Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 24 novembre 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 06

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prévention sanitaire

– M. Dominique Libault, directeur à la direction de la sécurité sociale au ministère du travail, de l’emploi et de la santé

– M. Jean-Yves Grall, directeur général à la direction générale de la santé au ministère du travail, de l’emploi et de la santé

– M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé, et M. Dominique Maigne, directeur, M. François Bourdillon, président de la commission Prévention, éducation et promotion de la santé du Haut Conseil de la santé publique, chef du pôle Santé publique, évaluation, produits de santé du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, et M. Didier Jourdan, vice-président, et Mme Thanh Le Luong, directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, et Mme Jocelyne Boudot, adjointe de la directrice générale

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 24 novembre 2011

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Dominique Libault, directeur à la direction de la sécurité sociale au ministère du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Le système de santé français est considéré comme performant dans le domaine des soins, mais peu efficace dans le domaine de la prévention. La communication de la Cour des comptes évoque notamment un défaut de pilotage. Selon vous, monsieur le directeur, quel doit être le rôle de l’État ? Quelle gouvernance adopter afin d’améliorer le pilotage des politiques publiques ? Pourquoi ne pas inclure la médecine du travail et la médecine scolaire dans le périmètre de la prévention sanitaire ?

M. Dominique Libault, directeur de la direction de la sécurité sociale au ministère du travail, de l’emploi et de la santé. Comme le note la Cour des comptes, la première difficulté est de définir le concept de prévention sanitaire. Sa communication met justement en garde contre la tentation d’isoler ce qui est consacré explicitement à la prévention, comme le Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires, et d’en déduire que les moyens mis en œuvre pour la prévention en France ne sont pas suffisants. Une telle approche serait beaucoup trop réductrice, notamment au regard de la conception de l’Organisation mondiale de la santé, qui inclut dans la prévention tout ce qui tend à éviter l’aggravation d’une maladie.

Selon moi, il y a deux idées à prendre en considération.

D’abord, la prévention doit s’attacher à préserver le capital santé de chacun plutôt qu’à éviter les maladies. Nous arrivons actuellement au terme d’un système où l’individu est libre de ses actes, l’État-providence venant ensuite réparer les problèmes de santé et prendre en charge les personnes exclues du marché du travail ou considérées par les entreprises comme trop âgées pour travailler. Nous devons inventer un nouveau rapport à la sécurité sociale, dans lequel le système de redistribution, de transferts sociaux et de services publics aiderait chacun à mieux vivre sa vie, à savoir fonder une famille, réussir la transition entre la vie professionnelle et la retraite et préserver le plus longtemps possible son capital santé.

Ensuite, il est frappant de constater que, si la santé générale de la population s’améliore et que l’espérance de vie en bonne santé s’accroît, les inégalités, notamment sociales mais aussi devant les indicateurs de la santé, perdurent. Certaines politiques de prévention semblent même les aggraver ; c’est ce que tendent à indiquer les premiers résultats des politiques de prévention nutritionnelle, qui sont mieux reçues par les personnes disposant d’un certain niveau d’éducation : l’obésité devenant alors un marqueur social.

Il convient donc de fixer des objectifs aux politiques de prévention et de retenir les outils et le pilotage adéquats. Il s’avère que la politique qui a le plus contribué à la prévention dans la période récente est la généralisation des radars automatiques de contrôle routier, dans la mesure où cette installation a évité bien des morts et des handicaps. C’est pourquoi les politiques de santé publique ne doivent pas se borner à faire appel aux instruments traditionnels, mais doivent recourir à une palette d’outils la plus vaste possible, incluant l’interdiction, le contrôle et la tarification, comme les mesures relatives aux boissons sucrées, au tabac et à l’alcool, à côté de l’information, de l’éducation à la santé, de l’éducation thérapeutique et du temps médical consacré à la prévention.

Le pilotage de ces outils doit bien évidemment revenir à l’État, qui est le seul à pouvoir en assurer une coordination de leur utilisation. Vous avez raison de préciser que par « État », il ne faut pas entendre le seul ministère de la santé, mais l’État dans toutes ses composantes, y compris la médecine du travail et la médecine scolaire. Une telle politique interministérielle doit cependant être pilotée par le ministère de la santé, qui, seul, dispose d’une vision globale du sujet et des moyens d’évaluer les différentes politiques – car ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une politique de prévention qu’il ne faut pas en mesurer l’efficience.

À l’échelon territorial, il importe d’améliorer la coordination entre les acteurs et de développer des synergies. Les agences régionales de santé me paraissent les mieux placées pour la mettre en œuvre, même si la médecine du travail ne relève pas de leur responsabilité ; il convient en effet de mieux coordonner non seulement l’État avec l’assurance maladie, mais aussi les différentes composantes de l’État entre elles.

S’agissant de l’évaluation, j’adhère totalement au constat de la Cour des comptes selon lequel l’addition de dizaines de priorités de santé publique n’aboutit pas à une politique de prévention efficace. Il faut d’abord hiérarchiser les actions, puis les évaluer ; de surcroît, tout ne repose pas uniquement sur la dépense publique.

Pour conclure, dire que le système français est bon dans le domaine curatif, mais moins bon dans le domaine préventif, c’est, d’une certaine manière, rendre hommage à la sécurité sociale qui a assuré l’accès de tous aux soins. Toutefois, il ne faudrait pas que ce soit un alibi pour tolérer le laisser-faire en amont, dans les politiques de gestion du risque. Il convient de responsabiliser les différents acteurs et d’aider chacun à prendre en charge sa propre santé.

M. le rapporteur. Si l’on va jusqu’au bout de votre raisonnement, ne risque-t-on pas d’aboutir à des situations paradoxales : renoncer à l’État réparateur ne revient-il pas à dire que c’est au fumeur de payer pour son cancer du poumon ? Et regretter que les populations les plus favorisées soient les principales bénéficiaires des campagnes de prévention et de dépistage doit-il conduire à ne rien entreprendre ? Comment toucher les personnes les plus éloignées des systèmes de soin ?

M. Dominique Libault. Bien évidemment, la sécurité sociale doit prendre en charge l’ensemble des pathologies. Il serait scandaleux de traiter les gens différemment suivant leur comportement antérieur. En revanche, envoyer des signaux par le moyen de hausses de prix afin de contrecarrer certains comportements me semble une politique efficace ; mais il ne s’agit aucunement de remettre en cause l’accès aux soins de qui que ce soit.

Quant aux grandes campagnes de prévention, elles sont nécessaires mais non suffisantes. Il faut mettre en place autre chose. Selon moi, il serait bon que les structures sanitaires et les structures sociales travaillent davantage ensemble, et que l’on recourt aux travailleurs sociaux qui sont au contact direct des populations en situation précaire pour délivrer des messages sanitaires. Une action possible, que je ne suis pas encore arrivé à mener à bien, consisterait à ce que les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales collaborent à des programmes nutritionnels dans le cadre de l’aide à la parentalité.

De même, dans un autre domaine, quand j’essaie de diffuser l’aide à la complémentaire santé, les gens ne sont pas réceptifs spontanément. Nous sommes obligés de procéder à des échanges de fichiers très importants entre les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales et d’envoyer des courriers individualisés aux bénéficiaires potentiels.

Je citerai un dernier exemple montrant dans quel sens nous entendons travailler. Nous procédons à des expérimentations auprès des bénéficiaires de l’aide médicale de l’État : à Paris et à Bobigny, nous proposons à ceux qui viennent la solliciter un bilan de prévention dans un centre d’examen de santé. Cette démarche sert leurs intérêts, mais aussi dans celui de la santé publique, puisque des pathologies ou des épidémies que l’on croyait disparues réapparaissent.

M. le rapporteur. Comment, concrètement, parvenir à ce que la caisse de l’assurance maladie et la caisse des allocations familiales travaillent ensemble ? Au niveau local, les travailleurs sociaux dépendent aussi des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux et des municipalités. Comment faire pour coordonner tous ces acteurs et atteindre le public visé ?

M. Dominique Libault. Une des solutions, c’est de les décloisonner afin de mener des actions transversales. Or nous ne disposons pas de ligne budgétaire pour cela ; les budgets des caisses de sécurité sociale sont liés aux conventions d’objectifs et de gestion. C’est pourquoi je préconise, depuis plusieurs années, l’institution d’un « fonds de performance » qui nous procurerait un petit budget pour organiser des actions transversales de toute nature entre les caisses. Je remercie d’ailleurs l’Assemblée nationale d’avoir adopté une telle mesure dans la loi de financement de sécurité sociale pour 2012. C’est une des clés de l’amélioration de nos politiques publiques, notamment en matière de prévention.

M. le coprésident Jean Mallot. Proposer une visite de prévention aux étrangers qui demandent l’aide médicale de l’État est louable ; mais devront-ils payer le droit d’entrée de 30 euros de cette visite ?

M. Dominique Libault. Il faut bien distinguer deux choses.

D’une part, le Parlement a en effet souhaité que les personnes qui demandent à bénéficier de l’aide médicale de l’État versent chaque année une petite participation financière. Nous sommes en train de mettre en œuvre cette disposition. Il est donc encore trop tôt pour en faire le bilan. Nous verrons si l’on nous signale des difficultés ; pour l’heure, nous n’avons pas eu d’échos négatifs.

D’autre part, notre expérimentation vise à vérifier si les populations concernées adhéreront ou non à notre proposition. Il se peut fort bien que, pour diverses raisons, elles se montrent réticentes à s’inscrire à des examens médicaux. Pour l’instant, la réponse semble positive. L’enjeu est également d’avoir une connaissance ce que de tels examens permettront de diagnostiquer et, par voie de conséquence, les frais qu’ils permettront d’éviter à la collectivité publique, dans la mesure où ces populations peuvent souffrir de pathologies lourdes ; dans ce cas comme dans bien d’autres, il vaut mieux prévenir que guérir.

M. le rapporteur. Que peut-on faire pour dépister d’éventuelles maladies transmissibles chez les demandeurs de carte de séjour, qui n’ont pas de médecin traitant ?

M. Dominique Libault. Je ne suis pas sûr que ce sujet relève de ma compétence ! Aujourd’hui, des flux considérables de personnes gagnent notre territoire, y compris pour de très courts séjours. La meilleure façon de prévenir la transmission d’éventuelles maladies me semble être la coopération avec les pays partenaires sur des politiques de santé globales, plutôt que la pratique d’examens systématiques à la frontière. Il reste que ce sujet est du ressort de la direction générale de la santé plutôt que de celui de la direction de la sécurité sociale.

M. le rapporteur. Comment concevez-vous la répartition des tâches entre l’État et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ? Vous contrôlez l’utilisation du Fonds national de prévention d’éducation et d’information sanitaires ; une convention a instauré une rémunération à la performance, en fonction d’indicateurs relatifs, notamment, au dépistage et à la vaccination. Êtes-vous intervenu pour définir ceux-ci ou la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés en a-t-elle discuté directement avec les professionnels ?

M. Dominique Libault. La convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés définit les objectifs et les moyens alloués à chacun des fonds gérés par cette dernière, y compris le Fonds national de prévention d’éducation et d’information sanitaires. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés dresse régulièrement un bilan et transmet l’évaluation des actions conduites à l’aide de ces sommes, en vertu du principe selon lequel l’État stratège fixe les orientations mais fait confiance pour leur mise en œuvre à l’opérateur, à charge pour celui-ci de lui rendre régulièrement des comptes.

Cela étant, une grande partie des actions de prévention consiste en des programmes nationaux de santé publique très pilotés, comme les dépistages ; l’autre partie est organisée à l’échelon régional, les fonds venant abonder les agences régionales de santé en vertu de conventions passées avec l’assurance maladie. Les fonds sont ensuite gérés dans un souci de cohérence territoriale. Le regard de l’État est donc double : national, à travers la convention d’objectifs et de gestion, et territorial, à travers les agences régionales de santé.

Nous veillons à maintenir cette cohérence, sans nous priver de la force de frappe de l’assurance maladie. Lorsque les agences régionales de santé ont été mises en place, certains ont plaidé pour qu’elles reçoivent l’ensemble des fonds destinés à la prévention. J’y suis personnellement réticent. Disposant des médecins conseils, du Fonds de prévention d’éducation et d’information sanitaires et des assistantes sociales, l’assurance maladie est en effet particulièrement bien placée pour transmettre des messages de prévention, par l’intermédiaire des professionnels de santé ou de ses délégués, et pour négocier des objectifs de performance, y compris en santé publique, dans le cadre des conventions. On ne peut pas à la fois déplorer que l’assurance maladie se consacre trop au curatif et pas assez au préventif et vouloir qu’elle se désintéresse de la prévention. Je crois que cette erreur a été évitée jusqu’à présent.

S’agissant des indicateurs négociés avec les médecins, je rappelle que le Gouvernement a proposé au Parlement un contrat d’amélioration des pratiques individuelles. L’initiative en revient à la direction de la sécurité sociale : nous avions en effet constaté que les partenaires conventionnels montraient une certaine réticence à traiter la question de l’évolution des modes de rémunération et, en particulier, du passage à la rémunération à la performance. À l’époque, les syndicats y étaient même totalement opposés. Il nous a paru intéressant de nous doter d’un aiguillon et de donner la possibilité à l’assurance maladie de proposer aux médecins, individuellement, un contrat de performance. Celui-ci a très bien marché, puisque quinze mille généralistes y ont adhéré. Au vu de ces résultats, les syndicats se sont convertis à l’idée et ont proposé d’intégrer le contrat de performance à la convention médicale, ce qui a été accepté par le Gouvernement et l’assurance maladie. On a largement repris les indicateurs initiaux des contrats d’amélioration des pratiques individuelles, en y incluant toutefois quelques modifications consécutives aux négociations.

M. le coprésident Pierre Morange. Tout cela est fort séduisant sur le papier, mais disposez-vous d’une évaluation, ne serait-ce que partielle, de ces contrats de performance ? Le dispositif se révèle-t-il efficace ?

M. Dominique Libault. Permettez, monsieur le président, que je réponde auparavant à la question du rapporteur sur les rôles respectifs de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et de l’État – ce qui ne sera d’ailleurs pas sans rapport avec l’évaluation.

Au-delà de ces contrats de performance individuels, l’État a lancé une stratégie de diversification des modes de rémunération des professionnels de santé, notamment pour promouvoir l’exercice pluridisciplinaire, nécessaire à l’amélioration de la prévention, avec des objectifs de performance.

Il reste que vous avez raison : il ne suffit pas de définir des objectifs, il faut en évaluer les résultats.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous rappellerai en effet, monsieur Dominique Libault, que la MECSS garde le souvenir précis d’objectifs, tous on ne peut plus pertinents, mais dont la mise en œuvre et l’évaluation furent des plus aléatoires. C’est la raison pour laquelle nous sommes très attachés à pouvoir, derrière le discours, mesurer avec précision l’efficacité des dispositifs.

M. Dominique Libault. C’est un souci que nous partageons.

S’agissant des nouveaux modes de rémunération, nous avons, dès le départ, prévu une évaluation, que nous avons confiée à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé. Nous pourrons vous exposer avec précision la stratégie retenue à cet effet, qui est scientifique et particulièrement complexe.

Les contreparties d’une évaluation pertinente, ce sont en effet sa complexité et sa lenteur, surtout dans un domaine comme la prévention où il s’agit d’examiner l’évolution des comportements et l’impact sur la santé publique, ce qui nécessite de longs mois de travail ! C’est une des raisons pour lesquelles la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a prévu la prolongation de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération.

Pour mener à bien un tel projet, il faut définir des indicateurs et disposer de systèmes d’information pour recueillir les données ; nous travaillons avec l’agence des systèmes d’information partagés de santé afin de doter les maisons de santé des logiciels nécessaires, qui font souvent défaut. Hier encore, je rencontrais un prestataire de services qui me montrait des logiciels qui satisfont au cahier des charges que nous avons établi et qui commencent à fonctionner dans certaines maisons de santé, de manière à bâtir des indicateurs.

M. le coprésident Pierre Morange. Lorsqu’on a conçu les contrats de performance en prévoyant qu’ils devraient être évalués, on n’a donc pas prévu d’outils de mesure et d’enregistrement des données ?

M. Dominique Libault. Si. Il existe deux manières de mesurer et d’évaluer. D’abord, à travers les systèmes de l’assurance maladie – pour résumer, le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie. Ce système est fiable, et il peut être opposé aux professionnels de santé. C’est sur cette base qu’a été construit le premier contrat de performance, le contrat d’amélioration des pratiques individuelles.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans ce cas, quels sont les premiers résultats ?

M. Dominique Libault. M. Frédéric van Roekeghem est mieux placé que moi pour vous les communiquer. Certaines rémunérations sont liées en fonction des taux d’atteinte des objectifs. L’assurance maladie les a mesurés, ainsi que leur dispersion. Elle estime que, si les objectifs ne sont pas atteints en totalité par les professionnels, ils le sont tout de même en moyenne – je parle de mémoire – dans une proportion de 60 % à 70 %.

Il convient cependant d’aller au-delà des chiffres pour examiner si les comportements ont réellement changé. C’est pourquoi, dans les nouveaux contrats, la rémunération à la performance dépend à la fois de données objectives, comme le taux de dépistage, mais aussi de l’évolution des comportements. Il s’agit, selon moi, d’un élément fondamental.

J’essaie pour ma part de trouver un indicateur qui permettrait de prévenir les hospitalisations, ce qui contribuerait à réduire les coûts et, d’une certaine manière, à améliorer la prévention ; ainsi, par exemple, les hospitalisations ne contribuent pas toujours à maintenir le capital santé des personnes âgées dépendantes.

M. le rapporteur. Nous allons auditionner tout à l’heure le directeur général de la santé. Quels sont vos rôles respectifs ? La Cour des comptes propose l’institution d’un délégué interministériel et estime que cette fonction devrait revenir au directeur général de la santé. Qu’en pensez-vous ?

M. Dominique Libault. Je le répète : selon moi, la gouvernance de la politique de santé publique doit revenir à l’État, au niveau interministériel, et le ministère de la santé doit en être le pilote. Je souscris donc à la proposition de la Cour des comptes.

Le partage des rôles est aujourd’hui simple : la direction de la sécurité sociale n’est pas compétente pour définir les priorités de santé publique ; il revient à la direction générale de la santé. En revanche, s’agissant du pilotage de la sécurité sociale, on ne peut à la fois regretter que le système privilégie le curatif au détriment du préventif et refuser toute intervention de notre part. C’est pourquoi nous devons réfléchir, sur les sujets qui relèvent de notre compétence, et proposer des initiatives comme le mode de rémunération des professionnels de santé libéraux ou la manière d’inciter à des actes de prévention. En général, les professionnels de santé libéraux indiquent qu’ils souhaiteraient faire davantage de prévention, mais relèvent qu’ils ne sont pas rémunérés pour cette prestation ou ne disposent pas d’assez de temps pour cela.

M. le coprésident Jean Mallot. Certes, il ne vous appartient pas d’établir une hiérarchie parmi les cent objectifs de la loi n° 2004-806 du 9 août 2044 relative à la santé publique ; cela relève de la direction générale de la santé. Néanmoins, c’est bien votre direction qui dispose, directement ou indirectement, des éléments permettant de mesurer l’efficacité des actions conduites en fonction de ces objectifs. Comment ces deux démarches s’articulent-elles ?

M. Dominique Libault. Nous ne sommes pas compétents pour mesurer les résultats d’une politique de santé publique ; c’est la direction générale de la santé qui en est chargée. En revanche, si l’on estime qu’il serait intéressant de faire évoluer les modes de rémunération des professionnels de santé pour encourager les actions de prévention, nous devons travailler avec l’assurance maladie pour élaborer les indicateurs pertienents en liaison avec la direction générale de la santé, voire la Haute Autorité de santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous ne semblez pas avoir tout à fait conscience que l’absence de coordination opérationnelle est déplorée par tous, notamment par la Cour des comptes ; il conviendrait de chercher des solutions un peu plus précises et rigoureuses… Tel est le sens de l’idée d’instaurer un délégué interministériel.

Dans le cadre du ministère, quelles sont vos relations avec les services chargés de la médecine du travail ? Eu égard à vos responsabilités, vous pourriez assurer une coordination dans ce domaine, afin d’en améliorer l’efficience de ces services.

M. Dominique Libault. J’estime que ce ne sont pas seulement les relations entre l’État et l’assurance maladie qui sont en cause, mais aussi les relations entre les services de l’État. Dans cette perspective, la santé au travail est une question essentielle. Force est de constater qu’elle continue à relever de la compétence du ministère du travail, et non de celle du ministère de la santé. Personnellement, je ne suis pas sûr que ce soit l’organisation la plus efficace.

M. le rapporteur. Qu’en est-il de la médecine scolaire ?

M. Dominique Libault. Il s’agit en effet de l’autre grand domaine qui échappe à la compétence du ministère de la santé. Cela étant, la direction de la sécurité sociale travaille assez peu sur ces questions.

En revanche, vous avez raison, la médecine du travail est un sujet sensible, qui nous interpelle. D’une part, se pose la question de la tutelle de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles, dont les missions consistent dans la réparation des accidents, mais aussi à mener des actions de prévention. D’autre part, se pose le problème des retraites ; je considère qu’on ne relèvera le défi du vieillissement actif qu’en travaillant non seulement sur l’emploi des seniors, mais aussi sur la durabilité de la santé au travail : comment nos concitoyens peuvent-ils préserver leur capital santé au travail tout au long de leur vie ? Telle est la question centrale.

M. le coprésident Pierre Morange. Et au-delà de ces réflexions générales, peut-on espérer un passage à l’action ?

M. Dominique Libault. C’est la direction générale du travail qui pilote le dossier et les plans « Santé au travail ». Des progrès existent dans la mesure où ces plans sont désormais menés beaucoup plus en synergie avec le ministère de la santé et avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, qui gère la branche Accidents du travail et maladies professionnelles. Dans ce domaine, il y a de plus en plus de cohérence au sein de l’État et de synergie entre tous les acteurs.

Je rappelle par ailleurs que j’ai fait changer le nom des caisses régionales d’assurance maladie en « caisses d’assurance retraite et santé au travail », afin d’indiquer qu’elles devaient s’investir non seulement dans la réparation, mais aussi dans la prévention et dans la santé au travail. Je ne vous cache pas que, sur le terrain, les choses évoluent lentement, car ces deux univers sont très éloignés l’un de l’autre. Les services commencent cependant à travailler ensemble, mais cela nécessitera du temps.

M. le coprésident Pierre Morange. Toutes ces périphrases ne font que souligner des difficultés d’articulation. Qu’entendez-vous par « nécessiter » ?

Il est évident qu’un certain recul est nécessaire pour évaluer la mise en œuvre des objectifs de santé publique. Néanmoins, le sujet est sur la table depuis quelques décennies ; n’existe-t-il pas un calendrier ? On a l’impression qu’il s’agit d’idées en l’air !

M. le rapporteur. Il est évident qu’il existe un problème de coordination entre le ministère de la santé, le ministère du travail et le ministère de l’éducation nationale ; c’est d’autant plus compliqué que la médecine du travail est souvent gérée de façon paritaire.

Vous avez indiqué que la prévention avait pour enjeu la préservation du capital santé des individus. À ce titre, elle recouvrirait tout ce qui est du domaine environnemental, comme la qualité de l’air ou de l’eau ! Comment peut-on assurer une coordination dans ces conditions ?

M. Dominique Libault. On peut même estimer qu’une grande partie de l’État ne s’occupe que de préserver le capital santé de nos concitoyens !

La santé au travail a connu des améliorations. La lutte contre le travail illégal est toutefois un préalable car ce dernier qui comporte des risques majeurs d’accidents et de maladies professionnelles. Cette lutte recouvre, outre l’action de la direction des risques professionnels, la mission de contrôle des inspections du travail et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, qui doivent s’assurer que tout travailleur est déclaré. C’est une notion de base pour la préservation de la santé au travail.

Nous avons par ailleurs des pistes pour renforcer la coordination. Actuellement, je réfléchis à la meilleure manière d’atteindre les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises. La réforme de la médecine du travail a ouvert de nouvelles possibilités en matière d’organisation du travail ; on doit œuvrer davantage en synergie avec les caisses d’assurance retraite et santé au travail. Il existe aujourd’hui toute une gamme d’outils pour aider les entreprises à faire de la prévention sur des sujets comme les troubles musculo-squelettiques, qui sont actuellement l’enjeu prioritaire compte tenu des incapacités au travail engendrées. La difficulté est de toucher les très petites entreprises sur ces questions, alors que les moyens des services publics étant limités dans ce domaine.

Nous avons par ailleurs réformé la tarification des accidents du travail, de façon à ce que la prévention soit prise en compte à travers un mécanisme de bonus et de malus, et que le système qui était initialement fondé sur la stigmatisation en cas d’accidents graves soit plus intelligent et davantage axé sur les efforts de prévention. Nous réalisons donc des actions tangibles, qui nécessitent beaucoup de travail.

En la matière, je crois au rôle de l’État, mais aussi à celui des partenaires sociaux. Représentants des entreprises et des salariés mènent d’ailleurs un travail constructif dans ce domaine au sein de la direction des risques professionnels.

M. le rapporteur. La transmission des données est un autre problème, sur lequel M. Christian Babusiaux travaille depuis longtemps. Lors d’une précédente audition, un représentant de Groupama nous a indiqué que le groupe utilisait dans les Ardennes un rétinographe mobile afin de dépister d’éventuelles complications chez les patients souffrant d’hypertension artérielle et de diabète ; les clichés sont envoyés à un ophtalmologue. Faute de disposer des données nécessaires, Groupama ne sait pas qui, dans une commune, présente ce type de pathologies. Comment surmonter cette difficulté ?

M. Dominique Libault. Nous travaillons avec les complémentaires santé afin de les inciter à organiser des actions de prévention. Nous leur avons demandé d’en prévoir systématiquement dans les contrats responsables. Beaucoup ont mis en place des initiatives en ce sens, qu’il s’agisse des mutuelles, des institutions de prévoyance ou des assureurs, en priorité dans des domaines qui les concernent au premier chef, c’est-à-dire l’optique et les soins dentaires.

De temps en temps, les complémentaires rencontrent en effet des problèmes de transfert des données. Nous essayons d’y remédier, en liaison avec l’Institut des données de santé et M. Christian Babusiaux. Depuis quelques années, les échanges de données se multiplient. Cela devrait s’améliorer encore dans les années à venir.

M. le rapporteur. Cela s’améliore lentement… Quand je lui ai posé la question, il y a deux jours, M. Frédéric van Roekeghem m’a répondu qu’il souhaitait rester le principal dépositaire des données : il n’était pas visiblement favorable à leur transmission.

M. Dominique Libault. Il est vrai qu’il faut parfois brusquer la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, mais c’est le rôle de l’État. Il est tout aussi vrai qu’il faut être attentif dans la transmission des données à savoir, vérifier leur nature et leurs destinataires. Nous avons eu le même débat à propos de la transmission de données à des laboratoires pour des études post-autorisation de mise sur le marché. Dans le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, le Gouvernement et le législateur ont jugé prudent de créer un groupement d’intérêt économique pour examiner la recevabilité des demandes et leur pertinence scientifique. Il reste que nous sommes favorables à des échanges entre les bases de données de l’assurance maladie et celles des complémentaires santé – dans les deux sens, d’ailleurs. Le projet Monaco devrait permettre d’aplanir nombre de difficultés.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale procède ensuite à l’audition de M. Jean-Yves Grall, directeur général à la direction générale de la santé au ministère du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Monsieur Jean-Yves Grall, j’aimerais comprendre l’articulation, au sein du ministère du travail, de l’emploi et de la santé, entre la direction de la sécurité sociale et la direction générale de la santé. Qui définit la politique de santé – et donc de prévention sanitaire – de notre pays ? Quelles relations la direction générale de la santé entretient-elle avec la direction de la sécurité sociale, et donc avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ?

La Cour des comptes souligne, dans sa communication, une absence de pilotage de la politique de santé et propose de charger de cette mission un délégué interministériel, qui pourrait être… le directeur général de la santé. Nous sommes bien conscients des problèmes de coordination qui se posent à la fois avec l’Éducation nationale, chargée de la médecine scolaire, la médecine du travail, administrée de façon paritaire et les collectivités territoriales, qui gèrent la protection maternelle et infantile. Sans oublier que notre santé dépend aussi de la qualité de l’environnement, de l’air et de l’eau. Mais un grand délégué interministériel, responsable de la prévention, serait-il à même de coordonner l’ensemble ?

M. Jean-Yves Grall directeur général à la direction générale de la santé au ministère du travail, de l’emploi et de la santé. Nommé depuis maintenant six mois, je commence à avoir une vision d’ensemble du dispositif et j’ai conscience qu’il est nécessaire aujourd’hui plus que jamais d’optimiser l’utilisation de nos ressources pour atteindre nos objectifs. Cela justifie l’existence d’un lien très fort entre l’État et la direction générale de la santé, d’une part, et l’assurance maladie, d’autre part.

Ce lien se traduit formellement, au niveau de la direction générale de la santé, par l’existence de trois dispositifs : le Comité national de santé publique où, à côté des représentants de l’État, siège le directeur de l’Union nationale des caisses d'assurance maladie ; la convention d’objectifs et de gestion entre l’État et l’assurance maladie ; le contrat État-Union nationale des caisses d'assurance maladie qui détermine des objectifs sur lesquels se fondent les actions. L’objectif est bien de concentrer, d’optimiser et de coordonner ces dernières.

Au niveau de l’État, chacun des ministères mène, sinon sa politique de prévention, du moins des actions que le Comité national de santé publique a pour mission de coordonner. Mais très objectivement, même s’il se réunit régulièrement, ce comité créé par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique n’est pas très opérationnel et ses décisions ne conduisent pas à une résultante sur laquelle les ministères pourraient s’aligner.

Ce lien est davantage organisé entre l’assurance maladie et l’État. Le régime général, la Mutualité sociale agricole, le Régime social des indépendants ou d’autres intervenants agissent dans le cadre de programmes pluriannuels. Une nouvelle convention a été passée avec les acteurs de santé, en particulier avec les médecins qui peuvent s’appuyer sur les contrats d’amélioration des pratiques individuelles pour évaluer leur pratique professionnelle.

Le lien entre l’assurance maladie et l’État se traduit aussi dans la déclinaison des politiques au sein des agences régionales de santé. Il existe en effet un comité national de pilotage des agences régionales de santé – dont fait bien sûr partie le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – qui discute de la mise en œuvre de ces politiques dans le cadre du contrat qui lie l’État et les agences.

Enfin, sur le terrain, le lien entre l’État et l’assurance maladie se concrétise à travers des actions et des consultations. Je pense, notamment, dans le cadre du projet régional de santé, aux commissions de coordination des politiques menées, dont la politique de prévention – formellement inscrite dans la loi.

Ce lien existe donc. Il convient effectivement de le renforcer, ne serait-ce qu’au niveau de l’État.

Le pilotage d’une politique de santé homogène supposerait que le Comité national de santé publique joue un rôle beaucoup plus important. Je le répète : même s’il se réunit souvent, il est très peu opérationnel – peut-être parce que les directions y sont relativement sous-représentées. Ce comité devrait être à même de défendre une stratégie. Il doit donc être dirigé par une personne disposant d’une forte légitimité, susceptible de peser sur les choix et les décisions. Voilà pourquoi je soutiens l’idée selon laquelle il devrait s’agir d’un pilote identifié comme tel, et disposant d’une assise juridique solide.

Quant à la santé environnementale, la direction générale de la santé a engagé une réflexion prospective sur la politique de santé publique, qui recouvre notamment ce champ. Un document détermine les axes selon lesquels travailler et l’action que doivent mener sur le terrain les agences régionales de santé, qui sont liées à l’État par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. Les agences régionales de santé concluent en particulier des contrats locaux de santé, qui constituent un des éléments de la transversalité découlant d’une stratégie nationale, et un levier très fort pour le déploiement des politiques de santé – santé environnementale, soins de premier recours, prévention, en particulier en relation avec les collectivités territoriales.

M. le rapporteur. On a l’habitude de dire qu’en France, la politique de santé est plutôt bonne dans le domaine des soins, mais mauvaise en matière de prévention. Néanmoins, il est difficile de distinguer ce qui relève de cette dernière et ce qui relève du curatif. De fait, dans le colloque singulier avec son patient, un bon médecin fait aussi de la prévention. La Cour des comptes évalue d’ailleurs les sommes consacrées à celle-ci à un montant compris entre un… et dix milliards d’euros.

Que pensez-vous de la loi n° n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et de ses cent priorités ? Comment suivez-vous les indicateurs de performance ? Un nouveau texte avait été prévu, mais il n’a pas abouti. Sera-t-il au moins procédé à une actualisation de cette loi ? Pensez-vous qu’il faille conserver un aussi grand nombre de priorités ? Ne serait-il pas plus sage, et plus efficace, de s’en tenir à trois ou quatre, bien précises ?

D’autre part, si l’on consent des efforts considérables pour ramener en dessous de cinq mille le nombre annuel de morts en raison d’accidents routiers, j’observe que l’on en fait beaucoup moins pour les soixante mille décès liés au tabac et les cinquante mille liés à l’alcool.

M. Jean-Yves Grall. Effectivement, la Cour des comptes a donné une fourchette allant d’un à dix milliards d’euros de dépenses, en fonction de ce que l’on considère comme relevant ou non de la prévention. Certains crédits sont « fléchés » : le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » et le Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires de l’assurance maladie permettent une certaine traçabilité. Mais pour le reste, il devient difficile, en raison de leur imbrication, de distinguer parmi les crédits pour apprécier la part consacrée à la prévention. Et comme vous l’avez fait remarquer, on ne saurait morceler l’acte du médecin généraliste.

Nous pouvons néanmoins agir sur des actions transversales qui sont moins fléchées, mais qui renvoient, au niveau régional, à certaines thématiques, comme la lutte contre les accidents vasculaires cérébraux. Sans avoir besoin d’isoler des financements spécifiques, qui sont liés pour les uns à la prévention, pour les autres à l’hospitalisation ou au médicosocial, on s’assure ainsi d’une approche beaucoup plus transversale.

Par ailleurs, la loi du 9 août 2004 précitée reposait sur trois piliers principaux : l’expertise par le Haut conseil de la santé publique ; la démocratie sanitaire, avec la création de la Conférence nationale de santé ; enfin, la coordination des actions par le Comité national de santé publique. Je pense que nous devons nous appuyer davantage sur l’évaluation du Haut conseil de la santé publique et, surtout, nous préoccuper de la pertinence, notamment médico-économique, des actions de prévention menées.

Quant au dernier point : la définition de priorités de santé publique pour notre pays, cent objectifs ne constituent pas des priorités en tant que telles. Il faut sans doute les regrouper par thèmes et en faire de réelles priorités. À mon sens, un nombre trop important de priorités peut annihiler la notion même de priorité.

M. le coprésident Jean Mallot. Certes, mais dans la période 2004-2008, quelques priorités, quatre ou cinq, avaient été fixées. Nous sommes en 2011 : en a-t-on arrêté d’autres ? Et quelles sont les vôtres ?

M. Jean-Yves Grall. De 2004 à 2011, la situation a beaucoup évolué, et nous avons dû nous adapter. Ainsi la question de la résistance aux antibiotiques est devenue une priorité de santé publique. Voilà pourquoi nous avons mis au point, très récemment, un plan d’action sur ce thème. Mais il ne faut pas oublier une autre priorité, plus large : la lutte contre les inégalités sociales et les inégalités en santé, qui sont génériques.

Nous nous adaptons donc en permanence, avec des priorités thématiques mais aussi des priorités d’action, qui sont celles de la direction générale de la santé.

M. le président Jean Mallot. Les quatre ou cinq priorités de la période 2004-2008 avaient été fixées dans la loi. Nous attendons la suite. Que de nouvelles priorités soient apparues, nous le concevons. C’est même la loi du genre. Mais si ces priorités ne sont pas fixées et encore moins connues des différents acteurs, elles peuvent difficilement être prises en considération.

M. Jean-Yves Grall. C’est justement l’objet du programme et des éléments que nous avons voulu mettre en place : d’une part, des indicateurs élaborés par le Haut conseil de la santé publique ; d’autre part, la nouvelle loi que la direction générale de la santé prépare en mettant au point un document d’orientation stratégique, qui sert trois finalités : promouvoir l’égalité devant la santé ; préserver ou restaurer la capacité d’autonomie de chacun ; renforcer la protection de la santé face aux évolutions des enjeux sanitaires.

Ce document s’appuie sur les principes suivants : une approche globale ; une réponse fondée sur les progrès des connaissances ; une prise en charge adaptée aux situations de santé ; une action lisible, susceptible de susciter l’adhésion de la population.

Il définit une stratégie nationale de santé, avec cinq axes de travail : prévenir et réduire les inégalités de santé dès les premiers âges de la vie ; anticiper et accompagner le vieillissement de la population ; maîtriser et réduire les risques pour la santé et l’autonomie ; se préparer à faire face aux crises sanitaires ; adapter le système de santé aux besoins sanitaires et aux enjeux d’efficience.

M. le coprésident Jean Mallot. Ce sont des objectifs très vastes ! Comment mieux les définir et, le moment venu, en mesurer l’efficience ?

M. Jean-Yves Grall. Ce document d’orientation a été soumis à la concertation. L’avis de la Conférence nationale de santé a notamment été sollicité afin d’affiner les priorités.

M. le rapporteur. Dans sa communication, la Cour des comptes est assez critique sur le dépistage du cancer. Doit-on dépister des petites tumeurs qui ne seraient pas évolutives ? Seulement, et c’est un médecin qui vous le demande, comment sait-on qu’une petite tumeur ne va pas évoluer ? Et le dosage du taux de PSA (antigène prostatique spécifique), est-il vraiment toujours utile pour détecter le cancer de la prostate ?

Mais j’aimerais évoquer également un secteur qui me préoccupe, celle de la médecine prédictive. Doit-on s’engager dans cette voie ? Cela risque de poser des problèmes éthiques au moment de la grossesse, et de provoquer des angoisses alors qu’on n’est jamais certain que la maladie va se déclarer. Qu’en pensez-vous en tant que directeur général de la santé et en tant que médecin ?

M. Gérard Bapt. Bien que n’appartenant pas à la MECSS, j’aimerais vous poser deux questions. La première concerne le dépistage du cancer du sein. Il semble que 20 % des femmes ne soient toujours pas suivies, le dépistage systématique restant trop balbutiant pour suppléer le dépistage volontaire. Des autoprélèvements ont été expérimentés au centre hospitalier universitaire de la Timone, à Marseille. Cette méthode faciliterait grandement le dépistage. Qu’en pensez-vous ?

Ma seconde question concerne l’antibiothérapie. Lorsque j’ai présenté mon rapport spécial sur les crédits de la mission « Santé », j’ai fait une proposition relative aux réservations hospitalières des molécules de dernière génération. De son côté, une de nos collègues a déposé un amendement visant à rattacher la direction générale de l’alimentation au ministère de la santé. C’était un peu audacieux mais il me semble malgré tout que le ministère de la santé devrait être plus vigilant à l’égard des prescriptions antibiotiques en milieu vétérinaire. Quelle est votre position ?

M. le rapporteur. J’avais moi-même proposé que les médicaments vétérinaires soient dispensés en pharmacie, et non par les vétérinaires. Aujourd’hui, ceux-ci sont rémunérés en partie par la vente de médicaments qu’ils prescrivent eux-mêmes, tels que les antibiotiques et les anabolisants administrés dans les élevages. Est-ce bien judicieux ?

M. Jean-Yves Grall. Le plan stratégique que nous avons présenté dernièrement prévoit de maintenir dans la réserve hospitalière les antibiotiques de dernière génération. Il faut en effet éviter de compromettre par un mauvais usage ces antibiotiques, qui sont encore peu producteurs de résistances, d’autant qu’il n’est pas envisagé, dans l’avenir, d’en développer de nouveaux.

Nous avons par ailleurs repris l’idée de doter les établissements de santé de référents en antibiothérapie, prévus par une circulaire de 2002. Certains antibiotiques ne doivent être délivrés dans les établissements que sur avis ou sur prescription de ces spécialistes formés. Ces derniers doivent par ailleurs s’organiser en réseau au sein des régions, pour fournir à l’ensemble des prescripteurs, y compris aux médecins de ville, une référence pour bien adapter l’antibiothérapie.

En outre, une double contractualisation a été mise au point : dans le cadre de la nouvelle convention, les médecins s’engagent, dans les contrats d’amélioration des pratiques individuelles, à une juste prescription des antibiotiques, qui devrait aboutir de facto à une diminution de leur utilisation ; de la même façon, les agences régionales de santé cosignent avec les établissements de santé, une annexe « qualité » du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens sur la bonne prescription d’antibiotiques.

Enfin, cette action d’alerte et de prévention à la résistance aux antibiotiques est menée de façon globale. L’État et l’assurance maladie organisent des campagnes d’information dans des établissements de santé, mais aussi au niveau interministériel : les ministères de la santé et de l’agriculture ont ainsi participé ensemble à la Journée européenne d’action sur les antibiotiques. Des plans d’action sont développés sur le thème de l’antibiothérapie en milieu animal. Il s’agit en effet de travailler sur la sélection de germes interhumains mais aussi sur la transmission des germes animaux à l’espèce humaine, qui suscite des difficultés au niveau national, mais surtout au niveau international.

M. le rapporteur. Nous comprenons bien que la diminution des prescriptions d’antibiotiques répond à un objectif de santé publique et d’économie. Mais nous pouvons avoir besoin demain d’antibiotiques, par exemple contre le staphylocoque résistant. Comment inciter l’industrie à mener des recherches sur le sujet si elle sait que le médicament sera peu prescrit, et vendu à un prix modique ? Les industriels ont plutôt intérêt à trouver un médicament contre le cholestérol ou contre les maladies dégénératives, qui sera prescrit à grande échelle.

M. Jean-Yves Grall. Il s’agit certes de réduire la consommation d’antibiotiques, mais surtout de les prescrire correctement, de façon à diminuer les résistances, ce qui induira une diminution de leur utilisation. Quant au motif financier, il est secondaire : c’est le motif de santé publique qui prime.

Comment développer des produits dans un contexte industriel et commercial qui n’y est pas favorable ? C’est un des sujets sur lesquels nous travaillons. À l’heure actuelle, aucun développement de nouveaux antibiotiques susceptibles de nous aider n’a été trouvé. Je ne peux donc pas vous donner de réponse claire.

On ne peut lancer des campagnes organisées de dépistage que si l’on est certain qu’elles présentent un intérêt pour la santé publique. S’agissant de la prostate, aucune n’est organisée. Tous les éléments dont nous disposons laissent à penser, et une étude américaine va sans doute renforcer cette appréciation, que la prescription du dosage de PSA n’est pas systématiquement justifiée et doit donc être adaptée. C’est pourquoi nous avons sollicité la Haute Autorité de santé sur les bonnes prescriptions et sur les bonnes pratiques en la matière.

Il faut bien sûr développer la médecine prédictive, mais nous devons être conscients que cela génère de nombreuses difficultés, notamment du point de vue éthique – je pense plus particulièrement au dépistage des anomalies fœtales. Nous devons donc réfléchir aux modalités de ce développement. Nous disposons d’un certain nombre d’outils et d’instances de saisine, qui sont soit le Haut Conseil de santé publique, ou la Haute Autorité de santé, pour nous aider à faire la juste part des choses dans chaque discipline.

M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur le directeur général, vous avez vous-même souligné la multiplicité des objectifs de la loi quinquennale d’août 2004 précitée. Mais, en matière de santé publique comme dans d’autres domaines, « qui trop embrasse mal étreint ». Ne serait-il pas plus pertinent de se concentrer sur les quatre grands facteurs de risque qui ont été clairement identifiés : l’alcool, le tabac, la surcharge pondérale et la sédentarité ?

M. Jean-Yves Grall. Je partage votre avis : pour être efficace, il faut parfois sérier les priorités et si la coordination s’impose en cette période de contraction des moyens, ce doit être d’abord au bénéfice d’actions bien ciblées.

Vous avez cité les quatre déterminants de santé majeurs. La difficulté, pour la direction générale de la santé, est de maintenir une certaine constance dans l’action, éventuellement dans le cadre de plans. Tel est le cas pour la lutte contre le tabac et pour la lutte contre l’alcool, même si cette dernière n’est peut-être pas assez valorisée. Pour lutter contre le surpoids et l’obésité, nous avons élaboré un plan national « Nutrition » et un plan « Obésité », qui s’accompagnent d’actions concrètes dont les effets se font déjà sentir.

M. le coprésident Pierre Morange. Un certain nombre de bonnes pratiques, qui ont démontré leur efficacité, ont été identifiées. Mais elles semblent faire partie d’une muséographie sanitaire et on se garde bien de les généraliser. C’est paradoxal, pour ne pas dire irritant.

La MECSS a été frappée par une expérimentation, menée dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sur deux cohortes d’élèves du primaire dont une seule avait bénéficié d’un programme d’éducation à la santé, à raison d’un enseignement tous les quinze jours sur le tabac, l’alcool et les régimes alimentaires. Les tests qui ont été réalisés quelques années après ont montré que les comportements d’addiction à l’alcool et au tabac et les problèmes de surcharge pondérale étaient deux fois moindres dans la cohorte qui avait suivi ce programme. C’est le type même de la bonne pratique que l’État stratège aurait intérêt à soutenir.

M. Jean-Yves Grall. Vous avez raison. Il faut savoir rassembler ces actions menées sur le terrain, pour en obtenir un résultat. Des agences comme l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé peuvent mettre en œuvre les bonnes pratiques et en faire la promotion, à travers des actions de santé et des campagnes.

Il y a aussi, au sein de chaque agence régionale de santé, des échanges afin de décliner…

M. le coprésident Pierre Morange. J’entends bien, mais cela nous renvoie au propos liminaire : il faut un stratège et une responsabilité clairement identifiée. L’État, dans ses fonctions régaliennes, tant en matière de santé que d’éducation ou de travail, dispose tout de même d’une légitimité et d’une autorité qui devraient lui permettre de mener aisément ce type de programmes.

S’agissant de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, son rôle s’impose avec la force de l’évidence. L’expérimentation que j’évoquais a d’ailleurs été conduite par la structure régionale de cet institut.

Quant à l’action des agences régionales de santé, elles sont de qualité variable : nous avons auditionné un président de caisse primaire d’assurance maladie, celle des Yvelines, qui nous a indiqué qu’il n’avait pas d’interlocuteur quand il voulait évoquer des actions de prévention.

M. Jean-Yves Grall. Pour vous répondre en même temps qu’au propos liminaire du rapporteur, je dirai qu’un pilote, quel qu’il soit, doit avoir la légitimité suffisante pour imposer une stratégie resserrée autour d’objectifs précis, correspondant aux déterminants de santé majeurs. Les plans stratégiques d’action, qui seront déclinés au plus proche des populations, dans le temps et par les acteurs sur le terrain, doivent rassembler les bonnes pratiques. Il faut mettre en œuvre, dans le champ de la santé publique et de la prévention, ce qui se fait dans le champ du soin, avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé ou médicosociaux, ou ce qui se faisait avec l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé.

Une fois donnée l’impulsion stratégique, la déclinaison sur le terrain va traduire l’état des forces, des compétences et de la qualité des uns et des autres, mais l’exemple évoqué de l’Île-de-France ne doit pas être généralisé à l’ensemble du territoire. C’est au directeur général de l’agence régionale de santé de définir, sur la base des objectifs arrêtés, les liaisons à établir et la politique à mener en fonction des situations locales.

Au niveau national, l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé est soumis au contrat d’objectifs et de performance passé avec l’État. C’est un moyen, pour le pouvoir régalien, d’affirmer les grandes lignes de la politique qui sera ensuite déclinée localement. La Conférence nationale de santé s’est penchée sur la traduction opérationnelle de la politique de santé sur le terrain. Cette politique doit être visible pour que les gens puissent se l’approprier et prendre leur santé en main. Après, c’est une affaire de pratique intrarégionale.

La politique nationale a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire avec des inflexions qu’il revient aux agences régionales de santé de définir en fonction de situations qui peuvent varier au regard des déterminants de santé, même si le corpus auquel se référer est le même.

M. le rapporteur. Je voudrais revenir sur le dépistage du cancer du sein. Malgré la campagne nationale, les taux de dépistage sont encore trop faibles. Que propose la direction générale de la santé pour convaincre les femmes qui ne se sentent pas concernées ?

Selon le professeur Hubert Allemand, l’industrie est parvenue à faire diminuer, au niveau mondial, les normes en matière de diabète, d’hypertension artérielle ou de cholestérol admis. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, avez-vous proposé de retirer l’hypertension artérielle de la liste des affections de longue durée ? Est-ce bien compatible avec le souhait de prévenir les accidents cardio-vasculaires ?

M. Jean-Yves Grall. Les trois questions sont liées.

Concernant le dépistage du cancer du sein, dont on a vu les limites, je ferai trois observations. D’abord, le taux de dépistage fait partie des indicateurs arrêtés en liaison avec l’État et les agences régionales de santé dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. Ensuite, nous travaillons avec l’assurance maladie sur l’efficience et l’homogénéisation des pratiques dans les centres de gestion, dont nous partageons la charge. Enfin, des campagnes d’information sur la nécessité de se faire dépister ont été lancées. Mais la communauté scientifique s’interroge sur les bonnes pratiques, sur les populations à dépister et sur les conditions de ce dépistage. Nous avons saisi la Haute Autorité de santé à ce propos.

Il appartient en particulier à la Haute Autorité de santé de déterminer les référentiels, les bonnes pratiques et les normes concernant les différentes pathologies. Nous arrêtons nos politiques sur le fondement de ses avis.

Enfin, pour ce qui est de l’hypertension artérielle, nous allons constituer un groupe qui sera chargé d’étudier sa définition et sa prise en charge.

M. le rapporteur. Vous n’avez pas répondu à ma question. La décision de retirer l’hypertension artérielle de la liste des affections de longue durée a-t-elle été prise à l’initiative de la direction générale de la santé ? Celle-ci a-t-elle simplement donné un avis ? Dans l’affirmative, a-t-elle été ou non entendue ? Nous pouvons craindre que, si les malades ne sont plus pris en charge à 100 %, qu’ils se soignent moins, ce qui pourrait se traduire demain par des complications, notamment par des accidents vasculaires cérébraux.

M. Jean-Yves Grall. Cette décision a été prise il y a quelque temps. La direction générale de la santé a fait remarquer que l’important était d’évaluer le nombre de personnes qui, dans ces conditions, risquaient de renoncer à se soigner.

M. le rapporteur. Vous êtes très prudent !

Je souhaiterais revenir sur les normes. Selon les explications du professeur Hubert Allemand, l’industrie a, grâce à son poids, réussi à les faire abaisser au niveau mondial. Plus la norme est basse, plus le médicament doit être prescrit à dose importante. La direction générale de la santé a-t-elle le pouvoir de redéfinir les normes, en relation peut-être avec la Haute Autorité de santé ?

M. Jean-Yves Grall. Quel est le seuil pour considérer qu’une personne est hypertendue et que son état justifie une prise en charge et un traitement, éventuellement médicamenteux ? C’est aux sociétés savantes de définir ces normes avec la Haute Autorité de santé, et c’est à partir de leur définition que nous prendrons des décisions sur le sujet.

Comment se prémunir de la diminution de normes qui obéiraient à des objectifs éloignés de la santé publique ? Ce sujet a été évoqué lors des discussions du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, à propos des liens d’intérêt et des conflits d’intérêts qui peuvent exister au sein des commissions chargées de donner un avis sur les médicaments – voire au sein de la Haute Autorité de santé, quand il s’agit de faire des recommandations.

M. le coprésident Jean Mallot. Il existe peut-être des conflits d’intérêts au sein de la Haute Autorité de santé, mais ils sont présents au sein de l’appareil d’État. On cite souvent cet exemple mentionné par la Cour des comptes : la lutte contre l’obésité implique de limiter les publicités de produits alimentaires gras, salés et sucrés destinées aux enfants, mais cette démarche vient contrecarrer la politique qui vise à assurer des recettes publicitaires à l’audiovisuel. Or vous occupez un poste clé pour traiter ces conflits d’intérêts, qui dépassent les agences elles-mêmes.

M. Jean-Yves Grall. Vous avez raison. Il convient d’agir de façon cohérente et je considère, en tant que dépositaire des intérêts de santé publique, qu’on ne peut pas mener une politique volontariste de lutte contre l’obésité ou le surpoids et accepter de transiger par ailleurs.

M. le coprésident Jean Mallot. Qu’il faille une cohérence, certes. Mais pensez-vous avoir les moyens de l’assurer ?

Cela me conduit à vous interroger sur la coordination. Il ressort de nos auditions que la direction générale de la santé est probablement en mesure de jouer un rôle de coordination. À la suite de ces auditions, nous allons formuler des préconisations. Soit vous considérez que vous avez les moyens d’assurer cette politique de prévention dans le pays, soit vous pensez qu’il vous manque quelques outils pour ce faire et, dans ce cas, quelles préconisations souhaiteriez-vous de notre part ?

M. le rapporteur. J’ai connu un ancien directeur général de la santé qui était cardiologue, qui avait accepté ce poste avec enthousiasme en espérant conduire de vraies politiques de prévention. Il m’a relaté ensuite qu’il s’était rendu compte que sa tâche consistait essentiellement à dégager sa responsabilité et à répondre aux journalistes chaque fois qu’il se produisait un cas de méningite. Il a fini par abandonner son poste assez rapidement… Que souhaitez-vous pour pouvoir exercer vraiment votre fonction de directeur général de la santé ?

M. Jean-Yves Grall. Vu la multiplicité des acteurs, il faut avoir une légitimité très forte et affirmée pour pouvoir mener les politiques de prévention en maintenant le cap en dépit des intérêts divers – ceux des filières viticole, alimentaire ou pharmaceutique – qui interfèrent en permanence avec les impératifs de santé publique.

M. le coprésident Jean Mallot. Vous pensez que cette affirmation n’est pas assez forte aujourd’hui ?

M. Jean-Yves Grall. Je pense que chaque ministère a ses propres impératifs.

M. le coprésident Pierre Morange. En tant que directeur général de la santé, que souhaitez-vous ou qu’auriez-vous à suggérer ? S’il s’agit de modifications réglementaires, nous pourrons formuler des préconisations auprès de l’exécutif. S’il s’agit de modifications législatives, nous aurons à cœur de les traduire par des amendements.

M. le rapporteur. Chacun garde en mémoire les problèmes rencontrés au moment de la grippe H1N1. Quels changements seraient nécessaires pour que nous soyons demain mieux préparés face à une crise sanitaire ?

M. Jean-Yves Grall. Il faut élaborer une nouvelle loi de santé publique solidement appuyée sur des débats parlementaires, qui aborde l’ensemble des sujets et fixe des priorités. Pour l’appliquer comme il convient, il faut également renforcer le pilotage intersectoriel et l’articulation avec l’expertise et l’évaluation. Mais il faut surtout convaincre la collectivité nationale de l’intérêt de cette loi.

M. le rapporteur. A-t-on vraiment tiré les enseignements de l’affaire de la grippe ?

M. Jean-Yves Grall. Je crois pouvoir répondre par l’affirmative. Nous nous sommes dotés de dispositifs, d’agences, de plans, mais nous devons aussi adapter le système en permanence, de façon à ne pas être pris trop au dépourvu le moment venu.

M. le rapporteur. Les plans de santé ne manquent pas, en effet, mais comment les articuler pour mener une politique pertinente ? Et puisqu’on évoque aujourd’hui un plan de santé mentale, comment pourrait-on le mener à bien si l’on ne s’occupe pas des autres domaines ?

M. Jean-Yves Grall. C’est la difficulté de ces plans, qui s’échelonnent parfois dans le temps sans cohérence. Nous avons besoin, là aussi, d’un pilotage intersectoriel et inter-plans.

Le plan « Santé mentale » allie une démarche stratégique au niveau national et une déclinaison opérationnelle au niveau des régions. Mais tout l’enjeu réside en effet dans la coordination permanente entre la trentaine de plans existants, dans l’évaluation de ces plans et dans l’affectation de leurs crédits.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale procède en dernier lieu à l’audition de M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé, et M. Dominique Maigne, directeur, de M. François Bourdillon, président de la commission Prévention, éducation et promotion de la santé du Haut Conseil de la santé publique, chef du pôle Santé publique, évaluation, produits de santé du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, et M. Didier Jourdan, vice-président, ainsi que de Mme Thanh Le Luong, directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, et de son adjointe, Mme Jocelyne Boudot.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Le système de soins français est très orienté vers le curatif, au détriment de la prévention. Selon la Cour des comptes, entre un et dix milliards d’euros sont consacrés à cette dernière. Encore faut-il savoir ce qu’on entend exactement par prévention…

Comment mieux organiser cette prévention dans notre pays ? Nous sommes notamment désireux de vous entendre sur le problème du pilotage national de la prévention, que la Cour des comptes a soulevé dans sa communication, et sur les campagnes de prévention.

J’interrogerai par ailleurs plus spécifiquement la Haute Autorité de santé sur les normes qu’elle est chargée de définir.

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé. Permettez-moi d’abord de rappeler quel est le rôle de la Haute Autorité de santé dans le domaine de la prévention. Aux termes de la loi, nous sommes chargés d’évaluer l’efficacité des actions ou des programmes de prévention, notamment d’éducation pour la santé, de diagnostic et de soins. Nous intervenons à des degrés variables. S’agissant de la prévention primaire, notre rôle est limité. Nous collaborons avec l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé dans le cadre de conventions comme, par exemple pour l’évaluation de certaines recommandations de santé publique et sur les enquêtes et sondages de santé publique. S’agissant des vaccinations, notre rôle se borne à l’évaluation, par la commission dite de la transparence, de l’intérêt des vaccins en vue de l’admission au remboursement.

Notre rôle est plus important en ce qui concerne la prévention secondaire. La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2008 nous a en effet confié une mission d’évaluation médico-économique des actions de santé publique. La Cour des comptes a consacré un chapitre de sa communication à l’absence d’une telle évaluation. Mon prédécesseur ayant répondu à la communication provisoire, je m’en tiendrai à une remarque de fond : cette mission est venue s’ajouter aux missions historiques de la Haute Autorité de santé, sans être assortie de moyens supplémentaires. Malgré cela, nous avons mené à bien depuis 2008 une soixantaine d’études médico-économiques, en particulier sur le dépistage de certaines maladies infectieuses et du cancer. Cette action médico-économique reste cependant insuffisante dans le contexte actuel : si la Haute Autorité de santé a pour mission de dire aux professionnels de santé comment soigner mieux, elle doit désormais le faire en les incitant à tenir compte du niveau des ressources. De même, les études médico-économiques doivent nous permettre de mieux évaluer l’efficience des actions de prévention. C’est pour cette raison que j’ai sollicité l’extension de nos missions, qui figure à l’article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 en cours de discussion, consacré à la mission médico-économique de la Haute Autorité de santé. Celle-ci concerne principalement l’évaluation des produits de santé à la fois médicaments et dispositifs médicaux et elle est assortie d’une taxe qui devrait nous permettre de renforcer nos moyens pour mener cette tâche à bien.

On nous reproche parfois de ne pas en faire assez. Je rappelle que nous avons conduit un certain nombre d’études sur le dépistage des cancers, en particulier du cancer du col de l’utérus, du cancer de la prostate et du cancer du sein. Nous avons également formulé des recommandations relatives au dépistage de maladies génétiques ou infectieuses.

Mais c’est aussi la nature des évaluations économiques que critique la Cour des comptes. Sa communication relève en effet qu’il n’existe pas, comme en Grande-Bretagne, d’évaluations du coût par année de vie gagnée, pondérée par un facteur qualité, le QALY, quality-adjusted life year. C’est un problème difficile, qui est d’ordre culturel : en France, on n’a pas coutume de chiffrer la valeur de la vie, d’où une certaine réticence, en particulier dans le corps médical, à se lancer dans des études du type de celles que conduit le National Institute for health and clinical excellence sur la quantité et la qualité des vies sauvées par les interventions médicales. Le rapport remis à la Haute Autorité de santé sur le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) comportait il est vrai une évaluation économique, mais nos rapports médico-économiques restent principalement des rapports coût/efficacité, et non des rapports coût/utilité. Le Parlement peut bien sûr inciter la Haute Autorité de santé à faire ce travail, mais c’est un choix politique, qui devra tenir compte de la difficulté culturelle que je viens d’évoquer.

Quant à la prévention tertiaire, elle s’inscrit pleinement dans notre mission, puisqu’elle consiste à éviter l’aggravation ou la récidive de maladies. Nos missions concernent ici les pathologies chroniques, les parcours de soins et, en particulier depuis la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, l’éducation thérapeutique. En la matière, le rôle de la Haute autorité est un rôle d’encadrement. En effet, nous n’avons pas les moyens matériels d’évaluer chacun des 2 500 protocoles en cours dans les régions françaises. Nous avons donc élaboré des guides méthodologiques, à l’intention d’abord des agences régionales de santé, pour les aider à évaluer les programmes d’éducation thérapeutique qui leur sont soumis, puis des porteurs de projets. Notre mission est une mission générale d’encadrement et d’évaluation plutôt qu’une mission d’analyse au cas par cas de tous les protocoles d’éducation thérapeutique.

M. le rapporteur. Si vous disposez d’un document reprenant l’ensemble de ces éléments, nous serions heureux d’en disposer.

J’aimerais interroger le président de la Haute Autorité de santé en même temps que le cancérologue qu’il est sur le dépistage des cancers, auquel la Cour des comptes a consacré un chapitre de sa communication. S’agissant du cancer du sein, nous savons que le nombre insuffisant de femmes dépistées ne permet pas de parler d’un véritable « retour » en termes d’amélioration de la santé.

M. Jean-Luc Harousseau. En ce qui concerne le dépistage des cancers, nous sommes intervenus dans les recommandations sur les tests immuno-histo-chimiques dans le dépistage du cancer colorectal, et surtout sur le dépistage du cancer du col de l’utérus, du cancer de la prostate et du cancer du sein. Le cancer du col de l’utérus est un sujet d’actualité, en raison de la polémique sur la vaccination par le Gardasil et le Cervarix : certains médecins ont critiqué ces vaccins au motif qu’ils entraîneraient des effets secondaires, qu’ils seraient insuffisamment efficaces, ne couvrant que certains sérotypes du virus, et qu’on ne disposerait pas encore de connaissances sur leur action véritablement préventive. Pour notre part, nous avons recommandé de manière très ferme un dépistage organisé, et ce par la technique cyto-histologique en l’absence de certitudes concernant les techniques nouvelles sur le dépistage du génome viral.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous être plus précis en ce qui concerne le vaccin ?

M. Jean-Luc Harousseau. À ma connaissance, nous n’avons pas la preuve que ce vaccin ait une toxicité particulière. Je ne pense pas que ses effets secondaires soient différents de ceux d’autres vaccins. Je crois savoir que le Haut Conseil de la santé publique a aussi pris position en reconnaissant l’intérêt de ce vaccin, et souligné qu’il n’y avait pas de cas reconnu de sclérose en plaques. Mon inquiétude ne porte donc pas sur l’efficacité du vaccin. Ce que je redoute, c’est que les jeunes filles ne se soustraient au dépistage au motif qu’elles ont été vaccinées : il ne faudrait pas que la vaccination entraîne une perte d’efficacité pour les politiques de dépistage organisé, qui demeurent notre règle.

S’agissant du cancer du sein, nous menons actuellement une étude sur les rapports entre dépistage organisé et dépistage individuel. Là encore, le sujet est d’actualité, la presse ayant fait allusion à un risque de surdiagnostic lors du dépistage individuel. Je ne puis vous en parler tant que le collège n’en a pas délibéré, mais nous rendrons prochainement notre décision, qui défendra, je pense, le dépistage organisé et insistera pour que le dépistage individuel se fasse dans les mêmes conditions. Nous avons par ailleurs estimé qu’il n’y avait pas de preuve scientifique que le dépistage ait un intérêt avant cinquante ans, en particulier chez les femmes jeunes, et après soixante-quinze ans. Son extension n’est donc pas envisagée.

M. le rapporteur. J’ai cru lire dans la communication de la Cour des comptes que l’on pouvait diagnostiquer de petits cancers qui ne seraient pas évolutifs. Comment poser ce diagnostic et les distinguer des autres cancers ?

M. Jean-Luc Harousseau. Si mon épouse avait un petit cancer, je préférerais le traiter et ne pas jouer la carte d’un cancer qui n’évolue pas… La seule vraie question est celle du surdiagnostic, qui conduit à inquiéter les femmes inutilement et à faire faire des prélèvements qui s’avéreront négatifs. Ce problème technico-médical ne remet cependant pas en cause le dépistage organisé.

En ce qui concerne le cancer de la prostate, nous avons rendu – en accord avec l’Institut national du cancer – un avis soulignant l’absence d’intérêt d’un dépistage systématique par le dosage de l’antigène prostatique spécifique (PSA). Nous allons confirmer cet avis pour le sous-groupe des patients potentiellement à risque plus élevé. Nous n’avons en effet pas les moyens de définir ces populations, ni de dire si ce risque plus élevé correspond à des cancers plus graves, ni de montrer qu’une intervention plus rapide changerait le pronostic.

M. le rapporteur. La Haute Autorité de santé est chargée de définir des référentiels de bonnes pratiques. Comment intègre-t-elle les normes internationales et les référentiels ? Je vous pose cette question car le professeur Hubert Allemand, que nous avons entendu, observe qu’il existe une tendance à « durcir » les normes de santé : on est désormais considéré comme diabétique lorsque la glycémie atteint 1,26 gramme par litre, contre 1,40 auparavant ; de même, on a diminué le niveau de la tension artérielle normale. Il soupçonne l’industrie pharmaceutique d’agir auprès des instances mondiales pour obtenir une diminution des normes de glycémie, d’hypertension artérielle et de cholestérol afin de mieux vendre ses produits. Cette évolution est déraisonnable, car elle conduit à utiliser le produit à des doses de plus en plus fortes, à telle enseigne qu’on finit par exemple par constater des hypotensions artérielles orthostatiques. La Haute Autorité de santé a-t-elle une opinion sur ce point ?

M. Jean-Luc Harousseau. Vous posez là la question de nos méthodes de travail. La Haute Autorité de santé s’appuie à la fois sur des études publiées et sur des avis d’experts. S’agissant de ces derniers, le problème est d’en sélectionner qui n’aient pas de conflits d’intérêts. Sur un sujet aussi vaste que l’hypertension artérielle, il importe de ne pas retenir les seuls spécialistes, mais aussi des médecins généralistes. Depuis l’affaire du Mediator, nous avons encore durci nos règles : nous ne retenons plus aucun expert ayant des conflits d’intérêts pour participer à la délibération sur les recommandations de bonnes pratiques. Nous avons parfois recours à des experts extérieurs, que nous auditionnons, mais en gardant à l’esprit qu’ils ont des conflits d’intérêts.

Je ne puis en revanche vous répondre sur les médicaments contre l’hypertension artérielle, dont l’évaluation est en cours de révision par la commission médico-économique.

M. le coprésident Jean Mallot. Cela signifierait-il que jusqu’à la période récente, il y avait à la Haute Autorité de santé des experts ayant des conflits d’intérêts ?

M. Jean-Luc Harousseau. La Haute Autorité de santé a toujours tenu à conserver son indépendance intellectuelle. Le guide déontologique qui avait été rédigé à sa création, en 2006, a été renforcé en 2010. Les règles actuellement en vigueur correspondent à peu près à ce que vous allez voter dans le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Entre 2006 et 2010, elles étaient, il est vrai, moins strictes : nous pouvions recourir à des experts qui avaient fait état de leurs liens d’intérêts dans une déclaration publique. Dans tous les cas litigieux, nous faisions cependant appel à notre groupe de déontologie, qui était présidé par un conseiller d’État. Le législateur a décidé de créer un comité d’éthique dans chaque institution ; pour notre part, nous l’avons déjà mis en place et il faut convenir que les problèmes ont été rares depuis la création de la Haute Autorité de santé, même s’ils ont existé.

Deux recours ont en effet été déposés devant le Conseil d’État par une association indépendante, le Formindep. À la suite de cela, la haute juridiction administrative a abrogé une de nos recommandations sur le diabète de type 2. J’ai alors pris la responsabilité de suspendre la recommandation sur la maladie d’Alzheimer. Mais nous sommes allés plus loin : nous avons revu toutes les recommandations de bonnes pratiques que nous avions formulées entre 2005 et 2010, et suspendu toutes celles dans lesquelles il manquait ne serait-ce qu’une déclaration d’intérêts, ou dans lesquelles il y avait ne serait-ce qu’un conflit d’intérêts potentiel. Elles étaient au nombre de six, dont une portant sur l’hypertension artérielle. Nous avons donc fait tout ce qui était en notre pouvoir pour qu’il n’y ait plus de problèmes. Certes, la composition de la commission de la transparence est fixée à l’avance. Certains médecins peuvent donc avoir des liens d’intérêts dans un domaine et pas dans d’autres. La règle est pourtant simple : s’ils ont un lien d’intérêt dans un domaine, ils ne siègent pas.

M. le rapporteur. L’hypertension artérielle a été retirée de la liste des affections de longue durée. Cela fait-il suite à une recommandation de la Haute Autorité de santé ? Qu’en pensez-vous ?

Disposez-vous de référentiels pour le dépistage à la naissance des pathologies du jeune enfant ? Je vous pose cette question car nous venons de voter une disposition visant à généraliser le dépistage précoce des troubles de l’audition. Or de telles dispositions ne me paraissaient pas nécessaires : ce dépistage doit faire partie de ceux qui sont automatiquement mis en œuvre à la naissance.

Que pensez-vous enfin de la médecine prédictive ? Est-elle nécessaire ?

M. Jean-Luc Harousseau. Voilà d’excellentes questions.

La Haute Autorité de santé a travaillé sur l’affection de longue durée n° 12, à savoir l’hypertension artérielle sévère, en 2007. Pour nous, la question posée était de savoir si l’hypertension artérielle sévère devait être considérée comme une affection de longue durée ou comme un facteur de risque. C’est donc le problème général de la prise en charge des affections de longue durée qui se trouvait posé : sortir une maladie de la liste des affections de longue durée au motif qu’elle est un facteur de risque impliquait, à notre sens, de trouver une solution de remplacement au soutien apporté dans le cadre de l’affection de longue durée. La stratégie prônée par la Haute Autorité de santé, qui reste d’actualité, consistait donc à conduire une réflexion sur la prise en charge de ces maladies chroniques. La Haute Autorité de santé a réitéré clairement cette position dans un courrier adressé au ministre de la santé peu avant ma prise de fonctions. Le ministre a pris la décision de retirer l’hypertension artérielle de la liste des affections de longue durée, au motif qu’elle n’était pas une maladie, mais un facteur de risque. Sans être spécialiste en ce domaine, j’estime, quant à moi, qu’il s’agit bien d’une maladie. Une requête a d’ailleurs été déposée devant le Conseil d’État par le collectif inter-associatif sur la santé. Elle se fonde sur l’inégalité de traitement entre les patients déjà inscrits en affection de longue durée n° 12, qui sont pris en charge à 100 %, et ceux pour qui le diagnostic est plus récent, qui ne le seront pas. La position de la Haute Autorité de santé est claire : cette maladie ne devait pas être retirée de la liste des affections de longue durée sans avoir pris de nouvelles dispositions. Nous travaillons d’ailleurs sur une solution globale de prise en charge des patients atteints d’une affection de longue durée, qui serait centrée sur le parcours de soins et sur l’évaluation médicale et médico-économique d’un parcours de soins optimal.

J’en viens au dépistage à la naissance. Nous avons travaillé en 2007 sur une stratégie de dépistage de la trisomie 21. Plus récemment, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté des recommandations sur l’extension du dépistage néonatal à plusieurs erreurs innées du métabolisme par une technique de spectrométrie de masse.

Quant à la médecine prédictive, je vous répondrai en tant que cancérologue. Les progrès faits dans la compréhension du mécanisme des cancers permettent parfois de mettre en œuvre des thérapeutiques ciblées, c’est-à-dire dirigées spécifiquement vers une anomalie biologique correspondant généralement à une modification génétique acquise. Certains médicaments constituent des révolutions thérapeutiques. Le traitement de la leucémie myéloïde chronique qui agit spécifiquement sur le produit d’un changement génétique dans la cellule leucémique en est un exemple.

Dans certains cancers, on a ciblé des patients ayant des modifications de certains récepteurs. Il existe des traitements qui agissent spécifiquement sur ces récepteurs de croissance tumorale et permettent de les bloquer. Ils sont très efficaces, mais uniquement dans ces cas de modification des récepteurs. C’est le cas du médicament contre le cancer du colon. Il faut donc limiter le traitement aux patients qui peuvent en bénéficier, ce qui présente un double intérêt : être efficace en l’espèce et ne pas appliquer le traitement, qui coûte très cher, lorsqu’il est inutile. Cela implique évidemment de faire des tests biologiques. Nous aurons sans doute à l’avenir d’autres exemples de cette stratégie de médecine ciblée. Nous n’en sommes pas encore au traitement personnalisé, mais nous pouvons désormais individualiser ceux des patients pour lesquels un test biologique va permettre de prescrire le traitement adapté.

M. le rapporteur. Vous évoquez ici des traitements. Je pensais pour ma part à une recherche systématique des gènes prédisposant au cancer du sein – puisqu’il y en a – ou à certaines maladies. À partir de quand procéder à une recherche systématique ?

M. Jean-Luc Harousseau. C’est désormais le cas grâce au plan Cancer I, qui a permis de développer les consultations d’oncogénétique. Par exemple, on recherche chez les femmes qui ont des antécédents familiaux de cancer du sein les gènes prédisposant à ce cancer – ce qui peut conduire le cas échéant à une décision de mammectomie.

M. le rapporteur. Si je comprends bien, il n’est pas question d’intégrer la médecine prédictive dans le dépistage organisé ?

M. Jean-Luc Harousseau. Pour l’instant, ce n’est pas envisagé : on ne recherche la modification du gène que dans les familles où il y a un risque particulier.

M. le rapporteur. Nous allons maintenant donner la parole aux représentants du Haut Conseil de la santé publique.

M. François Bourdillon, président de la commission Prévention, éducation et promotion de la santé du Haut Conseil de la santé publique, chef du pôle Santé publique, évaluation, produits de santé du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière. On considère de façon schématique que la prévention médicalisée comprend la prévention primaire, c’est-à-dire antérieure au développement de la maladie, dont le prototype est la vaccination ; la prévention secondaire, lorsque la maladie s’est déclarée et il faut la détecter avant qu’elle n’entraîne des symptômes et ne devienne grave, dont le prototype est le dépistage ; et enfin la prévention tertiaire, qui consiste à éviter les rechutes et les complications. Telle est du moins la vision de l’Organisation mondiale de la santé qui est très restrictive. Elle est aujourd’hui rejetée par la majorité des professionnels de santé publique, qui entendent promouvoir une vision positive de la prévention et travailler sur les environnements et la qualité de vie. Dans cette acception, l’aspect « promotion de la santé » doit être pris en compte dans le calcul du coût de la prévention.

De nombreux travaux ont tenté de chiffrer ce coût, ce qui s’avère particulièrement complexe. Comment intégrer les coûts de la prévention à l’école, ou de la médecine du travail ? Une autre question est de savoir si l’on est dans la prévention ou dans le soin. Prenons l’exemple du traitement du VIH, qui réduit la transmission : est-ce de la prévention ou du soin ? Il est toujours malaisé de le dire. Globalement, les experts estiment que les dépenses de prévention représentent 7 % des dépenses de santé, et qu’il faudrait atteindre le taux de 10 % pour avoir une vraie politique de santé, comparable à celle de certains pays anglo-saxons.

Pour prendre un autre exemple, le congé de maternité – institué au début du siècle dernier – a permis de réduire le risque de prématurité et de mort maternelle. Faut-il l’intégrer dans la prévention ? Cela paraît délicat. Pourtant, c’est l’une des plus formidables actions de prévention qui soient !

Prenons maintenant l’exemple du diabète. Cette maladie grave, qui touche trois millions de personnes en France, est la première cause d’insuffisance rénale chronique, dont le coût atteint 100 000 euros par an et par personne et représente quatre fois le coût du QALY acceptable pour les Britanniques. Or nul ne refuserait aujourd’hui une dialyse à un patient en insuffisance rénale terminale, car cela peut lui sauver la vie et le faire vivre encore de nombreuses années. Il faut être très attentif à la question que pose ce modèle anglo-saxon du QALY – que refusent d’ailleurs les Américains. Plus la moyenne d’âge s’élève, plus ce calcul est défavorable à l’investissement ; mais les sociétés modernes refusent qu’on ne prenne pas en charge les personnes âgées dans ce domaine.

Première cause d’insuffisance rénale chronique, le diabète est aussi la première cause de cécité et d’amputation des membres inférieurs. Il est donc important de le traiter dans de bonnes conditions, du moins si l’on reste dans un modèle très médicalisé. Mais on peut tout aussi bien s’interroger sur les causes du diabète, et choisir de faire de la prévention primaire. On s’intéressera alors à l’obésité, au surpoids, et donc à la politique globale mise en œuvre pour que les gens vivent en harmonie avec la société. Pour lutter contre le diabète, il faut donc penser augmentation de l’activité physique, lutte contre la sédentarité et alimentation équilibrée, autrement dit se préoccuper des politiques publiques à mener sur tous ces points. Cela a abouti au premier plan national Nutrition santé, en 2001.

On ne pourra promouvoir la santé dans notre pays si l’on reste attaché aux seules questions liées à la maladie : il faut s’intéresser à l’équilibre de notre société et, donc promouvoir l’éducation pour la santé. Il conviendra de réfléchir, par exemple, comment s’appuyer sur les valeurs culturelles françaises pour que les enfants mangent correctement et de manière équilibrée, comment s’assurer que les repas servis dans les crèches et les écoles sont de qualité, ou comment intégrer suffisamment d’activités physiques à l’école, puisque, avec les moyens de transport modernes, les Français marchent de moins en moins. Intervenir dans ce domaine suppose donc une réflexion globale.

Quant aux normes de santé, elles sont construites à partir de données statistiques et de données de risque. La prévention est souvent très liée aux risques, ce qui est une approche assez réductrice. D’une manière générale, on fixe une limite et l’on s’aperçoit qu’à 1,26 gramme par litre, il y a moins de risque à dix, quinze ou vingt ans. La communauté scientifique s’accorde alors à penser que c’est là que la limite doit être mise. C’est une décision internationale, émise par l’Organisation mondiale de la santé. Je ne pense pas que l’on puisse remettre ces normes en cause s’agissant du diabète et de l’hypertension. Je vois, en revanche, émerger dans la presse internationale la notion de pré-hypertension, et l’idée qu’il faut traiter celle-ci. Peut-être les industriels se créent-ils ainsi de nouveaux marchés… Reste que pour ces deux grandes maladies, il n’y a pas lieu de remettre en cause les normes actuelles.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous préciser comment votre périmètre d’action s’articule avec celui de la Haute Autorité de santé et de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé ? Nous nous intéressons en effet tout particulièrement à la problématique de la coordination, de l’évaluation et de la définition d’objectifs communs.

M. François Bourdillon. Le Haut Conseil de la santé publique est une instance consultative, mise à la disposition du ministère de la santé et composée d’experts choisis de manière indépendante, en fonction de leur curriculum vitae et de leurs diplômes, mais aussi dans une optique multidisciplinaire, par des responsables d’unités de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale éloignés du champ.

Le Haut Conseil de la santé publique compte plusieurs commissions. J’ai l’honneur de présider la commission Prévention, éducation pour la santé et promotion de la santé, mais d’autres commissions interfèrent avec ce champ : je pense à la commission Maladies transmissibles, ou au comité technique des vaccinations, qui construit le calendrier des vaccinations et rend un avis – indépendamment de notre commission – sur leur mise sur le marché. Notre commission examine pour sa part les conditions de mise en œuvre des vaccinations. Pour reprendre l’exemple du Gardasil, c’est au comité technique des vaccinations qu’il revient de juger de l’opportunité d’utiliser ce vaccin. Il vient d’ailleurs de rendre un avis dans lequel il estime que les données sur les effets indésirables du vaccin ne sont pas suffisantes pour remettre en cause son intérêt, et d’émettre une nouvelle recommandation sur son intérêt économique. Notre commission, quant à elle, va par exemple s’interroger s’il est opportun de consacrer de gros investissements à un vaccin qui nécessite trois rappels pour être efficace et réfléchir à l’amélioration de la procédure de vaccination. C’est un champ que nous n’avons pas encore étudié.

Notre commission s’intéresse notamment à la question du tabac. Nous avons rendu un avis l’an dernier, et travaillons à présent sur la taxation comme outil de régulation de la consommation. Nous nous intéressons également à la médecine scolaire et à l’éducation pour la santé, ainsi qu’à la réduction des inégalités de santé, qui demeurent importantes. Pour l’obésité, par exemple, le rapport entre les enfants d’ouvriers et de cadres supérieurs est de 1 à 5, et cet écart s’accentue. De même, l’écart entre l’espérance de vie à trente-cinq ans des ouvriers et des cadres supérieurs est aujourd’hui de sept ans.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce n’est pas un phénomène nouveau.

M. François Bourdillon. Certes, mais cela doit nous interpeller.

M. Didier Jourdan, vice-président de la commission Prévention, éducation et promotion de la santé du Haut conseil de la santé publique. J’insiste d’emblée sur la complexité et les enjeux du pilotage national de la prévention. Les propos que nous avons entendus jusqu’à présent sont restés centrés sur la seule optimisation de la prévention médicalisée. Or la puissance publique se doit de construire un pilotage national structuré autour de l’autre volet, à savoir la mobilisation de l’ensemble des acteurs en faveur de la prévention. Traiter la question de la gouvernance et du pilotage de la prévention sous le seul angle de la prévention sanitaire, c’est prendre le risque de passer à côté de nos meilleures chances en termes de gains de santé. L’histoire de la santé publique démontre en effet que ce sont les dispositifs permettant d’agir sur les déterminants de la santé qui ont permis d’obtenir l’essentiel de ces gains. La question posée est donc de savoir comment mobiliser l’ensemble des acteurs, notamment le milieu scolaire où travaillent un million de personnes qui peuvent être – et sont déjà – des acteurs de prévention.

Nous reprenons à notre compte la première recommandation de la Cour des comptes sur le développement d’une politique transversale. Celle-ci ne peut cependant être pertinente qu’à la condition de permettre aux structures concernées, et notamment aux différentes institutions, d’acculturer la prévention dans leur propre gouvernance. Là réside sans doute l’enjeu clef. Nous ne manquons pas d’injonctions en direction de l’Éducation nationale – la « sur-prescription » d’objectifs est devenue effarante, à tel point qu’on peut se demander ce qui ne relève pas du champ de l’école. Faut-il pour autant abandonner l’idée selon laquelle le système éducatif doit être un acteur de prévention ? Nous devons trouver les moyens de construire une politique de santé scolaire adaptée à la culture, aux missions et à l’identité professionnelle des acteurs de l’école. Tout l’enjeu est d’avoir à la fois des dispositifs médicalisés extrêmement centrés sur la prévention et la capacité de développer des politiques adaptées. La prévention dans le système éducatif existe déjà, mais il faut encore progresser sur un certain nombre de points : sur la redéfinition du rôle du système éducatif – qui doit être centrée sur ce que sont les missions de l’école, notamment sa mission émancipatrice, comme la réussite des élèves – et surtout sur l’environnement scolaire – François Bourdillon a évoqué la cantine – et psychosocial.

La politique de santé de l’Éducation nationale doit être axée sur les trois grands pôles classiques : prévention, protection et éducation. Un deuxième élément aujourd’hui déterminant est la création d’un curriculum. Il existe, selon les pays européens, des disciplines d’éducation à la santé ou de santé à l’école. Ce n’est pas nécessairement pertinent en France, mais il existe un véritable enjeu à structurer un curriculum santé – de la maternelle au lycée – centré sur le développement de compétences qui sont d’abord des compétences scolaires. Prenons l’exemple de la sexualité : pour pouvoir faire passer le moment venu des messages de prévention, il faudra d’abord avoir travaillé en maternelle sur le schéma corporel et l’estime de soi. Nous sommes donc dans une dynamique qui doit se construire en référence aux missions de l’école, dans le cadre d’un curriculum.

En termes de prévention, c’est la mise en cohérence des stratégies de prévention à l’échelon régional qui fait le plus défaut. Cela s’explique par l’absence de culture commune aux différents acteurs. La question de l’accompagnement et de la formation de ces acteurs est un enjeu déterminant pour des progrès en ce domaine.

La France est l’un des seuls pays à ne pas disposer d’un réseau des écoles en santé. La volonté de ne pas introduire de différence entre les établissements est ici une limite. Pour agir sur les inégalités de santé, sans doute faut-il permettre aux établissements qui le souhaitent de progresser sur cette question – à condition bien sûr qu’ils respectent un cahier des charges ou une charte –, surtout lorsqu’ils scolarisent de nombreux enfants vulnérables.

M. le rapporteur. Vous avez beaucoup parlé de l’école, mais la médecine du travail et la protection de l’environnement jouent aussi un rôle important.

Je donne maintenant la parole à Mme Thanh Le Luong pour présenter l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, qui intervient comme relais du ministère de la santé dans cette politique de la prévention, mais mène également ses politiques propres, aux niveaux local et régional, en s’appuyant sur les associations de terrain. Vous nous expliquerez notamment, madame, les difficultés que vous rencontrez pour conduire une vraie politique.

Mme Thanh Le Luong, directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé. L’Institut national de prévention et d’éducation à la santé a pour mission de décliner le volet prévention des plans de santé publique, aujourd’hui au nombre d’une quarantaine sans compter les plans qui sont de niveau gouvernemental, comme la lutte contre les addictions.

Notre mission consiste à promouvoir des comportements favorables à la santé, les habitudes de vie et l’environnement qui permettent aux individus de faire des choix positifs pour leur santé. Nous ne travaillons donc pas seulement sur les facteurs de risque, mais aussi sur les facteurs de protection. Et, contrairement à la Haute Autorité de santé, qui est compétente pour définir les bonnes pratiques et émettre des recommandations, nous ne travaillons pas seulement sur un modèle biomédical, mais aussi sur les aspects psychosociaux. Nous mettons en œuvre une expertise en sciences humaines, puisque nous travaillons sur les changements de comportement. Sachant que les trois quarts des déterminants de santé se situent en dehors du système de santé, il s’agit de travailler sur ces déterminants pour éviter l’apparition de la maladie.

Nous ne sommes pas opérateurs de terrain. Nous travaillons donc en partenariat avec les agences régionales de santé, les associations et d’autres partenaires locaux. Nous participons ainsi au Salon des maires : même si elle n’a pas de compétence légale dans ce domaine, la collectivité locale peut jouer un grand rôle en matière de santé. Pour prendre un exemple, la lutte contre la sédentarité est un facteur déterminant pour un grand nombre de pathologies – obésité, maladies cardiovasculaires, cancers – comme pour le bien-être des personnes âgées ou handicapées. Pour aider chacun à pratiquer, conformément à la recommandation qui est faite, trente minutes d’activité physique par jour, nous sommes, par exemple, en train de promouvoir une signalétique urbaine en temps de trajet, et non en distance. Nous ne pouvons le faire sans le soutien des collectivités locales. Mais il ne s’agit pas seulement d’informer les gens, car il y a un fossé entre l’information et le changement de comportement – les médecins ne figurent-ils pas parmi les plus gros fumeurs ? – nous nous attachons donc à conduire des études sur les changements de comportement.

Nos programmes concernent d’abord les habitudes de vie comme la consommation d’alcool ou de tabac, les activités physiques et sportives, les addictions… Nous nous inscrivons ici dans la ligne de la résolution adoptée par les Nations Unies le 19 septembre dernier, qui réclame une volonté politique forte pour lutter contre les maladies non transmissibles. L’Organisation mondiale de la santé estime en effet que l’élimination des quatre facteurs de risque que sont l’alcool, le tabac, la sédentarité et la mauvaise alimentation permettrait d’éradiquer 80 % des maladies non transmissibles. Nous essayons de travailler très en amont, au moyen de différents outils : l’éducation à la santé, la formation, les outils pour les professionnels, le soutien aux actions de proximité, les partenariats et enfin des interventions directes auprès du grand public, via les campagnes que vous connaissez.

Dans nos interventions sur le terrain, nous travaillons avec les agences régionales de santé, qui sont un levier sans équivalent pour piloter une politique régionale. Nous leur laissons définir celle-ci, mais nous mettons des moyens à leur disposition. Nous animons notamment les pôles de compétences régionaux. Il s’agit de plateformes qui mettent à la disposition des acteurs de terrain des outils pour améliorer la qualité de leurs actions et de leurs projets, autrement dit la professionnalisation de la prévention. En France, nous manquons de recherche en prévention, alors que nous avons besoin d’évaluations scientifiques. C’est une faiblesse que la communication de la Cour des comptes a bien identifiée.

Nous conduisons également une politique de subventions pour soutenir les associations, en fonction de critères de qualité bien définis. Nous lançons des appels à projets. Nous avons ainsi travaillé avec une équipe alsacienne qui a conduit un essai contrôlé randomisé montrant que, dans les collèges où l’on pratiquait une activité physique, le poids des élèves était optimal, ce qui n’était pas le cas dans les autres collèges. Nous avons donc publié un guide, et étendons cette action via des appels à projets.

Nous animons par ailleurs chaque année la Semaine de la vaccination, action préconisée par l’Organisation mondiale de la santé. Ce sont les 26 régions qui mobilisent, sur la base du volontariat, les acteurs de terrain pour conduire une action de sensibilisation à la vaccination. Nous mettons à leur disposition des outils, des dossiers de presse ; nous faisons de la formation aux media ; mais nous leur laissons toute latitude pour ce qui est des actions à mener.

Nous essayons de plus en plus de décliner nos campagnes en coopération avec les régions. C’est le cas en matière de contraception, ou encore de lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le VIH dans les départements d’outre-mer, où la prévalence est élevée.

M. le rapporteur. Quelles sont les parts respectives de la communication institutionnelle et de vos actions propres ? Quelles sont vos relations avec les comités régionaux et départementaux d’éducation pour la santé, ainsi qu’avec la Fédération nationale d’éducation pour la santé ?

Par ailleurs, un prélèvement va être opéré sur votre fonds de roulement, qui s’élève à 17 millions d’euros. Comment se fait-il que la somme dont vous disposez ne soit pas entièrement utilisée ? Manqueriez-vous d’idées ?

Mme Thanh Le Luong. Croyez bien que non ! Le niveau de notre fonds de roulement s’explique par le fait que notre budget primitif est limité en autorisations de dépenses : nous n’avons pas le droit de dépasser le niveau de dépenses qui a été voté, quelles que soient nos recettes.

M. le rapporteur. Autrement dit, vous disposez d’argent dont vous ne pouvez disposer ?

Mme Thanh Le Luong. En effet.

M. le rapporteur. D’où vient le frein ?

Mme Jocelyne Boudot, adjointe à la directrice générale de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé. Du plafond de dépenses qui figure dans le budget fixé par la tutelle – à savoir les ministères des finances et de la santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Je suis frappé par la diversité des actions que vous menez. En ce qui concerne la stratégie de l’action comportementale et sociétale, la MECSS est persuadée que le fait culturel et familial contribue de manière déterminante à expliquer les écarts d’espérance de vie.

Compte tenu de la grande diversité de vos actions, on pourrait espérer une généralisation de celles qui, en particulier dans le cadre éducatif, visent à changer les comportements. J’évoquais lors d’une audition précédente une expérimentation que vous avez conduite en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont les résultats ont été spectaculaires. Pourrions-nous en avoir un bilan précis sur le plan financier – coût de l’étude et moyens humains déployés – afin de pouvoir éventuellement généraliser une bonne pratique qui a fait la preuve de son efficacité ?

Si vous prenez des initiatives, la coordination entre les différentes structures est peu perceptible. Nous avons eu l’occasion d’évoquer ce problème à de multiples reprises lors des auditions précédentes.

En tant qu’ancien rapporteur de la mission qui a conduit à l’interdiction du tabagisme dans les lieux publics, j’aimerais demander au Haut Conseil de la santé publique s’il dispose d’une évaluation des effets de cette décision. L’application de ce type de mesure a en effet débouché sur une chute spectaculaire du nombre des urgences cardiovasculaires et cérébrovasculaires dans un certain nombre d’États américains.

M. François Bourdillon. Les mesures d’interdiction du tabagisme dans les lieux publics ont partout été suivies d’une diminution particulièrement nette des recours aux urgences et des infarctus du myocarde, sauf en France. En Irlande et en Italie, cette diminution a atteint 15 % dans les trois mois.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourquoi cette exception française ?

M. François Bourdillon. Nous avons une politique de lutte contre le tabac plus ferme depuis la loi n° 91-32 du 12 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’acoolisme. Les politiques publiques ont conduit à une réduction progressive du tabagisme. L’interdiction de fumer dans les lieux publics a donc été moins brutale qu’en Irlande ou en Italie, où elle est entrée en vigueur du jour au lendemain. Mais nous avons certainement progressé, car les taux de prévalence de l’infarctus du myocarde ne sont pas plus élevés en France qu’en Italie.

M. le coprésident Pierre Morange. La grande critique que l’on peut faire à la loi de 1991 précitée, au demeurant pertinente sur le fond, est l’absence de moyens. L’objet de notre mission fut donc de donner des armes à cette ambition sanitaire au moyen d’une interdiction claire et nette. Elle était du reste indispensable, puisque la Cour de cassation avait mis en évidence une obligation de résultats – et non plus seulement de moyens – de l’employeur vis-à-vis de ses salariés. Il était donc légitime d’espérer une amélioration plus nette des statistiques aux urgences, voire une forte diminution. Il semble que ce n’ait pas été le cas.

M. François Bourdillon. Cela ne veut pas dire que cette diminution ne se produira pas à moyen terme.

M. le rapporteur. Je reviens au rôle institutionnel de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé. Une part de votre budget est consacrée aux campagnes institutionnelles, madame la directrice générale ; mais c’est ici le ministère qui décide. Pouvez-vous préciser les parts respectives de la communication institutionnelle et de vos actions propres ?

Par ailleurs, je réitère ma question sur vos relations avec les comités régionaux d’éducation pour la santé et la Fédération nationale d’éducation pour la santé.

Mme Thanh Le Luong. La programmation des campagnes institutionnelles est élaborée avec le ministère de la santé et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, qui est notre principal financeur, en concertation également avec la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

L’articulation avec les comités régionaux d’éducation pour la santé et les comités départementaux d’éducation pour la santé s’effectue dans le cadre des pôles de compétences régionaux dont je vous ai parlé. Ces derniers intègrent en effet les comités départementaux d’éducation pour la santé et les comités régionaux d’éducation pour la santé, qui sont fédérés au sein des instituts régionaux d’éducation pour la santé. Nous finançons la partie méthodologique de ces plateformes puisque par principe, l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé ne finance pas d’actions locales, mais seulement des actions à visée nationale. Ce sont donc les agences régionales de santé ou les collectivités locales qui financent les comités départementaux d’éducation pour la santé et les comités régionaux d’éducation pour la santé. La Fédération nationale d’éducation pour la santé fédère tous ces comités locaux et a pour vocation de les structurer et de les piloter.

M. le rapporteur. C’est dire la complexité du système. Nous avons pourtant besoin d’intervenants de terrain pour agir dans les écoles et des associations pour, par exemple, prévenir l’alcoolisme et le tabagisme. C’est pourquoi j’avais proposé de fédérer toutes les associations à l’échelle départementale, autrement dit d’avoir de vrais comités départementaux d’éducation pour la santé. Dans l’organisation actuelle, vous intervenez sur des campagnes nationales, décidées par le ministère ou la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, qui apportent une partie du budget. Quant à votre budget propre, vous n’en êtes même pas maîtres, puisque vous disposez de recettes que vous ne pouvez pas dépenser. Peut-être la Cour des comptes n’est-elle pas allée assez loin dans ses critiques !

M. François Bourdillon. Permettez-moi quelques réflexions sur les rapports entre État et territoires en matière de prévention. Chacun conviendra que nous avons besoin de relais locaux au plus près des lieux de vie des personnes pour promouvoir la santé. Ce tissu social est donc important, mais il est très fragile, puisqu’il dépend de subventions annuelles. Or il n’existe pas de services déconcentrés dans le domaine de la prévention. On s’est donc toujours appuyé sur des structures départementales et régionales – les comités départementaux d’éducation pour la santé et les comités régionaux d’éducation pour la santé – qui se sont regroupés au sein des instituts régionaux d’éducation pour la santé. Différents modèles existent : ainsi, dans le Nord-Pas-de-Calais, on a associé l’Association nationale de prévention en alcoolisme et addictologie et d’autres structures de promotion de la santé. Néanmoins, ces structures restent fragiles. Elles sont subventionnées à la fois par l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé et les agences régionales de santé, dont les budgets sont relativement contraints. M. Daniel Lenoir, directeur de l’agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais, m’informait il y a quelques semaines que sur les 11 milliards d’euros du budget de la santé de l’agence régionale de santé, il disposait de 30 millions pour la prévention. Cela donne une idée du déséquilibre qui prévaut et de la faiblesse du dispositif censé porter cette politique au plus près des lieux de vie.

M. le coprésident Pierre Morange. Diriez-vous faiblesse, ou insuffisance de coordination ? La Cour des comptes, qui évoque des montants allant d’un à dix milliards d’euros, fait le constat d’une insuffisance de coordination. Certes, les dépenses de prévention représentent 7 % des dépenses de santé, alors qu’il y faudrait sans doute 10 %. Mais la mutualisation et la coordination ne sont-elles pas les premières actions à mettre en œuvre, avant même le renforcement des moyens ?

M. François Bourdillon. Nous en sommes d’accord. Les agences régionales de santé disposent de crédits d’intervention pour la prévention, mais bien que des schémas régionaux de prévention aient été élaborés, l’assurance maladie continue à financer certains acteurs de manière indépendante, en fonction de ses priorités propres. La loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires est claire : les agences régionales de santé pilotent et coordonnent la prévention. Il est nécessaire qu’elles disposent des moyens de le faire. Sans doute existe-t-il des faiblesses de coordination, mais il y a aussi des insuffisances de financement. Or il est particulièrement difficile de faire bouger le curseur. Médecin hospitalier, je suis bien placé pour savoir que dans la situation actuelle, les professionnels de santé se dresseraient contre toute diminution des moyens de l’hôpital, fût-ce pour financer la prévention. Pour pouvoir réduire les soins, il faut investir dans la prévention. L’action doit être menée sur le long terme.

M. le rapporteur. Je plaide depuis longtemps en faveur d’enveloppes régionales ou d’objectifs régionaux de dépenses d’assurance maladie, assurant une vraie fongibilité, et qui permettent aux agences régionales de santé d’intervenir. J’appelle également de mes vœux des observatoires régionaux de la santé. Nous en avons un qui fonctionne très bien dans les Pays de la Loire. Il n’empêche que de multiples structures dédiées se mettent en place ; l’assurance maladie elle-même n’est guère pressée de communiquer les données de santé, alors que ce serait là le moyen de faire l’économie de nombre de ces structures nouvelles. M. Christian Babusiaux s’efforce depuis des années d’essayer d’améliorer la transmission de ces données, mais les barrières entre territoires ne sont pas près de s’effacer. La proposition de la Cour des comptes d’instituer un délégué interministériel chargé de coordonner tous les acteurs est intéressante. Néanmoins, confier ce soin à la direction générale de la santé, dont nous venons d’auditionner le directeur, semble délicat, alors que ses liens avec les autres directions du ministère sont déjà complexes.

J’ai cité à plusieurs reprises un exemple que je juge très significatif. Les représentants de Groupama nous ont confié, lors de leur audition, qu’ils avaient acquis un rétinographe mobile afin de pouvoir effectuer des fonds d’œil chez les personnes hypertendues ou diabétiques dans les Ardennes. Ce dispositif intéressant se heurte cependant à une difficulté : comment identifier ces personnes dans une commune donnée, sachant que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés refuse de communiquer les données en sa possession ? Les barrières entre structures semblent parfois des frontières infranchissables…

N’hésitez donc pas à nous communiquer vos propositions – officielles ou officieuses !

M. le coprésident Pierre Morange. Mesdames et messieurs, je vous remercie d’avoir participé à cette audition.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.