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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 1er décembre 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 07

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prévention sanitaire

– M. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français-Confédération des syndicats médicaux de France, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. Claude Bronner, président de l’Union généraliste-Fédération des médecins de France, et M. Claude Leicher, président de MG France

– M. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, Mme Catherine Morel, vice-présidente de l’Union nationale des pharmacies de France, M. Claude Baroukh, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, M. Claude Dreux, président du Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, et M. Xavier Desmas, membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 1er décembre 2011

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de MM. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français-Confédération des syndicats médicaux de France, Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, Claude Bronner, président de l’Union généraliste-Fédération des médecins de France, et Claude Leicher, président de MG France.

M. le coprésident Jean Mallot. La prévention sanitaire est un vaste domaine, qui recouvre des actions diffuses, menées en ordre dispersé. Des progrès sont donc nécessaires, et sans doute possibles dans un paysage institutionnel en pleine évolution, du fait notamment de la création des agences régionales de santé. Mais cela suppose des arbitrages, qui peuvent être délicats, entre ce travail de longue haleine et les impératifs de court terme, trop souvent privilégiés. D’où le rôle primordial de l’État, qui doit donner les impulsions nécessaires, et fournir les moyens.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Il est unanimement reconnu que notre système de santé est plutôt bon dans le domaine des soins, mais mauvais en matière de prévention. Dans sa communication, la Cour des comptes montre qu’il est difficile d’identifier les moyens consacrés à cette dernière : la fourchette de dépenses qu’elle fournit oscille d’un milliard d’euros – correspondant à la prévention individualisée comme telle – à dix milliards d’euros – toutes actions confondues. De fait, les consultations données par les médecins comportent, au-delà des soins, une dimension préventive.

Que pensez-vous du rôle joué par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, avec son fonds de prévention, d’éducation et d’information sanitaires et ses centres d’examen de santé ? Quelle est votre opinion sur l’organisation actuelle du dépistage, en particulier celui du cancer de la prostate qui a fait l’objet de critiques de la cour ? Quel est votre point de vue sur le système de prévention français ? Comment pourrait-on l’améliorer ? Quelles relations sont possibles entre les médecins traitants et les médecins scolaires, ou les médecins du travail ?

M. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français-Confédération des syndicats médicaux de France. Dans le travail du médecin traitant, il y a en effet une part de prévention qui n’est pas toujours visible. Par ailleurs, tous ceux qui auraient besoin d’une action de prévention ne se rendent pas systématiquement dans un cabinet médical – c’est le cas notamment de gens qui souffrent d’addictions au tabac ou à l’alcool mais qui ne se perçoivent pas comme malade. C’est la raison pour laquelle on avait envisagé à une époque des consultations de prévention, dites de santé publique, une fois par an ou tous les deux ou trois ans, en fonction des tranches d’âge ou des milieux professionnels, parallèlement aux actions conduites par la médecine scolaire ou par la médecine du travail.

Il reste que nous faisons de la prévention, même si cela se limite aux patients que nous voyons. La convention médicale de juillet 2011 donne même une impulsion nouvelle aux actions de prévention puisqu’elle permet d’impliquer le médecin traitant dans la prophylaxie de la grippe – au travers de la vaccination des plus de soixante-cinq ans, mais aussi des personnes atteintes de maladies chroniques telles que l’asthme ou le diabète –, dans le dépistage du cancer du col de l’utérus ou du sein, ou encore dans la maîtrise du risque iatrogénique chez les personnes âgées. Cela correspond à un travail de fond : au regard de l’élément fondateur constitué par le contrat d’amélioration des pratiques individuelles, il semble que les pratiques des généralistes en matière de prévention s’améliorent beaucoup. Cela étant, elles ne peuvent être évaluées que sur plusieurs années.

Une consultation régulière du médecin traitant, axée sur des risques propres à chaque tranche d’âge comme les addictions pour les moins de trente-cinq ans ou les risques cardio-vasculaires pour les personnes de plus de trente-cinq ans, par exemple, pourrait permettre d’atteindre les personnes qui ne se sentent pas malades mais qui ont néanmoins des problèmes de santé.

M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux. Monsieur le rapporteur, vous avez mis le doigt sur le vrai problème : nous n’avons pas une véritable culture de la prévention dans notre pays ! Si nous avons une excellente médecine curative et si nous faisons de la prévention au jour le jour, ce sont surtout des patients malades qui viennent nous consulter. Or le propre de la prévention est de s’adresser aux bien portants ! Les médecins chinois étaient honorés, dit-on, à proportion du nombre de leurs patients en bonne santé…

Nous n’avons pas de véritable politique en la matière, peut-être parce que les termes « prévention », « santé publique » font peur. Il existe certes des plans nationaux, mais qui ne sauraient suffire : il faut un grand élan, pour une politique de prévention ambitieuse. À défaut, notre système d’assurance maladie connaîtra la faillite que nous essayons de conjurer chaque année avec de plus en plus de difficulté, parce que l’augmentation du nombre de maladies chroniques se poursuivra.

J’attache une importance particulière à la prévention primaire, qui consiste principalement à éviter l’apparition des maladies. Si, pendant longtemps, cette action n’a pas été prise au sérieux, des études scientifiques en démontrent l’efficacité comme dans le rapport rédigé en 2007 par le professeur Jean-François Toussaint pour le compte de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Quand on évite 30 % de cas de diabète par ce type de prévention, on en mesure l’intérêt, sachant combien coûte le traitement de cette maladie !

La politique à conduire doit faire la synthèse entre la prévention du risque individuel et la prévention collective, qui est également nécessaire. L’objectif doit être de parvenir à changer les comportements individuels : c’est une mission qui peut être assignée en priorité à la médecine libérale de proximité, parce qu’elle touche une grande partie de la population. Mais, dans la mesure où, lorsqu’elle se fait au cours des consultations habituelles, elle n’est pas dissociée de l’action curative, il faudrait consacrer à cette prévention des consultations spécifiques ; on pourrait les organiser en fonction des tranches d’âge, mais aussi des milieux professionnels et il en faudrait aussi dans les maisons de retraite, car on sait que l’activité physique des personnes âgées permet de réduire leur consommation de médicaments.

Une approche globale, et indépendante de l’action curative est nécessaire : c’est précisément ce qui manque aujourd’hui pour qu’il existe une véritable politique de prévention.

Cette participation des médecins libéraux à la prévention primaire devrait concerner tous les publics : aussi bien les enfants, les adolescents – exposés aux addictions – et les étudiants – souvent oubliés – que nos concitoyens entrés dans la vie active : entre vingt-cinq - trente ans et quarante-cinq ans, certains Français ne consultent jamais de médecin alors que c’est à cet âge que se décident le diabète, l’hypercholestérolémie ou les problèmes cardio-vasculaires de la cinquantaine. Et, comme je l’ai indiqué, dans les maisons de retraite, la prévention primaire pourrait réduire le coût des soins.

La prévention primaire est importante mais c’est celle qu’il est le plus difficile d’imposer, étant donné sa simplicité apparente. La prévention secondaire et la prévention tertiaire ne doivent bien évidemment pas être négligées pour autant, mais elles sont déjà pratiquées au travers des dépistages et de tout ce qui vise à atténuer les complications d’une maladie.

M. Claude Bronner, président de l’Union généraliste-Fédération des médecins de France. L’organisation de la prévention en France est à l’image de celle du système de soins : elle foisonne en dispositifs de toute nature, simplement juxtaposés. Mais le médecin traitant, qui est pourtant le premier acteur de terrain, ne dispose pas de vrai rôle. Cela étant, il accomplit des actes de prévention, et en définitive pas si mal que ça !

Si les centres d’examen de santé enregistrent parfois des résultats intéressants, globalement – tous les rapports l’ont montré – ils ne se révèlent pas d’une grande efficacité au regard des sommes investies. La plupart du temps, ils reçoivent des personnes que nous voyons déjà, sauf lorsqu’ils se concentrent sur des publics particuliers comme ils l’ont fait au cours des dernières années au profit des personnes en difficulté. La plupart de mes patients qui passent des bilans de santé n’en ont pas besoin. Il faudrait revoir complètement le dispositif, ce qui libérerait des moyens humains et financiers.

Quant aux dépistages, ils font l’objet de toute notre attention : des experts comme M. Dominique Dupagne ou M. Philippe de Chazournes font partie de notre fédération. Nous estimons que le médecin traitant devrait être le moteur dans ce domaine grâce à un dossier organisé à cet effet.

On peut sans doute discuter de l’utilité de ces dépistages, s’agissant notamment du cancer du sein, pour lequel on a monté toute une procédure qui ne paraît pas d’une efficacité absolue. En ce qui concerne celui de la prostate, nous sommes à peu près tous d’accord avec la Haute Autorité de santé pour dire que le dépistage organisé ne présente pas d’intérêt. Quant au cancer du col de l’utérus, la convention médicale autorisait les gynécologues et les généralistes à facturer à part le prélèvement réalisé au cours d’une consultation, mais on est revenu presque aussitôt sur cette décision intelligente…

S’agissant de la médecine scolaire et de la santé au travail, il faudrait repenser complètement leur fonctionnement en liaison avec les médecins traitants.

La convention médicale est un document complexe qui risque de décourager les médecins de se lancer dans la prévention. Au surplus, le dispositif est fondé sur des éléments discutables. En fait, il n’y a pas eu de négociation sur ce point. On s’est contenté de rénover un peu le contrat d’amélioration des pratiques individuelles de M. Frédéric Van Roekeghem…

Il faudrait d’abord mettre l’accent sur ce qui est le plus utile pour être en bonne santé : avoir une activité physique. C’est de notoriété publique, mais aucune action n’est entreprise.

Deuxièmement, il conviendrait d’assurer un suivi correct des vaccinations : l’être humain est beaucoup moins bien suivi en France à cet égard que l’animal ! Cela fait vingt ans qu’il en est ainsi !

Enfin, l’organisation du suivi de la prévention par le médecin traitant devrait être une priorité.

Le problème tient moins à l’absence de politique de prévention qu’au foisonnement d’actions allant dans tous les sens.

Faut-il des consultations spécifiques de prévention ? À cette question, je ne donnerai pas de réponse tranchée, mais je note qu’on a trop tendance à mener des actions ponctuelles, en s’appuyant sur des organisations importantes, alors que la prévention peut très bien s’inscrire dans une pratique continue – celle du médecin traitant –, complétée par des actions ciblées pour lesquelles il conviendrait de mettre au point des dispositifs afin de toucher les personnes qui ne consultent pas. À cet égard, les visites annuelles du sport sont d’extraordinaires opportunités dont on ne tire pas profit.

Nous estimons donc qu’il y aurait probablement moyen d’agir simplement et efficacement en inscrivant la prévention dans le parcours de soins du patient. Cela supposerait d’en finir avec une culture de l’assurance maladie qui entraîne, soit qu’on y consacre des fonds spécifiques, soit qu’on ne la prend tout simplement pas en charge.

M. Claude Leicher, président de MG France. La prévention n’est pas seulement un problème de santé, mais un tout où l’accès à l’eau potable, l’assainissement, l’emploi et une alimentation saine comptent beaucoup plus. D’où la nécessité d’une approche médico-sociale.

Beaucoup de plans de prévention sont élaborés : la plupart atteignent partiellement leurs objectifs, mais beaucoup y échouent faute de s’adresser de manière adéquate aux populations qu’on cherche à toucher. En effet, si la prévention n’est pas qu’une affaire de santé, elle n’est pas qu’une affaire de médecins !

Les centres d’examen de santé de la sécurité sociale se sont opportunément reconvertis. Au lieu d’une prévention menée dans toutes les directions avec des bilans de santé tels qu’on les a connus dans les années 1970 – dont on s’est aperçu qu’ils étaient peu rentables quand on ne visait pas une population précise –, ils ont accordé la priorité aux publics précaires, que nous ne voyons pas beaucoup dans nos cabinets et qui ne sont pas culturellement enclins aux démarches de prévention. Encore faut-il évaluer le rapport coût-efficacité de cette nouvelle approche et apporter, au besoin, les mesures correctrices propres à l’améliorer.

S’agissant de la santé au travail, dans un éditorial qui m’a été confié il y a un mois pour la revue de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé sur la relation entre le médecin du travail et le généraliste, j’ai rappelé que nous connaissions mal les risques professionnels : si l’on me demandait par exemple la liste de mes patients qui ont été exposés à l’amiante, je serais en peine de la fournir… Nous défendons l’idée d’un document médical de synthèse annuel, élaboré à partir des données dont nous disposons sur chaque patient – y compris en matière de prévention. Nous souhaiterions dans le même esprit que les médecins du travail nous fournissent un document comparable sur les risques au travail, qui viendrait nourrir l’historique du patient. Ce serait particulièrement précieux une fois celui-ci à la retraite car c’est alors que certains risques se concrétisent – je pense en particulier à l’exposition à l’amiante. Nous sommes donc favorables à des relations avec le médecin du travail allant au-delà des contacts que nous pouvons avoir à propos d’une reprise du travail ou d’un aménagement de poste.

Quant à la médecine scolaire, elle a quasiment disparu. La prévention pour les enfants s’arrête à trois ans, quand est réalisé le dernier bilan de la protection maternelle et infantile. Nous disposons néanmoins d’éléments grâce au carnet de santé et aux informations des parents, mais nous souhaiterions avoir des relations plus étroites avec les médecins scolaires, lorsqu’ils détectent quelque chose, ainsi qu’avec la protection maternelle et infantile.

Les plans de prévention nationaux souffrent d’un manque d’articulation avec la médecine générale. Et si, dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, vous avez fort opportunément rappelé – notre organisation n’y est d’ailleurs pas étrangère – que le médecin de premier recours est notamment chargé du soin, de la prévention, du dépistage et de l’éducation thérapeutique, aucun décret d’application n’a été publié : nous élaborons les mesures d’application à mesure que les occasions s’en présentent.

Une de ces occasions nous a été fournie par la convention médicale, qui a été négociée longuement sur ce point. Nous avons souhaité qu’elle soit déclinée en trois volets, consacrés respectivement au médecin traitant, au médecin correspondant et au médecin de plateau technique lourd, et, dans le premier volet, nous avons introduit des objectifs de santé publique. Le contrat d’amélioration des pratiques individuelles avait un défaut à nos yeux : celui d’être un contrat individuel, sans aucune dimension collective. Nous manquons de modes d’organisation systématiques, y compris en matière de production de données, d’évaluation et d’ajustement des mesures prises. Il convient de voir comment mieux articuler les actions des professionnels de santé de proximité, dans leur ensemble car on ne saurait s’en tenir au seul médecin.

Je rappelle que si les pharmaciens voient 100 % et les médecins généralistes 95 % de la population chaque année, les infirmières n’en voient que 8 %. Par conséquent, penser qu’on peut mener par leur intermédiaire une action de prévention touchant la population générale est une vue bien théorique. Elle ne m’inspire pas d’objection de principe, les infirmières ayant un rôle indéniable en matière de vaccination, mais il faut mettre davantage l’accent sur l’équipe de soins de proximité, dont le modèle est constitué par les maisons de santé. Toutefois, comme celles-ci ne regrouperont à terme que 5 % à 10 % des médecins, il convient d’aller plus loin en développant des équipes de soins de premier recours. La création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires a été utile à cet égard.

M. le rapporteur. Tout le monde reconnaît que la médecine scolaire est quasiment inexistante : comment dès lors faire intervenir le médecin traitant, par exemple pour prévenir les addictions ? Sous la forme de consultations de prévention ? Et, s’agissant des actifs, ne pourrait-on imaginer un partage des tâches avec le médecin du travail, celui-ci se consacrant à juger de l’aptitude au poste tandis que le généraliste serait compétent pour l’aptitude au travail ?

M. Claude Leicher. Nous sommes, je crois, à peu près tous favorables à l’idée d’une consultation annuelle de prévention et nous avons, pour notre part, élaboré des recommandations applicables à la population générale, étant entendu que les actes relevant de cette rubrique doivent être adaptés à la situation de chaque patient et retracés dans son dossier médical. Ainsi, le dépistage du cancer du sein, par exemple, ne s’effectuera pas de la même façon selon qu’il existe ou non des antécédents familiaux. Il conviendra donc de pouvoir s’appuyer sur le dossier médical de synthèse : ce document dont nous avons proposé la création lorsqu’a été institué le médecin référent – et qui ne doit pas être confondu avec le dossier médical personnel – indiquera les antécédents, les problèmes en cours et les facteurs de risque : c’est à partir de ces données que pourra être définie une politique de prévention individualisée.

À ce sujet, je rappelle que le choix d’un médecin traitant ne s’impose qu’aux plus de seize ans ; or il faut que ce médecin puisse soigner les patients dès leur naissance. L’existence de la pédiatrie n’est plus un obstacle : cette spécialité disparaît en dehors de l’hôpital et, en outre, les pédiatres peuvent être reconnus comme médecins traitants. Quant au problème des couples divorcés, soulevé par le ministre de la santé, rien n’empêche, si les parents n’habitent pas au même endroit, que chacun choisisse un médecin traitant, à charge pour celui-ci de coopérer avec son confrère.

Le document médical de synthèse permettrait de définir une stratégie annuelle, qui est le préalable indispensable à la consultation annuelle de prévention, de dépistage et d’éducation à la santé.

M. Michel Combier. Les jeunes restent, en matière de santé, largement sous la dépendance des parents : il ne leur est guère possible de consulter sans que ceux-ci en soient informés, ne serait-ce qu’au travers du remboursement. Se pose donc un problème de confidentialité, même s’il est souvent contourné, le médecin de famille s’abstenant de faire payer la visite. Mais il est de fait que se pose aussi la question de savoir à partir de quel âge on a le droit d’être pris en charge par un médecin traitant. Elle soulève un problème de responsabilité, qui doit être réglé à l’extérieur du cabinet médical.

Comme cela a été mentionné, les centres de santé se sont consacrés aux populations socialement en difficulté, que nous ne rencontrons pas en général. Il ne faut donc pas perdre de vue l’essentiel.

Pour les personnes âgées de vingt-cinq à quarante ans, il serait intéressant de connaître, par exemple, quelle est la proportion de celles qui, convoquées ou incitées à aller chez le dentiste, s’y rendent effectivement. Le constat serait sans doute le même que pour le dépistage du cancer du sein : certaines femmes ne veulent pas en entendre parler, ne serait-ce que pour des raisons sociales ou culturelles, et le médecin traitant passe beaucoup de temps à essayer de les repérer mais les convocations qui leur sont envoyées peuvent rester sans effet.

Le réseau de santé que l’on doit mettre en place sera donc confronté à deux questions : quelle est la responsabilité du patient à l’égard de la prévention ? Comment faire que, dans un pays où l’accès aux soins est relativement aisé, les gens en profitent le mieux possible ?

M. Roger Rua. Je ne viens pas ici pour défendre telle ou telle solution au nom d’une approche corporatiste, mais pour examiner pourquoi on n’est pas parvenu, en France, à avoir une politique de prévention digne de ce nom.

S’agissant des moyens, des propositions ont été faites – ainsi l’examen de non-contre-indication à la pratique du sport constitue un excellent moyen de toucher des populations qui ne sont pas malades. La question est bien plutôt de savoir comment toucher l’ensemble de la population tout en étant suffisamment efficaces pour modifier les comportements individuels à risque : ceux-ci expliquent la plupart des maladies chroniques lourdes, qui coûtent le plus à l’assurance maladie – sans parler de leur coût humain.

La médecine libérale de proximité est volontaire pour participer à cette politique de prévention. La publicité en faveur de l’activité physique, rappelant la nécessité d’environ une demi-heure de marche à pied par jour, ou la publicité sur le thème « Les antibiotiques, c’est pas automatique » nous ont beaucoup aidés, mais il faut une impulsion politique forte. Sans action globale sur les comportements, rien de ce que nous ferons dans nos cabinets ne contribuera à éviter les maladies. Nous avons besoin d’un soutien politique marqué pour passer du tout curatif, que la médecine d’excellence française a pratiqué durant des années, à une politique efficace de prévention.

M. Claude Bronner. Il est toujours tentant de recourir à des mesures spécifiques, mais il faut partir de l’idée que la prévention requiert une pratique continue et une action individualisée. Le dossier de synthèse et le programme personnalisé pour le patient dont parle M. Claude Leicher participent de cette logique. Tel était aussi l’objectif visé par l’institution du médecin référent, même s’il n’a pas été atteint – et est maintenant quasiment oublié.

Cela étant, dans certaines situations, des consultations spécifiques plus longues peuvent être utiles. Quand on fait de la prévention au quotidien, on ne peut généralement y consacrer tout le temps nécessaire. La solution repose donc, non sur la seule consultation spécifique, mais sur un dispositif mixte au sein duquel elle viendra compléter, au besoin, une gestion au long cours.

En matière de médecine sportive, s’il est assez aisé de savoir quel est l’état de santé requis pour la pratique du football par exemple, la chose devient plus compliquée pour des sports plus élaborés. Dans les bonnes fédérations, la commission médicale fournit cependant un document donnant toutes les indications utiles…

M. Roger Rua. Je siège dans une commission médicale qui l’a fait et nos confrères généralistes ont marqué des réserves à l’égard de ce type de documents, qu’ils trouvent trop longs.

M. Claude Bronner. Certaines disciplines sportives imposent d’aller dans le détail… De même, il se rencontre en entreprise des situations pour lesquelles il nous faudrait davantage d’informations de la part des médecins du travail ; d’autres encore relèvent de la médecine spécialisée, mais elles sont rares. Le médecin généraliste peut donc faire face à la plupart des exigences en matière de prévention, pour peu qu’on lui facilite la tâche dans certains cas.

M. le rapporteur. Vous appelez de vos vœux une politique de santé globale et de grandes campagnes nationales conduites par le ministère de la santé : comment pourriez-vous vous impliquer dans celles-ci et accroître votre efficacité auprès des patients et des familles que vous rencontrez ?

Compte tenu des difficultés rencontrées par la médecine scolaire et par la médecine du travail, quel peut être votre rôle au titre de la prévention primaire, secondaire et tertiaire ?

M. le coprésident Pierre Morange. Un consensus se dégage pour estimer que la prévention primaire exige d’agir sur les comportements et donc sur les déterminants culturels, sociaux, environnementaux, éducatifs, professionnels, etc. Pour ce faire, il faut une coordination entre tous les acteurs. À de nombreuses reprises, il a donc été préconisé de confier la responsabilité de la politique de la prévention à une autorité unique, à une sorte de délégation interministérielle qui pourrait être confiée au directeur général de la santé.

Ce même souci de coordination impose aussi de pouvoir partager l’information à l’intérieur d’un véritable parcours de soins, conçu de façon globale…

M. Claude Leicher. À la notion de parcours de soins, nous préférons celle de parcours de santé, qui est plus large.

On est trop enclin, en France, à une vision pessimiste des choses. Or, comme vous l’avez rappelé, la Cour des comptes a donné une estimation des dépenses de prévention comprise dans une fourchette de un à dix milliards d’euros. En tant que médecins généralistes, nous consacrons entre 25 % et 30 % de notre activité à des actes relevant de la prévention primaire ou secondaire. Les consultations de nourrissons, les consultations prénatales pour des grossesses physiologiques, les consultations de surveillance de l’hypertension sont essentiellement consacrées à de la prévention primaire. On ne peut donc affirmer qu’on ne fait pas de prévention en France, ni que le budget qui lui est consacré n’est pas suffisant !

En revanche, tous les experts insistent sur la nécessité de mieux intégrer, à côté du soin, la prévention, le dépistage et l’éducation thérapeutique dans l’organisation sanitaire.

Vous avez défini dans la loi le médecin traitant comme l’initiateur du parcours de santé de la population. Nous essayons de faire qu’il en soit ainsi en pratique : c’est tout le sens de la démarche conventionnelle, au sein de laquelle j’ai cherché pour ma part à introduire des objectifs de santé publique. Mais, quand on lance un plan Cancer en annonçant que le médecin généraliste doit en être partie prenante, il est regrettable qu’on ne dise rien des mesures concrètes retenues à cet effet ! MG France propose donc d’organiser les dispositifs de soin, de prévention et de dépistage autour de la fonction de médecin traitant. Il faut en outre considérer que celui-ci ne travaille pas de façon isolée et que nous nous orientons vers un travail en équipe de soins de premier recours, dans lequel il conserve la responsabilité de la coordination et du parcours de santé – et quand vous accepterez, comme nous le souhaitons, d’étendre la compétence du médecin traitant aux enfants dès leur naissance, nous partagerons une partie de ce rôle avec la pédiatrie, si elle existe encore en tant que telle hors de l’hôpital.

Il ne faut pas non plus oublier la coordination médico-sociale, nécessaire à une politique de prévention des maladies sexuellement transmissibles chez les adolescents. L’accès de ceux-ci aux cabinets médicaux doit être facilité, de même que leur accès à la contraception – les généralistes pourraient ainsi délivrer des boîtes de Norlevo aux adolescentes ayant eu des rapports sexuels non protégés.

Les Britanniques ont des structures centrées, non sur le médecin, mais sur des populations et sur des territoires. Or la loi du 21 juillet 2009 précitée a introduit la notion de territorialisation qui a suscité des craintes chez les médecins libéraux mais qui vous donne un outil politique permettant d’affirmer que nous ne sommes plus seulement des médecins ou des pharmaciens, mais des acteurs libéraux dans un territoire donné, et que nous devons vous proposer des modes d’organisation efficaces.

Le médecin traitant généraliste doit donc être chargé in fine de l’application des politiques voulues par le législateur ou par le Gouvernement, sachant, encore une fois, que celles-ci doivent être adaptées en fonction des risques propres à chaque patient.

S’agissant des modes de rémunération, il faut prévoir un temps de consultation consacré à l’explication du système, ainsi qu’un temps pour l’organiser. En effet, il nous manque aujourd’hui la production de données. Aujourd’hui, on n’en élabore pas autrement que par les procédures de liquidation de l’assurance maladie. Nous devons donc éditer des données, ce qui est un des objectifs sous-jacents de la rémunération sur objectifs de santé publique. Il s’agit de dire aux médecins : soit l’assurance maladie produit vos données – de façon d’ailleurs plus ou moins juste –, soit vous le faites vous-mêmes. Il faut ensuite confronter celles-ci à un référentiel préalablement fixé, puis prendre les mesures d’adaptation qui s’imposent.

C’est ainsi que nous allons travailler dans le cadre de la convention médicale, en nous appuyant sur des indicateurs – et si ces indicateurs ne sont pas adéquats, nous les modifierons. Ainsi en est-il pour la mammographie : l’objectif de santé publique doit être modifié parce que les références internationales changent et il faut adapter les indicateurs en conséquence. C’est sur le fondement de ce travail que nous pourrons ensuite nous préoccuper des « niches » de population restées à l’écart des actions de prévention.

Par ailleurs, il serait pertinent de laisser les partenaires conventionnels déterminer si cette consultation de prévention doit être rémunérée à l’acte, au forfait ou en fonction d’objectifs. Nous cernerons les besoins des médecins et nous nous mettrons d’accord sur la manière de procéder. Pour MG France, l’intérêt de la forfaitisation serait de tenir compte du travail effectué en dehors de la présence du patient. L’un des principaux objectifs stratégiques de la convention est en effet que le médecin ne soit pas seulement dans une relation binaire avec le patient : il faut qu’il prenne le temps d’examiner la situation de l’ensemble de sa patientèle au regard de la vaccination ou des dépistages, ce qui produira des données dont l’agrégation devrait, à une échéance que j’espère proche, nous permettre d’adapter nos pratiques.

C’est à un problème d’organisation générale que nous sommes aujourd’hui confrontés en France. Je ne suis pas sûr que nous ayons vraiment besoin d’une haute autorité interministérielle : il existe assez de directions au ministère de la santé pour définir les politiques et, même si la direction générale de la santé était chargée de les coordonner, il resterait l’essentiel, à savoir déterminer le moyen de les traduire sur le terrain. Actuellement, aux termes de la loi, cet instrument est la contractualisation, sous les auspices de la convention médicale. Nous aurons toute possibilité de conclure, avec les autres acteurs du système de soins, des conventions interprofessionnelles, car la politique de santé publique doit être confiée au réseau territorial de proximité qui est constitué par les acteurs de soins de premier recours. En revanche, si d’autres acteurs interviennent sans cesse, nous serons dans une situation d’inefficacité permanente.

L’articulation avec la politique de la ville est nécessaire à ce que j’appelle la coordination médico-sociale. C’est un peu moins vrai pour la médecine scolaire, en raison de l’absence de politique du Gouvernement en ce domaine, mais si celle-ci était réactivée, il faudrait veiller avant tout à son articulation avec la fonction de médecin traitant et avec les équipes de soins de premier recours.

M. le rapporteur. La définition, par les agences régionales de santé, des schémas de territoire permettra-t-elle de résoudre ce problème ?

M. Claude Leicher. Les agences régionales de santé établissent des cartes. C’est bien, mais c’est un peu comme les frontières en Afrique, tracées à la règle ! Les territoires doivent être définis par les acteurs de soins de premier recours, les agences régionales de santé se bornant à en prendre acte. S’agissant de la permanence des soins par exemple, nous avions prévu, en 1997, 3 200 secteurs de garde, il est apparu qu’ils étaient trop nombreux. Nous avons donc réduit ce nombre à 2 500 et les restructurations ne se sont pas trop mal passées. Il n’empêche : la définition des territoires doit se faire en coordination avec les agences régionales de santé, bien sûr, mais à partir des besoins des professionnels de santé et de manière à les inciter à travailler ensemble, ce qui n’est pas encore bien compris. Le législateur et le Gouvernement doivent se convertir à cette organisation par territoire d’activité, de population, le premier territoire fonctionnel étant la patientèle du médecin traitant. C’est un élément extrêmement puissant introduit par la loi n° 2004810 du 15 août 2004 relative à la réforme de l’assurance maladie et dont nous essayons de nous servir de la façon la plus intelligente possible.

M. Michel Combier. La pratique régulière de la médecine m’a appris l’humilité et la tolérance. D’abord, nous devons être modestes dans les objectifs que nous nous fixons. Nous nous attachons à améliorer la prise en charge des actions de santé publique et de prévention par une population de médecins qui a largement dépassé la cinquantaine et à permettre aux médecins plus jeunes de mettre en œuvre, au sein du système libéral, les enseignements reçus dans leurs études. Nous devons être tolérants, ensuite, parce que la personne à laquelle nous nous adressons a le droit de choisir. Ainsi certaines vaccinations sont obligatoires, mais l’État n’a pas pour autant prévu de sanctions à l’encontre de ceux qui les refusent…

Plutôt que de multiplier les objectifs, il faut définir quelques priorités et permettre aux médecins de s’investir pleinement pour les atteindre. D’où la place accordée dans la convention médicale à la prévention des maladies chroniques, pour laquelle le recours au médecin traitant est une source non seulement d’économies, mais surtout de confort pour le patient. En effet, le médecin traitant pourra, par exemple, à la fois éviter l’apparition de troubles de la vision chez les diabétiques et, à partir de cette pratique, réfléchir aux moyens d’améliorer encore la prévention ; en outre, dans la mesure où il reste le médecin de famille, il pourra examiner les enfants de ces patients, leur prescrire des dépistages qui leur éviteront la même maladie… L’amélioration de la prévention se fera ainsi de façon progressive, d’autant qu’il faudra associer à ce travail les acteurs de soins de deuxième recours, ces spécialistes auxquels il est si difficile d’accéder dans certaines régions.

Quant à la population qui ne vient pas dans nos cabinets, on la contraint à s’inscrire chez un médecin traitant mais celui-ci n’a pas le pouvoir de lui imposer une vaccination oubliée. La prévention se heurte donc à certains blocages et nous devons par conséquent réfléchir à la manière de faire sauter ces verrous.

M. Roger Rua. Il faut dépasser le simple aspect curatif et nos préoccupations égoïstes de médecins ! Orienter la politique de santé vers la prévention ne pourra résulter que d’un travail interministériel, car le ministère de la santé n’est malheureusement que le ministère du soin. Or la santé, c’est éviter le soin. En Suisse, certains patrons ont diminué le temps de travail de leurs employés de deux heures par semaine pour qu’ils puissent se consacrer à une activité physique encadrée et ils ont constaté que la productivité de ces salariés s’en trouvait améliorée. Il faut donc aller au-delà de notre propre réflexion de médecins.

M. le rapporteur. Si le délégué interministériel est le directeur général de la santé, comme le propose la Cour des comptes, cela changera-t-il quelque chose ?

M. Roger Rua. Les ministères chargés de la jeunesse, des sports et du travail sont concernés. L’organisation doit donc être transversale. Ne retombons pas dans les schémas anciens, « égocentrés » ! La prévention, ce n’est pas le soin.

M. Claude Leicher. En France, nous avons tendance à empiler des structures et nous allons encore en ajouter ! Je ne vois aucun inconvénient à ce que le directeur général de la santé soit chargé de la coordination interministérielle, mais ce n’est pas à ce niveau que les choses se joueront. On est allé jusqu’à préconiser cent mesures, dont dix seulement ont réellement été appliquées. Nous devons être pragmatiques : il faut définir les acteurs les plus pertinents pour toucher chaque catégorie de population ; travailler à cerner les causes de l’écart d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, ou entre les ouvriers et les cadres, afin de réduire la mortalité évitable ; chercher comment agir sur les comportements des gens de trente-cinq à cinquante ans pour réduire les risques cardiovasculaires… Plutôt qu’ajouter une nouvelle structure, mettons en œuvre les bonnes politiques avec des moyens en conséquence – si la Cour des comptes parle de dix milliards d’euros, cela signifie qu’ils sont disponibles !

Ce que nous faisons, nous, médecins généralistes, n’est pas toujours visible parce que, je le répète, nous ne produisons pas de données et nous n’évaluons pas notre activité. Corrigeons cela, mais restons dans la logique d’organisation du système de santé que vous avez définie et qui s’articule autour du médecin traitant. Confions à celui-ci la partie prévention et dépistage, en association avec les autres acteurs ! La direction générale de la santé peut être le lieu de l’évaluation et du recueil des données, mais affirmer que le ministère de la santé ne produit pas de données de santé, c’est occulter toutes les publications de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques et de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

M. le rapporteur. Qui a décidé de retirer l’hypertension artérielle de la liste des affections de longue durée ? Quelles seront les conséquences d’un tel retrait auquel le directeur général de la santé n’aurait pas été favorable, d’après ce que j’ai compris ?

M. Claude Bronner. Est-il si important de savoir qui a pris la décision ? Il est toujours possible de corriger une mauvaise décision. En l’occurrence, le directeur général de la santé n’était pas favorable à un tel retrait, mais j’ai aussi des exemples où il était favorable à des politiques qui n’ont pas produit de bons résultats. Ce qui s’est passé avec la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 est la preuve absolue que ce n’est pas parce que l’État organise une procédure extraordinaire qu’elle va être efficace ! Pour fonctionner, le système n’a pas besoin d’une organisation pyramidale ; il doit être construit sur des principes clairs et être décliné, sur le terrain, par les acteurs concernés. Ainsi que l’a mentionné M. Claude Leicher, il faut placer la population et le médecin traitant au centre du dispositif. Et il est nécessaire également d’établir un lien avec la médecine spécialisée. Il est par exemple aberrant qu’après avoir fait autant d’efforts d’organisation pour mettre en place un médecin traitant, ni les femmes ni nos confrères gynécologues n’avertissent celui-ci qu’un frottis a été réalisé et ne lui en communiquent le résultat. C’est une illustration des aberrations dues au défaut d’organisation, indépendant de la question des institutions.

M. le rapporteur. Vous avez négocié la convention médicale avec le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et vous avez défini des indicateurs de performance. Est-ce vous qui avez proposé ces indicateurs ? En êtes-vous satisfaits ?

M. Claude Leicher. Les indicateurs sont issus d’un consensus. Les indicateurs de soins sont centrés sur les pathologies chroniques, avec un volet prévention extrêmement important. Ils ont pour objectif d’améliorer les résultats de santé. Les médecins qui affirment que nous sommes passés d’une obligation de moyens à une obligation de résultats n’ont pas dû lire attentivement la convention. Celle-ci ne prévoit pas une obligation de résultat, mais les médecins doivent s’intéresser aux résultats de leur patientèle en termes de santé publique. Et s’ils ne le font pas, ils ne devront pas se plaindre si un jour on confie ce travail à un autre acteur ! Étudier les résultats, faire sa propre évaluation en vue de les améliorer, c’est le travail normal de tout professionnel. Et il faut commencer par s’intéresser aux gens qui ne font pas d’examens de santé, car c’est le moyen le plus sûr d’accroître fortement les succès de la prévention. S’occuper précocement des diabétiques, pendant les dix premières années de leur maladie, est une nécessité absolue. Il y a vingt-cinq ans, les Britanniques se sont attaqués au tabagisme selon des critères anglo-saxons, c’est-à-dire brutalement, mais le résultat est aujourd’hui spectaculaire : le taux de cancers du poumon baisse chez les hommes et chez les femmes, alors qu’en France, il diminue chez les hommes mais augmente chez les femmes, de sorte que, dans cinq ans, les deux courbes se croiseront. Que fait-on en attendant ? Je proposerai donc à M. Frédéric Van Roekeghem l’introduction d’un indicateur relatif au tabac.

Nous avons discuté et commencé par reprendre ce qui avait déjà été mis en place. Je vous rappelle que 16 000 médecins généralistes l’ont plébiscité contre l’avis du Conseil de l’ordre, de l’industrie pharmaceutique et de certains syndicats. Nous en avons pris acte et avons préféré une gestion commune à une gestion individuelle. Donc, nous avons discuté et, oui, nous sommes d’accord avec tout. Cela dit, le dépistage par la mammographie fera l’objet d’un débat. Si un consensus se dessinait sur le fait que la mammographie n’améliore pas l’espérance de vie des femmes, ce qui serait tout de même étonnant, nous en tiendrions évidemment compte. Quant au dépistage du cancer de la prostate par le dosage de l’antigène prostatique spécifique (PSA), vous connaissez la polémique dont il fait l’objet et il ne figure donc pas au nombre des indicateurs.

Parfois aussi, nous ne comprenons pas l’attitude des pouvoirs publics. Les médicaments contre la maladie d’Alzheimer ne sont d’aucune utilité, ils n’améliorent pas la santé de la population concernée, augmentent sa mortalité, et le service médical rendu a été dégradé par la Haute Autorité de santé. Pourtant ces médicaments restent remboursés – à raison de 280 millions d’euros chaque année ! Nous, médecins, nous demandons donc parfois comment les décideurs analysent l’information disponible. Il faut un peu de courage politique, même si je comprends bien que c’est difficile !

En conclusion donc, monsieur Jean-Luc Préel, nous avons discuté des indicateurs de performance, nous approuvons ceux qui ont été choisis, mais il faudra très certainement les améliorer.

M. Michel Combier. Nous sommes allés voir la pratique en Californie, en Grande-Bretagne, en Autriche… et cela nous a parfois rassurés ! Dans le système britannique de paiement à la performance par exemple, la rémunération du médecin augmente une première fois au-delà de quatre minutes de consultation, et une deuxième fois lorsque la durée de l’entretien dépasse huit minutes, alors qu’une consultation en France dure entre seize et dix-sept minutes. De plus, en Grande-Bretagne toujours, cette rémunération est majorée si le patient est reçu dans un délai de cinq jours, ou de quarante-huit heures s’il s’agit d’un malade chronique. Ce sont des mesures que nous n’avons pas eu besoin de prendre en France parce que les médecins français sont plus attentifs à leur patientèle.

Le contrat d’amélioration des pratiques individuelles était centré sur l’efficience, c’est-à-dire, pour appeler les choses telles qu’elles sont, sur la diminution de la prescription de médicaments, et la sanction y tenait une place importante. Avant que nous ne nous penchions sur la question dans un cadre conventionnel concerté, il suffisait qu’un médecin se trompe sur l’un des éléments de la prescription pour qu’il perde tout le bénéfice de son travail de prévention. Nous avons corrigé cela et, en outre, nous avons introduit des dispositions relatives à l’organisation, qui vont permettre aux médecins de s’informatiser et de commencer à s’échanger des informations. Comme l’a souligné M. Claude Bronner en prenant l’exemple du frottis, le retour des informations vers le médecin traitant est crucial pour que celui-ci puisse prescrire les examens utiles – et seulement ceux-là – sans avoir à se livrer à un interrogatoire de police, parfois vain.

En reprenant les indicateurs adoptés dans les autres pays et en nous référant aux référentiels de la Haute Autorité de santé et aux conclusions des sociétés savantes, nous avons construit un système qui, j’en suis persuadé, contribuera à faire évoluer les esprits et à améliorer progressivement la prévention, y compris la prévention primaire.

M. le rapporteur. Le taux de dépistage organisé du cancer du sein fait partie des indicateurs. Comment aller au-delà du niveau actuel, sachant que beaucoup de femmes sont réticentes à un tel examen ? Et que se passera-t-il pour le médecin traitant si son pourcentage de dépistage n’augmente pas ?

Par ailleurs, s’agissant du dépistage du cancer de la prostate, comment se fait-il que certains médecins prescrivent aujourd’hui des dosages de PSA pour des hommes de soixante-dix ou soixante-quinze ans ?

M. Claude Leicher. S’agissant du cancer du sein, nous débattons actuellement au niveau international de l’utilité du dépistage pour faire baisser la mortalité chez les femmes. Pour l’instant, rien ne prouve qu’il permet d’allonger l’espérance de vie, contrairement aux conclusions des premières études, réalisées dans les années quatre-vingt-dix. Nous serons peut-être amenés à modifier cette recommandation si les données de la science évoluent mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Par ailleurs, trop de mammographies sont réalisées avant cinquante ans, à un âge où la densité de la glande mammaire gêne la lecture de tels examens qui, en outre, se traduisent par des irradiations. Il y a de même trop de frottis réalisés sur les femmes jeunes, pas assez sur celles de plus de cinquante ans, tandis que des populations entières ne bénéficient pas de cette technique de dépistage. Or la population est informée et se demande pourquoi les gynécologues persistent dans ces prescriptions. Une certaine méfiance commence ainsi à se développer à l’égard de recommandations dont on s’aperçoit qu’elles sont entachées de conflits d’intérêts.

Si les taux de dépistage d’un médecin n’augmentent pas, c’est à nous, syndicats, et à l’assurance maladie, de nous interroger sur les raisons de ce fait. C’est probablement parce qu’il ne suffit pas de s’en remettre au système de santé, qu’il faut actionner d’autres leviers et agir, notamment, sur les déterminants culturels. Notre façon d’aborder la santé n’est pas adaptée à certaines des populations que nous soignons.

Quant au dépistage du cancer de la prostate, je commencerai par observer qu’il s’arrête à soixante-quinze ans alors que nous voyons de plus en plus d’hommes de plus de quatre-vingts ans dans nos cabinets. Cela étant, il importe que les médecins soient protégés des pressions exercées par les patients par des recommandations claires, précises et unanimes. Or, d’un côté, l’Association française d’urologie préconise un dépistage en population générale tous les deux ans à partir de cinquante ans et, de l’autre, la Société française de santé publique et toutes les sociétés internationales de santé publique nous disent qu’étendre trop le dépistage entraîne des opérations qui accroissent la mortalité, le nombre d’hommes incontinents et les problèmes d’impuissance post-chirurgicale, alors même que ces cancers n’auraient peut-être pas évolué. Nous, médecins généralistes, sommes donc partagés et je vous avoue humblement que, parfois, je craque, d’autant que nous avons aussi des patients de soixante-quinze ans en pleine forme, auxquels on ne donne pas leur âge et qui ne comprennent pas pourquoi on arrête de les soigner. Lorsqu’une demande de la population se manifeste, la loi la prend souvent en compte quelques années plus tard. Le législateur finit lui aussi par céder !

M. Roger Rua. Nous évoquons là, la prévention secondaire, mais j’en reviens à ma marotte de la prévention primaire : le fait d’arrêter la consommation de tabac est plus efficace que le dépistage. C’est donc sur ce point qu’il faut se battre. Les indicateurs conventionnels pour le paiement à la performance sont surtout économiques, ne nous leurrons pas ! Nous sommes auditionnés pour savoir s’il existe réellement une volonté politique de faire de la prévention, et non pas pour évoquer des problèmes techniques qui se posent dans nos cabinets. Une fois que cette volonté sera acquise, nous pourrons décliner les préventions primaire, secondaire et tertiaire, réunir les acteurs et trouver des moyens. Et je ne veux pas ajouter une énième structure : je souhaite une seule agence de prévention, parce qu’il nous faut un ensemble cohérent. C’est en effet cette cohérence qui fait défaut et les indicateurs de performance n’y remédieront pas grand-chose. Prescrire moins de médicaments, c’est sans doute une prévention très efficace, mais une politique de prévention ambitieuse, c’est autre chose !

M. Claude Bronner. Hormis les indicateurs liés à l’organisation, qui sont nouveaux et ont effectivement été discutés, les autres figuraient dans le contrat d’amélioration des pratiques individuelles : comment pourrait-on croire qu’ils ont été négociés alors que tous les syndicats étaient opposés à ce contrat d’amélioration des pratiques individuelles – sans doute à tort d’ailleurs puisque les médecins l’ont plébiscité ? En fait, il n’y a pas eu de négociations, pour de simples raisons d’organisation, parce que tout s’est déroulé rapidement. Et le résultat ne sera pas à la hauteur des ambitions que nous placions dans le dispositif, j’en suis convaincu.

M. le coprésident Jean Mallot. Si je conviens que l’organisation pyramidale n’est pas la panacée, cela néanmoins peut contribuer au maintien d’une constance de la volonté politique. Pensez-vous que la formation initiale et continue des professionnels de santé soit à la mesure de ce que nous pourrions espérer, et cohérente avec cette éventuelle volonté politique ?

Par ailleurs, pourriez-vous, monsieur Claude Leicher, préciser ce que vous entendez par « conflits d’intérêts » ? Nous avons un cas avec la politique visant à limiter la publicité en faveur des produits gras, salés et sucrés, afin de lutter contre l’obésité. Elle vient contrecarrer les efforts que fait le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour que la télévision dispose de ressources publicitaires suffisantes, mais il y a sans doute des exemples moins médiatiques…

M. Claude Leicher. Je partage votre point de vue : il faut une volonté politique cohérente. Nous voulions simplement éviter d’ajouter de nouvelles structures. De nombreuses personnes compétentes peuvent assurer cette cohérence et le système conventionnel a bien l’intention de travailler en ce sens, en tenant compte du contexte réglementaire et législatif.

Si vous souhaitez que la politique de prévention s’organise autour du médecin traitant et des soins de santé de premier recours, cela signifie que la formation initiale à la prévention et au dépistage fait partie des missions des enseignants de médecine générale et de santé publique, prévus par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Notre pays compte actuellement 11 000 étudiants en médecine générale, 25 professeurs et une centaine d’enseignants maîtres associés, ainsi que des maîtres de stage dont le nombre a sensiblement augmenté, grâce notamment à l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale. Lorsque les jeunes internes viennent dans nos cabinets, ils réalisent bien que notre temps est partagé entre la prévention, le dépistage et le soin. Comment, d’ailleurs, un médecin pourrait-il aujourd’hui se désintéresser de la prévention alors que la population se préoccupe de préserver sa santé ?

La formation médicale initiale est absolument essentielle et l’on ne peut que se féliciter de l’existence, désormais, d’un tronc commun à différentes professions de santé. S’impose ainsi petit à petit l’idée qu’il faut sortir du tout médical. Les sages-femmes, par exemple, ont toute leur place dans le champ de la prévention : même si elles ne sont pas très nombreuses dans le secteur libéral, ce sont elles qui suivent l’essentiel des grossesses à l’hôpital, à nos côtés puisque, en périnatalité, la part des généralistes a nettement augmenté ces dernières années. Il est indispensable d’avoir la culture de la santé publique, et pas seulement de la santé de l’individu qui est en face de soi. Or, sur ce plan, la convention médicale assure un gain qualitatif majeur.

Quant aux conflits d’intérêts, les médecins y sont sans cesse confrontés dans la mesure où ils ont intérêt à avoir devant eux des gens malades – à moins qu’ils ne soient salariés, auquel cas l’intérêt est inverse ! D’où la nécessité, précisément, de valoriser l’activité de prévention et de dépistage. Il n’est pas raisonnable, pour revenir à cet exemple, que tant de frottis soient prescrits à de jeunes femmes. D’où notre idée de faire figurer dans la convention un contrat d’amélioration des pratiques individuelles centré sur le dépistage du cancer du col de l’utérus et d’améliorer la rémunération à condition que le dépistage s’effectue dans le cadre des recommandations – je rappelle que celles-ci prévoient un dépistage tous les trois ans, et non pas tous les deux ans comme cela se pratique actuellement. L’assurance maladie a donc fait un bon calcul. En effet, même si leur nombre devrait légèrement augmenter, on fera moins de frottis à des femmes qui n’en ont pas besoin et plus à celles qui en ont besoin.

Le fait de mettre en concurrence les professionnels de santé entre eux – cela a longtemps été le cas des pédiatres et des gynécologues face aux médecins généralistes – génère une concurrence inappropriée sur le nombre d’actes, et c’est un facteur majeur de dépenses indues qui n’est pas pris en compte. On ne peut, par exemple, systématiquement prescrire des ostéodensitométries à toutes les femmes ménopausées, car ce n’est absolument pas justifié et ne correspond à aucune recommandation. En matière de santé, les conflits d’intérêts ne peuvent se résumer à ceux qui ont été médiatisés et qui concernaient le médicament. Les professionnels peuvent y être confrontés dans l’exercice même de leur activité. Il faut donc veiller à ce que les modes de rémunération permettent de gérer correctement ces situations en récompensant le respect des référentiels de qualité.

M. Roger Rua. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, la prévention n’est pas du tout enseignée aux étudiants en médecine français. Nous avons donc beaucoup de progrès à faire pour surmonter ce handicap culturel, y compris dans le cadre de la formation continue.

Quant aux conflits d’intérêts, toutes les professions en connaissent en permanence. Il faut donc arrêter de se focaliser sur le sujet et essayer de faire son métier le mieux possible, dans l’intérêt du patient.

M. Claude Bronner. Des conflits d’intérêts, il y en a bien sûr partout. L’important, c’est de les connaître.

Quant à la prévention, il est vrai que nos confrères ne se précipitent pas sur les formations dispensées en la matière, simplement parce que le dispositif n’est pas organisé pour cela, parce qu’ils n’y voient pas un intérêt direct et immédiat, et parce qu’ils pensent que, globalement, ils font ce qu’il faut. Je prendrai pour exemple l’éducation thérapeutique – expression que je n’apprécie pas vraiment, mais qui a du sens. On reconnaît qu’elle exige une formation, car c’est un concept relativement nouveau qu’il faut développer, mais rien n’est organisé à cet effet ! La formation suit l’expression, par les médecins, de besoins qui dépendent eux-mêmes de l’organisation de leur travail et de la manière dont ce travail est reconnu. Il faut certes investir dans la formation, mais il faut aussi que ceux à qui elle s’adresse y trouvent de l’intérêt.

M. le rapporteur. Dans certaines spécialités, le médecin prescrit lui-même les examens qui le font vivre : ainsi, pour un gastro-entérologue, les fibroscopies, coloscopies et autres écho-endoscopies. N’y a-t-il pas là des conflits d’intérêts regrettables ?

Par ailleurs, s’agissant des vaccinations obligatoires, pourquoi les rappels ne sont-ils pas systématiquement faits chez les jeunes puisque vous connaissez leur dossier médical ? Y a-t-il des réticences de la part des parents ?

M. Michel Combier. La campagne de vaccination contre le virus H1N1 a été l’occasion de contestations sur internet : le discours de l’État ne valait rien – c’était la théorie du complot – et il fallait écouter l’avis de tel ou tel spécialiste autoproclamé. S’agissant du dosage de PSA, tout le monde a bien compris dans quelles conditions il fallait prescrire cet examen mais, les gens parlant entre eux de leurs problèmes de santé, chacun se demande pourquoi il n’a pas subi d’examen, contrairement à son voisin…

Même si elle a été affectée un temps par l’épisode de la grippe H1N1, la vaccination, en général, ne pose guère de problèmes hormis le cas de certaines familles qui y sont culturellement hostiles et qu’il est très difficile de faire changer d’avis, d’autant que nous n’avons pas de pouvoirs de police, ce qui est préférable d’ailleurs. Ces enfants sont néanmoins en danger et ils bénéficient tout de même de la vaccination des autres alors qu’ils ne participent pas à l’effort collectif. C’est à vous, mesdames, messieurs les députés, de modifier les choses. Pour notre part, nous ne pouvons qu’essayer de convaincre.

Un autre problème se pose quand les jeunes ont dix-huit ans. C’est souvent l’âge où ils quittent le domicile familial, ne retrouvent plus leur carnet de santé et ne se rappellent plus s’ils ont eu leur rappel de vaccination. C’est pourquoi nous préconisons un système très simple : un dossier médical professionnel contenant les informations essentielles, qui permettrait la transmission des informations entre les médecins.

Si nous voulons réaliser des économies dans le cadre d’une démarche de santé publique, les pouvoirs publics devront trouver le moyen d’inciter la population à adopter une attitude de prévention. Il faut commencer très tôt, à l’école, dans les familles, et le problème est plus celui du temps que les jeunes passent devant la télévision que celui de ce qu’ils mangent en la regardant.

M. le rapporteur. Si chacun de vous avait un message essentiel à faire passer, quel serait-il ?

M. Claude Leicher. Nous souhaitons connaître les règles dans lesquelles vous souhaitez que nous nous inscrivions. Si vous persistez à penser que le travail du médecin traitant doit comprendre des actions de prévention, de dépistage et d’éducation à la santé, nous établirons des accords conventionnels pour mettre en œuvre cette politique sur le terrain avec tous les partenaires nécessaires. Déjà, en transposant dans le champ conventionnel l’une des mesures du plan Alzheimer, nous lui avons donné une « visibilité » réelle auprès des généralistes et de la population concernée. Mais j’insiste : la cohérence est indispensable dans la structuration des parcours de santé. C’est ce que l’on appelle le management intégré des soins primaires.

M. Michel Combier. Le ministère ne pouvant suffire à tout, si l’on veut déléguer certaines tâches à l’assurance maladie, il faut s’y tenir et il faut permettre aux partenaires conventionnels de faire leur travail. Nous avons prouvé par le passé que nous le pouvions, et nous continuerons à condition que l’on nous en donne les moyens légaux et financiers.

M. Roger Rua. Mon message essentiel est le suivant : que la prochaine loi de santé publique ouvre la voie à la prévention, notamment à la prévention primaire car c’est la plus efficace. Créons donc une agence nationale de la prévention, et une seule, pour mener une politique cohérente qui implique, au-delà des seuls médecins libéraux, tous les acteurs ayant un intérêt majeur collectif à ce que la santé ne se résume pas aux soins.

M. Claude Bronner. J’aurais répondu comme le docteur Claude Leicher, ce qui me permet de formuler un second message, lequel va à l’encontre de ce que dit le docteur Roger Rua ! Les médecins libéraux sont nombreux et ils sont au contact de la population. Fixez-leur des objectifs, donnez-leur des moyens d’évaluer, mais ne les soumettez pas à des règles contraignantes et à une paperasserie insupportable ! Alléger au maximum l’organisation sera gage d’efficacité sur le terrain.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions, messieurs.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale procède ensuite à l’audition de M. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, de Mme Catherine Morel, vice-présidente de l’Union nationale des pharmacies de France, de M. Claude Baroukh, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, de M. Claude Dreux, président du Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, et de M. Xavier Desmas, membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

M. le coprésident Pierre Morange. La communication de la Cour des comptes montre que les dépenses consacrées à la prévention sont comprises, selon les périmètres et les critères retenus, entre un et dix milliards d’euros. Les moyens sont donc présents. Cependant, la cour a aussi souligné des problèmes de coordination et la complexité des schémas organisationnels. Quel est votre rôle au sein de cette organisation globale ? Votre analyse d’acteurs de terrain, en contact direct avec l’ensemble de la population, nous intéresse tout particulièrement.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Les pharmaciens souhaitent manifestement devenir des acteurs à part entière de la santé publique et participer davantage, à ce titre, au suivi de maladies chroniques ainsi qu’à la prévention. Comment envisagez-vous votre coopération avec les médecins, tentés de défendre leur périmètre ?

M. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine. Le rôle des pharmaciens d’officine dans la prévention et le dépistage, bien qu’il soit souvent contesté, est clairement établi et défini par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Ce texte vient d’être renforcé par la loi n° 2011-940 du 10 août 2011 modifiant certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 précitée, qui leur permet d’intégrer les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires. Enfin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a inclus dans le champ conventionnel certaines actions de dépistage réalisées par les pharmaciens, ce qui contribuera à mieux organiser la prévention en liaison avec les caisses d’assurance maladie, et a autorisé des rémunérations spécifiques, jusqu’ici exclues.

Cette base législative claire est d’autant plus utile que, comme l’ont montré quelques auditions de directeurs d’agences régionales de santé, notamment d’Île-de-France et des Pays de la Loire, certains réflexes corporatistes, chez les médecins, rendent parfois difficile la coordination des actions de prévention.

En tout état de cause, les pharmaciens sont déjà acteurs de la prévention : ils peuvent désormais vendre des médicaments d’accompagnement du sevrage tabagique sans que ceux-ci aient fait l’objet d’une prescription, ou des vaccins anti-grippaux, ainsi rendus éligibles au remboursement avant même leur prescription. La profession avait également pris, il y a vingt-cinq ans, des initiatives fortes en matière de lutte contre le sida et l’hépatite, en distribuant par exemple des « stéribox » aux toxicomanes. Avec la distribution de la pilule du lendemain, venant après celle du préservatif, elle a encore montré son implication dans un problème qui, au-delà de son aspect médical, est un problème de société. Enfin, dans le cadre de la prévention des risques nucléaires, les pharmaciens se sont vu confier la distribution de comprimés d’iode aux populations qui vivent à proximité des centrales.

D’autres actions de prévention moins connues ont été menées, notamment au niveau local comme en région Rhône-Alpes : l’information des populations sur l’ambroisie et ses effets puissamment allergisants ou la prévention, en coopération avec certaines compagnies d’assurance, des risques de maladies cardiovasculaires ou le suivi du calendrier vaccinal. Ces initiatives exigent de la conviction car elles sont parfois mal comprises, notamment en Île-de-France.

Les quatre millions de contacts quotidiens établis par les pharmaciens sur l’ensemble du territoire sont précieux pour le suivi des patients, particulièrement des plus précaires, qui fréquentent peu les cabinets médicaux. Nous pouvons ainsi nous engager dans la prévention et le dépistage de pathologies mal détectées – cholestérol, diabète ou hypertension – et dont les effets sont d’autant plus graves que les patients peuvent ignorer longtemps qu’ils en sont atteints. Comme le soulignait M. le rapporteur, les pharmaciens entendent bien jouer tout leur rôle, notamment dans l’accompagnement de ces patients souffrant de maladies chroniques, comme le leur permet le statut de pharmacien correspondant.

Le réseau pharmaceutique a le double avantage d’être réparti de façon homogène sur tout le territoire et composé de professionnels déjà présents sur le terrain : s’appuyer sur lui est donc peu coûteux lorsqu’il s’agit, par exemple, de rectifier certains messages d’une campagne de prévention. Les pharmaciens ont par ailleurs noué des collaborations avec l’assurance maladie, avec les assureurs – le groupe Allianz pour la prévention des risques cardiovasculaires, par exemple – et, bien entendu, avec les instituts et agences sanitaires.

La prévention doit selon nous reposer, non sur la concurrence, mais sur la complémentarité entre tous les professionnels de santé, chacun d’eux disposant d’atouts spécifiques.

Mme Catherine Morel, vice-présidente de l’Union nationale des pharmacies de France. Je veux intervenir en tant qu’actrice de terrain puisque, depuis trente ans, je m’efforce de collaborer avec les travailleurs sociaux, les médecins et les patients.

Les pharmaciens d’officine constituent le premier réseau de professionnels à l’écoute des patients, même si ce réseau est parfois méprisé par l’administration. Par leur action quotidienne, ils assurent une prévention individuelle. En amont du diagnostic, l’officine est souvent l’antichambre du cabinet médical : sans jamais faire de diagnostic, nous expliquons les comptes rendus d’analyses biologiques et, le cas échéant, nous efforçons d’en dédramatiser les résultats afin de préparer au mieux la consultation.

En aval, le pharmacien peut être, passez-moi l’image, le morceau de sucre qui adoucit la médecine, notamment lors de l’annonce d’une pathologie lourde. L’officine est souvent le lieu où la parole se libère, non seulement celle des patients mais aussi celle des aidants. Dans mon département, qui connaît une recrudescence des cancers, c’est souvent au sein même des officines que la souffrance morale des familles s’exprime. Les pharmaciens contribuent à la recherche de solutions pour permettre aux proches de mieux accompagner le malade – ce en concertation avec le médecin traitant s’il s’agit, par exemple, de ménager une pause dans l’activité professionnelle d’un parent.

Ce réseau informel de proximité, pour autant qu’il repose sur le respect de chaque intervenant et de ses compétences – car c’est ainsi que l’on prévient tout conflit –, est celui qui se révèle être le plus utile au patient.

L’intervention des pharmaciens dans des actions collectives s’explique, à l’origine, par le constat de dysfonctionnements. On peut à cet égard citer quatre principaux domaines : la psychiatrie, l’addictologie, la gériatrie et les petites urgences – que nous essayons de gérer afin de décharger les hôpitaux. Afin d’assurer ces missions au mieux et de façon pérenne, les pharmaciens ont besoin de moyens financiers. Imagine-t-on de changer de médecin traitant tous les deux ou trois ans ? La prévention suppose une relation de confiance et de dialogue dans la durée ; or, sur ce point, la situation des pharmaciens d’officine est gravement compromise.

La prévention devrait à mes yeux constituer une orientation prioritaire des politiques de santé publique. Je comprends mal les opérations des groupes de pression, les conflits de pouvoir et autres chevauchements de structures. Il est difficile de se repérer dans la multiplicité des thèmes : quelques actions prioritaires, décidées au niveau national, seraient assurément plus efficaces.

Je m’étonne par exemple que le plan Cancer, pour lequel plusieurs structures interviennent, ne mette pas prioritairement l’accent sur la prévention du tabagisme, mis en cause dans toutes les pathologies, que ce soit les cancers, les maladies cardiovasculaires ou les broncho-pneumopathies chroniques obstructives. Où est l’action de l’État en la matière ?

Les pharmaciens sont, comme les autres professionnels de santé, déroutés par le grand nombre d’intervenants, par le jargon trop fréquent et par la complexité des procédures. J’avais imaginé un guichet unique, mais il présenterait l’inconvénient de méconnaître les priorités sanitaires spécifiques à chaque territoire, lequel doit se voir accorder une marge de manœuvre sur le fondement des données fournies par les observatoires régionaux de santé.

Le ministère de la santé avait décidé que 2011 serait l’année des patients et de leurs droits ; la semaine dernière était consacrée à la sécurité, avec trois thèmes prioritaires : « Bien utiliser les médicaments » ; « Comprendre les indicateurs de qualité » ; « Agir sur les actions à risques ». Qui en a entendu parler ? Personne. C’était pourtant l’occasion d’informer les patients dans les officines, dans les cabinets médicaux et dans l’ensemble des structures publiques et parapubliques.

L’Union nationale des pharmacies de France aimerait que les pharmaciens soient associés aux campagnes de prévention ou aux projets dès leur élaboration, et pas seulement pour apporter leur soutien a posteriori, comme ce fut le cas avec le programme Sophia.

Les pharmaciens souhaitent aussi être rémunérés lorsqu’ils interviennent dans ces campagnes de prévention, ce que tous leurs interlocuteurs font dans le cadre de leur activité professionnelle : les pharmaciens sont les seuls, lors de ces campagnes, à devoir mettre leur activité entre parenthèses. L’absence de rémunération est un mauvais signal adressé à nos interlocuteurs ; peut-être contribue-t-elle aussi à déresponsabiliser certains professionnels de santé.

Les campagnes de prévention doivent être plus simples, et leurs objectifs hiérarchisés. L’État doit affirmer explicitement que la santé est sa première préoccupation.

M. Claude Baroukh, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Je m’efforcerai de vous exposer le rôle qui, selon moi, doit être celui des pharmaciens d’officine dans la prévention sanitaire.

Notre champ d’intervention est défini par les articles 36 et 38 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires – aux termes duquel « les pharmaciens sont contributeurs des soins de premier recours qui englobent : la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients […] ; l’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social ; l’éducation pour la santé ». La profession est organisée dans le respect des exigences de proximité – laquelle peut être définie selon les deux critères de la distance et du temps de parcours –, de qualité et de sécurité.

Par ailleurs, l’article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 prévoit, dans la rémunération des pharmaciens d’officine, une part liée à l’acte de dispensation et à la performance.

Enfin, la loi du 10 août 2011 précitée a instauré les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires, dont le seul objet est l’éducation thérapeutique et la coordination entre professionnels de santé.

Comme l’a noté M. Gilles Bonnefond, les officines sont fréquentées tous les jours par quatre millions de personnes de tous âges et tous milieux, quel que soit le stade de leur pathologie, ainsi que par des personnes en bonne santé, ou qui croient l’être.

On peut définir l’intervention des pharmaciens d’officine dans la prévention à partir du schéma de l’Organisation mondiale de la santé. Si la vaccination, exemple type de la prévention primaire, fait l’objet de protocoles précis, son historique, consigné sur des supports papier, est soumis à trop d’aléas, puisqu’il dépend de la vigilance des personnes, vigilance qui peut varier selon les milieux socioprofessionnels. Or les pharmaciens disposent tous de systèmes d’information qui permettraient ce suivi vaccinal. Par ailleurs, le contact avec des jeunes qui ne fréquentent qu’occasionnellement les cabinets médicaux constitue un atout des pharmacies d’officine qui autoriserait à en faire des relais privilégiés pour l’information sur la prévention des comportements alimentaires à risque et sur le sevrage tabagique.

La prévention secondaire, qui vise à réduire la gravité d’une maladie en la diagnostiquant le plus tôt possible, est assurée par le dépistage. En ce domaine, la pharmacie d’officine est sous-utilisée, même si de nombreuses initiatives sont mises en œuvre sur le terrain : dépistage du cancer colorectal, du diabète, de l’asthme ou de l’insuffisance rénale chronique – sur laquelle, comme le montre le document que je vous ai fait distribuer, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France a commencé à travailler.

S’agissant de la prévention tertiaire, dont l’objet est d’empêcher la récidive de maladies, les pharmaciens peuvent intervenir en contribuant à l’éducation thérapeutique et à l’accompagnement des patients : les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires s’y prêtent parfaitement.

Je n’oublie cependant pas le problème des financements. Ceux-ci pourraient d’abord être pris en charge par l’assurance maladie – qui, au regard de la prévention, mériterait d’ailleurs d’être rebaptisée « assurance santé » – via un système de capitation, car une enveloppe fermée permet un meilleur pilotage budgétaire. Nous pourrions ainsi lancer de premières expérimentations, puis les évaluer.

Les régimes complémentaires pourraient également être appelés à contribuer, puisqu’ils sont tenus, pour bénéficier d’exonérations de charges sociales, de prendre en charge au minimum deux actes de prévention sur une liste fixée par arrêté ministériel. Cette liste pourrait être complétée par des actes réalisables dans les officines, qu’il s’agisse des tests de diabète, de cholestérol ou de PSA, de la prise de tension ou des mesures de capacité respiratoire.

M. le rapporteur. Comment les officines pourraient-elles réaliser des analyses de PSA ?

M. Claude Baroukh. Il existe des tests de PSA réalisables à domicile – trois millions ont été commercialisés en Allemagne. Il est donc possible de les réaliser en officine.

M. le rapporteur. Le dépistage du taux de PSA est l’un de ceux qui posent le plus de problèmes, car on le réserve souvent aux hommes de plus de soixante-dix ans.

M. Claude Baroukh. La recommandation est pourtant de le faire à partir de cinquante ans.

M. Gilles Bonnefond. Les pharmaciens, je veux insister sur ce point, ne font pas de diagnostics. Les mesures ou les tests qu’ils effectuent leur permettent seulement de détecter une anomalie : il leur appartient de convaincre les personnes qui se croient en bonne santé, et qui présentent certains de ces signes, de consulter leur médecin pour que celui-ci établisse un diagnostic. Certains médecins confondent dépistage et diagnostic, qui sont pourtant deux actes distincts.

M. le rapporteur. Cette précision est en effet importante.

Les médecins n’ont pas toujours accès à certaines populations. À cet égard, madame Catherine Morel, comment travaillez-vous avec le secteur social, puisque vous avez mentionné ce point ?

Mme Catherine Morel. Nous travaillons par exemple avec l’Association pour le développement social urbain. Je vous ai apporté un document relatif à la campagne que nous avons menée au niveau local, en 2001-2002, sur la santé des jeunes de douze et treize ans : à partir de données fournies par des médecins psychiatres, nous avions pu constater que la souffrance, au sein de cette classe d’âge, était sous-estimée. Cette campagne associait pharmaciens, travailleurs sociaux et collectivités, dans le respect des compétences de chacun. Les travailleurs sociaux se sont aperçus que les pharmaciens étaient au contact des personnes qui vivent dans la plus grande précarité : celles-ci viennent chercher dans les officines, qui un pansement, qui une dose de sérum physiologique. Nous avons ainsi créé des réseaux informels, non pérennes – puisqu’ils ne disposent pas de financements –, destinés à traiter certaines difficultés. Si de telles expériences ne constituent pas forcément un modèle transposable partout, elles sont utiles au niveau local. « Petit budget, petit projet », dit souvent l’administration. Mais cette expression m’irrite car, comme j’ai pu le constater dans mon département du Pas-de-Calais, ces projets sont précisément ceux qui permettent à certaines populations abandonnées de vivre moins mal.

M. Claude Dreux, président du Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française. Le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, que je préside depuis onze ans et dont Fabienne Blanchet est la directrice, a été créé il y a une cinquantaine d’années. Son objectif a toujours été de donner aux pharmaciens les moyens d’agir dans le domaine de la santé publique, à travers la prévention, l’éducation pour la santé et l’éducation thérapeutique. Quatre millions de personnes fréquentent quotidiennement les officines qui, partout sur le territoire, assurent un rôle de conseil auprès des patients préalablement à la consultation. Commission permanente de l’Ordre des pharmaciens, qui le finance, le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française s’appuie sur les grandes agences, telles que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ou l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ainsi que sur de grandes associations, comme la Ligue nationale contre le cancer et la Fédération française de cardiologie. Par son indépendance – notamment à l’égard des industries de santé –, notre organisation s’est acquis une légitime réputation d’objectivité et de qualité. J’assume pour ma part mes fonctions de président de façon bénévole. Le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française travaille en outre en symbiose avec l’Académie nationale de médecine et l’Académie nationale de pharmacie, auxquelles j’appartiens.

Les pharmaciens sont très désireux de participer à la prévention, ainsi qu’à l’éducation pour la santé et à l’éducation thérapeutique. Celle-ci suppose une action collective, comme l’illustre le titre d’un numéro récent du Journal de l’Ordre des pharmaciens : « Coopération entre les professionnels de santé. Le patient, centre de la chaîne de soins ». Cette coopération associe non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les biologistes : n’oublions pas que 85 % des 4 000 laboratoires privés et 50 % des laboratoires en milieu hospitalier sont dirigés par des professionnels ayant une formation de pharmacien.

Ouvert il y a deux ans, notre site internet est régulièrement mis à jour en fonction de l’actualité de la santé publique ; un certain nombre de médecins le consultent aussi. Les pharmaciens peuvent commander par ce biais les documents relatifs aux campagnes de prévention ; ils les reçoivent en vingt-quatre ou quarante-huit heures. À titre d’information, je vous transmettrai une copie de notre rapport d’activité de 2010.

Notre rôle est de donner aux pharmaciens les moyens d’informer le public sur les campagnes de prévention. Mme Agnès Buzyn, présidente de l’Institut national du cancer, a récemment déclaré que les pharmaciens jouaient un rôle essentiel pour faire passer les messages de prévention, et que les campagnes de dépistage du cancer s’appuyaient sur eux. De fait, les pharmaciens d’officine connaissent souvent bien les familles, notamment en province : ils peuvent les informer, en particulier sur cet élément essentiel de la prévention qu’est la vaccination. Les campagnes parfois menées contre les vaccins sont très dommageables : médecins et pharmaciens doivent agir pour assurer une meilleure couverture vaccinale car notre pays est à la traîne en ce domaine ; aussi publions-nous tous les ans des informations issues du Bulletin épidémiologique.

Les pharmaciens peuvent agir dans plusieurs domaines où les interventions restent insuffisantes, comme les addictions et le tabagisme. Le tabac est, avec l’alcool, la drogue la plus nocive. Il est donc impératif de renforcer la lutte en ce domaine : c’est l’objectif de l’Alliance contre le tabac, dont le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française fait partie. Il est regrettable à cet égard que les pharmaciens ne puissent délivrer des substituts nicotiniques : pour se les faire rembourser, les patients doivent en effet s’en faire prescrire par les médecins sous forme de cure.

Les pharmaciens participent tous les ans aux campagnes de dépistage du cancer du sein et militent en faveur d’un dépistage plus systématique du cancer colorectal ; l’Académie nationale de médecine, par mon intermédiaire, a fait plusieurs recommandations à ce sujet. Il faut savoir que le test Hémoccult donne 40 % de faux résultats positifs et 50 % de faux négatifs : ce n’est bien entendu pas satisfaisant pour un cancer qui tue plus de vingt mille personnes tous les ans, d’autant qu’il existe des méthodes immunologiques recommandées par la Haute Autorité de santé et par l’Institut du cancer, mais qui ne sont toujours pas appliquées en raison de l’opposition de certains groupes de pression. Par principe, les pharmaciens participent aux campagnes de dépistage de ce cancer, mais des progrès sont assurément nécessaires pour en améliorer la prévention, de même que celle des autres cancers. Des campagnes relatives à la vaccination contre le cancer du col de l’utérus ont ainsi été lancées ; mais, pour cette maladie, la vaccination ne suffit pas : il faut un suivi régulier.

Le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française fait également diffuser dans les pharmacies – à raison de six par an, soit une tous les deux mois – des affiches comportant des messages de santé publique, sans aucun aspect commercial. Elles ont beaucoup de succès auprès des patients et les incitent à pousser la porte des officines pour se procurer les documents explicatifs correspondants.

Comme le souligne le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juin 2011, les pharmaciens désirent s’engager dans la prévention : selon une enquête, 96 % d’entre eux souhaitent participer au dépistage du diabète, 97 % à celui de l’hypertension artérielle et 92 % au suivi vaccinal.

D’une façon générale, la France est la plus mauvaise élève en Europe pour la prévention, puisqu’elle n’y consacre que 5 % à 6 % du budget de la santé, contre 7 % à 10 % dans les autres pays. Les priorités variant d’une région à l’autre, nous souhaitons que chaque agence régionale de santé réserve à cette politique un budget spécifique et non fongible.

M. le rapporteur. L’éducation thérapeutique n’a été évoquée que partiellement ; j’aimerais, monsieur Xavier Desmas, avoir votre sentiment sur ce point. Qu’en est-il de la prévention des risques iatrogéniques, dans laquelle le pharmacien a un rôle à jouer, au moyen notamment du dossier pharmaceutique ? Enfin, la préparation des doses à administrer – la PDA – est un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur : pourriez-vous en dire quelques mots ?

M. Xavier Desmas, membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Je souscris à ce qui vient d’être dit sur le rôle des pharmaciens, mais je souhaite ajouter un mot sur la vaccination. Selon un rapport d’avril 2011 de la direction générale de la santé, « il n’est pas constaté de baisse récente générale des couvertures vaccinales dans le public. […] En revanche, il est toujours noté une insuffisance de couverture vaccinale qui s’accentue avec l’âge et reste plus marquée pour certains vaccins […] ».

Les pharmaciens ont, selon nous, un rôle primordial dans la sensibilisation du public aux bénéfices de la vaccination ; ils peuvent aussi contribuer à une meilleure connaissance du statut vaccinal et des recommandations du calendrier vaccinal en indiquant aux patients, le cas échéant, les différentes modalités de rattrapage. Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales note d’ailleurs qu’ils pourraient organiser le suivi vaccinal ; à ce sujet, le Conseil de l’ordre étudie la possibilité d’étendre à la France une expérience réalisée en Suisse : il s’agirait de permettre aux patients qui possèdent un numéro d’inscription au répertoire de créer leur dossier sur un carnet de vaccination électronique, moyennant toutes les protections prévues par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce dossier serait alimenté par le patient lui-même, par le médecin et éventuellement par le pharmacien, même si, pour ce dernier, la difficulté est que la dispensation d’un vaccin ne prouve pas son injection.

Il existe par ailleurs des logiciels dont les algorithmes permettent le suivi vaccinal : il est tout à fait possible de les intégrer à nos propres logiciels d’aide à la dispensation.

Enfin, l’inclusion de la vaccination dans le dossier pharmaceutique, qui suppose quelques modifications législatives, permettrait de conserver une trace, sinon de l’injection, du moins de la délivrance des vaccins.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS accueille favorablement de telles préconisations. En attendant la mise en place du dossier médical personnel, qui se fait attendre, celui-ci pourrait présenter un réel intérêt, puisque le système est déjà efficient et, de surcroît, autofinancé.

M. le rapporteur. À ma connaissance, les données consignées dans le dossier pharmaceutique ne concernent que les quatre derniers mois. Or la vaccination suppose un suivi tout au long de la vie.

M. Xavier Desmas. Oui ; c’est pourquoi des modifications législatives seraient nécessaires.

M. le rapporteur. Si cette limitation à quatre mois paraît suffisante pour les médicaments, elle ne l’est pas, en effet, pour les vaccins. Quoi qu’il en soit, le dossier pharmaceutique n’est pas encore obligatoire ; il subsiste aussi le principe selon lequel c’est au médecin traitant de suivre son patient.

M. Gilles Bonnefond. Le dossier pharmaceutique existe, alors que le dossier médical personnel n’en est qu’à ses prémices. En tout état de cause, il serait un simple complément du dossier médical, et permettrait d’enrichir le suivi vaccinal en alertant au besoin les patients.

En Rhône-Alpes et en Île-de-France, la rougeole se développe dans des proportions alarmantes. Or la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a refusé, même à titre expérimental, les initiatives prises par les agences régionales de santé en association avec les médecins et les pharmaciens, empêchant par là même une réelle dynamique de la prévention. Pourquoi ne pas déployer pour la rougeole les mêmes moyens que pour la grippe saisonnière et pour la grippe H1N1 ?

M. le rapporteur. L’ordre, qui a financé le dossier pharmaceutique, est-il prêt à financer le dossier électronique ?

M. Xavier Desmas. Oui, mais je rappelle que l’ordre n’est que le regroupement des pharmaciens.

M. Claude Baroukh. La ville de province où j’habite ne possédant pas d’université, les jeunes gens la quittent dès qu’ils ont obtenu le baccalauréat pour poursuivre leurs études. Il serait utile de pouvoir prolonger le suivi.

M. le coprésident Pierre Morange. Les initiatives que vous avez décrites se sont-elles accompagnées de démarches d’évaluation ?

M. Gilles Bonnefond. S’agissant du tabac, de la grippe, de la lutte contre le sida et de la prévention des interruptions volontaires de grossesse avec la dispensation de la pilule du lendemain, l’évaluation a été faite et le champ d’accès aux patients a été élargi. La capacité des pharmaciens à distribuer aux populations concernées les comprimés d’iode et à en expliquer l’utilisation a également été évaluée – de fait, le dernier incident à la centrale nucléaire à Marcoule a bien montré que le premier réflexe des populations était d’aller s’informer auprès des pharmaciens. Pour les autres initiatives, l’évaluation est difficile. Elle est en cours avec un assureur sur le risque cardiovasculaire, mais elle a été arrêtée pour la rougeole et pour le calendrier vaccinal. Notre rôle est de confronter les idées et d’apaiser le débat.

M. le coprésident Pierre Morange. Comment s’explique la situation de blocage que connaît la campagne vaccinale, notamment contre la rougeole ? Le défaut de couverture est lié à la composition de la population ou à une tradition privilégiant les thérapeutiques alternatives comme l’homéopathie, mais au-delà des concepts philosophiques, le déficit de couverture vaccinale contre la rougeole se traduira inévitablement, dans quelques décennies, par une épidémie de la maladie de von Bogaert.

M. Gilles Bonnefond. Alors que l’agence régionale de santé avait réussi à mettre d’accord les médecins et les pharmaciens, le blocage tient à ce que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ne dispose pas des fichiers qui lui permettraient de connaître sur une durée suffisante l’historique de la vaccination de ses assurés – données que fournirait le dossier pharmaceutique. On nous a également opposé le fait que le vaccin a le statut de prescription médicale obligatoire et que le pharmacien n’est pas prescripteur. Ces arguments devraient être rapidement écartés face aux risques encourus.

M. Claude Dreux. Le service qui gère le dossier pharmaceutique, situé dans les mêmes locaux que le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, a tout à fait les moyens d’assurer la surveillance des vaccinations au moyen d’un carnet de préférence électronique. L’efficacité du carnet de suivi des patients sous anticoagulants montre l’intérêt d’une telle opération. En effet, faute d’un suivi suffisant dans la prise des anticoagulants prescrits, le surdosage ou sous-dosage de ces médicaments – du reste difficile à détecter par le patient – est la pathologie qui entraîne le plus grand nombre d’hospitalisations, voire de décès. Nous avons donc instauré, avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, un carnet de suivi des anti-vitamines K, partagé entre le médecin, le pharmacien et le biologiste, et dont 800 000 exemplaires ont été distribués. Cette procédure entre dans le cadre de l’éducation thérapeutique au titre de la prise en charge du patient. Hier, lors d’une conférence sur les nouveaux anticoagulants, les médecins nous ont indiqué que la pathologie liée à la surdose d’anticoagulants avait beaucoup régressé.

Le dossier pharmaceutique couvre maintenant 90 % des officines et dix-huit millions de personnes. Un carnet de vaccination pourrait être mis en place en utilisant les mêmes méthodes – à condition que les données soient stockées à vie, et même jusque trois années après la dernière intervention.

On reproche parfois au dépistage du cancer de la prostate d’entraîner un « surdiagnostic », qui pousse à opérer des patients dont on ignore si leur cancer va devenir très actif et produire des métastases. Or, le dépistage précoce permet de traiter ce cancer par des méthodes peu invasives – ultrasons ou curiethérapie – qui, sans ablation, évitent aux patients des métastases osseuses très douloureuses. Comme pour les accidents de la route, l’évaluation de l’efficacité vaccinale ou du dépistage des cancers ne tient compte que de la mortalité. Il arrive ainsi que l’on renonce à effectuer ce dépistage chez les septuagénaires au prétexte qu’ils ont toutes chances de mourir d’autre chose, mais sans tenir compte des dix ou vingt années qu’ils passeront peut-être à souffrir de douleurs osseuses. Dans un livre que nous venons de finir de rédiger, avec le professeur Jean-François Mattei et d’autres membres des académies de médecine ou de pharmacie, nous insistons beaucoup sur la notion d’humanisme. Ainsi, dans un chapitre intitulé « La vaccination, un geste citoyen et humaniste », le professeur Pierre Bégué pose la question de savoir que faire devant la progression des refus vaccinaux. De fait, le vaccin est une protection à la fois pour le patient et pour les autres.

M. le rapporteur. Les pharmaciens ont le devoir de conserver très longtemps les ordonnanciers – quasiment à vie. La forme en est-elle manuscrite, ou informatisée ?

Mme Catherine Morel. Nous utilisons les deux supports.

M. le rapporteur. Le dossier pharmaceutique pose peut-être un problème vis-à-vis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, mais il permet de retrouver les vaccinations reçues par le patient.

La maîtrise des risques iatrogéniques fait également partie de la prévention. Dans la pratique, une pharmacie peut-elle refuser de délivrer un médicament si elle constate en consultant le dossier du patient que le médicament a déjà été délivré ailleurs ?

Mme Catherine Morel. Ce n’est pas une possibilité, mais un devoir !

Les nouvelles missions assumées par les officines entraînent de nouvelles façons de travailler. Cette profession dont les interventions passaient jusqu’à présent, pour l’essentiel, par la communication orale, doit désormais se plier à des démarches de qualité, à des procédures garantissant la traçabilité des actes et la conservation des données. Ainsi, en cas de refus, le pharmacien photocopie l’ordonnance, inscrit le refus de délivrance et archive le tout, qui devient opposable. Il s’agit là d’un bouleversement de l’activité pharmaceutique. Les pharmaciens devront s’initier à ces nouvelles méthodes de travail, ce qui commence dès la faculté. Au Canada et en Suisse, l’abord du patient est très différent.

Quant aux campagnes de dépistage du cancer, leurs résultats insuffisants tiennent au dénigrement dont elles font l’objet, en grande partie de la part des professionnels de santé. Pour les mêmes raisons, le taux de vaccination antigrippale ne retrouvera certainement pas le niveau atteint avant l’épisode de la grippe H1N1.

En ce qui concerne le dépistage du cancer du sein, la participation n’est aujourd’hui que de 50 %, faute peut-être d’y avoir associé les pharmaciens, mais sans doute aussi parce que les patients sont en général les grands absents de la prévention : ils sont les financeurs et les consommateurs du système, mais on ne leur demande jamais leur avis – même pour une expérimentation – et on les traite en sujets passifs. Il est probable que, si on les consultait, les femmes de cinquante à soixante-quinze ans feraient savoir que l’envoi d’un imprimé ne suffit pas à les inciter à se soumettre à une mammographie.

M. Claude Baroukh. Monsieur le rapporteur, on ne peut évoquer l’iatrogénie, notamment les anti-vitamines K, sans évoquer aussi la nécessité d’un décloisonnement des structures. La transversalité, à laquelle je sais que vous êtes attaché, est plus que souhaitable ! Ainsi, les anti-vitamines K, même sous leur dernière forme, sont des médicaments non substituables et qui ne souffrent pas d’interruption du traitement. Or, si le service hospitalier n’appelle pas la pharmacie du patient quand celui-ci sort de l’hôpital, une interruption de traitement est possible car ces produits ne sont pas courants et les protocoles peuvent varier d’un centre hospitalier à l’autre, de sorte que le dépannage auprès d’autres officines peut se révéler difficile. Une préconisation importante consisterait donc à faire figurer dans le dossier d’admission à l’hôpital, au même titre que le nom du médecin traitant, celui du pharmacien habituel du patient.

Quant à la préparation des doses à administrer, il se trouve que je suis en charge de ce dossier pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques. Deux réunions ministérielles ont eu lieu à ce propos au ministère et une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales a été diligentée, menée par M. Michel Thierry. Cette dernière décision m’étonne dans la mesure où l’Inspection générale des affaires sociales a déjà conduit une première enquête, confiée à M. Pierre Naves et à Mme Muriel Dahan, qui, en dehors de quelques aspects positifs, portait une appréciation critique sur l’intégration des médicaments dans les forfaits de soins des maisons de retraite. Sur les 270 expérimentateurs – dont il ne reste plus que 250 –, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a constaté un dépassement de 15 % des budgets prévisionnels. Cette forfaitisation n’ayant pas produit les résultats escomptés par le législateur, une nouvelle expérimentation est donc lancée, mais à quoi servira-t-elle si l’on ne tire pas les conséquences de la première ?

Mme Catherine Morel. Un groupe de travail, que nous avons constitué avec la Société française de pharmacie clinique, a formulé une recommandation qui va dans le sens de celle que vient de faire M. Claude Baroukh. De fait, des liaisons s’ébauchent avec nos confrères pharmaciens hospitaliers et, malgré les problèmes de logistique et d’informatique auxquels nous nous heurtons, nous souhaiterions que des systèmes sécurisés permettent au pharmacien hospitalier d’alerter le pharmacien d’officine au retour du patient. De leur côté, les médecins urgentistes nous disent eux aussi qu’ils aimeraient disposer des coordonnées du pharmacien lors de l’interrogatoire du patient, car il est fréquent que celui-ci ne sache même pas quels médicaments il prend.

M. Xavier Desmas. Nous sommes heureux que le projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé prévoit d’autoriser des expérimentations dans le cadre desquelles les médecins hospitaliers pourront récupérer les données du dossier pharmaceutique des patients.

Pour en revenir à la préparation des doses à administrer, celle-ci fait partie intégrante de l’acte de dispensation aux termes de l’article R. 4235-48 du code de la santé publique. Elle doit bénéficier de la sécurité du circuit pharmaceutique. Nous sommes dans l’attente d’un décret et d’un arrêté sur le sujet.

M. le rapporteur. Ils sont imminents depuis deux ans et demi !

M. Xavier Desmas. On nous les a promis pour la fin de l’année, pour consultation du moins. Le 12 décembre, le Conseil national de l’ordre débattra précisément d’une résolution relative à la préparation des doses à administrer, demandant la parution de ce décret et de cet arrêté de bonnes pratiques. Nous savons que la préparation des doses à administrer est majoritairement destinée aux résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et réalisée par quelques « faiseurs », dans des conditions dont nous ignorons la qualité. Nous souhaiterions que, le cas échéant, puisse être proposée la sous-traitance dans un cadre pharmaceutique.

M. le rapporteur. Il me semblait que, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes comme pour les soins à domicile des personnes âgées, la préparation des doses à administrer, bien faite et bien contrôlée, représentait un progrès en termes de qualité par rapport aux semainiers.

M. Claude Baroukh. Il s’agit d’un acte d’accompagnement de la dispensation indispensable pour les personnes dépendantes et polymédiquées qui ne sont pas en état de gérer elles-mêmes leur traitement. Cela concerne près de 2,4 millions de personnes, notamment celles qui résident en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je rappelle à ce propos que le « H » d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes signifie « hébergement », et non pas « hospitalisation » : certains niveaux d’intervention en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ne sont pas normaux. Mais les personnes qui ont le plus besoin de cet accompagnement sont celles que l’on est contraint de maintenir à domicile, du fait du manque de places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et du coût du séjour dans ces établissements – 2 500 euros par mois au minimum alors que la retraite moyenne est de l’ordre de 1 000 euros !

La situation peut être éclaircie si l’on répond à trois questions : combien, comment et qui ? Pour la première de ces questions, l’article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui autorise une rémunération du pharmacien déconnectée de la marge, peut permettre des progrès dans le cadre de discussions conventionnelles. Au « Comment ? » pourraient répondre les arrêtés de bonnes pratiques et le décret relatif à la préparation des doses à administrer. Quant à la question « Qui ? », on peut y répondre en levant le tabou qui pèse sur la sous-traitance, à condition de veiller à une étanchéité totale entre le sous-traitant et le patient, grâce au filtre du pharmacien dispensateur.

M. le rapporteur. Je ne comprends pas pourquoi le décret, qui semblait faire consensus, est bloqué depuis près de deux ans. Lorsque j’interviens auprès du cabinet du ministre, on me répond toujours que sa publication est imminente.

M. Claude Baroukh. Nous ne souhaitions pas que ce décret sorte avant qu’il soit possible de rémunérer cet acte très chronophage, puisqu’il demande au moins dix minutes par patient et par semaine.

M. le rapporteur. C’est donc vous qui freiniez le processus !

M. Claude Baroukh. Je n’ai pas cette prétention, mais nous avons en effet contribué au retard.

M. Claude Dreux. Au Québec, bien qu’on les trouve dans les supermarchés, les pharmacies sont de vraies officines, tenues par de vrais pharmaciens, beaucoup plus nombreux qu’en France – et il en est de même dans les hôpitaux où l’on en compte souvent une trentaine, à la grande satisfaction des médecins car ceux-ci sont aussi mal formés que leurs confrères français en matière de médicaments. Dans ces pharmacies, on dispense différents actes de santé publique, dont des « consultations pharmaceutiques » qui, même si le terme est mal choisi car de nature à heurter les médecins, sont des consultations de prévention visant à développer au sein de la population une véritable culture en la matière, comme le précise un accord récemment conclu avec les médecins.

Pour que les pharmaciens s’engagent pleinement dans de telles initiatives, qui prennent du temps et exigent une formation, il faut prévoir une rémunération. Cette pratique permettra aux pharmaciens de jouer pleinement leur rôle de prévention, ce qui est d’autant plus souhaitable que les consultations de prévention confiées aux médecins n’ont eu aucun succès. C’est une question de bon sens.

M. le rapporteur. Madame, messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures trente.