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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 17 janvier 2008

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments

– Mme Annie Podeur, directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, M. Bernard Ortolan, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins libéraux, M. Alain Beaupin, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins salariés, et M. Dominique Bertrand, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins hospitaliers

– Mme Nathalie Tellier, chargée de mission à l’Union nationale des associations familiales et membre du bureau du Collectif interassociatif sur la santé, M. Jacques Mopin, administrateur de l’Union fédérale des consommateurs - Que choisir, accompagné par M. Christophe Le Guehennec, chargé de mission santé, et Thierry Saniez, délégué général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie 12

– M. Bertrand Garros, président de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, et M. Philippe Lamoureux, directeur général 18

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition de Mme Annie Podeur, directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, M. Bernard Ortolan, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins libéraux, M. Alain Beaupin, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins salariés, et M. Dominique Bertrand, président du conseil national de la formation médicale continue des médecins hospitaliers.

M. Jean Mallot, coprésident : Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. Peut-être pourriez-vous commencer par quelques observations générales sur la formation médicale continue et sur le bon usage du médicament.

Mme Annie Podeur : La direction de l’hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) a deux missions essentielles qui sont ses deux lignes stratégiques. En tant qu’administration centrale elle mène une action de pilotage du système de santé qui porte sur l’ensemble de l’organisation des soins et pas seulement sur les soins hospitaliers. En ce moment, la DHOS s’investit particulièrement dans l’organisation des soins de premier recours, des soins primaires, des soins ambulatoires, notamment au travers des États généraux de l’organisation de la santé (EGOS) que la ministre m’a chargée de copiloter.

Toujours au sein du pilotage, le deuxième axe majeur concerne les professions médicales et paramédicales. Depuis septembre 2007, à la faveur d’une clarification des compétences entre la direction générale de la santé (DGS) et la DHOS, cette dernière est désormais en charge de l’ensemble du pilotage des professions c’est-à-dire de la vision démographique, de la formation initiale et continue, et non plus seulement de la gestion des personnels hospitaliers, dont une partie qui concerne les praticiens hospitaliers (PH) a été confiée au centre national de gestion. Il lui reste également, en coopération avec l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche, la gestion des effectifs hospitalo-universitaires.

Notre deuxième grande orientation stratégique a trait à l’efficience des établissements de santé, qui passe, d’une part, par l’animation d’une politique de la fonction publique hospitalière, donc par une modernisation, d’autre part, par la gestion de la réforme du financement des établissements, notamment par la mise en œuvre de la fameuse tarification à l’activité (T2A). Je rappelle d’ailleurs que celle-ci n’est pas exclusive et que demeure à ses côtés un financement sous une forme forfaitaire notamment en ce qui concerne les médicaments, les molécules innovantes étant remboursées à l’euro/l’euro sur une liste dite « en sus ». La DHOS porte aussi un regard sur l’optimisation du fonctionnement interne des établissements, en termes d’efficience, ce qui signifie aussi qu’elle s’intéresse à la performance globale, c’est-à-dire à la qualité des soins. C’est bien là que l’on rejoint votre préoccupation quant à la politique du médicament.

En effet, l’amélioration de la prise en charge des patients et la recherche de l’efficience sont au cœur de notre politique, tout particulièrement en ce qui concerne le médicament. Je me propose donc d’aborder devant vous notre rôle dans la formation initiale et continue, de l’illustrer par l’exemple de la démarche intégrée formation initiale -formation continue - évaluation des pratiques professionnelles (EPP) en ce qui concerne les antibiotiques, enfin de vous dire un mot quant à notre politique en faveur du bon usage du médicament dans les établissements hospitaliers.

La formation des médecins est effectivement un élément déterminant de l’amélioration de l’usage du médicament dans le système de santé. Nos attributions en la matière sont récentes. Pour autant, dès ma prise de fonctions, nous avons commencé à travailler dans le champ de la formation médicale continue, avec les trois conseils nationaux qui sont ici représentés par leurs présidents.

C’est en revanche le ministère de la santé qui gère, en relation avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la formation initiale des médecins. Les maquettes de formation ont évolué et il est d’usage de souligner que la part dévolue à la formation en pharmacologie y a diminué. Mais le programme de la deuxième partie du deuxième cycle des études médicales comporte un certain nombre d’items qui permettent d’envisager de façon novatrice l’initiation à la politique du médicament et, surtout, de préparer le bon usage. On trouve ainsi un item sur la protection sociale, la consommation médicale et l’économie de la santé. Il est en effet indispensable que les jeunes médecins aient une vision des grands enjeux médico-économiques du système de santé, au-delà de la seule pharmacologie.

D’autres items touchent plus précisément à leur pratique quotidienne :

– les thérapeutiques antalgiques médicamenteuses et non médicamenteuses ;

– les thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses, vues dans le cadre réglementaire de la prescription, et les recommandations qui doivent être formulées par les praticiens ;

– la prescription et la surveillance des antibiotiques ;

– la prescription et la surveillance des anti-inflammatoires ;

– la prescription et la surveillance des anti-thrombotiques ;

– la prescription et la surveillance des psychotropes ;

– la iatrogénie qui est également une problématique importante, surtout lorsque la population vieillit et que les prescriptions s’alourdissent ;

– le diagnostic et la prévention car le métier du généraliste est bien le diagnostic et il faut qu’il puisse le poser sans avoir automatiquement recours à une panoplie de médicaments.

C’est pourquoi je juge essentiel d’associer théorie et pratique dans la formation médicale initiale, en développant un enseignement véritablement intégré du médicament. Il n’y a pas d’un côté des enseignements théoriques en pharmacologie, d’un deuxième côté l’apprentissage des grandes lignes des grands équilibres médico-économiques et de la place des différents acteurs, d’un troisième côté la pratique. De même que nous disposons à l’hôpital de lieux pour former les jeunes médecins, dès lors que l’on développe la filière universitaire en médecine générale, il est important que les maîtres de stage se préoccupent de la formation pratique à la bonne prescription du médicament.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons bien compris qu’il ne convenait pas de se concentrer uniquement sur la pharmacologie et qu’il fallait avoir une approche transversale qui balaie les différents champs de la stratégie thérapeutique. Mais quel volume horaire d’enseignement jugeriez-vous utile d’y affecter en formation initiale comme en formation continue ?

Mme Annie Podeur : Je souhaite travailler avec la Haute Autorité de santé (HAS) et avec l’enseignement supérieur et la recherche sur les maquettes de formation, afin de préciser les volumes horaires et l’organisation des enseignements. Cependant, je n’ai pris mes fonctions qu’en septembre 2007 et tout cela n’est pas encore défini. Je puis toutefois vous indiquer que je souhaite qu’un accent tout particulier soit mis sur la formation du médecin généraliste car nous développons une filière universitaire et parce qu’il s’agit bien d’un enjeu majeur, les généralistes étant, au quotidien, les premiers prescripteurs auprès des patients.

S’agissant de la formation médicale continue, le dispositif qui a été prévu par l’article 59 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé sera effectif en 2008, les derniers arbitrages étant actuellement en cours. Nous souhaitons qu’il soit très lisible et très accessible pour les médecins. Les obligations de formation pour les médecins devront être respectées, dans un délai de cinq ans. À l’issue de cette période, la formation médicale continue devra comporter, notamment dans le champ du médicament, des objectifs dont on pourra vérifier qu’ils ont ou non été atteints. C’est tout l’intérêt de ce système.

La question de la place de l’industrie pharmaceutique dans la formation médicale continue a été fréquemment posée. Il faut aujourd’hui dépasser les questions de principe et s’assurer que, dès lors que des fonds sont alloués par l’industrie pharmaceutique, ils le sont en toute transparence et dans le respect de l’indépendance des professions médicales. C’est la raison pour laquelle la signature d’un code de bonnes pratiques entre le LEEM – les entreprises du médicament – et l’État va dans le bon sens, puisque le premier s’engage à garantir aux organismes de formation continue qu’il finance une indépendance scientifique et pédagogique. Certes, la Cour des comptes a relevé qu’il ne s’agissait pas d’un système contraignant, mais si l’on se donne les moyens de l’évaluation – et le rôle de la DHOS est bien de s’assurer que cette charte est scrupuleusement respectée – on aura déjà beaucoup avancé et un contenu aura été donné à la formation médicale continue.

Compte tenu du poids de la visite médicale, y compris à l’hôpital, je souhaite que ce dernier puisse également disposer d’une charte de la visite, sur le modèle de celle qui a été signée en juillet 2006, pour la médecine de ville, entre le LEEM et le CEPS, le comité économique des produits de santé. C’est un moyen d’aller vers une bonne prescription, économe des deniers publics.

Au vu du nombre croissant de malades chroniques et du vieillissement de la population, il est également souhaitable de prendre véritablement en compte la iatrogénie, à l’hôpital comme en ville. Cela signifie que la formation médicale continue est indissociable de l’évaluation des pratiques professionnelles. Nous devons d’ailleurs faire comprendre aux médecins généralistes que l’EPP s’inscrit bien dans l’obligation de formation et que l’on tiendra compte de leur capacité à s’engager dans une démarche d’évaluation de leurs pratiques. Cela devrait permettre des avancées considérables.

J’en viens à l’exemple des antibiotiques.

Un accord-cadre sur l’amélioration des pratiques hospitalières a été signé entre l’État, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM, et les représentants des établissements afin d’améliorer la qualité des prescriptions en établissements de santé et de préserver leur efficacité. Parce qu’il peut être audité, l’effort qui a été demandé a été assorti d’une formule d’intéressement. Sur la base de cet accord-cadre national signé en 2006, on a signé 391 accords locaux, ce qui est loin d’être négligeable sur un total d’environ un millier de gros établissements.

On a aussi mobilisé les prescripteurs, avec le concours des sociétés savantes et des conférences médicales, qui ont largement contribué à la préparation de l’accord et qui se sont ensuite chargées de l’expliquer dans les établissements. Cela montre toute l’importance de s’appuyer sur les professionnels.

Nous avons également travaillé en étroite coopération avec la HAS afin que la démarche liée à la bonne utilisation et à la bonne prescription des antibiotiques puisse être une possibilité d’EPP. Le Conseil national de la formation médicale continue hospitalière a également été sensibilisé et, parce que nous avons toujours le souci de l’évaluation, nous avons diffusé un indicateur qui reflète l’usage des antibiotiques au sein des établissements. Il faut maintenant que les informations remontent pour que nous puissions en tirer des conclusions, mais nous souhaitons généraliser cet indicateur en tant qu’indicateur de performance hospitalière qui sera, à terme, rendu public.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous les moyens concrets de mettre en œuvre, sur le terrain, ces nouvelles missions et ces nouvelles ambitions ?

Mme Annie Podeur : Par moyens, on entend surtout moyens financiers, mais je crois que les ressorts sont avant tout managériaux et qu’il faut mettre l’accent sur la diffusion des démarches contractuelles.

Votre question me permet d’en venir à la politique contractuelle que mène la DHOS dans les établissements en ce qui concerne le médicament.

Dans tous les établissements de santé, une commission du médicament joue un rôle extrêmement important et réunit prescripteurs et pharmaciens. Regrouper de la sorte l’ensemble des acteurs autour des thèmes de la prescription et de l’usage du médicament est déjà un atout. Nous avons créé à l’échelon régional des commissions similaires, qui ont une vision générale sur le fonctionnement des commissions dans les établissements ainsi que sur la bonne utilisation des molécules onéreuses, qui représentent, en y incluant les dispositifs médicaux, un volume global de 3,6 milliards d’euros, pour lesquelles la progression de la consommation est très supérieure à l’évolution de l’Ondam, l’objectif national des dépenses de l'assurance maladie, et qui exigent donc un pilotage important.

Entre les deux commissions, le lien se fait sous la forme d’un contrat du bon usage du médicament. Cela permet d’aller plus loin que par le seul pilotage de la liste des molécules innovantes remboursées à l’euro/l’euro ; de travailler à l’articulation avec l’accord-cadre et avec le contrat local pour les antibiotiques ; de développer la prescription en dénomination commune internationale (DCI), ce qui est sans doute la clé d’une bonne utilisation des génériques là où ils présentent le plus grand intérêt, c’est-à-dire en ville ; de mener une réflexion globale sur la bonne prescription afin d’éviter les complications et la iatrogénie liées à un mauvais usage du médicament.

M. Pierre Morange, coprésident : Où en est-on de la contractualisation régionale entre les structures hospitalières et l’assurance maladie, qui avait été prévue par des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) antérieurs ?

Mme Annie Podeur : Pour les antibiotiques un accord-cadre est décliné en accords locaux. Le contrat de bon usage du médicament était également prévu dans le cadre de la réforme du financement. Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre chaque établissement de santé et l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) ont été généralisés. Ils sont pilotés par la DHOS, en liaison étroite avec l’UNCAM, et ils prévoient des objectifs et des revues annuelles systématiques. Il s’agit incontestablement d’un moyen de pilotage important.

Beaucoup d’ARH ont signé avant le 31 mars 2007 des contrats centrés sur les volumes d’activité et les grandes orientations stratégiques. Les directeurs ont jusqu’au 30 juin 2008 pour compléter le dispositif.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les présidents des conseils nationaux pourraient-ils nous expliquer pourquoi il a été prévu trois secteurs de formation continue alors que l’on peut penser que les médecins manipulent tous les mêmes médicaments ?

M. Dominique Bertrand : Nous sommes entrés en fonction en 2004 et le dispositif sera opérationnel cette année. Ce délai peut paraître long, mais un grand nombre de textes réglementaires étaient nécessaires et nous attendons d’ailleurs la publication du dernier décret pour que la formation médicale obligatoire soit véritablement lancée.

Si cette formation est obligatoire depuis toujours d’un point de vue déontologique, il y a longtemps que l’on essaie de la faire entrer dans les faits : des expériences avortées ont été menées en 1992-1993, ainsi qu’en 1996, avant qu’on ne lance le dispositif en 2002, puis qu’on ne le complète en 2003 et en 2004.

L’idée est de poser le principe que tout le monde peut et doit se former. L’exigence ne sera pas trop forte au début, mais l’objectif est bien que tous les médecins soient excellents et que tous soient aptes à la prescription et à la prise en charge efficace et exigeante des soins, tout en restant en concordance avec la science car, contrairement à une idée reçue, l’obsolescence des connaissances médicales est rapide. Il faut donc engager très rapidement tous les médecins dans ce processus : ils devront satisfaire à l’obligation de formation, dans le délai de cinq ans, à partir de 2008. Par la suite, le système évoluera pour chaque période de cinq ans, sans doute avec une fermeté plus grande, afin de répondre aux grandes dérives constatées et de remédier aux prescriptions inadéquates. C’est à ce titre qu’il y aura sans doute un jour un lien avec l’assurance maladie. Toutefois, pour l’instant, il est impératif de lancer sans retard le processus.

Bien que notre métier soit unique, ce sont les différences entre nos pratiques qui justifient l’existence des trois conseils. Dès l’origine, il a été prévu de procéder de la sorte. Pour autant, nous travaillons ensemble au sein d’une coordination que chacun d’entre nous préside à tour de rôle, pour un an. Notre entente est parfaite et notre conduite identique, d’autant que le praticien hospitalier peut devenir médecin libéral et qu’un médecin libéral comme un médecin salarié peuvent devenir praticien hospitalier.

Les différences entre les pratiques s’expriment par exemple dans le temps disponible pour la formation : les praticiens hospitaliers disposent de 15 jours sur leur temps de travail, ce qui n’est pas le cas des libéraux, tandis que, pour les salariés, les situations varient en fonction des conventions. Un de nos objectifs est donc d’uniformiser les règles.

M. Jean Mallot, coprésident : Existe-t-il des actions de formation qui mêlent deux catégories de médecins, voire les trois ?

M. Dominique Bertrand : C’est l’une de nos préoccupations essentielles et notre bonne entente nous a permis d’aller dans ce sens, ce qui n’était pas prévu à l’origine. Une de nos missions consiste à faire en sorte que l’on dispose d’organismes de formation agréés. Dans ce cadre, nous nous efforçons qu’il soit parfois possible de trouver dans la même session de formation des libéraux et des salariés. Nous veillons également à la représentation de la diversité des pratiques au sein des conseils d’administration des organismes.

M. Alain Beaupin : Depuis 2002, nous avons pour mission de fixer les orientations nationales de la formation médicale continue, d’agréer les organismes formateurs et de fixer les règles que doivent suivre les médecins.

Nous nous sommes bien fixé pour règle que les formations dispensées par les organismes agréés puissent s’adresser à des médecins de différentes catégories : avec un seul cahier des charges et un seul dossier, l’organisme peut postuler aux trois agréments et c’est assez fréquemment le cas.

On sait qu’aujourd’hui une part importante du financement de la formation médicale continue provient de l’industrie pharmaceutique. Or, à l’occasion de l’agrément, il nous est demandé de veiller à la transparence du financement de la formation.

M. Jean Mallot, coprésident : Qu’entendez-vous précisément par « une part importante » ?

M. Alain Beaupin : Nous sommes dans l’incapacité de vous donner des chiffres, mais le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) fournit des ordres de grandeur. La campagne d’agrément ayant commencé début 2007 nous ne disposons pas encore des rapports des organismes que nous agréons.

Parmi les 159 établissements qui ont été agréés à ce jour, 20 % ont fait l’objet d’une observation en vue d’améliorer la qualité de leur financement ; 18 % ont reçu une observation au titre de leur politique de gestion des conflits d’intérêts ; 10 % ont eu une observation dans les deux registres. Près de la moitié des organismes ont donc fait l’objet d’une recommandation les incitant à améliorer encore leur attitude dans ce domaine. Quant aux 52 organismes ayant essuyé un refus, celui-ci a été motivé dans 73 % des cas par un problème de conflit d’intérêts ou de manque de transparence du financement.

Tout cela montre que nous nous sommes donné les moyens d’identifier les difficultés et de faire progresser la qualité des organismes.

S’il y a trois conseils, c’est bien sûr parce qu’il y a trois modes d’exercice. Pour ma part, je suis médecin généraliste salarié en centre de santé, mais je représente aussi les médecins de santé scolaire, les médecins du travail, les médecins de la protection maternelle et infantile et les médecins conseil. Or, il me semble que nous avons une voix à faire entendre dans la réflexion sur la consommation de médicaments. En effet, nous ne saurions oublier qu’il ne convient pas d’apporter à tout problème médical une réponse par un médicament et que, si l’on pense bien sûr à la prévention, il est également pertinent d’évoquer les conditions de travail et les conditions sociales.

M. Bernard Ortolan : La loi a effectivement prévu trois conseils. Le travail que nous effectuons ensemble tous les trois depuis quatre ans est, sans doute, exemplaire. Notre volonté sans faille de nous entendre sur un discours qui soit lisible par tous les médecins, quel que soit le statut de leur exercice, et qu’ils puissent s’approprier, traduit une écoute mutuelle et un décloisonnement entre les trois modes d’exercice qui n’a guère de précédent dans l’histoire de la médecine. Cela n’était pas évident et il serait préjudiciable pour la lisibilité du dispositif par l’ensemble des médecins de casser cette dynamique en créant un seul conseil. Il serait en outre hautement souhaitable que cette entente survive aux titulaires actuels des postes.

Mme Annie Podeur a parfaitement résumé les besoins que nous avons identifiés depuis longtemps : il y a maintenant un bon moment que dans la formation médicale continue nous travaillons à l’amélioration des pratiques, à la meilleure connaissance et à la diffusion des référentiels, à la vérification de l’impact des formations sur les comportements. Ce travail n’est pas axé sur le médicament et je dirais même que, la réflexion à ce propos étant polluée par la question du financement, on en parle le moins possible.

D’ailleurs, si l’objectif est de réduire les prescriptions, ce n’est à l’évidence pas seulement celui de la formation médicale continue. Cette dernière vise en effet à améliorer les pratiques, c’est-à-dire à faire en sorte que les médecins soient mieux au fait des connaissances scientifiques, qu’ils agissent en termes de prévention et de santé publique – ce qu’ils ne font pas naturellement dans le tissu libéral. Tout cela procède d’une nouvelle culture de réduction des risques et d’amélioration des comportements des malades, qui doit être apportée dès la formation médicale initiale et qui est relayée par la formation médicale continue.

Dans ce contexte, le choix des cinq thèmes prioritaires de formation médicale continue n’est pas anodin :

– rôle et place des praticiens en situation de crise sanitaire ;

– iatrogénèse ;

– prévention vaccinale ;

– prévention et dépistage des cancers ;

– prévention et réduction des risques environnementaux, comportementaux et professionnels.

Dans ce dernier domaine, il est évident qu’on demande au médecin, non plus de clôturer sa consultation par une liste de prescriptions sur une ordonnance mais, par de nouvelles attitudes et par de nouvelles relations avec le malade, de rechercher chez ce dernier les motivations et les ressources pour modifier ses comportements. Ainsi, on ne traite plus un diabétique avec des médicaments si l’on n’a pas provoqué la prise de conscience qu’il doit modifier lui-même ses comportements.

Si l’on souhaite agir davantage sur les accords de bon usage des soins, il convient sans doute de développer les relations avec les caisses d’assurance maladie. Cette année, ces dernières ont décidé de cibler leurs objectifs de formation médicale continue, donc leurs financements, sur ces accords conventionnels, sur la maîtrise médicalisée et sur la santé publique. Cela donnera sans doute des résultats intéressants en ville, qu’on ne pourra toutefois évaluer qu’ultérieurement, quand nous disposerons de notre système d’information sur le portail dont nous avons absolument besoin pour faire le lien entre la formation médicale continue et les modifications de comportement. Cependant on voit bien que, si tout le financement vient des caisses, c’est ce type d’objectifs qui sera privilégié.

Politiquement, deux objectifs semblent aujourd’hui particulièrement mis en avant : l’amélioration des comportements dans les établissements et les nouvelles formes d’exercice de la médecine générale, dans le cadre des états généraux de l’offre de soins. J’observe à ce propos que les trois conseils de la formation médicale continue ne sont pas invités à ces états généraux. C’est dommage car ils auraient sans doute des choses à dire sur l’évolution des métiers.

M. Pierre Morange, coprésident : On voit bien que l’on est dans un domaine où la multiplicité des acteurs et le manque de coordination posent problème. Or la MECSS a précisément la volonté d’aider à la clarification de l’ensemble du système de protection sanitaire et sociale, non parce qu’elle est obsédée par la simplification, mais parce qu’elle estime que cela concourt à l’optimisation des moyens.

Avez-vous en ce qui vous concerne des propositions concrètes pour passer de la théorie à la pratique ?

Mme Annie Podeur : Nous allons formaliser le dispositif, mais nous ne pouvons plus attendre parce que des médecins sont dans les starting-blocks et que certains ont même déjà pris le départ, par exemple au sein de groupes de pairs. Nous nous trouvons en effet au sein d’une sorte de coordination de très nombreux acteurs au niveau national et nous devons particulièrement veiller à ne pas casser les dynamiques qui sont en train d’apparaître sur le terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Si tout le monde est prêt, qu’est-ce qui vous fait aujourd’hui défaut pour accélérer le lancement du dispositif ? Est-il nécessaire de lever les blocages qui subsistent par des dispositions législatives ou réglementaires ? Comment notre mission peut-elle vous venir en aide ?

M. Dominique Bertrand : Le dispositif est prêt, il y a un barème et un certain nombre d’actions vont entrer en application dès maintenant avant d’être évaluées au bout de cinq ans. Ce qu’il faut désormais, c’est que les gens se lancent. Toutefois cela ne se fera pas forcément dans le domaine du médicament car l’activité des médecins est hétérogène. Pour autant, il est indispensable de parvenir à une homogénéité des pratiques vis-à-vis d’un même patient : celui-ci ne peut pas se voir proposer deux thérapeutiques différentes à deux endroits différents.

Le dernier décret doit paraître prochainement. Dès qu’il aura été publié et que le dispositif d’évaluation individuelle aura été arrêté, nous saurons comment chacun pourra valider sa formation continue et nous pourrons passer à l’étape suivante pour rendre le dispositif utile, efficace et efficient. Néanmoins la première étape est celle de la mise en route au cours de laquelle les exigences ne seront sans doute pas celles que vous appelez de vos vœux. Par la suite, nous disposerons sans doute d’informations en provenance des caisses d’assurance maladie qui nous permettront d’homogénéiser et d’améliorer les pratiques.

M. Bernard Ortolan : Nous avons pleine confiance dans les services de la DHOS qui s’efforcent d’aplanir les dernières difficultés. Il est certain que la mise en place d’un tel dispositif n’est pas chose aisée, mais bientôt douze ans se sont écoulés depuis les ordonnances Juppé. Cela semble long, d’autant que les médecins y avaient adhéré en 1996, qu’on leur en a parlé à nouveau en 2002 et qu’on continue à leur en parler, depuis quatre ans que nous sommes installés. Si le dispositif n’était pas opérationnel dans le courant de cette cinquième et dernière année, on pourrait véritablement parler d’échec.

Il ne manque donc qu’un décret, qui pourrait toutefois remettre en question un certain nombre de dispositions prévues par les textes antérieurs. Nous souhaitons que sa rédaction permette de lancer officiellement la première période quinquennale, au plus vite et si possible de manière rétroactive au 1er janvier 2008, sans pour cela installer obligatoirement les conseils régionaux de la formation médicale continue, dont on n’a pas besoin tout de suite et qui pourraient attendre la nouvelle loi sur la régionalisation de l’organisation du système de santé, annoncée par le premier ministre.

Nous voudrions que la volonté politique soit suffisamment forte pour que le dispositif de formation médicale continue soit opérationnel au cours du premier trimestre 2008 car, comme l’a dit Mme Annie Podeur, les médecins ont déjà commencé : plus de 8 000 cycles d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) ont été lancés ; 105 organismes ont été agréés par la Haute Autorité de santé pour délivrer les procédures d’EPP éligibles à l’obligation de formation ; nous-mêmes avons agréé plus de 150 organismes qui mènent des actions éligibles au crédit-formation et un certain nombre de médecins disposent de justificatifs qu’ils aimeraient faire valoir. Si tout cela ne fonctionne pas, le risque de découragement est grand.

M. Alain Beaupin : On a aujourd’hui quelques financements publics avec l’assurance maladie et la formation professionnelle conventionnelle. Je forme le vœu que des dispositifs permettant aux médecins de financer leur formation de façon plus indépendante voient le jour, par exemple sous la forme d’un crédit d’impôt leur permettant de suivre la formation médicale continue obligatoire.

M. Dominique Bertrand : Nous allons créer dans les six mois qui viennent, grâce au soutien de la DHOS, un portail qui permettra à chacun non seulement de présenter les actions qu’il mène mais aussi de les valider de façon quasi automatique, ce qui nous dispensera de la lecture fastidieuse d’un grand nombre de documents.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Sait-on quel est l’investissement de l’industrie pharmaceutique dans son ensemble dans la formation continue des médecins libéraux ?

Le but de notre mission est de comprendre pourquoi trop de médicaments sont consommés en France. À cet égard, on peut penser que la mise en vente libre de certains médicaments dans les pharmacies, devant les comptoirs, conduira rapidement, au regard des 9 milliards de chiffres d’affaires qui sont en jeu pour l’industrie pharmaceutique, à ce que ces médicaments arrivent dans les rayons des supermarchés. Cette mesure ne risque-t-elle pas d’avoir un effet pervers au regard de tous les efforts que nous faisons, vous comme nous, pour réguler la consommation de médicaments dans notre pays ?

M. Bernard Ortolan : Le financement est la bouteille à l’encre de la formation médicale continue comme de l’évaluation des pratiques professionnelles. Le rapport de l’IGAS, de 2006, concernant la formation médicale continue, indiquait le montant de l’argent public mobilisé, soit 60 à 70 millions d’euros par an : 35 millions au titre de la formation professionnelle conventionnelle, 5 millions au titre de la cotisation obligatoire des médecins de 47 €, collectée par le Fonds d'assurance-formation des professions libérales (FAF-PL), auxquels il faut ajouter les sommes qu’injecte la direction générale de la santé à l’occasion de campagnes comme celle de 1990 sur le sida ou celles de 2006 et 2007 sur la grippe aviaire.

Le rapport de l’IGAS indiquait aussi que le besoin de financement était couvert dans une fourchette de 300 à 600 millions d’euros par l’industrie pharmaceutique. Pour notre part, nous n’avons pas les moyens d’effectuer de tels calculs, d’autant que nous ne savons pas ce qui se passe partout sur le terrain et que sont probablement incluses dans cette enveloppe toutes les petites soirées des laboratoires qui étaient organisées jusqu’ici et qui, désormais, ne seront pas interdites mais ne pourront plus être validées au titre de la formation médicale continue.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous sommes tout prêts à vous apporter notre aide pour que le décret que vous attendez paraisse le plus rapidement possible.

S’agissant du besoin de financement, vous avez donné une fourchette très large. En tant que responsable de la formation médicale continue, avez-vous une idée plus précise des sommes qui seraient nécessaires à une formation de qualité ?

M. Bernard Ortolan : Si l’on exclut ce qui relevait jusqu’ici de la promotion et si l’on ne permet à l’industrie de financer que des programmes conformes à la charte du LEEM, qui laissent en particulier toute liberté pédagogique aux opérateurs agréés, je pense que 200 millions d’argent public supplémentaires permettraient aux 200 000 médecins en exercice de réaliser leur formation annuelle.

Le Fonds interprofessionnel de formation des professions libérales (FIF-PL) réfléchit actuellement à une augmentation de la cotisation des autres professionnels libéraux. Dans notre rapport 2005, nous avions suggéré que l’on augmente également la cotisation de 47 € perçue par le FAF-PL. On pourrait sans problème la doubler ou la tripler car elle est recueillie par les Urssaf et totalement indolore. Cela procurerait 10 millions d’argent public supplémentaires, ce qui n’est quand même pas négligeable pour garantir l’indépendance des médecins dans le financement de leur formation médicale continue.

Les choses sont plus compliquées en ce qui concerne le médicament. Les médecins n’avaient jusqu’ici pas été formés à la négociation avec les patients pour réduire les prescriptions. Désormais, on leur apprend à savoir dire non, on les forme à l’éducation des patients, en particulier à l’éducation thérapeutique et à l’éducation pour la santé. À eux ensuite de former leurs patients, mais tout cela prend du temps et n’est pas inclus dans le prix de la consultation.

Peut-être les jeunes générations pourront-elles se tourner davantage vers les recommandations que vers les prescriptions et assisterons-nous au développement des médicaments OTC (Over the counter), vendus devant le comptoir. Mettre les médicaments dans les grandes surfaces, comme en Angleterre, est une vraie question de santé publique, sur laquelle je ne veux pas me prononcer pour l’heure, même s’il est vrai que cela pourrait avoir des effets néfastes sur la santé.

M. Jean Mallot, coprésident : Il nous faut malheureusement interrompre cette audition. Je vous remercie d’y avoir participé. Nous vous demanderons de bien vouloir répondre par écrit aux questions que nous n’avons pas eu le temps de vous poser mais aussi de nous faire toutes les suggestions que vous jugerez utiles.

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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition de Mme Nathalie Tellier, chargée de mission à l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et membre du bureau du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), M. Jacques Mopin, administrateur de l'Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir, accompagné par M. Christophe Le Guehennec, chargé de mission santé, et M. Thierry Saniez, délégué général de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV).

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. M. Christian Saout, président du bureau du Collectif interassociatif sur la santé (CIS), qui devait également intervenir au cours de cette audition, s’est excusé. Mme Nathalie Tellier s’exprimera en son nom.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : En médecine de ville, la prescription de médicaments est effectuée dans un colloque singulier entre médecin et patient, régi par une charte datant de 1928. D’une certaine manière, madame, messieurs, vous représentez les patients. Selon vous, pourquoi 90 % des consultations chez un médecin généraliste en France sont suivies d’une prescription de médicaments alors que ce taux est bien plus bas dans les autres pays européens ? Pensez-vous que le patient exerce une pression sur le médecin pour obtenir à tout prix un médicament, ou que la prescription est du seul ressort du médecin ?

M. Thierry Saniez : D’après les retours que nous avons, le problème est surtout d’ordre culturel et forme donc un tout. En France, le curatif l’emporte sur la prévention. Lorsque le patient va chez son médecin, plus il y a de médicaments prescrits, plus cela lui semble crédible.

Un chantier énorme reste ouvert en matière de prévention. S’agissant des médicaments, un travail de sensibilisation et même d’éducation est nécessaire tant auprès du personnel médical que de la population pour faire prendre conscience que le fait de prescrire plus de médicaments ne correspond pas forcément à une meilleure action curative.

Mme Nathalie Tellier : Il s’agit en effet d’un problème de société. Cependant, en tant que représentante tant de l’UNAF que du CISS, il m’est impossible de ne pas réagir aux propos tenus lors de l’audition qui a précédé la nôtre. On est dans la droite ligne d’une déclaration de la Confédération des syndicats médicaux français aux termes de laquelle « la prescription est l’issue d’une négociation avec le patient. Si, par exemple, une prescription comporte un antibiotique alors que le patient ne souffre que d’une maladie virale, c’est que le médecin a subit une énorme pression. » Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, c’est le médecin qui détient le savoir et qui tient le stylo. La relation avec le patient est asymétrique. Certains patients peuvent demander telle ou telle prescription, mais c’est le médecin, in fine, qui prescrit. Certes, l’UNAF a observé que certaines crèches exigent une prescription d’antibiotiques pour reprendre un enfant malade, mais l’exemple reste marginal.

On ne saurait donc parler de pression du malade. Le problème tient à l’habitude qu’ont prise les médecins et les patients. Le fait que l’assurance maladie garantisse un remboursement correct est aussi un facteur non négligeable.

On ne fera évoluer les choses qu’à la condition d’une prise de conscience générale. La campagne menée sur les antibiotiques est de ce point de vue exemplaire car elle a délivré les mêmes informations aux patients et aux médecins et s’est traduite par une baisse de 20 % des prescriptions d’antibiotiques. C’est bien la preuve que le travail éducatif doit s’exercer en direction de tous les acteurs pour être efficace.

M. Thierry Saniez : Il arrive de plus en plus que des patients collectent des informations sur l’Internet, puis en fassent part au médecin pour exiger telle ou telle prescription. En outre, la médecine est soumise à une vision trop utilitariste : on prescrit pour résoudre le problème immédiat, sans s’attacher suffisamment à la résolution du problème de fond. L’état des personnes consommant des antidépresseurs est souvent dû à des modes de vie, à des conditions de travail, etc., qui en sont les vraies causes.

M. Jacques Mopin : L’UFC-Que choisir a réalisé des études qui démontrent clairement la responsabilité de l’industrie pharmaceutique dans la surconsommation de médicaments. Dans une enquête auprès de nos lecteurs, nous avons posé la question : « À qui accordez-vous votre confiance ? », en proposant de choisir parmi une soixantaine de professions. Le médecin généraliste, avec 90 % de confiance absolue, est arrivé juste après les sapeurs-pompiers. Que l’on n’aille donc pas parler de rapport équilibré ! La demande des patients, indéniable, est sans proportion avec la surconsommation actuelle de médicaments. Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), citée dans le rapport de l’IGAS sur l’information des médecins sur le médicament, établit formellement qu’à chaque campagne de promotion d’un médicament correspond un pic de prescription dudit médicament. Il n’est plus ici question de santé publique et d’intérêt du patient.

A contrario, lorsqu’une campagne aboutit à une réduction de 20 % des prescriptions d’antibiotiques, on peut en conclure qu’il existait auparavant 20 % de prescriptions erronées. Le ratio entre le nombre de visiteurs médicaux et le nombre de médecins est de un pour neuf en France. Il n’est inférieur qu’aux États-Unis. Aux Pays-Bas, il s’élève à un pour trente-quatre, et le patient sort de chez le médecin avec une ordonnance moins d’une fois sur deux. La corrélation est patente.

Pour arriver à enrayer ce qui est, à nos yeux, une catastrophe de santé publique assortie d’une catastrophe financière, il faut impérativement rééquilibrer l’information délivrée au médecin. Nous avons donc proposé de promouvoir l’information publique en créant un corps de visiteurs médicaux dépendant de la Haute Autorité de santé (HAS), tout en ramenant la part de l’activité des visiteurs médicaux de 10 % actuellement à 4 % du chiffre d’affaires des sociétés pharmaceutiques.

M. Thierry Saniez : Nous partageons l’analyse de l’UFC-Que choisir. Le problème est connu de tous et il faut œuvrer pour une information plus indépendante et assurée par le secteur public. Lors de l’audition qui vient de se dérouler, un intervenant a affirmé que l’on pourrait assurer la formation de 200 000 médecins une semaine par an avec 170 millions d’euros. Cela peut constituer une piste.

M. Pierre Morange, coprésident : La mise en place d’un corps de quelque 1 700 intervenants constitué de médecins pour un tiers et d’infirmières pour deux tiers entraînerait un transfert vers la Haute Autorité de santé des fonds affectés actuellement par l’assurance maladie à l’action des délégués de l’assurance maladie, les DAM. Il convient aussi de prendre en considération les incidences techniques et statutaires d’une telle réforme, à un moment où l’assurance maladie s’emploie à optimiser sa politique de ressources humaines. Est-il souhaitable de soustraire les DAM à l’assurance maladie alors que la vocation légitime de celle-ci est d’accompagner ce dispositif ? La volonté de s’en remettre à la HAS tient, certes, à ce que les interventions de l’assurance maladie sont parfois mal vécues par les praticiens, mais la multiplicité des structures ne risque-t-elle pas de retarder la mise en œuvre d’un dispositif efficace ?

M. Christophe Le Guehennec : Nos propositions sont précisément guidées par la volonté de faire avec ce qui existe. Les mesures pragmatiques que nous préconisons sont en grande partie reprises des rapports de la Cour des comptes et de l’IGAS. Elles sont conçues pour être appliquées le plus rapidement possible.

Ainsi, nous souhaitons que les délégués de l’assurance maladie deviennent des « visiteurs médicaux publics » dépendant de la Haute Autorité de santé. Il ne saurait être question de faire disparaître leur réseau pour en créer un autre.

M. Pierre Morange, coprésident : Cependant les DAM, quelles que soient par ailleurs leurs compétences, ne sont ni des médecins ni des infirmières.

M. Christophe Le Guehennec : Nous en sommes bien conscients, mais ils ont acquis une expérience de terrain dont il serait dommage de se priver. En ajoutant à cet effectif des médecins et des infirmiers, on pourra atteindre le chiffre de 1 700 visiteurs médicaux publics, qui nous semble adapté.

M. Pierre Morange, coprésident : Donc la proportion d’un tiers de médecins et de deux tiers d’infirmiers est un objectif de moyen ou de long terme.

M. Christophe Le Guehennec : En effet. Dans un premier temps, la Haute Autorité de santé pourrait porter un regard sur le réseau des DAM pour vérifier que l’action menée est conforme, du point de vue médical, aux avis de la commission de la transparence et aux recommandations de bonnes pratiques.

Mme Nathalie Tellier : Il est à la mode de parler de la « responsabilisation du patient », expression qui laisse entendre que celui-ci n’est pas responsable. Dans les années 1990, une commission du syndicat national de l’industrie pharmaceutique avait travaillé sur l’éducation des enfants au médicament au sein du système scolaire. L’initiative a été ensuite abandonnée, mais il s’agit là d’un bon moyen pour parvenir à une prise de conscience. Il faut persuader patients et médecins que l’on ne peut tout résoudre avec les médicaments et il serait bon d’associer de nouveau l’éducation nationale à des actions en direction des enfants.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les actions engagées comportaient-elles un volet de prévention ?

Mme Nathalie Tellier : Non, la démarche de prévention n’en était qu’à ses débuts alors qu’à l’heure actuelle c’est la principale perspective pour l’avenir. Le Collectif interassociatif sur la santé regroupe essentiellement des associations de malades qui mettent toutes l’accent sur la prévention et dont beaucoup développent des programmes en ce sens.

M. Pierre Morange, coprésident : Il n’est nullement dans notre intention de nous prononcer sur les responsabilités respectives des médecins et des patients. Le praticien, détenteur du savoir médical, est évidemment en position dominante. Inversement, la demande de la part du patient ne saurait être niée.

À côté de cela, beaucoup d’informations circulent sur l’Internet et échappent aux réseaux structurés qui garantissent la certification sanitaire des produits, notamment le réseau des pharmaciens. Ces derniers, de par l’obligation de conseil à laquelle ils sont soumis, participent à l’éducation sanitaire. Or, l’Internet permet la livraison de médicaments en dehors de tout contrôle ou propose des produits qui répondent à une logique purement mercantile. Le monde associatif prend-il des initiatives pour évaluer et combattre ces risques ?

M. Thierry Saniez : Notre expérience sur le terrain nous montre, d’une part, que les personnes sont demandeuses d’information, d’autre part, que tout un public n’est atteint ni par l’information institutionnelle classique ni par celle qui circule sur l’Internet. Cependant, lorsqu’un message est clair et lisible, les personnes se montrent prêtes à évoluer. Ainsi le programme national nutrition santé (PNNS) a-t-il réussi à faire passer son message « cinq fruits et légumes par jour » auprès d’une grande partie de la population. Concernant l’Internet, ne pourrait-on concevoir un grand portail public d’information qui constituerait une référence ?

M. Jacques Mopin : La commission de la qualité de l’information médicale de la Haute Autorité de santé, dont je fais partie, travaille sur ces sujets, puisque la loi dispose que la HAS devra certifier les sites Internet consacrés à la santé. S’il est impossible de certifier un site en particulier, il est au moins possible de valider des procédures permettant au patient de se faire une idée de l’endroit où il met les pieds : qui finance le site, qui délivre l’information, d’où l’information provient-elle, de quand date-t-elle ? La HAS s’oriente donc vers un dispositif de certification des procédures, afin de dissuader le patient de consulter le site si celui-ci ne répond pas à une série de critères. Le travail sur ce sujet touche à sa fin. Il conviendra d’assurer sa diffusion auprès du public car c’est une approche qui permettra de limiter les dégâts tout en se préservant de la tentation irréaliste de régenter le Web.

M. Christophe Le Guehennec : La Haute Autorité de santé a choisi un institut suisse, Health on the net (HON), pour être l’organe certificateur qui appliquera cette charte aux multiples sites consacrés à la santé. Sans être infaillible, tant s’en faut, la procédure permet une certaine lisibilité.

Du reste, la multiplicité des sources d’information renforce encore le rôle du médecin et du pharmacien, qui devront filtrer ce qui a été trouvé sur l’Internet. Il est d’autant plus important qu’ils disposent d’une information objective, émanant des autorités de santé et formatée pour répondre à leurs besoins quotidiens. Nous en sommes loin aujourd'hui.

M. Jacques Mopin : Si nous souhaitons instituer des visiteurs médicaux publics, c’est aussi parce que les médecins apprécient de recevoir des visiteurs. L’enquête de la HAS fait ressortir un plébiscite (environ 90 %) en faveur de ces visites, alors même que seuls 26 % des médecins interrogés considèrent comme objective l’information délivrée. Ils sont sensibles à ce qu’on leur apporte de l’information mais l’information objective publique emprunte à l’heure actuelle des canaux inadaptés à leurs besoins.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quels retours avez-vous des usagers du système de soins ? Estiment-ils que la consultation médicale leur apporte une bonne information en matière de prévention, notamment sur les sujets d’hygiène diététique ? Le message « Cinq fruits et légumes par jour », massivement diffusé, est en effet bien passé, mais qu’en est-il dans le colloque singulier entre le médecin et le patient ?

Puisque vous représentez les consommateurs – et que les patients sont devenus, pour une part, clients –, que pensez-vous de la mise en vente libre de médicaments devant les comptoirs des pharmacies, qui prélude peut-être à une commercialisation dans les supermarchés comme dans les pays anglo-saxons ? On sait que, aux États-Unis, l’iatrogénie figure parmi les dix premières causes de mortalité.

Mme Nathalie Tellier : La démarche de prévention est en train de se développer dans la pratique des médecins. Ceux-ci formulent de plus en plus de préconisation sur l’hygiène de vie. L’action des associations de patients est également importante, mais M. Christian Saout vous en aurait parlé mieux que moi.

En ce qui concerne l’automédication, il n’y a pas forcément d’opposition de la part des représentants des patients, à la condition que ce ne soit pas un objet économique. Aujourd'hui, on constate que les médicaments augmentent de 30 % à partir du moment où ils font l’objet d’un déremboursement. La mise en place de l’automédication suppose une information et une éducation. Le pharmacien doit jouer son rôle, par exemple grâce au dossier pharmaceutique que l’on est en train de mettre en place : le professionnel de santé pourra alors avoir connaissance de tous les médicaments, qu’ils soient prescrits ou non, achetés par le patient durant les quatre derniers mois, ce qui devrait permettre d’éviter les redondances et le risque d’iatrogénie. Par ailleurs, le « Web médecin » permet d’ores et déjà aux professionnels de santé, en attendant le dossier médical personnel, d’avoir accès à l’historique des remboursements dont a bénéficié le patient depuis un an.

Aujourd'hui, le prix des produits en vente libre dans une pharmacie n’est pas toujours clairement affiché. Or, à la suite d’un rapport du Conseil national de la consommation, un arrêté a été pris en 2003 pour obliger les pharmaciens à rendre publics et visibles les prix des médicaments non remboursables, qu’il y ait prescription obligatoire ou non, à tenir un répertoire de tous les médicaments à prix libre délivrés uniquement sur prescription médicale, et à indiquer sur une affichette que le prix des médicaments non remboursables est libre. En 2007, l’enquête menée par la DGCCRF – la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – sur ce sujet dans 1 000 pharmacies s’est traduite par 638 rappels à l’ordre.

Si l’avenir est assurément à l’automédication, il faut cependant que chacun tienne son rôle. Les prix doivent rester raisonnables et le pharmacien, tout comme le médecin, doit donner l’information nécessaire au patient.

Thierry Saniez : Pour en revenir à la campagne du PNNS, la question qui se pose maintenant est de savoir ce que signifie exactement « manger cinq fruits et légumes ».

En matière de prévention, on constate certes des avancées sur le terrain mais la situation est loin d’être satisfaisante. Le vrai souci des patients actuellement est de savoir comment ils pourront continuer à payer les soins alors qu’ils doivent désormais acquitter des franchises. Avec 2 % des dépenses consacrées à la prévention, nous sommes de toute façon loin du compte.

Pour ce qui concerne l’automédication, notre confédération considère que, si un médicament ne nécessite pas de prescription médicale et se trouve en vente libre, il faut un assouplissement des conditions de sa commercialisation. De même, nous sommes favorables à un assouplissement du numerus clausus des officines.

L’an dernier, une étude que nous avons menée sur le paracétamol a révélé que les pharmaciens délivraient systématiquement les produits de marque, beaucoup plus chers que les « non-marques ». Dès lors que le produit n’est pas en accès direct et que le pharmacien est rémunéré au pourcentage du chiffre d’affaires, il est forcé que l’on ne propose pas le produit le moins cher, le générique, etc. C’est tout le système, fondé uniquement sur la vente, qui est à revoir à l’aune des objectifs poursuivis. Le chantier est considérable.

Une autre de nos études met en évidence notre retard en matière de génériques par rapport à des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Un important travail d’information reste à mener en ce domaine. Comment inciter le pharmacien à distribuer plus de médicaments génériques alors que sa rémunération est au pourcentage ? Nous nous sommes opposés aux franchises mais, dès lors qu’elles ont été instaurées, ne pourrait-on en dispenser les génériques ?

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je précise que c’est la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale qui a écarté l’idée d’exempter de franchise les médicaments génériques.

M. Jacques Mopin : La prévention se heurte à d’énormes obstacles économiques. Lors du lancement de notre campagne de lutte contre l’obésité infantile, nos associations locales ont mené des enquêtes sur le terrain et ont analysé les aliments pour enfants qui faisaient l’objet d’une démarche marketing dans la grande distribution. Il est apparu que ceux-ci, dans leur quasi-totalité, étaient extrêmement déséquilibrés : trop gras, trop sucrés, trop salés. Nous avons ensuite organisé une centaine de conférences de presse pour présenter ces résultats. Or, pas plus d’un média sur dix ne s’est déplacé, les plus honnêtes reconnaissant qu’ils ne venaient pas car ils ne voulaient pas être obligés de dire du mal de leurs annonceurs. Cela ne laisse pas d’inquiéter.

Tout notre système tend à vendre le plus de produits possible. On trouve normal que l’obésité fasse l’objet d’une prise en charge médicale, tandis que l’information relative à la prévention se heurte à des obstacles économiques, apparemment insurmontables. On ne parvient même pas à obtenir des grands distributeurs l’engagement de ne plus mettre ces aliments déséquilibrés aux caisses de sortie, là où ils sont à la portée des enfants. L’association des professionnels s’occupant des devants de caisse, dont j’ai découvert l’existence à cette occasion, n’est assurément pas prête à nous emboîter le pas en matière de prévention !

L’UFC-Que choisir est très réticente en ce qui concerne l’automédication. Nous partons du principe qu’un médicament est toujours, sous tel ou tel aspect, un poison. Le développement de l’automédication risque de provoquer des problèmes de santé publique. Lors des travaux préparatoires pour le rapport sur l’automédication présenté par M. Alain Coulomb, l’industrie pharmaceutique a argué de ses efforts en matière de prix des médicaments remboursés pour demander l’ouverture du marché de l’automédication. D’où nos réticences…

M. Thierry Saniez. La CLCV partage ces constats. Elle travaille actuellement au développement d’un grand portail d’information sur l’alimentation. En analysant plusieurs publicités télévisées dans ce domaine, nous avons établi que les règles du Bureau de vérification de la publicité (BVP) – aujourd'hui dénué de tout pouvoir de sanction – étaient systématiquement bafouées. Nous appelons de nos vœux un système comparable à celui en vigueur au Royaume-Uni, où les consommateurs peuvent saisir directement une autorité administrative pour édicter des règles claires et interdire telle ou telle publicité. On ne peut rechercher d’un côté à réduire les dépenses de santé et la consommation de médicaments, et faire tout, d’un autre côté, pour que les gens en arrivent à des situations où ils sont obligés d’aller voir le médecin et de consommer des médicaments.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie pour vos contributions et vous invite à communiquer à la Mission les enquêtes ou les études dont elle n’aurait pas eu connaissance.

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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l’audition de M. Bertrand Garros, président de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), et M. Philippe Lamoureux, directeur général.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles préconisations l’INPES pourrait-il formuler dans le domaine de la prescription et de la consommation des médicaments afin d’améliorer la qualité de soins et l’efficience ?

M. Bertrand Garros : Tout d’abord, si vous le permettez, quelques mots de présentation générale.

L’INPES est un établissement public qui dispose d’un conseil d’administration réunissant des représentants de l’État, des organismes d’assurance maladie obligatoire et complémentaire, des associations de prévention ainsi que des usagers. La loi lui confie cinq missions principales : participation à la mise en œuvre des programmes de santé publique, expertise et conseil, développement de l’éducation pour la santé, participation à la gestion des situations de crise, établissement des programmes de formation à l’éducation pour la santé.

L’INPES dispose d’un budget de 120 millions et 140 personnes y travaillent. Il s’appuie sur les réseaux d’éducation pour la santé – comités régionaux et départementaux – et participe aux groupements régionaux de santé publique, les GRSP. Onze programmes prioritaires ont ainsi été mis en place, la plupart thématiques. L’INPES publie tous les cinq ans des « baromètres santé » permettant de mesurer l’évolution des comportements et développe également une activité importante dans le domaine de la communication – l’INPES étant le plus gros acheteur public d’espace publicitaire – à travers notamment un pôle de téléphonie sociale : Tabac info service, Sida infos service… Près de 70 millions de documents sont en outre distribués chaque année.

L’INPES développe aussi des sites Internet en fonction des différentes campagnes de prévention. Sa lettre électronique, enfin, est distribuée à 15 700 exemplaires.

L’INPES soutient par ailleurs les acteurs de terrain à travers des subventions ou des aides à la diffusion de matériels pédagogiques. Il a également signé un partenariat avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) afin de mieux prendre en compte les besoins de la population.

Les questions de la prévention et du médicament sont en effet fondamentales depuis longtemps, comme en atteste par exemple la vaccination. L’utilisation de médicaments – les statines, par exemple – en prévention primaire soulève également un certain nombre de problèmes. Certains experts considèrent d’ailleurs qu’il serait bienvenu de généraliser leur prise à condition qu’elles soient faiblement dosées.

Si l’on évoque souvent la prévention, la promotion de la santé est d’ordinaire moins mise en valeur alors qu’elle concerne toutes les actions visant à favoriser ce qui conditionne favorablement notre santé : bien-être, qualité de l’environnement, alimentation, sexualité. En relèvent par exemple la contraception orale, le traitement hormonal substitutif, les dysfonctionnements érectiles, la lutte contre le vieillissement ou la douleur.

Nous n’ignorons pas non plus la question de l’usage détourné des médicaments à des fins toxicomaniaques ou de dopage.

L’INPES s’est également efforcé de poser un certain nombre de questions transversales, dont l’intervention de la protection sociale obligatoire et complémentaire : jusqu’où faut-il aller dans la prise en charge de la prévention ou de la promotion de la santé ? Pourquoi certains produits sont-ils remboursés et d’autre pas ? Comment réduire les inégalités sociales et territoriales ? Quid des effets à long terme de médicaments préventifs destinés à un grand nombre ? Quelle est la place du médicament dans des stratégies de prévention ? Comment, par exemple, favoriser l’accès aux diététiciens ?

Je note, enfin, que la question de la réduction de la consommation des antibiotiques avait d’abord été abordée sous l’angle économique et que cela n’a pas donné les résultats escomptés. En revanche, lorsqu’elle l’a été sous l’angle médical en mettant en avant les problèmes liés aux résistances bactériologiques, le message est beaucoup mieux passé, et auprès des professionnels, et auprès des patients.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : L’impact de la dernière campagne de l’INPES consacrée à la dépression a-t-il été évalué auprès des médecins ?

M. Philippe Lamoureux : Avant de répondre à votre question, je tiens tout d’abord à préciser que les politiques de prévention visent à augmenter l’espérance de vie en bonne santé. Les relations entretenues avec le médicament sont dès lors ambivalentes puisque, dans certains domaines, les actions de prévention contribueront à en accroître la consommation. Il est en outre plus facile, parfois, de prescrire un médicament plutôt que de conseiller simplement une pratique sportive ; la lutte contre l’obésité en est un bon exemple.

Il est donc encore trop tôt pour évaluer l’impact de la campagne sur la dépression mais d’ores et déjà, 600 000 guides ont été diffusés dont 255 000 par commande spontanée des personnes ayant vu ou entendu les spots. Nous sommes de surcroît en relation avec l’assurance maladie de manière à pouvoir bénéficier d’un certain nombre d’indicateurs. Il faut noter que le dispositif d’information à destination du grand public est également couplé avec un dispositif à l’adresse des professionnels de santé. Nous avons considéré, enfin, qu’il fallait changer de regard sur la dépression en la considérant vraiment comme une maladie et non comme un trouble de l’humeur.

La logique des politiques de prévention repose sur le développement des aptitudes individuelles et sur la création d’environnements favorables à la santé. L’INPES s’époumone ainsi à organiser des campagnes de promotion pour le sport, mais 20 000 vélos en accès libre dans une ville permettent d’économiser le prix d’une campagne et les effets sur la santé sont bien réels. Il en va de même si l’on retire les distributeurs de produits gras et sucrés dans les écoles ou si l’on interdit de fumer dans les lieux publics.

Enfin, travailler sur la problématique de la prévention et du médicament, c’est également travailler sur la question de l’observance – prévention tertiaire – puisque 50 % des patients atteints de maladie chronique ne sont pas observants pour des raisons d’ailleurs très variables. Une approche globale est donc nécessaire. Nous venons à cette fin de publier un guide sur l’éducation thérapeutique du patient : c’est d’abord à partir de lui qu’il importe de raisonner.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Travaillez-vous en partenariat avec l’éducation nationale ? Si oui, sur quels thèmes ?

M. Philippe Lamoureux : Ce partenariat est très étroit. Nous avons signé une convention cadre avec le ministère de l’éducation nationale, en particulier avec la direction générale de l’enseignement scolaire. Nous considérons les professionnels de l’éducation à l’instar des professionnels de santé. Une circulaire de 1998 et un décret de 2007 prévoient de développer l’éducation pour la santé en milieu scolaire en incluant cette discipline dans le socle des connaissances. Notre but est de travailler, dès la maternelle, sur le développement des aptitudes individuelles : estime de soi, capacité à gérer des conflits, esprit critique, lesquels constituent autant de facteurs de protection.

Nous avons en outre une chance historique, puisque 50 % des maîtres seront remplacés dans les sept années à venir et que l’on peut d’ores et déjà mieux former les étudiants en IUFM – institut universitaire de formation des maîtres – à l’éducation à la santé. Un partenariat avec les IUFM a d’ailleurs été conclu. Nous créons également des outils pédagogiques gratuits que nous mettons à la disposition des écoles ; cette année, 30 000 mallettes pédagogiques seront distribuées. Des difficultés demeurent néanmoins, puisque les projets dépendent sans doute trop étroitement de ceux qui les mettent en œuvre dans les établissements. Notre but est de faire en sorte que les projets d’éducation à la santé s’inscrivent dans le cahier des charges de chaque établissement scolaire.

M. Bertrand Garros : Les comités départementaux et régionaux d’éducation à la santé sont également très impliqués, notamment dans le cadre des schémas régionaux d’éducation à la santé.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Considérez-vous que la médecine scolaire contribue à véhiculer les informations sur la prévention ? Le dispositif actuel est-il suffisant ?

Êtes-vous par ailleurs confrontés à des pressions provenant des groupes alimentaires par exemple ? De quels moyens d’action disposez-vous ?

M. Bertrand Garros : Non seulement la médecine scolaire manque malheureusement de moyens mais le binôme médecins - infirmières soulève parfois quelques problèmes hiérarchiques. En outre, les situations varient beaucoup en fonction des endroits. Il convient, enfin, de s’interroger sur l’articulation entre la médecine scolaire et la médecine ambulatoire.

L’INPES n’est pas quant à lui à l’abri du lobbying.

M. Philippe Lamoureux : Nous pensons que la politique de santé doit être portée par l’ensemble de la communauté éducative et non seulement par les médecins et les infirmières scolaires. Avant de se poser la question de savoir si les médecins scolaires sont assez nombreux, leur demande-t-on d’accomplir les actions les plus adéquates ? Ne serait-il pas possible, par exemple, de leur demander de faire un peu moins d’actions individuelles et un peu plus d’interventions collectives, notamment dans les classes ?

La logique du programme national nutrition santé (PNNS) est positive et il n’est pas question de montrer du doigt tel ou tel produit ou telle ou telle marque, même si nous avons parfois des discussions assez franches avec les représentants de l’industrie agroalimentaire. Nous souhaiterions en revanche que certaines marques fassent preuve d’un plus grand souci de vérité dans leur communication car il est toujours étonnant de lire des slogans tels que : « La première sucette sans gras » ou « Mangez de la confiture, vous aurez vos cinq fruits et légumes ». L’INPES n’a pas les moyens de s’opposer à ce type de publicités et le bureau de vérification de la publicité (BVP) étant un office professionnel et non une autorité administrative indépendante ou un établissement public, lui non plus ne peut intervenir sur un plan juridictionnel. Il est vrai, par ailleurs, que les principaux repères de consommation sont bien connus mais qu’il reste à agir.

M. Pierre Morange, coprésident : De quelle manière ?

M. Philippe Lamoureux : À travers un certain nombre de campagnes. Il faudra en outre se rapprocher des lieux de consommation en expliquant par exemple que les fruits et légumes peuvent être frais, surgelés ou en conserve. Il conviendra également de tenir compte du gradient social, la prévention profitant d’abord à ceux qui en ont le moins besoin. Comment travailler auprès des populations les plus concernées ? Cela passe sans doute davantage par des actions de terrain que par des campagnes nationales.

M. Bertrand Garros : À cela s’ajoute la question des alicaments, qui estompe la distinction entre médicament et aliment. La promotion de certains produits tels que des yaourts, par exemple, passe parfois par la mise en avant de leurs effets positifs sur la santé.

M. Jean Mallot, coprésident : Quels autres obstacles rencontrez-vous dans l’exercice de votre mission ?

M. Bertrand Garros : Sans doute faut-il revoir la formation des professionnels de santé afin qu’ils ne prescrivent pas systématiquement à chaque consultation, je pense notamment à une formation à l’écoute et à la gestion de la relation avec le patient.

Quid, par ailleurs, de la coopération interprofessionnelle ? Le médecin doit bénéficier des appuis qui s’imposent dans l’accompagnement de ses patients – que l’on songe par exemple aux maisons de santé. Une expérience est actuellement menée en Poitou-Charentes où des médecins généralistes travaillent avec des infirmières de santé publique. On peut également songer au rôle des pharmaciens. La réorganisation des pratiques permettra peut-être d’améliorer la situation, le bon usage des médicaments supposant une politique globale.

M. Philippe Lamoureux : Des études ont été réalisées afin de déterminer quels sont les freins à la prévention en médecine générale. Le facteur principal, bien compréhensible, est le manque de temps. On peut d’ailleurs s’interroger pour savoir si, telle qu’elle est actuellement conçue, la consultation est adaptée à la pratique de la prévention. Des évolutions positives ont tout de même lieu. Un programme d’accompagnement des patients diabétiques a par exemple été mis en place avec l’assurance maladie.

Autre problème fondamental : l’isolement des pratiques en médecine générale. Sans doute pourrait-on s’inspirer des exemples étrangers tels que les groupes de pairs.

Enfin, il faudrait remédier à la surabondance d’informations qui empêche les médecins de se repérer correctement.

M. Jean Mallot, coprésident : Considérez-vous que les visiteurs médicaux entravent votre action ?

M. Bertrand Garros : Il n’est pas choquant que des laboratoires veuillent être associés à des études sur l’observance, à condition de ne pas être directement intéressés au sort de leurs propres médicaments. Un travail commun est tout à fait envisageable. Sachant néanmoins que, dans les années à venir, le nombre de visiteurs médicaux diminuera de moitié, sans doute pourrait-on envisager des reconversions. Les médecins libéraux du Nord Pas-de-Calais utilisent ainsi les services de ces professionnels pour porter des messages généraux de santé publique.

M. Philippe Lamoureux : Les relations que l’on entretient avec la visite médicale et l’industrie pharmaceutique sont complexes. Les convergences d’intérêt peuvent être par exemple bien réelles quand il s’agit de promouvoir la lutte contre le tabagisme.

Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la mise en place de visiteurs de santé publique qui interviendraient pour le compte de l’ensemble des agences sanitaires. Ce système, à ce jour, a été écarté en raison de sa complexité et de son coût, mais nous essayons de nous appuyer de plus en plus sur le réseau des délégués de l’assurance maladie, lesquels relaient les informations provenant de l’INPES. Cette collaboration, en l’état, est assez satisfaisante.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment pouvez-vous évaluer votre propre action ?

M. Philippe Lamoureux : L’évaluation de la prévention, en dehors des études classiques « post-tests », est délicate en raison de la multiplicité des facteurs qui entrent en jeu. Une campagne sur l’arrêt du tabac sera d’autant plus efficace que, comme c’est le cas en ce moment, elle s’accompagne de diverses autres mesures : augmentation des taxes, avertissements inscrits sur les paquets de cigarettes etc. Il est donc plus facile de mesurer l’évolution des représentations que celle des comportements, même si l’on se dote peu à peu d’un certain nombre d’outils, dont les « baromètres santé » ou le croisement des indicateurs fournis avec des données macro-économiques comme par exemple les ventes de cigarettes, d’alcools ou de casques à vélo.

M. Pierre Morange, coprésident : Rapporteur de la mission d’information sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics, j’ai pu me rendre compte de l’efficacité des mesures réglementaires préconisées.

M. Bertrand Garros : Nous nous heurtons également aux délais d’application de ces mesures, mais il est vrai que l’efficacité de la prévention est parfois spectaculaire, comme ce fut le cas dans la lutte contre la mort subite du nourrisson.

Mme la rapporteure a évoqué les médicaments vendus dans les pharmacies, devant le comptoir. Peut-être serait-il utile de procéder à des études de type « post-AMM » – autorisation de mise sur le marché – de manière à évaluer la iatrogénie et à éviter toute banalisation du médicament.

M. Philippe Lamoureux : Des résultats spectaculaires ont été enregistrés dans deux domaines : la lutte contre le tabac et les accidents de la route, où des mesures réglementaires très fortes ont en effet été prises. Sans doute, ces mesures ont-elles été efficaces parce que l’opinion publique était prête à les accepter et à entendre le message diffusé. Qu’en aurait-il été dans d’autres domaines ?

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Une campagne a eu lieu contre la consommation de cannabis.

M. Philippe Lamoureux : En effet et c’est un cas d’école intéressant car la situation est particulièrement complexe entre des centaines de milliers de consommateurs qui pensent consommer un produit bio et des millions de parents qui considèrent que le cannabis est la première étape vers la consommation d’héroïne. Nous avons dû mettre en place une campagne qui correspond à une voie moyenne en attendant de pouvoir mener une nouvelle campagne de prévention, peut-être beaucoup plus brutale, du type de celle qui a été menée contre le tabagisme, précisément parce que l’opinion est plus préparée à l’entendre. Il faut se donner du temps pour « installer le sujet » dans l’opinion. La France a tout de même été le premier pays d’Europe à faire des campagnes de prévention contre l’usage du cannabis.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie pour vos interventions. Nous sommes évidemment prêts à prendre connaissance d’éventuelles contributions complémentaires.

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