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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 24 septembre 2008

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur les affections de longue durée

– Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Jean Mallot, coprésident : Merci, madame la ministre, de participer à cette réunion. La MECSS travaille depuis plusieurs mois sur les affections de longue durée – ALD. Nous avons auditionné à peu près tous les acteurs concernés. Faut-il modifier le système existant ? Plusieurs pistes ont été évoquées, notamment par la Haute Autorité de santé - HAS ; un rapport sur l’éventualité d’un bouclier sanitaire a également été commandé. Il nous a donc semblé utile que vous nous fassiez part de votre analyse et de vos projets avant la rédaction du rapport de Jean-Pierre Door.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative : En proposant en juin dernier de faire le « 35 à 35 » pour redresser les comptes de l’assurance maladie, le directeur général de l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance maladie) a suscité un débat sur l’avenir du régime des ALD, que la MECSS avait d’ailleurs anticipé.

Un émoi légitime a suivi cette proposition, avec laquelle j’ai exprimé mon désaccord en indiquant devant la représentation nationale que les médicaments remboursés à hauteur de 35 % prescrits dans le cadre d’une ALD n’étaient pas des médicaments de confort, mais d’accompagnement. J’ai donc réitéré mon attachement à la prise en charge de ces médicaments à 100 %, que le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause.

Ce débat n’aura cependant pas été inutile. La question de la prise en charge des personnes atteintes de pathologies chroniques lourdes et coûteuses est en effet au cœur de notre système de santé et de solidarité et de mes préoccupations.

Les ALD concentrent 64 % des dépenses de santé. Les dépenses de ce régime enregistrent une croissance en volume de 6 % par an et expliquent plus des trois quarts de l’évolution des dépenses sous ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie). D’ici une dizaine d’années, elles devraient représenter 70 % des dépenses de santé, d’où la tentation de revenir sur leur régime de prise en charge. Ne nous trompons cependant pas de combat en réduisant la question à une simple équation financière : le problème ne réside pas dans la croissance du nombre des bénéficiaires du régime, mais dans des prises en charge thérapeutiques inadaptées pour nombre de patients.

Au risque de choquer certains d’entre vous, je ne considère pas l’accroissement du nombre de personnes en ALD comme un drame. Je suis en revanche convaincue que l’augmentation des dépenses de ce régime n’est pas inéluctable.

Le régime des ALD permet aujourd’hui à plus de 9 millions de personnes de bénéficier d’une prise en charge à 100 % pour les dépenses en rapport avec leur maladie exonérante. S’il n’avait pas été instauré en 1945, beaucoup de nos concitoyens atteints de maladies longues et coûteuses ne pourraient accéder à des soins du fait d’un reste à charge trop élevé.

Ce régime représente donc un progrès social et médical considérable, et il convient de le préserver. Si le nombre de diabétiques augmente, il faut les soigner correctement et assumer la dépense.

J’observe d’ailleurs que si les dépenses liées aux ALD progressent, c’est aussi le cas de celles liées aux autres affections, même si leur rythme de croissance est un peu moins rapide. Et si le nombre des patients en ALD augmente, c’est d’abord parce que les maladies sont mieux détectées, à des stades plus précoces, et parce que des traitements plus efficaces permettent de mieux les soigner. Ce progrès médical continu justifie que le système des ALD soit revu périodiquement et que la HAS se prononce régulièrement sur la rénovation de ses critères d’entrée et de sortie, comme elle l’a fait en décembre dernier.

L’admission en ALD garantit en outre au patient de bénéficier d’un suivi plus adapté à sa pathologie, puisque la prise en charge financière se double d’un suivi adapté de la maladie, formalisé par un protocole de soins et un suivi coordonné par le médecin traitant. C’est ainsi que la HAS procède à l’élaboration de listes indicatives des actes et prestations nécessités par chacune des 30 ALD et que nous disposons de guides médecins et de guides patients.

Je refuse donc que l’on pointe du doigt le développement du régime des ALD comme le signe d’un échec de notre système de santé. C’est au contraire un signe de sa réussite !

Si ce système doit faire débat, c’est pour une autre raison : il n’est pas parfait. Depuis plusieurs années, les personnes en ALD sont confrontées à des « restes à charge » moyens plus élevés que celles qui ne sont pas en ALD. Ce régime masque en effet de profondes disparités entre les patients, les restes à charge pouvant aller de 0 à près de 3 000 euros. Certaines personnes en ALD ont des restes à charge très faibles, du moins sur une année, parce que leur maladie s’est stabilisée ou n’a pas encore atteint un stade invalidant, tandis que d’autres sont confrontées à des dépenses importantes pour des soins sans rapport avec leur maladie exonérante ou à des dépassements d’honoraires mal pris en charge par leur complémentaire. Cela n’empêche pas que des patients qui ne sont pas en ALD puissent être confrontés à des restes à charge élevés.

Ce constat appelle deux remarques. Si le reste à charge des patients en ALD est dispersé, son impact dépend surtout de l’affiliation à une assurance complémentaire, dont bénéficient 93 % des Français mais seulement 90 % des patients atteints d’une maladie chronique. Cela pose un vrai problème pour les autres, d’où la nécessité de progresser dans le développement de l’assurance complémentaire.

Par ailleurs, cette inéquité entre les assurés nourrit les propositions visant à ce que la « protection financière » soit détachée de la condition médicale, l’exonération à 100 % dépendant du montant du reste à charge de chacun. C’est le concept du bouclier sanitaire, qui a fait l’objet du rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Pour être viable, ce bouclier devrait être élaboré en fonction du reste à charge, mais aussi des revenus, afin d’instaurer plus d’équité entre les assurés. Cela équivaudrait à un changement de paradigme radical pour notre sécurité sociale, dans laquelle chacun paye selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, changement en quelque sorte similaire à la proposition de mettre la CSG (contribution sociale généralisée) dans l’impôt sur le revenu.

Très lourde techniquement, cette solution aurait surtout des effets sur les assurés dépourvus de couverture complémentaire. En outre, le rapport n’a pas analysé la situation à l’hôpital, où les restes à charge sont parfois très élevés. Aussi ai-je demandé des analyses complémentaires à la CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés) pour évaluer la faisabilité de cette solution, qui suppose entre autres que l’on puisse effectuer des croisements de données concernant les dépenses de santé, les restes à charge et les revenus des assurés. Cette analyse est attendue pour la fin de l’année, et vous en aurez connaissance.

Il s’agit donc d’un débat lourd, qui mérite une discussion large et dans la durée.

Je le répète, je ne crois pas que l’augmentation des dépenses liées aux ALD soit inéluctable. Pour maîtriser ces dépenses et préserver ce régime auquel nous sommes tous attachés, il faut penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient et le patient lui-même.

Je reste convaincue qu’il existe des marges de manœuvre pour mieux soigner en maîtrisant un peu mieux la dépense de santé.

Je tiens à être claire sur un point : le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2009 ne comportera aucune mesure concernant les patients en ALD ou la participation financière des assurés respectueux du parcours de soins.

Ma stratégie vise en premier lieu à poursuivre les efforts entrepris en 2004 pour mettre à jour les ALD. La réforme de 2004 a confié à la HAS le soin de formuler des recommandations sur les critères médicaux d’admission et de sortie des ALD. La seule modification retenue à ce jour a concerné les affections psychiatriques de longue durée. Elle s’est traduite par une évolution beaucoup plus faible des effectifs du fait du resserrement des critères d’entrée.

Dans un avis publié en décembre 2007, la HAS a estimé qu’une mise à jour du régime s’imposait afin d’en recentrer le bénéfice sur les malades qui en ont vraiment besoin. En raison des progrès techniques et de l’amélioration des traitements, les premiers stades de certaines pathologies – par exemple l’hypertension artérielle – restent en effet bénins et relativement peu sévères.

Ces propositions sont intéressantes, mais il reste à ce stade très difficile d’isoler les cas d’hypertension sévère. En outre, la moyenne des dépenses de soins d’un patient hypertendu est sensiblement inférieure à celle des autres assurés de droit commun. Quelles économies pouvons-nous attendre d’une révision des critères d’entrée, sachant que le traitement d’un diabète équilibré ou d’une hypertension ne coûte pas grand-chose ?

En revanche, il n’en va pas de même s’agissant des critères de sortie des ALD. Aujourd’hui, on guérit d’un cancer. Doit-on rester en ALD toute sa vie ? Faut-il faire intervenir le critère du coût, qui peut baisser après la phase aiguë de la maladie ? Ce sera à la HAS de répondre à ces questions. Mais en toute hypothèse, le suivi des patients après la sortie du système devra être assuré.

La réforme de 2004 a instauré la « protocolisation » de l’entrée en ALD, mais cette logique doit être poussée à son terme pour permettre l’optimisation du recours au soin. Le protocole de soins définit, compte tenu des recommandations de la HAS, les actes et prestations nécessités par le traitement de l’ALD. Or, les listes très larges établies par la HAS ne permettent pas de guider les prescriptions des médecins selon une logique d’efficacité thérapeutique mieux adaptée et moins coûteuse pour les patients.

C’est sans doute là qu’existent les marges de manœuvre les plus importantes. Aujourd’hui, nous soignons l’hypertension artérielle sans hiérarchiser les traitements, notamment l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion et des sartans. Tous les pays qui nous entourent le font et ont émis des recommandations médico-économiques en ce sens. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de millions d’euros qui sont ici dépensés de façon « sous-optimale ». Je pourrais aussi évoquer les traitements du diabète ou le recours à de nombreux produits de santé.

Je souhaite donc que les recommandations médico-économiques de la HAS, attendues pour la fin de l’année, permettent de mieux hiérarchiser la liste des actes et prestations en indiquant par exemple systématiquement les traitements à utiliser en première, deuxième ou troisième intention.

Le respect de l’ordonnancier bizone, qui permet d’économiser 80 millions d’euros en moyenne par an, doit également être renforcé. Le bilan de cet ordonnancier est mitigé. La CNAMTS doit donc mettre en place des contrôles plus rigoureux des prescriptions de médicaments : ceux qui sont inscrits dans le haut de l’ordonnancier bizone, et qu’il est justifié de rembourser à 100 %, doivent être en rapport avec la pathologie de longue durée.

Je souhaite aussi que la CNAMTS travaille à la liquidation médicalisée de l’ordonnancier, comme cela se fait déjà dans le régime social des indépendants.

Je crois que nous ne ferons pas d’économies sans progresser dans la prise en charge des patients en ALD. Le problème des ALD est aujourd’hui souvent considéré sous le seul angle financier. Mais, seule l’amélioration de la prise en charge thérapeutique des patients concernés nous permettra de réaliser des économies.

Ma stratégie repose donc sur trois piliers. Il faut d’abord améliorer l’organisation du processus de soins pour les patients en ALD. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la continuité des soins. Le paiement uniquement à l’acte n’a pas de sens s’agissant de malades chroniques : il faut aller vers des rémunérations au forfait. À cet égard, le « forfait » annuel de 40 euros par patient en ALD prévu par la convention médicale de 2005 a apporté une mauvaise réponse à un vrai problème. Il se révèle en outre inflationniste, puisqu’il incite à inscrire les patients en ALD, mais sans réel effet sur leur suivi dans la durée.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a fixé le cadre permettant de mener des expérimentations de rémunération au forfait. Ce type de rémunération pourrait permettre de renforcer le suivi des patients chroniques et de mieux associer les organismes complémentaires. Je poursuis d’ailleurs les discussions avec les principales fédérations d’organismes complémentaires afin de bien encadrer les éventuelles modalités de leur intervention.

Il faut ensuite améliorer l’organisation du système de soins par une meilleure coordination entre les différents intervenants. Les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi d’organisation de la santé dont nous débattrons dans quelques semaines permettront d’y apporter des réponses, notamment en ce qui concerne les soins primaires.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, la prévention doit occuper davantage de place dans notre système de santé. Nous n’avons pas assez investi en ce domaine. Le Président de la République l’a rappelé la semaine dernière à Bletterans, en nous fixant comme objectif de faire passer de 7 à 10 % la part de nos dépenses de prévention – ce qui représente tout de même une augmentation de 50 %.

Les efforts doivent donc être poursuivis, dans la ligne du plan d’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de pathologies chroniques.

J’ai confié le 29 novembre dernier à Mme Marie-Thérèse Boisseau la présidence du comité de suivi de ce plan. Le comité a constitué quatre groupes de travail : programme d’accompagnement des patients à l’éducation thérapeutique, rôle des aidants, accompagnement social des patients, proximité avec le terrain. Des propositions ont déjà été faites – par exemple l’intégration de l’éducation thérapeutique dans la formation médicale.

Il faut bien sûr aller plus loin. MM. Saout, Bertrand et Charbonnel viennent de me remettre un rapport sur le développement de l’éducation thérapeutique, qui a nourri mon projet de loi. Celui-ci vous proposera donc une organisation de l’éducation thérapeutique reposant sur plusieurs actions : l’identification des pathologies prioritaires au niveau national par le ministre de la santé ; l’élaboration d’un cahier des charges national ; et l’établissement d’une convention, au niveau régional, entre l’Agence régionale de santé, l’ARS, et les équipes d’éducation thérapeutique, sur la base du cahier des charges national et des besoins régionaux, à charge pour l’ARS de s’assurer du maillage territorial de l’offre en ville et à l’hôpital et de financer les programmes d’éducation thérapeutique.

La mise en place des agences régionales de santé va également permettre, en régionalisant les politiques de prévention, de mieux prendre en compte la répartition géographique des ALD – l’ALD est aussi un marqueur médico-social au niveau régional. Pour les pathologies graves, la géographie des ALD est en effet bien corrélée avec celles de la mortalité et des facteurs de risque. C’est le cas du diabète, du cancer du poumon, de la cirrhose du foie, de la sclérose en plaques, pathologies dont la fréquence est élevée dans la moitié nord du territoire métropolitain.

Nous devons exploiter toutes les nouvelles formes de prise en charge thérapeutique. J’ai récemment pris connaissance d’un document de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) sur « l’impact du vieillissement démographique sur les structures de soins à l’horizon 2010, 2020 et 2030 ». Les analyses montrent que les effets du choc démographique sur notre système de soins peuvent être absorbés, notamment en ce qui concerne les pathologies chroniques comme les tumeurs et le diabète, à une double condition : la première, mieux coordonner le système de soins en développant la prise en charge d’aval – en soins de suite ou en médecine de ville –, ce qui permet de diminuer sensiblement le nombre d’équivalents journées par un raccourcissement de la durée des traitements à l’hôpital et d’améliorer l’offre en soins palliatifs ; la seconde, adopter, pour des pathologies comme le diabète, une politique de prévention très volontariste et une prise en charge plus précoce.

Je partage entièrement les conclusions de cette étude, et suis donc déterminée à poursuivre la modernisation du pilotage de notre système de santé. Le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires » permettra de mettre en place une meilleure organisation de notre système de soins avec la création des ARS.

Comme dans tous les pays qui nous sont comparables, nos dépenses de santé augmentent plus vite que le produit intérieur brut. Une gestion rigoureuse est donc nécessaire.

Il n’en reste pas moins que les pathologies chroniques ou aggravées sont le moteur des dépenses de santé, d’où l’importance des décisions que nous prendrons pour les réorganiser et mieux les prendre en charge.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Merci, Madame la ministre. Je vais pouvoir ranger la liste des questions que j’avais préparées, car vous y avez en grande partie répondu.

Nous arrivons au terme de notre réflexion sur les ALD. Nous étions donc heureux de vous entendre pour conclure nos auditions.

Les ALD ont été un sujet de réflexion pour nous, mais aussi pour la HAS ou le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

Vous avez dit que la croissance des dépenses relatives aux ALD n’était pas inéluctable. Soit, mais la croissance du nombre de personnes en ALD, elle, est inéluctable. Il faut donc continuer à réfléchir à leur prise en charge dans l’avenir, d’autant que le système est devenu complexe, voire opaque. Vous l’avez rappelé, il faut revenir sur les critères d’admission, le suivi des pathologies et leur évolution. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le rapport de la HAS, qui évoque un toilettage ou une révision de la liste de ces maladies, des conditions d’admission et de sortie… Dans la mesure où l’on peut désormais guérir d’un cancer ou d’un infarctus, doit-on demeurer toute sa vie dans le régime des ALD, comme c’est le cas aujourd’hui ? L’exonération du ticket modérateur pour les ALD est un bon système, mais il est sans doute à bout de souffle.

Des pistes de réflexion ont donc été ouvertes, notamment celle du bouclier sanitaire. Certains aimeraient poursuivre dans cette voie. Bien des pays étrangers s’y sont engagés. Elle est moins complexe qu’on veut bien le dire, y compris en termes d’organisation.

Bref, faut-il laisser perdurer le système actuel ? Vous avez parlé d’évaluation des bonnes pratiques, d’éducation thérapeutique, de prévention. Tout cela permettra d’améliorer le suivi médical. J’observe pour ma part que le système actuel des ALD lie la prise en charge financière et la prise en charge médicale. Or, on pourrait les séparer, c’est-à-dire continuer à soigner les ALD, mais réfléchir à d’autres formes de financement. Il existe des systèmes qui permettent de le faire tout en restant dans le cadre du pacte de 1945.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir réaffirmé avec force, en traitant des ALD, les principes de solidarité qui fondent notre sécurité sociale et, par extension, le pacte républicain. Je tiens à préciser que pas davantage que vous ne l’avez fait, notre mission n’a imaginé diaboliser ceux qui, dans notre population, sont atteints des pathologies ainsi définies.

Évoquant les défis qui se posent, notamment les contraintes budgétaires, vous avez souligné la complexité technique de l’instauration d’un bouclier sanitaire. Vous avez aussi rappelé que la réflexion sur les ALD s’inscrit dans un projet plus vaste d’optimisation de l’utilisation des deniers publics par la réforme de l’hôpital, de régionalisation du système de soins et de décloisonnement du médical et du social. Vous avez souligné la nécessité de rationaliser le système de soins, une préoccupation qui nous est commune et qui suppose de maîtriser les informations médicales concernant les patients, chacun le sait. Mais ces réformes demandent du temps et, parallèlement, le profond déficit de l’assurance maladie, et la crainte que la crise économique mondiale ne l’aggrave encore en 2009, imposent des réponses à court terme.

La MECSS est favorable à ce que chaque personne qui souffre d’une ALD soit dotée d’un dossier médical spécifique. Même si le débat se poursuit sur le périmètre à donner au régime « ALD », l’accord s’est fait sur le principe. Il serait donc judicieux qu’à chaque malade en ALD soit affectée une clef USB contenant les informations médicales le concernant. Cela préfigurerait le dossier médical personnel dont la gestation se fait dans la souffrance… Sachant qu’une clef USB assortie d’un système de reconnaissance biométrique destinée à garantir la confidentialité de l’accès ne coûte qu’une dizaine d’euros, on ébaucherait ainsi, pour un coût limité, le parcours de soins que vous appelez de vos vœux.

Par ailleurs, la volonté de suivre les recommandations de la HAS relatives à la rationalisation des procédures de soin par la définition d’un protocole de traitement spécifique à chaque affection renvoie aux logiciels d’aide à la prescription. Leur utilisation deviendra-t-elle obligatoire ?

M. Jean-Luc Préel. La tentation est grande pour certains de faire des économies sur les ALD « en les gérant mieux » ; il est donc important de distinguer volet médical et volet financier. La tentation est tout aussi forte de réaliser des économies en jouant sur les critères d’admission et de sortie des ALD ; cette piste ne me semble pas très justifiée. S’agissant des protocoles de soin, il est juste de dire qu’une meilleure prise en charge des patients est nécessaire, car certains sont mal suivis – mais s’ils l’étaient mieux, cela coûterait plus cher. Ainsi en serait-il, par exemple, si tous les diabétiques consultaient un ophtalmologiste ou un néphrologue aussi souvent qu’ils le devraient. C’est pourquoi il faut dissocier la question financière de la qualité des soins. La tentation est grande, encore, d’instituer un bouclier sanitaire. Outre que, comme vous l’avez souligné à juste titre, des problèmes techniques l’empêchent pour l’instant, l’épineuse question du « reste à charge » demeure posée : ce bouclier sanitaire s’appliquerait-il aux seules dépenses remboursables ou à l’ensemble des dépenses de santé ? Enfin, si l’on poussait cette démarche à son terme, quel serait le sort futur des assurances complémentaires en santé ?

Mme Catherine Lemorton : Tout ce que je vous ai entendu dire, Madame la ministre, m’a globalement satisfaite, mais je suis surprise que certains collègues considèrent qu’il faudrait dissocier le médical de l’économique, alors que l’un ne va pas sans l’autre. S’agissant des ALD, le problème n’est pas la sortie du régime mais le fait que, faute de moyens, la prévention et l’écoute font défaut. Comme j’ai eu l’occasion de le relever dans le rapport d’information que j’ai présenté au nom de la MECSS sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, le corps médical, quand il traite des ALD, a tendance à privilégier les innovations thérapeutiques coûteuses – par exemple, à prescrire des statines de la dernière génération quand des sulfamides feraient aussi bien l’affaire.

S’agissant de l’éducation thérapeutique du patient, qui la gérerait, et d’où proviendraient ses crédits ? Pour ce qui est du bouclier sanitaire, je suis moins enthousiaste que M. Door. Concernant enfin le « reste à charge », je m’interroge, comme M. Préel, sur la définition de son périmètre à un moment où des classes thérapeutiques entières sont déremboursées sans qu’existe d’alternative remboursable.

M. Jacques Domergue : Les ALD étant une source majeure de dépenses, et de dépenses sans cesse croissantes, je m’étonne de vous entendre dire, Madame la ministre, que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comprendra aucune mesure à ce sujet. Pourquoi cela ? Je veux bien croire que l’augmentation continue des soins prodigués dans le cadre des ALD reflète le mauvais état de santé de la population, mais je ne pense pas qu’il y ait là une fatalité. La thérapeutique évoluant, il faudra redéfinir le périmètre des ALD, car certaines pathologies peuvent désormais être exclues de son champ – je sais que cela ne sera pas facile, mais on peut y parvenir.

Vous avez par ailleurs formulé des considérations très importantes sur le mode de rémunération des soins dispensés dans le cadre des ALD. Le système actuel est, peu ou prou, celui de la compensation puisqu’on paye mal les consultations qui durent longtemps mais que l’on rémunère au même tarif celles qui ne servent qu’à faire renouveler une ordonnance. Il faut mettre un terme à cela ; instituer un système forfaitaire de prise en charge des malades en ALD serait une bonne solution. On constate aussi qu’en cancérologie certaines prescriptions sont faites en dépit du bon sens : alors que la recherche, pourtant essentielle, des marqueurs n’a pas toujours lieu, les malades sont soumis à une batterie d’examens intégralement remboursés qui n’ont aucune utilité ni pour le patient ni pour le suivi de sa maladie. Un sérieux ménage s’impose.

De même, les ordonnances bizones, destinées à distinguer les prescriptions relatives au traitement de l’affection de longue durée de celles qui ne s’y rapportent pas, ne sont pas toujours utilisées à bon escient, tant s’en faut. Pourquoi le pharmacien ne serait-il pas habilité à rectifier les erreurs éventuelles du médecin prescripteur, en réaffectant à leur juste place les prescriptions qui n’ont pas à être entièrement remboursées ?

S’agissant du bouclier sanitaire, c’est faute d’avoir le courage de définir ce qui relève de la sécurité sociale et ce qui relève des assurances complémentaires que l’on en vient à imaginer que, parce que l’on est plus nanti que d’autres, on devrait payer davantage pour se soigner. Selon moi, tous ceux qui ont des accidents de santé doivent être pris en charge de la même manière ; privilégier une autre approche conduirait à de graves dérives. Si la maîtrise médicalisée des dépenses de santé est indispensable, elle ne doit pas conduire à une approche exclusivement comptable.

Je reviens enfin à un sujet que nous avons souvent évoqué : la consultation sans prescription. De nombreuses prescriptions sont faites qui ne le seraient pas si le médecin passait plus de temps avec le patient. Il faut donc valoriser les consultations longues et qui ne donnent pas lieu à prescription. Il est toutefois évident qu’une consultation rémunérée à 22 euros ne permet pas aux praticiens de consacrer beaucoup de temps à chaque malade ; serait-elle augmentée de 50 pour cent si le patient sortait du cabinet médical sans prescription que les praticiens seraient plus incités à écouter et à réfléchir qu’à seulement prescrire.

M. Gérard Bapt : Ne pensez-vous pas, Madame la ministre, que dans le cadre de l’instauration des agences régionales de santé, les pôles « prévention santé » devraient avoir un rôle majeur ?

M. Philippe Boënnec : Alors que les pathologies regroupées dans le système des ALD n’ont pas un cours linéaire, toutes les phases de la maladie sont prises en charge de manière uniforme. Une réflexion devrait avoir lieu à ce sujet. Quant à la rémunération au forfait, comment l’organiser, sachant que le patient est suivi par plusieurs soignants ? Enfin, il faut aussi travailler à l’éducation à la santé du patient lui-même. Ainsi, il est choquant de voir des personnes atteintes d’athérosclérose se limiter à avaler leur gélule quotidienne sans rien changer à leurs habitudes alimentaires. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

Mme la ministre : Je reviendrai en premier lieu sur le bouclier sanitaire évoqué par plusieurs d’entre vous. Passer à un tel dispositif signifierait changer entièrement de système de santé. Cela suppose un débat national de très grande ampleur et une telle décision ne saurait être prise de manière subreptice car, à l’évidence, elle reviendrait de facto à abolir le pacte de 1945 et à tuer les organismes complémentaires ou, en tout cas, à les mettre en grande difficulté. Les problèmes techniques ne peuvent être négligés mais, aussi compliqués soient-ils, ils peuvent être résolus ; c’est le débat de principe qui doit fonder la décision.

S’agissant des crédits destinés à l’éducation thérapeutique du patient, il faudra commencer par définir un cahier des charges national des objectifs visés. Ensuite, j’appelle votre attention sur le fait que chaque ARS comportera un comité spécifiquement consacré à la prévention, qui sera chargé de « labelliser » les équipes et de les évaluer. Enfin, des crédits destinés à financer l’éducation thérapeutique existent déjà. Leur montant – 73 millions d’euros – n’est pas négligeable, mais ils sont mal identifiés car émiettés dans plusieurs fonds. L’idée est donc apparue de les mutualiser. À ce sujet, le rapport de MM. Saout, Charbonnel et Bertrand recommande la création d’une fondation nationale permettant de regrouper, pour les mutualiser, l’ensemble des financements, publics ou privés, consacrés au développement de l’éducation thérapeutique du patient. J’étudierai cette proposition, mais j’avoue être très réservée à l’idée de mêler fonds publics et fonds privés à cet effet. J’ai eu l’occasion de le dire lors de plusieurs réunions organisées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, pendant lesquelles j’ai constaté que beaucoup rêvent de voir l’industrie pharmaceutique intervenir dans l’éducation thérapeutique du patient. J’y suis tout à fait opposée, car je considère que l’étanchéité doit être totale. Mais peut-être des garde-fous sont-ils concevables, et si vous avez des idées à faire valoir à ce sujet, j’en prendrai connaissance avec intérêt.

Je suis convaincue qu’une meilleure prise en charge des malades chroniques est possible et qu’elle permettrait de réduire les coûts. Pour autant, la prudence doit prévaloir. Pourquoi ne pas envisager la sortie du système pour les personnes dont le cancer est guéri, ont suggéré certains d’entre vous ? Certes, on guérit désormais de certaines pathologies graves, mais le suivi du patient demeure indispensable. Comment être sûr qu’il aura lieu une fois sorti du système ALD ?

Vous avez, Monsieur Morange, proposé de doter chaque patient en ALD d’une clé USB recensant les informations médicales les concernant. Mon expérience est que les malades perdent les clefs USB… Quoi qu’il en soit, on pourrait procéder de la sorte, mais cela ne nous dispenserait nullement de devoir réaliser le dossier médical personnel.

M. Pierre Morange, coprésident : Bien entendu. J’envisage cette hypothèse comme une disposition transitoire.

Mme la ministre : Encore faudrait-il qu’elle n’ait pas pour conséquence de nous retarder. Vous avez d’autre part suggéré que les logiciels d’aide à la prescription deviennent obligatoires. Je suis farouchement partisane de la liberté de prescription du médecin. Que les caisses engagent un dialogue avec les praticiens trop gros prescripteurs pour comprendre si une particularité de leur clientèle peut expliquer cette dérive et voir comment y remédier est une chose, mais rendre les référentiels de soin opposables ne serait pas conforme à la déontologie.

De même, je ne peux vous suivre, Monsieur Domergue, quant vous proposez de faire rectifier des ordonnances bizones par les pharmaciens. Au cours de l’évolution d’une pathologie, certains produits peuvent apparaître tout à fait nécessaires – des antiémétiques par exemple, dont je serai bien embarrassée de dire s’il s’agit de médicaments de confort ou s’ils participent pleinement d’un traitement de fond. Je ne vois pas que le pharmacien puisse de son propre chef intervenir pour modifier l’affectation par un médecin d’une molécule sur une ordonnance bizone, et je considère que la liberté de prescription des praticiens doit demeurer entière.

Enfin, toutes les stratégies de prévention sont au cœur de mon action, La lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, et la promotion de l’activité physique – qui aide à réguler le diabète et retarde l’aggravation de la maladie d’Alzheimer – seront mises en œuvre par les ARS. La continuité des soins entre l’hôpital et la médecine de ville, l’amélioration de l’articulation entre le médical et le social sont d’autres moyens d’améliorer la prise en charge des ALD, laquelle ne peut se concevoir que globalement.

Mme Catherine Lemorton : Si l’une des pistes retenues est de sortir certains patients du système des ALD parce qu’ils sont guéris, il importe de mesurer exactement les conséquences d’une telle décision. Sachant que 10 % des malades en ALD n’ont pas d’assurance complémentaire, imaginez la cotisation qui leur sera demandée lorsque, voulant souscrire une assurance, ils auront indiqué dans le questionnaire de la compagnie qu’ils ont eu un cancer, mais qu’ils en ont guéri !

Par ailleurs, c’est précisément parce que certains patients en ALD n’ont pas les moyens de cotiser à une assurance complémentaire qu’ils demandent à leur médecin de porter les médicaments contre le rhume dans la partie haute, « exonérante », de l’ordonnance bizone.

Mme la ministre : Parce que je suis très attachée à la protection du droit des personnes, je considère qu’un meilleur suivi de la gestion du risque ne doit pas conduire à un télescopage avec la protection des données personnelles. Les mutuelles sont, sur ce point, en plein accord avec moi. Il ne peut y avoir de discrimination fondée sur l’état de santé et si de telles pratiques se vérifiaient j’y mettrais bon ordre.

M. Pierre Morange, coprésident : M’étant mal fait comprendre, je tiens à préciser que ma proposition était de rendre l’acquisition des logiciels d’aide à la prescription obligatoire, nullement de rendre obligatoires les prescriptions elles-mêmes.

Mme la ministre : Dans tous les cas, il doit s’agir de logiciels de qualité, labellisés par la HAS.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie, Madame la ministre. Vos réponses précises seront d’une grande utilité à notre rapporteur.

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