Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle |
M. Olivier Carré, Président. Nous vous remercions d’avoir accepté de participer à nos travaux. Le rapport est préparé par Messieurs Alain Claeys, Pierre Lasbordes et Jean-Pierre Gorges, lequel, retenu dans l’hémicycle, vous prie de bien vouloir excuser son absence. M. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître à la Cour des comptes, est également présent.
M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group. Pour commencer, je me permets de vous présenter notre société. Créée en 1986, Alma est une société qui dénombre 1 600 emplois dont 1 300 en France. Ses domaines d’activités sont notamment le financement et l’accompagnement de l’innovation. Elle intervient également sur la réduction des charges fiscales et sociales, l’accompagnement des entreprises dans leurs politiques d’achats et d’assurance. Alma est implantée dans douze pays, en Europe et au Canada. Nous réalisons 271 millions d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial. En ce qui concerne le crédit d’impôt recherche, Alma a été sélectionné pour son expertise par le gouvernement espagnol et l’accompagne dans sa réflexion stratégique sur ce sujet.
Pour l’essentiel, notre modèle économique repose sur une rémunération au succès. Par ailleurs, nous veillons à ce que les économies générées par nos conseils n’aient aucun impact social au sein des entreprises, en termes de restructuration, de réorganisation ou de licenciement.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la typologie des entreprises qui font appel à votre concours pour monter un dossier de crédit d’impôt recherche ? Sont-ce des PME, des grandes entreprises ?
M. Abbas Djobo, directeur du pôle innovation. Je tiens à préciser qu’en ce qui concerne le pôle innovation, nous intervenons de manière globale et pas seulement sur le crédit d’impôt recherche. Nos interventions portent sur d’autres dispositifs : des subventions, des partenariats, des valorisations d’actifs …
M. Alain Claeys, Rapporteur. Y compris sur les partenariats public-privé ?
M. Abbas Djobo. Exactement. Nous orientons nos clients vers la bonne ressource, le laboratoire adapté pour leur recherche et développement et contribuons ainsi à la collaboration public-privé.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous beaucoup de sollicitation sur ce sujet des PPP ?
M. Abbas Djobo. Oui, mais surtout en termes d’adéquation à la demande des entreprises : quel est le laboratoire qui est en mesure de répondre à mes besoins de R&D ?
Pour revenir à votre question initiale, nous intervenons auprès de tous les types d’entreprises. Les PME et ETI – entreprises de taille intermédiaire – représentent environ 70 % de nos clients, les grands groupes environ 30 %.
Nos activités concernent à la fois les activités R&D très innovantes, et celles plus classiques, qui contiennent cependant de la recherche et du développement.
M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le fait de préconiser des laboratoires, dans le cadre de partenariats public-privé, signifie-t-il que vous possédez une base de données des laboratoires classés par thèmes ?
M. Abbas Djobo. Il ne s’agit pas de base de données au sens strict du terme. Il s’agit plutôt d’un recueil de données, issu de vingt années d’expérience dans le domaine du crédit d’impôt recherche. D’autre part, nous travaillons en collaboration avec des partenaires qui nous donnent accès à des outils, des plateformes d’échanges, qui au-delà du partenariat public-privé, permettent aux entreprises de répondre à leurs besoins de R&D.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le dispositif mis en oeuvre en France, réformé en 2008, est présenté comme l’un des meilleurs du monde et contribue à l’attractivité du territoire. Or, au regard du rapport d’évaluation que vous nous avez transmis, cela ne semble pas aussi évident : 13 % des entreprises estiment que le crédit d’impôt recherche a eu un effet positif favorisant l’implantation de nouveaux centres de R&D en France alors que 80 % répondent que cela n’a pas eu effet.
M. Abbas Djobo. En ce qui concerne les nouvelles implantations, c’est exact. Mais l’attractivité doit aussi être appréciée au niveau du départ des centres de recherche vers l’étranger. Il s’agit en quelque sorte d’une attractivité défensive. Les laboratoires sont restés en France parce que le crédit d’impôt recherche existait. Mais l’attractivité est réelle. L’Agence française des investissements internationaux estime qu’une quarantaine de centres de R&D se sont installés en France en 2009, du fait notamment de l’existence du crédit d’impôt recherche.
M. Hervé Amar. La réforme a modifié la réflexion d’un certain nombre de grands groupes. Le coût de la R&D est apparue plus faible en France qu’auparavant et la compétitivité s’en est trouvée renforcée par rapport à des pays « exotiques ». La proximité du centre R&D par rapport au siège social, la sécurité de l’implantation en France ont été considérés également comme des avantages comparatifs.
M. Abbas Djobo. Pour conforter cette analyse, je peux citer le témoignage d’une entreprise qui nous a affirmé que selon elle, le crédit d’impôt recherche était l’outil qui avait remis la France dans le jeu. La France est redevenue attractive dans les investissements de R&D sur le plan international. Sans ce dispositif, la part de la recherche basée en France, de l’ordre de 65 % pour cette entreprise aurait été réduite.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Les motivations des entreprises qui vous sollicitent varient-elles selon leur typologie ? Concrètement, peut-on dire qu’une PME vient véritablement pour financer de la recherche alors qu’un grand groupe privilégie les aspects fiscaux ?
M. Hervé Amar. Je pense qu’il s’agit de la même problématique avec des organisations différentes. Dans le cadre d’une PME, le dirigeant qui n’a pas la connaissance et les ressources fiscales, comptables, financières, nécessaires pour constituer son crédit d’impôt recherche a forcément un besoin d’accompagnement.
Le grand groupe a effectivement besoin d’être sécurisé d’un point de vue fiscal, mais aussi compte tenu de son organisation, avec la recherche et développement d’un côté, la fiscalité et la finance de l’autre. Le sujet en question a la particularité d’être à cheval entre les deux. Le fond est de la R&D, de la science, de la technologie ; la forme, ce sont des textes juridiques, fiscaux, financiers sur lesquels il existe un besoin d’interprétation et de bonne compréhension. Faire dialoguer dans un grand groupe ces deux types de services n’est pas chose aisée.
Monter un dossier de crédit d’impôt recherche dans une PME nécessite un accès aux informations : combien de temps y consacrer, comment monter le dossier …
M. Alain Claeys, Rapporteur. En ce qui concerne la période 2007-2010, quelles ont été la destination des créances reçues par l’entreprise ? Ont-elles augmenté ou stabilisé l’enveloppe recherche ? N’ont-elles pas rejoint le budget général du groupe ou de l’entreprise ?
M. Bruno Coulmance, directeur technique du pôle innovation. Selon notre enquête, pour 55 % des entreprises, le crédit d’impôt recherche réformé a permis, dans un contexte de crise, d’augmenter les investissements de R&D. Il s’agit d’un témoignage important. Le crédit d’impôt recherche a servi d’amortisseur fort des effets de la crise. De nombreux clients nous ont indiqué que le crédit d’impôt recherche leur avait évité des plans sociaux, des mesures de chômage partiel ou des licenciements et avait permis la mise en œuvre de davantage de projets de R&D. Même si l’augmentation des dépenses en R&D est restée modeste en 2008, elle a existé.
M. Olivier Carré, Président. S’agit-il de l’effet du crédit d’impôt recherche ou des mesures d’accélération du paiement, d’un effet de trésorerie ?
M. Bruno Coulmance. Les deux conjugués ont eu un rôle très important. À très court terme, la restitution immédiate du crédit d’impôt recherche, a eu un effet de bouée de sauvetage pour la majorité des entreprises. Actuellement cela perdure. Les entreprises y sont très attachées et estiment à 70 % que le crédit d’impôt recherche réformé est un excellent dispositif ; conjugué à la restitution immédiate, l’effet positif est démultiplié.
M. Hervé Amar. Des entreprises nous ont indiqué que la crise leur avait fait perdre 50 % de leurs effectifs, du fait du manque de commandes. Certaines ont opéré un virage stratégique et en ont profité pour investir dans la R&D afin de ne pas licencier, grâce au crédit d’impôt recherche. Sans lui, ces entreprises auraient licencié ou fermé.
Pierre Lasbordes, Rapporteur. La simplification du crédit d’impôt recherche en 2008 vous a-t-elle fait perdre des clients ?
M. Hervé Amar. Non. Nous avons au contraire constaté un accroissement du nombre de clients, car un plus grand nombre d’entreprises ont pu en bénéficier. D’autre part, la campagne de communication autour de ce dispositif a permis à de nombreuses entreprises d’apprendre à connaître l’existence du crédit d’impôt recherche. Les difficultés rencontrées par ces entreprises, le temps nécessaire à y consacrer ont poussé un certain nombre d’entre elles à recourir aux conseils des entreprises spécialisées.
Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-il pertinent de vous poser la question de ce qui permettrait de rendre le crédit d’impôt recherche plus simple, plus accessible aux entreprises, car ce n’est peut-être pas votre intérêt ?
M. Bruno Coulmance. Les modalités de calcul du crédit d’impôt recherche ont été énormément simplifiées, notamment l’apurement des parts en accroissement négatif reportables qui étaient très complexes à gérer.
Néanmoins, il existe encore bon nombre de dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche qui sont restées affectées par les mêmes limitations qu’auparavant. Par exemple, l’instruction administrative précise que les cotisations patronales obligatoires sont éligibles au crédit d’impôt recherche, mais pas la taxe sur les salaires. Toute une série de dispositions vient perturber la lisibilité du dispositif par les entreprises. De mon point de vue, la simplification pourrait concerner la valorisation des dépenses liées au crédit d’impôt recherche qui aujourd’hui sont assez complexes à comprendre, du fait de la superposition de dispositions réglementaires successives au fil du temps.
M. Hervé Amar. Il existe un autre souci au sujet de l’éligibilité d’un projet de R&D au crédit d’impôt recherche. Pour les entreprises, la définition de la R&D renvoie au manuel de Frascati, très documenté, et dans lequel se trouvent tous les exemples utiles de projet de R&D, permettant de juger de leur éligibilité au crédit d’impôt recherche. La difficulté pour les entreprises est la différence entre la « définition Frascati » et celle de l’administration fiscale qui a largement évolué. Frascati n’est plus la référence. Revenir à la « définition Frascati » permettrait aux entreprises d’être assurées que leurs dépenses, que leur projet correspond bien aux trois familles de la R&D.
M. Alain Claeys, Rapporteur. La définition du champ des dépenses n’a pas changé depuis 2001.
M. Hervé Amar. Elle a changé dans l’interprétation qui en est faite par les organismes de contrôle.
M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’interprétations contradictoires de la part de l’administration ?
M. Bruno Coulmance. Le problème est que les textes qui réglementent les champs d’activité éligibles au crédit d’impôt recherche contiennent des « copier-coller » incomplets du manuel de Frascati. De fait, ces extraits tirés du manuel perdent toutes leurs nuances hors de leur contexte global. Prenons l’exemple des prototypes de recherche. Tout le monde admet qu’ils sont éligibles. Or les textes régissant le crédit d’impôt recherche excluent de son assiette les prototypes de validation de conception. On est dans une zone grise difficilement qualifiable par l’entrepreneur. Aujourd’hui, les administrations de contrôle peuvent appliquer à la lettre les textes relatifs au crédit d’impôt recherche sans pour autant se référer aux définitions nuancées du manuel de Frascati.
M. Olivier Carré, Président. Dans ce domaine, les contrôleurs fiscaux regrettent de ne pas avoir suffisamment d’appui de la part de leurs collègues du ministère de la Recherche.
M. Hervé Amar. Le ministère de la Recherche est de plus en plus présent lors des phases de contrôle. L’expert mandaté par ce ministère va appliquer strictement les textes relatifs au crédit d’impôt recherche sans rentrer dans l’analyse économique de la R&D. Or, pour reprendre cet exemple, les prototypes de validation de conception sont bien subordonnés à un travail de R&D et sont d’ailleurs appréciés, dans la comptabilité analytique de l’entreprise, comme un travail de R&D.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on prenait le manuel de Frascati pour référence, y aurait-il un élargissement des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ?
M. Coulmance. En théorie, non. Les ministres responsables du crédit d’impôt recherche ont clairement dit que ces dispositions reposaient sur les définitions de l’OCDE en matière de recherche, et donc sur le manuel de Frascati. Il faut toutefois étoffer la référence qui en est faite dans les textes d’application afin d’en saisir toutes les nuances. Les prototypes de validation de conception, pour peu qu’ils s’inscrivent dans une démarche R&D, seraient alors clairement éligibles, sans aucune ambiguïté.
Par ailleurs, des pans entiers de la recherche sont à l’heure actuelle totalement ignorés par le crédit d’impôt recherche : ainsi dans le domaine des sciences humaines et sociales.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce que le pourcentage forfaitaire fixé à 75 % des dépenses de fonctionnement est réaliste ? Est-il surévalué ?
M. Hervé Amar. En réalité, il est probablement sous-évalué. Un tel taux ne permet de prendre en compte que les salaires, plus une majoration limitée, inférieure au coût induit par l’environnement. On ne peut introduire aucun coût relatif aux matières premières utilisées. Une entreprise ne peut donc en pratique valoriser son investissement en matière première dans son crédit d’impôt recherche.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le ministre du Budget n’a pas la même interprétation que vous.
M. Hervé Amar. Pourtant le coût complet d’un salaire de chercheur est largement supérieur à 75 %, une fois ajoutées les charges induites par son environnement, comme les coûts liés à l’informatique par exemple.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Le secteur bancaire et financier fait-il appel à vos services ? Le cas échéant, est-il aisé d’identifier les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche dans ce domaine d’activité ?
M. Bruno Coulmance. Certaines entreprises du secteur font effectivement appel à nous. Il n’est pas spécialement difficile d’identifier les dépenses de R&D, les critères et conditions d’éligibilité étant les mêmes que pour les autres activités.
M. Olivier Carré, Président. Par exemple ?
M. Bruno Coultance. Les modélisations du comportement des clients entrent dans le champ du crédit d’impôt recherche. Il ne s’agit certes pas de science dure ou de technologie mais ces travaux sont éligibles. Un rapport du ministère de la Recherche indique très clairement que les travaux de recherche menés dans le domaine banque finance sont éligibles au crédit d’impôt recherche et décrit ces travaux. En l’espèce, il reprend le manuel de Frascati.
M. Hervé Amar. Les banques et assurances recrutent des docteurs, des ingénieurs, des mathématiciens, travaillent avec des centres de recherche et des universités. Elles font bel et bien de la recherche !
M. Olivier Carré, Président. Toute la question est de savoir si la finalité de ces travaux est leur intérêt propre ou l’intérêt d’autrui à travers les produits qu’elles vont proposer...
M. Hervé Amar. Si vous me le permettez, je souhaiterais aborder la question des partenariats entre grands groupes et PME et la manière de les favoriser.
M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est le rôle des pôles de compétitivité. Nous avons d’ailleurs mené une mission d’évaluation et de contrôle sur le sujet l’an dernier. Par ailleurs n’oublions pas que les PME ont parfois la crainte d’être absorbées par les grands groupes.
M. Hervé Amar. Il peut exister une certaine méfiance. Toutefois, selon nous, le crédit d’impôt recherche peut aider à développer de tels partenariats. Il faudrait utiliser les mêmes mécanismes incitatifs que ceux des partenariats public-privé.
M. Alain Claeys, Rapporteur. Travaillez-vous sur les brevets ?
M. Hervé Amar. Tout à fait.
M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie.
Les auditions consacrées par la MEC au crédit d’impôt recherche sont terminées, à moins que nos rapporteurs souhaitent des auditions complémentaires. En tout état de cause, ils se rendront le 9 juin à la Société générale, afin d’avoir une vision plus concrète des efforts de recherche dans le secteur bancaire et financier.