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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 18 octobre 2007

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments

– M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et M. Pierre-Jean Lancry, vice-président

– M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et Mme Danièle Golinelli, adjointe à la sous-directrice politique des pratiques et des produits de santé

– M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et M. Jean-Pierre Roblet, directeur de l’offre de soins, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), et M. Jean-Pierre Lancry, directeur de la santé, M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI), et M. Philippe Ulmann, directeur de la politique de santé et gestion du risque.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et M. Pierre-Jean Lancry, vice-président.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment expliquez-vous que le comité d’alerte se soit manifesté aussi tardivement alors que le seuil de déclenchement fixé à 0,75 % de dépassement de l’ONDAM – objectif national de dépenses d’assurances maladie – avait été largement atteint ?

M. Bertrand Fragonard : Vous devriez poser cette question aux responsables de ce comité. Ils ont en fait procédé en deux temps, en émettant d’abord une première appréciation puis un avis. La loi fixe comme date butoir le 1er juin, mais c’est au moment où le comité considère qu’existe un risque sérieux de dépassement de l’ONDAM de 0,75 % qu’il peut intervenir. Fallait-il qu’il le fasse quelques semaines plus tôt ? Je l’ignore, d’autant que le Haut Conseil se garde bien d’intervenir dans la vie conjoncturelle.

Cela étant, je connais les membres du comité d’alerte, qui sont compétents et indépendants, et je n’ai aucune raison de considérer qu’ils n’ont pas rempli leur fonction de façon pertinente et qu’ils n’ont pas agi conformément à l’esprit et à la lettre de la loi.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le seuil des 0,75 % avait été dépassé bien avant le mois de juin.

M. Bertrand Fragonard : Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire cela. On n’a pas, notamment pour l’hôpital, une visibilité suffisante et assez précoce pour pouvoir prendre position plus tôt. L’avis définitif comporte d’ailleurs un certain nombre de réserves et c’est un des points qui fait contentieux avec les médecins libéraux, qui considèrent que l’on connaît mieux les risques de dépassement de l’ONDAM liés à leur pratique et que l’on est plus flou en ce qui concerne l’hospitalisation. Cela a peut-être joué dans l’idée qu’il fallait attendre quelques semaines de plus, mais prendre position au mois de mars aurait sans doute été prématuré.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Vous avez observé lors de votre audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales que l’on était passé de 5,4 à 9 visites par an chez le médecin, pouvez-vous préciser sur quelle durée ?

M. Bertrand Fragonard : Sur 25 ou 30 ans, mais l’état de santé des Français ne s’étant pas dégradé, au contraire, au cours de cette période, cela signifie que nous sommes entrés dans une société dans laquelle le recours au médecin est devenu un trait culturel. Il est encore plus fréquent au Japon, mais ce mouvement est significatif dans notre pays, d’autant que dans neuf cas sur dix la consultation débouche sur la prescription de médicaments. Cette évolution a une influence majeure sur les comptes de la sécurité sociale.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pensez-vous qu’en obligeant, dans le cadre du parcours de soins, à passer devant le médecin traitant avant de se rendre chez un spécialiste, la réforme de 2004 a entraîné une augmentation du nombre des visites ? Certains syndicats de médecins ont dit à ce propos qu’il ne fallait plus parler de « médecins traitants » mais de « médecins sous-traitants »…

M. Bertrand Fragonard : Il ne faut pas surestimer les effets du parcours de soins sur la pratique médicale. Dans les faits, beaucoup de Français avaient déjà un médecin de famille et les analyses sur les parcours spontanés, avant les contraintes tarifaires, montrent que le recours spontané aux spécialistes n’était pas très fréquent. La réforme ne pouvait donc pas avoir un effet radical sur les comportements. On a craint qu’elle entraîne une augmentation du volume des consultations, la visite chez le médecin traitant apparaissant souvent superfétatoire. Or, dans les faits, on observe plutôt une légère diminution du nombre des recours au médecin, sans qu’on puisse véritablement l’imputer au parcours de soins. En fait, c’est l’annonce même de la réforme qui a eu des effets psychologiques sur les médecins et sur les patients.

Il y a eu tout au plus un peu de crispation pour certaines spécialités, comme la dermatologie, qui ont amené les partenaires conventionnels à adopter quelques mesures de compensation.

M. Pierre Morange, coprésident : Si la philosophie générale du bouclier sanitaire est d’aboutir à une nouvelle répartition de la prise en charge, le Haut Conseil a-t-il également réfléchi aux effets que ce bouclier aurait sur les médicaments ? Quelles pourraient en être les conséquences sur le plan budgétaire et sur les comportements ?

M. Bertrand Fragonard : Le bouclier n’a pas vocation à influencer la pratique médicale. Il s’agit d’un réajustement, mais ce n’est pas cela qui modèle la prescription. Dans son avis de juin 2006 sur la prescription des médicaments, le Haut Conseil a exprimé sa conviction que, dans un marché très ouvert où l’on admet les médicaments vite et bien et à des prix plutôt raisonnables, la vraie question est celle de la pression que l’on exerce pour contenir la prescription.

Le constat est connu et les communications de la Cour des Comptes à la MECSS le confirment : nous sommes dans un pays où l’on a heureusement accès aux progrès thérapeutiques liés à l’innovation pharmaceutique et où l’on accepte le principe d’un marché ouvert. Or un marché ouvert fortement solvabilisé crée un contexte propice aux abus de prescription. Dès lors, la prescription n’est pas à l’optimum en quantité puisque presque chaque consultation débouche sur une ordonnance, en général de trois lignes et dont le coût unitaire progresse. En moyenne, chaque fois que l’on va voir un généraliste, cela conduit à 50 euros de prescriptions pharmaceutiques. La France est un pays gros consommateur de médicaments. Dans d’autres pays un grand nombre de consultations ne se traduisent pas par une ordonnance. Ce phénomène tient sans doute à la culture française, c’est-à-dire à la formation initiale des médecins.

La prescription n’est pas non plus à l’optimum en termes de qualité. Sans même parler du risque que fait courir la prescription de certains médicaments, nous constatons de nombreuses prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM), qui ne sont pas totalement maîtrisées, et, surtout, hors répertoire. L’économie du médicament repose sur le princeps, sur le générique et sur les médicaments dits « me too », c’est-à-dire des produits assimilables, de la même classe thérapeutique et qui ont probablement la même aptitude à soigner les malades.

Quand on arrive au terme d’un brevet, la générication est possible, elle entraîne une baisse du prix, qui a été plus prononcée depuis les récentes décisions gouvernementales puisque le générique est introduit à 50 % du prix du princeps et que l’on fait baisser le prix de ce dernier de 15 %. On attend donc de l’arrivée du générique une baisse prononcée du coût de la prescription. Or on n’obtient pas ce résultat car la prescription se fait souvent en dehors du répertoire. Le laboratoire responsable du princeps a tendance à limiter l’effort de promotion puisque cela lui rapporte moins, mais, faute de contacts avec les médecins, les génériqueurs n’ont pas de politique de promotion, si ce n’est en direction des pharmaciens. À l’inverse, les laboratoires qui proposent des me too exercent une pression forte sur les prescripteurs. Ainsi, alors que chacun sait que l’on pourrait soigner davantage en utilisant le répertoire – princeps ou générique –, on observe une augmentation préoccupante de la prescription hors répertoire.

C’est pour cela que nous avons insisté sur la convergence des prix, c'est-à-dire sur la nécessité de revoir les prix des me too au moment où l’on génériquait un produit. Cette option a été retenue dans la lettre d’orientation que le ministre a envoyée au mois d’octobre au président du Comité économique des produits de santé (CEPS).

Il n’y a pas encore eu de modélisation pour voir quelle pourrait être l’étendue du répertoire. C’est un exercice difficile, car la notion de me too n’est pas aussi précise que celle de générique et l’on ne peut pas considérer que tous les produits sont équivalents. Le répertoire représente actuellement 20 % des prescriptions, on ignore s’il pourrait atteindre 30 % ou 40 %, mais il est certain qu’il y a une marge de progression, donc un gisement considérable, probablement de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est pour cela que depuis le mois d’octobre le président du CEPS s’efforce de revoir les prix des me too qui sont à l’origine légèrement inférieurs au prix princeps mais qui, après la générication, valent plus que le générique mais aussi que le princeps. Il faut faire converger le prix des me too vers cette référence qu’est le prix de marché, l’enjeu étant de repérer le gisement et de l’exploiter.

Même si l’avenant 23 à la convention médicale fixe un objectif de prescription dans le répertoire pour certaines classes de médicaments, faire évoluer la prescription nécessite beaucoup de temps. Aussi, l’impatience gagnant les gestionnaires, il faut contourner cette résistance en ajustant la politique des prix, c’est l’objet du processus de convergence. C’est un sujet essentiel car si l’on ne fera pas varier ainsi le volume et la qualité de la prescription, on agira au moins sur son prix.

M. Jean Mallot, coprésident : Vos comparaisons internationales, par exemple sur la formation initiale des médecins, vous ont-elles permis de repérer de bonnes idées qui permettraient d’améliorer la situation dans notre pays ?

M. Bertrand Fragonard : La formation initiale et continue et l’évaluation des pratiques sont des enjeux fondamentaux.

Le rapport complexe à la consultation chez le généraliste renvoie à des contenus humains qui n’ont rien à voir avec la mécanique financière que je viens d’exposer. La pratique médicale est le fait de professionnels compétents mais qui évoluent peu et qui sont peu confrontés aux autres. C’est précisément ce qui rend importantes la formation continue et l’évaluation des pratiques. Toutefois il y a aussi une vie collective du corps médical et c’est pour cela que la maîtrise médicalisée a tendance à faire changer les habitudes de prescription.

Une politique brutale de déremboursement de médicaments aurait sans doute des effets plus rapides, mais elle n’est ni souhaitable ni envisageable. La maîtrise médicalisée progresse lentement, mais elle va dans le bon sens. Éclairer la pratique médicale, ne serait-ce qu’en la décrivant, rendre les référentiels de la Haute Autorité de santé (HAS) plus précis, mieux les diffuser, permet de faire évoluer la prescription. Cependant, cette politique ne saurait se substituer à une politique des prix et d’admission sur le marché à des conditions de remboursement raisonnables.

M. Jean Mallot, coprésident : Il faut donc se demander comment accélérer les effets de la maîtrise médicalisée et comment gagner en efficacité.

M. Bertrand Fragonard : Dans un cadre conventionnel on est aussi tenu par le rythme de ses partenaires. Les directeurs des caisses ont sans doute d’autres pistes, mais quand on a fait le choix, que je trouve positif, de la maîtrise médicalisée on est tenu d’avancer au rythme auquel on élabore les instruments. N’oublions pas que la maîtrise médicalisée a décollé à partir du moment où l’on a pu coder les médicaments.

Il n’est pas facile d’aller plus vite. Dans la mesure où les médecins sont les ordonnateurs, on peut certes essayer de réduire la pression des laboratoires, mais lorsque, en dépit des efforts en faveur de la maîtrise médicalisée, on constate que la croissance des prescriptions est forte, il est légitime que l’assureur récupère une partie du surcroît sur les laboratoires, sur les grossistes-répartiteurs et sur les pharmacies d’officine.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous allons en revenir aux questions de notre rapporteure, mais il serait intéressant que nous disposions de plus d’éléments sur les comparaisons internationales en ce qui concerne les schémas organisationnels, l’articulation entre les différentes structures qui régulent le marché du médicament, la constitution des prix et la fiscalité, dont les communications de la Cour des Comptes à la MECSS soulignent la très grande complexité et le manque d’efficacité dans notre pays.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pensez-vous que le mode de rémunération actuel des médecins par le paiement à l’acte a des effets sur la prescription excessive de médicaments ?

Considérez-vous par ailleurs que la place que prennent les visiteurs médicaux dans l’information des médecins a une influence sur les prescriptions hors répertoire ?

M. Bertrand Fragonard : Aucune analyse n’a été menée sur ce sujet. On ignore donc si la rémunération à l’acte entraîne une inflation des recours au médecin, des indemnités journalières et des prescriptions. Il faut par ailleurs prendre en compte le contexte de la démographie médicale : lorsqu’un médecin a trop de clients, les défauts éventuels de la tarification à l’acte s’effacent.

Le projet de loi de financement de sécurité sociale pour 2008 introduit la possibilité très intéressante de mener des expérimentations, pendant cinq ans, d’engagements des médecins sur des objectifs contractuels individualisés d’amélioration de leurs pratiques et l’on verra si la réorganisation de la prise en charge a un effet sur le recours au médecin et sur la prescription d’indemnités journalières et de médicaments.

Les comparaisons internationales sont très difficiles car les contextes ne sont pas les mêmes. Certains pays appliquent des méthodes plus énergiques, par exemple avec des enveloppes fermées de prescriptions et d’honoraires.

M.  Pierre-Jean Lancry : En effet, on ne parvient pas vraiment à comparer, même si l’on voit bien que nous consommons beaucoup plus que les autres. On a pensé pendant un moment qu’il y avait un effet d’offre car 9 000 médicaments, dont 6 700 remboursables, sont vendus en France. Mais on n’observe pas ce phénomène en Allemagne, où il y a pourtant deux fois plus de médicaments. La comparaison ne donne donc pas de résultats très nets.

Il est vrai que les contextes sont très différents puisqu’on a observé que les patients n’utilisaient pas les mêmes formes galéniques. Les Anglais refusent les suppositoires tandis que, dans le pourtour méditerranéen, l’injection est considérée comme une preuve de l’importance de la pathologie. En France, on a tout !

Une étude assez ancienne des comportements des prescripteurs a toutefois permis de mettre en évidence certains éléments, en particulier qu’il y aurait un lien entre l’activité d’un médecin et la prescription par acte : plus le médecin fait d’actes, plus il prescrit à chaque acte, peut-être pour se couvrir dans la mesure où il consacre moins de temps à son patient, peut-être aussi pour rassurer celui-ci.

M. Bertrand Fragonard : Ce n’est pas un phénomène majeur.

On peut bien évidemment s’intéresser de près à quelques très gros prescripteurs, mais ce dont on parle, ce sont des habitudes globales de prescription. Les modifications d’organisation ont donc plus d’effet que des processus administratifs ou que d’éventuels changements du mode de rémunération. Personne ne propose d’aller vers une rémunération par capitation. Tout au plus peut-on valoriser des comportements différents par des rémunérations différentes.

Il est évident que les visiteurs médicaux ont une influence sur la prescription hors répertoire : ils sont là pour promouvoir leurs produits. Notre pays a entrepris d’encadrer cette pratique par une charte, qui est suivie, qui a une influence, mais qui n’empêche pas la promotion. On essaye aussi de la contenir au moyen d’une taxation spécifique.

Cependant, d’autres influences s’exercent sur le médecin. Ainsi, celui qui élabore les référentiels doit guider la pratique médicale, ce qui renvoie aux problèmes d’élaboration et d’appropriation des référentiels. Une autre influence est celle du gestionnaire du risque et la Caisse nationale d’assurance maladie s’efforce de peser dans ce débat. Enfin, on n’a pas encore exploité la possibilité d’une gestion collective par les médecins libéraux. S’ils discutaient davantage, s’ils se situaient dans une analyse collégiale des pratiques, il est certain que les choses évolueraient plus rapidement.

C’est parce que la visite médicale a tendance à se porter vers le me too au moment de l’apparition du générique qu’il nous a semblé nécessaire de compléter tout ceci par une politique des prix. Car il n’est pas gênant que le médecin prescrive le me too si son prix est voisin de celui du répertoire. C’est tout l’enjeu de la convergence.

Et si l’on a fait beaucoup d’efforts en faveur du droit de substitution, les caisses étant allées jusqu’à subordonner le tiers-payant à l’acceptation du générique, pour que la substitution joue, encore faut-il que la prescription soit faite dans le répertoire. Pour cela, la visite médicale ne doit pas être le seul élément qui détermine la prescription.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est votre sentiment quant aux différents schémas d’organisation qui existent en Europe ?

Que pensez-vous par ailleurs d’une éventuelle extension des compétences de la Haute Autorité de santé (HAS) à la formulation de recommandations prenant en compter le critère médico-économique ?

M. Bertrand Fragonard : Le débat a été assez vif en 2004. Donner des responsabilités différentes à la HAS serait une bonne chose, à condition qu’elle ne soit pas perçue comme obsédée par la volonté de contenir les prix et de limiter les actes. Il faut donc qu’elle conserve son autorité d’émetteur de référentiels et qu’elle montre que certains processus de prise en charge thérapeutique sont plus efficaces et plus économiques que d’autres. C’est sur des grands chantiers comme l’éducation thérapeutique ou la prise en charge des malades chroniques que la Haute Autorité peut adosser une approche plus économique. Toutefois il faut aussi qu’elle garde présente à l’esprit l’importance des liens de confiance avec la communauté médicale et hospitalière.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Un sondage publié l’an dernier montre que 78 % des généralistes ignorent l’existence de la charte de la visite médicale.

On sait par ailleurs que la formation initiale des médecins est particulièrement centrée sur l’hôpital. Existe-t-il précisément, au sein des hôpitaux, une obligation de prescrire des génériques ? Car si un jeune médecin n’a eu que des spécialités à prescrire à l’hôpital, on peut penser qu’il aura ensuite le réflexe de faire de même dans son cabinet.

M.  Pierre-Jean Lancry : Certains centres hospitaliers universitaires, enseignent les thérapeutiques avec les dénominations communes internationales, les DCI, d’autres ne le font pas. Il est certain qu’un jeune médecin qui a appris les noms de spécialités les prescrit plus facilement par la suite. Par ailleurs, les prescriptions à l’hôpital portent souvent sur des produits innovants et onéreux, sous brevet, pour lesquels il n’est pas possible de prescrire des génériques. Pour les produits qui sont davantage de routine, il est assez fréquent qu’on ne se préoccupe pas des DCI car, en raison du mécanisme d’achat par appel d’offres, le médecin dispose d’une liste de produits arrêtés par son comité économique du médicament. Qui plus est, les produits déjà anciens sont vendus à un prix dérisoire sur le marché hospitalier car les laboratoires savent très bien que l’on suscite la prescription de ville par la prescription hospitalière.

En Grande-Bretagne, les gros cabinets de généralistes disposent d’un pharmacien conseil qui, même s’il ne dispose pas du droit de substitution, est chargé de voir ce qu’il est possible de faire à partir de la prescription. Cependant cette dépense ne peut être amortie que dans le cadre d’un cabinet de groupe.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle appréciation le Haut Conseil porte-t-il sur les logiciels d’aide à la prescription ?

M. Bertrand Fragonard : Nous n’avons pas eu à étudier cette question. Le Haut Conseil s’est borné à constater qu’il y a un peu de retard dans l’agrément des logiciels et que l’approbation des référentiels est lente.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le système des ententes préalables pour les médecins « déviants » peut-il s’appliquer aux médicaments ?

M. Jean Mallot, coprésident : J’aimerais aussi connaître l’appréciation que vous portez sur les effets de la probable institution des franchises.

M. Bertrand Fragonard : L’article relatif à la mise sous entente préalable a été introduit en 2004, mais pour un champ limité, en particulier les indemnités journalières. L’article 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 propose d’étendre la procédure à l’ensemble des prescriptions.

Il est d’ores et déjà possible, lorsque l’on dispose d’éléments concordants sur la prescription d’indemnités journalières et de médicaments, d’évaluer le comportement global d’un médecin.

Par ces dispositions, on cherche d’abord à rappeler à l’ordre une petite minorité dont le comportement n’a, statistiquement, rien à voir avec la pratique courante. Seulement quelques dizaines de praticiens sont concernés – 150 cette année – et l’économie attendue est donc marginale. Mais on entend aussi adresser un message global aux médecins et à l’opinion. En abaissant le seuil de repérage on changerait d’exercice car il s’agit pour l’instant d’une procédure d’exception, qui vise des médecins qui sont huit ou dix fois au-dessus de la moyenne, certains allant jusqu’à prescrire 25 000 indemnités journalières dans l’année.

S’agissant des franchises, il faut d’abord savoir si elles seront réassurables. La question semble avoir été tranchée, la notion de contrats responsables exerçant une pression sur les assureurs pour qu’ils ne prennent pas en charge les franchises.

Les franchises poursuivent à la fois un objectif de responsabilisation et un objectif financier.

L’institution d’une franchise non réassurable de 0,50 euro par boîte ne saurait avoir un effet majeur par rapport au prix des médicaments. La modestie relative des sommes en jeu - 850 millions d’euros, tous secteurs confondus - montre bien qu’il n’y a pas de déremboursement massif. D’ailleurs, on ne cherche pas à avoir un effet fort sur les prix mais à adresser un signal. On peut par exemple se dire que, dès lors que la franchise éveillera l’attention, les patients vérifieront s’ils n’ont pas déjà ce médicament chez eux avant de l’acheter. En revanche, il est peu probable que le comportement du prescripteur s’en trouve modifié. L’effet sur les comportements est difficile à apprécier. Il va de soi qu’un déremboursement majeur influe sur la consommation. La seule expérience dont on dispose en la matière est celle du Kentucky, où on a constaté que, quand on diminuait radicalement le taux de remboursement, la consommation diminuait et l’état de santé se dégradait. Toutefois s’il y a un effet structurant quand on réduit de 25 % le taux de remboursement, ce ne sera pas le cas avec des franchises de faible montant comme c’est le cas pour le médicament avec une franchise de 0,50 € par boîte.

Les franchises sont une des approches possibles pour stabiliser le taux de prise en charge de la sécurité sociale, mais il en existe bien d’autres, par exemple l’augmentation du ticket modérateur. Tout dépend en fait de l’importance de l’effort supplémentaire que l’on entend demander aux assurés sociaux. À cet égard, l’émotion suscitée par les franchises est peut-être excessive. Je n’avais d’ailleurs pas non plus compris l’émotion qu’avait provoquée l’annonce du forfait journalier de 18 euros à l’hôpital, mesure logique et de faible incidence financière.

M. Pierre Morange, coprésident : Il est vrai que cet effet est marginal, surtout si on le compare au reste à charge pour l’accueil en établissement pour personnes âgées dépendantes, qui n’est couvert par aucun organisme complémentaire.

M. Bertrand Fragonard : Le Haut Conseil, où l’on cherche un accord, y compris avec des organisations qui sont très rétives à l’idée que l’on touche au taux de remboursement, a quand même admis un certain nombre d’éléments. Il a par exemple évoqué la piste d’un déremboursement des médicaments à vignette bleue à prescription facultative.

M. Pierre Morange, coprésident : Merci pour cette analyse très fine du sujet.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite procédé à l’audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et Mme Danièle Golinelli, adjointe à la sous-directrice politique des pratiques et des produits de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d’accueillir M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, accompagné de deux collaboratrices.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Monsieur le directeur, nous aimerions connaître les domaines de compétence de la direction générale de la santé en matière de médicaments, en particulier délivrés en ville. Comment est-il géré ? Comment expliquer la surconsommation de médicaments en France par rapport aux autres pays européens ?

M. Didier Houssin : Merci de votre invitation.

La direction générale de la santé a un rôle assez général en matière de santé publique. Son intervention sur le champ du médicament se fait essentiellement à travers la notion d’intérêt de santé publique. Bien sûr, elle joue un rôle en matière de réglementation et de discussion au niveau européen sur les aspects réglementaires, mais c’est son rôle en matière de santé publique qui est le plus caractéristique.

Elle cherche à s’assurer que certaines populations qui n’ont pas accès à certains médicaments puissent y accéder, et à faire en sorte que l’on prenne en compte, dans le processus qui conduit au remboursement du médicament la notion d’intérêt de santé publique. Nous partageons tout à fait l’analyse qui a été faite par la Cour des comptes en ce domaine : cette prise en compte est sans doute tout à fait insuffisante aujourd’hui.

Par ailleurs, elle est amenée, pour des raisons de sécurité sanitaire, à travers sa participation au Comité économique des produits de santé (CEPS), à promouvoir le développement des études post AMM – autorisation de mise sur le marché –, qui permettent d’apprécier la manière dont les médicaments fonctionnent dans la vie réelle. Sur ce point, la Cour des comptes a souligné qu’il y avait beaucoup de progrès à faire.

Je ne parlerai pas des aspects qui touchent au médicament en matière de sécurité sanitaire : tout ce qui concerne la préparation aux plans de défense contre le terrorisme ou les menaces de grande ampleur. En ce domaine, la direction générale de la santé a un rôle assez spécifique d’identification, de stockage. De la même façon, elle a un rôle particulier en cas de problèmes majeurs de santé publique générés par l’utilisation de certains médicaments ou l’absence de médicaments ; je pense aux problèmes de vaccinations dans le cas de certaines épidémies. Mais je crois que ce n’est pas l’objet de vos travaux.

Je me concentrerai donc sur la question du médicament dans la pratique habituelle, en particulier sur le point souligné par la Cour des comptes, la surconsommation de médicaments en situation de médecine libérale.

La Cour a en effet remarqué que le circuit qui conduit à l’admission au remboursement des médicaments est insuffisamment sélectif. Nous partageons totalement cette analyse. Selon nous, la commission de la transparence se distingue trop peu aujourd’hui de la commission de l’AMM. Elle s’appuie d’ailleurs sur les dossiers d’AMM et son travail duplique celui de la commission de l’AMM. Elle est composée de professionnels de santé de nature assez voisine de ceux qui peuplent la commission de l’AMM, ce qui explique en grande partie cet état de fait. Nous serions donc très favorables à ce que la composition de la commission de la transparence soit nettement modifiée, dans un sens beaucoup plus tourné vers la prise en compte de l’intérêt de santé publique. Quelle sera la population cible pour l’usage de ce médicament ? Comment mieux prendre en compte l’impact de ce médicament en termes de mortalité, morbidité, lié à l’usage de ce médicament ? Et surtout, comment mieux prendre en compte en compte la dimension médico-économique ? En effet l’équilibre financier du système d’assurance maladie est pour la direction générale de la santé un objectif majeur en termes de santé publique. C’est ce dispositif qui garantit aujourd’hui l’égalité d’accès aux soins.

Il est exact que la surconsommation de médicaments a un grand impact, qui ne fait que s’accentuer, sur le plan économique. Nous voudrions donc que la dimension médico-économique soit beaucoup mieux prise en compte par la commission de la transparence, par exemple lorsqu’un médicament représente un intérêt sanitaire marginal par rapport à un produit existant, mais qu’il revient beaucoup plus cher.

A-t-on besoin d’une commission de la transparence, dans son fonctionnement actuel ? On pourrait imaginer qu’il suffirait d’élargir un peu le champ de vision de la commission de l’AMM pour qu’elle puisse s’occuper du service médical attendu. La commission de l’AMM remplirait ainsi le rôle que joue aujourd’hui la commission de la transparence. Pourquoi pas, à la condition qu’au sein de la HAS, ou à côté, on crée une structure qui concentrerait son activité autour de la notion de santé publique.

Pour alimenter cette réflexion et cette décision sur l’intérêt de santé publique, il faut des gens qui aient une compétence en matière de santé publique et une compétence médico-économique. Il faudrait aussi que cette structure puisse s’appuyer sur des données. Or aujourd’hui, la commission de la transparence n’a pas beaucoup de données complémentaires par rapport à la commission de l’AMM. Si on voulait que l’intérêt de santé publique soit mieux pris en compte, il faudrait que, très en amont, avec les industriels, lors du dépôt de la demande d’AMM, on puisse disposer d’études beaucoup plus précises pour répondre aux questions suivantes : quelle est la population cible ? Comment se présentera la dimension médico-économique ? Comment aborder la question vis-à-vis des produits existants par ailleurs ? Toutes ces questions sont assez peu documentées actuellement.

Voilà vers quoi nous aimerions aller. Je ne méconnais pas les difficultés que nous pouvons rencontrer dans ce sens. Dans le court terme, il est sûr que la manière dont sera composée et présidée la commission de la transparence sera déterminante. Nous souhaitons voir celle-ci s’infléchir d’ores et déjà de plus en plus vers la prise en compte de l’intérêt de santé publique.

Autre question : la prescription peu encadrée. Aujourd’hui, un des facteurs de surconsommation réside très certainement dans le fait que la mécanique de l’exercice libéral est très propice à l’accentuation de la prescription. On pourrait imaginer que dans une mécanique différente de l’exercice médical, qui permettrait un meilleur équilibre entre la prise en compte des aspects de santé publique, de prévention et la prise compte des aspects de soins, le moteur qui conduit à une prescription importante serait freiné.

Des questions importantes se posent s’agissant du mode de rémunération des médecins. La prescription à l’acte est un facteur déterminant de l’accentuation importante de la prescription de médicaments. Si l’on veut s’attaquer à la racine de la surconsommation, il faudra s’intéresser à la manière dont s’organise la relation entre le médecin et le malade, en particulier au mode de rémunération de l’exercice médical.

Autre aspect de la surconsommation : la formation et l’information des médecins.

Je ne suis pas sûr que, dans ce domaine, on puisse attendre des miracles. Les médecins sont aujourd’hui exposés à une information envahissante, multiforme. Il est donc très difficile de décider d’accentuer l’information sur les médicaments. Des progrès ont été faits, mais c’est un travail de longue haleine, qui passera peut-être par la formation des médecins pour qu’au fil des années, la dimension de santé publique et la dimension médico-économique soient prises en compte. Actuellement, dans sa prescription, un médecin se demande rarement si tel médicament est plus cher que tel autre. C’est une question très difficile.

La direction générale de la santé joue par ailleurs un rôle de coordinateur entre les très nombreux acteurs : AFSSAPS, HAS, assurance maladie, Comité économique des produits de santé. Je pense notamment aux études post AMM, qui ne sont pas assez développées en France. Nous avons créé un comité de liaison pour avoir une approche la plus rassemblée possible dans ce domaine. Des sujets très « chauds » se sont fait jour dernièrement, comme le vaccin contre le virus HPV – responsable du cancer de l’utérus.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous parlez du groupe d’intérêt scientifique d’évaluation épidémiologique des produits de santé ?

M. Didier Houssin : Ce groupe d’intérêt scientifique a été en effet créé pour favoriser le développement des études post AMM et permettre l’accès aux bases de données. En effet, on ne dispose pas en France d’accès facile à une base de données publique permettant de conduire aisément des études post AMM. Mais il se trouve que le GIS ne nous a pas permis de percée spectaculaire dans ce domaine.

Mme Danièle Golinelli : Trois études ont effectivement été mises en œuvre à travers ce groupe d’intérêt scientifique, mais celui-ci n’a pas fonctionné comme nous l’aurions souhaité, pour des raisons techniques. Nous avons interrogé la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à ce propos. Il faut reconnaître que le recueil des données fait par les caisses d’assurance maladie n’est pas destiné, au départ, à renseigner des études épidémiologiques. Il faudrait des moyens assez considérables pour modifier l’orientation et faire en sorte que ce recueil puisse être utilisé dans le cadre de ces études. C’est un frein important.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans la prochaine audition, nous écouterons à la fois les représentants de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du Régime social des indépendants (RSI). Il existe tout de même un dispositif d’information avec des logiciels et des structures informatiques qui s’inscrit dans cette perspective. Et il ne serait pas inintéressant de vous adresser à d’autres partenaires. La MSA et le RSI peuvent fournir des bases de données. Ils ont certainement développé de façon plus précoce une structuration ancienne et mené des expériences intéressantes à cet égard. La MSA a, par exemple, développé un outil d’analyse des prescriptions dénommé ARCHIMED.

M. Didier Houssin : Étant donné les difficultés auxquelles on se heurte du côté de la CNAMTS, il serait peut-être utile – c’est l’une des préconisations du rapport en cours de finalisation de M. Bernard Bégaud, établi à la demande de la direction générale de la santé et l’AFSSAPS, intitulé « La France face au défi de l’évaluation des médicaments après leur mise sur le marché et la gestion des risques » – de se tourner vers la MSA, sans doute plus accessible, techniquement, s’agissant de l’accès à ses bases de données. Cela dit, il existe aujourd’hui d’autres méthodes.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous nous avez dit que trois études avaient débouché sur une mise en œuvre. De quoi s’agissait-il ?

Mme Danièle Golinelli : En raison de ces importantes difficultés, nous n’avions pas prévu de faire plus de quatre ou cinq études par an. Il s’agit d’études de suivi des médicaments, dans leurs conditions réelles de prescription. Elles doivent servir à fonder la réflexion de la commission de la transparence lorsque celle-ci doit réévaluer les médicaments et apprécier le service médical rendu au bout de quelques années de consommation – cinq années, en l’occurrence.

M. Pierre Morange, coprésident : Est-il possible, dans ce délai de cinq ans, d’apprécier l’ensemble des molécules à disposition ?

M. Didier Houssin : Cela n’est pas impossible, mais il faut bien reconnaître que jusqu’à présent, peu de choses ont pu être mises en route. Le processus est de toutes façons long et coûteux. On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de ce type de méthode. D’autres méthodes existent en matière de pharmacoépidémiologie, qui seraient peut-être plus fructueuses et plus rapides. Je pense aux études cas témoins.

Les études post AMM consistent à suivre une population dans la vraie vie, et à compter ce qui s’est passé au terme d’un certain délai. D’autres types d’études consistent à partir de l’hypothèse qu’il peut survenir telle ou telle pathologie : par exemple la sclérose en plaques chez des sujets jeunes, après une vaccination. On peut alors construire une étude cas témoins, à partir d’un groupe de témoins et d’un groupe de patients traités par le vaccin. Cela permet de faire émerger beaucoup plus rapidement le sur-risque qui pourrait être lié à l’utilisation du vaccin. On peut faire la même chose s’agissant de médicaments qu’on soupçonne de comporter des risques cardiovasculaires, ou de diabète, etc.

Une telle approche, plus ciblée sur des hypothèses de départ, a l’avantage d’être plus rapide et d’éviter de s’engager dans des études à très grande échelle, alors même qu’on redoute tel ou tel inconvénient. Aujourd’hui, peu de personnes ou de groupes sont capables de faire des enquêtes cas témoins, mais elles vont sûrement se développer.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je reviens sur la prescription peu encadrée de la médecine libérale. Pour l’instant, les prescripteurs sont essentiellement informés sur les médicaments par les laboratoires eux-mêmes, par la visite médicale. Pensez-vous que les délégués de l’assurance maladie, les DAM, peuvent avoir une action positive en termes de prescription de médicaments ? Pensez-vous que leur formation doive être améliorée ?

M. Didier Houssin : L’industrie pharmaceutique a une grande force motrice, à travers la visite médicale, très professionnalisée, très présente et très équipée. D’où une promotion considérable de la prescription. L’assurance maladie a tenté de réorienter certains de ses agents, qui sont chargés d’éclairer les médecins sur leur pratique. C’est une bonne idée. Cela permet aux médecins, à partir de documents relativement simples, de se situer, de comparer leur pratique de prescription avec celle de leurs collègues, et éventuellement de la modifier.

Est-ce que les DAM ont été convenablement formés ? Il est un peu tôt pour le dire, car ils ne sont installés que depuis deux ans. Il serait intéressant de tenter d’évaluer l’impact de leur action et de voir, éventuellement, ce qu’il faudrait faire pour améliorer leur efficacité.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous réfléchi sur les schémas organisationnels ? Avez-vous un éclairage européen sur des modèles qui pourraient s’avérer plus efficients ?

M. Didier Houssin : Le sujet est vaste. On peut certainement s’interroger à propos de l’information sur le médicament. Mais ces questions ne sauraient être totalement retirées à l’AFSSAPS, qui se trouve au point de départ de l’usage du médicament et doit jouer un rôle majeur en la matière.

Le rôle de la HAS est plutôt orienté vers la stratégie thérapeutique et l’insertion du médicament dans un ensemble thérapeutique. Il faut donc organiser la complémentarité, ce qui n’est pas très facile. J’ai d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que la question de l’indépendance de la HAS m’avait semblé problématique.

M. Jean Mallot, coprésident : La multiplication d’agences plus ou moins indépendantes, de commissions, a abouti à une certaine dilution des responsabilités et à la dépossession de l’État de son rôle d’arbitre. Il faut trouver un équilibre. N’est-on pas allé un peu loin dans la dispersion, la perte de lisibilité du dispositif et la perte de responsabilités ?

M. Didier Houssin : Oui et non. La création des agences a été un processus réactionnel dans le domaine de la sécurité sanitaire, la réponse à des problèmes. De ce point de vue, l’État s’est renforcé, il s’est doté de bras armés capables d’agir et a amélioré le service qu’il pouvait rendre à la population.

Aujourd’hui cependant, la situation est un peu parcellisée, avec une collection d’agences qui, de l’extérieur, peut sembler compliquée. Il n’est pas exclu qu’un jour on décide de rassembler ce qui est épars, dans un ordre un peu différent.

S’agissant du médicament, la question se pose entre l’AFSSAPS, la HAS, l’assurance maladie et le CEPS : faut-il instituer un dispositif plus simple ? S’agissant d’autres domaines intéressant la sécurité sanitaire, la question peut également se poser. Je ne suis pas sûr qu’il faille une agence unique, en raison des spécificités. Dans les années à venir, on aura à prendre conscience de cette diversité et il faudra trouver des arrangements.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment envisagez-vous de sanctionner les laboratoires qui tardent à produire des études post AMM ?

M. Didier Houssin : Ces études sont difficiles, longues et coûteuses. On ne peut pas s’attendre à des résultats immédiats, mais il est vraisemblable que des laboratoires traînent un peu les pieds en s’appuyant sur les difficultés qui se posent en termes de méthode. Serons-nous capables de discerner ceux qui ont effectivement des difficultés et ceux qui traînent les pieds ? Nous pensons qu’il faut prévoir un dispositif de sanctions. La question est de déterminer les critères qui permettront de décider de ces sanctions.

Néanmoins j’aurais tendance à dire que, plutôt que de sanctionner, il faudrait faire un gros effort d’anticipation pour régler le problème des études post AMM. Il faudrait aborder d’ores et déjà la question du médicament dans la vraie vie et celle de l’intérêt de santé publique.

M. Jean Mallot, coprésident : Quels sont les leviers sur lesquels on peut jouer pour faire évoluer les comportements des consommateurs ?

M. Didier Houssin : Le consommateur a une grande part de responsabilité, en effet. Si on analysait, par une approche humaine et sociale, les mécanismes intimes de la prescription, on trouverait chez l’usager une accentuation du désir de consommation au fil des années. Cependant on trouverait aussi chez le médecin le sentiment que la prescription est devenue, au plan concret, son unique mode de réponse. Dans une situation de diagnostic difficile, ce peut être le moyen de reporter le problème, et lorsqu’un patient vient en demandant un scanner, il le prescrit.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est le domaine de compétence de l’AFSSAPS en matière de traçabilité et de sécurité sanitaire, s’agissant des filières de production de médicaments dans certaines zones où le contrôle est plus malaisé et où les capacités et les critères de vérification et d’expertise ne sont pas les mêmes que sur le sol français ? Y a-t-il des mesures à prendre ? Car le risque ira toujours croissant.

M. Didier Houssin : Je partage votre analyse. Nous avons eu l’occasion d’évoquer ces questions avec M. Jean Marimbert.

Dans les années à venir, nous allons être confrontés à un problème majeur en termes de risques sanitaires liés aux médicaments, du fait du développement de certaines organisations ou pratiques. Je pense notamment aux opérateurs des pays émergents, qui vont prendre de l’importance dans le domaine de la fabrication des médicaments génériques. Cela rend plus difficile les contrôles et la vérification de la traçabilité, ne serait-ce que celle des matières premières.

Autre problème : celui des circuits de distribution. On voit se développer à l’étranger des importations parallèles de médicaments. La France est encore relativement préservée, en raison de son circuit d’officines, de son monopole pharmaceutique et d’une industrie pharmaceutique solide. Mais cela ne va pas durer. Sans compter le problème d’Internet.

Voilà pourquoi il me semble que nous allons devoir gérer des risques sanitaires liés aux médicaments mal faits, non intentionnellement ou intentionnellement.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans parler des mécanismes de contrefaçon industrielle.

M. Didier Houssin : Au moment de la présidence allemande, j’avais beaucoup insisté pour que le thème de la contrefaçon du médicament soit mis à l’ordre du jour. Le sujet est abordé au niveau européen et il concerne la Commission. Ce sera l’un des enjeux de l’Europe dans les années à venir que de prévenir les risques liés à la sécurité du médicament. En l’occurrence je vise ses aspects de base, à savoir le produit lui-même.

M. Pierre Morange, coprésident : Il est évident que la question est de dimension européenne. La France se trouve encore dans une bulle sécurisée, mais celle-ci peut se fragiliser à tout moment. A-t-on planifié les travaux sur cette question au niveau européen ?

Mme Danièle Golinelli : Pour le moment, il n’y a pas de réflexion très formalisée sur la contrefaçon. Néanmoins, ce sujet est évoqué dans le cadre du Forum pharmaceutique européen d’une manière générale.

M. Didier Houssin : Nous n’avons pas encore été confrontés à des situations dramatiques. Il n’est pas facile de mettre, d’avance, des dispositifs en place. Toutefois viendra un jour où on se reprochera de n’avoir pas su anticiper. Il faudrait, au niveau européen, être plus prégnant sur ce sujet.

Mme Danièle Golinelli : Des réseaux ont tout de même été mis en place. L’AFSSAPS y participe. Il s’agit de réseaux de systèmes d’inspection dans les États membres. Un groupe se réunit régulièrement pour mettre en commun un certain nombre d’éléments relatifs à la contrefaçon du médicament.

M. Pierre Morange, coprésident : L’AFSSAPS a mis en œuvre plusieurs actions en coopération avec un certain nombre d’États de différents continents, afin de faire partager cette culture de sécurité sanitaire. Une démarche similaire a-t-elle été envisagée à l’échelle européenne, pour sécuriser certains sites de production très fragiles ?

M. Didier Houssin : L’AFSSAPS, dans le cadre de ses relations avec l’Agence européenne du médicament et avec les autres agences nationales, travaille sur ce type de projet. Je me demande si la question ne devrait pas être envisagée à un niveau encore plus large.

En matière de sécurité sanitaire s’agissant du médicament, mais aussi du dépistage des épidémies, la formation est un enjeu majeur au niveau mondial : formation des cadres, des dirigeants de laboratoires, des agences nationales. Le pôle de Lyon que la France anime autour de l’OMS pourrait être un lieu de formation de ces cadres pour les pays émergents et en voie de développement. Mais la question doit être abordée à l’échelon de l’OMS et au niveau mondial.

Mme Danièle Golinelli : L’OMS s’est penchée sur ces problèmes de contrefaçon. Elle a mis en place il y a deux ans le Groupe Impact, dans lequel sont représentés les pays ainsi que l’Union européenne, qui contribue à ses travaux. Il y a donc d’assez nombreuses réflexions sur le sujet. L’idée était d’aboutir à des instruments assez contraignants. Mais ensuite, se posent des difficultés de mise en œuvre dans les différents pays.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous du fait que l’AFSSAPS collecte les taxes sur les laboratoires ? Pourquoi ne serait-ce pas l’URSSAF ou l’administration fiscale qui s’en chargerait ? Je m’interroge en effet sur l’indépendance de décision de l’agence.

M. Didier Houssin : On voit très bien les réflexions que cela peut susciter : l’agence risque de ne plus être indépendante des laboratoires. Dès lors qu’elle est financée par tous les laboratoires, je ne pense pas que le problème se pose de manière aussi aiguë. Malgré tout, il faut une limite. L’État doit jouer son rôle et contribuer.

Autant l’indépendance des experts est un sujet majeur sur lequel nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois, autant le financement d’une agence par l’ensemble des laboratoires ne me paraît pas un élément à même de compromettre l’indépendance de celle-ci.

Aujourd’hui, nous nous heurtons à de grandes difficultés en matière d’expertise, comme dans d’autres pays. Aux États-Unis, l’affaire a pris des proportions importantes. On y a écrit de nombreux ouvrages et de nombreux articles dans les revues médicales sur la manière dont l’articulation se faisait entre les laboratoires et les experts. C’est pourquoi la direction générale de la santé a produit un projet de rapport : « Indépendance et valorisation de l’expertise », lequel est actuellement examiné par l’ensemble des agences sanitaires et des organismes de recherche apparentés, comme l’INSERM. L’idée est de valoriser des mécanismes permettant de renforcer encore l’indépendance de l’expertise, par exemple : code de déontologie ; contrôle de l’indépendance des experts une fois qu’ils auraient déclaré d’éventuels conflits d’intérêts. Cela fait partie des propositions que nous ferons au ministre.

Se pose aussi la question de la valorisation de l’expertise. On constate aujourd’hui, qu’il s’agisse de la carrière des chercheurs ou des enseignants chercheurs, que le travail d’expertise, qui peut-être très lourd et représenter une grande responsabilité par les conséquences qu’il risque d’avoir en termes de santé publique, n’est pas considéré comme très sérieux, à l’égal d’une publication originale ou d’un brevet. Nous sommes donc en train de travailler avec le Conseil national des universités et la Conférence des présidents d’université et des organismes de recherche pour faire en sorte que, petit à petit, sur des critères qui restent à définir, le travail d’expertise sanitaire soit mieux valorisé dans le secteur public.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le directeur général, je vous remercie. Bien sûr, de nombreuses questions n’ont pas pu vous être posées. Nous serons donc très attentifs aux propositions que vous pourriez nous faire et que nous pourrions intégrer au cadre législatif.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin procédé à l’audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Jean-Pierre Roblet, directeur de l’offre de soins, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), et M. Pierre-Jean Lancry, directeur de la santé, M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI), et M. Philippe Ulmann, directeur de la politique de santé et gestion du risque.

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue aux représentants de la CNAMTS, de la MSA et du RSI, et je passe immédiatement la parole à madame la rapporteure.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous demanderai d’abord, messieurs, pourquoi les caisses d’assurance maladie acceptent de rembourser des médicaments ou des me too mis sur le marché afin de contourner les génériques, surtout lorsque leur prix est supérieur à celui de ces derniers. La décision est-elle prise de façon collégiale au niveau des trois caisses ?

M. Frédéric Van Roekeghem : En la matière, Mme Rolande Ruellan a déjà pu préciser lors d’une audition précédente, ici même, qu’il n’existe pas de possibilité juridique de ne pas rembourser un médicament dès lors que celui-ci a reçu l’autorisation de mise sur le marché – l’AMM – par l’AFSSAPS et que le service médical rendu a été évalué par la commission de la transparence. Dans ce contexte, le Comité économique des produits de santé (CEPS) négocie les prix, et il n'est pas fondé à refuser d’attribuer un prix. À partir du moment où la discussion aboutit au sein du CEPS, au sein duquel nous sommes tous représentés, les procédures réglementaires font obligation au directeur général de l’UNCAM de fixer un taux, sa seule marge étant de ne pas fixer de taux aux médicaments à SMR insuffisant, faute de texte précis en la matière. La décision est alors renvoyée au ministère de la santé.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La promotion des génériques auprès de la population représente un travail énorme. Leur contournement par des spécialités à SMR égal est décourageant.

M. Frédéric Van Roekeghem : Notre pays a fait le choix politique de proposer au remboursement tous les médicaments, ce qui présente des avantages – aucun frein n'est mis à l’arrivée de médicaments –, mais également des inconvénients. Reste la question de la lisibilité de la politique tarifaire, notamment avec les remises arrière.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle appréciation portez-vous sur les nouveaux horizons qui s’ouvrent à la Haute Autorité de santé avec l’article 29 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, qui prévoit de lui attribuer une capacité à formuler des avis et des recommandations d’ordre médico-économique ? Quelles en seront les conséquences sur les différentes missions de la CNAMTS et des autres partenaires assurantiels ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le problème ne tient pas à l’élargissement des missions de la HAS en matière médico-économique, évolution que nous soutenons, mais à sa capacité à rendre des avis non pas fondés sur une approche globale, mais qui soient lisibles et applicables sur le terrain. L’autorité allemande, l’IQWIG, par exemple, a émis un avis très clair sur les médicaments anticholestérol en privilégiant des médicaments moins onéreux que d’autres, tout en étant aussi efficaces. De même, la Grande-Bretagne, vient d’aborder le sujet de l’efficacité thérapeutique des médicaments pour les patients en Alzheimer en phase avancée. Là encore, on voit la distance qui nous sépare des systèmes voisins.

M. Yves Humez : Nous sommes, pour notre part, des opérateurs du remboursement engagés dans la maîtrise médicalisée. À cet égard, il nous faut des dispositifs simples, clairs et applicables.

M. Pierre-Jean Lancry : Le CEPS ne prend pas en compte les études médico-économiques, mais il s’intéresse à l’impact budgétaire. Selon la formule du président du Comité : « Si au prix que vous demandez, le produit est efficace, il le sera encore plus au prix que je vous donne. »

Néanmoins, si l’article 29 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 est voté, se posera alors la question du lien entre le travail de la HAS et celui du CEPS, car, théoriquement, c’est ce dernier qui a en charge les aspects médico-économiques du médicament.

M. Pierre Morange, coprésident : C’est bien pour que les choses soient parfaitement claires en ce domaine, que l’article en question a, me semble-t-il, été écrit.

M. Dominique Liger : Nous sommes d’accord avec nos collègues s’agissant de l’opposabilité des décisions de la HAS,...

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s’agit que d’avis ou de recommandations.

M. Dominique Liger : ...mais je ne vois pas, pour le moment, comment le système pourrait fonctionner.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans faire un plaidoyer pro domo, l’avantage du dispositif est de permettre à la HAS de formuler des avis et recommandations sur des bases scientifiques, tout en prenant en compte l’incidence médico-économique du médicament. Il faut bien aux responsables politiques et assurantiels un éclairage objectif et indépendant afin de pouvoir prendre une décision.

M. Frédéric Van Roekeghem : Avant de poser la question de l’opposabilité, il faut être certain de l’efficacité du système et, en particulier, de l’applicabilité des recommandations. C'est pourquoi nous privilégions plutôt une approche pragmatique qui permette assez vite une application concrète, vu l’ampleur du déficit.

M. Philippe Ulmann : Dans les autres pays, on assiste – avec NICE en Grande-Bretagne ou encore avec l’IQWIG en Allemagne – à la mise en place d’agences qui ont la capacité de faire des recommandations à partir d’une approche de type micro-économique et fondées sur une comparaison coût/efficacité d’un médicament par rapport à d’autres. Une approche globale risquerait de déboucher sur des recommandations trop générales pour avoir une réelle utilité.

Néanmoins, ces agences s’appuient sur une expertise publique. Or, pour des raisons budgétaires, la capacité de la France à mobiliser des équipes indépendantes de chercheurs ou d’universitaires est très limitée. On reproche à l’industrie pharmaceutique de ne publier que les études qui l’arrangent, mais les pouvoirs publics ne se sont jamais dotés des moyens d’une contre-expertise publique.

La question porte donc à la fois sur l’applicabilité et sur l’éventuelle opposabilité de la démarche. L’expérience a montré que des référentiels potentiellement opposables entraînent des changements de comportement.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pour en venir à la formation continue des médecins, la MSA et le RSI ont-ils adopté la même démarche que le régime général avec les délégués de l’assurance maladie- les DAM ?

M. Dominique Liger et M. Yves Humez : Non.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle est la formation des DAM et quelle est leur mission auprès des cabinets médicaux ? Sont-ils encadrés ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le système des DAM a été mis en place à partir de 2005 pour faire connaître aux différents professionnels de santé la nouvelle convention médicale, notamment les engagements en matière de maîtrise médicalisée. Ces personnels, recrutés par redéploiement au sein de l’assurance maladie, ont vu progressivement leur nombre et leur formation évoluer. Alors qu’au début ils étaient 450, ils devraient être environ 950 à la fin de l’année, l’objectif étant de certifier 350 d’entre eux fin 2007, tous devant, au final, répondre au standard applicable dans ce domaine.

Les matières abordées ayant un contenu médical, il n’était pas souhaitable de laisser cette activité se développer de façon trop aléatoire. C'est pourquoi une équipe a été constituée, dédiée aux produits de santé et comportant trente personnes dirigées par un pharmacien-conseil. Toutes les visites des DAM font l’objet d’un cahier des charges. Les laboratoires pharmaceutiques soumettent d’ailleurs la Caisse à un examen extrêmement attentif pour des raisons à la fois d’image du produit et de respect de la concurrence. Dans ces conditions, devoir à la fois analyser la littérature internationale, notamment anglo-saxonne, s’assurer des conditions des AMM, et vérifier que toutes les réglementations sont respectées lorsque les DAM se rendent sur place, nécessite une organisation extrêmement précise.

La formation des délégués repose sur un dispositif de formation de 300 heures théoriques et méthodologiques avec une activité professionnelle encadrée de 900 heures, sachant que nous avons « benchmarké » avec les visiteurs médicaux. En outre, le processus de validation de la certification professionnelle repose sur cinq outils de validation de compétences, et la décision a été prise de professionnaliser la fonction de manager de DAM.

Il existe, par ailleurs, une articulation entre les DAM et les praticiens-conseils dans certaines entreprises du secteur privé de manière que lorsque les premiers sont confrontés à une question à contenu médical important, ils puissent la renvoyer aux seconds. La médicalisation de l’action de l’assurance maladie reposera d’ailleurs de plus en plus sur un rapprochement entre les équipes médicales et administratives. Nous avons ainsi créé, fin 2005, en accord avec le médecin-conseil national, des équipes pluridisciplinaires.

M. Pierre Morange, coprésident : Le nombre de 950 DAM sera-t-il un maximum ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Notre convention d’objectif et de gestion prévoit la suppression de 4 500 emplois, après les 3 000 de la période 2004-2005, mais nous avons obtenu l’accord de l’État de pouvoir augmenter jusqu’à 1 400 à la fin 2009 le nombre de nos DAM par redéploiement au sein des caisses – où le métier de DAM est maintenant considéré comme valorisant –, sans qu’il s’agisse pour autant d’arriver à saturation comme les 200 laboratoires avec leurs 23 000 visiteurs.

Pour ce qui est du taux de refus de visite, il est largement inférieur à celui d’autres systèmes car nous essayons de nous positionner en tant que promoteur non pas du produit mais du bon usage des soins et des ressources communes.

M. Pierre Morange, coprésident : Existe-t-il une volonté de coordination entre vos trois caisses afin d’assurer le meilleur rapport coût/efficacité des soins ? Qu’en est-il, par exemple, avec le dispositif ARCHIMED de la MSA ?

M. Yves Humez : Le logiciel ARCHIMED est un outil approprié à notre problématique puisque les 8 % de la population que nous assurons sont répartis sur tout le territoire, contrairement au régime général qui s’adresse à l’ensemble des assurés. Ce logiciel nous permet, par exemple, d’observer les prescriptions abusives, et, à cet égard, je considère que nos médecins-conseils ont une action complémentaire à celle menée par les DAM. Cela n’empêche pas que nous partagions, au sein du collège des directeurs, les mêmes enjeux en matière de maîtrise médicalisée.

M. Frédéric Van Roekeghem : La MSA et le RSI disposent d’équipes médicales et administratives intégrées ce qui, historiquement, n’est pas le cas du régime général. Nous avons cependant arrêté une orientation de notre réseau qui privilégie un tel rapprochement. En outre, la MSA dispose d’un système interne informatique avec des niveaux d’accès différents et sécurisés, ce que la Caisse nationale d’assurance maladie doit mettre progressivement en place. Ce qui est possible au sein du RSI et de la MSA ne l'est donc pas toujours au sein du régime général, mais nous nous voyons régulièrement pour confronter nos points de vue sur des enjeux importants. L’historique des remboursements, par exemple, est commun aux trois caisses.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les chiffres de la consommation des médicaments sont-ils comparables entre les trois régimes ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les populations concernées ne sont pas tout à fait comparables. Or si l’on veut comparer, il faut le faire à « patientèle » comparable. Pour notre part, nous menons des travaux sur la segmentation des patients.

M. Yves Humez : D’autres paramètres, notamment territoriaux, sont à prendre en compte, et c'est en les croisant que l’on pourra mettre en évidence les meilleures pratiques et s’aligner sur elles.

M. Philippe Ulmann : Une réunion des directeurs doit avoir lieu à la fin du mois justement pour essayer de mettre en œuvre des comparaisons entre les régimes. La population visée par le RSI consomme, par exemple, beaucoup de médicaments – c’est le second poste de nos dépenses après celui de l’hospitalisation –, mais comme la consommation de soins est un peu moins forte dans notre régime que dans les autres, il faut relativiser cette donnée.

M. Frédéric Van Roekeghem : En matière de générique, la MSA était pour sa part apparue un peu meilleure que le régime général.

M. Yves Humez : La MSA dispose de sept délégués dans chaque canton. C’est un moyen de communication important qui explique que nos campagnes de prévention aient un bon retour, par exemple en matière de génériques.

M. Pierre Morange, coprésident : De nombreux brevets de molécules blockbuster sont tombés récemment dans le domaine public. Une étude a-t-elle été faite sur le gisement d’économies potentielles recélé par les molécules qui tomberaient dans les trois prochaines années dans le domaine public ? Par ailleurs, où en est-on du dossier pharmaceutique ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Des évolutions sont intervenues au sein de la CNAMTS depuis 2004. En particulier, ont été mis en œuvre, d’une part, un suivi des actions grâce à un système de reporting performant – nous avons ainsi été capables de surveiller les ventes de Tamiflu au jour le jour –, et, d’autre part, un mécanisme d’anticipation permettant de prévoir, par exemple, quels seront les prochains blockbusters.

M. Pierre Morange, coprésident : Disposez-vous de chiffres en la matière ?

M. Frédéric Van Roekeghem : De mémoire uniquement. Nous vous les fournirons par écrit.

Le problème ne tient pas seulement à la tombée des molécules dans le groupe générique, mais à l’effet de fuite qui en découle. Dès lors qu’une molécule est génériquée, le mix produit se révèle beaucoup plus coûteux en France qu’ailleurs en Europe, du fait de cet effet de fuite important.

M. Pierre-Jean Lancry : Dans l’ensemble, les génériques ont un coût de 30 % supérieur en France.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourquoi ?

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Du fait des marges arrière.

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous avons tout de même baissé récemment le prix du générique de façon importante. Par ailleurs, la CNAMTS a proposé d’expérimenter, dans le cadre du CEPS, une sorte de mise en concurrence de médicaments génériques dans certaines classes.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il du dossier pharmaceutique ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous ne sommes pas pour notre part en charge de ce dossier. Néanmoins sa mise en place est soutenue notamment par le fonds d’aide à la qualité des soins de ville, qui a dégagé une enveloppe financière à cet effet. Ce dossier nous semble complémentaire de l’historique des remboursements.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous constaté des changements de comportement de la part des médecins après les visites des DAM ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Pour prendre l’exemple des statines, qui ont donné lieu à des visites, mais également, comme tous les cas d’intervention plus médicalisée, à des entretiens confraternels, le taux de croissance de la consommation des statines a été notablement infléchi suite au plan médicament de 2005. Au Royaume-Uni au contraire, où les statines dosées à dix milligrammes ont été mises en vente libre, leur consommation, qui était en 2002 bien en deçà de la nôtre, l’a aujourd’hui dépassée. Pour autant, les patients qui, en France, ont besoin de ces médicaments ne sont pas pénalisés, puisque le taux de couverture par les statines des patients diabétiques, par exemple, continue de croître.

M. Jean-Pierre Roblet : Nous procédons à un suivi des visites à la fois quantitatif et qualitatif afin de déterminer leur impact sur les prescriptions et leurs conséquences financières. Que l’étude soit menée en interne ou en externe, comme avec IPSOS pour les pharmaciens, les résultats montrent que l’objectif de la convention, qui a été le fait générateur de la maîtrise en encourageant les engagements individuels, est beaucoup plus partagé qu’il y a cinq ou dix ans.

M. Frédéric Van Roekeghem : Une enquête BVA menée sur Paris en janvier 2006 auprès des généralistes, des spécialistes et des pharmaciens a montré que 83 % d’entre eux jugeaient que la démarche DAM était plutôt novatrice, 77 % qu’elle était légitime, 70 % qu’elle faisait réfléchir, 70 % qu’elle les intéressait, et 61 % qu’elle les incitait à adapter leur comportement. Il nous faut néanmoins amener ces DAM au meilleur standard de qualité et faire évoluer le contenu de la visite. Nous attendons à cet égard l’avis de la HAS pour médicaliser la visite portant sur les statines.

M. Jean Mallot, coprésident : On ne peut dissocier le prescripteur et le patient. Les caisses se préoccupent-elle de cette interface ?

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons été frappés par l’extrême difficulté de la communication entre l’AFSSAPS, la HAS et l’assurance maladie pour constituer une base de données commune. Où en êtes-vous sur ce sujet stratégique qui vise à mettre à la disposition des prescripteurs comme, éventuellement, de la population, des données certifiées ?

M. Frédéric Van Roekeghem : On ne peut déployer des politiques de gestion du risque efficaces si elles ne sont pas déployées à la fois sur l’offre de soins et sur les patients qui sont les porteurs du risque. Cependant, autant l’action en direction des prescripteurs doit être impérativement coordonnée, autant chacun des régimes est responsable de ses assurés. C'est en ce sens qu’un accord est intervenu très tôt au sein du collège des directeurs : nous agissons sur les mêmes thèmes, mais chacun est responsable du développement de ses actions. Le RSI et la MSA ont ainsi lancé des actions qui ont inspiré la CNAMTS.

M. Yves Humez : Changer les comportements des patients est un travail sur le long terme. À cet égard, nous redoutons toute inversion de politique qui viendrait couper l’élan engagé. Il ne faudrait pas, par exemple – hypothèse qui est évoquée – changer la donne avec les ARS – agences régionales de santé – en bouleversant la dynamique que nous avons lancée.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu’en est-il des bases de données ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous n’en partageons pas avec l’AFSSAPS et avec la HAS, mais il faut bien reconnaître que la question n’a pas été posée.

M. Philippe Ulmann : Nos trois régimes font partie d’un GIP et, dès l’origine, il avait été proposé à l’AFSSAPS de nous rejoindre, ce qui n’a pu se faire.

M. Pierre Morange, coprésident : Le projet est en cours ?

M. Frédéric Van Roekeghem : La question n’a pas été reposée. En tout cas, l’assurance maladie est très attachée à cette base de données publique. Il faut simplement la remettre sur la bonne voie, c’est-à-dire apurer les retards et faire saisir les données par des personnels adaptés.

M. Pierre Morange, coprésident : Un agenda existe-t-il ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Oui. Une fiche pourra vous être fournie sur le sujet. De manière générale, il serait souhaitable de se rapprocher notamment de l’AFSSAPS qui dispose d’une base plus détaillée que la nôtre. Ce serait un gain en termes de productivité et d’efficacité.

M. Jean Mallot, coprésident : Une évolution conduisant à des regroupements serait certainement rassurante. Il semble cependant que la stratification se poursuive.

M. Frédéric Van Roekeghem : Il est sûr que la tendance dans notre pays est à la constitution d’institutions de plus en plus nombreuses, sans pour autant supprimer celles présentes antérieurement. Il faut cependant tenir aussi compte des spécificités et de l’histoire. En tout cas, la création du RSI est un exemple de diminution du nombre des institutions.

M. Pierre Morange, coprésident : Le premier thème des réflexions de la MECSS portait justement sur la mutualisation, et le RSI est la matérialisation réussie de ses préconisations, alors que des esprits chagrins avaient jugé cette création impossible. Au-delà de la nécessité de respecter l’histoire, le bon sens veut que la mutualisation et les technologies permettent une harmonisation des procédures afin d’améliorer la rationalité.

Messieurs, je vous remercie. Les questions qui n’ont pas pu vous être posées vous seront adressées par écrit. Nous serons également très attentifs aux propositions que vous pourriez faire.

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