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M. Olivier Carré, Président. Nous accueillons maintenant M. Vincent Drezet et Mme Florence Toquet, secrétaire nationaux de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires.
Les rapporteurs de notre mission d’évaluation et de contrôle sont Messieurs Alain Claeys, Pierre Lasbordes et Jean-Pierre Gorges, lequel, retenu dans l’hémicycle, vous prie de bien vouloir excuser son absence. M. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître à la Cour des comptes, nous accompagne dans nos auditions de ce jour.
Madame, Monsieur, vous avez la parole pour une appréciation d’ensemble sur le crédit d’impôt recherche, après quoi les rapporteurs vous poseront leurs questions.
M. Vincent Drezet, secrétaire national de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires. Nous tenons tout d’abord à vous remercier. Le sujet du crédit d’impôt recherche (CIR) nous tient particulièrement à cœur et nous sommes par conséquent heureux de pouvoir nous exprimer devant vous. Nous sommes d’autant plus enclins à le faire que nous publions aujourd’hui un rapport sur ce sujet après avoir mené, il y a quelques semaines, une consultation relative au CIR, notamment dans les services de contrôle.
Dans ce rapport, nous constatons un renforcement du pilotage de la politique fiscale par la dépense fiscale. En matière d’impôt sur les sociétés, le CIR est le dispositif le plus coûteux : au-delà de l’augmentation conjoncturelle liée à la mise en œuvre du plan de relance de l’économie, il est structurellement amené à croître. Le nombre de bénéficiaires a ainsi fortement augmenté, une évolution en lien direct avec les mesures d’élargissement de l’assiette décidées en 2007 et applicables à compter de 2008.
Nous ne sommes porteurs d’aucun dogme anti-niches fiscales. L’essentiel est de savoir comment celles-ci sont utilisées, si les dispositifs s’avèrent efficaces et si le rapport coût/efficacité est positif. L’analyse montre que la part des aides directes baisse au profit du CIR, ce qui témoigne de la volonté de favoriser un type particulier de recherche.
Ce constat nous interpelle en tant que syndicat puisque nous sommes en contact avec les organisations actives au sein du ministère de la Recherche, telles que le collectif « Sauvons la recherche ». En effet, nous estimons qu’il est essentiel au débat public de savoir quel type de recherche est favorisé. Dans le cadre du contrôle fiscal, cet aspect est particulièrement prégnant, les services ayant un certain ressenti à ce sujet. Ainsi, à notre sens, le dispositif s’apparente davantage à un produit d’attractivité fiscale qu’à une aide directe en faveur de la recherche. Enfin, nous soulignons que l’explosion du CIR est inévitable eu égard aux règles d’assiette actuelles.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur la réforme de 2008 ? Quels en sont les éléments positifs, quels en seraient les aspects négatifs ?
M. Vincent Drezet. Du fait de la nature même du contrôle fiscal, nous manquons encore, à l’heure actuelle, d’une vision globale de la réforme de 2008. Toutefois, nous pouvons vous dire que le contrôle fiscal de l’ancien crédit d’impôt recherche était difficile et que ses règles étaient très complexes. Désormais, c’est plutôt la satisfaction qui prime : pour les PME notamment, le mécanisme est plus facile à maîtriser et à comprendre dans ses grandes lignes. Nos services confirment ce constat.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez donc le sentiment que les PME se sont davantage appropriées le dispositif ?
M. Vincent Drezet. Elles le comprennent mieux, mais toutes ne demandent pas à en bénéficier pour autant. Elles reçoivent le message politique de simplification de l’outil mais ne le maîtrisent pas forcément si elles ne sont pas assistées en ce sens.
Dans notre champ de compétences, nous constatons que la peur du contrôle fiscal est en train de s’affaiblir. Statistiquement, le crédit d’impôt recherche n’est pas un axe de contrôle. Par ailleurs, le dispositif est de moins en moins contrôlé au regard du volume global des opérations de contrôle. Nous observons également des opérations de rachat de PME menées pour gonfler le montant du crédit d’impôt recherche.
Il y a eu une véritable explosion des mesures fiscales dérogatoires et des dépenses fiscales, toutes assorties de conditions souvent complexes. Ceci n’a pas simplifié le contrôle fiscal, tout en conduisant le contribuable à s’interroger sur le fondement de l’impôt et sur sa légitimité. Sur le crédit d’impôt recherche, on sent qu’il existe une véritable ingénierie de l’optimisation fiscale qui sait parfaitement jouer d’une assiette souple, pour ne pas dire permissive.
Toutefois je le redis, notre analyse de la réforme de 2008 est encore incomplète, faute d’un recul suffisant.
M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous exposer un cas pratique de détournement, sans citer une entreprise en particulier ?
M. Vincent Drezet. Par exemple, une société qui bénéficie du crédit d’impôt recherche en France va payer le résultat de ses études, le droit d’exploiter un brevet, à une société du même groupe installée à l’étranger, si possible dans un territoire au régime fiscal plus attractif. En effet, il n’existe aucune obligation quant à la localisation en France du résultat des études. La recherche a bien été effectuée en France, ce qui est l’un des objectifs du crédit d’impôt recherche, mais l’assiette est optimisée, tout à fait légalement en l’espèce, pour renforcer la compétitivité micro-économique de l’entreprise et non l’économie de la connaissance telle que défendue par la stratégie de Lisbonne. Au total, nous avons parfois l’impression d’un résultat perdant-perdant pour la collectivité avec une recherche pas forcément innovante et un transfert de bénéfice, légal, à l’étranger.
Lorsque que l’on analyse certains projets, on peut éprouver des difficultés à savoir si celui-ci est innovant ou pas. Ainsi, une société effectuant des recherches pour développer un logiciel ne s’inscrit pas dans une démarche d’innovation stricto sensu.
Il existe par ailleurs de vraies stratégies de détournement, avec des dépenses indûment comptabilisées dans l’assiette. Mais ceci est un autre problème.
M. Olivier Carré, Président. Je comprends votre sentiment concernant le premier point que vous avez exposé. Le but du crédit d’impôt recherche est-il de favoriser la croissance ou la recherche ? La réponse est de nature politique. Sur le second point, la différence entre recherche et innovation : ce débat a fait l’objet de plusieurs interrogations de la part de nos rapporteurs. De votre point de vue de contrôleur, que faudrait-il améliorer ou préciser pour clarifier les choses ?
M. Vincent Drezet. La limite théorique semble claire. Mais les compétences des contrôleurs fiscaux et la manière dont l’information circule entre le ministère de la Recherche et notre administration ne nous satisfont pas et ne permettent pas un contrôle efficace du crédit d’impôt recherche, lequel fait intervenir un aspect fiscal et un aspect « recherche » visant à déterminer le caractère innovant ou non d’un projet. Nos missions sont différentes : alors que nous contrôlons le crédit d’impôt recherche, le ministère de la Recherche a plutôt tendance à le promouvoir. Il y a là une discordance qui empêche de réaliser un contrôle complet du crédit d’impôt recherche ex post.
Sur le caractère innovant, j’ai pris à dessein l’exemple de l’informatique car dans ce domaine, nous risquons de nous trouver face à de nombreux contentieux. Il peut y avoir des avancées innovantes en matière informatique mais il y a aussi du pur développement de logiciels qui ne saurait être considéré comme innovant.
M. Olivier Carré, Président. Quelles seraient, selon le praticien que vous êtes, les pistes d’amélioration à explorer ?
M. Vincent Drezet. À l’évidence, il est crucial d’améliorer les procédures de contrôle entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche. Le crédit d’impôt recherche étant promu par ce ministère, nous avons le sentiment que son accord est systématiquement délivré. Or nous n’avons pas les compétences techniques pour contrôler le fond des dossiers. Les directions régionales de la technologie, quant à elles, ne semblent pas toujours disposer des moyens humains pour opérer des vérifications. On en reste parfois à un simple contrôle de forme.
Mme Florence Toquet, secrétaire national de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires. En effet, les retours d’information des services font état de contrôles de pure forme et non de contrôles de fond des dossiers. Toute la partie scientifique est reportée vers le ministère de la Recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce constat est-il particulièrement vrai pour les PME ?
Mme Florence Toquet. Pas uniquement. Nous sommes confrontés au même problème dans le cadre du contrôle des grandes entreprises, notamment dans le domaine informatique.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment éviter cela ?
Mme Florence Toquet. Ainsi que Monsieur Drezet l’a souligné, il conviendrait de travailler davantage avec le ministère de la Recherche et d’harmoniser nos pratiques afin d’aller plus au fond des dossiers.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le problème n’est-il pas à rechercher au niveau des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ?
Mme Florence Toquet. Il existe effectivement des effets d’aubaine, notamment au niveau de l’assiette. Toutefois le vrai problème est ailleurs : l’avis du ministère de la Recherche prime tandis que nous n’avons aucun retour en matière de pièces justificatives ou d’informations qui permettraient d’apprécier la réalité des éléments présentés dans le dossier. Ainsi, certaines personnes ont pu se voir indûment attribuer le statut de chercheurs. Dans ce type de cas, on peut s’interroger sur la portée de la vérification opérée ex ante.
M. Olivier Carré, Président. En d’autres termes, vous pointez le manque de compétences du ministère de la Recherche.
Mme Florence Toquet. En aucune manière, Monsieur le Président. Nous constatons simplement que nos objectifs ne sont pas les mêmes. Le ministère de la Recherche a vocation à promouvoir la recherche au sens large : recherche fondamentale, recherche appliquée et innovation. Or, dans ces deux derniers champs, les frontières sont extrêmement fluctuantes et nous ne disposons pas des compétences ou des éléments pour les apprécier de manière fine.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous voulez dire que certaines dépenses qui relèveraient davantage de l’innovation sont prises en compte dans le crédit d’impôt recherche ?
Mme. Florence Toquet. Tout à fait.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles solutions ou quelles pistes de réforme proposez-vous ?
M. Vincent Drezet. Une vérification coordonnée entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche constituerait un premier progrès. Ils pourraient additionner leurs compétences et croiser leurs approches de manière efficace. Le ministère cherche toutefois à promouvoir le crédit d’impôt recherche, ce qui peut le mettre en porte-à-faux lorsqu’il s’agit d’en limiter l’usage.
Une deuxième piste d’amélioration serait la réforme de l’assiette du crédit d’impôt. Il paraît excessif d’évaluer les dépenses de fonctionnement, de manière forfaitaire, à 75 % des dépenses de personnel. L’assiette actuelle ouvre également la porte à des déclarations de conjoints comme stylistes dans le secteur de la mode ou à la requalification d’ingénieurs informaticiens comme chercheurs, à l’occasion du rachat de leur société.
M. Olivier Carré, Président. Comment les services fiscaux traitent-ils ces situations ?
M. Vincent Drezet. Ils procèdent à la requalification inverse, mais cela peut faire naître des contentieux. Dans ces cas aussi, les services des impôts seraient mieux armés s’ils agissaient dans le cadre d’un contrôle conjoint. Faute de preuve certaine, aucun redressement n’est en effet possible.
Mme Florence Toquet. J’ajoute que les services des impôts opèrent dans des délais contraints et qu’ils ne contrôlent d’ordinaire l’usage du crédit d’impôt recherche qu’à l’occasion de vérifications générales.
M. Vincent Drezet. L’exemple me vient également à l’esprit de séminaires organisés à grands frais sous un libellé scientifique, alors qu’ils recouvraient des séminaires d’entreprise classiques. De manière générale, une vérification efficace suppose un contrôle ciblé, un travail en amont, un suivi des résultats et une approche qualitative. Seule une meilleure programmation peut permettre de contrôler de manière efficace l’usage de ce crédit d’impôt accordé sur simple déclaration.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur l’assiette, que proposeriez-vous ?
M. Vincent Drezet. Plutôt qu’une approche forfaitaire en pourcentage pour les dépenses de fonctionnement, je fixerais un plafond en euros, différent selon le secteur. Cela serait plus juste, même si cela aurait l’inconvénient de rendre le dispositif moins simple. En l’état actuel des textes, les jeunes entreprises innovantes sont cependant désavantagées.
M. Olivier Carré, Président. Est-il des sujets sur lesquels vous travaillez déjà avec d’autres ministères ?
M. Vincent Drezet. Je n’en vois pas. À l’intérieur même des ministères des Finances et du Budget, la coopération avec la direction générale des Douanes et des droits indirects n’est déjà pas toujours optimale. Il ne faut cependant pas oublier que tous les organismes publics signalent aux services fiscaux les fraudes qu’ils détectent.
M. Olivier Carré, Président. Ne coopérez-vous pas avec le ministère de la Culture lorsque vous contrôlez le recours au dispositif Malraux sur les monuments historiques ?
M. Vincent Drezet. La classification d’un bien immobilier comme monument historique s’impose à nous de plein droit.
Mme Florence Toquet. Dans le cadre des contrôles, les présomptions de fraude sont souvent difficiles à établir. S’en tenir à un contrôle des pièces paraît en outre insuffisant.
M. Vincent Drezet. Sur ce dernier point, un contrôle conjoint n’apporterait pas par lui-même d’amélioration.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelle utilité les rescrits peuvent-ils avoir ?
M. Vincent Drezet. Ils supposent une vérification au fond du ministère de la Recherche. Ils ne doivent pas remplacer les contrôles, même s’ils peuvent les alléger en créant une présomption favorable à l’entreprise.
Mme Florence Toquet. L’avis du ministère de la Recherche s’impose en effet à nous.
M. Vincent Drezet. Le rescrit soulève les mêmes problèmes que le reste du contrôle, par exemple s’il définit la recherche innovante. Comment vérifier que les entreprises rapportent correctement cette qualification à leur activité ?
M. Alain Claeys, Rapporteur. Je ne sais trop ce que peut être la recherche innovante, je tracerais plus volontiers une frontière entre recherche et innovation. À cet égard, je rappelle que beaucoup de PME jugent que cette dernière est définie de manière trop restrictive.
M. Vincent Drezet. En ce cas précis comme dans le domaine tout entier, c’est l’avis des gens du métier qui nous fait défaut.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Il existe une procédure particulière du contrôle sur demande du crédit d’impôt recherche qui peut être mise en œuvre avant le dépôt de la déclaration. Cette procédure a-t-elle été utilisée ?
M. Olivier Carré, Président. Quelles sont les statistiques ?
M. Vincent Drezet. À ma connaissance, les statistiques sont inférieures à la dizaine, de l’ordre de deux ces dernières années. Les entreprises privilégient le rescrit, plus simple et plus rapide. Elles ne veulent pas subir un contrôle fiscal à leur propre demande.
Dans les deux cas, que ce soit le contrôle sur demande ou le rescrit, il s’agit d’avantage de notre point de vue d’une approche de type audit fiscal ou prestation de service. Cela correspond à une évolution profonde du contrôle fiscal dans tous les secteurs, particulièrement visible concernant le crédit d’impôt recherche. Il existe une véritable promotion du rescrit qui fait que leur nombre va bientôt croiser celui des rectifications de crédit d’impôt recherche. Cette montée en puissance du rescrit n’est pas en soi choquante. Ce qui est davantage choquant, c’est le manque d’axe ou de cap donné au crédit d’impôt recherche ou plus généralement au contrôle fiscal.
Pour revenir au contrôle sur demande, il me semble que cette procédure n’est guère plus utilisée par ailleurs, en ce qui concerne le droit d’enregistrement par exemple. Il s’agit d’un dispositif qui est venu s’ajouter à l’offre de services de la direction générale des Finances publiques, mais qui marche peu.
M. Pierre Lasbordes. Peut-on considérer que les banques font véritablement de la recherche ?
Mme Florence Toquet. Mon expérience antérieure du contrôle du crédit d’impôt recherche dans le domaine de la banque et de l’assurance me donne le sentiment qu’il s’agit là d’une question effectivement problématique. À l’époque un certain nombre de dossiers contenant des dépenses qui nous étaient présentées comme éligibles au crédit d’impôt recherche ne l’étaient pas vraiment. Je ne crois pas que la situation ait changé depuis.
M. Olivier Carré, Président. Êtes-vous en train d’évoquer plus particulièrement le cas du secteur de l’assurance ?
Mme Florence Toquet. Disons que je me suis interrogée au sujet de la crise financière et du rôle joué par le développement d’outils informatiques et de modèles mathématiques financiers. Je me suis demandée si certaines entreprises exerçant dans le domaine des banques et des assurances n’avaient pas assimilé le développement de ces modèles mathématiques à de la recherche et utilisé ainsi le dispositif du crédit d’impôt recherche.
M. Olivier Carré, Président. C’est précisément la question posée.
Mme Florence Toquet. Je n’ai pas la réponse à cette question. Il faudrait peut-être interroger la direction des Vérifications nationales et internationales.
M. Olivier Carré, Président. À quoi correspondait le crédit d’impôt recherche des banques que vous contrôliez ?
Mme Florence Toquet. Il s’agissait d’applications informatiques diverses. Certaines visaient à améliorer le service rendu aux usagers. J’ai le sentiment que ces dernières années, il s’agit d’avantage du développement de nouveaux modèles mathématiques qui ont permis certaines innovations financières et qui sont peut-être passées dans le cadre du crédit d’impôt recherche.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous connaissance du nombre de contrôles qui concernent les banques spécifiquement sur le crédit d’impôt recherche ?
Mme Florence Toquet. Il s’agit de davantage de contrôle induit. Les banques sont contrôlées pour d’autres raisons.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. J’ai la sensation que ces statistiques ne se trouvent nulle part. J’avais interrogé en son temps M. Francis Mer sur la relation entre le nombre d’entreprises qui avaient bénéficié d’un crédit d’impôt recherche et celles qui avaient fait l’objet d’un contrôle fiscal. Il a fallu un an avant que je n’obtienne ces informations, qui montraient d’ailleurs une corrélation. Même si vous contestez cette analyse, il n’en demeure pas moins que les entreprises le ressentent ainsi.
M. Vincent Drezet. Effectivement, il suffit qu’une entreprise soit contrôlée après avoir bénéficié du crédit d’impôt recherche pour que toute la région soit au courant. Mais le contrôle fiscal bénéficie d’une image qui est largement supérieure, malheureusement, à son efficacité réelle. Je le rappelais dans mon propos liminaire : le crédit d’impôt recherche engendre quelquefois la peur du déclenchement du contrôle pour certaines PME.
Il convient d’évoquer également les cas de restructurations, des holdings. La plupart du temps, il s’agit d’opérations légales. Cela concerne à nouveau les règles d’assiette relativement permissives. Encore une fois, il ne s’agit pas de porter un jugement trop négatif sur le crédit d’impôt recherche.
M. Olivier Carré, Président. Votre expérience concrète en termes de vérification nous intéresse et nous aide à mieux comprendre la réalité des choses.
M. Vincent Drezet. Il ne s’agit pas de contester le caractère douloureux d’un contrôle pour une PME qui a construit son plan financier et fiscal. Cela fait partie de la pédagogie du contrôle fiscal. Au-delà du crédit d’impôt recherche et plus généralement, nous sommes soucieux de la complexification introduite dans le contrôle fiscal par tous les dispositifs de dépense fiscale. Pour le contribuable de bonne foi qui subit un contrôle, ce qui n’est évidemment pas agréable à vivre, pas plus que pour les services chargés du contrôle fiscal, il s’agit de la bonne application de la norme fiscale, de choix fiscaux qui s’imposent à tous.
M. Olivier Carré, Président. Que pensez-vous du recours aux conseillers fiscaux extérieurs ?
M. Vincent Drezet. Nous devrions être les conseillers fiscaux publics gratuits pour l’ensemble de la population. On peut considérer que nous le sommes et les campagnes d’information du public y participent. Il conviendrait d’y mettre plus de moyens.
Le problème qui se pose aux petites et moyennes entreprises est celui de la sécurité juridique en matière fiscale. Toutes n’ont pas les moyens de s’offrir les conseils qui permettraient d’obtenir cette sécurité juridique fiscale. Je signale à ce propos qu’un grand nombre de cabinets de conseil font appel à l’expertise de l’administration fiscale et refacturent ensuite ces prestations à leurs clients. L’État pourrait s’interroger sur une éventuelle réglementation de la rémunération des cabinets de conseil. Il est clair qu’avec des taux rémunération à hauteur de 15 %, voire davantage dans le cas d’assistance à l’occasion de contrôle fiscal, ces conseils ne sont pas accessibles à toutes les entreprises. La réponse pourrait être apportée par le service public fiscal.
M. Olivier Carré, Président. En fait, l’État paye !
M. Vincent Drezet. De fait, la collectivité paye. J’insiste sur le fait que ce travail de conseil à destination des PME devrait être celui de l’administration fiscale.
M. Olivier Carré, Président. C’est un peu l’objet du rescrit.
M. Vincent Drezet. La tendance du rescrit et des prises de position formelle de l’administration est intéressante. Mais compte tenu de l’état actuel des services fiscaux, des réformes en cours, des suppressions d’emplois, des objectifs assignés en hausse, des contentieux, des effets de la crise, cette fonction n’est pas correctement assumée. Cela me fait penser au livret fiscal entreprise lancé il y a quelques années par la direction générale des Impôts pour améliorer les relations avec le contribuable. Cela n’avait pas bien fonctionné, et sur ce type de mesures comme sur d’autres, une des frustrations provient du manque de temps donné aux agents pour expertiser les dossiers, afin de prendre des positions qui leur seront opposables, et de fournir gratuitement les conseils aux contribuables. Par ailleurs, les cabinets de conseil font leur travail et il est vrai que l’État paye une partie de leur rémunération. Si le produit était moins attractif ou plus simple, ces cabinets se déplaceraient peut-être sur d’autres champs.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Je m’interroge sur ce que peuvent avoir de plus ces cabinets de conseil, du point de vue juridique ou technique, qui leur permet de proposer le crédit d’impôt recherche à des entreprises en s’offrant une rémunération de 15 %. Avez-vous connaissance de leur mode de fonctionnement, de leur formation ? Cela pourrait être une inspiration pour les pouvoirs publics.
M. Vincent Drezet. Comme le signalait M. Carré, certains de nos anciens collègues peuvent faire partie de ces cabinets. À l’évidence donc, certains cabinets bénéficient d’une solide expertise passée, publique ou privée. Ils possèdent également une solide expertise juridique et disposent d’un réseau très important, y compris à l’international. Enfin, les produits « clés en main » vendus à certaines entreprises en fonction de leur profil, à partir d’études de marché spécifiques et d’ingénierie très poussée, à des fins d’optimisation fiscale, sont en constante évolution.
Il ressort des contacts établis avec les avocats fiscalistes, notamment à propos d’affaires concernant les paradis fiscaux, que nos compétences sont équivalentes. Cependant, la logistique et l’offensive commerciale avec des produits « clés en main » sont des aspects très importants qui nous différencient. Les services fiscaux reçoivent les dossiers et les expertisent. Ils ne sont pas dans des positions d’offre de service en indiquant ce qui serait profitable à l’entreprise.
Mme Florence Toquet. Par ailleurs les entreprises ont souvent la crainte du contrôle ultérieur et ont du mal, même s’agissant des PME, à consulter l’administration fiscale. Il ne faut pas sous-estimer ce phénomène. Enfin, dans le cadre du rescrit, il faudrait peut-être que le service qui procède au contrôle des conditions du rescrit soit différent de celui qui l’a prescrit.
M. Olivier Carré, Président. Il me reste à vous remercier.