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M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous poursuivons, avec mes collègues rapporteurs Hervé Féron et André Schneider, respectivement membres de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et de la commission des Affaires étrangères, le cycle d’auditions que la Mission d’évaluation et de contrôle consacre à l’enseignement français à l’étranger. Nous cherchons d’une part à savoir si cet enseignement fonctionne bien, si les moyens qui lui sont alloués sont bien utilisés, et d’autre part, nous entendons le cas échéant formuler des propositions d’amélioration.
Madame, messieurs, pouvez-vous nous dire rapidement ce qu’est le Cercle Magellan et dans quel champ il intervient ? Point n’est besoin, messieurs, que vous nous présentiez le groupe Total mais vous pourriez nous indiquer comment une grande entreprise française aussi présente à l’international apporte sa contribution à l’enseignement français à l’étranger et surtout ce qu’elle en attend pour ses cadres expatriés.
M. Yves Girouard, président fondateur du Cercle Magellan. Le Cercle Magellan est un réseau de directeur des ressources humaines – DRH - internationaux s’occupant plus particulièrement de mobilité internationale. Nous collectons des informations et les mettons à la disposition des entreprises adhérentes. Nous éditons régulièrement des fiches techniques et méthodologiques destinées à apporter des réponses concrètes aux questions que se posent nos adhérents. Je précise que le Cercle Magellan n’a pas vocation à faire de politique ni de lobbying.
Mme Claude Mulsant, directrice générale du Cercle Magellan. Notre Cercle compte 160 entreprises adhérentes pour la fonction « Mobilité internationale ».
M. François Tribot-Laspiere, chargé des relations institutionnelles au sein du groupe Total. Seul un tiers des effectifs de Total travaille en France où le groupe ne réalise que 5 % de son résultat net. L’essentiel de son activité a lieu à l’étranger, notamment dans l’exploration et la production d’hydrocarbures. Le groupe, qui compte donc beaucoup d’expatriés, est un grand utilisateur du système d’enseignement français à l’étranger.
M. Luc Sposito, directeur Éducation du groupe Total. L’action de Total en matière d’éducation à l’étranger comporte deux volets, d’une part en direction des enfants de nos expatriés, d’autre part en direction des employés locaux, qu’ils travaillent ou non pour le groupe. Les actions de terrain sont prises en charge sur le plan opérationnel par nos filiales locales, de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur en passant par la formation continue, car nous intervenons également dans ce domaine de façon à répondre aux besoins des marchés du travail locaux, dans le secteur pétrolier mais pas seulement.
M. Didier Barres, chargé de la mobilité internationale dans le groupe Total. Je suis plus particulièrement chargé de l’expatriation au sein du groupe, qui compte à ce jour quelque 4 000 expatriés, dont 2 600 Français, répartis dans 110 pays. Ils partent pour l’essentiel en famille, ce qui implique que les enfants puissent suivre à l’étranger leur scolarité dans les meilleures conditions possible. Deux mille cent familles sont ainsi expatriées avec 1 700 enfants. C’est dire l’importance que revêtent pour nous la qualité et la densité du réseau d’enseignement français à l’étranger. Les enfants de nos salariés fréquentent plus de 80 établissements de l’AEFE. Nous avons par ailleurs dû créer huit écoles d’entreprise dans divers pays où l’Agence n’avait pas d’établissement et utilisons bien entendu, quand c’est nécessaire, les cours par correspondance du CNED.
Du fait de son souhait de favoriser l’expatriation familiale, Total doit pouvoir compter sur le réseau des établissements de l’AEFE. Nous en apprécions la densité, ainsi que la qualité et la continuité de l’enseignement qu’il dispense, qui rassurent beaucoup les parents, nos expatriés étant amenés à faire des allers-retours avec la France mais aussi à travailler dans différents pays sur tous les continents, où il importe que leurs enfants puissent poursuivre sans heurt leur scolarité. Nous estimons impératif de maintenir ce réseau, sur lequel nous portons une appréciation très positive. L’un des meilleurs indicateurs de sa qualité est la tranquillité d’esprit des parents quand leurs enfants réintègrent le système éducatif national en France et la satisfaction qu’ils expriment alors, même si quelques problèmes se rencontrent parfois, notamment pour les classes terminales quand les élèves ont des projets très spécifiques de scolarité.
M. Yves Girouard. Le Cercle Magellan a créé un conseil de la Mobilité internationale, qui est un organe de liaison entre les entreprises et toutes les institutions concernées par le sujet, et où sont régulièrement évoqués les problèmes de scolarité à l’étranger.
Quels retours avons-nous de la part de nos 160 entreprises adhérentes – pour l’essentiel des grands groupes mais aussi des entreprises plus petites mais très internationalisées –, s’agissant de l’enseignement français à l’étranger ? La scolarisation de leurs enfants est l’une des préoccupations majeures des expatriés, très attachés au système éducatif français – c’est même souvent la condition de leur accord pour une expatriation. La qualité de cet enseignement est un atout essentiel pour le développement des intérêts économiques internationaux de la France. Un million et demi de Français, soit seulement 3 % de la population française totale, vivent aujourd’hui à l’étranger, – contre 7 à 8 % de la population allemande, 10 % de la population italienne ou japonaise et 12 % de la population américaine. Cette différence pèse nécessairement sur nos exportations. Pour renforcer notre présence à l’étranger, notamment en expatriant des familles, l’enseignement français à l’étranger est un élément déterminant.
La nature de l’expatriation a évolué. Par le passé, il n’était pas rare que des expatriés demeurent vingt ou trente ans dans un même pays, finissant par s’assimiler à la population locale et être perçus davantage comme des locaux que comme des Français. Aujourd’hui, la durée moyenne d’expatriation dans un pays donné n’est plus que de trois à cinq ans. D’où une plus grande mobilité des cadres qui exigent que leurs enfants puissent être scolarisés facilement dans les endroits où ils sont envoyés et assurer ainsi une continuité dans la scolarisation.
Les besoins aussi ont changé. Si les sièges sociaux sont encore le plus souvent situés dans les capitales ou les grandes villes, les entreprises, notamment industrielles, travaillent sur des chantiers, créent des usines dans des endroits où il n’y a pas d’école. La carte des besoins scolaires hors de France évolue donc très vite.
Les aspirations des expatriés sont également différentes. Il y a encore une quinzaine d’années, dans un couple, c’était le mari qui s’expatriait, sa femme le suivant. Aujourd’hui, l’expatriation est un véritable projet familial auquel le conjoint et les enfants sont étroitement associés. De plus en plus souvent, les conjoints travaillent et souhaitent continuer de le faire. Ce sont d’ailleurs parfois les femmes qui s’expatrient et leurs maris qui les suivent. La scolarisation des enfants est un des éléments clés pris en compte dans le choix de l’expatriation. D’une manière générale, les familles recherchent dans cette expérience une opportunité d’ouverture à l’international, notamment pour leurs enfants, avec l’approche de nouveaux pays et de nouvelles cultures, et le plus souvent l’apprentissage de l’anglais.
Quels problèmes nous signale-t-on ? La réduction du nombre d’enseignants détachés de l’Éducation nationale, qui a pour corollaire des recrutements plus nombreux d’enseignants locaux, est une source d’inquiétude majeure quant à la qualité de l’enseignement – des témoignages concrets nous sont rapportés en ce sens. Les familles nous font également part de difficultés d’homologation, notamment pour de petites écoles hors des grandes villes. Je pense notamment à Bangalore où de nombreuses entreprises d’informatique se sont implantées il y a quelques années avant qu’il n’y ait d’infrastructure française de scolarisation. Les familles se demandent également si leurs enfants pourront sans difficulté réintégrer le système scolaire français à leur retour en France : elles souhaitent notamment être sûres de l’équivalence des diplômes. Elles regrettent un apprentissage insuffisant de l’anglais à l’étranger, le manque de sections internationales avec trop peu de préparations au baccalauréat international. Elles déplorent enfin une certaine inadéquation du déploiement du réseau d’établissements avec les besoins.
Que souhaitons-nous ? Que le réseau d’enseignement français à l’étranger non seulement perdure mais se développe. Certaines familles d’expatriés scolarisent leurs enfants dans des établissements anglo-saxons, cela reste marginal mais l’amorce de ce mouvement est un signal. Les entreprises financent largement l’enseignement français à l’étranger par la prise en charge des frais de scolarité, la création d’écoles d’entreprise, notamment hors des villes, ou bien encore par le biais de la Mission laïque française qui ouvre des écoles là où l’AEFE n’est pas présente. Beaucoup d’entreprises, au travers de leurs filiales locales, participent au financement de projets concrets – extension de bâtiments, acquisition de matériels pédagogiques… Il est difficile d’évaluer le montant total de ces financements indirects, l’ensemble n’étant pas consolidé au niveau des comptes des groupes.
Le désengagement progressif de l’État en matière d’enseignement français à l’étranger, que l’on ne peut que constater, préoccupe les entreprises qui se développent à l’international. Ce désengagement prend plusieurs formes. Tout d’abord, la diminution du nombre d’enseignants détachés à l’étranger ; en deuxième lieu, l’accroissement des charges de personnels pour les principaux acteurs, induit par le décret du 19 décembre 2007 ayant transféré à l’AEFE la charge du financement de la part patronale des cotisations de pensions des personnels détachés, dont l’Agence était auparavant exonérée, et imposé à la Mission laïque française de supporter cette charge sans compensation de l’État. Il a fallu trouver des moyens supplémentaires, d’où une augmentation des frais d’écolage pour les entreprises ; ensuite, le manque d’entretien des locaux de nombre d’établissements de par le monde, dont de nombreux témoignages attestent de la vétusté ; enfin, les difficultés d’homologation de certaines écoles, notamment celles accompagnant des projets spécifiques d’entreprise. S’il y a moins d’établissements français à l’étranger, les familles se tourneront vers l’enseignement anglo-saxon, où les enfants poursuivront ensuite toute leur scolarité. Les élites étrangères risquent aussi de déserter notre système d’enseignement du fait de l’augmentation des frais d’écolage – on l’a d’ores et déjà constaté. Or, une telle évolution serait préjudiciable à nos entreprises et à notre économie, les personnes formées dans notre système d’enseignement ayant logiquement tendance, plus tard, à se tourner davantage vers la France et ses entreprises. Notre pays pourrait ainsi à terme perdre des parts de marché. Pour conclure, les entreprises ont du mal à discerner la cohérence de la politique menée. Elles comprennent notamment difficilement qu’après l’annonce de la prise en charge des frais d’écolage, le décret du 19 décembre 2007 ait de facto augmenté les coûts. En dix ans, la part de financement supporté par les familles, rapportée à celle de l’État, est passée de 40 à 61 %.
J’en viens à nos « recommandations ». Nous souhaiterions une plus grande mutualisation des moyens, avec par exemple des écoles partagées avec d’autres pays européens, des campus européens et le développement de partenariats avec des écoles locales – le groupe Michelin a ainsi développé en Thaïlande une section française au sein d’une école américaine où les cours de mathématiques et de français sont dispensés en langue française. Nous souhaiterions également plus de souplesse, afin que le réseau d’enseignement français à l’étranger puisse répondre rapidement à un accroissement d’activité dans un lieu donné – comme il l’aurait fallu il y a quelques années à Bangalore – ou pour faire face à la saturation aujourd’hui avérée de plusieurs écoles françaises à l’étranger comme à Shanghai, Pékin, Moscou ou Londres. Enfin, nous estimons indispensable que la France dispose des moyens de continuer d’exercer son influence : 60 % du financement de l’AEFE provient des étrangers scolarisés dans les écoles françaises. Or, l’augmentation des frais d’écolage pour les nationaux – corollaire, pour partie, de la « gratuité » au profit des Français –, risque de les faire se tourner vers d’autres systèmes d’enseignement, mettant à terme en péril tout l’enseignement français à l’étranger, lequel ne pourrait pas vivre sans leur concours.
En conclusion, le réseau de l’AEFE est unique au monde. Il faut le conserver, le valoriser et le faire évoluer, avec une volonté politique forte d’en soutenir les établissements et d’accompagner les entreprises françaises, grands groupes ou PME, qui se développent à l’international. Le Cercle Magellan est prêt à accompagner, comme il le fait depuis dix ans, tous les acteurs concernés.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie de ce diagnostic très précis. Avez-vous relevé des différences notables entre les cadres français et ceux d’autres nationalités ? Les Français par exemple sont-ils plus désireux que les autres de disposer d’un système d’enseignement national là où ils sont expatriés ?
Mme Claude Mulsant. Ils y sont très attentifs car ils anticipent leur retour en France. Les parents souhaitent que leurs enfants n’aient pas de difficulté lorsqu’ils réintègrent le système éducatif en métropole. La très grande qualité et la spécificité de l’éducation à la française sont reconnues partout dans le monde et les familles y sont très attachées. Elles souhaiteraient toutefois que leurs enfants apprennent davantage l’anglais durant leur expatriation.
M. Didier Barres. L’un des principaux atouts du système d’enseignement français à l’étranger est en effet de garantir la continuité souhaitée par les familles. Je confirme également que pour les familles, un projet d’expatriation est, entre autres, l’occasion de pratiquer une ou plusieurs langues étrangères, et qu’elles souhaiteraient que l’enseignement des langues soit plus développé dans le système éducatif français.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Quel est le montant approximatif de la participation des entreprises françaises aux dépenses, tant d’investissement que de fonctionnement, des établissements de l’AEFE ?
Par ailleurs, vous avez mis l’accent sur diverses difficultés qu’ont également soulignées d’autres personnalités que nous avons auditionnées précédemment, comme la diminution du nombre d’enseignants détachés, l’accroissement des charges de personnel, la vétusté des locaux… Tout cela ne découle pas directement de la « gratuité », mais y est souvent lié. Que pensez-vous du dispositif de prise en charge (PEC). Le jugez-vous ou non satisfaisant en l’état ?
Enfin, vous avez mentionné les difficultés d’homologation de certains établissements. Ne faudrait-il pas préciser davantage les besoins des entreprises ? Leurs objectifs et attentes sont-ils exactement les mêmes que ceux de l’AEFE ? Les familles d’expatriés sont-elles plus demandeuses pour leurs enfants d’enseignement du français ou d’enseignement en français ? Que pensez-vous de la mise en place d’un enseignement bilingue dans les pays non francophones, notamment anglophones, et du principe défendu par la Mission laïque française « deux cultures, trois langues » ?
M. Yves Girouard. La vétusté des locaux avait été constatée bien avant la mise en œuvre de la PEC.
M. Jean Pautrot, président du conseil de la mobilité internationale du Cercle Magellan. Il est très difficile pour les entreprises d’évaluer le montant global de leur participation au financement des établissements car l’essentiel des actions est géré directement par leurs filiales locales, et toutes ces données financières ne remontent pas nécessairement jusqu’à la société mère. Sans doute serait-il plus facile à l’AEFE elle-même de rassembler ces données.
Pour le reste, les entreprises se soucient davantage du fait que leurs expatriés aient à disposition un enseignement français là où ils sont envoyés que de la gratuité de celui-ci. En effet, le financement des coûts de scolarité a toujours fait partie du « package » d’expatriation. Avec l’irruption de la crise, certaines entreprises se disent toutefois que cette gratuité pourrait être source d’économies pour elles…
Mme Claude Mulsant. Toutes prennent intégralement en charge le coût de la scolarité des enfants de leurs expatriés jusqu’à 18 ans. Le coût qu’elles supportent est toutefois supérieur aux seuls frais d’écolage puisqu’elles paient des charges salariales et patronales sur ces frais ainsi que les impôts du pays d’accueil car les frais d’écolage sont considérés dans le pays d’accueil comme un complément de salaire ou un avantage en nature. Lorsque les familles choisissent d’envoyer leur enfant dans un établissement d’enseignement anglo-saxon, les entreprises ne paient qu’à hauteur du coût de la scolarité dans un établissement français, notamment pour inciter les familles à privilégier l’enseignement français et faciliter ainsi leur retour en France. Les entreprises ne financent la scolarité dans un établissement international autre que français que dans les pays où il n’y a pas d’établissement français ou pour les cadres à la carrière totalement internationale qui changent fréquemment d’affectation et se retrouvent parfois dans des pays sans école française où leurs enfants doivent être scolarisés dans d’autres établissements internationaux, après quoi il est difficile de les faire revenir dans le système français sans rupture de programme. Il arrive que des entreprises prennent en charge une partie du coût de la scolarité des enfants après le baccalauréat – participation aux frais d’hébergement, prise en charge totale ou partielle des frais d’inscription ou bien de voyages aller-retour pour que les enfants puissent rendre visite à leurs parents.
Un autre élément important de financement est celui que les entreprises assurent au travers de la Mission laïque française ou des écoles d’entreprise. Je vous invite à vous reporter au rapport 2008 du ministère des Affaires étrangères et européennes sur l’avenir de l’enseignement français de l’étranger. Enfin, il faut aussi tenir compte des financements indirects qu’elles apportent, difficiles à consolider dans les comptes des groupes mais qu’il serait tout à fait possible de récapituler dans ceux des établissements. Ces financements indirects sont importants car les dirigeants des filiales françaises sont souvent membres du conseil d’administration des établissements où sont scolarisés leurs enfants et se retrouvent vite très impliqués dans la vie scolaire, étant dès lors parmi les premiers au fait de tel ou tel besoin.
M. Luc Sposito. Pour un Français expatrié à l’étranger comme pour un étranger impatrié en France, l’expatriation constitue, au-delà d’une opportunité professionnelle, une expérience multiculturelle particulièrement enrichissante pour l’ensemble de sa famille et donne à ses enfants l’occasion de devenir bilingues, voire trilingues. Pour un jeune Français aujourd’hui, maîtriser, en sus de sa langue maternelle, l’anglais et une troisième langue de rayonnement international est un atout supplémentaire indéniable.
Mme Claude Mulsant. Les écoles françaises de l’étranger, qui font beaucoup en matière d’enseignement de l’anglais, ne pourraient-elles pas aider à améliorer l’enseignement de l’anglais en métropole, toujours insuffisant, même s’il a progressé ? Toutes les entreprises se plaignent que dans leurs conseils d’administration et autres instances dirigeantes, les cadres français maîtrisent encore trop souvent mal l’anglais, en tout cas moins bien que leurs homologues internationaux.
M. Yves Girouard. De plus en plus d’entreprises françaises se développent à l’international, et la tendance aujourd’hui est de permettre à des collaborateurs d’autres pays, devenus dirigeants d’une filiale locale, de faire ensuite carrière dans le groupe. L’un des meilleurs moyens de conserver ces collaborateurs de talent est de leur proposer une mobilité internationale. La première étape est souvent de les faire passer par le siège afin qu’ils appréhendent mieux la culture et l’environnement du groupe, qu’ils s’y constituent des réseaux, avant de les renvoyer dans leur zone géographique ou pays d’origine, avec de nouvelles responsabilités. Beaucoup d’entreprises françaises font ainsi venir en France des collaborateurs étrangers, non pas pour des besoins techniques, mais pour les préparer à de nouvelles fonctions. Ces impatriations sont très nombreuses et une multitude de nationalités se côtoient aujourd’hui dans les sièges sociaux.
L’une des difficultés que rencontrent les groupes français est qu’il existe très peu en France d’établissements internationaux susceptibles d’accueillir les enfants de ces collaborateurs, même en région parisienne et dans les grandes métropoles régionales, à l’exception du très renommé lycée international de Saint-Germain-en-Laye et de quelques établissements privés. On devrait faire mieux en ce domaine, d’autant que les expatriés, à leur retour en France, seraient eux aussi heureux de pouvoir scolariser leurs enfants dans de tels établissements de façon qu’ils y poursuivent l’apprentissage des langues étrangères et conservent l’ouverture d’esprit internationale qu’ils ont acquise à l’étranger.
M. André Schneider, Rapporteur. Beaucoup d’établissements français possèdent des sections internationales, et pas seulement dans les régions frontalières. Quant à la qualité de l’enseignement de l’anglais en France, sans vouloir offenser quiconque, elle n’est ni pire ni meilleure que celle du français en Angleterre ou en Allemagne… Si l’Union européenne ne devait s’occuper que d’une seule question en matière d’éducation, ce devrait être de l’apprentissage des langues. D’où d’ailleurs l’intérêt des sections internationales, pour autant que celles-ci ne soient pas dévoyées. En Alsace, nous avons essayé d’en mettre en place de la maternelle à la terminale, mais nous nous sommes heurtés à de multiples difficultés, tenant, entre autres, il faut l’avouer, à la stratégie de certains parents qui ne mettent leurs enfants dans ces classes que pour avoir l’assurance qu’ils soient dans une « bonne » classe et qui, une fois leurs enfants parvenus à une certaine maîtrise de la langue étrangère, ne voient plus l’intérêt que les enseignements soient poursuivis dans cette langue.
J’aimerais, madame, messieurs, connaître votre opinion sur le financement du réseau d’enseignement français à l’étranger en partie par le mécénat. Pensez-vous que le régime fiscal français actuel est adapté ?
M. François Tribot-Laspiere. Les dispositions fiscales actuellement en vigueur en France ne facilitent pas ce type de mécénat. En effet, pour être qualifiées de mécénat et ouvrir droit à avantage fiscal, les dépenses doivent répondre à des critères précis, notamment être réalisées au profit d’organismes d’intérêt général, pour des activités non lucratives, et ne pas comporter de contrepartie, directe ou indirecte, pour l’entreprise. La Mission laïque française qui intervient dans les écoles d’entreprise répond, de par sa vocation, au critère d’organisme d’intérêt général, mais les sommes versées sont trop importantes pour être considérées comme des dons. Quant aux entreprises, elles effectuent des versements par le biais de filiales étrangères, non assujetties à l’impôt en France, si bien que ces sommes ne peuvent ouvrir droit à réduction d’impôt en France. Au total, on voit mal le mécénat se développer au profit des établissements d’enseignement français à l’étranger. Toutefois, si une défiscalisation devenait possible, nous serions tout à fait disposés à réétudier la question.
Mme Claude Mulsant. En 2005, à la demande de M. André Ferrand, sénateur représentant les Français établis hors de France et président de l’Association nationale des écoles françaises à l’étranger, qui souhaitait aborder dans le rapport annuel de l’association la question du mécénat, nous avions réuni quelques entreprises pour réfléchir sur le sujet. Outre le fait que celles-ci contribuent déjà de manière substantielle au financement des écoles françaises de l’étranger sous diverses formes, le régime fiscal actuel du mécénat n’est pas du tout adapté, exigeant notamment qu’il n’y ait aucune contrepartie, directe ou indirecte, pour l’entreprise bienfaitrice, ce qui est en l’espèce difficile car il est légitime qu’une entreprise qui finance divers projets dans une école dans le cadre du mécénat puisse escompter en retour une valorisation des sommes versées (exemple : quelques places gratuites…).
Si un tel outil devait être mis en place, il importerait que la défiscalisation ne puisse pas être remise en cause ultérieurement par l’administration fiscale française ni par celle du pays d’accueil et qu’ainsi les entreprises soient assurées d’une sécurité à long terme. Les entreprises souhaiteraient aussi que les fonds versés soient, du moins pour l’essentiel, « fléchés » et leur permettent de répondre à leurs besoins : elles ne veulent pas contribuer à un « pot commun » sur lequel elles n’auraient aucune prise. Si elles s’implantent dans un nouveau pays, c’est là qu’elles souhaitent financer une infrastructure scolaire, pour répondre à leur développement économique et aux besoins de scolarisation des enfants de leurs salariés. Elles souhaiteraient également être associées à l’affectation des fonds qu’elles versent dans les établissements et au devenir de ceux-ci. Ainsi veulent-elles bien financer des écoles mais à condition que celles-ci soient homologuées, avec l’assurance que pourront y être détachés des enseignants de l’Éducation nationale, garantie de qualité. Enfin, aucune entreprise ne souhaite « payer deux fois » en contribuant au financement des infrastructures puis en ayant à supporter les frais d’écolage.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La gratuité ayant été instituée pour l’ensemble des classes de lycée, pour ce niveau au moins elles sont sûres de ne pas payer deux fois.
Mme Claude Mulsant. Nos entreprises adhérentes continuent de payer la scolarité de la seconde à la terminale, même si certaines, du fait de la crise, réfléchissent depuis quelques mois à la possibilité de s’en dispenser.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Aucune n’a encore cessé de payer ?
Mme Claude Mulsant. À ma connaissance, non.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On dit pourtant que le nouveau dispositif a d’ores et déjà provoqué le désengagement de certaines entreprises.
M. Didier Barres. Total, pour sa part, n’a pas tenu compte de la PEC et paie toujours.
M. Yves Girouard. Dans leur très grande majorité, nos adhérents continuent de payer mais, comme l’a indiqué Claude Mulsant, plusieurs examinent l’hypothèse d’arrêter, vu la réduction des coûts imposée par les directions générales dans le contexte de crise actuel.
M. Jean Pautrot. Plusieurs entreprises participent au financement du lycée français de Pékin. Les sommes versées en ce cas sont bien « fléchées ». Des entreprises, s’implantant ou déjà implantées en Chine, investissent pour répondre à un besoin précis.
M. Didier Barres. Total va débloquer 500 000 euros pour cet établissement.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les considérations juridiques et fiscales semblent avoir été mises de côté dans ce cas. Les entreprises, qui avaient besoin de ce lycée, ont accepté de contribuer à la hauteur nécessaire. Les sommes versées constituent un quasi-don.
M. Jean Pautrot. On pourrait imaginer que des particuliers, notamment des expatriés, souhaitent contribuer au développement de l’enseignement français à l’étranger. Mais les expatriés ne payant pas leur impôt sur le revenu en France, ils ne pourraient prétendre à déduction fiscale à ce titre. Ne resterait que la possibilité d’une réduction sur l’ISF, pour ceux qui s’en acquittent.
M. Yves Girouard. Une réduction d’ISF est aujourd’hui accordée en cas d’investissement dans certaines PME. Peut-être pourrait-on l’étendre aux investissements dans les établissements scolaires français à l’étranger…
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si ce n’est que nous ne sommes pas dans une période très propice aux déductions fiscales ! Il ne nous serait en tout cas pas très facile de plaider en ce sens à l’heure où l’on s’interroge de plus en plus sur les niches fiscales…
Les dépenses supplémentaires, résultant notamment du transfert à l’AEFE du financement de la part patronale des cotisations de pensions des personnels détachés, ont justifié la mise en place d’un prélèvement de 6 % sur les frais d’écolage, qui ont nécessairement augmenté. Les familles se plaignent-elles d’un coût trop élevé de la scolarité ? A-t-on atteint un seuil au-delà duquel il serait difficile d’aller sans susciter de très vives protestations ?
M. Didier Barres. Les expatriés de Total ne paient rien pour la scolarité de leurs enfants à l’étranger. L’entreprise prend toujours en charge la totalité des frais. Nous n’avons donc pas affaire à de telles récriminations.
S’agissant des surcoûts, ils ont en effet été importants, en particulier pour nos sept écoles d’entreprise actuellement en service. Le surcoût représenté par la prise en charge de la part patronale des cotisations de pension des personnels nous a été intégralement refacturé.
Dans tous les pays où nous sommes implantés, nous entretenons d’étroites relations avec les attachés culturels des ambassades. Nos directeurs de filiales, nos directeurs des ressources humaines et autres cadres dirigeants sur place sont par ailleurs en général membres des conseils d’administration des établissements – qu’ils relèvent de l’AEFE ou de la MLF – et participent activement à leur vie quotidienne. Les moyens nécessaires au quotidien pour tels travaux ou tel petit investissement sont décidés au cas par cas et la plupart du temps apportés par nos filiales.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelles sommes Total consacre-t-il globalement à ce type d’interventions ?
M. Didier Barres. Il m’est très difficile de répondre car ces petites opérations qui ont lieu au jour le jour, dont le montant va de quelques centaines à quelques milliers d’euros, sont totalement décentralisées au niveau des filiales. Les seuls chiffres que je peux communiquer concernent les gros projets atteignant plusieurs centaines de milliers d’euros, comme celui du lycée de Pékin, qui remontent jusqu’à la direction générale du groupe, laquelle doit donner son aval. C’est l’AEFE qui pourrait, elle, dresser un récapitulatif de toutes ces petites aides apportées par les entreprises.
M. Yves Girouard. L’augmentation des frais d’écolage touche davantage les familles des nationaux que celles des expatriés. On constate depuis déjà quelques années une diminution du nombre d’inscriptions de nationaux dans des pays où les tarifs sont devenus rédhibitoires, comme au Maroc. On pourra certes toujours nous rétorquer que l’enseignement anglo-saxon est en général plus onéreux…
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelle est votre vision de l’avenir ? Notre système d’enseignement français à l’étranger doit-il évoluer en profondeur ? Quelles innovations introduire ? Que pensez-vous par exemple de la labellisation de filières francophones dans des établissements étrangers ?
M. Luc Sposito. Comme cela a déjà été dit, chez Total, la durée moyenne d’expatriation a tendance à diminuer, étant en général de trois ans par pays, quelquefois quatre, dans le secteur de l’exploration-production, qui fournit l’essentiel de nos expatriés. Il faut rassurer les familles qui apprécient la qualité de l’enseignement français à l’étranger et la continuité qu’ils retrouvent d’un pays à un autre comme au retour en métropole, où ils ne veulent surtout pas avoir de mauvaise surprise.
Il nous semble qu’il faut consolider ce réseau, dont la meilleure preuve de qualité est que ses élèves n’ont en général aucune difficulté scolaire à leur retour en France. Un effort important doit toutefois porter sur la rénovation des locaux, dont certains sont vraiment vétustes, les entreprises ayant parfois dû participer au financement de travaux urgents de sécurité.
M. Yves Girouard. Nous souhaiterions bien sûr que le réseau puisse être étendu et se développer dans des pays où de nouveaux besoins apparaissent, mais il convient au minimum de le maintenir tel qu’il existe aujourd’hui. Il faudrait aussi une plus grande cohérence des politiques menées et entre les différents acteurs, une plus grande souplesse, une meilleure mutualisation des moyens, en particulier avec nos partenaires européens, et plus d’ouverture à l’international encore dans les établissements.
M. Jean Pautrot. La labellisation pourrait certes contribuer à réduire les coûts, mais il faut être très vigilant quant à l’homogénéité pédagogique qui fait la force de l’enseignement français à l’étranger, n’existant pas par exemple dans l’enseignement anglo-saxon. Il faut garantir la qualité constante de la démarche pédagogique comme celle des recrutements, et donc être prudent quant à ce que recouvre la « labellisation ». Les enfants d’expatriés qui souhaitent intégrer les filières d’excellence de l’enseignement supérieur français, comme les classes préparatoires, ne doivent pas être pénalisés par une scolarité effectuée à l’étranger. Les parents risquent d’être inquiets si la labellisation a une connotation négative.
Mme Claude Mulsant. Dans les pays où le nombre d’enseignants détachés a fortement diminué et où ils ont été remplacés par des enseignants locaux, on nous a signalé une dégradation de la qualité de l’enseignement. Une enquête que nous avions menée il y a trois ans avait révélé des inquiétudes particulières à ce sujet au Cameroun, à Bucarest et à Belgrade.
M. André Schneider, Rapporteur. On ne peut pas généraliser. Il y a de bons professeurs locaux comme il y a de mauvais professeurs détachés ! Tout est question d’évaluation, de suivi et de formation au niveau local. Nous pouvons parfaitement participer à la formation des enseignants et formateurs locaux.
Mme Claude Mulsant. Tout à fait.
M. Yves Girouard. Un label, pourquoi pas ? Mais qui le délivrera ? Sur quels critères ? Qui en garantira la qualité et en assurera le suivi dans le temps ?
Mme Claude Mulsant. Et comment se fera le lien avec le système éducatif national lors du retour en France, à tous les niveaux d’enseignement ?
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Êtes-vous satisfait de vos relations avec l’AEFE ?
M. Yves Girouard. Le Cercle Magellan, de par sa vocation, a plus de relations avec la Mission laïque française, dont nous tenons à saluer l’excellent travail. La Mission, toujours très réactive face aux besoins des entreprises, implante en général ses établissements là où l’AEFE n’en a pas – depuis quelque temps, elle en reprend certains. Nous n’avons, hélas d’ailleurs, que peu de contacts avec l’AEFE.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Comment l’expliquez-vous ? Trouvez-vous cela normal ?
M. Yves Girouard. Nous avons rencontré des représentants de l’AEFE en 2005 mais il semble qu’ils n’avaient pas besoin d’informations ni d’échanges avec les entreprises.
Mme Claude Mulsant. Le Cercle Magellan ne fait pas du tout de conseil, seulement de l’information, de la veille juridique et de la mise en réseau d’entreprises, renvoyant vers la Mission laïque française ou d’autres professionnels en cas de demandes très spécifiques. Nous recensons les points forts comme les points faibles des expériences des entreprises, les analysons et essayons d’en tirer des propositions d’amélioration.
M. Yves Girouard. Nous sollicitons l’AEFE dans le cadre de réflexions générales sur l’enseignement français à l’étranger mais n’avons pas de relations régulières avec elle.
M. Didier Barres. La situation est un peu différente pour Total. Nous sommes proches de l’AEFE au niveau local, notamment dans la gestion des établissements, moins au niveau central, où nous sommes plus proches de la Mission laïque.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, messieurs, je vous remercie vivement de votre contribution à nos travaux.