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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 12 janvier 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean Mallot, coprésident

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prévention sanitaire

– M. Bernard Salengro, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres, et M. Jacques Texier, président du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise, et M. Martial Brun, directeur

– M. Bertrand Arnoux, ophtalmologue, membre du réseau de santé CARéDIAB

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 12 janvier 2012

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Bernard Salengro, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres, et de M. Jacques Texier, président du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise, et M. Martial Brun, directeur.

M. le coprésident Jean Mallot. Les activités de prévention sanitaire sont diffuses et difficiles à mesurer. Nous nous accorderons néanmoins sur le fait qu’elles sont insuffisantes, que leurs résultats sont inégaux et que la cohérence globale du pilotage n’apparaît pas de manière évidente. En outre, d’autres activités de prévention relèvent d’autres administrations, qu’il s’agisse de la médecine du travail ou de la médecine scolaire. Tous ces secteurs devraient agir de manière coordonnée, afin d’engager les actions de prévention sanitaire le plus en amont possible et de rendre les prises en charge curatives moins tardives et moins coûteuses.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Il est convenu de considérer le système de santé français comme plutôt performant dans le domaine curatif mais comme assez médiocre dans le domaine préventif. La communication de la Cour des comptes met en évidence le manque de pilotage global et la faiblesse de la coordination entre les multiples intervenants de ce domaine. La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 définit une centaine d’objectifs sans fixer de véritables priorités. Les relations du système de soins français avec la médecine scolaire et la médecine du travail ne sont pas assez satisfaisantes, le coprésident Mallot vient de le rappeler. Les responsables du ministère de l’éducation nationale et du ministère du travail le reconnaissent, tout en souhaitant, dans le même temps, que chaque secteur conserve son autonomie.

Quelle pensez-vous de l’efficacité de la prévention dans le domaine de la santé au travail ? Comment améliorer la coordination, sachant que les institutions de prévoyance et les complémentaires santé mènent, de leur côté, des actions de prévention auprès des mêmes populations que vous ?

M. Jacques Texier, président du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise. Le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME) est l’organisme représentatif des services de santé au travail interentreprises. Il négocie la convention collective de la branche, qui représente 15 000 salariés répartis dans 280 services en France métropolitaine et d’outre-mer. Ces services suivent les 14,5 à 15 millions de salariés du secteur privé. Les grandes entreprises n’en relèvent pas : elles possèdent des services autonomes qui suivent environ 1 million de salariés.

Le nombre de services interentreprises s’est élevé à 350 avant qu’un mouvement de rapprochement n’intervienne. La loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail concrétise une réforme prévue de longue date, qui vise notamment à organiser la médecine du travail au niveau régional.

Les médecins du travail en France sont 5 500, représentant, en raison du recours assez fréquent au temps partiel, 4 500 emplois en équivalents temps plein. Du fait de l’évolution de la démographie médicale, il n’y aura plus, à brève échéance, qu’environ 3 000 emplois en équivalents temps plein.

Le centre interservices est une fédération. Ses administrateurs sont élus. Je suis pour ma part président de l’Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Île-de-France (ACMS), qui assure le suivi d’environ 1 million de salariés. Les compétences de ce type d’association sont en effet circonscrites à une zone, un département ou une région. Tous les services adhérents du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise sont des associations relevant de la loi de 1901. Leurs membres sont des entreprises assujetties à l’obligation de prévention et de suivi des salariés.

Je viens du monde de l’entreprise. En tant que président de l’Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Île-de-France, j’ai été pendant plusieurs années administrateur du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise avant d’en devenir le président.

En matière de prévention, la Cour des comptes indique bien qu’elle n’a pas inclus la dimension de la santé au travail dans son étude. Du reste, elle mène depuis deux ans une mission sur la médecine du travail. Elle travaille sur quatre services de taille différente. Des pré-rapports ont déjà circulé mais les conclusions définitives ne sont pas encore connues.

On le voit, il existe une tendance à considérer la santé au travail comme spécifique, ce qui rejoint vos propos sur l’insuffisance de coordination en matière de prévention avec d’autres politiques de santé publique.

Sans doute ce phénomène a-t-il une explication historique. Dans la France d’après 1946, les salariés bénéficiaient d’un suivi au travail fortement médicalisé. Les emplois étaient relativement fixes et le secteur secondaire était encore important. Par ailleurs, la situation sanitaire globale de la population restait médiocre. C’est pourquoi, il était considéré comme prioritaire que des médecins suivent l’état de santé des salariés soumis à des visites médicales. L’aptitude au poste était fonction de la santé du salarié et le médecin restait un acteur incontournable de la santé au travail. Même si le système était fondé sur une philosophie préventive, il n’était pas orienté directement vers la prévention.

La réforme de juillet 2004 traduit un grand changement.

Il faut rappeler les étapes précédentes. Ainsi, il a été très malaisé d’intégrer dans le système français la directive européenne 89/391/CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, tant les dispositifs et les conceptions sont différents en Europe. La philosophie de cette directive a été reprise dans un accord interprofessionnel du 13 septembre 2000 sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, accord dans lequel on a commencé à donner la priorité à la prévention par rapport à l’approche médicalisée de la santé au travail. Le problème de démographie médicale fait déjà envisager un recours à la médecine de ville.

Viennent ensuite la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et le décret n° 2004-760 du 28 juillet 2004, qui définissent la prévention comme une priorité. Comme souvent en France, cela s’est traduit par une réglementation pointilleuse : le médecin du travail doit consacrer un tiers de son temps – soit 150 demi-journées – à la prévention dans les entreprises qui lui sont affectées, et le service dont il relève doit pouvoir en justifier.

L’obligation de la visite d’embauche et du suivi des salariés demeure mais, pour des raisons capacitaires, la visite périodique, annuelle jusqu’en 2004, devient bisannuelle. Néanmoins, dans les secteurs où un risque existe – travail de nuit, possibilité d’exposition aux radiations –, la périodicité peut être abaissée à six mois ou un an.

La réforme a entraîné une autre modification que nous approuvons pleinement : alors que, jusqu’en 2004, la totalité des administrateurs des services étaient élus par les assemblées générales composées des seuls adhérents employeurs, un tiers d’entre eux sont désormais désignés par les organisations syndicales des entreprises concernées. L’objectif fixé par la réforme est de parvenir à une proportion de 50-50, ce qui est déjà le cas dans certains services. La loi réserve toutefois une voix prépondérante au président élu par la partie employeurs.

La question des décrets d’application a donné lieu à un vaste débat, au point que des universitaires ont pu écrire au moment de la promulgation de la loi : « Monsieur le ministre, tout reste à faire. » Nous ne sommes pas loin de partager cet avis, mais nous pensons aussi que cette loi a permis de donner un cadre législatif à l’expérimentation réussie sur le terrain par nos services en matière de prévention : un travail d’équipe faisant le lien entre la prévention et le médical, prenant en compte la complexité croissante des postes, le caractère de plus en plus morcelé du travail, le développement des emplois de services et la baisse des emplois industriels.

L’approche de prévention est devenue complexe. Parmi les grands objectifs, figure la réinsertion professionnelle. Face à la multiplication des restructurations et des réductions d’effectifs, les salariés ont l’impression d’être de moins en moins aptes à occuper des postes de plus en plus changeants. Certes, le responsable principal reste l’employeur, qui est du reste soumis à une obligation de résultat ; mais, aux termes de la loi, le médecin doit jouer un rôle de coordination et d’animation au sein d’une équipe pluridisciplinaire.

Dès lors, les décrets d’application devraient permettre une bonne répartition des capacités en fonction des priorités, sachant que le nombre de médecins est en baisse et que les effectifs pluridisciplinaires sont en augmentation. Le problème réside donc dans des textes qui maintiennent pratiquement toutes les obligations en matière de visites médicales.

Précisons que ce secteur s’autofinance puisque la totalité des coûts – 1,3 à 1,5 milliard d’euros – est couverte par la cotisation des employeurs.

Nous vivons une période de grands changements en matière d’efficacité, de pilotage et de redéploiement des équipes. Nos services fonctionnent sous agrément mais la loi introduit une notion de contrat d’objectifs et de moyens passé par chaque service avec les autorités publiques, c’est-à-dire avec le ministère du travail, et, en pratique, avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, qui restent responsables de l’agrément, mais aussi avec la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, l’agence régionale de santé et les partenaires sociaux.

M. Bernard Salengro, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres. Je me félicite de l’initiative de votre mission, que j’appelle de mes vœux depuis que j’exerce. La prévention est le parent pauvre de notre système de santé. Une des raisons de mon engagement syndical est la colère à la fois devant l’inaction des pouvoirs publics – essentiellement les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, qui délivrent sans discernement leur agrément aux services de santé au travail – et face aux insuffisances de ce secteur.

Je suis médecin du travail depuis plus de trente-cinq ans. J’ai choisi cette voie en ayant également une formation de psychiatre. Certaines de mes publications ont trouvé quelque écho. J’ai même été à l’origine de l’abaissement du poids du sac de ciment de 50 à 35 kg ! Après avoir découvert le monde syndical, qui permet de s’exprimer et de porter la parole, j’y ai pris quelques responsabilités : je suis président du Syndicat des médecins du travail, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres, administrateur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

S’agissant de la santé au travail, mon point de vue diffère quelque peu de celui de monsieur Jacques Texier. Il est significatif que l’appellation a toujours été « médecine du travail » et non « médecine des travailleurs ». Dès le 11 octobre 1946, la loi relative à l’organisation des services médicaux du travail précise que l’objet de cette discipline est d’éviter toute altération de la santé du fait du travail. Dans ce texte fondateur, la visite médicale n’est nullement une obligation, contrairement aux idées reçues. Cette évolution résulte des employeurs, auxquels le législateur a confié la responsabilité de l’organisation du système de façon fort peu judicieuse et qui préfèrent que l’on examine les salariés plutôt que les conditions de travail.

Le législateur a tenté de corriger cette déviation dès mars 1979 – et non en 2004 – en indiquant que le principe du tiers temps, en application duquel le médecin du travail doit consacrer à sa mission en milieu de travail le tiers de son temps de travail, était prioritaire, conformément à l’esprit de la loi précitée de 1946. Or, à cette heure, le tiers temps n’est toujours pas réalisé !

S’agissant de l’objet de cette audition, la prévention sanitaire en général, une donnée importante est l’éclatement des personnels composant les médecins du travail. La coordination assurée par le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise concerne surtout, comme l’a indiqué monsieur Jacques Texier, la négociation de la convention collective. Le reste est secondaire. Les pouvoirs publics auraient pu organiser ces personnels. J’interpelle le ministère du travail à ce sujet depuis longtemps : il dispose en effet des rapports annuels dans lesquels les médecins colligent toutes les constatations médicales effectuées, toutes les maladies professionnelles et leurs facteurs, mais aussi toutes leurs observations de santé publique. Il suffirait d’un logiciel adapté pour traiter ces informations et dresser un tableau de toute la population salariée. Nous serions le premier pays à disposer d’un tel outil, sans aucun coût supplémentaire !

Les confédérations patronales : Confédération générale des petites et moyennes entreprises, Mouvement des entreprises de France, Union professionnelle artisanale, ont le souci de maintenir cet éclatement et d’éloigner la médecine du travail du terrain et des besoins. Dès 2000, pourtant, nous avons obtenu la création des observatoires régionaux de santé au travail, dont l’objectif était de réunir, devant l’instance régionale des partenaires sociaux, l’ensemble des acteurs de la santé au travail : médecine du travail, organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, association régionale pour l’amélioration des conditions de travail, comité régional de prévention des risques professionnels… Il s’agissait, pour les représentants du terrain, de demander à ces organismes de travailler ensemble sur le sujet.

Malheureusement, les pouvoirs publics et la sécurité sociale ont quelque peu étranglé ce dispositif, qui est aujourd’hui en déshérence.

Les partenaires sociaux sont depuis longtemps conscients de l’éclatement et de l’impuissance organisée du système de la médecine du travail. Cela étant, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et les associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail sont en pleine révolution. Des projets de fusion entre les associations régionales et les services de santé au travail circulent au sein du ministère. D’autres concernent les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, sur le modèle de la Mutualité sociale agricole, qui intègre la médecine du travail dans ses services. Il s’agit là de pistes dont on peut discuter les avantages et les inconvénients. Ce qui est indéniable, c’est que l’action des personnels de ces structures en matière d’observation, de conseil et de prévention n’est ni reconnue, ni analysée, ni évaluée comme elle le mérite, et qu’il existe un manque de coordination avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, l’Institut national de recherche et de sécurité, l’Institut national de veille sanitaire et l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

Évitons la séparation schizophrénique entre santé au travail et santé publique. Une personne stressée développe toutes sortes de maladies qui ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles mais que l’on retrouve dans les problématiques de santé publique. Après de nombreuses analyses et méta-analyses, le Bureau international du travail a conclu que l’estimation basse du coût direct et indirect du stress est de 3,5 % du produit intérieur brut, soit plus de 50 milliards d’euros. Lorsque l’on rapporte cette somme aux 170 milliards d’euros de dépenses d’assurance maladie et aux 10 milliards d’euros de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, on mesure toute l’action que l’on pourrait engager si les constatations des médecins du travail remontaient vers des centres de pouvoir comme les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

De mon expérience de terrain et de celle de mes confrères, il ressort que le médecin du travail, soumis au secret médical, est le seul acteur dont l’éthique et la compétence sont garanties, quand bien même il ferait partie d’une équipe pluridisciplinaire. Loin de moi l’idée de critiquer les compétences complémentaires, mais quelles garanties offrent les intervenants en prévention des risques professionnels, dont on parle beaucoup actuellement ? Le médecin est le seul intervenant dont le salarié sache avec certitude que son seul objectif est la protection de sa santé, et non la productivité de l’entreprise. Son travail de constatation mais aussi de rectification est considérable. De nombreux patients lui demandent conseil – par exemple pour une opération suggérée par tel ou tel chirurgien – parce qu’ils le connaissent bien et qu’ils savent qu’il n’est pas rémunéré à l’acte. Les examens cliniques que nous menons permettent de dépister un nombre impressionnant de diabètes, d’albuminuries, d’apnées du sommeil, d’hypertensions mal soignées… Notre exercice ne devrait porter que sur les aspects de la santé relatifs au travail, certes, mais nous sommes médecins et l’homme est un tout !

J’insiste de nouveau, les données rassemblées dans le rapport annuel constituent un outil précieux qu’il suffirait de traiter au niveau national : il existe ainsi un suivi diachronique, quantifié, documenté, de l’ensemble de la population salariée que même les médecins généralistes ne pourraient probablement pas fournir.

Le médecin du travail assure les trois étapes de la prévention – primaire, secondaire et tertiaire – évoquées par la Cour des comptes. Le médecin du travail est un docteur en médecine qui a accompli quatre ans de spécialisation ! Après le décret du 20 mars 1979, la moitié de ces praticiens se sont spécialisés en ergonomie.

En excluant la santé au travail de son étude, la Cour des comptes répond à une logique administrative qui a recueilli le consensus des partenaires sociaux. Pourtant, ce dispositif n’a pas fait preuve d’une grande efficacité. La santé n’est pas divisible. Une personne en bonne santé est plus productive. Si elle travaille dans des conditions qui ne respectent pas la physiologie humaine, cela se traduit par des accidents – « un stressé est accidentable », dit le Bureau international du travail – ou par des pathologies qui ne paraissent pas avoir de rapport avec le travail, à l’exception de ceux qui connaissent le sujet !

M. le rapporteur. Par définition, notre mission a pour tâche d’évaluer et de contrôler l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale, dont les budgets de la médecine du travail ne relèvent pas. J’ai pourtant insisté pour que nous vous entendions, estimant que l’on ne pouvait mener un travail sur la politique de prévention sans y inclure la médecine du travail et la médecine scolaire.

Par leur contact avec les salariés, les médecins du travail jouent un rôle très important en matière de prévention. Deux problèmes se posent néanmoins : l’évolution de leur démographie et la question de leur indépendance par rapport à l’employeur. Lors du débat sur l’instauration du dossier médical personnel, certains collègues ont souhaité que l’accès à ce dossier ne soit pas permis aux médecins du travail sous prétexte que ceux-ci seraient soumis aux pressions des employeurs.

Comment améliorer le lien entre le médecin traitant et la médecine du travail ? Certains syndicats souhaiteraient que le médecin généraliste effectue une synthèse annuelle de son patient et que le médecin du travail transmette à cet effet l’analyse d’exposition au poste dudit patient.

Les médecins du travail souhaitent-ils avoir accès au futur dossier médical personnel ? Doivent-ils être associés à certains dépistages comme celui du cancer colorectal ?

Que pensez-vous des différents plans de santé publique, notamment le plan Santé au travail ?

Quelle appréciation portez-vous sur la coordination avec la branche assurance maladie et avec la branche accidents du travail et maladies professionnelles ?

Les agences régionales de santé, responsables de la prévention et des soins en médecine de ville et hospitalière, sont censées avoir mis en place des comités régionaux de coordination en matière de prévention. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi y sont-elles seules représentées ? Les médecins du travail y participent-ils ou souhaitent-ils y participer ? Pour améliorer la prévention dans notre pays, une amélioration de la coordination régionale et nationale ne vous semble-t-elle pas nécessaire ?

M. Martial Brun, directeur du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise. Vos questions renvoient à la façon dont se structure la politique de santé au travail dans notre pays. Il s’agit d’un phénomène nouveau : longtemps, les services de santé au travail, dont l’exercice était encadré par le code du travail, n’ont pas fait l’objet d’une politique publique, ni d’orientations particulières. C’est seulement en 2004 que des priorités leur ont vraiment été assignées, sous l’impulsion du gouvernement de l’époque et dans le cadre du premier plan Santé au travail. Ainsi, le Conseil d’orientation sur les conditions de travail, qui réunit les partenaires sociaux et des représentants de la société civile, formule des attentes en termes de prévention des risques professionnels. De même, des objectifs sont fixés par le plan Santé au travail, lequel est décliné au niveau régional.

La mise en place de ces outils de coordination se heurte toutefois à des difficultés. Les objectifs fixés au plan national doivent être déclinés par les comités régionaux de prévention des risques professionnels chargés d’élaborer des plans régionaux de santé au travail. De son côté, l’État passe avec l’assurance maladie une convention d’objectifs et de gestion qui se décline, au niveau régional, dans les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail. La coordination est plus ou moins réalisée sur le terrain. On peut espérer que l’élaboration du plan régional Santé au travail soit l’occasion d’une synthèse entre ces orientations, afin que la volonté des différents acteurs – partenaires sociaux, société civile, administration, Gouvernement – se traduise par des objectifs sur lesquels les services de santé au travail devront contractualiser.

Comme l’a noté monsieur Bernard Salengro, la santé au travail est certes un secteur particulier, mais qui ne doit pas être séparé du reste de la santé publique. On peut donc envisager des réflexions communes, notamment sur des sujets comme celui du cancer. Cela étant, prenons garde à ne pas détourner les moyens de la santé au travail en faveur de la santé publique, car les besoins restent très importants en matière de prévention des risques professionnels. C’est un choix politique : faut-il avoir recours aux médecins du travail
– pourtant de moins en moins nombreux – pour réaliser des tests de dépistage, ou doivent-ils se consacrer exclusivement à la prévention des risques professionnels ?

Quoi qu’il en soit, les outils existent, même s’ils n’ont pas toujours fonctionné. N’oublions pas que pour l’instant, un seul plan Santé au travail est parvenu à son terme. Nous sommes passés d’une visite annuelle systématique, principe en vigueur depuis octobre 1946, à une politique affichée et coordonnée au niveau régional : cela demande du temps et un apprentissage.

La loi a par ailleurs introduit la notion de projet de service. Les services de santé au travail doivent élaborer un projet collectif et définir des priorités d’action. Cela implique de faire des choix plutôt que d’agir de façon systématique. En effet, la pratique adoptée depuis octobre 1946, consistant à proposer la même chose à tous les salariés tous les ans, n’a guère fait la preuve de son efficacité, tant elle incite à la dispersion, comme dans l’exemple des 100 indicateurs de santé publique de la loi de santé publique d’août 2004. Il convient donc d’identifier les domaines d’action prioritaires, les métiers, les branches professionnelles, les situations sur lesquelles la médecine du travail doit se concentrer.

Dans ce but, les médecins du travail doivent rejoindre un projet collectif, le projet de service, objet d’une contractualisation avec l’État et les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, et qui doit permettre une action coordonnée. Le dispositif paraît pertinent ; il faut seulement contrôler sa mise en œuvre. Après avoir demandé, en 2004, aux médecins du travail de donner la priorité à l’action sur le milieu de travail et de concentrer leurs efforts sur certains risques, rien ne serait plus dommageable que de changer d’orientation et de les inciter à revenir au cabinet médical et aux visites systématiques.

Je me réjouis, en tout cas, que votre mission ait décidé de se pencher sur ce sujet : alors que le débat sur la médecine du travail s’est souvent limité à la question de la gouvernance ou à celle de l’indépendance des médecins spécialisés, on se préoccupe enfin de la prévention, c’est-à-dire des actions à mener pour obtenir des résultats en santé. La veille sanitaire fait partie de ces actions.

Pour parvenir à un accord sur les objectifs et les priorités à adopter, il est nécessaire de poser des diagnostics partagés sur les besoins de la population salariée. Parmi les sources d’information disponibles, on peut avoir recours aux chiffres des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, mais ces indicateurs de réparation, s’ils sont utiles, ne doivent pas être considérés isolément. En effet, l’assurance maladie indemnise pour des événements qui remontent parfois à dix, vingt, voire trente ans auparavant. Ainsi, un cancer dont les origines sont professionnelles peut se déclarer au bout de trente ans : quand il donne lieu à réparation, la situation de travail n’est parfois plus la même. Il en est de même pour les troubles musculo-squelettiques, qui peuvent se déclarer après dix ans d’exposition. Il convient donc de développer d’autres indicateurs, plus pertinents. Telle est la démarche de l’observatoire EVREST (Évolution et relations en santé au travail) qui recherche les signes avant-coureurs de dégradation de la santé. C’est ce genre de diagnostic qui doit être posé par les comités régionaux de prévention des risques professionnels, dans le but de mobiliser les acteurs de terrain et les institutions et de faire face aux problèmes identifiés. Cela demande beaucoup d’organisation.

M. Bernard Salengro. Une observation au préalable : en tant qu’administrateur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, on dit aujourd’hui « conseiller », je suis perplexe devant le rattachement de la branche accidents du travail dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM. Dans le cas de l’assurance maladie, cela est justifié puisque les patients et les professionnels de santé doivent gérer une certaine somme correspondant à l’effort consenti par la nation. Mais, si on y inclut les accidents du travail, il convient que les employeurs agissent de telle sorte que moins d’accidents surviennent par rapport à l’année précédente. Il faut donc s’en donner les moyens politiques.

Or, ces moyens font défaut. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, dont le rôle est très important puisqu’elles donnent non seulement l’agrément aux services de santé au travail, mais passent avec eux des contrats d’action, n’ont rien fait depuis 1946. Elles ont témoigné de la soumission, de la complicité : j’assume totalement le choix de ces termes. Elles n’ont effectué aucun travail sérieux sur le sujet, et j’ai bien peur que cela ne continue, quand bien même la loi leur a donné plus de pouvoirs.

Quant à la démographie médicale, la baisse du numerus clausus ces dernières années faisait consensus, les médecins en activité étant désireux de conserver leur clientèle. Depuis, l’expérience a montré que le nombre de malades n’a pas décru. On tente donc de pallier le manque d’effectifs, d’autant plus que les techniques ont évolué ; une opération effectuée autrefois par un seul médecin requiert désormais plusieurs personnes, à savoir un anesthésiste, un chirurgien et deux ou trois infirmières. En outre, le nombre de spécialités a augmenté, et la médecine du travail réclame plus d’effectifs.

Le faible nombre de médecins du travail ne s’explique pas par un manque d’attractivité du poste, mais par les contraintes administratives liées à la formation médicale qui n’encouragent pas les vocations. Tout d’abord, le choix de la spécialité est lié au classement à un concours : ainsi certains qui souhaitent devenir psychiatres finissent médecins du travail, tandis que d’autres optent pour la psychiatrie alors qu’ils visaient la radiologie. Ensuite, l’exercice d’une spécialité est exclusif : si un chirurgien souhaite devenir médecin du travail, il doit refaire l’internat, soit quatre ans d’étude ! Aucune autre profession n’est soumise à des contraintes aussi aberrantes.

Le problème démographique a été exagéré. monsieur Jacques Texier a donné les vrais chiffres, qui tiennent compte du fait que plus de la moitié des médecins du travail exercent à temps partiel, souvent de manière subie. Ce problème est purement administratif et pourrait être résolu en deux ou trois ans si l’université proposait un enseignement adapté à la reconversion des médecins généralistes dans les services de santé au travail.

Quant à l’indépendance des praticiens, elle est d’autant plus forte que la loi les protège. Or, aujourd’hui, seul le médecin du travail est protégé, d’une part à cause du prestige lié à sa formation, d’autre part parce que la loi interdit son licenciement. Aucun autre acteur de la médecine du travail, pas même le directeur du service, ne bénéficie de la même protection, ce qui est justifié par sa latitude à avoir à tout moment accès à l’entreprise, les autres acteurs devant obtenir l’accord de l’employeur.

Avec d’autres, monsieur Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, imaginait qu’il existait une collusion entre les médecins du travail, les employeurs et les compagnies d’assurance, d’où son refus de leur donner accès au dossier médical. Cette décision a choqué les médecins du travail. Si elle a établi définitivement la réputation du ministre aux yeux de ses confrères, elle s’avère surtout préjudiciable aux patients. Les médecins traitants n’ont en effet aucune connaissance du monde de l’entreprise, et ils font preuve, en matière de pathologies professionnelles, d’une profonde ignorance. Cette dernière peut entraîner des dégâts : combien de dépressions d’origine professionnelle, qui sont traitées comme des dépressions réactionnelles au moyen de tranquillisants ou de thymoanaleptiques, ont été ainsi aggravées et rendues chroniques, alors qu’un retour à l’emploi se serait avéré nécessaire ? De nombreux salariés sont ainsi poussés vers une situation d’invalidité alors qu’un aménagement de poste aurait été envisageable. Le médecin du travail, qui connaît l’entreprise et son dirigeant, est à même de négocier pour obtenir un tel aménagement tandis que le médecin traitant ne connaît que les circuits de l’assurance maladie.

Cette impossibilité d’échanger entre médecins du travail et médecins traitants par l’intermédiaire du dossier médical est donc, du point de vue de la coordination médicale, une occasion manquée. Déjà, les médecins du travail déplorent le trop grand nombre de lettres restant sans réponse, parce que les médecins de ville ne veulent pas consacrer de temps à cette activité non rentable.

Le plan Santé au travail, sur lequel vous m’avez interrogé, est perçu par les professionnels comme imposé du sommet, sans grandes répercussions sur le terrain. Les « préventeurs » des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, s’exprimant à propos du plan national d’actions coordonnées de la branche accidents du travail et des plans régionaux, se plaignent d’être devenus des « cocheurs » d’indicateurs, au risque de perdre leur efficacité. Une telle politique est sans doute à même de rassurer les décideurs, mais je suis sceptique quant à ses résultats.

C’est pour ces raisons que je suis favorable à un vrai paritarisme et non à celui institué par la loi, dans lequel l’employeur reste décideur sans possibilité d’alternance. J’en profite pour préciser que la règle selon laquelle un tiers des administrateurs des services de santé au travail sont désignés par les organisations syndicales ne date pas du décret de 2004 : elle a été obtenue par la négociation dès 2000.

En ce qui concerne les relations avec les agences régionales de santé, les directeurs de services de santé au travail, nommés par les employeurs, se sont empressés d’orienter le système selon leurs conceptions. Ils sont efficaces, mais ce ne sont pas des acteurs de terrain. On peut donc craindre que leur influence s’ajoute à celle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi pour imposer une conception technocratique de la prévention, fondée sur des indicateurs, et dont je serais étonné qu’elle obtienne des résultats.

M. le rapporteur. Seriez-vous intéressés par une participation aux conférences régionales de santé ?

M. Bernard Salengro. Une participation des organisations syndicales de la santé au travail serait certainement enrichissante pour les décisions de l’agence régionale de santé.

Mme Gisèle Biémouret. À propos de démographie médicale, quelles sont les collectivités les moins bien dotées, au risque d’un mauvais fonctionnement de la médecine du travail ?

Avec le développement des entreprises de services, notamment à destination des personnes âgées, on observe la montée d’une nouvelle forme de salariat, plus précaire, et qui concerne surtout des femmes, confrontées à un travail physiquement pénible. Cette évolution est-elle prise en compte par la médecine du travail ?

M. Patrick Lebreton. En matière d’accidents du travail, un outil mis en place en 2001, le document unique, semble donner de bons résultats, puisqu’après une hausse du nombre d’accidents dans les années 1990, on a plutôt observé une stabilisation dans la décennie suivante. Dans mon département, La Réunion, où l’évolution a été comparable, seules 40 % des entreprises sont dotées de cet outil, d’après l’ingénieur-conseil de la caisse régionale de sécurité sociale. Les élus ne donnent pas un meilleur exemple, puisque sur une trentaine de collectivités territoriales – en incluant les établissements publics de coopération intercommunale –, une seule, la mienne, a adopté cette démarche et l’a menée à son terme. Il faut reconnaître que son coût est très élevé et que le Centre national de la fonction publique territoriale n’est pas toujours en mesure de nous aider.

Pourtant, seul l’inventaire des risques spécifiques à une structure est réellement de nature à faire baisser l’accidentologie professionnelle. Il s’agit d’un investissement. Ne pensez-vous pas que l’État devrait se doter de moyens budgétaires conséquents pour aider les collectivités à se doter de ce document ?

M. Bernard Salengro. Il est vrai que dans certaines régions, la démographie médicale est catastrophique, soit en raison d’une mauvaise qualité des services, soit parce que la région n’est pas la plus accueillante ; a contrario, la ville de Nice, par exemple, ne manque pas de médecins du travail. La situation est donc indiscutablement très tendue, et si nous ne voulons pas voir la profession disparaître, une augmentation du numerus clausus est nécessaire. Le secteur a connu deux grandes vagues démographiques, en 1946 et en 1975, mais la troisième tarde à s’annoncer.

De son côté, le salariat connaît une évolution indiscutable. Les personnes travaillant chez des particuliers, des associations intermédiaires, des artistes sont désormais mieux pris en compte par la loi, ce qui était nécessaire, car ces professions de services sont soumises à une forte pénibilité et ont besoin de conseils et de surveillance.

Le document unique est un outil remarquable, équivalent pour l’employeur de la fiche d’entreprise renseignée par le médecin du travail. Cette dernière existe depuis octobre 1946, mais n’est jamais consultée par les inspecteurs du travail, ce qui est regrettable, car un tel document est plus important que la fiche d’aptitude.

Résoudre la situation que vous décrivez à La Réunion n’est pas une question de moyens, mais demande une action combinée à la fois coercitive et financière. Pourquoi le nombre de morts de la route est-il revenu de 17 000 tués à moins de 4 000 tués en quelques dizaines d’années ? Les infrastructures ont été améliorées, certes, mais surtout les policiers sont devenus plus sévères, et les assureurs n’hésitent pas à majorer les primes. L’effet de cette politique est indiscutable, mais la même démarche n’a pas été adoptée dans le milieu professionnel. Je suis d’ailleurs choqué de voir le nombre d’accidents du travail baisser aussi lentement alors qu’avec la désindustrialisation que connaît notre pays, et la multiplication des acteurs de prévention, nous aurions dû observer une chute du nombre d’accidents qui ne s’est pas produite.

M. Martial Brun. La démographie médicale, en matière de médecine du travail, recouvre le phénomène plus général de désertification médicale. Ainsi, le littoral est plutôt mieux pourvu que certains départements centraux et isolés. C’est pourquoi il convient d’adapter les politiques de prévention en fonction du contexte local et d’éviter les actions systématiques, qui risquent de ne pas être appliquées dans les territoires les moins bien dotés. Ainsi, dans certains secteurs de la Nièvre, les médecins du travail ont intégré une maison médicale, de façon à proposer aux citoyens un plateau de services médicaux de proximité.

Pour nous, la prévention est un investissement. Mais nous faisons partie du secteur privé. Si l’État investit, la question se posera de savoir qui décide des mesures de prévention. La contractualisation décidée en juillet 2011 doit associer l’État, l’assurance maladie et les entreprises afin de coordonner leur action et de définir des priorités. Ce contrat maintient la responsabilité de l’entreprise. Mais, si l’État devient le seul décisionnaire, le risque est que les entreprises se défaussent d’une partie de leur responsabilité, en matière de réparation, par exemple. Il convient de conserver un équilibre. Dans le secteur public, les mesures de prévention et les obligations sont différentes.

Certains pays, comme la Finlande, ne font pas obstacle au partage des données relatives à la santé au travail, contrairement à la France. Or, tant que des informations sur la santé ou les conditions de travail ne pourront être inscrites sur la carte Vitale, un échange au moins partiel entre la médecine de soins et la médecine du travail ne pourra pas être assuré. Il est certain que le médecin du travail n’est pas un médecin choisi. Mais, s’il existe des cas de pressions de l’employeur sur le médecin du travail, ils concernent plutôt les services autonomes que les services interentreprises. En outre, l’échange d’information peut être très utile aux salariés : un gastro-entérologue, par exemple, a intérêt à savoir si son patient est exposé à des solvants dans son milieu professionnel. Il convient donc de choisir entre la protection des données personnelles et les exigences de prévention sanitaire.

Monsieur Bernard Salengro a fait allusion à la source d’informations que constituent les rapports des médecins du travail. Mais, en l’absence d’un thésaurus commun, il est délicat de définir les données à colliger. Nous avons, au Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise, accompli un travail important pour établir une nomenclature commune utilisable dans tous nos systèmes d’information. De telles démarches permettent une meilleure capacité de veille sanitaire et de diagnostic territorial et doivent être encouragées par l’État.

M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?

M. Martial Brun. Si, par exemple, vous cherchez à mesurer l’exposition au bruit, mais que le codage varie d’un document à l’autre à savoir « bruit supérieur à 85 décibels » d’un côté, « ambiance sonore dangereuse » de l’autre, le système informatique ne permettra pas de savoir de quoi il retourne. C’est pourquoi des thésaurus sont élaborés avec l’aide d’agences spécialisées comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Si ces informations étaient rendues disponibles sur une carte électronique, la carte Vitale n’est qu’un exemple, nous serions en mesure de les partager et de les mettre au service des politiques publiques relatives à la santé au travail.

M. Jacques Texier. En ce qui concerne la démographie médicale, je partage l’avis de monsieur Bernard Salengro : nous pouvons retrouver des marges de manœuvre en augmentant les capacités de recrutement et en permettant aux médecins de suivre plus d’une carrière. Un rapport sur la santé au travail, rédigé par monsieur Paul Frimat et deux de ses confrères, a montré que de nombreux médecins de soins exprimaient l’envie d’une carrière différente. Or, la médecine du travail répond à cette aspiration, car les difficultés auxquelles elle est exposée ne sont pas les mêmes que pour la médecine de soins. Une opération a d’ailleurs été lancée avec succès il y a quelques années pour encourager les reconversions.

En ce qui concerne la disparité géographique, le plafond fixé par la loi – pas plus de 3 300 salariés par médecin du travail – est atteint, voire dépassé pratiquement partout. Et dans certaines régions, on monte à 10 000, voire 15 000 salariés. Cela pose un problème majeur, et c’est pourquoi nous sommes partisans d’encourager les reconversions et d’augmenter les capacités.

L’éventuel recours aux médecins traitants est un sujet difficile, pour ne pas dire tabou. Pourtant, il existe : les travailleurs indépendants, qui n’avaient pas accès aux services de santé au travail, ont passé un accord avec des médecins de ville afin d’organiser leur suivi médical. Mais il est vrai que la connaissance du poste de travail, celle des risques qui lui sont associés, mais aussi des aspects psychosociaux et organisationnels, sont autant d’éléments essentiels qui rendraient presque impossible le recours à d’autres professionnels que les médecins du travail. Cela étant, le médecin de ville a connaissance de l’état physique de son patient, l’entrée dans un poste ne pose pas nécessairement un problème, et certains postes ne présentent pas de risques particuliers. Les services de santé au travail peuvent suivre 10 millions de personnes par an. S’ils doivent également suivre toutes les embauches – soit 20 millions –, on peut imaginer une procédure particulière pour les salariés en bonne santé prenant un poste sans risque particulier. Bien entendu, le recours aux médecins de ville aurait un coût qu’il faudrait prendre en charge, et aurait pour effet de détourner une partie de leur activité.

Même si c’est difficile, la médecine du travail ne pourra que s’adapter aux nouvelles formes de travail. D’une manière générale, si le médecin s’entoure d’une équipe de santé, c’est parce qu’il doit faire face à des situations de plus en plus variées, de plus en plus complexes, à des maladies professionnelles plus nombreuses : affections physiques ou psychosociales, liées à l’âge, aux restructurations, à la mobilité professionnelle… Il faut, en particulier, trouver des modes d’organisation pour prendre en charge le million et demi de salariés travaillant à domicile. Là encore, un recours au médecin traitant peut être envisageable. En tout état de cause, nous sommes à la veille d’assister à des évolutions très intéressantes.

Il est vrai que le premier plan Santé au travail, s’il a donné lieu à de nombreuses signatures de principe, n’a pas eu les résultats escomptés, faute d’une bonne adaptation à ce nouvel outil. Le deuxième plan, compte tenu de la réforme que vous avez votée et des décrets attendus, pourrait changer la donne. Mais il convient d’améliorer l’organisation de la prévention, de faire en sorte que les capacités soient adaptées – sans quoi la plupart des visites d’embauche se réduiront à une simple formalité.

S’agissant de la coordination et du pilotage, une réflexion doit être menée sur la représentativité, notamment au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail. Malgré l’importance du retour de terrain dont nous bénéficions, nous n’avons jamais la possibilité d’apporter au bon moment à nos interlocuteurs que sont l’État et les partenaires sociaux le fruit de notre expérience, sans même parler de prise de décision.

M. le rapporteur. Je serais heureux que vous puissiez me transmettre une note faisant la synthèse de vos propositions. Notre mission, monsieur Jacques Texier, n’est pas de réformer la médecine du travail. Et si, pour ma part, je suis favorable à ce que les médecins traitants puissent jouer un rôle dans ce domaine, la question est très complexe et ne fait de toute façon pas partie des attributions de cette mission.

J’ai simplement voulu évoquer les relations entre le médecin du travail et le médecin traitant en matière de prévention et de suivi médical. Ce dernier connaît bien son patient, il dispose d’informations sur sa vie familiale, ses antécédents, ses vaccinations. C’est pourquoi certains syndicats médicaux ont proposé qu’une synthèse du dossier médical soit transmise chaque année au médecin du travail, et inversement que ce dernier adresse au médecin traitant un bilan des risques auxquels le salarié est exposé à son poste, et des conséquences que ces risques peuvent avoir sur sa santé.

De même, il me semble souhaitable que le médecin du travail puisse accéder au dossier médical. Il serait en effet logique de recourir dans ce but à la carte Vitale, mais ce serait franchir un pas supplémentaire. monsieur Philippe Douste-Blazy n’était cependant pas le seul à s’opposer à cet accès : le groupe auquel appartient monsieur Jean Mallot y était tout aussi hostile. Certains pensent encore, en effet, que le médecin du travail est dépendant de l’entreprise et que l’employeur est aussitôt informé de tout ce qu’il est amené à apprendre.

En conclusion, je rappellerai notre volonté de mettre en place une véritable coordination. Ainsi, la logique voudrait que les plans régionaux de santé au travail, déclinaisons du plan national, soient en cohérence avec les plans stratégiques élaborés par les agences régionales de santé : la santé au travail est une partie de la santé. Il serait opportun de travailler ensemble au bénéfice du capital santé de chacun, ce qui est difficile car chacun défend ses intérêts : l’assurance maladie, par exemple, ne veut pas partager ses données de santé avec les complémentaires santé. Certains campent sur leur position plutôt que de les assouplir !

M. Bernard Salengro. Les médecins du travail subissent en partie la pression de l’employeur, de même qu’un médecin du régime minier – je le sais par expérience – subit la pression de la sécurité sociale minière. Quant aux médecins traitants, qui se disent libéraux, ils subissent de la part de l’assurance maladie et des praticiens conseils une pression particulièrement bien organisée, grâce aux contrats d’amélioration des pratiques individuelles, et doivent se soumettre aux prescriptions de monsieur Frédéric Van Roekeghem. L’indépendance totale n’existe pas, seul compte l’équilibre des pressions – et c’est pourquoi je réclame l’application d’un strict paritarisme.

Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle les médecins libéraux tiendraient de meilleurs dossiers médicaux n’est pas justifiée pour les médecins du travail, dont les dossiers sont informatisés depuis très longtemps, et mieux suivis. Ces derniers ne demandent donc pas l’accès aux dossiers des médecins traitants jugés brouillons, mais regrettent de ne pouvoir transmettre leurs conclusions ou alertes. Dans le cas d’un retraité souffrant d’un cancer de la plèvre, par exemple, qui peut relever d’une exposition professionnelle à l’amiante, les confrères de la médecine de ville n’établiront pas ce diagnostic, ignorant les pathologies professionnelles.

M. Martial Brun. Je rappelle qu’une prévention réussie, c’est d’abord une évaluation des risques. Tous les efforts consentis en ce domaine auront pour effet d’améliorer la qualité de la prévention, d’autant que cette évaluation requiert l’intervention de tous les acteurs, y compris dans l’entreprise, afin de trouver des solutions pratiques sur le terrain.

Par ailleurs, nous participons, au sein des agences régionales de santé, aux conférences régionales de santé et de l’autonomie : deux sièges sont en effet réservés aux représentants des services de santé au travail. Mais de nouveau, tout repose sur le diagnostic, les atlas régionaux de santé doivent donc intégrer la dimension de la santé au travail ce qui donnera beaucoup de visibilité à la politique régionale.

M. Jacques Texier. Une seule question n’a pas été abordée dans ce débat, celle de la pénibilité, associée à la réforme des retraites. Cette nouvelle mission confiée aux médecins du travail implique des accords entre partenaires sociaux, et un travail de définition. Il faudra également se doter d’un outillage informatique considérable.

M. le coprésident Jean Mallot. Merci pour cette contribution très utile à nos réflexions.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de M. Bertrand Arnoux, ophtalmologue, membre du réseau de santé CARéDIAB.

M. le coprésident Jean Mallot. Monsieur Bertrand Arnoux, je vous souhaite la bienvenue. A été régulièrement évoqué, au cours de nos travaux, l’engagement des acteurs de terrain du dépistage. Je laisse à monsieur le rapporteur le soin de vous interroger plus précisément sur votre rôle en la matière.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Merci, monsieur le président. En effet, nous avons entendu, dans le cadre de nos travaux, des représentants de Groupama. Ceux-ci ont évoqué la mise en place réussie, dans le département des Ardennes où les ophtalmologues sont peu nombreux, d’un dispositif de dépistage du diabète par examen du fond de l’œil grâce à l’utilisation d’un rétinographe mobile, les données recueillies étant télétransmises à des médecins ophtalmologistes chargés de les interpréter. Notre attention a cependant été appelée sur certaines des limites auxquelles s’est heurtée la mise en œuvre de ce dispositif, en raison, notamment, de la difficulté qu’il y avait pour le réseau à repérer les patients souffrant de diabète, faute d’une transmission par l’assurance maladie des données utiles à Groupama. Pourriez-vous nous faire part de vos observations sur cette question ?

M. Bertrand Arnoux, ophtalmologue, membre du réseau de santé CARéDIAB. Je participe au réseau CARéDIAB (Champagne-Ardenne Réseau Diabète) en tant que médecin ophtalmologiste « lecteur » des données qui me sont télétransmises. Groupama a d’abord sollicité CARéDIAB pour mener l’expérimentation que vous avez décrite dans les environs de Signy-l’Abbaye, durant quelques semaines. Puis, des actions similaires ont été conduites dans l’ensemble du département des Ardennes.

Nous exerçons notre activité de dépistage du diabète en utilisant, dans divers sites préalablement déterminés, un rétinographe non mydriatique. Les lieux le plus souvent sélectionnés sont caractérisés par une faible densité médicale. On compte en effet, comme vous l’avez noté, peu d’ophtalmologues dans les Ardennes – seulement huit ou neuf – et ceux-ci sont regroupés à Charleville-Mézières, Sedan et Rethel. Le département comporte donc de nombreuses « zones d’ombre ». C’est pourquoi CARéDIAB, organisation dont le siège est situé à Reims, a choisi de faire porter son action dans les départements où l’accès des patients à des consultations en ophtalmologie est réduit.

C’est ainsi que, depuis 2009, divers sites ont été sélectionnés pour y installer, pour une durée de un à trois mois, le rétinographe. Nos séances sont prévues longtemps à l’avance. Nous avions dans un premier temps fait appel aux médias pour faire connaître notre action de dépistage et indiquer les lieux où la consultation est organisée. Les résultats ayant été décevants, nous diffusons désormais des brochures d’information, éditées par CARéDIAB et distribués dans les boîtes aux lettres ainsi qu’auprès des médecins traitants, des pharmaciens et des infirmiers. Les patients diabétiques, souvent peu suivis par un ophtalmologue, peuvent alors prendre rendez-vous pour une consultation. Une orthoptiste gère le rétinographe que l’on place généralement dans un lieu médicalisé, par exemple un hôpital ou une maison de retraite. Les clichés pris par l’orthoptiste sont ensuite transmis sur un serveur et lus par deux ophtalmologues, le docteur Jean-Bernard Colombain et moi-même, dans un délai de huit à dix jours.

M. le rapporteur. Quelle a été l’origine de ce projet ? Comment est-il coordonné ?

M. Bertrand Arnoux. CARéDIAB est un réseau créé par une association rémoise dont le rayon d’action s’étend à l’ensemble de la région Champagne-Ardenne. La région compte en réalité deux réseaux, ADDICA (Addictions Précarité Champagne-Ardenne), spécialisé dans le domaine des addictions et de la précarité, et CARéDIAB, qui suit le diabète. Ce dernier nous a sollicités, mon confrère et moi-même, en 2008 pour participer au dépistage du diabète par examen rétinographique du fond de l’œil. Nous avons alors mis en œuvre le dispositif que je vous ai décrit dans les Ardennes où la présence d’ophtalmologues et la prise en charge des pathologies diabétiques étaient faibles. Ce faisant, nous nous sommes largement inspirés de systèmes similaires existant à peu près partout sur le territoire national et reposant sur la prise de clichés dans un centre fixe ou mobile. Nous avons opté pour un centre itinérant de trois mois en trois mois.

M. le rapporteur. Vous nous avez déclaré que CARéDIAB était une association. Quels en sont les membres ?

M. Bertrand Arnoux. CARéDIAB a été créée en 2004 par l’association ADDICA, association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, elle-même créée en 2001 ; par la suite, divers regroupements ont eu lieu au sein d’une association rebaptisée « Réseau(x) de santé addictions, précarité et diabète de Champagne-Ardenne ». Le réseau CARéDIAB dont l’objet consiste à améliorer la prise en charge des patients diabétiques travaille donc avec les médecins spécialistes concernés. C’est donc à ce titre que moi-même et mon confrère y participons.

M. le rapporteur. La création de ce réseau résulte-t-elle de l’initiative de diabétologues ou d’associations de patients diabétiques ? Par ailleurs, comment l’acquisition d’un rétinographe a-t-elle été financée ?

M. Bertrand Arnoux. Cet investissement a été financé grâce à une dotation du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS). CARéDIAB bénéficie en outre du soutien financier de divers investisseurs comme l’agence régionale de santé et le conseil régional de Champagne-Ardenne.

M. le rapporteur. Vous nous avez indiqué avoir connu des difficultés pour vous faire connaître auprès des patients et avoir, en conséquence, distribué diverses brochures d’information. Pour sa part, Groupama nous a fait part de problèmes de transmission de données médicales. Votre action, destinée aux patients diabétiques, serait sans doute grandement facilitée si vous pouviez les identifier et ainsi les inviter directement à vos consultations. Une transmission de données par l’assurance maladie, de médecin à médecin, ou une invitation des patients transmise par leurs médecins traitants seraient-elles envisageables ?

M. Bertrand Arnoux. Les invitations peuvent effectivement être transmises par les médecins traitants. Nous rencontrons en revanche des difficultés pour obtenir des caisses primaires d’assurance maladie des listes de patients diabétiques que nous pourrions directement contacter, alors même qu’elles disposent de ces informations. Cela étant, j’ai pu constater, lors de mon exercice en tant que médecin libéral, que des patients diabétiques reçoivent de l’assurance maladie des courriers les incitant à participer à des actions de dépistage, soit dans le cadre du réseau CARéDIAB, soit dans celui de contrôles annuels du fond de l’œil, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé de mars 2011. Il n’en demeure pas moins que nous pourrions sans doute espérer davantage de coopération de la part des caisses primaires et que nous sommes, pour l’instant, contraints à pratiquer une forme de démarchage pour faire connaître notre dispositif.

M. le rapporteur. La proportion, pour un secteur donné, de la population diabétique se rendant à vos consultations de rétinographie a-t-elle été évaluée ? Par ailleurs, ne pourriez-vous pas vous avoir recours aux pharmaciens pour vous faire connaître des diabétiques ?

M. Bertrand Arnoux. Bien sûr, de même que nous faisons connaître notre dispositif par l’intermédiaire des médecins traitants qui sont informés à l’avance du passage du rétinographe dans la région où ils exercent. Des réunions médicales sont ainsi organisées par CARéDIAB dans les deux ou trois mois qui précèdent ce passage afin de présenter aux médecins traitants la rétinographie diabétique et les inciter à promouvoir le dépistage auprès de leurs patients. On constate néanmoins parfois chez eux une certaine frilosité…

M. le coprésident Jean Mallot. À quoi l’imputez-vous ?

M. Bertrand Arnoux. Je ne saurais dire… Il m’arrive de recevoir dans mon cabinet des patients n’ayant bénéficié d’aucun contrôle de rétine depuis quatre à cinq ans, sans que je ne me l’explique. Le message de prévention n’est peut-être pas très bien perçu… Cela étant, la question est de plus en plus évoquée. La Haute Autorité de santé a récemment émis des recommandations en la matière. J’ai aussi constaté, au cours de l’émission À vous de voir sur France 5, que madame le professeur Pascale Massin, de l’hôpital Lariboisière, a alerté sur les dangers d’un dépistage trop tardif de la rétinopathie diabétique. Il est possible que la province soit moins réceptive à ces messages.

M. le rapporteur. Vos propos, fort intéressants, renvoient à la problématique générale de la prévention. Il est erroné de penser que la prévention permet de faire des économies, au moins à court terme. Ainsi, il est notoire que les diabétiques sont mal suivis. Si tel n’était pas le cas et s’ils bénéficiaient d’examens réguliers, cela se traduirait, dans un premier temps, par une charge sensiblement accrue pour l’assurance maladie. Ce n’est qu’ensuite qu’apparaîtrait un intérêt financier en raison des complications évitées grâce à la prévention. Je m’interroge par ailleurs sur les réticences que certains médecins éprouvent à promouvoir les actions de dépistage qui pourraient peut-être être surmontées grâce à la formation initiale et continue. La nouvelle convention de juillet 2011 régissant les rapports de l’assurance maladie et des médecins libéraux a heureusement prévu la mise en place d’indicateurs de suivi des diabétiques ; on peut espérer que celle-ci sera suivie d’effets.

M. le coprésident Jean Mallot. Est-il prévu une évaluation du dispositif que vous avez mis en œuvre, en vue de son éventuelle généralisation ? Présente-t-il des spécificités par rapport aux expérimentations qui ont pu être menées dans d’autres départements, notamment en termes de modalités d’exercice ?

M. Bertrand Arnoux. Non. Nous avons reproduit le système qui existait un peu partout en France. La plupart des régions sont dotées d’un dispositif de dépistage similaire. Le plus connu et dont nous nous sommes inspirés est le réseau OPHDIAT, piloté par l’hôpital Lariboisière. Il comprend une trentaine de sites en région parisienne, un en Guyane et d’autres en milieu carcéral. Mais de nombreux autres réseaux existent, tels DIAMIP (Diabète Midi-Pyrénées), Atlantique Diabète dans la région Atlantique ou encore PrévArt (Prévention Artois), dans le Nord. Chacun comporte ses spécificités : utilisation d’un rétinographe fixe ou mobile, télétransmission ou transmission des clichés par d’autres moyens.

Pour ce qui concerne CARéDIAB, notre expérience de dépistage est relativement récente puisqu’elle a débuté en 2009. Elle n’a pas été évaluée à ce jour, si ce n’est dans le cadre d’une thèse de fin de stage par un médecin de santé publique. Je ne peux donc vous communiquer de données précises sur ce point, mais j’ai le sentiment que nous disposons d’une marge de progression importante. Nous en sommes au troisième ou quatrième passage du rétinographe dans certaines communes ce qui nous permet de commencer à être connus et les patients reviennent nous consulter.

M. le rapporteur. Quel est le budget de fonctionnement annuel de l’association ? Quelles sont vos modalités de rémunération ?

M. Bertrand Arnoux. 12 à 15 patients sont examinés par semaine. La lecture des clichés est partagée entre les deux médecins ophtalmologistes. Chaque lecture donne lieu à une rémunération de 15 euros, qui nous est acquittée par CARéDIAB. Le fonds de roulement de l’association provient essentiellement de dotations du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins.

M. le rapporteur. De tels dispositifs ont indéniablement un impact financier, surtout dans la durée.

M. Bertrand Arnoux. Je fais tout mon possible pour que nous progressions, afin de prévenir les complications. Cela est parfois difficile et nous pouvons nous heurter à certaines réticences.

M. le coprésident Jean Mallot. Monsieur Bertrand Arnoux, je vous remercie de nous avoir exposé votre expérience, particulièrement intéressante.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.