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M. Olivier Carré, Président. Nous accueillons maintenant M. Jean-Marc FENET, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques.
Je vous souhaite la bienvenue. Nous comptons sur vous pour nous apporter les éclairages détaillés sur l’exécution du crédit d’impôt recherche en 2008 et 2009, compte tenu notamment des mesures de trésorerie du plan de relance. Vous pourriez nous présenter les résultats constatés, après quoi les Rapporteurs vous poseront des questions d’approfondissement.
Monsieur le directeur, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques. La direction générale des Finances publiques, la DGFIP, a repris les compétences de l’ancienne direction générale des impôts, ce qui l’amène à intervenir sur le crédit d’impôt recherche à trois niveaux. Elle intervient très en amont en cas de demande de rescrit, elle procède aux remboursements anticipés de créances de crédit d’impôt recherche (pour lesquels un formulaire en ligne était disponible dès le 2 janvier 2009), et en aval elle effectue, le cas échéant, des contrôles.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Lorsque les agents des impôts analysent un dossier, quels sont les éléments leur permettant d’apprécier l’éligibilité de la dépense au crédit d’impôt recherche ?
M. Jean-Marc Fenet. La DGFIP a pour tâche essentielle de procéder aux remboursements sur les demandes adressées soit à la direction des grandes entreprises, qui a son siège à Pantin, soit aux services déconcentrés des impôts. L’examen des dossiers donne alors lieu à un contrôle formel.
Dans le cas d’un rescrit, donc très en amont, bien avant l’engagement des dépenses, l’entreprise peut s’adresser non seulement au service des impôts mais également au ministère de la Recherche, à OSÉO, ou bien à l’ANR. Lorsqu’une demande de rescrit adressée à l’administration fiscale comporte des paramètres techniques ou scientifiques complexes, la DGFIP renvoie le dossier à l’un de ces trois organismes pour expertise. Sur le terrain fiscal, la DGFIP conduit un examen attentif de la compatibilité du dossier avec les règles en vigueur, par exemple elle s’interroge sur l’éligibilité des montants de masse salariale mentionnés. Les services peuvent donc remettre en cause les dépenses non éligibles, par exemple si l’entreprise a recours à un organisme non agréé ou si la masse salariale n’est pas éligible.
Le rescrit est un avis qui lie l’administration et qui sécurise donc l’entreprise en cas de contrôle, à condition que les paramètres n’aient pas évolué. Faute de réponse dans un délai de trois mois, l’accord de l’administration est réputé tacite. On observe qu’il n’y a eu que 286 rescrits en 2009 pour 13 000 demandes de bénéfice du crédit d’impôt recherche, ce qui est très faible malgré une augmentation par rapport à 2008.
En aval, l’administration peut procéder au contrôle fiscal du crédit d’impôt recherche, dans deux cas de figure. Le premier s’inscrit dans le cadre d’une vérification générale de comptabilité, c’est le cas le plus fréquent. Il faut rappeler que le crédit d’impôt recherche n’est pas le point d’entrée du contrôle fiscal et qu’un avantage fiscal ne constitue jamais un axe de contrôle. Le crédit d’impôt recherche est alors contrôlé parmi les autres éléments de la déclaration fiscale. Il est remarquable que, dans 80 % des cas, le redressement au titre du crédit d’impôt recherche est accompagné d’un autre motif de redressement. Comme pour le rescrit, l’administration fiscale analyse les dépenses mentionnées et la démarche de l’entreprise ; sur les aspects techniques et scientifiques (par exemple la différenciation entre la recherche développement, l’innovation ou l’invention d’un prototype) elle renvoie le dossier à l’expertise du ministère de la Recherche, d’OSÉO ou de l’ANR.
Le deuxième cas de figure est celui de contrôles dans le cadre de vérifications ponctuelles – une année-un impôt – où le crédit d’impôt recherche représente 14 % de l’ensemble de ce type de contrôle.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment vérifie-t-on que les dépenses de masse salariale correspondent à des collaborateurs ayant le statut, ou des activités, de chercheur ?
M. Jean-Marc Fenet. Un dossier récent me permet d’illustrer ma réponse : une entreprise avait imputé les dépenses salariales d’un directeur commercial qui exerçait simultanément des compétences techniques et commerciales, mais principalement commerciales. Ce salarié n’avait pas de diplôme valable et ne pouvait justifier d’une valorisation des acquis de l’expérience (VAE). De surcroît, l’entreprise avait eu recours à un institut non agréé. Pour ce dossier de crédit d’impôt recherche inférieur à 200 000 euros, l’inéligibilité était patente sur tous les plans.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment contrôlez-vous les profils de chercheurs dans les banques et quelle est la fréquence des contrôles ?
M. Jean-Marc Fenet. Sur le deuxième point, je ne dispose pas d’une vision globale des contrôles spécifiques aux banques ; je rappelle que l’administration fiscale réalise 52 000 contrôles externes d’entreprises, totalement déconcentrés. Il y a eu environ 300 contrôles de crédit d’impôt recherche, ceux portant sur les banques ne sont pas spécifiquement répertoriés mais devaient concerner probablement la catégorie des services aux entreprises. Les vérificateurs disposent d’une grille précise d’analyse de l’éligibilité des dépenses de salaires notamment pour les diplômés et la VAE.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon vous, que faut-il améliorer, notamment en matière d’information des PME, pour développer davantage la procédure du rescrit ?
M. Jean-Marc Fenet. Il y a très peu de rescrits portant sur le crédit d’impôt recherche, 286 sur environ 20 000 demandes tous types de rescrits confondus. Nous avons interrogé non seulement les entreprises mais également les experts comptables et les centres de gestion agréés qui sont nos correspondants habituels. Il apparaît que le recours au rescrit est soumis à deux appréciations qui en restreignent l’usage : d’une part les entreprises craignent qu’une demande conduise au contrôle fiscal ; c’est pourquoi la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a prévu que l’on puisse s’adresser directement à l’un des trois opérateurs précités plutôt qu’à l’administration fiscale. D’autre part, cet usage pourrait être compris comme un moyen de mobilisation de créances auprès des banques, mais cette faculté se heurte à un certain nombre d’obstacles pratiques et juridiques. En effet, un rescrit constitue un engagement de l’administration sur une procédure mais non sur un montant d’assiette ou d’impôt, à la différence d’un agrément.
M. Alain Claeys, Rapporteur. On peut se demander s’il ne serait pas envisageable de faire porter le rescrit sur les dépenses engagées.
M. Jean-Marc Fenet. Si l’on se met d’accord plus tard et en « topant » sur un montant, ce n’est plus un rescrit mais un agrément, comme il en existe beaucoup en droit fiscal. Cette possibilité n’est pas ouverte dans ce cas, car cela n’a pas été conçu pour cela au départ. Il faut rappeler la logique initiale du système, qui prévoyait que le crédit d’impôt recherche n’était remboursable que la quatrième année suivant l’année de la dépense. En outre, si j’ai rappelé pour mémoire la question de la mobilisation des créances, c’est pour souligner qu’elle se pose beaucoup moins aujourd’hui dans la mesure où le crédit d’impôt recherche est remboursable chaque année. Elle redeviendrait d’actualité si le Gouvernement décidait de ne pas proroger à l’avenir le dispositif d’annualisation du crédit d’impôt recherche qui n’a été prorogé que pour un an.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’on peut se demander si le crédit d’impôt recherche ne serait pas un simple avantage fiscal quelque peu déguisé. Lors d’un contrôle fiscal, comment vos services peuvent-ils distinguer ce qui est de la recherche et ce qui n’en est pas ?
M. Jean-Marc Fenet. Nos vérificateurs n’entrent pas dans ces considérations, heureusement, et n’apprécient pas s’il y a effet d’aubaine ou non. Le rôle de la DGFIP est depuis 2008 de vérifier la conformité aux textes législatifs et réglementaires et donc l’éligibilité de la dépense au crédit d’impôt. Les débats sur les avantages acquis pour les grandes entreprises ou les PME existent, mais ce n’est pas notre rôle de prendre parti. C’est un dispositif très attractif, bâti aujourd’hui non plus sur des accroissements de dépense mais sur des valeurs absolues ; aussi n’est-il pas étonnant que beaucoup d’entreprises aient voulu en bénéficier. Nos vérificateurs ne regardent pas s’il y a effet d’aubaine et ne se donnent pas un rôle de justicier en matière fiscale.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Les vérificateurs connaissent-ils des difficultés pour interpréter les textes ? Ceux-ci sont-ils suffisamment clairs ou faut-il leur apporter des clarifications ?
M. Jean-Marc Fenet. Le contrôle fiscal n’est jamais une partie de plaisir et il y a toujours des dossiers où on est à la limite et où la décision est difficile. Heureusement la procédure est contradictoire. Il est vrai que certaines entreprises critiquent le dispositif, car il est parfois difficile de tracer une frontière entre la recherche, l’innovation et le prototype : celle-ci ne pourra jamais être parfaitement distincte. La direction regrette seulement que les entreprises ne profitent pas suffisamment de l’offre de rescrit, qui est une qualité de service rendue aux entreprises : l’entreprise qui obtient un rescrit avant d’engager ses dépenses, après un échange avec Oséo, ou l’ANR et avec la DGFiP et suit l’avis qu’elle a reçu, bénéficie d’une réelle sécurité juridique. Nous faisons très fortement la promotion de ce rescrit comme pour les autres rescrits. De plus, considérant le travail des services, ce qui est fait en amont ne sera plus à faire en aval.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous les moyens d’y faire face ?
M. Jean-Marc Fenet. Oui.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le nombre de rescrits est faible : 300 sur 12 000 ou 13 000, c’est effectivement peu. Si l’on regarde le manuel guide publié par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, il semble qu’il y ait des contradictions d’une page à l’autre concernant les dépenses éligibles, par exemple dans le cas du prototype. Nous constatons un certain flou, ce qui est regrettable s’agissant d’une des premières dépenses fiscales de l’État.
Les derniers chiffres connus portant sur la part de la richesse nationale consacrée à la recherche montrent qu’elle a baissé de 2,33 % à 2,07 % entre 1992 à 2008, ce qui est inquiétant. Il est évidemment trop tôt pour connaître les retombées de la réforme de 2008, cependant on peut se demander si le « dopage » auquel elle conduit n’a pas pour effet d’annuler les dépenses de recherche qui auraient eu lieu spontanément, sans l’intervention du dispositif réformé. Plus on doperait la dépense de recherche, moins on obtient d’investissement ?
M. Jean-Marc Fenet. Je suis désolé de la réponse bureaucratique que je vais vous faire sur le premier point. Nos vérificateurs n’abordent pas ces questions ; elles relèvent réellement du conseil technique que vont recevoir les entreprises auprès du ministère de la Recherche, d’Oséo ou de l’ANR, et c’est heureux car nos vérificateurs n’ont pas la formation pour cela.
Il sera intéressant de voir les montants consacrés à la recherche pour l’année suivante et l’évolution de la courbe avec le nouveau dispositif. Il est clair pourtant que la réforme de 2008 vient bien en soutien de l’effort national de recherche et développement. En outre, la décision prise l’année dernière de procéder au remboursement d’un coup en 2009 du crédit d’impôt recherche pour tous les dossiers en instance depuis trois ans, a contribué, avec 6,4 milliards de remboursement y compris l’imputation, à restaurer la trésorerie des entreprises.
M. Jean-Pierre Lasbordes, Rapporteur. À travers les dossiers que vous avez traités, avez-vous constitué une liste des litiges dus à des ambiguïtés d’interprétation, et peut-on imaginer une mise à jour des documents sur lesquels se fondent les vérifications afin de lever au maximum ces ambiguïtés ?
M. Jean-Marc Fenet. En ce qui concerne le rescrit, il y a bien deux interlocuteurs, le technique et le fiscal. La question que vous évoquez relève du technique et nos services ne rentrent pas dans ces domaines.
M. Olivier Carré, Président. Merci pour votre contribution.