permet de les garder.

En outre, il faut développer les spécificités de notre système éducatif. Ni les conseillers d’orientation psychologues ni les conseillers principaux d’éducation n’existent dans le système éducatif anglo-saxon. L’encadrement de la vie scolaire est une spécificité française qui doit être maintenue.

Mme Pilar Struillou. Les maîtres formateurs jouent également un rôle essentiel dans notre système éducatif.

M. Roger Ferrari. La politique officielle de l’Agence est qu’il faut développer les spécificités françaises ; mais, quand nous demandons que des mesures soient prises dans ce domaine, on nous répond que les moyens manquent et qu’il y a d’autres priorités.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Votre contribution a été d’un grand intérêt. Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à la compléter par écrit.

M. Georges Tron, Président. Merci à tous.