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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Enseignement français à l’étranger

Jeudi 1er avril 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M Jean-François Mancel, Rapporteur

– Audition, ouverte à la presse de M. Alain de Pouzilhac, président-directeur général de la société Audiovisuel extérieur de la France (AEF), Mme Christine Ockrent, directrice générale déléguée, Mme Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde, ainsi que Mme Lidwien Van Dixhoorn, chef du service langue française à RFI.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Soyez vivement remerciés d’avoir accepté notre invitation à cette audition de la mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’enseignement français à l’étranger.

Destinée à contrôler l’exercice d’une mission de service public, la MEC réunit des parlementaires membres de commissions et de groupes politiques différents qui travaillent de façon consensuelle. En l’occurrence, outre votre serviteur, membre de la commission des Finances, Hervé Féron, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères, rapporteront l’ensemble des débats. J’ajoute que M. Gilles Andréani, conseiller maître à la Cour des comptes – qui a eu naguère l’occasion de contrôler l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel extérieur de la France (AEF) – représente aujourd’hui cette institution.

Je vous propose de commencer par nous dire quel est votre rôle dans l’enseignement français à l’étranger et quelles propositions vous paraissent devoir être formulées dans ce domaine.

M. Alain de Pouzilhac, président de la société Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Christine Ockrent et moi-même avons été nommés en 2008 par M. le Président de la République afin de moderniser et de dynamiser l’audiovisuel extérieur de la France. Ainsi sommes-nous constamment attentifs à améliorer l’efficacité des sociétés que nous contrôlons directement – RFI, France 24, Monte Carlo Doualiya –, notamment en nous efforçant de réduire les coûts. J’ajoute que si, jadis, ces dernières fonctionnaient de manière autonome et non coordonnée, nous veillons aujourd’hui à établir des synergies tant sur le plan des contenus que de la distribution, du multimédia ou des études, etc… – il en est d’ailleurs de même avec TV5 Monde, en particulier s’agissant de l’enseignement du français à l’étranger, mission que nous jugeons très importante. En effet, depuis l’accord intervenu entre les ministres des pays non français francophones – Suisse, communauté française de Belgique, Canada, Québec – et leurs homologues français cette chaîne n’est pas considérée comme une filiale de l’AEF mais comme un partenaire autonome : ainsi que l’a souhaité le Gouvernement français, avec 49 % du capital et deux administrateurs sur douze, AEF est minoritaire au sein de son conseil d’administration. Cette autonomie n’entrave en rien notre excellente collaboration et nos relations de confiance et de transparence et nous nous félicitons, en particulier, d’avoir nommé Mme Marie-Christine Saragosse directrice générale de la chaîne. Nous soutenons tous les développements stratégiques et financiers de TV5 Monde.

Enfin, parce que la mondialisation et la révolution technologique modifient considérablement l’environnement dans lequel nous travaillons, il est particulièrement important qu’un groupe de médias français public, moderne, compétitif et à dimension internationale diffuse dans le monde entier nos valeurs, notre culture et notre langue. Notre mission consiste aussi, en effet, à participer au rayonnement de notre pays, de sa culture et de sa langue, que ce soit en français ou en d’autres langues, francophonie et francophilie étant pour nous des objectifs étroitement liés.

Mme Christine Ockrent, directrice générale déléguée de l’AEF. L’orientation de la réforme voulue par le Président de la République il y a deux ans correspond bien aux préoccupations de votre mission.

La première grande caractéristique en est la complémentarité entre RFI, grande et vénérable radio internationale qui diffuse depuis cinquante ans quantité d’émissions visant à promouvoir notre langue, TV5 Monde, qui constitue l’organe généraliste par excellence de la francophonie et France 24, chaîne d’information continue. Ces trois entités s’emboîtent ainsi parfaitement pour remplir un certain nombre de missions.

La deuxième caractéristique est l’impact mondial de cet ensemble. J’insiste particulièrement sur le développement de RFI et TV5 Monde en Afrique, continent dont l’expansion démographique constitue le meilleur vecteur de la francophonie. L’accroissement des audiences de RFI – avec la conquête d’un auditoire plus jeune – et de France 24 est continu et, pour cette dernière, spectaculaire puisqu’elle est devenue, en trois ans seulement, la première chaîne étrangère d’information dans la plupart des pays africains.

Troisième caractéristique : être au service de missions de service public réalisées avec des outils et des approches spécifiques.

La quatrième caractéristique répond particulièrement au thème qui est le vôtre puisqu’il s’agit de la pédagogie grâce à laquelle ces médias s’efforcent de répondre aux préoccupations des enseignants, des apprenants et des « citoyens du monde » unis par une même langue et par une même vision.

Mme Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde. Véritable outil d’apprentissage du français, TV5 Monde œuvre depuis 25 ans à la promotion de notre langue. Elle est un premier outil de sensibilisation et d’immersion en français. Sous-titrées en dix langues, ses émissions visent un public francophile, comme aux États-Unis où 57 % de nos téléspectateurs sont Américains et bénéficient de la sorte d’un premier contact avec notre langue. À partir de là, les enseignants nous ont poussés à développer un dispositif moderne d’apprentissage et d’enseignement du français rendant notre langue particulièrement attractive : le programme interactif et multimédia « Apprendre et enseigner avec TV5 Monde » est ainsi au cœur de notre plan stratégique 2009-2012 au service de la communauté éducative internationale mais, également, du réseau culturel français à l’étranger – instituts, alliances françaises, lycées – ainsi que des apprenants qui travaillent de façon autonome.

Au centre de ce dispositif se trouve un magazine de 26 minutes, Sept jours sur la planète, réalisé par la rédaction de TV5 Monde à partir des journaux ; sous-titré en français, et diffusé chaque samedi matin sur notre réseau de neuf signaux : ce dispositif comprend dix reportages dont trois sont l’objet d’une « pédagogisation » immédiate, mise en ligne dès leur diffusion ; les professeurs peuvent ainsi les utiliser directement en classe. Ils sont aussi l’objet de transcriptions intégrales, peuvent être téléchargés et les interviews sont disponibles sur You Tube. Nous jouons ainsi résolument la carte des réseaux sociaux et des nouveaux médias. Ce magazine a reçu en 2006 le label européen des langues. Par ailleurs notre dispositif comprend également une partie thématique dans laquelle plusieurs sujets sont traités au travers d’extraits de nos émissions : l’Europe, la bande dessinée, la gastronomie, les musées, les écrivains, les voyages, les grandes métropoles, etc., et il répond aux normes du cadre européen commun de référence des langues.

Depuis un mois, nous avons lancé Première classe – dispositif dédié aux grands débutants avec une interface en anglais, en allemand et en espagnol (à terme l’ensemble des dix langues de TV5 Monde, dont le japonais et l’arabe) – ainsi qu’un entraînement gratuit au test de connaissance du français (TCF) indispensable pour s’inscrire à l’université dans notre pays. En un mois, nous avons dénombré pas moins de 200 000 connexions pour Première classe.

Destinée aux enseignants, la rubrique « Enseigner le français » est la plus ancienne. Elle comprend des fiches téléchargeables sur les thèmes précédemment cités auxquels s’ajoutent le théâtre, le cinéma ou la chanson. En outre, nous venons d’élaborer des parcours pour les tableaux blancs interactifs Smart Board dont le succès ne se dément pas – de même, d’ailleurs, que celui de la Web TV pour les enfants que nous avons lancée au mois de juin 2009, afin que le français ne soit pas seulement la langue de la salle de classe mais aussi celle de la cour de récréation, voire du quotidien.

« Apprendre et enseigner avec TV5 Monde » se situe aux côtés de la rubrique « Langue française » de notre site dans laquelle figurent également un remarquable dictionnaire multifonctions ainsi qu’un grand nombre de jeux sur la langue française. En 2009, nous avons dénombré plus de 20 millions de visites – ce qui représente 100 millions de pages visionnées ; 2,6 millions de pages d’exercices interactifs ont été quant à elles traitées à la seule rubrique « Apprendre et enseigner » – soit un exercice réalisé en ligne toutes les 12 secondes – et 556 000 fiches pédagogiques ont été téléchargées, soit une toutes les 56 secondes.

Les enseignants et les apprenants constituent l’essentiel de notre public, 100 000 d’entre eux, également répartis, étant abonnés à notre lettre bimensuelle. Nous disposons également d’un réseau d’une cinquantaine de « formateurs de formateurs » labellisés « TV5 Monde » et nous formons ainsi en moyenne 5 000 enseignants par an souvent en collaboration avec RFI. J’ajoute qu’avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et européennes nous travaillons avec RFI à l’élaboration d’un kit « mode d’emploi des médias ».

Enfin, parmi nos partenaires figurent : la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), le ministère des Affaires étrangères et européennes, l’organisation internationale de la francophonie (OIF), l’agence universitaire de la francophonie (AUF), la Commission européenne, Atout France et plusieurs de nos régions – dont Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Alsace, Bretagne, Limousin, Rhône-Alpes, PACA –, la maison d’édition Hachette – qui utilise nos documents authentiques –, le ministère de l’Éducation nationale – en particulier lors de la Semaine de la presse à l’école –, des experts pédagogiques, le centre d’approches vivantes des langues et des médias (CAVILAM), ainsi que les alliances françaises de Paris, Lyon, Grenoble, Strasbourg, New York, Dublin et Bruxelles, la chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’université de Paris-VIII et l’université catholique de Louvain. J’ajoute que nous venons de lancer la première application d’apprentissage du français sur Iphone avec une interface en anglais – nous préparons les interfaces en espagnol et en allemand.

M. Alain de Pouzilhac. C’est un outil à la fois ludique et pédagogique qui permet de très bien apprendre le français.

Mme Lidwien Van Dixhoorn, chef du service « langue française » à RFI. Même si la radio constitue bien entendu un support exclusivement oral pour l’apprentissage des langues, l’offre de RFI ressemble assez sensiblement à celle de TV5 Monde.

Depuis 1986, la mission de RFI consiste à promouvoir la langue française et à soutenir son enseignement. Son influence repose sur les auditeurs qui, à l’étranger, lui ont fait confiance alors que ni l’Internet ni l’Iphone n’existaient encore. Radio mondiale multilingue, grand public, facile d’accès, elle diffuse sur les ondes mais aussi sur l’Internet et, bientôt je l’espère, sur Iphone, des émissions de sensibilisation à la langue française à partir de concepts innovants dont celui des fictions bilingues qui rencontrent beaucoup de succès.

Radio d’actualité, RFI propose chaque jour aux enseignants des émissions pouvant être étudiées dans les classes. Ainsi mettons-nous quotidiennement en ligne le script du Journal en français facile, émission réalisée par des journalistes de la rédaction qui est téléchargée 3 000 fois par jour contre 500 pour les magazines les plus populaires et que certains n’hésitent pas à qualifier d’exemplaire en raison, notamment, de ses vertus pédagogiques.

RFI est aussi un média francophone mondial multi-support qui diffuse des émissions consacrées à la langue française. Ainsi, Yvan Amar anime deux émissions quotidiennes : Danse des mots, dédiée à l’actualité de notre langue, aux politiques linguistiques, aux évolutions des usages ainsi que Les mots de l’actualité, magazine déjà ancien qui n’en demeure pas moins très populaire, notamment en Afrique. Les non-francophones s’intéressent plus particulièrement aux émissions de sensibilisation à la langue française dont L’affaire du coffret, feuilleton quotidien de cinq minutes qui présente l’enquête policière à Paris d’un étranger dont le salut dépend de la maîtrise de la langue. Les ambiances des gares, des marchés y sont également reconstituées en autant de séduisantes « cartes postales sonores ». Adaptées en 14 langues, diffusées en dix langues sur RFI, ces émissions motivent par ailleurs considérablement les élèves à travers les adaptations dont elles font l’objet : ainsi avons-nous lancé L’affaire du coffret à Damas – que diffusera également Radio Monte Carlo Doualiya – et à Madagascar où des concepteurs locaux, enseignants formés par RFI, ont préparé une suite, Nos ancêtres les pirates, diffusée par la radio nationale malgache et qui a trouvé son public. Enfin, une nouvelle fiction bilingue pour l’Afrique sera exploitée dans le cadre de projets éducatifs locaux et diffusée par RFI en versions franco-anglaise, franco-haoussa, franco-swahilie – reposant sur ce principe sont en cours à destination de l’Afrique, le monde arabe étant quant à lui demandeur de séries consacrées au français économique. À destination de l’Asie nous envisageons de créer des séries qui seront sans doute diffusées exclusivement sur téléphones mobiles.

De plus, toutes nos émissions sont diffusées sur notre site Internet, qui comporte d’ailleurs des ressources pédagogiques pour les professeurs de français et les apprenants. La rubrique intitulée Dossiers pour la classe s’organise autour d’un certain nombre de thématiques – développement durable, économie, droits de l’enfant, droits de l’homme, etc. – des extraits d’émissions de RFI aisément téléchargeables sont mis en ligne de même que des fiches pédagogiques directement utilisables ou des exercices d’écoute pour les auto-apprenants. Ces dernières rencontrent d’ailleurs un beau succès puisque 4 000 d’entre elles sont utilisées chaque jour. Nous avons également créé un blog commun à l’ensemble des professeurs de manière à fédérer le plus grand nombre possible d’auditeurs. Enfin, notre site « langue française » est visité par 250 000 personnes par mois – notamment en Asie, en Amérique du Nord et du Sud et en Europe de l’Ouest – qui visionnent 1 million de pages.

J’ajoute que nous avons formé avec TV5 Monde 3 000 professeurs de français l’année dernière, notamment en Afrique et en Europe.

Enfin, nous travaillons avec l’Union européenne – notamment à la production de séries de promotion des langues - mais également avec l’OIF, le ministère des Affaires étrangères et européennes, le CIEP, le comité régional d’éducation sur les médias d’information (CREMI), TV5 Monde – en l’occurrence, sur une application intitulée Learn with the news – ainsi que des partenaires privés comme Hachette et CLE International.

M. André Schneider, Rapporteur. À partir de mardi et pendant trois jours, je présiderai à Yaoundé la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) où je ne manquerai pas de me faire l’écho de certains de vos propos.

Plus précisément, pourriez-vous décrire les grands axes de développement de la francophonie en Afrique ?

M. Alain de Pouzilhac. C’est bien évidemment en Afrique que l’on développe le plus le français et que nos audiences sont les meilleures – 85 % de l’audience veille de RFI. Nous y promouvons en particulier une politique dite des « langues véhiculaires » – le swahili et le haoussa actuellement, plusieurs autres au total à la fin 2011 – afin qu’elles servent de support pédagogique à la transmission du français.

Mme Christine Ockrent. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone – à l’exception notable du Congo-Kinshasa où nos émetteurs sont coupés, mais où nous ne désespérons pas de les remettre en service – l’audience de RFI augmente à nouveau, rajeunit un peu mais continue à souffrir d’un manque de féminisation, raison pour laquelle nous travaillons à améliorer notre offre afin de mieux refléter la formidable évolution des sociétés africaines, dans laquelle les femmes jouent un rôle essentiel.

Fait notable : l’audience de France 24 auprès du grand public est spectaculaire en Afrique francophone, notamment à Yaoundé où elle atteint 24 %.

Mme Marie-Christine Saragosse. Ce sont 22 millions de personnes qui regardent chaque semaine TV5 Monde en Afrique. Notre audience croît d’ailleurs parallèlement à celle de France 24, ce qui confirme notre complémentarité.

En outre, depuis plusieurs années, nous avons développé sur ce continent un réseau de maisons de TV5 Monde – l’équipement laissant à désirer de ce point de vue, à la différence notable du réseau de téléphonie mobile, très performant, puisque plus de 20 % de la consultation de notre site mobile provient de l’Afrique contre 14 % pour le site fixe. Au total, après l’inauguration de deux maisons au Burundi et alors que la République démocratique du Congo vient de faire deux demandes, leur nombre s’élève à 20. Ces maisons sont équipées de bornes Internet. Des concours sur la langue française, dotés par TV5 Monde, y sont organisés.

Par ailleurs, nous avons réalisé avec RFI un certain nombre de « formations de formateurs » dont trois dédiées à l’usage des médias dans les classes de français langue étrangère (FLE) au bénéfice des enseignants du réseau des centres de français langue étrangère d’Afrique (RECFLEA) lancé par le ministère des Affaires étrangères et européennes et l’OIF. Ce fut plus précisément le cas dans le Village Français du Nigeria, au Bénin et au Togo ; TV5 Monde a également labellisé un formateur au Cameroun et participe avec l’OIF à l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) africains.

En tant qu’opérateur de la francophonie, nous venons d’intégrer l’Union africaine où nous développons plus particulièrement un programme de formation des diplomates non francophones à Addis-Abeba. Enfin, nous lançons le 25 mai une Web TV intégralement consacrée à l’Afrique 24 heures sur 24 – avec des documentaires, des fictions, des magazines – notamment dans le cadre de partenariats avec les jeunes télévisions africaines qui voient le jour un peu partout, souvent, d’ailleurs, dans des langues locales comme, à Dakar, en wolof.

M. André Schneider, Rapporteur. Quel est votre taux de pénétration au Nigeria ?

Mme Christine Ockrent. France 24 et RFI y sont bien positionnées, grâce à l’haoussa. Il n’en demeure pas moins que ce pays reste très protectionniste vis-à-vis des médias étrangers.

Par ailleurs, nous préparons un programme d’expansion important au sein de l’Afrique anglophone de manière à ce que l’extraordinaire impact de nos médias en français puisse s’accroître dans cette zone du monde où la concurrence des groupes locaux et régionaux devient féroce, sans que nous l’ayons jusqu’ici suffisamment pris en compte.

M. Alain de Pouzilhac. J’ajoute que, concurrents de la BBC et de Voice of America, nous avons passé un accord avec Voice of Nigeria afin d’accroître la présence de l’haoussa et du swahili.

M. André Schneider, Rapporteur. Nous venons de créer une section nigériane de l’APF et je puis vous assurer que ce pays n’est effectivement guère d’accès facile.

Mme Marie-Christine Saragosse. J’ajoute que, depuis un an, nos programmes à destination de l’Afrique anglophone sont sous-titrés en anglais et que nous allons dédier un signal spécial à cette zone en 2010.

Par ailleurs, nous sommes présents au Nigeria – l’an dernier, nous étions partenaires du cinquantenaire des alliances françaises et du lycée français – mais il est vrai que ce pays n’est pas facile et que notre langue y rayonne un peu moins.

Mme Christine Ockrent. Au Cameroun, pays bilingue appartenant à la fois à la francophonie et au Commonwealth, nous avons obtenu un nouvel émetteur pour RFI dans la partie anglophone du pays, les dirigeants étant très attentifs à ce que la promotion du français passe aussi par le prisme de l’anglais.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Monsieur de Pouzilhac, je suis d’autant plus heureux de vos propos sur la francophonie que ce mot, comme s’il était victime de connotations historiques négatives, est trop souvent absent des auditions relatives à l’action extérieure de la France. Je crains donc que, ce vocable tu, la belle idée francophone ne disparaisse et que les anglicismes ne se multiplient. Si nous ne pouvons plus rêver à une hégémonie de notre langue, ne doit-on pas se battre pour qu’elle devienne la deuxième langue la plus parlée sur la planète ? Ne devrions-nous pas de surcroît nous montrer plus déterminés à relever fièrement ce flambeau éclairant nos valeurs et notre histoire et contribuant à former tant de personnes ?

En outre, si je me félicite de l’étendue du champ d’action des chaînes que vous représentez, ne pensez-vous pas que des progrès sont encore à réaliser afin de créer plus de synergies avec, par exemple, l’AEFE, les alliances françaises ou les centres culturels ?

Enfin, au-delà de la complémentarité dont il a été question, ne peut-on accroître la cohérence de l’ensemble du système afin notamment de mieux couvrir les territoires tout en tenant compte de la spécificité de chaque situation nationale ?

M. Alain de Pouzilhac. La francophonie est au cœur de notre action : « ma langue, ma culture, mon pays »… Néanmoins, si nous devons soutenir fermement la francophonie, nous devons tout autant nous battre sur le front de la francophilie, de la culture et de l’art de vivre afin d’amener progressivement ceux qui ne parlent pas français à s’intéresser à notre langue. Nous essayons donc de gagner des parts de marché à travers, par exemple, les sous-titrages en dix langues permettant ensuite de promouvoir nos valeurs. Ainsi, nous nous efforçons de relancer Monte Carlo Doualiya, radio arabophone qui ne compte plus aujourd’hui que 5 millions d’auditeurs, contre 25 millions il y a sept ou huit ans. Le développement de notre langue constitue donc une de nos priorités fondamentales : qu’elle soit moins parlée et c’est l’esprit français qui disparaîtra, donc l’influence de notre pays dans le monde.

Mme Christine Ockrent. Nous sommes très concernés par la qualité de notre langue. J’observe à ce propos que, si les journalistes de RFI, France 24 et TV5 Monde parlent un bon français, tous nos médias ne peuvent en dire autant…

M. André Schneider, Rapporteur. Venez avec moi à Yaoundé, madame Ockrent, vous nous aiderez à user de la francophilie pour faire des francophones !

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur vos confrères et néanmoins concurrents, par exemple la BBC ? Avez-vous les moyens de vos ambitions ?

M. Alain de Pouzilhac. Si, sur un plan qualitatif, nous ne sommes pas inférieurs à la BBC, nous sommes submergés sur un plan quantitatif : la différence de moyens est de l’ordre de un à dix. Ainsi, même si nous sommes en train de combler notre retard, la BBC a-t-elle considérablement développé l’apprentissage de l’anglais à travers les langues véhiculaires.

Défendant les idéaux démocratiques, le projet de Voice of America est quant à lui moins linguistique que politique.

Mme Christine Ockrent. Dans ce monde de plus en plus concurrentiel, on voit se profiler des concurrents autrement plus dangereux, qui ne véhiculent pas du tout les mêmes valeurs que nous : l’agence Chine Nouvelle a ainsi annoncé le mois dernier que le gouvernement chinois s’apprête à investir pas moins d’un milliard d’euros dans le développement de programmes radios ou télévisions en langues étrangères. Désormais, où que ce soit en Afrique, les programmes chinois sont diffusés… dans un français impeccable.

M. Alain de Pouzilhac. Dans huit mois, c’est une édition d’Al Jazeera en français qui verra le jour.

Mme Christine Ockrent. Pour notre part, nous sommes en négociations avec le Qatar pour créer une radio en français à partir des programmes de RFI.

Mme Marie-Christine Saragosse. Le site de la BBC ne manque pas d’intérêt et nous n’hésitons pas à nous en inspirer, en particulier pour développer le « français sur objectifs spécifiques » (FOS) dans les domaines économique et touristique.

J’ajoute que les Anglais disposent de moyens considérables pour faire ce dont je rêve : développer une communauté d’apprenants avec un système de tutorat, en particulier grâce aux réseaux sociaux. Ce serait tout à fait réalisable si nous disposions du personnel nécessaire.

Un petit « cocorico » tout de même : la BBC est venue nous voir au salon Expolangues afin de s’inspirer de notre exemple en matière de « contenus télé », notamment en ce qui concerne la gestion des droits.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les synergies avec l’AEFE, l’Alliance française ou le centre national d’enseignement à distance (CNED) sont-elles satisfaisantes ou des améliorations sensibles – sans qu’elles puissent jamais compenser le manque de moyens vis-à-vis de vos grands concurrents, hélas – permettraient-elles d’accroître votre efficacité ?

Mme Lidwien Van Dixhoorn. RFI a eu l’occasion de produire une série de cours avec le CNED lorsque ce dernier envisageait de s’investir dans le FLE. Au final, nos cibles ne sont pas exactement les mêmes : le CNED s’investit dans la formation de Français expatriés et nous demeurons quant à nous dans la perspective du « français langue étrangère » en travaillant avec le CIEP et en préparant, notamment, les TCF.

J’ajoute que la plupart de nos projets sont réalisés également en partenariat avec des institutions spécialisées dans la pédagogie, telles que l’Alliance française ou l’OIF.

Mme Marie-Christine Saragosse. Je souscris à ce qui vient d’être dit : nous travaillons en permanence en partenariat dans le domaine du FLE et la mise en commun des moyens dont nous disposons prévient toute gabegie. Je rappelle, de surcroît, que notre budget est en la matière inférieur à 500 000 euros, y compris en intégrant les salaires et les loyers. Par ailleurs, nous bénéficions de crédits extérieurs, de l’Union européenne, et surtout, à hauteur de 330 000 euros, auprès de nos partenaires institutionnels francophones.

J’ajoute que le tutorat qui me tient tant à cœur pourrait sans doute être mis en place grâce aux 693 départements de français de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) dont les étudiants sont très aguerris.

Enfin, le CIEP nous a demandé de concourir à l’intégration des migrants en les aidant à préparer le diplôme initial de langue française (DILF). La mairie du XVIIe arrondissement de Paris m’a aussi demandé si nous pouvions organiser une formation de formateur en France, le sous-titrage de nos émissions en dix langues pouvant se révéler également très utile dans notre pays. Il faut donc tenir compte du territoire national dans notre réflexion sur le FLE.

Mme Christine Ockrent. Par rapport aux langues anglaise et espagnole, la multiplicité des acteurs français de la francophonie – et, jusqu’à un certain point la concurrence qui les anime parfois – peut constituer une faiblesse.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelles sont vos relations avec le réseau culturel français à l’étranger mais, aussi, CulturesFrance ?

M. Alain de Pouzilhac. Excellentes, mais cela ne nous empêche pas de chercher d’autres coopérations : c’est dramatique mais en Espagne ou au Portugal, par exemple, l’apprentissage de notre langue n’est plus obligatoire ; nous nous heurtons à un mur.

Mme Marie-Christine Saragosse. Le français demeure néanmoins la deuxième langue étrangère la plus étudiée au monde. Mais il ne faut vraiment pas s’endormir !

M. André Schneider, Rapporteur. Globalement, le nombre de locuteurs français ne change pas : s’il diminue dans certaines zones traditionnellement francophones, il augmente dans d’autres. L’année dernière, la réunion de la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie s’est ainsi tenue au Laos. Il est en effet indispensable de réactiver la pratique de notre langue dans une région où elle a presque disparu.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelle solution envisagez-vous, madame Ockrent, afin de remédier à cette multiplicité des acteurs que vous avez évoquée ?

Mme Christine Ockrent. Malgré les limites imposées par la charte de TV5 Monde à la synergie entre les différents médias de l’audiovisuel extérieur – en effet complémentaires –, leur trop longue séparation était absurde. Quoi qu’il en soit, le problème majeur demeure celui des moyens dont nous disposons comparativement à nos concurrents, émanant de systèmes démocratiques ou non…

S’agissant de la multiplicité des acteurs, je crois que vous êtes mieux placés que nous pour apporter des réponses.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Soyez tous remerciés pour cette passionnante audition.