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M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, monsieur, nous sommes heureux de vous entendre sur la question de la coopération décentralisée et des actions spécifiques qu’elle peut engager en direction de l’enseignement français. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de ce secteur ? Avez-vous des propositions à formuler ?
Mme Maryse Dusselier. Ma réponse sera brève : l’enseignement français à l’étranger fait partie des missions régaliennes de l’État et, en l’état actuel de leurs finances, il n’est absolument pas dans les projets des régions de soutenir ce secteur. S’il arrive qu’elles interviennent, ce n’est que de manière très ponctuelle. Par exemple, la région Champagne-Ardennes finance un poste d’assistant de français en Russie tandis que la région Ile-de-France aide le lycée français de Jérusalem.
En revanche, nous voyons d’un assez mauvais œil que l’État puisse se désengager de l’enseignement français, puisqu’il constitue la base du rayonnement culturel et que nos marchés et notre développement économique en dépendent. Cela dit, les régions sont fortement investies dans le soutien à la francophonie.
M. Antoine Joly. Effectivement, les collectivités locales interviennent peu en direction de l’enseignement français, mais elles aident l’enseignement du français, en finançant des postes de lecteurs, des classes bilingues, ou la formation d’instituteurs, comme à Madagascar. L’enseignement du français, utile en amont des stages ou des échanges organisés avec les collectivités partenaires, constitue un volet de la coopération décentralisée. Ainsi, la ville de Montreuil organisait au Vietnam des cours de français pour les étudiants en médecine qu’elle faisait venir en stage. Par ailleurs, la coopération décentralisée intervient traditionnellement dans le secteur de l’enseignement, en aidant la construction d’établissements scolaires ou en soutenant les activités périscolaires.
Un plus grand soutien à l’enseignement français est-il envisageable ? La coopération décentralisée s’entend de plus en plus comme une démarche d’accompagnement de stratégies de développement. À la suite au discours du Président de la République au Cap et sous l’impulsion de Jean-Paul Bachy, président du conseil régional de Champagne-Ardennes et président de la commission affaires internationales de l’ARF, l’accent est mis sur le développement économique et la mobilisation des atouts endogènes du territoire. Or, si les collectivités françaises considèrent qu’avoir un établissement d’enseignement international sur leur territoire est un atout, elles peuvent estimer qu’un établissement français installé chez leurs partenaires est également un élément d’attractivité et de développement. Elles pourraient alors intégrer dans leur politique de soutien le fait qu’un établissement français permette de former les futurs cadres et de leur offrir une ouverture sur l’extérieur. Ce raisonnement est, vous le voyez, une manière indirecte d’aborder la question.
Il reste que les collectivités orienteront leur action internationale vers les secteurs où elles peuvent partager leur savoir-faire, comme la gestion des services publics ou la dynamisation du territoire. Il paraît difficile de les inciter à intervenir dans un domaine où elles n’exercent pas de compétence.
Mme Maryse Dusselier. Un exemple : les régions françaises vont aider à la reconstruction d’un lycée (haïtien) à Léogane, épicentre du tremblement de terre à Haïti. La Martinique, la Guadeloupe et la région Midi-Pyrénées, en soutien à leurs partenaires haïtiens, ont accru sensiblement le nombre de bourses qu’elles accordent aux étudiants haïtiens.
M. Antoine Joly. Il ne s’agit pas du lycée français Alexandre Dumas de Port-au-Prince, même si celui-ci constitue un atout pour le développement de la capitale et l’accueil des investissements étrangers. Il ne faut pas perdre de vue que lorsqu’une collectivité aide à la reconstruction d’un établissement scolaire, c’est en soutien de la collectivité partenaire, non de l’État français.
M. Hervé Féron, Rapporteur. Vos propos sont sans ambiguïté. Néanmoins, n’existe-t-il pas des domaines de compétence pour lesquels les collectivités pourraient développer des actions de coopération décentralisée ? N’y a-t-il pas matière à inventer de nouvelles relations entre établissements, entreprises, collectivités ? Par ailleurs, quelles sont les actions que les collectivités développent en soutien à la francophonie ?
Mme Maryse Dusselier. Dans le cadre des programmes européens, les régions allouent beaucoup de bourses aux étudiants français comme aux étudiants étrangers désireux de venir sur leur territoire. Cela n’est pas innocent : nous espérons que ces chercheurs brillants, après avoir baigné dans la culture française et acquis parfaitement notre langue songeront, lorsqu’il s’agira de passer des marchés, à la région qui les a accueillis.
De nombreuses actions de soutien à la francophonie sont organisées. La région Aquitaine envoie par exemple des étudiants en français-langue étrangère dans les écoles de la région de Lao Cai, au Vietnam. Nous allons passer une convention avec l’agence universitaire de la francophonie et réfléchir à un soutien dans la reconstruction d’un établissement universitaire à Port-au-Prince, inauguré l’an dernier par l’AUF. S’il est un endroit où soutenir la francophonie aujourd’hui, c’est bien Haïti.
M. Antoine Joly. Le programme ARCUS, co-financé par le ministère des Affaires étrangères et européennes et les régions, permet de développer des coopérations universitaires en Inde, au Brésil, en Chine. Beaucoup de régions françaises ont par ailleurs passé avec des villes ou des États américains des accords de coopération qui permettent l’envoi d’étudiants.
La coopération décentralisée est très concentrée sur les pays francophones. Nous avons lancé un appel à projets pour financer certaines de ces actions : sur 250 dossiers, 170 portent sur l’Afrique subsaharienne, 53 sur le Burkina Faso.
M. André Schneider, Rapporteur. En Alsace, nous avons une longue tradition de coopération décentralisée, avec, notamment, l’Institut régional de coopération-développement (IRCOD). Cela fait bien quarante ans – lorsque le projet Hévécam a été lancé au Cameroun – que nous avons compris qu’il fallait former les personnes, préalablement à toute action. Pourriez-vous nous indiquer par quels canaux les partenariats sont établis ?
M. Antoine Joly. La loi du 6 février 1992 qui a confié aux collectivités le soin d’organiser la coopération décentralisée, et la Constitution, qui garantit leur autonomie, font de notre régime l’un des plus libéraux en la matière. Les actions menées dépendent de la réflexion politique, de la stratégie souhaitée et, souvent, des communautés présentes sur le territoire. Ainsi, la nouvelle mairie de Montreuil a décidé d’interrompre les actions de coopération vers le Vietnam et le Brésil pour en inaugurer de nouvelles au Maroc et de poursuivre les partenariats avec le Mali. La question économique est de plus en plus un critère, et les actions de coopération avec les pays émergents – Brésil, Russie, Inde, Chine – se multiplient. Enfin, il ne faut pas négliger l’impulsion donnée par les citoyens, favorables à des actions dont les résultats sont tangibles et dont ils entendent parler dans la presse locale.
Le ministère des Affaires étrangères et européennes soutient ces actions par le biais de ces réseaux et fournit une aide financière, qu’il veut ciblée sur certains pays – pays francophones d’Afrique et du bassin méditerranéen – et sur des domaines spécifiques – soutien institutionnel, développement économique, compétences propres des collectivités locales comme l’eau et l’assainissement. C’est ainsi que nous aidons l’IRCOD à Madagascar et au Mali.
Ce soutien représente 10 % de l’investissement consenti par les collectivités. Cela peut paraître modeste et d’aucuns y verront un effet d’aubaine, mais cette aide permet souvent à la ligne budgétaire de se maintenir lors des arbitrages ; elle labellise l’action, la valorise et la légitime. Ainsi, si la coopération entre les villes de Paris et de Phnom Penh devrait prochainement cesser, c’est parce que le ministère des Affaires étrangères et européennes ne la soutient plus. Il faut dire aussi qu’elle était devenue trop technique et, comme toutes les actions insuffisamment investies par les politiques, moins soutenue.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Seulement 15 % des élèves étrangers des établissements français poursuivent leurs études supérieures en France. Ne serait-il pas dans l’intérêt des régions d’accompagner dans leur scolarité secondaire certains de ces élèves, afin qu’ils choisissent par la suite d’aller dans leurs universités plutôt qu’au Canada ou aux États-Unis ?
Mme Maryse Dusselier. Si ces étudiants se détournent de la France, c’est que l’accueil qui leur est réservé dans les ambassades et dans les consulats est globalement mauvais. Cela fait des années que nous le disons, mais cela n’évolue pas, hormis quelques progrès dus à CampusFrance. Les efforts doivent d’abord porter sur ce point ; les régions pourront ensuite considérer cette question.
Reste qu’il est fondamental que les étudiants que nous accueillons aient reçu au préalable une formation en français. L’université de Bordeaux va interrompre un programme de coopération avec la Chine car elle ne veut plus recevoir d’étudiants en médecine incapables de demander en français « Où avez-vous mal ? »…
M. Antoine Joly. Une action telle que vous la décrivez ne peut avoir sa place que dans le cadre d’un partenariat plus large. La région Rhône-Alpes, qui a développé une coopération multiforme au Burkina-Faso, a été amenée à soutenir progressivement l’institut culturel de Bobo-Dioulasso, pour en devenir sans doute demain le partenaire principal, considérant qu’il était un élément central de la dynamique territoriale. On peut imaginer qu’un rapport institutionnel semblable se crée entre un lycée et une région intéressée par une filière de sélection, à condition toutefois que l’ambassade songe à faire connaître systématiquement les lycées et les perspectives de coopération dans ce sens, ce qui n’est pas toujours le cas.
Mme Maryse Dusselier. Permettez-moi de vous citer un exemple criant. Une université scientifique et technologique, l’USTH, va être construite à Hanoi. Les universités françaises sont partantes, elles sont trente à avoir présenté leur candidature. Les régions, sachant que les universitaires se tourneront vers elles pour envoyer et donc financer les missions de leurs étudiants, chercheurs et universitaires, ont demandé à être partenaires. Malgré notre insistance, l’État français a décidé de signer la convention avec l’État vietnamien sans nous y associer. On ne peut pas jouer ainsi sur tous les tableaux. Les régions refusent de soutenir des actions sans y être associées en amont et être perçues uniquement comme des financeurs. Le mot-clé, c’est le partenariat.
M. André Schneider, Rapporteur. Si je vous ai demandé comment les partenariats se mettaient en place, c’est parce que je pense qu’ils sont plus pertinents lorsqu’ils naissent de relations directes, de liens déjà établis. Il est important de savoir où nous agissons, et pourquoi. C’est sur l’idée de trois femmes marocaines rencontrées au centre socio-culturel de ma circonscription que nous avons financé – sur la réserve parlementaire – une expérience d’alphabétisation au Maroc. Le niveau local est souvent plus pertinent pour mener une action efficace, non pas dans l’idée d’un retour sur investissement, mais avec le sentiment d’avoir, quelque part, été utiles.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je reviens sur votre proposition, monsieur Joly. Il est en effet important de mettre l’établissement français en valeur auprès du président de région en visite. Finalement, le réseau des lycées français n’est pas si bien connu que cela.
M. Antoine Joly. Il est important de mener une réflexion sur la façon dont il peut devenir un outil pour le développement de la collectivité partenaire, sachant que la coopération décentralisée s’inscrit dans la durée.
Je me permets de vous transmettre des éléments financiers issus de l’enquête annuelle sur l’aide publique au développement, classés par collectivités territoriales et par secteurs d’intervention. Vous constaterez que l’enseignement y tient une place importante.
M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, monsieur, je vous remercie.