Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 8 novembre 2007

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments

– M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et M. Lionel Joubaud, chef du bureau produits de santé

– M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé 11

– M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général adjoint de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Laure Lechertier, responsable du département politique du médicament, et M. Vincent Figureau, responsable du département relations extérieures 21

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, et M. Lionel Joubaud, chef du bureau produits de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Libault, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions de la direction de la sécurité sociale ?

M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale a pour mission de piloter l’ensemble des questions de sécurité sociale, telles qu’elles se posent à l’État depuis 1945, date de mise en place de celle-ci et de création de la direction. Le champ de la sécurité sociale n’a pas beaucoup changé depuis 1945. Il prend en compte quatre risques : maladie-maternité, vieillesse-veuvage, famille, accidents du travail. Ce pilotage porte sur une masse financière qui se monte pour 2008 à 420 milliards d’euros.

La mission de la direction de la sécurité sociale est triple.

La première est financière et consiste à éclairer les décideurs sur la situation financière de la sécurité sociale et les mesures de nature à remédier à d’éventuels problèmes financiers : pilotage du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), préparation des rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale.

La deuxième mission est de nature plus juridique. Elle consiste à porter les politiques relevant de la sécurité sociale : politiques de la vieillesse, d’accès aux soins, de la famille, de la santé au travail, ainsi que de la maîtrise de la dépense. L’une des raisons d’être de la direction de la sécurité sociale, à laquelle je tiens beaucoup, est de trouver l’équilibre adéquat entre les solutions à apporter aux problèmes financiers et la préservation, voire le développement, des politiques sociales qui, pour moi, sont des éléments fondamentaux de notre pays.

La troisième mission de la direction de la sécurité sociale est d’assurer la tutelle du service public de la sécurité sociale, c’est-à-dire des différentes caisses – Caisse d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Caisse nationales d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) – et de les piloter à travers les conventions d’objectifs et de gestion.

L’ONDAM, l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie, que nous proposons au Gouvernement, comprend des arbitrages entre les différentes sphères de l’assurance maladie qui peuvent se traduire par des sous-ONDAM. Le médicament n’a pas de sous-ONDAM. Néanmoins, il s’inscrit dans une logique et une cohérence globales. Quand on propose des mesures, on cherche un équilibre entre ce qui peut porter sur le médicament, comme sur les rémunérations en ville ou les frais à l’hôpital.

La première question que l’on est en droit de se poser est de savoir quelles sont les marges de manœuvre en matière de prix des médicaments. Certains documents issus de l’industrie pharmaceutique montrent que cette dernière pense que l’on pourrait avoir une progression très élevée de la dépense de médicaments dans les prochaines années. Je ne peux pas partager ce point de vue compte tenu des finances sociales de la France et de la nécessité de rééquilibrer les comptes sociaux. Dans la loi de financement de la sécurité sociale, des prévisions pluriannuelles sont faites. Si l’on veut parvenir en 2010 au rééquilibrage de l’assurance maladie comme le souhaitent les pouvoirs publics, il faut, même avec une politique de ressources dynamique, une croissance, une masse salariale et des recettes satisfaisantes, qu’il y ait une maîtrise de la dépense se traduisant par un ONDAM pas très élevé, en tout cas moins élevé que ce que serait la tendance spontanée des dépenses de santé dans notre pays.

La politique du médicament remboursé doit s’inscrire dans cette stratégie.

Quand on entend les représentants de l’industrie du médicament, on a l’impression qu’ils sont les premiers à souffrir de ces plans. Cela pose la question de la juste mesure. Or on constate que la consommation de médicaments est très forte en France par rapport à d’autres pays et que son poids dans le PIB est plus important. Cela laisse penser qu’il y a encore des marges de manœuvre, tout en veillant à préserver l’accessibilité de tous au médicament, c’est-à-dire à assurer la pérennité de la sécurité sociale, avec des niveaux de remboursement satisfaisants. Cela exige, d’abord, de payer correctement le prix du médicament et, ensuite, de ne pas avoir une consommation excessive par rapport aux besoins de santé de la population. Nous essayons, à travers des propositions de nature législative ou réglementaire, d’édicter des règles du jeu incitant la chaîne du médicament à s’organiser en ce sens.

M. Jean Mallot, coprésident : Considérez-vous que l’État dispose des outils nécessaires pour obtenir l’équilibre dont vous parlez ? Sinon, quels outils faudrait-il ?

M. Dominique Libault : C’est une question pertinente que nous nous posons en permanence. La plupart des personnes que vous avez entendues – dont j’ai lu attentivement les auditions – ainsi que les rapports publiés sur le sujet, notamment celui du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, soulignent que la spécificité de la consommation de médicaments en France est liée à des facteurs pluriels, dont certains sont culturels, liés en particulier à la formation des médecins et à l’éducation à la santé de la population. Agir sur ces facteurs demande des actions dans la durée, dont les résultats ne sont pas immédiats. Il est plus facile de faire une action sur les prix des médicaments à travers le Comité économique des produits de santé qu’une action sur les volumes ou les prescriptions.

Un certain nombre d’outils ont été mis en place, notamment lors de la réforme de 2004. D’autres sont proposés dans le PLFSS pour 2008.

Le bilan de ces outils est mitigé. Je ne peux pas dire que, à ce stade, il y ait des évolutions importantes des comportements. Je suis frappé de voir qu’un certain nombre des résultats que nous avons obtenus ne sont pas toujours dus à l’action directe des médecins. L’un des succès indéniables en matière de changement de comportement, à savoir l’achat de génériques, a ainsi été obtenu en passant par le biais des pharmaciens.

On arrive à un résultat quand il y a une dimension très forte de santé publique, comme cela a été le cas pour les antibiotiques. Quand la prescription d’un médicament est néfaste pour la santé publique, il y a plus d’accroche et de capacité de réponse. Sur des sujets plus économiques, il est plus difficile de faire changer les comportements.

Parmi les outils dont on dispose, il y a, notamment, les délégués de l’assurance maladie et la Haute Autorité de santé (HAS). Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, le rôle médico-économique de la HAS a été renforcé afin d’améliorer le dialogue entre celle-ci et les autres acteurs, notamment l’assurance maladie.

Néanmoins il y a encore beaucoup à faire pour rendre plus efficaces les différents outils qui ont été mis en place. Sans doute en faudra-t-il d’autres, mais il faut d’abord rendre plus opérationnels ceux qui existent déjà et qui ne sont pas sans intérêt.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Est-ce vous qui déclenchez le Comité d’alerte quand vous sentez un dérapage des comptes ? Êtes-vous en amont ou en aval ? Comment expliquez-vous que le Comité d’alerte ait déclenché l’alerte très tard en 2007, alors que les volumes des médicaments en médecine de ville ont dépassé l’ONDAM dès le mois de mars ?

M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale n’avise pas le Comité d’alerte. Celui-ci se tient au courant et dispose d’un certain nombre de moyens d’information. Il peut demander des auditions des administrations : la DSS, qui est l’une de ses sources d’information importantes, mais aussi, bien entendu, la Caisse nationale d’assurance maladie. Au vu de ces auditions et de ses informations, le Comité d’alerte décide en toute liberté et indépendance du moment où il juge bon de déclencher l’alerte.

Les prévisions en matière d’assurance maladie sont très compliquées. Il y a eu des signaux de dépassement assez tôt dans l’année, mais l’information la plus intéressante est celle de la consommation en date de soins qui est connue avec deux ou trois mois de retard par rapport à l’événement. Pour connaître les premiers mois de l’année - janvier, février -, il faut attendre deux ou trois mois. Personnellement, je n’ai rien à dire de particulier sur le moment où le Comité d’alerte a déclenché son alerte.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quand vous définissez l’ONDAM de l’année à venir, avez-vous tous les éléments pour chiffrer en fonction des nouveaux médicaments de ville qui vont arriver sur le marché, qu’il s’agisse des molécules qui vont tomber dans le domaine public ou des nouvelles molécules promues par les laboratoires ?

M. Dominique Libault : Nous avons une certaine visibilité dans le domaine du médicament, car les processus sont longs. Le Comité économique des produits de santé a une visibilité encore meilleure, puisqu’il suit la chaîne du médicament en permanence.

Cela étant, dire qu’il y a un lien mécanique entre cette visibilité et la construction de l’ONDAM serait excessif. D’abord, il n’y a pas de sous-objectif du médicament en tant que tel. Ensuite, dans ce domaine, comme dans les autres, il faut essayer d’appréhender à la fois l’impact de nouvelles stratégies thérapeutiques ou de nouvelles décisions d’admission au remboursement ou d’amélioration des droits sociaux, et les possibilités d’économies et de maîtrise des dépenses. La construction de l’ONDAM est opérée à partir de l’équilibre entre ces deux points de vue. C’est un exercice difficile.

Nous nous sommes efforcés, dans les annexes du PLFSS pour 2008, notamment dans l’annexe numéro 7, de mieux documenter cet équilibre entre la partie économie et la partie dépenses nouvelles.

On ne peut évidemment pas prétendre que la construction de l’ONDAM soit précise au point de permettre de connaître à l’avance le coût de l’innovation.

Je rappelle également que, même si nous connaissons les molécules qui peuvent arriver, la discussion des prix, souvent, n’a pas eu lieu. Une chose est de connaître qu’une molécule va tomber dans le domaine public, une autre est de connaître son impact réel sur les comptes de l’assurance maladie : cela suppose d’avoir une vue sur le prix et sur la force de pénétration du médicament, c’est-à-dire sa vitesse de substitution aux produits antérieurs. C’est un exercice assez complexe.

M. Pierre Morange, coprésident : Le rapport de la Cour des comptes montre que la fiscalité du médicament est quelque peu anarchique. Les règles qui la définissent ont un caractère changeant, peu propice à l’établissement d’une stratégie de court, moyen et long termes. Or l’industrie pharmaceutique a besoin, du fait de ses contraintes et de sa spécificité, de planifier ses investissements, notamment en recherche et développement. Quand les règles changent tous les ans, il est impossible d’établir une stratégie. Une stabilisation de celles-ci serait nécessaire.

En ce qui concerne la prescription et la consommation des médicaments, une information objective s’impose. Il conviendrait à ce sujet de mieux définir les missions et les actions des différentes agences et des différents acteurs, tant publics que privés, chargés de celle-ci.

Enfin, avez-vous des informations sur la décision qu’a rendue ou que doit rendre le tribunal de grande instance au sujet de la base Thériaque permettant d’alimenter les logiciels à la prescription ?

M. Dominique Libault : Je comprends la demande faite par l’industrie pharmaceutique d’avoir une politique du médicament stable et visible à long terme.

M. Pierre Morange, coprésident : Demande appuyée par la Cour des comptes…

M. Dominique Libault : La politique du médicament a fait de grands progrès depuis quinze ans, et l’industrie pharmaceutique le reconnaît. La politique conventionnelle mise en place à compter de 1994 est très stable dans son fonctionnement, ses modalités et ses objectifs et établit un rapport satisfaisant entre ceux qui fixent le prix des médicaments et l’industrie pharmaceutique.

Les critiques de la Cour des comptes concernant la fiscalité – j’ai lu avec attention l’audition de Mme Rolande Ruellan –, portent sur l’addition d’un certain nombre de taxes complexes. Chacune est due, en fait, à un épisode de l’histoire, voire de la négociation.

Faut-il simplifier ou stabiliser, même si c’est complexe ? J’entends plutôt un message de stabilité. Les taxes sont certes complexes, mais tout le monde y est habitué.

M. Pierre Morange, coprésident : Simplification et stabilisation ne sont peut-être pas incompatibles.

M. Dominique Libault : Je n’en suis pas sûr.

D’une part, nous avons affaire à des entreprises qui ont de très bons services juridiques qui n’hésitent pas à faire beaucoup de procédure à chaque nouvelle définition d’assiette ou autre. Nous sommes donc assez prudents sur les redéfinitions. La taxe de la promotion pharmaceutique a donné lieu à beaucoup de contentieux, une difficulté consistant, par exemple, à savoir si le véhicule de fonction des visiteurs médicaux était ou non un avantage en nature et s’il devait ou non être compris dans l’assiette. Cette taxe est aujourd’hui à peu près stabilisée.

Redéfinir quelque chose, c’est aussi poser à nouveau un certain nombre de problèmes et créer une incertitude juridique. Chaque fois que l’on crée du droit, on crée aussi de l’incertitude.

Je n’ai pas de dogme en la matière, mais il est clair qu’il faut choisir entre stabilité et simplification.

D’autre part, il faut bien voir que la condition de la stabilité de la fiscalité, c’est l’équilibre de l’assurance maladie. Si l’on n’atteint pas l’équilibre, on se retrouve dans un déséquilibre. Les pouvoirs publics s’agitent, le Parlement interpelle le Gouvernement en faisant valoir qu’il est insupportable de reporter nos dépenses de médicament d’aujourd’hui sur les générations futures, et prône des mesures.

L’hôpital n’est pas un bon « client » pour réaliser des économies de court terme dans un plan d’assurance maladie. Il n’y a pas non plus beaucoup d’enthousiasme à baisser les honoraires. Le médicament est l’un des segments où il est plus facile de faire des économies de court terme. C’est pourquoi je dis fréquemment aux responsables de l’industrie du médicament qu’ils sont ceux qui ont le plus intérêt à ce qu’on ne fasse pas de plan de maîtrise parce qu’ils risquent d’être mis à contribution et de pâtir de l’instabilité de la politique en ce domaine.

La condition de la stabilité de la politique du médicament, que ce soit sur la fiscalité ou sur la dépense, c’est, je le répète, l’équilibre de l’assurance maladie. Donc, vous devriez, mesdames, messieurs les parlementaires, être les premiers promoteurs de cet équilibre, c’est-à-dire avoir des objectifs compatibles avec les perspectives financières de la France. Fixer des objectifs ONDAM de 2 % au-dessus du PIB n’est pas très sérieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous entendons bien le message selon lequel la rationalisation des moyens dans le secteur hospitalier ne peut générer que des marges de manœuvre à long terme. Ce propos, que l’on tient depuis un certain nombre d’années, n’aboutit cependant qu’à favoriser les mesures de court terme.

M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale est très favorable à une politique de moyen et de long termes sur l’assurance maladie. Nous avons développé les éléments pluriannuels dans la loi organique relative aux lois de financement du 2 août 2005. Nous sommes prêts à continuer et je sais que le Parlement est dans la même disposition d’esprit. Plus nous aurons une vision globale et cohérente dans la durée, mieux ce sera pour l’assurance maladie et pour tous les partenaires de celle-ci. Je reconnais la légitimité de la demande de l’industrie pharmaceutique sur ce point.

Sur votre deuxième question, concernant l’information sur le médicament, je partage votre diagnostic. Il y a beaucoup d’acteurs qui font de l’information sur le médicament et leur coordination n’est pas toujours parfaite, loin de là. Dans la loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004, on a essayé de donner un rôle de coordination à la Haute autorité de santé, qui ne s’est pas totalement concrétisé jusqu’à présent.

Je serai, personnellement, très attentif aux préconisations de votre mission sur un tel sujet. Chaque agence fait valoir qu’elle a une légitimité ou des données qui justifient sa présence sur ce terrain, ce qui n’est pas complètement faux. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a des données particulières.

M. Pierre Morange, coprésident : L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans son récent rapport sur l’information des médecins sur les médicaments recommande que la HAS soit l’interlocuteur unique pour dispenser l’information à destination des prescripteurs, afin de clarifier le rôle et l’articulation avec l’AFSSAPS. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Dominique Libault : Pour parler franchement, j’aimerais être plus convaincu de la capacité de la HAS à divulguer des messages simples et lisibles avant de lui donner ce rôle. C’est l’une des missions qu’on lui avait données en 2004 quand elle s’est substituée à l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Les messages de cette dernière étaient d’une telle complexité qu’ils étaient difficilement lisibles pour le généraliste de base. La HAS a commencé ce travail avec des fiches produits mais n’a pas encore la simplicité requise.

Actuellement, l’information est donnée soit par des gens qui ne sont pas des autorités scientifiques aussi établies que la HAS mais qui ont plus l’habitude de passer des messages de vulgarisation compréhensibles, soit par des autorités scientifiques qui n’ont pas encore tout à fait la capacité de faire passer l’information scientifique en messages simples. Je comprends la difficulté de l’exercice. Comme l’information est donnée sous le label HAS, elle est entourée de toutes les précautions propres aux scientifiques qui rechignent à simplifier à l’extrême et à exclure telle ou telle figure.

Tout cela est en construction. Je n’ai pas encore d’avis déterminé, mais je serai attentif, là aussi, à vos recommandations.

M. Lionel Joubaud : Je répondrai à votre troisième question, monsieur le président, sur le contentieux portant sur la base Thériaque. Les divergences entre les deux membres du GIE – groupement d’intérêt économique – qui sert de support à la base, en particulier entre la CNAMTS et le Centre national hospitalier d’information sur le médicament (CNHIM), a entraîné, au cours de l’été, le retrait de ce dernier, un changement de statut et un changement de nom. Elle s’appelle désormais la base Thesorimed. La DSS n’a pas d’information sur l’issue du contentieux mais peut vous rassurer : la base continue à être mise à jour. Des retards ont été pris du fait des turbulences engendrées par les divergences mais les gestionnaires s’attachent à le rattraper et la base est toujours financée par la CNAMTS.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand la base sera-t-elle finalisée ?

M. Lionel Joubaud : Elle est déjà finalisée. Le retard concerne les mises à jour. Les gestionnaires prévoient qu’il sera comblé d’ici à la fin de l’année.

M. Jean Mallot, coprésident : Le contentieux n’est pas encore tranché ?

M. Lionel Joubaud : A ma connaissance non.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quel est votre avis sur l’incidence du mode de rémunération à l’acte des médecins libéraux de ville en France ? Y a-t-il un lien entre ce paiement à l’acte et la surconsommation de médicaments dans notre pays ?

Une charte de la visite médicale a été signée, mais plus de 60 % des médecins généralistes libéraux n’en ont jamais eu connaissance. Il est prévu à cette occasion la présentation de la fiche de transparence du produit. Or peu de visiteurs médicaux l’ont sur eux.

M. Dominique Libault : Sur la question de savoir s’il y a un rapport entre le paiement à l’acte et la surprescription, je serai, là aussi, assez humble. J’ai lu beaucoup d’avis à ce sujet. Certains disent que, dans d’autres pays où le paiement est également à l’acte, il ne s’accompagne par comme chez nous d’une surprescription ; le rapport n’est pas aussi simple que cela. D’autres évoquent le fait que le paiement à l’acte n’a pas tout à fait les mêmes effets en période de surdémographie médicale où le médecin peut être tenté de répondre plus à la demande de son patient et en période, comme actuellement, de pénurie de médecins où ceux-ci n’ont pas besoin d’aller chercher le patient, et sont plus autonomes et plus capables de réguler les demandes de ce dernier.

Beaucoup de médecins faisaient valoir à une époque que, s’ils ne prescrivaient pas à leurs patients les médicaments qu’ils demandaient ou ne leur accordaient pas l’arrêt de travail qu’ils sollicitaient, ils iraient en voir un autre. On observe que les patients ne changent pas de médecin traitant tous les jours. Le raisonnement selon lequel, le système étant tellement libéral, les patients peuvent aller voir ailleurs, n’empêche pas de faire un peu d’éducation et d’expliquer pourquoi il n’y a pas forcément besoin d’une ordonnance aussi longue.

Ce qui explique la surprescription, c’est moins le paiement à l’acte que le fait qu’il n’y a pas, dans le système financier, d’incitations à délivrer de bonnes prescriptions ou à faire évoluer les comportements d’une façon plus cohérente avec les besoins de santé publique ou de l’assurance maladie.

En prévoyant l’instauration dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, d’un contrat individuel – dont les finalités restent à définir –, on se donne la possibilité d’expérimenter des tarifications annexes qui peuvent intéresser aussi le médecin et faire évoluer son comportement. Cela me semble une voie d’avenir.

Concernant la seconde question, il est certain que la charte de la visite médicale est insuffisamment connue. Il faut davantage l’installer dans le paysage. Si la fiche de transparence n’est pas en possession du visiteur, c’est dommage. Il faut de plus en plus renforcer les exigences déontologiques de la visite médicale qui contribue à l’information des médecins.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Y a-t-il un comparatif, entre les pays européens notamment, de la pénétration d’un nouveau médicament en fonction de l’investissement fait sur la visite médiale ?

M. Dominique Libault : Des études ont été réalisées sur le taux de pénétration d’une nouvelle molécule en France. Elles montrent que ce taux est beaucoup plus rapide en France que dans beaucoup d’autres pays.

Deux explications sont possibles : la médecine libérale, d’une part, la sécurité sociale, d’autre part. Ce qui caractérise fondamentalement notre pays, c’est qu’il n’y a pas de problèmes financiers pour accéder très rapidement à de nouvelles molécules. Quand les médicaments sont inscrits au remboursement, il y a une diffusion rapide de ces derniers.

Distinguer l’effet de la sécurité sociale par rapport à l’effet de promotion est beaucoup plus complexe.

M. Lionel Joubaud : À ma connaissance, il n’y a pas eu d’étude établissant un lien.

M. Jean Mallot, coprésident : Parmi les outils à votre disposition, il en est deux principaux : le déremboursement et le prix du médicament. Quel est leur impact sur la prescription et la consommation ?

M. Dominique Libault : Si l’on veut faire place à de nouveaux médicaments, il faut être capable d’avoir une certaine fluidité du panier remboursé. Donc il est assez logique que certains produits sortent, à un moment donné, du remboursement.

Si je précise ce point, c’est parce que, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette stratégie soulève encore des questions. Une partie de l’industrie pharmaceutique y reste hostile, alors que cette manière de procéder me semble indispensable pour faire place à l’innovation dans le remboursement.

Il ne faut pas renoncer à la fluidité du panier de soins, mais il faut également faire une plus grande place à l’automédication, sujet repris récemment par Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Certains médicaments qui ne sont pas prioritaires dans le remboursement doivent pouvoir avoir une vie après le déremboursement et les gens doivent pouvoir se les procurer. Le jour où l’on aura progressé sur la possibilité de donner une vie au médicament après remboursement, ce sera plus facilement vécu.

M. Pierre Morange, coprésident : La DSS a-t-elle des informations sur l’incidence financière, notamment sur le poste médicament de l’assurance maladie, du déremboursement d’une bonne centaine de médications et du transfert de remboursement sur d’autres thérapeutiques ?

M. Dominique Libault : Nous pourrons vous donner un document sur l’impact financier des déremboursements. Sur les effets de substitution, nous n’avons pas d’étude générale, mais des éléments d’appréciation. Nous avons regardé ce qu’il en est sur certains champs, et il ressort de notre analyse qu’il y a bien un impact positif.

Cela étant, comme je l’ai déjà indiqué, étant donné qu’il y a un remboursement très fort des médicaments par la base et les complémentaires, il existe une certaine indifférence en France par rapport au prix des médicaments. Ce dernier, même très élevé, n’est pas un facteur de diminution de la consommation.

M. Jean-Marie Rolland : L’apparition d’une nouvelle classe thérapeutique bouleverse aussi les habitudes de soins. On n’opère plus, par exemple, de l’ulcère de l’estomac parce que sont arrivés, dans les années 1980, de nouveaux médicaments qui permettent de traiter cette maladie. Un grand nombre de médicaments existent pour traiter l’hypertension artérielle. Ils coûtent de plus en plus cher, mais entraînent une diminution des accidents vasculaires cérébraux et des séquelles graves et un allongement de l’espérance de vie. Si les hôpitaux psychiatriques ont été en grande partie vidés de leurs patients, c’est grâce à l’apparition de neuroleptiques retard et à l’aménagement de modes de prise en charge ambulatoire. Est-on capable aujourd’hui d’évaluer les effets de ces évolutions, à la fois sur l’économie générale et sur la classe thérapeutique ?

M. Dominique Libault : Vous avez raison de souligner qu’il existe des stratégies par le médicament qui permettent d’éviter des hospitalisations, mais cela n’apparaît pas dans les comptes et il n’y a pas d’automaticité parce que les financements et les personnes sont distincts. Le sujet est très complexe. Il y a également plus de spécialisations du fait du vieillissement de la population.

Il est central de mesurer l’effort à faire sur tel ou tel secteur au regard des stratégies thérapeutiques et des besoins en santé publique. Nous devons en effet progresser dans la bonne allocation des ressources dans notre système contraint.

Une des raisons pour lesquelles on a mis la commission de la transparence au sein de la HAS, est de travailler davantage sur les stratégies thérapeutiques afin que le collège puisse donner son avis et nous éclairer sur celles-ci. Tout cela est actuellement en germe.

M. Pierre Morange, coprésident : Il apparaît très malaisé de réaliser une étude qui prenne en compte les sorties et les entrées liées à l’apparition de nouvelles thérapeutiques. Un récent rapport de la CNAMTS étudie trois postes médicamenteux – les inhibiteurs de la pompe à protons, les statines et les antihypertenseurs – et fait état de marges de manœuvre financières importantes, puisque la somme totale avoisinerait le milliard et demi d’euros, les économies potentielles pour chaque poste indiqué variant entre 400 et 600 millions d’euros.

Autant il peut être aisé de dresser le bilan de l’effet de la suppression d’une hospitalisation en cas d’ulcère grâce aux antiulcéreux de dernière génération, autant il est malaisé de suivre les processus plus fins de prise en compte thérapeutique, comme celui entraîné par le passage, pour les antihypertenseurs, les diurétiques et les beta-bloquants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion et aux sartans. A-t-on globalisé le coût de chaque stratégie pour chaque pathologique ?

M. Dominique Libault : Non.

M. Pierre Morange, coprésident : Il serait intéressant que, dans le cadre des nouvelles dispositions prévues par le PLFSS pour 2008, les analyses médico-économiques réalisées par la HAS ciblent ces trois postes et permettent une analyse globale des coûts induits par les anciennes stratégies – qui avaient fait la démonstration de leur efficacité, mais entraînaient des effets secondaires ou une surveillance importante – et des coûts des nouvelles stratégies, qui sont plus onéreuses, mais nécessitent peut-être moins de surveillance ou s’accompagnent d’effets secondaires moins importants. De tels éléments sont-ils, à votre connaissance, maîtrisés ?

M. Dominique Libault : Ils ne sont pas maîtrisés, mais votre question montre tout l’intérêt que la HAS s’oriente vers une stratégie médico-économique. Cela me semble un thème tout à fait intéressant pour le démarrage des travaux de celle-ci.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous poserai une dernière question sur le thème de l’égalité d’accès aux soins et aux médicaments, à laquelle vous avez déclaré être vigilant.

Les premiers déremboursements concernaient des vitamines, des tonifiants et des revitalisants, alors qu’ils portent maintenant sur des médicaments qui ont leur efficacité, comme la pseudoephedrine. On peut considérer que leur SMR est insuffisant mais, dans l’exemple que j’ai cité, le médicament apportait du confort aux personnes souffrant de petites pathologies respiratoires. Les classes modestes ne peuvent plus y accéder, car il est devenu trop cher. Il faut savoir que les laboratoires multiplient par deux, voire par trois, le prix hors taxe une fois que les médicaments sont déremboursés. C’est compréhensible : ils se rattrapent sur le prix par rapport à la perte de volume, puisque ces médicaments ne sont plus prescrits.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports a déclaré que ces médicaments seront mis « en libre-service » devant les comptoirs des pharmacies. Or, au bout d’un moment, il y aura forcément transfert sur des produits remboursés. Je crains donc que les déremboursements massifs des médicaments précédemment prescrits pour les pathologies respiratoires génèrent un transfert sur les antibiotiques dont les prescriptions vont augmenter. Quel est votre avis ?

M. Dominique Libault : La direction de la sécurité sociale n’intervient pas du tout dans la détermination de la liste des médicaments à service médical rendu insuffisant. Cette liste est établie par une autorité scientifique et nous la respectons.

Par ailleurs, il y a de plus en plus de médicaments qui sont pris en charge à 100 % par la sécurité sociale du fait de la croissance des affections de longue durée, les ALD. Si l’on reste dans le système tel qu’il est, on sait que ces dernières vont concentrer une part croissante des capacités de ressources de l’assurance maladie obligatoire. Si l’on se projette à quinze ou vingt ans, on pourrait craindre que les médicaments soient remboursés pour les maladies longues et le soient moins pour les maladies courantes. Cela nécessite une réflexion sur la part des médicaments remboursés à 100 %, à 65 %, etc.

Cela étant, la maîtrise du 100 % est indispensable si l’on veut garder une part importante de médicaments courants pour des pathologies bénignes, importants dans le vécu des gens, qui soient bien pris en charge par la sécurité sociale.

Le remboursement est de plus en plus opéré par l’assurance de base et une assurance complémentaire, puisque, heureusement, 90 % des assurés sociaux ont une complémentaire. Il faut également continuer à travailler pour les gens qui n’en ont pas, en particulier, par le biais de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMUc. On travaille beaucoup également sur l’aide à la complémentaire santé, qui ne fonctionne pas encore suffisamment bien pour solvabiliser au-delà de la CMUc. L’équilibre entre le remboursement à 100 % et le maintien d’un bon remboursement pour des médicaments courants est une question qui nous interpelle.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous aurions une foule d’autres questions à vous poser. Nous nous permettrons de vous les transmettre par écrit.

Je vous remercie, messieurs.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite procédé à l’audition de M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS).

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur Renaudin, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament et je vous donne la parole pour une brève présentation de l’organisation et des missions du Comité économique des produits de santé.

M. Noël Renaudin : Le Comité économique des produits de santé est un petit organisme. Ses services permanents regroupent quatorze personnes à temps plein et le comité, lui-même, qui est collégial, rassemble dix personnes, avec voie délibérative. Outre le président et le vice-président, il comprend quatre représentants de l’État – le directeur de la sécurité sociale ou son représentant, le directeur général de la santé ou son représentant, le directeur général des entreprises au ministère de l’économie, des finances et de l’emploi ou son représentant et le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou son représentant – et, depuis la réforme de l’assurance maladie de 2004, quatre représentants des payeurs : trois représentants de l’assurance maladie obligatoire – deux de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et un représentant commun au régime des agriculteurs, la Mutualité sociale agricole (MSA), et au régime social des indépendants (RSI) – et un représentant des organismes d’assurances complémentaires, délégués par l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (UNOCAM).

La mission principale du comité est de fixer les prix des médicaments remboursables ou les tarifs des dispositifs médicaux pris en charge par l’assurance maladie. Il est à cette fin organisé en deux sections – une section du médicament et une section des dispositifs médicaux – composées pour une part des mêmes personnes qui se réunissent à des moments différents, avec des ordres du jour différents et une configuration éventuellement différente. La fixation des prix comprend la fixation initiale et également l’évolution des prix : augmentation ou diminution.

De façon secondaire, bien que cela l’occupe pas mal de temps, le comité est chargé par la loi d’une mission générale de régulation – mais il ne s’agit pas vraiment de régulation – du marché du médicament remboursable en conventionnant les entreprises dans le cadre de la contribution de sauvegarde, organisée par la loi, aux termes de laquelle, lorsque les ventes de médicaments ont dépassé, par rapport à l’année précédente, un taux fixé par le Parlement – le taux K –, les entreprises présentes sur ce marché sont astreintes à une contribution dont elles peuvent être exonérées si elles ont passé des conventions avec le comité.

En pratique, toutes les entreprises passent des conventions avec le CEPS et ces dernières donnent lieu au versement de ristournes qui sont la contrepartie de la taxe qui n’est pas payée. Il y a une différence importante entre les deux systèmes en ce sens que la taxe a, comme toute taxe, des règles nécessairement simples pour ne pas dire simplistes, alors que la convention permet de répartir la contribution des entreprises de façon plus conforme aux orientations de la politique du Gouvernement. Par exemple, dans le système conventionnel, on exonère la croissance des génériques car cela paraît idiot de faire payer les entreprises sous prétexte qu’elles ont vendu plus de génériques alors qu’on les y encourage, et on exonère pendant un certain temps les produits les plus innovants en reconnaissance de leur caractère innovant. Le système conventionnel présente d’autres spécificités par rapport à la taxe de droit commun, mais ce sont là les deux principales.

Cette deuxième mission est accessoire par rapport à la fixation des prix, puisqu’elle n’a pas une grosse influence sur les grands équilibres de l’assurance maladie, mais elle alimente un débat conventionnel avec les entreprises, qui présente une certaine utilité.

En couplage avec cette deuxième mission, le comité est chargé d’observer le marché du médicament, de rendre compte au Gouvernement des observations qu’il peut faire et, éventuellement, de l’alerter, sans se mettre, bien entendu, à la place du comité d’alerte, si la situation lui semble appeler des mesures correctrices, y compris réglementaires ou législatives.

Au fil des ans, la loi a dévolu au comité un certain nombre d’autres activités. Il a été chargé, en particulier, de négocier la charte de la visite médicale avec l’industrie pharmaceutique. Celle-ci est maintenant remise entre les mains de la Haute Autorité de santé (HAS), à qui la loi confie le soin de la faire appliquer et de veiller à la certification des entreprises au regard de celle-ci en agréant les organismes certificateurs. La HAS, à partir de la charte, a établi le référentiel de certification qui sert aujourd’hui aux entreprises pour se mettre en conformité avec celle-ci.

Il revient également au CEPS de sanctionner les entreprises dont les publicités ont été interdites par le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Le comité a le pouvoir – et le devoir – de prononcer, le cas échéant, des sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises en infraction.

Le comité exerce ses missions en appliquant le code de la sécurité sociale, lequel contient très peu d’indications sur la fixation des prix, mais des indications importantes. Il y est, en particulier, précisé qu’on ne peut pas inscrire un médicament ou un dispositif médical qui n’apporte pas d’amélioration du service rendu s’il n’entraîne pas une économie. Autrement dit, pour inscrire un médicament, il faut ou bien qu’il y ait une amélioration du service rendu – dans ce cas, il peut être aussi cher ou plus cher –, ou bien, s’il n’y a pas d’amélioration, qu’il soit moins cher. C’est une règle de bon sens mais la France est presque le seul pays à l’avoir.

Il est également indiqué, dans le code de la sécurité sociale, que les prix sont normalement fixés par convention entre le CEPS et les entreprises. Ils peuvent être fixés autrement, notamment de façon unilatérale par le comité qui a un pouvoir réglementaire de ce point de vue. Il ne le fait jamais à l’inscription car cela n’aurait pas de sens, puisque personne ne peut forcer une entreprise à commercialiser un médicament. Donc, ou bien on se met d’accord sur un prix et c’est la voie conventionnelle, ou bien on ne se met pas d’accord et le produit n’est pas inscrit. En revanche, la possibilité de fixer les prix de façon unilatérale s’exerce parfois, bien que très rarement, lorsqu’il s’agit de modifier les prix de médicaments ou de dispositifs déjà inscrits au remboursement.

Concrètement, les entreprises qui demandent l’inscription d’un produit déposent un dossier composé de deux parties principales : une partie médico-technique destinée principalement à la commission de la transparence de la HAS et une partie économique destinée au CEPS. Les produits sont d’abord évalués par la commission de la transparence qui se prononce sur le service médical rendu, sur l’amélioration de celui-ci et sur la population ciblée par le médicament, puis le comité désigne ou non un rapporteur, selon la complexité du sujet. Celui-ci peut être soit un agent des caisses d’assurance maladie, soit un fonctionnaire, soit un retraité et doit avoir pour qualités principales d’être indépendant de l’industrie et d’être intéressé par le sujet à la fois sous l’angle pharmaceutique et sous l’angle économique. Il présente le dossier au comité qui vote. Le jeu consiste à réunir à la fois une majorité du CEPS en faveur de l’inscription, ce qui ne va pas de soi, et l’accord de l’entreprise. On considère qu’un prix sur lequel on a réussi à mettre d’accord une majorité du comité, constitué de la manière collégiale que j’ai décrite, et l’entreprise a des chances d’être un bon prix.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quand il apparaît qu’il y a un contournement de générique, comme cela s’est produit pour un médicament de la classe thérapeutique des anti-ulcéreux, comment se fait-il, alors que le service médical rendu (SMR) n’est pas supérieur, qu’il obtienne un prix plus important ?

M. Noël Renaudin : On s’est rendu compte de l’existence de ce problème il y a sept ou huit ans seulement. Un ou deux produits sont rentrés dans la classe sans qu’on s’en aperçoive pour ainsi dire. Ces problèmes peuvent être réglés éventuellement par des baisses de prix ultérieures. C’est ce qu’on a fait dans un certain nombre de cas.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous faire un bilan de ces baisses de prix au fur et à mesure de la vie du médicament et nous donner une idée des économies générées ?

M. Noël Renaudin : Une doctrine, issue des orientations ministérielles, prévaut clairement en la matière : lorsqu’un produit faisant l’objet d’une demande de remboursement présente un caractère de détournement de générique – c’est-à-dire est susceptible de se substituer à un produit qui est génériqué ou en passe de l’être –, on distingue deux cas, en dehors de celui, très rare, où ce produit est assez fortement innovant, c’est-à-dire avec une amélioration du service médical rendu (ASMR) 3, 2 ou 1, auquel cas il est traité comme une innovation.

Premièrement, dans le cas où le produit ne présente pas d’amélioration du service médical rendu, il peut être inscrit à un prix tel qu’il ne coûte pas plus cher que le générique. Cette règle est mise en œuvre de façon régulière. L’exemple qui concerne le marché le plus élevé est celui des antihistaminiques H1. Nous avons inscrit le Xyzall, qui est de la lévocétirizine, c’est-à-dire un lévogyre de Zyrtec, à un prix tel que, en prix public, c’est-à-dire chez le pharmacien, il coûte autant que le Zyrtec.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’État est neutre en la matière. Il lui importe peu que les ventes soient faites par un génériqueur ou par le fabricant du princeps. Ce qui l’intéresse, c’est le prix. Si un médicament princeps est vendu au même prix que le médicament générique, cela nous est égal. Nous considérons que ces médicaments ont le droit de vivre dès l’instant qu’ils ne sont pas plus chers.

Le second cas est celui où le médicament a une ASMR 4, ce qui correspond au médicament que vous aviez en tête, madame la rapporteure, quand vous avez posé votre question : l’esomeprazole, vendu sous le nom d’Inexium. Les orientations ministérielles dans ce cas sont les suivantes : nous devons nous débrouiller pour que le produit soit inscrit à un prix tel, ou avec un échéancier de prix tel, que sa prescription ne coûte pas plus cher que la prescription du princeps remplacé. L’Inexium remplace le Mopral, qui est génériqué par l’Omeprazol. Les médecins prescrivent peu l’Omeprazol. Par contre, il est substitué au Mopral chez les pharmaciens, selon un taux assez important. Nous avons fait une hypothèse hardie, tablant sur une substitution des prescriptions de Mopral à 60 % les dix-huit premiers mois et à 80 % au bout de deux ou trois ans, si bien que nous avons pris, pour le prix public d’Inexium, la moyenne pondérée entre le prix de Mopral et le prix de l’Omeprazol.

Si l’Inexium est objectivement plus cher à la consommation que certains autres inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), cela vient du fait qu’il existe deux catégories d’IPP : Mopral et les autres. Une indication essentielle des inhibiteurs de la pompe à protons est la protection contre les dégâts éventuellement commis par les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Dans cette indication, le Mopral n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qu’à la pleine dose – 20 milligrammes –, alors que les autres IPP ont l’indication à la demi-dose. C’est pourquoi ils coûtent moins cher.

Pour en revenir à l’explication de la doctrine ministérielle, le prix d’Inexium a été fixé sur la base d’une hypothèse ambitieuse qui s’est avérée juste par la suite.

Le prix d’Inexium s’est ensuite à nouveau trouvé décalé par rapport au prix pondéré Mopral-Omeprazol parce que, entre-temps, on a baissé l’ensemble du répertoire générique, c’est-à-dire princeps et génériques. Début 2006, la diminution a été de 15 %, et parfois plus, et elle a concerné Mopral et Omeprazol, de sorte que les prescriptions de Mopral ont à nouveau coûté moins cher que celles d’Inexium. Cet écart s’est maintenu un certain temps, je suis prêt à le reconnaître, mais nous y avons remédié l’année dernière en organisant une nouvelle baisse assez importante du prix d’Inexium dans le cadre de ce qu’on a appelé les baisses de cohérence qui correspondent à une autre orientation ministérielle selon laquelle, lorsque, dans une classe pharmaco-thérapeutique, coexistent des médicaments ayant perdu leur brevet et des médicaments l’ayant encore, on doit s’efforcer de rapprocher les prix des médicaments qui restent brevetés des prix des médicaments qui ont perdu leur brevet, afin de ne pas laisser subsister des écarts trop importants dans des classes que l’on pourrait considérer comme des classes d’équivalence.

Procéder à des baisses de prix au fur et à mesure que les produits vieillissent est une activité permanente du comité, et celui-ci les actualise tous les ans.

Les chiffres des quatre dernières années sont assez présents à mon esprit parce que, comme vous vous en souvenez sans doute, le Gouvernement a demandé au comité de procéder à de fortes baisses de prix dans le cadre de ce qu’on a appelé « le plan médicament » qui accompagnait la réforme de l’assurance maladie. En 2004, il a été demandé de réaliser 354 millions d’euros d’économies au moyen de baisses de prix des médicaments sous brevet en trois ans. Cette demande a été renforcée en 2006, où il a fallu accroître l’effort de 200 millions d’euros, ce qui portait les baisses à 550 millions sur trois ans. À mi-année, le comité a été prié, après l’alerte donnée par le Comité d’alerte, d’en ajouter encore 100 millions.

En pratique, les économies dues à des baisses de prix ont été d’environ 160 millions d’euros en 2005, après 28 ou 30 millions réalisées dès 2004. Il s’y est ajouté 190 millions d’euros en 2006. Elles devraient s’élever à 250 millions en 2007.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment sont mesurées les économies ?

M. Noël Renaudin : On multiplie la baisse par boîte en prix public par le taux de remboursement réel de l’assurance maladie et par le nombre de boîtes vendues dans l’année. Cela permet d’obtenir l’impact réel de la baisse.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous mesurez l’impact strict.

M. Noël Renaudin : Absolument. On ne compte pas deux fois les économies, et la mesure se fait médicament par médicament.

Je donnerai un exemple. On a baissé de manière assez forte le prix du COX-2 subsistant, Celebrex. On a alors mesuré un certain niveau d’économie. Puis les ventes ont beaucoup baissé. Nous avons compté une déséconomie, c’est-à-dire une économie négative, compte tenu du calcul que je viens d’indiquer.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ressort du point d’information mensuel publié par l’assurance maladie le 19 octobre 2007 que, en matière de consommation d’inhibiteurs de la pompe à proton, la France se situe au deuxième rang de la consommation des pays européens derrière l’Espagne. Or bien que la France ait une consommation moins élevée que l’Espagne, ses dépenses sont plus importantes. Ce phénomène est dû au fait que les Espagnols consomment à peu près 85 % d’IPP génériqués, donc moins coûteux, alors que leur part en France n’est que de 50 %. Cette tendance à la prescription des médicaments les plus récents et les plus coûteux tend à s’accentuer. Avec la même consommation d’IPP qu’actuellement, et avec un coût moyen par habitant comparable à celui de ses voisins, la France pourrait réaliser une économie de l’ordre de 430 millions d’euros. Quelles réflexions vous inspire cette analyse ?

M. Noël Renaudin : Elle m’inspire deux réflexions.

Le point établi par l’assurance maladie apporte plusieurs informations.

La première, qui est très importante, est que, en France, les médecins prescrivent plus cher. Quand il y a un mix-produit dans une classe de médicaments, qu’il s’agisse des antihypertenseurs, des IPP ou autres, alors même que les prix de chacun des composants sont plutôt plus bas en France et que le taux de substitution est satisfaisant, les médecins prescrivent volontiers hors du répertoire, c’est-à-dire des molécules pour lesquelles il ne peut pas y avoir de substitution. Le mix-produit prescrit est plus cher. Cette tendance appelle indéniablement des mesures d’orientation de la prescription.

La note d’information de l’assurance maladie met en avant un autre point, sur lequel je suis moins d’accord, à savoir que les prix des génériques en Espagne sont beaucoup moins chers qu’en France. C’est exact pour les génériques d’omeprazole et de lansoprazole – autre IPP déjà génériqué en Espagne, alors qu’il ne le sera en France qu’en décembre –, mais on ne peut pas en tirer de conclusion générale car il faut raisonner sur l’ensemble du marché des génériques. On peut toujours trouver – et c’est un jeu qui fait fureur – un pays où un médicament est moins cher, et quelquefois beaucoup moins cher, qu’en France. En revanche, quand on regarde le marché, il est difficile de trouver un pays dans lequel la moyenne des prix des médicaments est plus basse qu’en France. J’ai entendu les choses les plus invraisemblables au sujet des génériques. On a dit, par exemple, qu’en prix sortie d’usine, ils étaient six fois moins chers au Royaume-Uni qu’en France.

La réalité est que les génériqueurs en France ne gagnent pas d’argent – sauf deux, et encore ils n’en gagent pas beaucoup –, alors qu’ils ont les mêmes conditions d’approvisionnement que leurs concurrents anglais, espagnols ou allemands. Les grands génériqueurs indiens comme le grand génériqueur israélien Teva ne s’approvisionnent pas différemment que pour le marché français ou le marché anglais. Néanmoins, les génériqueurs français ne gagnent pas d’argent. Dès lors, on ne peut pas soutenir que les prix des génériques sont trop élevés en France.

Cela étant, ils sont un peu plus chers en prix public parce qu’on a fait le choix – choix imposé dans la mesure où il n’y a aucune sensibilité au prix, et on ne souhaite pas qu’il y en ait, chez les assurés – de rémunérer les pharmaciens pour la vente des génériques. Cela consomme un peu de marge, mais pas au point, de mon point de vue, d’entraîner un réel problème, même en prix public. Il faut avoir une vue d’ensemble sur les prix des génériques.

C’est ma réponse au miroitement d’une possible économie de 430 millions d’euros. Un tel raisonnement donne l’impression que tout le monde est tombé sur la tête et qu’il n’y a qu’à être un peu intelligent pour économiser 400 millions d’euros sur les IPP et – pourquoi pas ? – 350 millions sur les antihypertenseurs, et 600 millions sur les statines. Ce n’est pas possible. Pas de cette manière, en tout cas.

En revanche, on peut certainement – et on doit – économiser de l’argent en posant des règles en matière de prescription.

M. Pierre Morange, coprésident : Comment peut-on expliquer que les prix des génériques soient moins élevés en Espagne ? Est-ce dû à la localisation des sites de production ?

M. Noël Renaudin : Je précise à nouveau que, si les prix des génériques d’omeprazole et de lansoprazole sont moins chers en Espagne qu’en France, ce n’est pas un cas général. Ensuite, les différences de prix ne proviennent jamais d’une différence de sites de production. Elles résultent éventuellement des conditions de marché.

En France, il y a une règle – qui vaut ce qu’elle vaut – selon laquelle la décote du générique par rapport au princeps est à peu près constante – car c’est plus simple. Actuellement, le générique coûte chez nous 50 % de moins que le princeps.

Dans l’ensemble, ce système fonctionne assez bien parce que nos princeps, surtout en fin de vie lorsque le générique arrive, sont plutôt moins chers que dans le reste du monde.

Sur les marchés où il existe, pour des raisons diverses, des éléments de concurrence par les prix, ces derniers peuvent baisser éventuellement beaucoup plus. La production de l’omeprazole ne coûte pratiquement rien, ni en France, ni en Grande-Bretagne, ni en Espagne. Donc les différences de prix ne proviennent pas de la production mais du fait que les entreprises essaient de gagner de l’argent. Or il est connu que les génériqueurs français n’en gagnent pas beaucoup et même que la plupart en perdent. La fixation des prix des génériques à la moitié des prix des princeps donne un niveau général des prix plutôt bon.

Comme nous n’avons aucun élément de concurrence par les prix sur aucune molécule, sur certaines molécules très concurrencées, on peut trouver, ici ou là, des prix vertigineusement plus bas. Le paracétamol est vendu cinq fois moins cher qu’en France sur tel ou tel marché ou sur internet.

M. Pierre Morange, coprésident : Les médicaments génériques vendus en France sont-ils tous produits en Europe ou proviennent-ils d’autres sites de production ?

M. Noël Renaudin : Ils sont actuellement très majoritairement, c’est-à-dire dans une proportion de 90 %, produits en Europe, mais évidemment pas exclusivement.

Les deux grands génériqueurs qui représentent une bonne partie du marché en France sont MERCK génériques et Biogaran. Ce dernier, à ma connaissance, ne produit qu’en Europe, c’est-à-dire en France dans les usines Servier ou, en Hongrie où Servier a fait des usines de production importantes. MERCK génériques est installé en Europe, en particulier en Allemagne.

L’un des deux génériqueurs indiens, Ranbaxy, avait hérité du portefeuille Rhône-Poulenc et fabriquait en France, ce qui lui coûtait très cher. Il est en train de retourner vers ses approvisionnements normaux indiens, qui sont de bonne qualité, contrairement aux produits chinois pour lesquels nous avons quelques craintes car ils sont nettement moins propres, mais ils finiront par le devenir. Les usines indiennes sont visitées par la FDA, Food and drug administration, comme les usines françaises.

Pour l’instant, la production de génériques est majoritairement européenne et il est souhaitable que cela dure.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué la prime à la nouveauté et les mécanismes de transfert de la prescription sur des molécules plus récentes, suite à ce rapport de l’assurance maladie…

M. Noël Renaudin : Nous manquons cruellement d’un dispositif crédible d’aide à la prescription. Le système français est le meilleur du monde en matière d’évaluation et de mise sur le marché des médicaments. C’est le plus rationnel. C’est aussi le seul qui permette d’éviter les me too, qui peuvent atteindre, voire dépasser, le prix des médicaments déjà existants ; le code de la sécurité sociale ne le permet pas. Mais notre système est radicalement insuffisant, une fois que les médicaments sont là, pour que la prescription soit rationnelle.

La raison en est à la fois historique, culturelle et réglementaire. La France a adopté un système d’assurance maladie universelle, dans lequel personne ne paie. On ne veut pas que les médecins soient responsabilisés financièrement sur leurs prescriptions. Dans d’autres pays, ceux-ci ont des enveloppes, l’accès aux spécialistes est long, les restes à charge peuvent être élevés pour les assurés, et les uns et les autres sont sensibilisés aux prix. En France, lorsque vous allez chez le médecin, vous savez qu’il ne sera pas empêché de vous prescrire le meilleur médicament, sous prétexte qu’il a déjà atteint la limite de son budget. Et c’est une bonne chose. Reste qu’il nous manque une mécanique médico-économique d’orientation de la prescription chez les médecins.

Aujourd’hui, nous disposons d’un certain nombre d’instruments d’ordre médical, comme les fiches de transparence qui indiquent que, dans telle situation pathologique, il faut tel ou tel médicament, tel ou tel cheminement thérapeutique. C’est plutôt bien fait. Nous disposons aussi d’un début d’orientation d’ordre économique, lorsque la CNAMTS demande que les médecins prescrivent dans le répertoire. Mais ce n’est pas suffisant.

Notre système est très bien pour inscrire les médicaments qui ne sont pas meilleurs, ce qui permet de faire des économies ; il ne permet pas de payer les médicaments les plus innovants à un prix significativement différent de celui accepté dans les autres pays de l’Union européenne. Mais nous n’avons pas de système médico-économique qui réponde à la question : les prix des médicaments étant ceux-ci, comment peut-on utiliser ces médicaments de façon rationnelle ? La seule institution qui en soit capable et qui ait la légitimité pour le faire est la HAS.

Voici un exemple pour illustrer mon propos : dans l’hypertension, la catégorie la plus moderne (le système rénine/angiotensine) est composée de deux classes de médicaments : les inhibiteurs d’enzymes de conversion, ou IEC, qui sont génériqués et qui coûtent 20 centimes par jour ; et les inhibiteurs de récepteurs à l’angiotensine II, les sartans, dont aucun n’est génériqué et qui coûtent deux ou trois fois plus cher que les IEC. Les sartans ont eu, à l’époque, une ASMR 3, qui était sans doute justifiée. En effet, 20 %, des patients qui consomment des IEC toussent de façon très désagréable, et les sartans évitent la toux. Toutefois, il existe aujourd’hui de très bonnes initiations au traitement qui se font directement par les sartans. Les médecins auraient tort de se gêner : ils sont sûrs que le traitement aura de l’effet sur l’hypertension et qu’en outre, le patient ne toussera pas. Mais qui peut dire aujourd’hui aux médecins : c’est mal de commencer par un sartan, il faudrait commencer par un IEC. Je ne peux pas le dire. La CNAMTS non plus.

M. Jean-Marie Rolland : N’est-ce pas le rôle des délégués de l’assurance maladie (DAM) ?

M. Noël Renaudin : La CNAMTS n’en a pas la légitimité. Cela dit, les sartans seront bientôt génériqués. Il en est de même des statines et des inhibiteurs de la pompe à protons. S’il n’y avait que cela, demain, on pourrait dormir sur nos deux oreilles, mais ce n’est évidemment pas le cas, et la dépense de médicaments ne baisse pas. En effet, alors que ces grandes classes de médicaments décroissent, le marché s’enrichit de médicaments horriblement coûteux, des médicaments de « niches », pour des populations cibles assez restreintes.

Notre système consiste à séparer, au niveau de la HAS, et sur des critères purement médicaux, ce qui apporte quelque chose, de ce qui apporte significativement quelque chose – et dont l’absence entraînerait une perte de chances inacceptable pour un groupe de malades – et de ce dont on pourrait éventuellement se passer. Néanmoins, une fois cela fait, on n’a plus de liberté sur le prix.

Il faudrait que quelqu’un puisse dire : à ce prix-là, nous demandons que vous, médecins, réserviez la prescription à telle sous partie de la population cible. On ne peut pas faire autrement. Mais c’est beaucoup plus difficile.

Autre exemple exagérément simple : nous dépensons 400 millions d’euros en érythropoïétine, utilisée pour compenser certains dégâts de la chimiothérapie ou pour les dialyses. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire que ce n’est pas un bon médicament, mais il y a peut-être quelque chose à dire sur les taux au-dessous desquels il est légitime d’en prescrire, et au-dessus desquels il serait légitime d’attendre. On voit bien que ce n’est pas la CNAMTS qui peut le dire. Il faut que cela soit dit par des personnes ayant une légitimité et une responsabilité médicales pour le faire. La loi va peut-être le préciser, mais je pense qu’un des enjeux importants de la période qui vient sera que la HAS fasse la promotion, non pas du bon usage du médicament, mais de son usage rationnel.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je rejoins M. Jean-Marie Rolland et sa remarque sur les délégués de l’assurance maladie. Il y a un an et demi, ils avaient été désignés pour surveiller une des classes de statines, le Crestor, un des médicaments beaucoup plus cher…

M. Noël Renaudin : Non, le Crestor coûte exactement le même prix que la simvastatine générique. Le Comité économique des produits de santé applique les orientations des ministres.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Vous avez sans doute raison. Le risque était que les médecins aillent immédiatement au plus fort dosage, qui était évidemment plus cher. Et les DAM avaient pour mission de faire de l’information auprès des médecins.

M. Noël Renaudin : La Commission de la transparence s’était prononcée sur le Crestor. Le dosage le plus élevé devait être peu utilisé. Il faut savoir que le Crestor a été inscrit en deux temps : dans un premier temps, on a inscrit un dosage élevé, pour une population très restreinte, avec un contrat bien ficelé entre l’entreprise et le CEPS ; dans un second temps, est arrivé le Crestor 5 mg, qui est devenu une statine de plein exercice, comparable aux autres, utilisable sans risque à la place des autres. Et c’est ce dosage à 5 mg dont nous avons fixé le prix, conformément aux orientations du ministre, au prix de la simvastatine générique.

Je suis totalement indifférent au fait que les médecins prescrivent du Crestor ou du Zokor substitué par la simvastatine. Je préfère même qu’ils prescrivent du Crestor, car c’est l’équivalent d’une substitution à 100 %. Un petit débat est né entre l’assurance maladie et nous-mêmes. Chaque position se défend. L’assurance maladie a une préférence pour le générique. À prix égal, je n’en ai pas.

M. Pierre Morange, coprésident : Si je comprends bien, vous êtes relativement serein s’agissant de ces grandes classes de molécules qui vont tomber dans le domaine public. Avez-vous pu établir une prospective des économies générées potentiellement sur les cinq prochaines années ? Je ne vous demande pas l’information tout de suite, mais il serait utile que vous nous fournissiez des éléments assez précis sur le sujet.

S’agissant des thérapeutiques onéreuses, quelle stratégie est envisagée, notamment au niveau européen ? Les populations cibles sont peu nombreuses sur le sol national, mais la dépense pourrait être mutualisée sur le plateau continental européen, d’autant qu’il s’agit de populations solvables, ce qui permettrait de faire baisser le prix des produits.

M. Noël Renaudin : Je pense que c’est le marché qui décidera. Cela étant, notre stratégie consiste à dire et à redire en France et à l’étranger aux entreprises multinationales qu’elles sont sur une voie impossible et qu’elles vont devoir changer de modèle. Certaines commencent à s’en rendre compte et à faire ce que nous disons depuis un certain temps : les grands pays développés, qui ont fait la fortune des entreprises de médicaments depuis trente ans, commencent, sans exception, à toucher le plafond. Et ce d’autant plus vite qu’aux États-Unis, l’inégalité d’accès à ces médicaments innovants devient un vrai problème. Le jour où les Américains, qui ont été la principale ressource de l’industrie pharmaceutique, vont ressentir la nécessité de faire accéder les plus pauvres ou les personnes âgées aux médicaments innovants, ils ne pourront pas les payer à ces prix-là. Et alors, il me semble inévitable que les prix s’assagiront.

M. Pierre Morange, coprésident : Le marché est donc adossé à la solvabilité des puissances occidentales, solvabilité qui est plafonnée. Ne pourrait-on pas envisager la création d’une dynamique occidentale ou européenne, qui anticipe cette évolution inéluctable du marché et qui, jouant sur les volumes, fasse baisser les coûts, ce qui bénéficierait au plus grand nombre de patients ? Car les médicaments innovants, très onéreux, représentent tout de même des chances de vie.

M. Noël Renaudin : Je crois que c’est trop tôt. Les grands pays d’Europe du Nord ne fixent pas les prix. Ils ont tort et je pense qu’ils y viendront, mais, pour l’instant, ils résistent. Nous n’avons donc pas d’interlocuteurs dans ces pays-là. Nous ne pouvons pas nous adresser aux Italiens, parce qu’il faudrait discuter avec toutes les régions italiennes. Nous pourrions discuter avec les Espagnols, et nous avons commencé à le faire, mais cela ne va pas très loin.

Cela dit, la France a tout de même une influence sur le niveau général des prix. En effet, les entreprises peuvent très difficilement se passer d’elle pour de tels produits. Nous ne pesons que 5 % ou 6 % du marché mondial, un peu plus pour les produits très chers parce que nous avons un système généreux. Néanmoins, c’est d’autant plus intéressant pour les entreprises qu’un certain nombre de pays suivent ce qui se passe en France et s’en inspirent pour fixer les prix de remboursement.

D’une certaine manière, donc, la France pèse sur les prix. Mais je ne pense pas que nous puissions le faire en nous entendant avec nos collègues.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous avions beaucoup d’autres questions que nous allons vous adresser. Merci beaucoup.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin procédé à l’audition de M. Jean-Martin Cohen Solal, directeur général adjoint de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Laure Lechertier, responsable du département politique du médicament, et M. Vincent Figureau, responsable du département relations extérieures.

M. Pierre Morange, coprésident : Madame, messieurs, bienvenue à l’Assemblée nationale.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Merci d’avoir répondu à notre invitation. Pensez-vous que l’admission des médicaments au remboursement est suffisamment sélective ? De votre point de vue, la franchise de 50 centimes sur le prix des médicaments aura-t-elle un impact positif sur le volume de produits consommés ? Risque-t-elle de créer une inégalité dans l’accès aux soins ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Merci de nous avoir invités. Je vous prie d’accepter les excuses de M. Daniel Lenoir, qui a eu un empêchement de dernière minute.

Le sujet du médicament nous préoccupe et notre fédération y travaille depuis de très longues années. Le poste « médicament », pour les mutuelles que nous représentons, est le premier poste de dépenses, soit 34 % de celles-ci. Si cette proportion est stable, son volume croît chaque année de 5 %. C’est donc un sujet majeur, en termes à la fois quantitatifs et qualitatifs.

Depuis très longtemps, la mutualité communique sur le médicament. Nous avons été les premiers à parler des génériques. Cela paraissait assez étonnant à l’époque, on s’interrogeait même sur notre légitimité à en parler comme sur l’intérêt des génériques. Or il y a deux jours, un sondage a révélé que, maintenant, 80 % des Français y sont favorables.

S’agissant de l’admission des médicaments au remboursement, la mutualité a proposé, lors de son congrès de Toulouse en 2003, la création d’une haute autorité de santé. Nous avons donc été très été satisfaits de sa création par la loi du 13 août 2004. Nous attendions, avec les autres organismes chargés du médicament, que cette Haute Autorité de santé (HAS) procède à un classement et donne un avis très précis sur la nécessité ou non d’admettre le remboursement. Nous avons regretté que le Gouvernement ne suive pas les avis de la HAS jusqu’au bout et maintienne un remboursement minimum pour certains médicaments à service médical rendu insuffisant ; il s’agissait des veinotoniques. La mutualité, qui représente 38 millions de personnes protégées, a pris alors une décision collective consistant à ne pas rembourser les médicaments remboursés à hauteur de 15 %, les médicaments à vignette orange. Elle suivait en cela l’esprit de la recommandation de la HAS. Cela a provoqué une forte baisse de la prescription, donc de la consommation de ces médicaments en 2006 et 2007.

Pour nous, il est effectivement important que la HAS puisse faire un choix et donner un avis sur l’utilité médicale majeure de tel ou tel produit pharmaceutique. Le poste du médicament croît tous les ans de façon importante. La presse évoque presque quotidiennement le problème de la surconsommation des médicaments en France. Il vaudrait mieux utiliser ces sommes importantes à des médicaments vraiment innovants et vraiment efficaces. Pour cela, nous faisons confiance aux organisations qui sont chargées de le faire.

Nous nous inquiétons de toutes les manœuvres de contournement comme les me too, de l’insuffisance de développement de la politique du générique – même si cela a beaucoup évolué – et de la politique des marges arrières qui nous semble contestable. Un rapport d’IMS Health a montré, la semaine dernière, que la différence de prix des médicaments génériques par rapport aux médicaments princeps n’était pas supérieure à 40 % en France contre 60 à 80 % dans les pays scandinaves probablement, en particulier, à cause des marges arrières. On peut donc aller plus loin dans la politique du générique, ce qui permettrait de consacrer le juste prix aux médicaments.

Nous disposons d’un tableau qui, en tant que professionnel de santé, me paraît intéressant. Il est fait sur la base de molécules phares. S’agissant des antiulcéreux, la différence de prix entre le Mopral princeps – 28 comprimés de 20 mg – et l’Oméprazol générique – 28 comprimés de 20 mg – est de 41,5 %. C’est la même molécule et l’efficacité thérapeutique est la même. Cela représente des sommes non négligeables, qui devraient être mieux utilisées dans le système de santé. Le cas des statines est encore plus marquant : entre le Tahor, le plus prescrit et le plus cher, et la prévastatine en générique, sous une même présentation et le même conditionnement, la différence est de 61,5 % : 37,81 euros et 14,57 euros. Je pourrais vous laisser ce tableau, s’il vous intéresse. Il porte sur des médicaments totalement comparables en termes d’efficacité, sinon des génériques purs. Des économies non négligeables pourraient donc être réalisées, sans diminuer en rien la qualité de la santé publique.

La mutualité a clairement exprimé son opposition au principe même des franchises. Nous estimons que ce n’est pas une bonne solution. Quant à la fixer à 50 centimes par boîte de médicament, cela nous semble étonnant à plusieurs titres.

Premièrement, ce n’est pas l’assuré qui décide de la prescription, c’est le médecin. J’exerce encore comme médecin libéral, je fais des ordonnances, je prescris et je choisis les médicaments pour le patient.

Deuxièmement, l’idée de la franchise est de responsabiliser financièrement le patient en disant que ce dernier va se rendre compte du coût du médicament et qu’il va réfléchir. Mais le prescripteur connaît-il lui-même le coût du médicament qu’il indique sur l’ordonnance ? Je veux bien faire le pari que non. On peut faire l’effort et chercher sur le Vidal le prix du médicament, mais ce n’est pas spontané. Jamais on ne responsabilise le prescripteur sur le prix des médicaments, des analyses ou des examens. Plutôt que de culpabiliser le patient sur la consommation de médicaments, on ferait mieux de sensibiliser le prescripteur à son rôle économique.

Plus généralement, à la mutualité, nous pensons que le corps médical dans son ensemble n’intègre pas suffisamment le fait qu’il est aussi un acteur économique. Quand on fait une prescription, quelle qu’elle soit, on génère une dépense sur des fonds collectifs ou sur des fonds privés, souvent mutualisés. Cette prescription a donc un coût que la collectivité subit. Il ne semblerait pas aberrant d’aller vers des modes de prescription qui permettent au prescripteur de le percevoir. Je pense notamment à des logiciels d’aide à la prescription.

M. Pierre Morange, coprésident : Le principe de la mention du prix des médicaments dans les logiciels d’aide à la prescription a été inscrit, par voie d’amendement, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008. Cette disposition sera définitivement adoptée après le vote de la Haute assemblée.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Nous avions bien noté que c’était l’un des points positifs du PLFSS 2008 voté, en première lecture, par l’Assemblée nationale. Si l’on veut, en effet, que les logiciels d’aide à la prescription soient efficaces, il faut faciliter la vie des médecins et intégrer les prix dans les logiciels. Sinon, ce sera un vœu pieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce n’est pas un vœu pieux, si on se réfère au texte du PLFSS. De toute façon, le dispositif s’inscrira dans le cadre de logiciels qui devront être certifiés.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : En dernier lieu, de nombreuses dépenses de médicaments sont réglées en tiers payant. Lorsque l’assuré ira à la pharmacie, il ne paiera pas la franchise, qui sera seulement imputée sur ses remboursements futurs. Pour que cette franchise soit perceptible, il faudrait supprimer le tiers payant, ce qui serait un recul social et technique. Enfin, en cas de traitements répétitifs, la franchise peut représenter un coût non négligeable de 50 euros par an, et la mesure peut alors être vécue, en effet, comme source d’inégalité.

M. Pierre Morange, coprésident : Faites-vous la même analyse s’agissant du forfait hospitalier ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : À l’origine, le forfait hospitalier a été instauré pour compenser les dépenses de bouche des patients hospitalisés. Puis le système a dévié. Son montant a tellement augmenté qu’on ne peut soutenir aujourd’hui qu’il ne sert qu’à compenser les dépenses de bouche.

Nous craignons que la franchise ne subisse le même sort. En effet, si la loi l’a instituée, elle n’en a pas fixé le montant, qui est d’ordre réglementaire ; et nous avons peur que, par la suite, on utilise ce mécanisme pour remplir les caisses de l’assurance maladie.

M. Pierre Morange, coprésident : Je considère que le forfait hospitalier, qui a connu des augmentations conséquentes, n’est plus pertinent. Il faut plutôt considérer le reste à charge. Je pense notamment aux personnes âgées dépendantes accueillies en établissements d’hébergement. En effet, il n’y a aucune prise en charge, ce qui pose le problème de l’inégalité d’accès aux soins.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : On peut craindre la multiplication de ces mesures.

M. Pierre Morange, coprésident : Il faudrait que les principes républicains d’équité et d’égalité d’accès aux soins soient préservés.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : En outre, la franchise n’est pas structurante. Elle ne modifie pas l’organisation du système de soins, ni du médicament. Ce n’est qu’une mesure comptable.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Elle ne répond pas non plus aux problèmes d’excès de consommation de médicaments et de mauvais encadrement de la prescription. Une telle mesure ne s’inscrit pas dans une vision de la politique de maîtrise des dépenses de médicaments. Nous constatons que celle-ci est aujourd’hui quasiment inexistante.

Nous constatons également une disparité au niveau organisationnel : trois instances différentes, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), et par ailleurs, des pouvoirs de négociation conférés aux nombreux industriels, d’où parfois un manque de cohérence dans l’accès au marché des médicaments.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons bien compris votre position, mais l’objet de la MECSS est bien de veiller à la rationalisation de l’utilisation des deniers publics dans le domaine sanitaire et social et de préserver ces conditions d’accès républicain. Sa composition paritaire lui permet de s’exonérer de prises de position politiques. On y prend acte des positions de chacun, mais ce n’est pas une tribune.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : L’objectif des franchises, auxquelles je suis opposée, est tout de même de réduire la consommation de médicaments, dès lors qu’ils sont pris en charge par l’assurance maladie. Cependant, on remarque que, dès lors qu’ils ne sont plus remboursés, on en facilite l’accès. Pourtant, ainsi que Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, l’a répété dans l’hémicycle, il y a la volonté de favoriser la vente des médicaments devant le comptoir des pharmacies, quasiment en libre-service. Voilà la réalité.

Quel regard la mutualité porte-t-elle sur la formation continue des médecins ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : La formation initiale en matière de thérapeutique courante est notoirement insuffisante. La formation médicale continue, malgré un certain nombre de textes allant dans le bon sens, n’a pas pris l’essor qu’elle aurait dû avoir dans un pays comme le nôtre. La place prise par l’industrie pharmaceutique compense, de facto, un manque de formation médicale continue organisée et cohérente.

Il est inévitable que l’industrie pharmaceutique fasse en sorte de développer la vente de ses produits. Selon les chiffres récents de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 25 000 euros sont dépensés par généraliste, chaque année, pour la visite médicale, laquelle mobilise 23 000 visiteurs médicaux. Au total, c’est une somme de 3 milliards d’euros qui est dépensée pour la visite médicale, ce qui est sans commune mesure avec les pays voisins. Cela est dû notamment au fait que la formation médicale continue est mal organisée.

Quelles en sont les raisons ?

La mutualité française considère que le mode d’exercice libéral des médecins et le paiement exclusif à l’acte ne favorisent pas la formation médicale continue. En outre, on n’aide pas les médecins à se former régulièrement. Pour eux, avoir accès aux dernières données de la science demande un effort important. Il est beaucoup plus simple qu’un visiteur médical vienne les leur exposer, entre deux patients. Cela s’intègre facilement à leur quotidien.

On ne pourra pas isoler ce problème de la formation médicale continue si l’on ne prend pas en compte l’organisation générale du système. Le président de la mutualité a regretté que la médecine libérale en France soit toujours organisée selon la Charte de 1927, alors que la médecine a fondamentalement évolué. Moi-même, je me suis aperçu que, depuis trente-quatre ans que je suis sorti de la faculté, s’agissant d’une pathologie simple comme celle de l’ulcère de l’estomac, les diagnostics avaient changé plusieurs fois et les thérapeutiques avaient été profondément modifiées. Face à une telle évolution, un médecin, seul dans son cabinet, a du mal à s’informer. Rien n’est fait pour le favoriser. Il faudrait donc que les organismes publics, notamment la HAS, dont c’est l’une des missions, fassent davantage pour améliorer la formation médicale continue. La HAS doit faire en sorte que les informations des guides de bonne pratique qu’elle diffuse soient aisément assimilables et intégrables dans le quotidien des médecins ; les schémas thérapeutiques doivent être simples et compréhensibles.

M. Pierre Morange, coprésident : Le réseau mutualiste a décidé collectivement de ne pas rembourser certains médicaments. Quelle a été l’incidence financière de ces mesures sur la comptabilité de la mutualité française en termes d’économies ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Si les mutuelles avaient décidé de rembourser les médicaments à 15 %, elles auraient dû augmenter leurs cotisations de deux points.

M. Pierre Morange, coprésident : J’ai du mal à comprendre ce raisonnement, sachant que ces médicaments étaient auparavant remboursés à 35 %.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Plus précisément, faire passer le remboursement de ces médicaments de 35 % à 15 % ou 20 % aurait abouti à une augmentation des cotisations de deux points.

Ce choix a été difficile à expliquer à nos adhérents. Il nous a fallu faire beaucoup d’efforts de communication, notamment au sein de la presse mutualiste, pour leur faire comprendre pourquoi nous ne remboursions plus ces médicaments. Nous leur avons dit que nous suivions en cela les avis de la Haute Autorité de santé.

Ce que l’on a pu faire pour les médicaments, à 15 %, ceux à vignette orange, n’est pas possible pour les médicaments à 35 %, à vignette bleue. En effet, les organismes d’assurance complémentaire ne connaissent que les pourcentages de remboursement et ne peuvent pas faire un tri entre les médicaments à service médical rendu insuffisant (SMRI) et à SMR important.

Mme Laure Lechertier : En fait, vous nous interrogez sur l’impact de ces mesures administratives sur le ticket modérateur. Nous avons fait un tableau récapitulatif sur 2006, qui permet de constater les économies réalisées : 267 millions d’euros grâce au déremboursement de certains médicaments à SMRI ; 41 millions d’euros, grâce à la baisse du taux de remboursement et à une baisse de prix de 12 %, etc. Tout cela rentre dans une gestion dynamique du panier de soins, en vue de financer des thérapeutiques de qualité.

M. Pierre Morange, coprésident : L’économie de 300 millions d’euros réalisée par la mutualité au travers de mesures de déremboursements a-t-elle porté exclusivement sur le médicament ou sur une prise en charge plus globale sur les frais d’optique, les frais dentaires ou autres ? Est-ce que ces économies étaient proportionnelles aux pourcentages de dépenses que vous avez évoqués ? Est-ce que le poste des médicaments, qui représente 34 % de vos dépenses, a donné lieu à des économies à hauteur de 34 % de ces 300 millions d’euros ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Les dépenses ne sont pas affectées de cette façon-là. Parallèlement, il y a eu des baisses de remboursement des médicaments à 35 %, et de nouvelles charges sur les mutuelles. Globalement, l’augmentation des dépenses des mutuelles suit l’augmentation des dépenses de santé de l’assurance maladie obligatoire. En l’occurrence, c’est l’augmentation des cotisations qui a pu être ainsi modulée.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : L’analyse que je vais développer pour le déremboursement des veinotoniques vaut pour les déremboursements d’autres classes. On sait que le déremboursement des veinotoniques s’est traduit par un transfert sur la contention, qui est dans la classe des dispositifs et non des médicaments. Je ne le regrette pas, car la contention est bien plus efficace que les veinotoniques. Avez-vous pris en compte ce transfert ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Non ! Certaines mutuelles prennent en charge les bas de contention, d’autres non. Effectivement, il y a eu un transfert, mais, objectivement, les dépenses de moyens de contention ne sont pas du tout du même niveau que les dépenses de veinotoniques. Comme nous ne disposons pas de données suffisamment fines, nous n’avons pas pu chiffrer ce transfert.

On a dit aussi que ce déremboursement avait provoqué une augmentation de la consommation d’autres médicaments, comme les antalgiques. Mais, là encore, nous sommes incapables d’apprécier s’il y a bien eu un transfert ou si, tout simplement, nous sommes face à un phénomène culturel, celui des Français vis-à-vis du médicament. Dans son discours au Sénat, le Président de la République a rappelé que 90 % des visites chez le médecin en France se terminent par une ordonnance, contre 40 à 60 % dans les pays du Nord : 40 % aux Pays-Bas.

On peut enfin penser que, face aux problèmes de jambes lourdes, l’exercice physique, la contention, le fait de surélever les pieds, sont souvent au moins aussi efficaces que des médicaments.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez dit que la baisse du remboursement à 15 % des médicaments à 35 % se serait traduite pour vous par une augmentation des cotisations de deux points. Confirmez-vous les chiffres du rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, qui s’était penché sur le système assurantiel en général ? Celui-ci évoquait le haut niveau de l’assurance obligatoire français et remarquait que le transfert d’un point d’assurantialité obligatoire sur les complémentaires se traduirait par une augmentation de 4 % des primes de ces complémentaires.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est le rapport que nous avons effectivement en tête. C’est le débat qui aura lieu sans doute dans les prochains mois sur la répartition régime obligatoire/complémentaires.

M. Pierre Morange, coprésident : C’est vous qui avez fait ce calcul ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Non, ce sont les services du Haut conseil.

M. Pierre Morange, coprésident : La philosophie est différente, entre les complémentaires et le régime obligatoire qui prend en compte la réalité sanitaire et ne fait pas de sélection.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est tout le débat sur le rôle des complémentaires, qui sont des assurances santé de droit privé, avec des contrats différents et des risques importants de transfert de l’obligatoire vers le complémentaire. La mutualité pourra contribuer à ce débat.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : On sait que des médecins travaillent dans les centres de soins de la mutualité. Comment est assurée leur formation continue ? Est-elle différente de celle des médecins libéraux, seuls dans leur campagne ou dans leur cabinet et qui ont du mal à s’informer ? Les médecins de la mutualité ont-ils d’autres comportements lorsqu’ils font des prescriptions ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est une très bonne question. Dans les établissements mutualistes, nous faisons en sorte de privilégier une formation de meilleur niveau, en équipe, et avec une dimension médico-économique. Pour nous, la santé publique passe par une adéquation des moyens aux besoins. Le fait d’intégrer des données médicales et économiques pour mieux utiliser des ressources collectives consacrées à la santé doit faire partie de la base de la réflexion du corps médical.

Sans que ce soit parfait, nous essayons de faire des efforts pour dégager du temps et des moyens afin de former les médecins. Nous essayons également de faire passer des informations spécifiques aux médecins mutualistes. Néanmoins nous n’avons pas d’éléments fiables montrant que la prescription est très différente dans les établissements mutualistes. Quoi qu’il en soit, l’effort de formation est intégré dans l’exercice. Nous nous sommes notamment battus pour que les médecins fassent des prescriptions de génériques ou en dénomination commune internationale (DCI).

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué les marges arrière. La mutualité a-t-elle mené des réflexions ou fait des propositions sur ce sujet ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Nous considérons comme particulièrement choquantes les marges arrière sur les génériques, tout comme les remises sur un certain nombre de médicaments. Il y a une certaine opacité s’agissant du calcul du prix des médicaments. Le système des marges arrière est aberrant. J’ai d’ailleurs noté que le Président de la République s’était prononcé pour leur suppression dans la grande distribution ; je pense qu’il visait le principe même des marges arrière. Cela me semble la bonne attitude et j’espère qu’elle concernera aussi le domaine du médicament.

Nous avons constaté, concernant les marges arrière pour les génériques, qu’il devait y avoir une limite de 15 % ; qu’il devait y avoir un contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mais qu’un moratoire avait été institué. Nous souhaitons que ce moratoire soit levé et, surtout, qu’on aille vers la suppression du système des marges arrière. Ce dernier explique en partie, à notre sens, que la différence de prix entre les médicaments princeps et les médicaments génériques en France ne soit pas aussi importante que dans d’autres pays.

Nous souhaitons donc que l’on revienne sur le problème des marges arrière.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour les génériques ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Oui, car il faut qu’il y ait une vérité des prix et que la baisse des prix, notamment des génériques, bénéficie au consommateur.

Il en est de même des remises de prix, qui bénéficient à l’assurance maladie obligatoire, mais pas aux complémentaires, ni à l’assuré. C’est un problème de vérité des prix du médicament.

Mme Laure Lechertier : Nous ne souhaitons pas voir se développer les mécanismes qui déconnectent un prix facial d’un prix réel.

M. Jean-Martin Cohen-Solal. Nous souhaitons une vraie transparence des prix, et que les payeurs paient le prix réel.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Il faut rappeler l’historique des marges arrière et la volonté de favoriser la pénétration des génériques. Certes, il convient de revenir sur les marges arrière qui ont forcément une incidence sur le prix des génériques, mais cela doit se faire obligatoirement avec la prescription en DCI.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est notre position depuis plusieurs années. Cela nous ramène à notre propos sur la formation médicale initiale et continue. Il est exact que les médecins n’ont pas appris la prescription en DCI. Les professionnels de santé ont en tête des noms de produits ; il faut leur mettre en tête des noms de DCI, ce qui est tout de même plus simple. Vous avez donc raison, et je pense que le mouvement prendra progressivement de l’ampleur, tout comme pour les génériques.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela nous ramène à la réflexion sur les logiciels d’aide à la prescription, qui sont devenus indispensables.

Mme Laure Lechertier : Avec une base de données publique, permettant cette prescription directe, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Ces logiciels devraient permettre à la fois la prescription en DCI et le calcul des coûts.

M. Vincent Figureau : Vous avez évoqué l’avancée permise par l’Assemblée nationale sur la DCI. Cependant cette avancée avait déjà eu lieu dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire sur le médicament du 26 février 2007. C’était d’ailleurs la résultante d’une de nos propositions qui avait été reprise par la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Cécile Gallez, adoptée à l’unanimité et conservée ensuite au Sénat. Par ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté hier un amendement mettant en place une banque de données publique sur le médicament. Nous nous en réjouissons, car c’était, là encore, une de nos propositions.

M. Jean-Martin Cohen-Solal : Je veux préciser que nous publions des documents sur le médicament, ainsi qu’un certain nombre de rapports. Nous envoyons également tous les ans à nos responsables et aux élus un mémento du médicament.

En conclusion, je m’étonne qu’aujourd’hui, malgré toute l’information diffusée sur les problèmes de surconsommation en France, on ait du mal à passer vraiment à l’acte. Il serait bon qu’il y ait quelque contrôle s’agissant du lobby pharmaceutique. Dans le domaine de la formation continue et de la visite médicale, les médecins n’ont pas de contre-pouvoir pour s’opposer aux laboratoires, qui font par ailleurs leur métier. Nous souhaitons qu’il y ait de plus en plus de médicaments innovants. La mutualité n’est pas contre l’industrie pharmaceutique, contrairement à ce qui a été dit. Simplement, il faut consacrer la juste ressource aux médicaments innovants et à la recherche, aux dépens, notamment, de la promotion. Nous souhaitons également que les élus prennent des décisions pour modifier vraiment la politique du médicament en France, qui a besoin d’être modernisée.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle est votre position sur les délégués de l’assurance maladie ?

M. Jean-Martin Cohen-Solal : C’est une bonne chose, même si j’ai lu dans le compte rendu de votre audition du directeur de la CNAMTS, qu’il en est prévu 950 pour la fin de 2007, alors qu’il y a 23 000 visiteurs médicaux.

Dans le mode de fonctionnement des professionnels de santé, le contact humain est beaucoup plus simple que le contact écrit. Reste à savoir si, aujourd’hui, l’assurance maladie a les moyens d’affecter autant de personnes pour aller discuter avec ces professionnels.

La formule permet également aux médecins de mieux comprendre l’assurance maladie, qui n’est pas leur adversaire, et d’améliorer, de façon générale, les relations entre les payeurs et les professionnels de santé. On ne fera évoluer le système que s’ils parviennent à travailler ensemble.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avions encore toute une série de questions à vous poser, que nous nous permettrons de vous adresser prochainement. Je vous remercie.

*