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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 12 juin 2008

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur les affections de longue durée

– Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, et Mme Anne-Carole Bensadon, conseillère technique

– M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France

– M. Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Christine Meyer, directrice des garanties mutualistes et de l’assurance santé.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, et Mme Anne-Carole Bensadon, conseillère technique.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous sommes heureux d’accueillir Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins.

Nous allons vous laisser le temps de vous exprimer, Madame, sur le sujet des affections de longue durée – ALD –, avant de vous poser quelques questions.

Mme Annie Podeur : Je vous remercie. Vous avez déjà auditionné le directeur général de la santé et le directeur de la sécurité sociale ainsi que les représentants de l’assurance maladie et du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie – HCAAM –. Les enjeux médicaux et financiers sont majeurs, compte tenu du poids que représente la prise en charge hospitalière et ambulatoire des ALD ainsi que de la très forte progression de la part des ALD dans les dépenses d’assurance maladie. Cette part est passée, en quelques décennies seulement, de 50 à 60 %. Du fait du vieillissement de la population et de la chronicité de plus en plus de maladies, 12 millions de personnes pourraient relever du régime ALD en 2015 contre 8 millions aujourd’hui. Les ALD représenteraient alors 70 % de l’ensemble des dépenses d’assurance maladie.

La prise en charge des malades en ALD, lesquels représentent un peu plus de la moitié des patients atteints de maladie chronique, conduit à s’interroger sur leur accompagnement et la manière d’en faire des acteurs de la maladie avec laquelle ils vivent en sachant que la guérison n’est pas souvent au rendez-vous.

Cette problématique, étroitement liée à la prise en charge de la qualité de vie des malades chroniques, renvoie au plan conçu conjointement par la direction générale de la santé – DGS – et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins – DHOS – et porté par notre ministre.

La DHOS est attentive aux réflexions en cours sur l’évolution du système des ALD, qu’il s’agisse du rapport du HCAAM sur les ALD, de l’avis rendu récemment par la Haute Autorité de santé (HAS) sur la liste et les critères d’admission des ALD ou du rapport de MM Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire.

Elle doit réfléchir en priorité aux modalités de prise en charge des patients en ALD, et plus généralement des malades atteints de maladie chronique. Les états généraux de la santé (EGOS) ont par ailleurs mis en évidence la nécessité de mieux articuler les interventions de tous les acteurs de santé, en ville comme à l’hôpital.

Les modalités proposées aux malades atteints de pathologie chronique et aux patients en ALD doivent être plus lisibles, ce qui pose la question de la coopération entre les professionnels et de l’articulation entre l’ambulatoire et l’hospitalier. Certaines hospitalisations pourraient être évitées. Faute d’avoir suffisamment identifié les modalités de prise en charge en ville et organisé une véritable éducation thérapeutique, les épisodes de crise et les hospitalisations sont plus fréquents.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Le dispositif n’est-il « pas » ou « plus » lisible ? Ce système, qui est en vigueur depuis des années, a bien dû être lisible à une époque.

Mme Annie Podeur : Lorsque les ALD ne pesaient pas autant dans les dépenses d’assurance maladie, le système binaire – consultation en ville et hôpital – convenait. Si l’on veut aujourd’hui maîtriser les dépenses de santé et rendre un meilleur service aux malades, nous devons utiliser toutes les modalités qui sont à notre disposition pour mettre en place une graduation lisible des prises en charge en ambulatoire accompagnées d’éducation thérapeutique – c’est l’enjeu des maisons de santé –, des prises en charge à domicile via une véritable hospitalisation à domicile en général plus satisfaisante pour le patient et moins onéreuse pour la collectivité, et en cas de crise ou pour des bilans spécifiques, une prise en charge par des plateaux techniques. Il sera compliqué de rendre le système lisible.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous devrons ainsi réfléchir à des modalités nouvelles de prise en charge au sein d’une nouvelle organisation des soins.

Mme Annie Podeur : Oui, c’est le plus important. Nous devons organiser une graduation et la rendre lisible. Un malade atteint d’insuffisance rénale chronique doit savoir quand il peut utiliser l’auto-dialyse, quand il devra relever d’un centre de soins et quelle conduite observer.

M. Jean Mallot, coprésident : Avez-vous une vision concrète de cette articulation ?

Mme Annie Podeur : Toutes les bases sont aujourd’hui posées sauf, peut-être, le premier échelon, à savoir la structuration d’une offre ambulatoire autour d’un exercice regroupé et pluriprofessionnel. Jusqu’à présent, seuls les réseaux de santé permettaient d’articuler la ville et l’hôpital et d’accompagner la prise en charge ambulatoire d’une éducation thérapeutique. Or, les réseaux de santé, trop cloisonnés, progressent difficilement. Beaucoup d’affections de longue durée nécessitent une prise en charge globale. C’est en cancérologie que la structuration est la plus aboutie et la prise en charge très développée. Grâce au plan cancer, les réseaux de cancérologie se sont davantage souciés de la lisibilité du dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant de la maîtrise de l’information, dans quel délai une telle coordination pourra-t-elle se mettre en place, compte tenu du dispositif actuel ?

Que pensez-vous par ailleurs des propositions relatives à l’organisation ? Certains sont partisans du maintien d’une dyarchie entre la structure actuelle de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) et l’assurance maladie, les autres d’une unicité de commandement.

Mme Annie Podeur : Le système d’information est un enjeu majeur pour la réussite des agences régionales de santé – ARS –, notamment le partage total de l’information qui n’est pas encore réalisé. Des supports doivent être disponibles. L’assurance maladie ambitionne d’ailleurs d’accompagner les malades chroniques via un « coaching » téléphonique. Le patient doit pouvoir connaître les dispositifs proches de son domicile auxquels il a accès, dans le domaine paramédical en particulier, l’existence de groupes de parole, etc. Les dispositifs de prise en charge sont aujourd’hui trop éclatés – plan régional de prévention, programme régional de santé, schéma régional d’organisation sanitaire, etc.

Une fois le dispositif rendu lisible, il conviendra de prévoir les mécanismes de contrôle nécessaires pour l’évaluer et le corriger le cas échéant. Cette problématique renvoie au pilotage régional, à la mutualisation totale des systèmes d’information et au bouclage des contrôles. La mutualisation des moyens de l’assurance maladie et de l’État, notamment la compétence du service médical des caisses d’assurance maladie, peut nous permettre de pousser beaucoup plus loin le contrôle de la qualité du service médical rendu et de remplacer l’hospitalisation par l’ambulatoire lorsque c’est nécessaire.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand ce dispositif sera-t-il opérationnel ?

Mme Annie Podeur : Dans plusieurs années. Mieux vaut se fixer un calendrier raisonnable.

M. Pierre Morange, coprésident : Trois, cinq, dix ans ?

Mme Annie Podeur : Pas avant cinq ans, du fait de la complexité des systèmes d’information. Les éditeurs de logiciels et les industries ne sont pas forcément capables de répondre ipso facto aux spécificités de notre système si peu transposable à d’autres systèmes dans le monde. Le coût d’investissement très important fragilise l’offre industrielle.

S’agissant de l’organisation en cours, un certain nombre d’arbitrages ont été rendus. Aujourd’hui, un secrétaire général a été nommé chef de projet du chantier ARS. Si l’on met fin à la dyarchie régionale, il faut être clair sur les outils d’un pilotage régional unifié, en termes d’organisation, de régulation, de système d’information.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce travail est-il mené en interne ou en concertation avec les assureurs ?

Mme Annie Podeur : En concertation avec l’assurance maladie car une bonne organisation à l’échelon régionale ne peut se concevoir sans un pilotage resserré et unifié à l’échelon national.

Il faudra également régler la question du ticket modérateur à l’hôpital, qui devait faire l’objet d’une réforme. Le ticket modérateur est encore assis sur des tarifs journaliers qui ne correspondent plus à la réalité médico-économique de l’établissement, alors que l’hôpital public est passé à des tarifs de groupes homogène de séjour – GHS – au travers de la tarification à l’activité (T2A). Les cliniques calculent déjà le ticket modérateur sur la base des GHS. Comment appliquer ce principe à l’hôpital public ? La question n’est pas simple car le changement pourra entraîner pour les établissements hospitaliers des hausses de recettes ou des baisses. Il faut tout de même persévérer dans cette voie.

Il est par ailleurs impossible de renoncer au tarif journalier de prestation – TJP – en psychiatrie ou pour les soins de suite et de réadaptation, pour lesquels la tarification à l’activité sera appliquée plus tardivement.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans les deux secteurs, quel est le poids des malades chroniques et des ALD ?

Mme Annie Podeur : La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – CNAMTS – ne peut pas nous donner d’information car l’exonération du ticket modérateur s’applique aux ALD mais aussi à des actes de chirurgie dès lors que le « K » dépasse 50. On pourrait à la rigueur essayer d’identifier, au sein des activités de médecine, chirurgie, obstétrique – MCO – ce que représente la prise en charge des malades chroniques. Seule l’assurance maladie pourrait faire la distinction mais elle n’a pas l’information sur la nature de la prise en charge – elle ne peut faire la différence entre une exonération au titre d’un acte chirurgical et une autre au titre d’une ALD.

Je ne peux donc pas vous donner ce chiffre du fait de l’étanchéité de nos systèmes d’information.

M. Pierre Morange, coprésident : S’agissant du forfait hospitalier, le coût supporté par le patient correspond-il à la réalité ?

Mme Annie Podeur : La fixation du ticket modérateur est une décision politique de répartition des charges entre la solidarité nationale, via le régime obligatoire, et un régime complémentaire. Il ne m’appartient pas de juger si ce ticket est fixé ou non à un bon niveau. Nous pouvons faire des simulations mais nous ne pouvons pas prendre de décision.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Que pensez-vous de l’institution d’un schéma régional d’organisation sanitaire – SROS – ambulatoire par le projet de loi « Santé, patients, territoire » en préparation ? Est-ce réalisable ? Dans quel délai ?

Par ailleurs, le dossier médical personnel – DMP –, qui devrait permettre d’améliorer la prise en charge des pathologies, devrait très vite être relancé. Qu’en pensez-vous ?

Mme Annie Podeur : S’agissant des SROS, il faut se méfier de la réutilisation des vocables. Nous travaillons sur ces dossiers et nous ne savons pas encore ce que doit être un outil stratégique d’organisation à l’échelon régional, embrassant l’ambulatoire, l’hospitalier et le médico-social.

La véritable question est celle de l’opposabilité de ces documents d’organisation des soins. Un « schéma stratégique » n’a pas le même sens qu’une « programmation ». Alors qu’une « programmation » suppose de pouvoir visualiser ce qui est souhaitable et de le financer, les schémas régionaux d’organisation des soins, tout en permettant de visualiser les projets, les enferment dans un délai de cinq ans sans aucune certitude quant à leur financement.

En ce qui concerne l’ambulatoire, peut-on aujourd’hui mettre en place un schéma contraignant, même s’il est concerté en amont, avec des structures de prise en charge si possible pluriprofessionnelles mais regroupées dans un bassin de vie au service d’une population ? Je ne suis pas certaine que les esprits soient aujourd’hui prêts à accepter un tel schéma, en raison du principe de la liberté d’installation des professionnels de santé.

Pour ce qui est du DMP, que la ministre devrait relancer prochainement, nous nous orientons plutôt vers un dispositif d’informations partagées à deux facettes : des dossiers partagés pour les professionnels et un dossier médical personnel pour le patient, avec une forte intersection entre ces deux espaces mais pas de recouvrement.

Nous devons nous appuyer sur les dispositifs déjà en vigueur, comme les plateformes régionales de télésanté : ce partage de l’information, via une messagerie sécurisée, entre des professionnels libéraux et des professionnels hospitaliers est déjà une avancée.

Si l’on veut que les ALD bénéficient en premier de ce dispositif, donnons-nous un calendrier raisonnable.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Faut-il modifier les critères d’admission, de suivi, de sortie d’ALD ? Si oui, à quelle échéance ?

Mme Annie Podeur : La Haute Autorité de santé a déjà élaboré trois scénarios en la matière – statu quo, toilettage, ajustements. Rappelons tout de même que le régime des ALD a permis aux personnes atteintes de pathologies lourdes, aux traitements souvent longs et coûteux, d’accéder aux soins.

Peut-être n’est-on pas allé au bout du travail de prévention.

Du fait du vieillissement de la population, du coût de la prise en charge de certaines pathologies aiguës, des dépassements d’honoraires, il a fallu s’interroger sur l’évolution du système.

L’avis de la Haute Autorité de santé date de décembre 2007. La direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins n’est pas compétente pour se prononcer sur la pertinence d’une révision des critères d’admission ou de sortie des ALD.

En vérité, il convient, non seulement d’assurer le contrôle d’application des référentiels de traitement, mais surtout de former les médecins et le personnel paramédical aux enjeux d’une prise en charge fondée sur la préservation du capital santé et l’évaluation des pratiques professionnelles.

Avant de réformer, il faudrait s’interroger sur la manière dont les médecins définissent l’accès à l’ALD. La loi du 13 août 2004 a choisi de confier au médecin traitant la demande d’inscription en ALD alors que le diagnostic de la pathologie est posé à l’hôpital. De surcroît, les schémas d’identification et de prise en charge accusent souvent des retards d’instruction très pénalisants.

Nous devrions mettre l’accent, via l’évaluation des pratiques professionnelles, sur la bonne utilisation des critères d’admission. Toutes les disparités que nous pouvons constater, en fonction du médecin ou du territoire, ne sont pas explicables. Le médecin généraliste peut manquer d’éléments de comparaison. Il peut également éprouver le besoin de parler de sa décision à ses pairs.

Concernant la prise en charge des ALD, en ville comme à l’hôpital, les groupes de pairs ne devraient pas se réduire aux médecins libéraux d’un côté, aux médecins hospitaliers de l’autre, mais réunir, sur un territoire donné, l’ensemble des médecins qui participent à la prise en charge des ALD, en s’interrogeant sur l’indication.

Mme Catherine Lemorton : Permettez-moi tout d’abord de préciser que la liberté d’installation des professionnels de santé concerne les seuls médecins puisque l’installation des pharmaciens est régulée et que les infirmières connaissent aussi, depuis peu, des contraintes analogues.

Qu’entendez-vous par ailleurs par « offre industrielle » ?

Mme Annie Podeur : Seuls les pharmaciens ne sont pas libres de s’installer, car si un protocole d’intention pour les infirmiers libéraux existe, il n’a pas été concrétisé via un dispositif conventionnel. Cela étant, les dispositions contraignantes ne sont pas forcément la bonne solution. Il est préférable de rendre attractives les conditions d’exercice dans les territoires désertés, d’où l’importance des dispositions prises pour reconnaître le rôle du médecin généraliste de premier recours et favoriser l’exercice regroupé ainsi qu’une meilleure coopération entre les professionnels de santé.

Quant à l’offre industrielle, il s’agissait de l’offre des éditeurs de logiciels informatiques.

M. Jean-Luc Préel : Je vous remercie d’avoir insisté sur la nécessité d’améliorer la prise en charge et la qualité de vie des malades. C’est en effet le plus important.

Il devrait par ailleurs revenir à la Haute Autorité de santé de concevoir les référentiels, mais en est-elle capable ? Dans quel délai ?

Pour ce qui est du contrôle de l’application des référentiels, le contrôle médical dépendra-t-il de la CNAMTS ou des ARS ? Sera-t-il possible de veiller à l’application réelle des référentiels ? Quelles seront les sanctions en cas de non-respect ?

Quant au système d’information, j’ai longtemps souhaité la mise en place d’un « INSEE » de la santé. Un Institut des données de santé fut créé à sa place. Cet organisme peut-il délivrer des données fiables ? Peut-on le régionaliser dans le cadre des ARS ?

Mme Annie Podeur : Vos questions me permettent de préciser ma pensée : ce n’est pas parce que la DHOS a avant tout pour mission d’optimiser l’organisation des soins au service du malade qu’elle n’a pas le souci de la viabilité financière du système.

Sur la capacité de la Haute Autorité de santé à concevoir des référentiels dans les délais souhaités, j’ose espérer que vous avez posé la même question au président de la HAS. C’est une mission très ambitieuse qui renvoie au processus d’élaboration des référentiels. La France compte beaucoup de sociétés savantes en mesure d’élaborer des protocoles. La HAS devrait apporter son expertise même s’il lui est difficile de repartir ex nihilo et de concevoir, dans des délais très brefs, un grand nombre de référentiels. Pour autant, ces référentiels sont nécessaires car ils permettent l’évaluation des pratiques des professionnels.

Le deuxième niveau est le contrôle externe. On ne peut dissocier l’élaboration d’un dispositif d’organisation des soins, sa mise en œuvre et la régulation du système. Un pilotage unifié est indispensable.

L’Institut des données de santé se met en place progressivement, avec un objectif de mutualisation. Le problème de la régionalisation me semble déjà réglé. Le reste est simplement une question de redéfinition des périmètres. Il existe dans chaque région un observatoire régional de la santé. Ces observatoires ont souvent travaillé sur les déterminants, sur l’offre, peut-être un peu moins sur les systèmes d’assurance maladie, les données étant plus complexes et moins disponibles.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : À titre personnel, que pensez-vous de l’idée d’instaurer un bouclier sanitaire ?

Mme Annie Podeur : Notre système de santé, très évolué, offre une excellente couverture des besoins comparativement aux autres pays. C’est un système solidaire, quasiment universel, mais les Français doivent être conscients des enjeux et de l’importance d’une bonne utilisation du système de santé. À ce titre, l’information et l’éducation sont essentielles.

S’agissant des ALD, les professionnels doivent mesurer leur responsabilité sur l’indication. Aucun système ne doit culpabiliser en raison d’une prise en charge nécessairement lourde. C’est une question de dignité dans une société démocratique. Il faut en revanche varier les réponses, faire des malades, quand c’est possible, les acteurs de leur propre santé, et définir le niveau de contribution de chacun. La solidarité est-elle égalitaire ou doit-elle correspondre à un niveau de ressources ? L’assurance maladie est aujourd’hui assise sur un système de plafonnement mais tient compte également des revenus perçus puisque l’assiette des contributions a été élargie progressivement. Cette donnée des revenus pourrait également être prise en compte pour la couverture du reste à charge.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l’audition de M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France.

M. Jean Mallot, coprésident : Je suis heureux d’accueillir, pour cette nouvelle audition de la MECSS consacrée aux affections de longue durée (ALD), M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. David Tarac, vice-président de l’Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, M. Claude Lecheir, vice-président de MG France, et M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France.

Je vous suggère de nous présenter votre position, votre analyse et vos propositions sur les ALD pour que notre rapporteur Jean-Pierre Door et les membres de la Mission puissent ensuite vous poser des questions.

M. Michel Chassang : Les affections de longue durée s’inscrivent dans le temps. Sur le plan médical, elles exigent une protocolisation, aujourd’hui mal adaptée car elle n’est pas informatisée, elle obéit à un circuit complexe, il n’existe pas de mise à jour en temps réel et l’information circule mal entre les médecins. Sur le plan financier, les patients sont exonérés du ticket modérateur, la CSMF émettant d’ailleurs des doutes quant à son efficacité dans la mesure où il exclut plutôt ceux qui ne disposent pas d’une couverture complémentaire le prenant en charge.

Ce système d’exonération entretient une confusion chez les malades, qui estiment être pris en charge à 100 % pour toutes les maladies, en toutes circonstances et en tous lieux, ce qui provoque des discussions sans fin dans nos cabinets, notamment au moment de remplir les ordonnances bizones. Certains malades ne sont pas suffisamment pauvres pour bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU) et pas suffisamment riches pour souscrire une complémentaire. C’est le cas de nombreuses personnes âgées qui, au fil du temps, ont abandonné leur couverture complémentaire ; leur ALD évoluant, elles ont des restes à charge importants. C’est un système inflationniste, dans la mesure où ceux qui en bénéficient ne regardent pas à la dépense. Enfin, il concentre une grande partie des dépenses d’assurance maladie, qui ne fait qu’augmenter.

La CMSF propose de simplifier le dispositif, de l’informatiser, d’aider les médecins à s’informatiser, à utiliser des logiciels médicaux et à communiquer entre eux par ce biais. Elle propose également de déconnecter le remboursement du suivi protocolisé. Une affection chronique justifie un tel suivi, mais pas l’exonération du ticket modérateur qui y est liée. Nous proposons donc de supprimer cette exonération au titre des ALD. Naturellement, il faudrait des mécanismes d’adaptation pour les plus démunis.

Différentes hypothèses ont été émises : établir des contrats responsables avec les assurances complémentaires, pour éviter qu’elles n’abandonnent les patients lorsqu’ils coûtent trop cher ou deviennent trop âgés ; rendre la CMU plus progressive ; instituer le système de bouclier sanitaire préconisé dans le rapport de MM. Bertrand Fragonard et Raoul Briet. Qu’un tel système prévoie une prise en charge financière qui tienne compte des revenus n’est pas inintéressant, même si sa mise en place risque d’être compliquée. Il modifierait l’essence même de la sécurité sociale où l’on cotise en fonction de ses revenus et où l’on reçoit en fonction de ses besoins. En l’occurrence, on recevrait aussi en fonction de ses revenus. Mais ce ne serait pas forcément illogique ou inéquitable ; c’est d’ailleurs ce qui se passe dans d’autres domaines, en particulier fiscal.

M. David Tarac : Les ALD pèsent lourd : 8 millions de bénéficiaires ; 5 % de progression annuelle ; 60 % des dépenses prises en charge par l’assurance maladie ; M. Michel Chassang a brossé les grands traits de ce système. J’ajouterai que, par sa complexité, il est devenu illisible pour le médecin comme pour le patient. Une révision s’impose.

Nous ne sommes pas défavorables à une modification des critères d’entrée. Malgré tout, il faut être très prudent, pour ne pas déstabiliser une population qui souffre et doit faire face à des maladies longues et coûteuses.

Il conviendrait d’aider les médecins à utiliser les logiciels métiers (aide au diagnostic, aide à la prise en charge des ALD) qui doivent être mis à jour continuellement. Il conviendrait aussi de responsabiliser les patients dans la prise en charge de leur santé. La plupart des maladies sont définies aujourd’hui par des facteurs de risque. Est-il logique de rembourser à 100 % un malade souffrant d’une pathologie cardiovasculaire alors qu’il continue à fumer 30 cigarettes par jour ?

M. Claude Lecheir. Le système des ALD est aujourd’hui périmé. Il est entravé par le problème du reste à charge des patients et la généralisation des dépassements dans presque tous les domaines de la santé. Même un patient en ALD peut être gêné par des restes à charge importants.

Les médecins généralistes, qui assurent 74 % de la prise en charge des diagnostics en médecine ambulatoire, sont particulièrement mal à l’aise. La gestion de ce qui est pris en charge à 100 % et de ce qui ne l’est pas devient impossible sur le plan médical, d’autant qu’ils reçoivent de plus en plus de patients « poly ALD ».

La concentration de la dépense devient telle que si l’on devait reconsidérer les critères d’éligibilité dans un souci d’efficacité économique, il faudrait parfois exclure 90 % d’une population en ALD. Selon les chiffres fournis par l’assurance maladie, 50 % d’entre eux sont à l’origine de 7,6 % de la dépense ; inversement, 1 % des patients en ALD sont à l’origine de 15,7 % de la dépense.

Pour autant, faut-il abandonner toute idée de maîtrise des dépenses d’assurance maladie ? Le problème ne concerne pas que l’assurance maladie mais l’ensemble de la dépense de santé. Il ne s’agit pas pour nous, simplement, de gérer le curseur entre la dépense de l’assurance maladie du régime obligatoire et le reste à charge pris ou non en charge par une mutuelle, mais de gérer le problème de la dépense de santé du patient qui est en face de nous.

Les médecins généralistes demandent que l’on réforme ce système. La liquidation médicoéconomique, piste avancée pour la gestion des ALD, a été officiellement abandonnée par l’assurance maladie. Selon une lettre réseau très récente, on discute 8 % des lignes de prescription en ALD ou hors ALD, et il est sans doute impossible de descendre en dessous. Même les médecins conseil ne savent pas toujours nous dire, par exemple, si la chute de la personne diabétique est en rapport ou non avec son ALD.

Notre syndicat a fait de nombreuses propositions de réformes, dont certaines sont maintenant en place : médecin référent puis médecin traitant, maisons médicales de garde, maisons de santé publiques professionnelles, dont nous avons discuté hier au Sénat avec Mme Bachelot.

La première réforme consisterait à organiser le système. Il faut pouvoir permettre à un patient diabétique qui rencontre des problèmes de diététique ou de prise en charge de lésions cutanées des pieds, d’accéder à des conseils diététiques ou à des soins de pédicurie et de podologie. La dépense des ALD se fait principalement sur les soins hospitaliers, qui sont coûteux et qui traduisent en général une aggravation de la pathologie. Si l’on veut limiter l’utilisation de moyens lourds pour des patients en ALD, il faut renforcer les soins ambulatoires qui sont en général des soins de prévention et d’éducation sanitaire.

Cela signifie que la Haute Autorité de santé (HAS) doit mettre au point des référentiels de soins primaires, ce qui n’est pas actuellement le cas. Lorsqu’elle établit les référentiels de soins, elle ne consulte d’ailleurs pas les médecins généralistes, qui ne font pas partie des commissions. Nous nous en sommes émus auprès d’elle et elle a proposé de les intégrer pour être plus efficace.

Ces référentiels sont-ils suivis ? Lors de la campagne « antibiotiques », en 2002, nous avons soutenu la communication de l’assurance maladie dans les cabinets de médecine générale et nous avons accompagné sur le terrain les médecins généralistes en diffusant les tests de diagnostic rapide de l’angine. Cela s’est traduit par une baisse significative et profitable, en termes de santé publique, de la consommation des antibiotiques.

Cet accompagnement des professionnels, par exemple sous la forme des groupes de pairs, est très utile si l’on veut que les propositions qui sont faites en matière de référentiels soient effectivement appliquées sur le terrain.

Les médecins de santé primaire ont enfin besoin de travailler avec d’autres professions. Nous proposons donc de regrouper, dans les murs ou hors les murs, mais de façon fonctionnelle, certains professionnels qui travailleraient ensemble autour des patients.

M. Jean-Claude Régi : L’utilisation des ordonnances bizones est exaspérante pour les médecins. On peut parler d’un véritable harcèlement au quotidien ! La proposition, peut-être provocatrice, de la FMF, consiste à les supprimer purement et simplement. Il est tout à fait possible, dans un système moderne, de faire à la source la bascule entre ce qui doit être pris en charge à 100 % par l’assurance maladie et ce qui doit l’être par les mutuelles. Il suffit d’une volonté politique. Une telle situation ne peut plus durer. C’est même un point d’achoppement très fort au moment de la signature des conventions. Essayez de mettre cette proposition à l’étude avec les caisses. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ne devrait pas s’y opposer, dans la mesure où il existe un décret autorisant la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à utiliser certaines données informatisées.

M. Roger Rua : S’il y a une réforme à faire, c’est bien celle des ALD, dont le système est obsolète. Les raisons en sont d’abord médicales : certaines des pathologies de la liste se guérissent, ou ne nécessitent pas des soins aussi coûteux ni aussi longs qu’auparavant. Il faudrait plutôt raisonner à partir de pathologies aiguës et de pathologies chroniques. Dans les premières, les soins peuvent être très coûteux pour une durée très courte, dans les secondes, les soins sont longs mais moins coûteux. La prise en charge doit être adaptée à cette réalité.

On ne peut pas maintenir la prise en charge à 100 % du protocole ALD. Différentes propositions ont été faites. J’ai lu les comptes rendus des auditions des représentants de la CNAMTS, de la HAS, etc., qui m’ont beaucoup intéressé.

Nos propositions ne sont pas révolutionnaires. Un groupe de travail sur les protocoles ALD, qui a déjà beaucoup réfléchi avec l’UNCAM, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, s’est prononcé pour la production d’un document beaucoup plus simple et qui ne serait pas « harcelant » pour les médecins.

La réforme des ALD doit s’inscrire dans la réforme globale de l’offre de soins, autour du médecin traitant, auquel nous attachons beaucoup d’importance – en sachant que si nous ne voulons plus parler de médecin généraliste et de médecin spécialiste, on peut toujours parler de médecin traitant et de médecin expert consultant. Le malade doit pouvoir s’y retrouver et les soins coûteux doivent pouvoir être pris en charge globalement. Il faut y associer l’assurance maladie, mais aussi les complémentaires qui ont un rôle très important à jouer, surtout dans les phases aiguës des pathologies difficiles et invalidantes.

Il faudra que, dans l’offre de soins, la consultation de prévention joue un très grand rôle. Selon un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), si l’on fait un peu d’activité physique, qu’on ne fume pas et qu’on ne boit pas, on gagne quatorze ans d’espérance de vie et l’incidence du diabète arrive à zéro !

Pour les pathologies longues et plus ou moins coûteuses, nous préconisons une consultation annuelle de coordination, qui serait honorée à une juste valeur : 80 euros ne seraient pas impensables, si l’on veut donner un signal fort au médecin traitant. Une coordination et une protocolisation annuelles permettraient de faire des économies à court et moyen terme.

Il faut se servir des travaux de la HAS. Mais il faut appliquer avec souplesse les référentiels. Le médecin est seul face à son malade et il ne peut pas toujours se réfugier derrière des référentiels écrits. C’est dans cette souplesse et cette coordination que l’on trouvera la diminution des coûts qui permettra de financer les phases aiguës lorsque les malades en ont besoin.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous des aides à la prescription ? Au vu du parc informatique actuel, comment envisagez-vous de vous inscrire dans le parcours de soins coordonnés ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Faut-il aujourd’hui revoir la liste des trente maladies ? Vous semblez dire qu’il ne faut pas y toucher.

L’abandon de l’ordonnance bizone ne serait-il pas aussi un abandon de la prise de responsabilité du médecin et du patient ?

Un consensus général se dégage, s’agissant de la prévention. Comment la voyez-vous ? Plus y aurait de prévention, moins il y aurait de pathologies. Mais c’est un processus à long terme.

Comment contrôler les référentiels de traitement et leur application ?

Est-ce que les pratiques professionnelles en matière d’ALD sont évaluées ? Si oui, comment améliorer cette évaluation ?

Le système de rémunération utilisé dans le cadre des ALD est-il adapté ? Faut-il le revoir ? Que pensez-vous du protocole inter-régimes d’examen spécial, le protocole PIRES ? Faut-il modifier le mode de rémunération dans le cadre d’une prise en charge de patients qui seraient en longue maladie, pour maladie chronique ou maladie aiguë coûteuse ?

M. Michel Chassang : Notre système est très complexe et personne n’y comprend plus rien, ni les médecins ni les malades. Il y a différentes façons de le réformer, de façon soit homéopathique, soit radicale.

Il faut le faire de façon radicale, en supprimant le lien financier avec les ALD. Il n’y aurait plus d’ordonnance bizone et l’on se concentrerait exclusivement sur la qualité d’exercice et sur les soins prodigués aux patients. La protocolisation deviendrait ainsi le maître mot de la démarche. Cela sous-entend un certain nombre de choses.

Premièrement, le parcours de soins doit prendre tout son sens dans le cadre d’un suivi des pathologies chroniques. Chacun exerce ses missions en fonction de son rôle et de sa place : le médecin traitant et les médecins consultants spécialistes.

Le parcours de soins tel que nous l’avons imaginé à la suite de la loi du 13 août 2004 est certes perfectible, mais il va tout à fait dans ce sens. Il s’agit d’un parcours de soins non administratif, mais médicalisé. En cas de maladie chronique, le médecin traitant assure le suivi et la coordination des soins ; les patients consultent, selon la protocolisation définie, le spécialiste des organes concernés par la pathologie chronique et donc l’affection de longue durée.

Deuxièmement, il faut favoriser la communication entre les acteurs. Cela passe par des outils informatiques et par le développement des logiciels médicaux dans les cabinets, par une communication entre logiciels et donc entre professionnels, par le développement des aides à la prescription et des référentiels élaborés par des instances scientifiques auxquels les médecins de terrain doivent participer. L’évaluation des pratiques professionnelles prendra alors tout son sens. À ce propos, le président de la CSMF que je suis regrette fortement le retard pris en la matière, qu’il s’agisse des dispositions relatives à la formation continue ou à l’évaluation des pratiques professionnelles. Nous les attendons depuis fort longtemps. Il y eut la loi de 1993, les ordonnances de 1995, les lois de 2002, de 2004, nous venons d’apprendre que leur mise en place allait être à nouveau reportée, et l’on nous parle encore d’une nouvelle loi ! Je ne pense pas que la profession ait une quelconque responsabilité dans ces retards. Mais les Français sont très sensibles à ces sujets et il nous est insupportable de subir leurs attaques, par exemple lorsque nous participons à des émissions de radio ou de télévision.

Nous sommes favorables à une politique d’évaluation des pratiques professionnelles exigeante, concentrée sur les maladies les plus graves et les maladies chroniques.

Il faut pérenniser le système de rémunération tel qu’il existe actuellement en maintenant le paiement à l’acte comme rémunération du médecin libéral. Mais le paiement forfaitaire me paraît tout à fait adapté dans certains cas, pour peu qu’il soit complémentaire.

La rémunération actuelle de 40 euros est insuffisante. Il faut donc la faire évoluer.

Pourquoi ne pas réfléchir à des forfaitisations en matière de prise en charge des pathologies chroniques ? Ce ne serait pas simple à mettre en œuvre dans notre système. Nous sommes néanmoins favorables à l’expérimentation de ce type de rémunération.

Nous sommes très attachés à la prévention. Le système de santé est quasi exclusivement orienté vers le curatif, c’est dommage. La prévention pourrait jouer un rôle. Encore faudrait-il s’en donner les moyens.

Dans les pathologies chroniques, il y a deux types de prévention : la prévention primaire, avant que la maladie n’apparaisse, et la prévention secondaire, une fois que la maladie est apparue. On vient de décider de prendre en charge les soins de podologie pour les patients atteints de diabète de types 1 et 2. Des mesures de ce genre sont indispensables.

L’éducation du patient l’est tout autant. La mise en œuvre initiale d’une insulinothérapie pour un diabète de type 1 implique des cours, une formation collective qui, actuellement, ne sont pas rémunérés. Voilà ce qu’il conviendrait de mettre en œuvre.

Il faut donc réorienter le système de santé vers la prévention. Commençons par les pathologies les plus graves et les plus coûteuses.

M. David Tarac : Pour faire évoluer le système, une évaluation des pratiques professionnelles est nécessaire. Nous regrettons amèrement que le processus n’ait pas encore démarré. Mais il nous manque un élément très important : le codage des pathologies, dont disposent la plupart des pays européens. La France a mis en place un codage pour les actes techniques, mais pas pour les pathologies.

Il demandera certes beaucoup de travail parce que l’on ne s’inspirera pas de ce qui existe ailleurs, pour faire « franco-français ». Mais c’est le seul moyen de savoir à quel stade de sa maladie se situe un patient. La situation d’un enfant de huit ans qui déclare un diabète n’est pas la même quatre ou cinq ans après.

Comment la sécurité sociale peut-elle gérer les choses ? Actuellement, nous codons en C ou en CS, selon que nous sommes généralistes ou spécialistes. Mais qu’en est-il de la pathologie elle-même ?

M. Claude Leicher : Mes cheveux se dressent sur ma tête : comment coder les polypathologies ? Je fais pourtant partie de la commission de nomenclature et je connais très bien la classification commune des actes médicaux, ou CCAM, mais il y a 7 500 codes et le médecin généraliste que je suis est incapable de s’y retrouver !

Il est toujours intéressant de rencontrer ceux qui sont à l’origine des lois, pour nous qui sommes chargés de les appliquer sur le terrain. C’est ainsi que le parcours de soins prévu dans la loi du 13 août 2004 a été mis à l’envers par la convention actuelle : il n’est pas décidé par le médecin traitant, mais soit par le médecin spécialiste, soit par le patient ; et nous sommes très heureux de recevoir des lettres de la part de nos correspondants spécialistes auxquels nous n’avons adressé personne ! Aujourd’hui, le directeur de l’assurance maladie affirme que les deux tiers ou les trois quarts des soins entrent dans le parcours de soins, mais dans la pratique, nous ne sommes pas si sûrs qu’il en soit ainsi.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l’audition de M. Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française, Mme Christine Meyer, directrice des garanties mutualistes et de l’assurance santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour cette audition qui s’inscrit dans le travail qu’effectue notre mission sur les affections de longue durée – ALD. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je vous demanderai, dans un premier temps, monsieur Lenoir, de présenter la politique de la Mutualité française en matière d’ALD. Comment est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge de ces maladies ? Quelles sont ses principales pistes de réflexion ?

M. Daniel Lenoir : Je pourrais répondre par une boutade à votre question liminaire en faisant valoir que la Mutualité française est un peu en dehors du circuit des ALD compte tenu des modes de prise en charge et d’accompagnement des patients, même si un peu plus de deux tiers des bénéficiaires des ALD sont adhérents à des mutuelles.

Le classement en ALD est d’abord un concept administratif qui déclenche une prise en charge à 100 %. Il est le révélateur de l’évolution du système de soins de santé que j’ai l’habitude d’appeler la « révolution épidémiologique », laquelle est liée à deux facteurs principaux : premièrement, la capacité croissante à soigner des maladies, y compris avant qu’elles n’apparaissent – ce qui revient à soigner des facteurs de risque – grâce aux progrès de la médecine, deuxièmement, le vieillissement de la population.

Le dispositif des ALD comprend la prise en charge non seulement d’épisodes de soins lourds et coûteux pour le patient mais surtout du phénomène plus général des maladies chroniques. Les épisodes de soins coûteux se déroulent selon un processus où on distingue un avant, un pendant et un après. Les deux ALD qui ont les incidences les plus importantes sont l’hypertension artérielle et le diabète.

Le régime des ALD – qui ne s’appelait alors pas ainsi – a été créé juste après l’ordonnance de 1945 sur la sécurité sociale, à une époque où les complémentaires santé ne couvraient qu’une partie de la population, afin d’éviter un reste à charge trop important pour le patient. Leur première fonction était de fixer un plafond mensuel aux dépenses restant à la charge de l’assuré social. On leur a plus récemment assigné un autre objectif, centré sur une trentaine de pathologies introduites par le plan dit Séguin, qui a conduit à se poser la question de la qualité de la prise en charge.

En matière de politique publique, il n’est jamais très bon qu’un seul instrument couvre deux objectifs. Par ailleurs, indépendamment des problèmes que le dispositif des ALD pose à l’assurance maladie obligatoire en ce qu’il est un moteur de la dépense et conduit à la concentrer de plus en plus sur les pathologies visées, il ne répond plus ni à l’un ni à l’autre des objectifs fixés.

La loi du 13 août 2004 avait prévu la mise en place de plus de 8 millions de protocoles individuels entre le patient, le médecin et le médecin-conseil, ce que j’ai toujours considéré comme une utopie technocratique et que j’ai même qualifié de « gosplan »… Un peu plus de 2 millions de protocoles ont à ce jour été signés, ce qui montre que le dispositif était irréalisable. Il n’a d’ailleurs pas permis d’améliorer la qualité de la prise en charge de ces affections. Et il faudra bien se poser la question de la prise en charge des maladies chroniques en général, ALD ou non.

Contrairement à ce que l’on en dit, le dispositif des ALD n’assure pas la prise en charge à 100 % des pathologies les plus lourdes. Depuis quelques années, le reste à charge des personnes en ALD est devenu supérieur au reste à charge moyen. Si une partie des dépenses ne relève pas de l’ALD proprement dite, d’autres, directement imputables à l’ALD, ne sont pas couvertes à 100 % : forfait journalier, franchises, dépassements d’honoraires.

La réflexion conduite par la Mutualité française ne porte pas spécifiquement sur la question des ALD, qui ne peut être réglée séparément des autres. Le moment où une maladie est prise en compte comme une ALD, qui relève d’une décision administrative – ce qui explique les difficultés des médecins à gérer l’entrée et la sortie du dispositif – s’intègre dans une séquence de soins longue, où il y a un avant, un pendant et un après. La nécessité de prendre en compte la totalité de la séquence a des conséquences sur l’action de la Mutualité française, sur les conditions de suivi par les professionnels de santé et sur l’organisation de la prise en charge dans la durée, c’est-à-dire la coordination entre l’assurance maladie obligatoire et la Mutualité française – question récurrente qui n’a pas été réglée, même si c’était probablement dans l’intention du législateur, par la loi de 2004. Je vais prendre ces trois points un à un.

Bien que la Mutualité ne dispose pas de moyens aussi importants que l’État et l’assurance maladie, elle a eu de tout temps un engagement important, et parfois précurseur, en matière de prévention. Elle y consacre environ 12 millions d’euros, presque exclusivement destinés aux facteurs de risque, donc à ce qui peut générer des ALD : risques cardio-vasculaires, cancers, situations de dépendance et de perte d’autonomie. Plus on agit sur ces facteurs, plus on retarde l’entrée dans des situations lourdes, voire on les élimine. Cette action de prévention a donc un effet bénéfique sur la prise en charge du coût des ALD même si on retarde aussi par la même occasion – et c’est heureux – le moment de la sortie fatale. Elle a contribué à l’allongement de la durée de la vie et a apporté un bien-être supplémentaire. L’espérance de vie sans incapacité augmente plus que l’espérance de vie en général. Le bilan des actions de prévention apparaît donc globalement positif, y compris sur la dépense.

Nous avons également engagé des actions plus systématiques sur chaque partie des séquences de soins : l’avant, le pendant, l’après. Depuis le mois de mai, nous avons lancé dans deux régions le dispositif Priorité santé mutualiste. Cette action auprès de nos adhérents et de l’environnement a pour but de procurer à ceux qui le souhaitent une information, dont la qualité est totalement validée, sur les dispositifs de prévention afin d’aider à la fois l’orientation dans les moments les plus critiques et l’accompagnement une fois ces moments passés. Le concept administratif de l’ALD recouvre des réalités lourdes pour les assurés et les mutualistes. Le dispositif Priorité santé mutualiste n’a pas été pensé uniquement par rapport aux ALD mais par rapport aux sujets les plus lourds pour nos adhérents, même si nous avons choisi de commencer par des thématiques et des pathologies qui sont pour la plupart considérées, du point de vue administratif, comme des ALD : cancers, affections cardio-vasculaires, addictions au sens général, aide à l’autonomie liée au cinquième risque. Nous comptons généraliser ce dispositif l’année prochaine à l’ensemble du territoire et l’étendre à d’autres domaines de pathologies.

La nécessité d’intégrer la réflexion sur les ALD dans la séquence totale des soins dispensés aux patients conduit à prendre en compte l’organisation des soins et le mode de rémunération des professionnels de santé. Pour les pathologies chroniques, l’acte ponctuel n’a pas de sens, notamment pour le médecin traitant. Ce qui compte, c’est le suivi du patient dans la durée. Il arrive que des pathologies chroniques conduisent à une multiplication d’actes inutiles et ne soient pas suivies dans la durée. Cela met en cause des organisations de soins sur lesquelles il serait trop long de revenir. Elles sont connues et j’espère que les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi « Patients, Santé, Territoire » permettront d’y apporter une vraie réponse, notamment pour les soins primaires. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la prise en compte de la continuité des soins. Le paiement à l’acte – auquel le « forfait » de 40 euros prévu par la convention de 2005 apporte une mauvaise réponse – incite à inscrire les patients en ALD mais n’a pas d’effets réels sur leur suivi dans la durée. Il faut rechercher des dispositifs de rémunération des soins dans la durée prenant en compte, dans un cadre ordonné, l’ensemble des intervenants : médecin traitant, médecins adressés et spécialistes. J’espérais que les expérimentations prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour cette année auraient permis de tester ce type de rémunération. En dehors de l’épisode de la prise en charge à 100 % quand la maladie est considérée comme une ALD, cela nécessite – et nous y sommes prêts – une prise en charge conjointe de la rémunération du médecin et de l’ensemble des professionnels de santé qui gravitent autour de la personne soignée.

Le troisième sujet à prendre en compte quand on intègre les ALD dans l’ensemble du processus de soins est l’organisation de la prise en charge dans la durée. Hélas, les dispositifs qui permettraient d’assurer cette prise en charge conjointe n’existent pas ou n’ont pas été mis en œuvre. Les mutuelles ne savent pas quels sont leurs adhérents en ALD et n’ont aucune connaissance de leur situation. Elles n’ont pas accès à l’information. Pour assurer un suivi personnalisé sans risquer une quelconque dérive – comme la sélection des risques – la Mutualité a engagé des expérimentations pour avoir accès de façon anonyme aux données de soins individualisés. La question de l’accès à l’information se posera si nous voulons participer plus efficacement au suivi des patients dans la durée. La Mutualité n’a également que peu d’informations, pour ne pas dire pas du tout, sur l’économie générale du système : son coût, sa prise en charge. Cela tient au fait que les dispositifs de l’IDS – l’Institut des données de santé – se sont mis en place tardivement et ne permettent pas encore à la Mutualité d’accéder à l’EPIBAM – échantillon permanent inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie. La question de l’accès au SNIIRAM – système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie – est potentiellement réglée à ceci près que, à ma connaissance, l’arrêté n’a toujours pas été soumis à la signature.

Si nous voulons aller plus loin dans la prise en charge de ce que j’appelle les maladies chroniques, au-delà de l’épisode ALD qui est un mécanisme purement administratif, il faudra passer à un conventionnement tripartite – prévoyant une rémunération, pour l’essentiel forfaitaire, attachée au suivi dans la durée – avec des engagements individuels de qualité de prise en charge par ceux qui souscriront les contrats. J’espère que l’expérimentation prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 permettra d’ouvrir cette piste.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quand apprenez-vous qu’un assuré est en ALD ?

M. Daniel Lenoir : Nous ne l’apprenons pas. L’assuré n’a aucune raison de nous le signaler.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous n’intervenez donc pas dans le remboursement des soins qu’il reçoit ?

M. Daniel Lenoir : Si. Nous intervenons à la fois sur ce qui n’est pas pris en charge dans le cadre de l’ALD et sur ce qui n’est pas remboursable : le forfait journalier, les dépassements d’honoraires.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Beaucoup de personnes en ALD, en particulier âgées, abandonnent leurs contrats complémentaires. Peut-on en évaluer le nombre ?

M. Daniel Lenoir : C’est un phénomène qui existe mais il ne nous est pas possible de l’évaluer.

La Mutualité est aujourd’hui comme un aveugle dans un souterrain. Elle n’a accès à aucune information, qu’elle soit individuelle ou collective, ce qui m’empêche de répondre à votre question. Nous savons que le phénomène dont vous parlez existe. J’ai cependant le sentiment qu’il a plutôt tendance à s’atténuer car le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a signalé, il y a quelques années, que le reste à charge d’une personne en ALD dépasse maintenant, après lui avoir été inférieur, le reste à charge moyen.

Abandonner une complémentaire n’est pas une bonne chose, pour trois raisons. Premièrement, même en ALD, il y a un reste à charge. Deuxièmement, on espère toujours que les patients sortiront d’une situation d’ALD – le plan d’action de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) visait un meilleur respect des critères de sortie – et, dans ce cas, il est important qu’ils restent couverts par leur complémentaire ; troisièmement, le rôle d’une mutuelle ne se limite pas à la couverture des dépenses, elle assure également un accompagnement de ses adhérents au-delà et même indépendamment de la prise en charge des frais.

Mme Christine Meyer : Nous ne disposons que de chiffres bruts. Nous savons, par exemple, que 17 % des personnes en ALD n’ont pas de couverture complémentaire ni de Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) alors que ce taux est de 14 % dans la population générale.

M. Daniel Lenoir : Le phénomène est limité puisque la différence de taux est de trois points. Nous ne savons pas comment il évolue.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ne faudrait-il pas informer les patients en ALD de la nécessité de garder une complémentaire ?

M. Daniel Lenoir : En effet car l’ALD repose actuellement sur une fiction : à savoir que les frais sont pris en charge à 100 % alors que de plus en plus de dépenses ne le sont pas, ne serait-ce que les dépassements d’honoraires.

Cela ne règle pas la question des complémentaires puisque cela fait deux ans que nous attendons que les négociations sur le secteur optionnel démarrent.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Allez-vous au-devant des assurés pour les mettre en garde contre le risque de se retrouver en difficulté s’ils n’ont pas de complémentaires ?

M. Daniel Lenoir : Les gens adhèrent librement à une mutuelle. Nous luttons contre l’idée reçue selon laquelle les assurés en ALD sont pris en charge à 100 %. La continuité de la couverture complémentaire aura d’autant plus de sens qu’elle pourra être intégrée à la continuité de l’accompagnement des pathologies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les personnes qui souffrent de maladies chroniques ont l’impression d’être prises en charge pour longtemps, voire définitivement. Il faudrait donc une information conjuguée de l’assurance maladie obligatoire, du corps médical et de la Mutualité. Votre politique d’information me paraît timide.

M. Daniel Lenoir : Les mutuelles n’ont pas pour objectif de faire du chiffre d’affaires. Elles ne veulent pas donner le sentiment de vouloir garder coûte que coûte leurs adhérents pour une question d’argent. C’est la raison pour laquelle nous avons plutôt axé notre action sur le suivi des pathologies en développant des services d’accompagnement, notamment à travers Priorité santé mutualiste – qui bat de fait en brèche l’idée de la prise en charge à 100 %.

Les mutuelles expliquent évidemment à leurs adhérents qu’il est de leur intérêt de rester chez elles. Mais elles ne font pas de grandes campagnes avec le slogan : « Vous êtes classés ALD. Restez dans votre mutuelle ! »

L’information doit être donnée également par l’assurance maladie. Cela étant, je suis persuadé que de plus en plus d’assurés sociaux se rendent compte qu’il vaut mieux garder leur mutuelle parce qu’ils en ont besoin même en ALD et qu’on peut sortir de l’ALD.

M. Jean-Luc Préel : Je suis très heureux de vous entendre, monsieur Lenoir, mais un peu déçu par vos propos car vous êtes un fin connaisseur des problèmes de santé puisque vous avez exercé des fonctions à la Mutualité sociale agricole (MSA) et à l’assurance maladie avant de présider la FNMF.

Il semble être question de pousser le curseur, de revoir la liste des ALD et de modifier l’entrée et la sortie dans le dispositif. La Mutualité est-elle en demande de telles évolutions ou les redoute-t-elle ?

Comme le régime général est basé sur la solidarité et que la Mutualité a de plus en plus un comportement assurantiel, le fait de prendre en charge également les affections chroniques longues et coûteuses changerait-il votre comportement et le montant des cotisations ?

Vous devez quand même avoir des informations de temps en temps.

M. Daniel Lenoir : Par la presse !

M. Jean-Luc Préel : Vous savez quand les malades se font opérer. Vous devez avoir également des informations sur les médicaments. Le président de l’Institut des données de santé est très dynamique. Les choses devraient évoluer.

Troisièmement, pour permettre aux actions de longue durée de fonctionner, il existe aujourd’hui des réseaux de santé pour certaines pathologies. Comment doivent-ils être financés pour mieux fonctionner ?

M. Daniel Lenoir : D’abord, je suis désolé de vous avoir déçu, monsieur le député, mais je ne pense pas avoir esquivé la question. Pour avoir, moi aussi, une certaine pratique de la technocratie, je sais que ce n’est pas en faisant bouger les curseurs qu’on réglera le problème.

Le dispositif des ALD représente 60 % de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), soit quelque 90 milliards d’euros. L’ensemble des complémentaires rembourse 21 milliards. On peut imaginer toutes les politiques de transfert possibles, cela ne servira à rien. Nous avions nous-mêmes intégré dans nos prévisions le plan ALD de la CNAMTS qui visait un meilleur respect des critères d’entrée et de sortie. Comme cet objectif n’a été réalisé qu’à 25 % alors que nous l’avions intégré à 100 % dans nos prévisions, nos cotisations ont été pendant deux ans un peu supérieures aux risques. Tout transfert ne peut se solder que par une augmentation des cotisations à due proportion car, contrairement à l’assurance maladie, une mutuelle ne peut pas être en déficit, sous peine de faire faillite.

La seule façon de régler le problème de façon pérenne est, d’abord, d’assurer une vraie continuité des soins qui permette d’en garantir l’efficacité dans la durée et, si possible, de retarder, voire de supprimer, des épisodes de soins lourds, coûteux et douloureux pour les personnes, ensuite, de voir la répartition de la prise en charge entre les uns et les autres. À court terme, il ne peut y avoir que des ajustements. Je ne vois pas d’autre solution que de maintenir un système analogue à celui de la prise en charge des ALD en l’intégrant dans un dispositif plus global de suivi des maladies chroniques.

C’est pourquoi je suis déçu que vous ayez été déçu : cette idée me semblait un peu nouvelle.

Vous parlez de comportement assurantiel pour la Mutualité. Je ne vais pas engager de polémique. Je rappellerai simplement le droit communautaire. Selon le projet Solvabilité 2, la Mutualité et les institutions de prévoyance sont classées comme des activités d’assurance à l’échelle européenne. C’est pourquoi nous sommes tenus de respecter les règles qui s’appliquent à ces dernières, notamment en termes de provisionnement des risques. Nous avons donc été obligés de dégager sur nos propres ressources de quoi alimenter ces marges de solvabilité.

Pour autant, le code de la mutualité comporte un principe de non-discrimination et celui-ci est respecté. Mais il existe un risque, j’en conviens, que les assureurs en général et – pourquoi pas ? – telle ou telle mutuelle – parce qu’elle aurait perdu le sens ou, parce qu’elle y serait poussée par la pression du marché – utilisent les données de santé pour faire de la sélection des risques ou de la tarification au risque.

L’accès aux informations individuelles est un sujet extrêmement sensible. La Mutualité n’a pas même accès à l’information sur les médicaments, simplement à leur taux de remboursement. La seule façon d’obtenir des informations, en évitant le risque que j’ai évoqué, est d’utiliser des dispositifs sécurisés et anonymisés. C’est ce que nous avons développé, à titre expérimental, en application des préconisations du rapport de M. Christian Babusiaux, publié en 2003. Notre système fonctionne. Nous avons obtenu l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) après un audit par la délégation à la sécurité des systèmes d’information de la défense nationale. Nous appliquons la même règle sur notre plateforme de Priorité santé mutualiste : l’adhérent peut y voir sa situation de santé mais la mutuelle n’a pas d’information sur sa pathologie.

Le dynamisme et la volonté du président de l’Institut des données de santé ne sont pas en cause. Le projet n’aurait pas pu aboutir sans lui. Mais force est de constater que les choses prennent du temps. Il n’est pas normal que la Mutualité, les complémentaires et leur fédération n’aient pas accès à l’EPIBAM.

Sur les réseaux de pathologie – réseau pour le diabète, réseau pour le cancer –, je concède que j’ai été trop général. Si l’on peut dire que le système de soins a fait globalement des progrès, certains secteurs en ont fait plus que d’autres. Les écarts se sont creusés. C’est pourquoi dans Priorité santé mutualiste, il y a un bloc Aide à l’orientation, afin de permettre à nos adhérents de s’adresser à la bonne porte, d’avoir un suivi efficace et de qualité et de ne pas avoir de pertes de chance.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Un compte rendu d’audition de la MECSS du Sénat évoque un coût de gestion de la Mutualité de 24 ou 25 %. Quel est le taux exact ?

M. Daniel Lenoir : Je m’étonne que des taux actuellement soumis à procédure contradictoire soient communiqués au législateur. Le rapport de la Cour des comptes a fait apparaître des chiffres qui nous ont surpris, dont certains sont faux.

Les termes « coûts de gestion » sont impropres parce que s’ajoutent aux coûts de gestion réels – qui sont en train d’être vérifiés dans le cadre de la procédure contradictoire – des coûts permettant de couvrir les besoins en marge de solvabilité. Il faut également tenir compte du fait qu’il y a des années où les mutuelles ont des cotisations supérieures à leurs prestations et d’autres où c’est l’inverse, ce qui permet aux comptes de s’équilibrer dans la durée.

Les taux devraient être de l’ordre de 15 à 17 %.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Nous vous remercions.

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