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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) s’est réunie pour examiner le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton, rapporteure, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments.
Mme Catherine Lemorton, rapporteure, a présenté le rapport, puis un échange de vues a eu lieu auquel ont participé MM. Jean Mallot et Pierre Morange, coprésidents, ainsi que MM. Georges Colombier et Jean-Pierre Door.
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a adopté le rapport à l’unanimité.
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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l’audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Pierre Morange, coprésident : Nous entamons aujourd’hui une série d’auditions consacrées à notre nouveau thème d’étude : les affections de longue durée. Je souhaite la bienvenue à M. Didier Houssin, directeur général de la santé, première personnalité à être consultée sur ce sujet. Par ailleurs, je précise que Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la sixième chambre de la Cour des comptes, nous assistera dans nos travaux sur ce sujet.
Je rappelle, en outre, que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale vient d’adopter à l’unanimité le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton consacré à notre précédente thématique, la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Ce rapport sera présenté tout à l’heure devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis présenté à la presse, dont je salue les représentants présents aujourd’hui.
Pourquoi s’intéresser aux affections de longue durée (ALD) ? Parce qu’elles comptent pour une bonne part dans le défi sanitaire auquel notre pays est confronté. Ainsi, comme l’a rappelé Mme Catherine Lemorton dans son rapport, les dépenses liées aux ALD représentent 60 % des dépenses de l’assurance maladie. Et les patients atteints d’affections de longue durée, qui représentent 14 % des assurés, consomment à eux seuls la moitié des médicaments, en raison des pathologies lourdes dont ils sont affectés.
Sans attendre, je laisse la parole à notre rapporteur, M. Jean-Pierre Door.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les affections de longue durée sont en effet un sujet dont nous nous préoccupons depuis longtemps, car les statistiques montrent qu’elles tendent à tirer vers le haut l’évolution des dépenses de santé. Ainsi, selon les derniers chiffres dont disposent les caisses d’assurance maladie, la croissance des dépenses liées aux soins de ville est de 0,9 % pour les patients non ALD et de près 9 % pour les patients en ALD. Cela nous incite à nous poser certaines questions au sujet de l’avenir de la protection sociale et de l’organisation de notre système de santé. Nous avons tous lu attentivement le rapport sur le bouclier sanitaire que M. Raoul Briet et M. Bertrand Fragonard viennent de remettre à la ministre de la santé. Ce rapport, sur lequel je vous demanderai votre avis, confirme que la progression des dépenses de médicaments se concentre surtout sur les patients en ALD. Le constat est donc sans appel.
Aussi, j’aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet et savoir quelles seraient vos pistes de réflexion. Faut-il revoir la liste des ALD, qui sont aujourd’hui au nombre de trente, sans compter les « hors-liste » ? Faut-il modifier les critères de sortie ou considérer qu’un patient doit être maintenu toute sa vie dans le système ? D’une manière générale, comment la direction générale de la santé est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée ?
M. Didier Houssin : Les affections de longue durée représentent un problème délicat, peut-être le plus difficile de ceux auxquels nous sommes confrontés. Si améliorer la santé de la population est notre objectif prioritaire, il est également essentiel de rendre cette amélioration accessible à tous. Or l’évolution du dispositif ALD rend plus délicate la conciliation de ces deux objectifs.
Je ne rappellerai que brièvement cette évolution, déjà présentée dans le rapport rédigé par M. Raoul Briet et M. Bertrand Fragonard avec le concours de M. Pierre-Jean Lancry et dans nombre d’études récentes. Le dispositif, né avec la sécurité sociale, est marqué par une approche centrée sur les soins, héritière d’une époque où la médecine semblait de nature à résoudre presque tous les problèmes. De fait, un système fondé sur une liste de maladies conduit à aborder la santé publique et sa dimension financière à travers le prisme de la médecine et du soin.
Il n’y a cependant pas lieu de regretter cette option. Le système des ALD a représenté une évolution formidable. À une époque où la médecine était triomphante, il constituait la meilleure façon de prendre les malades en charge, et a permis de soigner des patients qui, autrement, n’auraient pas pu l’être. Une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a montré qu’en 2004, le coût annuel de traitement d’un malade était de 23 000 euros pour une néphropathie chronique grave, de 26 000 euros pour une hémophilie, de 16 000 euros pour une suite de transplantations d’organes, de 21 000 euros pour une mucoviscidose et de 17 000 euros pour une paraplégie – pour prendre les chiffres les plus élevés. Ce sont des coûts très importants, et sans une prise en charge totale, les victimes de ces pathologies de longue durée n’auraient pu être soignées. Par ailleurs, certaines pathologies plus fréquentes et qui entraînent souvent la mort, telles que les affections cardiovasculaires ou les cancers, représentent un coût moindre par personne, mais beaucoup plus important à l’échelle de la population. Il faut donc bien distinguer les affections qui se révèlent extrêmement coûteuses pour une personne de celles qui le sont pour la société. Ce ne sont pas les mêmes.
Le dispositif ALD est remarquable, mais il est victime de son succès. Les études prospectives montrent qu’en 2015, il pourrait concerner 12 millions de personnes et concentrer 70 % des dépenses d’assurance maladie remboursées. La question se pose donc de savoir si nous pouvons continuer ainsi ou si une réforme s’impose.
Ma contribution à cette réflexion, particulièrement complexe et qui comprend une importante dimension économique, ne peut qu’être modeste et se limiter à tracer quelques pistes.
Première remarque : l’équilibre financier de notre système d’assurance maladie est un objectif majeur en termes de santé publique. Nous avons la chance de vivre dans un pays qui offre, malgré les limites et les fragilités du système, une certaine égalité d’accès à la prévention et aux soins. Il est essentiel de conserver cet acquis, même s’il tend aujourd’hui à être remis en cause par des problèmes d’inégalités territoriales ou de dépassements d’honoraires – ou même par l’instauration de franchises, bien que leur niveau reste aujourd’hui modeste. Quoi qu’il en soit, il convient de s’interroger sur la façon de pérenniser un système qui garantit globalement l’égalité d’accès aux soins et à la prévention.
Deuxième remarque : une des faiblesses du système ALD est peut-être son approche centrée sur les soins. On laisse ainsi de côté des éléments déterminants, relatifs à l’environnement ou au comportement, qui devraient faire l’objet d’une prévention hors du système de soins. Beaucoup de choses se jouent avant même que se pose la question de l’affection de longue durée. Les exigences de santé publique comme l’approche économique imposent d’aborder le sujet en amont.
Troisième remarque : l’avantage du dispositif ALD, c’est qu’il permet dès le début une prévention secondaire ou tertiaire, laquelle pourrait être compromise par une entrée plus tardive dans le dispositif. Si, comme il en a été question, nous modifions les critères d’admission en ALD, en particulier s’agissant des affections cardiovasculaires, du diabète et de l’hypertension, alors il conviendra de mettre en œuvre des actions de prévention au moins aussi efficaces que celles qui sont menées lorsque le patient bénéficie de la prise en charge au titre des affections de longue durée. On peut imaginer, par exemple, une consultation de prévention systématique.
Réviser le dispositif ALD, qui atteint peut-être ses limites, ne doit donc pas conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain, car les apports de ce dispositif sont irremplaçables, en particulier pour les affections les plus coûteuses dont je citais à l’instant des exemples.
M. Pierre Morange, coprésident : Que les choses soient claires : le propos de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale n’est en aucun cas de jeter l’opprobre sur une catégorie de la population en raison des maux dont elle souffre ni de la désigner comme responsable du déséquilibre des comptes sociaux et sanitaires. Vous avez judicieusement souligné le caractère essentiel et novateur de ce dispositif, dont l’origine se confond avec celle de la sécurité sociale. Nous ne cherchons qu’à dresser l’état des lieux et à établir des prévisions, afin d’en tirer les conséquences à court, moyen et long terme, sur le plan sanitaire comme sur le plan budgétaire.
En effet, en dépit des réformes successives dont a bénéficié le système de soins, la situation budgétaire reste critique. La laisser perdurer reviendrait à remettre en cause l’expression, en matière sanitaire, de principes fondamentaux de la République. Nous sommes unanimes à rappeler la nécessité de concilier qualité des soins, proximité et égalité d’accès. Or M. Jean-Pierre Door a évoqué le rapport Briet-Fragonard sur le bouclier sanitaire, qui propose un véritable changement de paradigme. En effet, depuis l’origine de la sécurité sociale, on cotisait selon ses moyens et on recevait selon ses besoins. Dans un système de bouclier sanitaire, dès lors qu’un critère financier intervient pour définir le remboursement, on peut affirmer, en outrant quelque peu le propos, que l’on cotise et reçoit selon ses moyens. Quel est votre sentiment sur ce sujet, sachant qu’un tel dispositif ne pourrait pas être opérationnel avant trois ou quatre ans, dans le meilleur des cas, compte tenu de la complexité des données à maîtriser et de la coordination qui sera nécessaire entre les différentes structures ?
M. Didier Houssin : Le dispositif ALD ne peut pas poursuivre deux lièvres à la fois. Il ne peut pas concourir à l’amélioration de la qualité grâce aux protocoles et à l’organisation des soins tout en cherchant à résoudre les difficultés financières que nous connaissons et qui se poseront avec plus d’acuité dans les années à venir. Le bouclier sanitaire relève, lui, d’une approche essentiellement financière qui a le mérite d’être assez simple. Je ne suis pas le mieux placé pour juger de sa faisabilité, mais je présume que ce sera difficile, surtout si le bouclier doit s’exprimer en fonction du revenu, ce qui me semble légitime. La même somme n’a en effet pas la même valeur selon les revenus dont on dispose. Pour assurer une certaine justice, il convient donc de corréler le dispositif aux ressources disponibles, quitte à exonérer totalement les personnes dépourvues de revenus.
Toutefois, les difficultés techniques et le temps nécessaires à la mise en œuvre de ce projet ne doivent pas constituer un frein. C’est une solution séduisante, sans doute plus que celle qui consisterait à rechercher, par exemple dans le cas de l’hypertension artérielle, le moment à partir duquel doit survenir l’admission en ALD.
M. Pierre Morange, coprésident : Les critères seraient impossibles à définir.
M. Didier Houssin : Compte tenu de la complexité de la médecine et de la diversité des êtres humains, ce serait en effet très difficile. Mieux vaut, sans doute, passer à autre chose, tout en conservant l’esprit qui a présidé à la création du système ALD.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ce système est en effet remarquable, tant il est l’expression de la solidarité nationale. Mais la liste des pathologies concernées est très ancienne. Doit-elle être revue ? De même, faut-il redéfinir les critères d’admission en ALD ? Et les critères de sortie ? En tant qu’ancien cardiologue, je sais que de nombreuses personnes ont été maintenues en ALD alors qu’elles auraient pu sortir du système. Dès lors, le « stock » de patients concernés ne fait que croître. Lorsque des patients vont mieux, lorsque l’affection est stabilisée, ne devraient-ils pas se retirer du système de solidarité afin que d’autres en bénéficient ?
M. Didier Houssin : Vous avez raison, et des tentatives ont d’ailleurs eu lieu en ce domaine. Ainsi, l’ordonnancier bizone est un moyen de distinguer les soins qui relèvent de la maladie exonérante de ceux qui en sont éloignés. Par ailleurs, il serait sans doute utile de s’interroger sur les critères de sortie du système ALD pour certaines affections, de même que l’on s’est posé la question pour l’admission, notamment s’agissant du diabète ou de l’hypertension. La difficulté est de définir des critères légitimes, compte tenu de la spécificité de chacune des situations. On peut donc essayer de mettre en œuvre les mesures que vous évoquez, et tenter de faire preuve de plus de discernement, au moins pendant la période transitoire qui nous sépare de la mise en place d’un système plus juste et efficace. D’éventuels ajustements, qui auraient pour motivation principale la nécessité de répondre à la situation financière, ne feraient que reporter le problème : il faudra bien, de toute façon, mettre en place un nouveau système tel que le bouclier sanitaire.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Aujourd’hui, dans le système ALD, tout est intégralement pris en charge, y compris les médicaments à vignette bleue, qui ne sont en principe remboursés qu’à 35 %. Est-il logique de rembourser totalement des médicaments ou des actes qui ne sont pas indispensables au traitement de l’affection de longue durée ? Certes, l’ordonnancier bizone est un premier pas, mais ne faudrait-il pas envisager une prise en charge séparée pour les médicaments à vignette bleue ?
M. Pierre Morange, coprésident : M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, s’interrogeait ainsi sur l’opportunité de reporter une partie des dépenses ALD, comme le forfait journalier, sur le secteur assurantiel, avec le risque que cela comporte d’une inégalité entre les ménages, la dépense sanitaire pesant différemment selon le niveau de vie. Qu’en pensez-vous ? Vous pourriez me répondre que c’est au politique qu’il revient de trancher la question, mais je vous demande votre avis en tant qu’expert.
M. Didier Houssin : Mon sentiment est que l’on peut imaginer de nouveaux moyens de distinguer ce qui relève de l’ALD et ce qui n’en relève pas, ce qui serait légitime ou illégitime. Le risque auquel on s’exposerait toutefois, c’est celui de la complexité.
M. Pierre Morange, coprésident : Exact.
M. Didier Houssin : Le système de l’ordonnancier bizone n’est déjà pas simple. Plus on entrera dans le détail, plus les choses se compliqueront.
M. Pierre Morange, coprésident : Je suis heureux de vous l’entendre dire !
M. Didier Houssin : Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à l’imagination… Malgré tout, il y a une question de fond que l’on ne peut éviter de se poser – et le rapport sur le bouclier sanitaire a ce mérite –, c’est celle de savoir si l’approche ALD, toute formidable qu’elle soit, est viable dans les trente ans à venir. Personnellement, j’ai tendance à en douter.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous aussi. Nous aimerions sauvegarder le système, mais nous nous demandons comment faire.
M. Didier Houssin : Pendant un à cinq ans, on pourrait procéder à des ajustements, en faisant en sorte qu’ils soient le mieux compris possible.
M. Pierre Morange, coprésident : Cela serait-il suffisant pour répondre au défi que représente l’aggravation du déficit budgétaire ?
M. Didier Houssin : Je ne sais pas. Je n’ai pas la compétence nécessaire, ni une vision suffisamment globale pour répondre à une telle question, car trop de facteurs entrent en jeu. En revanche, si vous me demandez quelles sont les meilleures pistes à explorer – sans que je puisse en évaluer l’impact financier –, je dirais que l’on pourrait réexaminer les critères d’entrée en ALD pour l’hypertension artérielle et le diabète, à condition de préserver la fonction de prévention assurée par le système. De même, la question de la sortie de l’ALD mériterait sans doute d’être explorée, notamment en matière de pathologie cardiovasculaire.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En effet, un patient ayant subi un triple pontage peut, dans certains cas, être considéré comme tout à fait guéri, même s’il doit suivre un traitement par aspirine. Il peut vivre ainsi pendant dix, quinze, vingt ans. Or il demeure en ALD de façon permanente. Ne pourrait-il pas en sortir, quitte à y revenir le jour où surviendrait un nouvel incident ?
M. Didier Houssin : On peut aussi se poser la question en matière de cancérologie.
Nous nous demandons déjà comment faire en sorte que des malades ayant subi des pathologies graves telles que cancers, affections cardiovasculaires ou par le VIH ne soient pas par la suite, pénalisés dans l’accès au logement, à l’assurance ou à l’emprunt. Cela passe par une réflexion sur la notion de guérison, qu’il serait logique de relier à la question de la sortie de l’ALD.
C’est donc sur l’entrée et la sortie de l’ALD que nous devons nous concentrer.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Mais faut-il tout prendre en charge ? Un patient en ALD ne devrait-il pas relever du régime de droit commun pour l’achat de médicaments à vignette bleue, qui ne sont pas strictement indispensables, ou s’agissant du transport sanitaire – lequel contribue largement à l’augmentation des dépenses –, dès lors qu’il ne s’agit que de se rendre à un contrôle de routine ?
De même, comment pourrait-on mieux responsabiliser les patients bénéficiant de l’ALD ? Souvent, lorsque l’on évoque ce sujet de médecin à patient, la réaction est la même : « J’y ai droit ». Les caisses d’assurance maladie ne devraient-elles pas leur adresser une information écrite rappelant les devoirs qui incombent aux patients bénéficiant de la solidarité nationale ?
M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s’agit pas d’adopter un point de vue strictement comptable ni d’imposer des contrôles tatillons mais de rendre le système plus souple, plus rationnel, de l’optimiser, afin de dégager certaines marges de manœuvre. Je comprends que vous ne disposiez pas de toutes les données macroéconomiques nécessaires pour répondre à nos questions, mais n’y a-t-il pas, au sein de votre ministère, des gens capables d’évaluer, pour chacune des hypothèses que nous avons évoquées, le montant des économies possibles ?
M. Didier Houssin : Les marges de manœuvre les plus évidentes sont à rechercher dans les modalités d’entrée en ALD pour les maladies cardiovasculaires, l’hypertension et le diabète, et dans celle de sortie pour les cancers et les maladies cardiovasculaires. Ce sont des domaines où il vaut la peine de rechercher des ajustements. Mais quant à leur impact financier éventuel, je ne dispose pas d’autres données que celles issues des rapports publiés. Il faudrait interroger les responsables de la CNAMTS ou de la direction de la sécurité sociale.
M. Pierre Morange, coprésident : Ils font partie des personnalités que nous avons prévu de recevoir.
M. Didier Houssin : J’en reviens à la question de M. Jean-Pierre Door. Beaucoup d’assurés s’étonnent de ne pas savoir combien ils coûtent à la société, contrairement à ce qui se passe dans certains pays comme les États-Unis, où l’on peut connaître le montant exact des dépenses occasionnées. Il faudrait réfléchir au moyen de délivrer une telle information, même si cela peut, là encore, poser des problèmes techniques. La responsabilisation peut venir de l’information.
M. Pierre Morange, coprésident : J’avais justement déposé un amendement sur ce sujet lorsque j’étais rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en 2004. Mais il n’a pas soulevé l’enthousiasme des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – toutes tendances confondues, d’ailleurs. Une injection de rappel ne serait pas inutile, et je vous remercie d’y contribuer.
M. Didier Houssin : Je ne prétends pas que l’effet serait spectaculaire ni immédiat, mais cela pourrait représenter un moyen de responsabilisation.
M. Pierre Morange, coprésident : Bien entendu, cette information serait confidentielle et la personne concernée en aurait la totale maîtrise. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser certains patients.
M. Didier Houssin : Bien sûr. Mais la responsabilisation passe également par la prévention et par l’éducation, en particulier en direction des plus jeunes. Cela peut avoir une grande importance pour prévenir certaines affections cardiovasculaires ou certains cancers. Il s’agit là d’une politique à long terme, mais la prévention ne doit pas se limiter à la contrainte ou l’action sur l’environnement.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La responsabilisation, c’est aussi celle des médecins, car ce sont eux qui déclenchent la prise en charge au titre de l’ALD. Selon moi, ils font bien leur travail, mais la qualité de l’information qu’ils transmettent a une grande importance : c’est en effet à partir du formulaire qu’ils ont rempli que le médecin-conseil de la caisse d’assurance maladie prend la décision de valider ou non les critères d’admission en ALD, en général sans voir le patient. Par la suite, un contrôle a lieu tous les deux ans. C’est un système qui, en 2008, peut apparaître un peu archaïque. Ne faudrait-il pas en revoir les modalités ?
M. Didier Houssin : La responsabilisation des médecins est effectivement un point très important. La difficulté, c’est que leur position dans la société, la manière dont ils sont perçus et dont ils se perçoivent a évolué. Il y a quelques dizaines d’années, ils étaient plus en situation de donner quelque chose. Nombre d’entre eux avaient d’ailleurs un comportement sacrificiel en travaillant sans compter, et cette manière d’exercer leur métier, de traduire leur vocation leur garantissait l’estime. Mais la situation a changé : aujourd’hui, ils répondent à une demande. L’inscription en ALD peut participer de ce phénomène : « j’y ai droit », dit le patient. Tout ce qui permet de lutter contre cette tendance et de repositionner le médecin en tant qu’« offreur » de santé ne peut qu’aller dans le bon sens.
Je pense aux vétérinaires, qui ont une double fonction : ils remplissent un rôle d’ordre privé, mais aussi une mission de service public. Il serait bon que les médecins jouissent d’un statut comparable, qu’ils soient responsables de la santé d’une population, d’un groupe de personnes.
M. Jean Mallot, coprésident : Mais comment ?
M. Didier Houssin : Le mandat de santé publique, institué par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, constitue un pas dans cette direction, mais ce n’est qu’un début. Il faut approfondir la question, qui touche, bien sûr, à l’exercice de la médecine ou au mode de rémunération.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans le cadre de l’ALD, les honoraires du médecin sont majorés : il touche un forfait annuel de 40 euros en contrepartie de la gestion du protocole de soins. Or lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous l’avez noté, nous avons adopté une mesure permettant de forfaitiser les honoraires, de prévoir une rémunération spécifique pour un suivi du patient au long cours, dans le cadre d’un réseau de soins. Cela concerne en particulier les affections de longue durée. Faudrait-il revoir ce système, en concertation avec les médecins ?
M. Didier Houssin : On pourrait l’enrichir de façon à ce qu’il s’articule autour d’une action de prévention. Dès lors, dispenser des soins ne serait pas, pour le médecin, la seule façon d’exercer son métier.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Cela passe par une prise en charge plus globale du patient, qui ne se limiterait donc pas au remplissage d’un formulaire.
M. Didier Houssin : Oui, une prise en charge globale de personnes, pas nécessairement de patients. Il s’agit de mener des actions de prévention, d’information, de dépistage ou de vaccination, avant même de prendre en charge une maladie si c’est nécessaire.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Disposez-vous d’études comparatives sur ce qui se passe à l’étranger ? En Allemagne, le système ALD n’existe pas, car ils ont mis en place un bouclier sanitaire. Mais savez-vous ce qu’il en est en Angleterre ou dans les pays scandinaves ?
M. Didier Houssin : Non, mais je peux me renseigner.
M. Pierre Morange, coprésident : M. Jean-Pierre Door a évoqué le processus médico-administratif conduisant à l’admission d’un patient en ALD. Pensez-vous que le médecin contrôleur devrait voir le patient avant de prendre une décision ?
M. Didier Houssin : À mes yeux, ce serait aller un peu loin. En revanche, lors de l’évaluation des pratiques professionnelles des médecins – qui devrait constituer une pierre angulaire de notre politique de santé –, il faudrait porter une attention particulière à la prise en charge en ALD, au diagnostic ou à la validation des critères.
M. Pierre Morange, coprésident : Mais dès lors que le médecin a considéré la demande d’admission comme légitime, le reste ne devrait relever que de la gestion administrative. On peut donc se demander quelle est l’utilité du médecin contrôleur dans la procédure.
M. Didier Houssin : Disons que, compte tenu du poids financier que représente la prise en charge des ALD, il serait légitime que chaque médecin sache où il se situe par rapport à ses confrères en termes de taux d’inscription en ALD ou de sortie d’ALD. Ce regard extérieur sur sa pratique, qui pourrait être porté par la CNAMTS, permettrait de corriger d’éventuels comportements aberrants. Par ailleurs, j’insiste sur l’importance de l’évaluation des pratiques professionnelles.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Avant de terminer, j’aimerais aborder la question du dossier médical personnel, le DMP, auquel j’attache – comme vous, je crois – une grande importance. Nous avons proposé de relancer ce projet, et le rapport de la mission conduite par M. Michel Gagneux, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), remis fin avril à la ministre en charge de la santé, abonde dans notre sens. Le DMP étant l’outil idéal de coordination des soins, il permettrait de mieux suivre les patients souffrant de maladies graves et chroniques. Il serait donc légitime que les patients en ALD constituent un public prioritaire lors de son expérimentation. La direction générale de la santé est-elle prête à accélérer le processus ? Je sais que Mme la ministre doit nous présenter ses conclusions à la fin mai, mais ce n’est que dans un mois. Nous serions ravis de connaître d’ores et déjà votre avis sur ce sujet.
M. Pierre Morange, coprésident : D’autant que nos amis de la presse, ici présents, auraient ainsi un scoop !
M. Didier Houssin : Je me demande si le DMP n’a pas plutôt souffert, à un moment, d’une accélération excessive plutôt que d’un ralentissement. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un projet capital, qui semble repartir sur des bases plus réalistes. Dans la mesure où le système ALD est une marque de la solidarité nationale, il serait en effet légitime de rechercher tous les moyens d’en assurer le fonctionnement le plus juste et le plus efficace. À cet égard, le DMP serait certainement un bon outil, même s’il existe de multiples difficultés et si beaucoup de temps sera sans doute nécessaire pour mettre en œuvre ce projet. À titre personnel, j’y suis très favorable, mais je n’ai aucun scoop à vous apporter sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Comme vous, nous souhaitons que ce chantier démarre sans délai. C’est une orientation inéluctable.
M. Pierre Morange, coprésident : Merci, monsieur le directeur général.
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