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M. Olivier Carré, Président. Nous terminons aujourd’hui nos travaux relatifs au crédit impôt recherche. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle, M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du groupe Rhodia. Trois députés sont chargés d’animer la mission : MM. Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, Rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche au nom de la commission des Finances, et M. Pierre Lasbordes, Rapporteur pour avis sur les mêmes crédits pour la commission des Affaires économiques. M. Jean-Pierre Gorges nous prie d’excuser son absence, il est retenu dans l’hémicycle.
Comme vous le savez, la mission a entendu, à leur demande, le 27 avril dernier, des représentants syndicaux du groupe Rhodia. Ils ont en particulier souligné que le groupe aurait d’abord utilisé le crédit d’impôt recherche comme un simple apport de liquidités, sans l’affecter spécifiquement à la recherche. Ils n’ont pas caché que cette politique avait changé. Pour l’équilibre du débat, la mission a estimé indispensable d’entendre votre point de vue.
Nous aimerions avoir votre sentiment sur l’intérêt du crédit d’impôt recherche, sa facilité d’accès, son effet de levier pour la recherche et son effet sur l’emploi. Pouvez-vous nous présenter l’effort de recherche du groupe Rhodia et l’évolution de ses effectifs en la matière ?
M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du groupe Rhodia. J’occupe mes fonctions depuis 7 ans, j’ai donc vu les évolutions du crédit d’impôt recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. À la suite du débat entre la direction de Rhodia et la CGT sur l’utilisation du crédit d’impôt, y a-t-il eu des recommandations du ministère, et de votre côté, un changement d’affectation ? La créance est-elle maintenant fléchée ?
M. Paul-Joël Derian. Il n’y a pas eu de recommandation du ministère, mais la créance a toujours été fléchée. En décembre 2007, l’affectation du crédit d’impôt pour 2008 était déjà prévue, et nous n’avons pas changé avec l’adoption de la loi de finances.
En revanche, à l’automne 2008, lors de la préparation de l’exercice 2009, nous avons pris en compte la mesure et l’avons intégrée dans le calcul de nos charges de recherche. Cela a permis de réduire le coût du chercheur en France. Ainsi, si l’on considère que la base 100 représente le coût moyen d’un chercheur en France aujourd’hui, ce coût est comparable à ceux de la zone Asie (95) et du Brésil (110). Il est beaucoup moins élevé qu’aux États-Unis (140) ainsi qu’en France avant la réforme de 2008 (140 à 150). C’est pourquoi le crédit impôt recherche a changé la politique d’évolution des emplois en France.
M. Alain Claeys, Rapporteur. D’après les représentants syndicaux, lors du comité central d’entreprise du 1er juillet 2008, vous auriez dit textuellement : « Maintenant, le crédit d’impôt recherche abaisse, au niveau du groupe, le coût total de la recherche. Et nous avons enregistré ce gain au niveau du groupe : c’est 12 millions de cash supplémentaire. »
M. Paul-Joël Derian. Il faut bien les enregistrer quelque part d’un point de vue comptable. Comme je l’ai expliqué, chez Rhodia, les coûts de la recherche sont centralisés puis réalloués sous la forme de forfait à chaque unité opérationnelle. Les variances sont enregistrées au niveau du groupe. Nous n’avons pas pu affecter cette somme aux entreprises pendant l’exercice 2008, mais nous l’avons fait en 2009.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche permet-il de diminuer le coût de la recherche ou de faire plus de recherche ?
M. Paul-Joël Derian. Je dirais les deux, mais on ne peut pas vraiment évaluer une réforme sur sa première année d’application. En revanche, comme il s’agit d’une mesure simple, on a mis moins d’un an à en comprendre l’impact. En 2008, il y a eu une décroissance des effectifs qui était prévue auparavant. Fin 2008 et en 2009, Rhodia a été très touché par la crise économique. J’aimerais illustrer l’effet du mécanisme du crédit d’impôt recherche vis-à-vis de la crise.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Auparavant, pouvez-vous nous éclairer sur les chiffres ? Toujours selon les syndicats, le montant du crédit d’impôt recherche perçu par Rhodia serait passé de 1 million d’euros, avant 2008, à 19 millions en 2008.
M. Paul-Joël Derian. Je vais vous donner les chiffres exacts. En 2006, le montant du crédit d’impôt recherche (pour un taux de 10 % en volume seulement) atteignait 9,699 millions d’euros. Il s’est élevé à 7,8 millions en 2007, 22,6 millions en 2008 – soit près d’une multiplication par trois, 19,4 millions en 2009 et il devrait atteindre 20 millions en 2010. Les syndicats ont probablement confondu avec des projets partenariaux sur lesquels il peut y avoir des subventions publiques françaises ou européennes.
Je souhaiterais vous montrer l’impact du crédit d’impôt recherche en cas de crise. En 2004, le groupe a subi une première crise de liquidités, et nous avons pris des mesures sur les frais fixes qui ont touché l’ensemble du groupe. En ce qui concerne la recherche et développement, nous avions décidé d’économiser 16 millions d’euros de frais fixes au niveau mondial, ce qui correspondait entre autres à 200 postes en équivalents temps plein. La France a vu ses effectifs diminuer de 165 ETP en recherche, supportant une très grande partie de l’effort du groupe.
En 2009, nous avons été à nouveau confrontés à une crise de liquidités, et nous avons pris des mesures de chômage partiel qui n’ont pas touché la recherche, grâce au crédit d’impôt recherche. Il n’y a eu aucune suppression de poste, et nous avons maintenu les embauches de jeunes docteurs – alors qu’il n’y a pas eu d’embauche dans le reste du groupe, pas de voyages, etc.
M. Olivier Carré, Président. C’est aussi grâce aux mécanismes de remboursement accéléré et anticipé.
M. Paul-Joël Derian. Oui, nous avons eu des créances soldées au premier semestre 2009 : sur 30 millions d’euros reçus, il y avait 10 millions d’euros d’arriérés.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce que le crédit d’impôt recherche a amélioré le partenariat avec des entreprises publiques ?
M. Paul-Joël Derian. Oui, nous avons trois unités de recherche avec le CNRS, dont deux en France et une aux États-Unis. Nous avons aussi des partenariats avec d’autres organismes. Nous consacrons 6 millions d’euros à la recherche mixte. En outre, nous confions des recherches à des organismes privés ou publics pour 1,6 million d’euros en 2008, 0,7 million en 2009 et 2 millions en 2010.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec le CNRS, vous allez jusqu’aux brevets communs ?
M. Paul-Joël Derian. Oui.
M. Alain Claeys, Rapporteur. S’il y avait des améliorations à apporter à la législation, quelles seraient vos attentes ?
M. Paul-Joël Derian. Ce serait davantage de pérennité. Il faut prendre des mesures à long terme, car nous prenons des décisions pour un certain temps – par exemple lorsque nous créons un centre de recherche. Ainsi, le centre que nous avons récemment créé à Lyon regroupe des équipes qui se trouvaient auparavant en France, en Allemagne et en Italie. Nous avons engagé 13,2 millions d’euros sur 18 mois pour cette opération.
La notion de coût de recherche des chercheurs est fondamentale dans nos décisions dans le temps. En coût global, la recherche reste plus chère en France qu’aux États-Unis, au Brésil ou en Chine, en particulier du fait de la fiscalité. En revanche, le coût des emplois est très attractif grâce au crédit d’impôt recherche. Mais il nous faut être vigilants à l’égard des mesures prises à l’étranger, notamment dans des pays d’Asie comme la Chine ou la Corée.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous des difficultés pour qualifier les dépenses ?
M. Paul-Joël Derian. Oui, une clarification de la définition telle que contenue dans le manuel de Frascati serait bienvenue.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre groupe est-il concerné par le seuil de 100 millions d’euros de dépenses de recherche au-delà duquel le taux du crédit d’impôt recherche est ramené à 5 % ?
M. Paul-Joël Derian. Non, les dépenses de recherche en France du groupe Rhodia n’atteignent pas ce seuil.
M. Olivier Carré, Président. Quelle appréciation portez-vous sur l’éligibilité des dépenses de fonctionnement sur la base d’un forfait fixé à 75 % des dépenses de personnel ?
M. Paul-Joël Derian. Le mécanisme actuel a le double mérite d’être simple et correctement proportionné. Il permet un calcul forfaitaire sur la base du coût salarial individuel qui est connu. Il commence d’ailleurs à être imité par d’autres pays.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Certains praticiens estiment que seules 50 % des dépenses de fonctionnement réelles liées aux opérations de recherche devraient être prises en compte dans le forfait du crédit d’impôt recherche. Partagez-vous leur analyse ?
M. Olivier Carré, Président. Comment justifier cet écart entre la théorie et le ressenti ?
M. Paul-Joël Derian. Le coût global d’un chercheur en France atteint en moyenne 170 000 euros alors que son coût salarial moyen chargé s’établit à 94 000 euros, le ratio est donc de 80 % et non pas de 75 %. Et si on prend en compte les charges d’amortissement des équipements, le coût annuel moyen devient 186 200 euros par an, ce qui donnerait un surcoût de 98 % par rapport au coût salarial. Le calcul forfaitaire de 75 % proposé par la loi sur le crédit d’impôt recherche est donc en fait sensiblement plus faible que ce que nous observons sur la réalité des dépenses de fonctionnement de nos centres français.
M. Olivier Carré, Président. 100 000 euros ?
M. Paul-Joël Derian. L’ordre de grandeur est bon pour le coût salarial chargé, le montant réel est en fait un peu plus faible, il atteint 94 000 euros. Le coût complet est de 186 200 euros (170 000 hors amortissements). L’écart avec le coût salarial correspond aux coûts des laboratoires, des matériels, des produits chimiques, la dotation aux amortissements des équipements investis, etc… Grâce au crédit d’impôt recherche, le coût salarial net d’un chercheur ne dépasse pas 45 000 euros.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Cela représente à peine un tiers des dépenses de fonctionnement réelles !
M. Olivier Carré, Président. En réalité, le calcul s’effectue autrement, car la base salariale est appréciée au niveau de l’équipe.
M. Paul-Joël Derian. Il faut prendre en compte d’autres coûts induits, tels que les frais de déplacement, les prix des consommables utilisés, les frais de mise aux normes, les impôts et taxes, etc… Il y a des coûts fixes beaucoup plus importants dans les activités de recherche que dans les autres secteurs.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Utilisez-vous le crédit d’impôt recherche pour faire davantage de recherche ou obtenir un avantage fiscal ?
M. Paul-Joël Derian. Les deux. Mais l’objectif final est bien de faire plus de recherche : sur 2008, 2009 et 2010, nous aurons embauché près de 100 chercheurs. Nous avons notamment créé un centre international de recherche à Lyon spécialisé dans les matériaux et les plastiques techniques. Le solde est donc positif.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Mais vous en aviez perdu, auparavant ?
M. Paul-Joël Derian. Oui, je vous ai signalé tout à l’heure les mesures sévères prises en 2004. De surcroît, les réductions de postes peuvent également résulter de départs non remplacés ou de gains de productivité liés à l’évolution des techniques. Aujourd’hui, le bilan est cependant positif.
M. Olivier Carré, Président. Voyez-vous autre chose à ajouter ?
M. Paul-Joël Derian. Je veux souligner quelques points importants. Il est d’abord crucial de garantir la pérennité du dispositif de crédit d’impôt recherche. La mesure de remboursement rapide – l’année qui suit la dépense – devrait être confortée et pérennisée pour tous les acteurs, et pas seulement les PME, afin d’éviter le recours à l’escompte de la créance auprès d’une banque.
Il faut également demeurer attentif aux mesures comparables qui pourraient être mises en œuvre à l’étranger. Ainsi la France et le Canada sont-ils bien positionnés. Cependant le Brésil vient de créer une forme de crédit d’impôt recherche tandis que la Chine et la Corée y travaillent.
Enfin, un bilan s’inscrit nécessairement dans la durée. Grâce au crédit d’impôt recherche, les mentalités ont changé et la France est considérée comme un lieu valable pour l’implantation d’activités de recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Faites-vous appel à des cabinets extérieurs pour établir votre déclaration de crédit d’impôt recherche ?
M. Paul-Joël Derian. Oui, nous travaillions déjà avec le cabinet Alma à l’époque où le dispositif était beaucoup plus complexe.
M. Olivier Carré, Président. Allez-vous maintenir cette collaboration alors que le crédit d’impôt recherche a été simplifié ?
M. Paul-Joël Derian. La question se pose à chaque renouvellement du contrat. Il faudra que nous y réfléchissions.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous envisagé de recourir au rescrit fiscal ?
M. Paul-Joël Derian. Il se trouve que Rhodia-Recherche est agréé par l’administration fiscale…
M. Olivier Carré, Président. Ce n’est pas exactement la même chose. Le rescrit consiste à consulter à l’avance l’administration fiscale.
M. Paul-Joël Derian. Non, nous n’utilisons pas le rescrit fiscal.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce que vous connaissiez l’existence de ce rescrit ?
M. Paul-Joël Derian. Non, il faudrait solliciter le directeur fiscal du groupe sur cette question. À quoi s’applique le rescrit fiscal ?
M. Alain Claeys, Rapporteur. Il consiste à solliciter l’administration fiscale avant le lancement d’un projet pour vérifier son éligibilité au crédit d’impôt recherche. Celle-ci a trois mois pour répondre, à compter du dépôt de la demande. Si l’administration fiscale vous répond dans les délais, elle vous précise si le projet peut bénéficier ou non du crédit d’impôt recherche ; en l’absence de réponse, le projet est considéré comme éligible.
M. Paul-Joël Derian. Le crédit d’impôt recherche est un dispositif assez simple ; nous ne ressentons pas le besoin de consulter systématiquement l’administration fiscale. Par ailleurs, le délai fixé à trois mois ne serait pas adapté à nos besoins car nos projets sont montés sur plusieurs années. Il ne faudrait pas que le rescrit aboutisse à alourdir la conduite de ces projets.
M. Olivier Carré, Président. Nous vous remercions.