Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Mercredi 2 décembre 2009

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. André Gerin, Président

– Audition de M. Tariq Ramadan

– Audition de M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé à l’université de Limoges

– Audition de M. Pascal Hilout, représentant de l’association Riposte laïque

La séance est ouverte à seize heures trente.

Audition de M. Tariq Ramadan

M. André Gerin, président. Nous vous souhaitons la bienvenue, Monsieur Ramadan. Chacun vous connaît. Vous avez été formé dans plusieurs universités occidentales ainsi qu'au Caire. C’est dans cette ville, à l'université Al Azhar, qu’a eu lieu un débat sur le port du voile intégral.

La mission d'information, dès sa création, a pris le parti de recueillir tous les points de vue, de la manière la plus ouverte possible. C'est le cas aujourd'hui encore avec votre venue. Je ne reviendrai pas sur vos écrits et vos interventions médiatiques, encore moins sur les débats ou les polémiques qu'ils suscitent. Si nous vous recevons aujourd'hui, c’est pour connaître votre analyse sur le voile intégral.

Quel jugement portez-vous sur cette pratique ? Est-ce une prescription de l'islam ? Comment expliquez-vous sa diffusion ? Est-elle surtout le fait de femmes converties ou traduit-elle, pour certains musulmans soucieux de manifester une visibilité dans l'espace public, un retour à une conception de l'islam des origines ?

Nous pensons, quant à nous, que le voile intégral est le symbole même de l'asservissement des femmes et de l'inégalité des sexes. Quelle est votre réaction face à cette forme d'asservissement, surtout lorsque des mineures sont concernées ? Je vous laisse la parole pour un exposé introductif, qui ne manquera pas de susciter de nombreuses questions.

M. Tariq Ramadan. Merci beaucoup de m’avoir invité et de cette introduction. J’estime qu’aucune décision de droit, portant sur le niqab ou la burqa – de tradition plutôt asiatique et dont le nom a été propagé à travers le monde à partir de la tradition ou de l’expérience afghanes –, ne peut être prise sans une clarification préalable de la terminologie et des enjeux. J’évoquerai d’abord la dimension théologico-légale d’un point de vue islamique de cette question, puis j’examinerai les objectifs visés avant de voir une stratégie d’avenir.

Sur la question théologico-légale et sur ce qui est dit d’un point de vue islamique, comme vous le savez, l’islam n’est pas une référence monolithique : ses interprétations sont aussi diverses que dans les traditions juive ou chrétienne. Cette idée d’avoir l’islam modéré d’un côté et l’islam fondamentaliste de l’autre en dit plus sur l’ignorance de celui qui qualifie les choses ainsi que sur celui qui connaît les dynamiques : dans la tradition musulmane, on compte sept ou huit tendances très complexes, dans lesquelles on trouvera aussi bien un rationaliste dogmatique qu’un conservateur ouvert, et des réformistes aux vues opposées.

La très grande majorité des savants et courants sunnites et chiites estiment que la burqa ou le niqab ne sont pas une prescription islamique. Le consensus parmi les savants est que le foulard en est une mais pas le niqab et la burqa. Mais vous avez une interprétation qui existe, qui est minoritaire, et dont vous ne pourrez pas disqualifier la présence même si vous êtes en opposition avec le présupposé et la conclusion, ce qui est mon cas. Pour ce qui me concerne, je ne cesse d’expliquer aux diverses communautés musulmanes que l’interprétation qui conclut au port du niqab ou de la burqa est réductrice, qu’elle trahit le sens et l’esprit même de la référence musulmane. C’est un travail que je fais de l’intérieur et que nous devons mener. Mais il faut reconnaître le fait clair et objectif qu’une tradition maintient que telle est la compréhension de l’islam. Cette tradition se réclame de la pratique des épouses du Prophète pour l’ériger en norme applicable à toutes les femmes, alors que les autres savants font généralement la distinction entre ce qui est spécifique aux épouses du Prophète et ce qui est demandé pour les autres femmes.

En islam, il n’existe pas d’autorité qui ne soit pas contestée. De fait, le recteur d’Al Azhar – l’université islamique du Caire –, l’a été lorsqu’il a considéré qu’il fallait s’opposer au port du niqab. C’est là toute la difficulté et c’est mon deuxième point, très important : de l’extérieur ou de l’intérieur vous ne pouvez pas interpeller une interprétation sans vous poser la question centrale de savoir où peut se situer l’autorité, qui a autorité à dire. Prendre des décisions sur des interprétations sans se questionner sur l’autorité peut être contre-productif. Être ouvert en s’adressant à la mauvaise autorité, peut faire en sorte que cette autorité sera doublement fermée, c’est-à-dire qu’elle considérera que le dispositif mis en place est un dispositif de stigmatisation et d’attaque.

Pour nombre de Français, d’Européens de confession musulmane, l’autorité provient directement des centres – en Arabie saoudite – ou de lieux considérés comme les sources même de savoir – en Afghanistan ou au Pakistan. Pour eux, ce qui se dit ici n’a aucun poids face à ce qui se dit là-bas. Il serait donc contre-productif d’exiger de ceux qui ont une autorité relative ici qu’ils se positionnent contre des autorités là-bas ; ce serait pousser ceux qui ne reconnaissent pas l’autorité des musulmans ici à l’isolement. Quand elle a à faire à un pluralisme religieux et lorsqu’on est dans une laïcité qui s’applique strictement et dans ce rapport à la diversité des interprétations, l’autorité politique doit se demander comment utiliser au mieux les autorités qui feront évoluer les mentalités dans le bon sens et ne pas dresser les autorités les unes contre les autres, en poussant des Français de confession musulmane ou des autorités religieuses françaises à une condamnation qui, forcément, ne serait pas entendue par ceux qui ne leur reconnaissent pas cette autorité.

Deuxième chose importante : c’est la force du contexte de vie. Vous m’avez posé une question : pourquoi est-ce que l’on voit des femmes qui aujourd’hui vont davantage vers le port de la burqa et particulièrement, par exemple, des femmes converties à l’islam. Parfois on a une réponse simple et même simpliste : c’est que le converti est plus royaliste que le roi. Mais ce n’est pas cela qu’il faut comprendre. Dans le contexte français et occidental, c’est la dimension psychologique du retour du fait religieux qu’il faut prendre en compte. Ces femmes n’entrent pas seulement en religion ; elles sortent d’un passé ce qui peut faire entrer dans l’excès ou dans ce qui va vous couper de ce passé. Elles estiment avoir été trop loin dans l’exposition de leur corps ; elles tendent désormais à la disparition du physique en pensant qu’elles vont vivre le spirituel. Cette dimension psychologique est importante. Le psychologique ne se touche pas par la loi mais par l’éducatif, par l’accompagnement. Une loi qui interdit renforce parfois le dispositif psychologique qui amène à se couper de son passé. L’application de la loi a toujours un versant psychologique que parfois on a tendance à omettre. Pour certains jeunes nés musulmans ou dans des familles musulmanes, le retour à la foi s’accompagne d’une quête de purification intérieure, qu’ils peuvent traduire dans leur apparence physique. Pour ce qui me concerne, cette quête est mal comprise, mais je peux comprendre que pour certains jeunes, certains adolescents, ceci se passe.

Comprendre le cheminement est une chose – et je ne justifie pas la nature des réponses – mais si je veux travailler sur le changement des mentalités, il faut savoir d’où ça vient pour les faire évoluer et non pas seulement juger négativement le résultat.

Quel est l’objectif ? De là où je me situe, citoyen suisse dont la famille est pour les trois quarts française, qui s’engage dans le débat européen et occidental, ce qui m’intéresse c’est l’alliance stricte du point de vue du cadre légal : le respect de la loi commune d’une part, et la meilleure compréhension des prescriptions musulmanes d’autre part. Il est absolument possible, fondamentalement possible d’être totalement, clairement et sincèrement musulman et de respecter la loi commune, sans en exiger aucune transformation. Ce que j’ai toujours demandé à la France, depuis que j’ai étudié le cadre laïc, c’est l’application égalitaire, stricte et non discriminatoire de la loi commune pour toutes les religions et la religion musulmane comme toutes les autres.

Lorsqu’on a en face de nous des femmes engagées, dont la tenue vestimentaire pose des questions sur la compréhension de l’islam mais également, à des moments donnés tout à fait particuliers, quand il s’agit d’identifier la personne – comme on l’a vu au Canada – ou de la sécurité, on ne doit alors même pas se demander si l’interprétation de l’islam est la bonne : au nom même des préceptes musulmans qu’elle défendrait, cette femme est tenue de montrer son visage, d’être identifiée ou de garantir la sécurité collective. Cela ne se discute pas.

Reste à savoir, dans le cadre légal qui est le nôtre, quelle est notre marge de manœuvre dans l’espace public, c’est-à-dire dans la rue. Je dois travailler dans la dimension théologique et légale ou comme acteur social et politique mais je dois aussi travailler à faire passer une autre interprétation de l’islam – c’est une œuvre de longue haleine – en questionnant, par les textes et par une tradition, une lecture réduite, crispée et défensive, voire dogmatique ou littéraliste des textes. C’est un débat interne, pas seulement islamico-islamique. Il faut être à l’écoute des questions qu’une société nous pose et être capable de les entendre. Tout ce que vous avez mis en évidence sur le statut des femmes, sur la signification de la burqa, suppose une réflexion fondamentale sur ce que l’islam nous demande de ce point de vue. Dans le cadre du débat interne, il ne faut pas entendre uniquement votre réponse – qui pourrait être une condamnation – mais votre question. La pensée qui naît d’une tradition musulmane est une dimension qui doit aussi vous intéresser. Vos concitoyens français de confession musulmane sont vos partenaires et non pas simplement vos interlocuteurs extérieurs.

On doit comprendre que l’islam est une religion française, que des citoyens français sont de confession musulmane et que la très grande majorité d’entre eux – leaders et autorités religieuses locales compris – sont vos partenaires pour aider à une meilleure compréhension de l’islam, pour mettre en évidence que ni la burqa ni le niqab ne sont des prescriptions islamiques, que nous sommes liés ensemble dans ce travail. Une loi qui serait simplement perçue comme stigmatisante ne résoudra pas le problème. Il faut comprendre la marge d’autorité que le partenaire peut avoir dans cette évolution.

Tout ce que vous pourrez dire sur la burqa comme travailleur social ou politicien, alors que vous ne parlez pas de l’intérieur des références musulmanes, aura forcément moins de poids que quelqu’un qui le dirait comme moi. Alors de deux choses l’une : ou je suis le partenaire du propos, ou je suis l’étranger qui parle de l’extérieur. Et cela me paraît déterminant.

L’objectif, je le répète depuis des années et on a du mal à entendre en France, est le respect strict du cadre républicain et laïque et, de l’intérieur, un vrai travail pour faire évoluer les mentalités vers ce que doit être la compréhension de l’islam aujourd’hui.

Quelles sont les difficultés auxquelles nous faisons face si nous voulons avoir une vision de l’avenir ? Une chose est réelle, on ne mesure pas aujourd’hui un double mal-être des musulmans. Je viens de Suisse : le vote est malheureux mais l’enseignement est profond. On sous-estime la peur et la méfiance qu’il y a dans les populations comme on sous-estime le mal-être qu’il y a dans les communautés musulmanes. Je réfute les positions victimaires adoptées de part et d’autre. J’en veux à tous les populistes, qui disent que les sociétés occidentales sont victimes d’une « lente colonisation », comme aux leaders musulmans, qui évoquent la stigmatisation. Comment changer cette attitude victimaire en attitude de politicien responsable ? Tenir compte des peurs des citoyens et les respecter, ce n’est pas s’y soumettre. Tout l’enjeu est là.

Dépasser les peurs, c’est comprendre que les femmes qui revêtent le niqab ou la burqa le font par réflexe identitaire, par crainte de l’univers ambiant. Il est plus facile de s’enfermer. C’est une mentalité, un moment de la vie. J’en ai rencontré des centaines – hommes et femmes – qui pouvaient aller dans l’excès de la pratique et l’abandonner, l’âge et l’expérience venant : comme pour les crises d’adolescence qui débouchent sur l’âge adulte, il faut compter avec le temps. La stigmatisation trop rapide peut fermer les gens. En adoptant une loi, vous ne considérez pas la mentalité qui est derrière, et n’aboutirez qu’à ce que ces femmes quittent l’espace public pour rester à la maison. Si elles sont victimes de leur parcours personnel, elles se sentiront, avec la loi, doublement stigmatisées, et nous aurons deux fois perdu.

Par ailleurs, une telle loi est problématique du point de vue européen et de la liberté de conscience ; les études produites ces dernières semaines l’ont mis en évidence. Il n’est, d’ailleurs, pas du tout acquis que la votation suisse ne sera pas rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Les dignitaires religieux sont un peu en porte-à-faux. Ils sont gênés pour prendre une position ferme. Ne mettez pas les autorités les unes contre les autres. Utilisez les autorités favorables, dans leur champ d’interprétation, pour faire changer les mentalités vis-à-vis des autorités résistantes : c’est le seul moyen de fonctionner avec le fait religieux. Lorsque deux autorités se confrontent, elles s’excluent. C’est cela la pensée dogmatique. Quand vous travaillez avec les autorités qui sont à votre portée, vous pouvez y parvenir.

Enfin, cette réflexion autour de la burqa me gêne. Je n’oublie pas qu’elle vient après ce que le président Obama a dit et ce que le président Sarkozy a déclaré cinq jours plus tard. Tout à coup, on nous sort cette affaire de la burqa. Je comprends que l’on veuille parler de visibilité, mais c’est ailleurs que les questions se posent. La France et tous les politiciens feraient mieux de ne pas ériger superficiellement ce problème de la visibilité en grand débat national ; car, ce faisant, on ne permet pas des évolutions et des visions politiques du vivre-ensemble, qui sont dans le respect de la loi, l’acquisition de la langue, le fait de ne pas culturaliser, d’islamiser toutes les questions.

Une partie de la population sent bien qu’à chaque fois que l’on parle d’elle, on culturalise son appartenance, on islamise son identité au lieu de regarder d’elle ce qu’elle vit socialement. Elle vous en veut pour cela. La classe politique lui donne l’impression de parler d’un problème qu’elle ne ressent pas. La réalité, lorsque vous êtes un peu arabe d’origine, un peu avec un nom musulman, c’est que le travail, l’appartement, vous ne l’avez pas. Les deux questions ne s’excluent pas, mais à mal poser la première, vous semblez occulter la seule qui compte : l’application stricte et égalitaire de toutes les lois de ce pays pour tous les citoyens.

M. Eric Raoult, rapporteur. Vous êtes un orateur brillant et séduisant, nous avons tous pu le constater. Mais êtes-vous suffisamment convaincant ? Et auriez-vous tenu le même discours devant des étudiants de Villetaneuse ou d’Oxford ?

Vous êtes un homme écouté. Allez-vous vous engager contre le port du voile intégral, pratique qui peut paraître choquante aux yeux de la population française ? Les représentants du culte pourraient-ils entreprendre une démarche pédagogique, afin de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une prescription de l’islam ?

M. Jean Glavany. Je fais partie, sachez-le, des députés qui ne souhaitaient pas vous auditionner. Je souhaitais vous le dire en des mots simples et aussi courtois que possible. La somme de vos doubles discours, auxquels Éric Raoult faisait gentiment allusion il y a un instant, contre-vérités, falsifications et manipulations est telle que votre crédibilité a reculé partout en France et en Europe. Il y a de moins en moins de gens pour vous accorder le moindre crédit intellectuel que ce soit. Votre seul talent, s’il y en a un, est d’enrober d’un discours enjôleur des positions fondamentalistes inacceptables. Le fait que vous ayez parlé de laïcité dans des termes bien éloignés de la tradition républicaine et qu’à aucun moment vous n’ayez fait référence à l’égalité entre hommes et femmes me conforte dans mon opinion.

Je l’ai dit au président et je l’ai dit devant la mission : cette invitation ne servira qu’à vous donner une respectabilité et une tribune que vous ne méritez pas de mon point de vue. Je me suis demandé pourquoi certains d’entre nous – dont je ne sais pas s’ils sont majoritaires dans cette mission – ont fait le choix de vous auditionner. Ceux qui l’ont souhaité l’ont fait au nom peut-être de la liberté d’expression et de notre tradition pluraliste. Mais à la vérité, sa seule vertu est médiatique : il n’est qu’à juger du nombre de médias présents ce soir ; c’est presque une insulte aux journalistes qui nous suivent semaine après semaine. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans le travail méticuleux parlementaire mais dans le show biz et je le regrette.

In fine, je crois avoir compris pourquoi le Parlement français se devait de recevoir un prédicateur suisse. Nous constatons depuis quelques semaines que la lumière vient de Suisse. Mais les réactions irrationnelles qu’a suscitée l’affaire Polanski et la votation suisse montrent que, décidément, la démocratie française est bien malade !

M. Jacques Myard. De nouveau, nous allons échanger, et cette fois-ci, ce ne sera pas devant des caméras de télévisions étrangères. Permettez-moi de vous dire que je suis profondément déçu par vos arguments. Ils font « savonnette » !

Vous avez raison de rappeler que l’islam rassemble diverses écoles, compte plusieurs « églises ». J’aimerais vous demander à laquelle vous vous rattachez, mais je sais que vous ne me répondrez pas. En tant que musulman, êtes-vous choqué par le port du niqab et pouvez-vous comprendre que, dans une société multiséculaire qui ne connaît pas de vêtement de visage, certains de nos concitoyens le soient ?

Vous nous avez invités à faire de la pédagogie et à nous adresser à ceux qui ont l’autorité, rappelant que les autorités établies sont souvent contestées. C’est pour le moins paradoxal : comment voulez-vous que cette pédagogie soit entendue par ceux dont le dogme est précisément de voiler la femme ?

Voici le Recueil de fatwas concernant les femmes, livre salafiste que vous devez connaître. Ses pages, très lues en banlieue, sont explicites : la femme doit couvrir son visage, elle n’a pas le droit de serrer la main d’un homme et étudier dans un établissement mixte lui est interdit. Si, comme vous nous le dites, nous ne pouvons agir sur ces autorités, la seule chose qui nous reste est la norme du vivre-ensemble, la loi commune issue du suffrage universel. C’est en cela que votre discours est contradictoire et votre solution une impasse.

M. Lionnel Luca. Je suis heureux que l’occasion nous ait été donnée de vous entendre et d’échanger avec vous et je remercie le président et le rapporteur de nous avoir donné cette opportunité. Vous avez déclaré que le port du niqab ou de la burqa n’était pas une prescription religieuse, mais qu’en revanche, le port du voile simple en était une. Pourriez-vous préciser ce point ? Je me souviens que les personnes auditionnées par la mission Stasi nous avaient dit et répété l’inverse.

À vous entendre, les femmes qui portent le voile intégral le font librement et par souci de purification. Vous n’ignorez pourtant pas que ce volontarisme n’est pas sans rappeler l’enthousiasme sectaire et que beaucoup d’autres femmes sont contraintes, parfois même lorsqu’elles sont mineures. Vous ne voulez pas de loi. Mais alors, que faut-il faire pour changer les mentalités, éviter la prolifération de cette pratique et le prosélytisme ?

Mme Pascale Crozon. Vous n’avez parlé que des femmes consentantes. Or, la plupart de celles qui portent le voile intégral ne le sont pas ; elles le font par amour ou parce qu’elles y sont obligées par leur époux. Pour elles, il n’existe aucune échappatoire.

J’ai lu beaucoup de vos écrits concernant les droits des femmes, vous qui vous dites « féministe islamique ». Vous considérez que ce n’est pas la parole de Mahomet qui fait l’inégalité, mais la tradition. Vous invitez à relire le Coran et à revenir au temps du Prophète. Ne serait-il pas plus simple de faire un bond de quelques siècles et décider, aujourd’hui, de faire évoluer une morale édictée au VIIe siècle, qui, quoique vous en disiez, est archaïque ? Votre position sur le port du voile intégral gagnerait ainsi en clarté.

Enfin, comment pouvez-vous vous dire laïque, alors que vous affirmiez, en octobre 2000, au forum des jeunes musulmans à Budapest que les droits de l’homme n’ont aucun rapport avec l’islam, qu’ils sont une création occidentale qui ne peut être acceptée ? Vous avez également déclaré : « en tant que musulman, ma différence doit non seulement être respectée, elle doit aussi déranger l’autre et c’est un message fondamental de l’islam ».

M. Tariq Ramadan. Concernant mon double discours, il n’existe pas. On a dit que je tenais un discours en arabe dans les banlieues. Or, en arabe, dans les banlieues, on n’est pas entendu. Aucun élément tendant à prouver le double discours dont je ferais usage n’a jamais pu être établi par mes détracteurs. La meilleure des réponses a été celle de la municipalité de Rotterdam, dont j’étais le conseiller spécial à l’intégration et qui a confirmé, après enquête et lors d’une conférence de presse, en avril 2009, que les citations que l’on m’attribuait étaient sorties de leur contexte, tronquées ou exactement à l’opposé de ce que j’ai dit.

Vous trouverez sur Internet quelque 180 conférences où je suis intervenu ; j’ai créé mon propre site qui est lu par tout le monde et je parle sur les plateaux de télévision du monde entier. Quel intérêt aurais-je à tenir un discours différent selon mes interlocuteurs ? Les musulmans accepteraient-ils que j’adopte des positions différentes lorsque je m’adresse à d’autres qu’eux ? Et si j’étais un fondamentaliste, dans quel but irais-je vous affirmer que je suis ouvert ? De deux choses l’une : ou je suis tout à fait tordu, ou tous les musulmans qui me suivent sont tordus comme moi. Ça ne tient pas. Ce n’est même pas logique.

Cela fait 25 ans que je me suis engagé dans un véritable travail d’émancipation des femmes quant à l’interprétation d’un certain nombre de textes. On va vous dire que sur le terrain, il pousse au port du foulard. Je répète que, s’agissant du port du voile, dans toutes les traditions sunnites ou chiites, avant les colonisations, aucun savant n’a remis en cause le fait qu’il s’agissait d’une prescription islamique. Certains savants diront aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’une prescription absolue ; d’autres, comme moi, ne mettront pas cette prescription au même niveau que celle concernant la prière, par exemple. Mais ma position est la suivante, et c’est celle qui est la plus importante pour moi : il est interdit en islam et même contre l’islam d’imposer le voile – que cela soit le fait du père, du mari, de la mère, de la communauté ou de la société comme en Arabie saoudite ou en Iran. Je m’opposerai toujours à ce qu’une femme soit contrainte de porter le voile. C’est pour moi une démarche déterminante.

Vous me demandez ce que je peux faire ? De la pédagogie. Dans mes écrits, dans mes conférences – les Renseignements généraux (RG) vous confirmeront que je jouis encore, ne vous en déplaise, d’une certaine crédibilité et vous devriez venir, cher Monsieur, à quelques conférences pour voir si ma voix est moins entendue – je cite des textes tels qu’ils existent, j’interroge ensuite les interprétations données par la tradition, j’indique enfin celles qui peuvent être faites aujourd’hui à la lumière de notre contexte. On arrête parfois le raisonnement à la seule citation que je fais des textes en omettant la suite de mon propos. Mon raisonnement est à trois niveaux : les textes, la tradition, l’application aujourd’hui. Je suis ainsi intervenu en Angleterre après que Jack Straw, que j’ai soutenu, a provoqué un débat sur le niqab – ma position a été relayée par le Guardian qui a bien dit que j’étais contre le niqab. J’ai pris position fermement et publiquement sur cette question. J’ai démontré, textes à l’appui, que l’un des savants les plus importants de la tradition salafie, Nasir ud-Dîn Al-Albani, considérait que le port du hijab qui ne couvre pas la face était la vraie position de l’islam, même si, pour sa propre épouse, il avait opté pour le port du niqab.

Mon rôle, dans les communautés musulmanes, est de mener ce travail pédagogique, au nom même du respect du cadre légal et de l’autre interprétation de l’islam. Nous avons ainsi cherché à convaincre, par un travail gigantesque, qu’il n’y avait aucun obstacle à ce qu’une femme et un homme se serrent la main ou à ce qu’une femme soit examinée par un médecin homme, lorsque les circonstances l’exigent. C’est la raison pour laquelle les autorités musulmanes doivent être vos alliées : elles ne doivent pas être mises sous la pression de vos attentes, mais dans la compréhension de leurs responsabilités.

Monsieur Glavany, je suis un peu surpris par votre intervention – mais finalement pas tant que cela. Vous parlez de falsification. J’aimerais savoir, Monsieur, combien de mes ouvrages avez-vous lus et combien de mes interventions avez-vous suivies ? Vous contestez le fait que je sois invité alors que je suis Suisse. Je tiens à signaler que j’ai été convié avant le vote de dimanche. Celui que vous avez devant vous n’est pas un prédicateur islamiste suisse, mais un professeur à Oxford, dont les livres sont étudiés dans 80 universités américaines. Il est vrai que je suis interdit de parole dans les universités françaises depuis les huit dernières années, ce qui conduit à se demander si la France est en train de perdre ses valeurs d’ouverture dans le débat critique. Vous vous êtes livré à un jugement sur ma personne, mais vous ne vous êtes pas confronté à mes idées. J’espère que la lumière ne viendra pas de Suisse et qu’il y aura un réveil. J’aime la France quand elle est en cohérence avec elle-même et ses valeurs. Je considère que c’est insultant ce que vous venez de dire.

Monsieur Myard, il est vrai que des livres de la tradition salafie circulent en France. Mais je vous ai répondu avant même que vous ne m’interrogiez : c’est une tradition parmi d’autres. Aujourd’hui des personnes en France peuvent revenir à l’islam, soit par choix personnel pour se couper de leur passé, soit en raison de pressions d’hommes, familiales ou communautaires ; elles peuvent idéaliser l’Arabie saoudite et adhérer aux autorités qui s’exercent là-bas. Tout arrive ; c’est plus complexe que cela. Jamais je n’ai dit qu’il fallait respecter ces autorités : mais il faut prendre garde à ne pas dresser les unes contre les autres. Sachez utiliser les autorités que vous avez à votre portée pour faire changer les compréhensions.

Ma position est de remettre en cause la lecture salafie littéraliste. J’appartiens au courant réformiste salafi, qui tend à revenir aux trois premières générations de l’islam pour retrouver l’esprit des origines, celui de savants de premiers siècles qui avaient le courage d’élaborer des interprétations nouvelles. Le réformiste salafi est celui qui, abandonnant une pensée sclérosée, défensive, prend les textes au sérieux et, armé d’un esprit critique, ose la réinterprétation. Aujourd’hui, il y a un réformisme de la défensive et un réformisme de la réinterprétation qui est ma position. Mon dernier ouvrage sur cette question fondamentale s’intitule La réforme radicale.

Je fais donc face à des salafis partout dans le monde. Je reviens du Canada où ma conférence a été suivie par 2000 personnes, de Rabat où 4000 personnes sont venues. Il y en a eu 12000 à Paris. Ma parole est écoutée. Je vous demande de considérer qu’elle est l’alliée de notre projet commun : le respect de la loi. Je ne cesse de répéter que la loi du pays doit être respectée lorsque celui-ci applique les principes fondamentaux – liberté de conscience et liberté de culte. Or, j’ai ajouté que c’est le cas partout en Occident et qu’il faut donc partout respecter la loi du pays.

L’autorité venue de là-bas, d’Arabie saoudite, est remise en question par ce travail pédagogique, mais aussi par la vie quotidienne ici. En vingt-cinq ans, la pensée musulmane occidentale a vécu une révolution : les réponses d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Le terrain, la vie quotidienne changent les mentalités.

M. André Gerin, président. Vous dites que notre mission vous gêne. Notre objectif est de faire un état des lieux sur le port du voile intégral et la progression de cette pratique sur la voie publique. Confortés par les précédentes auditions – où a été affirmé le fait que le voile intégral n’était pas un signe religieux – nous cherchons à discerner quelle forêt cache cet arbre : communautarisme, emprise du fondamentalisme sur certains territoires. La société française – musulmans compris – ressent avec malaise cette réalité.

Nous voulons mener un combat politique pour, à la fois, faire régresser ces dérives intégristes et permettre que l’islam ait droit de cité dans des conditions dignes du XXIe siècle. On nous a donné des exemples concrets de femmes contraintes dans les agglomérations de Lyon, Marseille ou Lille. Si nous voulons un islam respectueux de la loi commune, il faut bien que nous parlions des maternités et des services d’état civil, où les fonctionnaires ont affaire, plusieurs fois par jour, à des époux violents ; des cours de sport, dont se font exempter jusqu’à 50 % des collégiennes parce qu’ils sont mixtes, en contradiction avec le principe de laïcité de l’école publique. Nous devons évoquer ces comportements, non pas pour stigmatiser les musulmans, mais pour montrer qu’ils n’ont rien à voir avec l’islam et le fait religieux. C’est pourquoi j’ai accepté que vous soyez auditionné, même si vous êtes une personnalité controversée. Nous voulons clarifier ce débat, en faisant toute sa place à la deuxième religion de notre pays, à un islam respectueux de la République et des principes de laïcité.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. À aucun moment, Monsieur Ramadan, vous n’avez évoqué les pressions dont ces femmes peuvent faire l’objet. Pourquoi ? Cela laisse à penser qu’elles portent le voile intégral en toute liberté. Le voile intégral constitue-t-il, selon vous, une atteinte aux droits des femmes ? Tend-il à restreindre leur liberté ? Est-il contraire à leur dignité ? J’aimerais entendre une réponse claire.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. J’étais opposée moi aussi à ce que vous soyez invité. Je me suis pourtant rendue à cette audition avec un esprit d’ouverture et de tolérance ; j’en sortirai plus inquiète que jamais.

D’abord, vous remettez en cause la mission elle-même. Or, sa création n’est pas liée aux propos de Nicolas Sarkozy mais à une proposition bien antérieure d’André Gerin, qui constatait qu’un certain nombre de problèmes se posaient aux élus locaux.

Ensuite, qui vous dit que nous allons faire une loi ? Je suis personnellement entrée dans cette mission en étant opposée à la loi, mais à vous entendre, je vais finir par changer d’avis. Vous dites que cela fait vingt-cinq ans que vous faites de la pédagogie, mais le radicalisme explose dans nos quartiers. Il y a dix ans, je ne voyais pas de voile intégral dans ma circonscription. Aujourd’hui, j’en croise chaque jour. Vous pouvez faire des milliers de conférences et aller sur les plateaux de télévision, votre réformisme ne prend pas !

Je serais la première à adhérer à votre programme pédagogique : les femmes, aujourd’hui parlementaires, se sont battues, souvent pour sortir de leurs propres ghettos et devenir les élues de cette merveilleuse République. Nous luttons pour que les femmes soient les strictes égales des hommes, que les droits politiques, sociaux et individuels soient exactement les mêmes, quel que soit le sexe. Mais lorsque je vois une gamine qui n’est même pas formée sous un voile intégral, quand je vois cette femme à côté de moi dans le métro sans pouvoir apercevoir son sourire, je me dis que vous, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et d’autres avez échoué dans cette pédagogie. D’ailleurs, si vous aviez réussi, cette mission n’aurait pas lieu d’être.

Mme Nicole Ameline. Je me joins à ce qui a été dit sur l’égalité et les droits des femmes. Le fait de considérer le port du voile intégral comme une contrainte n’est pas l’apanage des Occidentaux. Le premier geste que fait une Afghane lorsqu’elle arrive dans une assemblée de femmes n’est-il pas d’ôter sa burqa ? Notre combat, c’est celui des femmes dans le monde.

C’est peut-être méconnaître la loi française que de penser qu’elle interdit et réprime, alors qu’elle modernise, protège et fait avancer les valeurs républicaines. L’ensemble des progrès dans le domaine des droits des femmes ne sont-ils pas liés à la loi ? Je crois que la loi peut être un recours pour celles qui s’estimeront contraintes.

S’agissant de la dissimulation d’identité, vous dites ne pas avoir d’état d’âme. Est-ce à dire qu’une loi d’interdiction fondée sur l’ordre public vous semblerait acceptable ?

Mme George Pau-Langevin. Je n’ai pas lu vos écrits intégralement. Je me contente d’entendre ce que vous dites. Et certains de vos propos me sont apparus de nature à faire avancer le débat.

Ainsi, la loi du pays doit, selon vous, primer sur toute autre considération, et des nécessités d’ordre public peuvent conduire à exiger d’une personne qu’elle montre son visage. Vous avez aussi rappelé que la loi ne suffira pas, qu’il faudra un accompagnement psychologique et pédagogique. Enfin, et ce point mérite aussi d’être souligné, il faut que les citoyens de ce pays, qui vivent sans doute mal certains débats actuels, passent d’une attitude victimaire à une citoyenneté active.

Évacuons un faux débat et précisons que, pour la plupart des députés de notre mission, il est hors de question de stigmatiser la confession musulmane : tous nos concitoyens ont droit au respect de leurs convictions. Ce que j’attends de vous, c’est que vous fassiez comprendre que ce type d’excès vestimentaire – qui exprime peut-être un malaise –, risque de ruiner les efforts déployés par les associations progressistes pour faciliter le vivre-ensemble et lever les préjugés. Il ne s’agit pas de dresser la République contre l’islam, mais de lutter pour que les musulmans vivent bien en France et se sentent des citoyens à part entière.

M. Nicolas Perruchot. De votre intervention initiale, je retiendrai une idée : il faut agir de l’intérieur pour intégrer une partie des personnes issues de la communauté musulmane, en insistant sur le respect des valeurs républicaines. L’attitude victimaire est une réalité que nous rencontrons souvent : les jeunes, particulièrement, considèrent qu’ils sont victimes de principes républicains dévoyés et souffrent parfois du comportement d’une partie de la population à leur égard. Vous voulez les amener à une attitude de citoyens responsables : c’est un chantier que nous devons ouvrir ensemble.

Le port du voile intégral n’est pas le seul problème auquel nous sommes confrontés. Des pressions s’exercent aussi lors des consultations dans les hôpitaux sur la composition des menus de cantine scolaire, l’ouverture de créneaux non mixtes dans les piscines. Considérez-vous que, par ces revendications, une partie de la société teste la République française et qu’en retour, notre réponse doive être ferme ?

Mme Arlette Grosskost. Votre discours est pour, le moins, particulier. D’abord, vous émettez des doutes quant à la validité de la loi qui pourrait être préconisée par l’Assemblée nationale, ce qui revient à remettre en question notre souveraineté. Par ailleurs, vous affirmez que le respect de la loi a une réciproque : le respect de la liberté de conscience et de culte. Comment pouvons-nous répondre à l’envahissement progressif du champ social par l’islam extrémiste ? Si les entreprises devaient respecter la liberté de culte et permettre à leurs employés de faire la prière plusieurs fois par jour, il faudrait profondément remanier le code du travail !

M. Jacques Myard. Vous ne voulez pas d’une loi. Mais soit vous acceptez que la loi religieuse s’applique dans l’ordre social, ce qui est une attitude communautariste en contradiction avec les principes structurants de notre société, soit vous admettez que la norme sociale, issue du suffrage universel, prime. Vous ne souhaitez pas résoudre cette contradiction. Est-ce par hypocrisie ?

Par ailleurs, je suis certain que la Cour européenne des droits de l’homme ne remettra jamais en cause une loi qui serait le résultat d’un processus démocratique, qui plus est dans un domaine sociétal. Je vous invite à vous reporter aux arrêts Leyla Şahin c. Turquie et Zeynep Tekin c. Turquie.

Mme Françoise Briand. Je me bornerai à vous poser une seule question, à laquelle vous n’accepterez peut-être pas de répondre : certaines des femmes de votre famille ou de votre entourage portent-elles le voile intégral ?

M. Tariq Ramadan. Ne croyez pas que je veuille éviter certaines questions. Je ne dispose simplement pas du temps nécessaire pour répondre à tout.

Madame Crozon, oui, cela fait plus de vingt-cinq ans que je me bats pour la cause des femmes. Je suis perçu comme quelqu’un qui défend leur droit à l’émancipation, leur droit de travailler, de percevoir un salaire égal. J’ai récemment lancé une campagne contre les mariages forcés. J’aimerais que vous entendiez tout cela.

Les propos que j’aurais tenus à Budapest n’ont pas été rapportés correctement. Il n’est aucun article de la Déclaration universelle des droits de l’homme que je réfute. J’ai cité, à cette conférence, un intellectuel américain qui disait en substance : je n’ai pas envie que vous m’acceptiez, j’ai envie de vous déranger (« to bother you »), afin de montrer que le débat critique peut s’ouvrir lorsque la présence d’autrui interpelle.

S’agissant de la mission d’information, Monsieur le président, je constate qu’elle est née après les déclarations du président de la République. Je ne vois pas de hasard dans le fait qu’elle s’inscrive dans un tel contexte. Par ailleurs, votre objectif n’est-il pas d’examiner l’opportunité d’une loi, parmi d’autres mesures ? En évoquant cette possibilité, et en disant que ce serait une mauvaise idée, je me borne à mon rôle de personnalité auditionnée.

Vous parlez d’une visibilité plus grande de ces comportements. Il faut tenir compte du fait que le nombre de citoyens français de confession musulmane a augmenté et que les personnes de deuxième ou troisième génération sont plus visibles. Je vous invite à rapporter l’estimation du nombre de femmes qui seraient concernées par le port de la burqa quelques milliers tout au plus – au nombre des musulmans vivant en France. En matière sociale, il faut faire attention aux illusions d’optique.

Monsieur Perruchot, vous évoquez le malaise provoqué par les pressions exercées dans les hôpitaux, les écoles, les cantines. Il s’agit là de questions importantes, mais faut-il passer par la burqa pour les poser ? Cela est perçu comme de la stigmatisation. Ce n’est pas un dispositif politique raisonnable. Faut-il traiter de l’extrême pour questionner la norme ? L’immense majorité des quatre ou cinq millions de musulmans vivant en France sont contre cette prescription.

Il existe bien sûr des pressions sociales ou familiales concernant le port du niqab. J’ai essayé de vous expliquer aussi le cheminement intérieur de certaines de ces femmes. Il peut arriver que la représentation de soi dans le cadre social soit induite, que les femmes en viennent à s’auto-discriminer, à adopter des pratiques qui leur soient nuisibles, comme l’excision, à revendiquer – c’est le cas aussi de certaines Afghanes, des études occidentales l’ont montré – le port de la burqa.

Madame Hoffman-Rispal, il est étrange qu’une personne se disant tolérante et ouverte ne souhaite pas me recevoir…

M. Jean Glavany. C’est tout le problème du double discours.

M. Tariq Ramadan. Emploierais-je un triple discours que votre devoir de responsable politique serait encore de m’entendre !

La pression dans les quartiers existe. Il ne s’agit pas de la nier mais il faut savoir la mesurer à sa juste proportion.

Notre travail pédagogique est un travail à long terme, mais il porte ses fruits. Nous n’avons pas échoué, loin de là. Le discours majoritaire, relayé par les nouveaux leaderships, en particulier féminins, est de dire « nous sommes des Français, nous respectons la loi, nous sommes loyaux ». Votre autorité et votre responsabilité politiques doivent vous porter à distinguer l’arbre de la forêt, à ne pas confondre les comportements visibles et les courants de fond.

Je réponds clairement aux questions que vous m’avez posées, Madame Robin-Rodrigo : oui, ces femmes font l’objet de pressions, de la part des hommes, mais aussi du contexte socio-culturel dans lequel elles vivent, lié à la ghettoïsation sociale. Toute la question est de savoir comment l’on s’en sort. Loin de représenter un facteur d’émancipation pour ces femmes, une loi qui s’ajouterait à ces pressions les conduirait à un double isolement. Cette pratique constitue-t-elle une atteinte au droit des femmes ? Oui. Restreint-elle la liberté des femmes ? Oui. Est-elle contraire à la dignité humaine ? Oui.

Je ne remets pas en cause la mission parlementaire ; je discute les termes du débat. Madame Ameline, je n’ai jamais dit que la loi réprime et interdit. Mais la loi a l’effet objectif de ce qu’elle cadre et l’effet subjectif de ce qu’elle traduit. De ce point de vue, passer par une loi traitant de l’extrême pour s’attaquer aux problèmes rencontrés dans les hôpitaux et dans les cantines sera contre-productif et ne sera pas entendu.

Dans des situations spécifiques, comme lorsqu’une personne va voter ou qu’elle est interpellée par la police, il est évident qu’elle doit montrer son visage. Ce n’est même pas une question. C’est une position que j’ai déjà soutenue au Canada. Cette interpellation ne doit simplement pas être discriminatoire mais doit avoir un sens pour la sécurité publique.

Je ne remets pas en cause la souveraineté de la France. Mais les lois françaises peuvent être discutées au niveau européen. Il est arrivé que la Cour européenne des droits de l’homme prenne des arrêts contre des législations nationales jugées discriminatoires. À cet égard, Monsieur Myard, huit juristes et constitutionnalistes européens ont une opinion contraire à la vôtre.

Madame Pau-Langevin, je n’ai pas dit que la loi ne suffirait pas et devait être accompagnée d’une démarche pédagogique ; j’ai affirmé que la loi était un mauvais moyen de traiter de cette question. Vous me dites qu’il faut agir afin que les Français de confession musulmane ne se sentent pas stigmatisés. Nous nous y employons depuis longtemps : je combats la pensée victimaire, je défends l’idée de post-intégration, une contribution active à l’avenir de ce pays. Mais convenez que tout ce remue-ménage autour de l’intégration et de la burqa peut donner l’impression au citoyen ordinaire que l’islam est un problème et qu’il est stigmatisé.

Nous avons tort de penser que la France serait en train d’échouer. Persévérons, allons de l’avant comme me disent certains maires. De ce point de vue, les dynamiques locales font beaucoup plus que les polémiques nationales. Nous avons déjà fourni des éléments de réponse : sur les hôpitaux, par exemple, notre position est de dire que rien, en islam, n’empêche une femme de consulter un médecin homme. Votre responsabilité est d’entendre nos réponses, de les connaître afin d’interpeller ceux qui s’en tiennent aux interprétations et aux traditions en cours dans leur pays d’origine.

Madame Grosskost, j’ai fait du respect des libertés de conscience et de culte la condition du respect de la loi, tout en précisant clairement que l’ensemble des lois de tous les pays occidentaux garantissaient ces principes. S’agissant des règlements, comme ceux qui prévalent dans l’entreprise, la flexibilité de l’islam permet qu’ils soient respectés : un employé pourra faire sa prière après son temps de travail.

Je ne serais pas venu ce soir si je n’avais entrevu des éléments positifs. Je considère que vous soulevez de bonnes questions, mais que l’approche est contestable. Si vous voulez lutter contre les pressions communautaires dans les cités et contre la nouvelle visibilité réactive, faites en sorte de vous allier avec les leaders musulmans pour une meilleure compréhension de l’islam. Ne culturalisez pas et n’islamisez pas les problèmes sociaux : les jeunes continueront à aller vers un islam de la fermeture tant qu’ils n’auront pas de travail, tant qu’ils n’auront pas accès à l’égalité. Ils sont vos concitoyens, et doivent être respectés en tant que tels. Vos concitoyens français de confession musulmane sont français ; il faut que vous l’entendiez.

M. André Gerin, président. Faites confiance en la représentation nationale.

M. Jean Glavany. Je confirme que je considère cette audition comme superflue et inutile. Chers collègues, qu’allez-vous tirer de cette audition ? Rien. Mais M. Ramadan aura eu vingt caméras pour lui seul.

M. Tariq Ramadan. Ainsi, les responsables politiques n’auraient rien à retirer de l’audition d’un acteur de la société française ? Vos concitoyens jugeront.

M. André Gerin, président. Merci, Monsieur Ramadan. Je tiens à rappeler qu’il n’est aucun débat que nous souhaitions esquiver ou contourner quels que soient nos sentiments. Je suis très content que vous soyez venu.

Audition de M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé
à l’université de Limoges

M. André Gerin, président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé à l’université de Limoges.

Monsieur le professeur, vous avez effectué des recherches sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous souhaiterions vous interroger à ce propos pour nous éclairer dans le travail de la mission.

Nous avons entendu de nombreux points de vue de juristes, parfois contradictoires à propos du voile intégral. Certains estiment qu’une interdiction générale serait sans doute contraire aux droits de l’homme tels qu’ils sont entendus au niveau européen. M. Guy Carcassonne, au contraire, considérait la semaine dernière qu’il n’y avait pas à protéger le droit de déambuler masqué dans la rue.

Les articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme concernent la liberté de conscience, de pensée, de religion, la liberté d’expression et le principe de non-discrimination sexuelle. Comment se positionner au niveau national ?

M. Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé à l’université de Limoges. Depuis Flaubert, nous savons que « le beuglement des bœufs est plus mélodieux que le cours des professeurs de droit ». Vous allez en avoir une nouvelle illustration, à mes dépens…

Il y a d’éminents spécialistes de droit constitutionnel, mais pas de spécialistes de la Convention européenne des droits de l’homme. La raison en est assez simple : pour l’année 2008, le Conseil constitutionnel, au titre de sa compétence tirée de l’article 61 qui lui permet de juger de la conformité des lois, a rendu douze décisions ; la Cour européenne a rendu 1 543 arrêts, auxquels il faut ajouter les décisions sur la recevabilité qui sont peut-être aussi importantes, et qui sont en anglais. Le travail n’est donc pas le même. Il y a sept ou huit ans, pendant trois mois, j’ai pu être un spécialiste de la jurisprudence de la Cour, à l’époque où elle rendait encore 90 ou 100 arrêts par an. Mais maintenant, je ne le suis plus. C’est vous dire la limite de l’exercice auquel je vais me livrer devant vous.

La Convention et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que leur portée ne sont pas connues de grand monde. Il y a quelques jours, un grand journal national, dans son édition du 19 novembre, a écrit en première page que, contrairement à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, la Cour européenne des droits de l’homme ne rendait que des avis, qui n’engagent pas les États. C’était une erreur majeure, qui lui a valu une correspondance du président de la Cour européenne des droits de l’homme, M. Jean-Paul Costa. Ce dernier a précisé à cette occasion que les arrêts de la Cour sont obligatoires, au titre de l’article 46 de la Convention – ce qui n’empêche, en outre, pas les États de tirer, pour leur propre compte, les leçons des arrêts rendus contre d’autres pays. Il faut également rappeler que le 8 février 2007, le Conseil d’État, par l’arrêt Gardedieu, a institué la responsabilité de l’État du fait des lois votées en contrariété avec la Convention européenne des droits de l’homme.

J’ai l’impression d’être un prophète de malheur puisque, avec mes collègues constitutionnalistes, j’ai la lourde tâche d’essayer de vous faire comprendre discrètement que, élus démocratiquement par le peuple français souverain, vous n’êtes pas tout à fait libres, Mesdames et Messieurs les députés, de décider ce que vous voulez : il y a d’un côté le Conseil constitutionnel et de l’autre, notamment, la Cour européenne des droits de l’homme. Cela dit, le thème qui nous réunit aujourd’hui n’est pas celui qui risque de vous causer le plus de contrariété devant cette dernière.

Je viens ici en tant que technicien. Mon avis sur la question de savoir si le port du voile doit être interdit n’intéresse personne. Ce n’est ni mon souci ni ma compétence. J’essaierai simplement de répondre à cette question : la France risquerait-elle une condamnation pour violation de l’article 9 devant la Cour européenne des droits de l’homme si le législateur adoptait une loi interdisant le port du voile intégral ?

Cette question est posée selon deux axes différents : le voile intégral est-il un signe religieux ou une tenue vestimentaire révélant une appartenance religieuse ? Doit-il plutôt être perçu comme un symbole de domination de la femme par l’homme ?

Certains estiment qu’il vaut mieux écarter l’aspect religieux et se concentrer sur l’aspect « dignité de la femme ». Mais, en considérant que la burqa n’est pas un signe religieux, cela reviendrait pratiquement à dire que, dans l’état actuel des textes, le port de la burqa dans les lycées ne serait pas interdit. Certes, la jurisprudence de la Cour est tout à fait favorable à l’extension de cette interdiction, au-delà du texte même de la loi. Néanmoins la question est difficile, du point de vue du droit européen des droits de l’homme.

Le voile intégral peut être considéré comme un signe religieux. Un grand arrêt, Kokkinakis contre Grèce, du 25 mai 1993, a affirmé que la dimension religieuse de la liberté, garantie par l’article 9, figure parmi les éléments essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais qu’elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques et les sceptiques. Il y va du pluralisme durement conquis au cours des siècles.

La liberté religieuse est donc un élément extrêmement fort. Mais en face, il y a le principe de laïcité. Celui-ci n’est pas consacré par la Convention, mais un certain nombre d’arrêts et d’affirmations ont une importance essentielle pour le débat d’aujourd’hui.

Selon un arrêt, « En France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale. En conséquence, une attitude ne respectant pas ce principe ne serait pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion et ne bénéficiera pas de la protection que lui assure l’article 9 de la Convention. » C’est plutôt encourageant et cet arrêt l’est encore plus : « Lorsque se trouvent en jeu les questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquels de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Tel est le cas, notamment, lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans des établissements d’enseignement. » L’adverbe « notamment » est important dans la mesure où l’on voit bien que la question se pose d’abord dans les établissements d’enseignement, mais il n’est pas certain qu’on s’y limitera : il peut y avoir des interdictions dans les lieux publics.

Il existe une jurisprudence très abondante pour les établissements d’enseignement : des décisions concernent la Suisse, d’autres la Turquie – en particulier l’arrêt Leyla Şahin, qui a posé des principes essentiels, plusieurs arrêts ou décisions concernent la France. Des décisions d’irrecevabilité ont été rendues, parmi lesquelles la décision Phull du 11 janvier 2005 sur le port du turban ainsi que des arrêts Dogru et Kervanci, du 4 décembre 2008.

Ces arrêts importants concernaient l’interdiction du port du voile dans le collège de Flers. En l’occurrence, avoir porté le voile pendant le cours d’éducation physique avait valu une exclusion à deux élèves de dix et onze ans. La Cour a considéré que la France n’avait pas violé l’article 9, alors que l’interdiction du voile ne reposait pas encore sur la loi du 15 mars 2004, mais sur l’avis du Conseil d’État de 1989, qui renvoyait au règlement intérieur des établissements. Cela revient presque à dire que, si la loi du 15 mars 2004 n’était pas superflue, elle n’était, en tout cas, pas indispensable dans la mesure où il existait déjà des justifications suffisantes à l’interdiction du voile.

J’ajoute que ces fillettes, pour participer au cours d’éducation physique, avaient substitué un bonnet à leur voile habituel, ce qui n’est pas un signe religieux. Or la Cour a estimé que les autorités nationales avaient très bien pu étendre l’interdiction au-delà de signes proprement religieux. Le voile intégral, à supposer qu’il ne soit pas un signe religieux, pourrait bénéficier du même traitement.

Après la loi de 2004, toute une série de décisions concernant le port du voile ou du turban en France ont été rendues le 30 juin 2009, la Cour considérant que les requêtes étaient irrecevables parce qu’il n’y avait pas de violation du droit à la liberté religieuse.

Tous ces éléments sont intéressants, mais ils concernent seulement les établissements scolaires. Or, l’interdiction du port du voile intégral vaudrait pour l’extérieur. J’ai donc fait quelques recherches pour voir s’il était possible que l’on considère qu’une telle interdiction, dans certains lieux publics, constituerait une atteinte à la liberté de religion.

La décision Phull, que j’ai déjà évoquée, concernait un contrôle d’identité. La Cour a estimé que, même si la religion sikh faisait obligation à ses adeptes de porter tout le temps le turban, ils pouvaient être obligés de le retirer le temps d’un contrôle d’identité. Cela vaut aussi, aux termes de la décision El Morsli pour un contrôle à l’entrée d’un consulat. Ainsi peut-on, sans violer le droit à la liberté de religion, obliger un croyant à relever ou à enlever très provisoirement son voile ou son turban. Il est évident que si une personne portant le voile intégral devait justifier son identité, elle serait obligée, conformément à cette jurisprudence, à l’enlever comme ceux qui portent le foulard ou le turban. Mais il s’agirait d’une interdiction ponctuelle.

Il n’en va pas de même dans la décision X contre Royaume-Uni du 12 juillet 1978, la Commission européenne des droits de l’homme ayant estimé qu’au nom de la sécurité, on pouvait très bien obliger un adepte de la religion sikhe à enlever son turban pour porter un casque à moto. Pourrait-on transposer au port de la burqa ? Je ne sais pas si on voit grand-chose dans la rue ou en voiture lorsqu’on porte la burqa. Par le biais du risque d’accident, que M. Ramadan, que vous venez d’entendre, jugerait certainement trivial, on pourrait peut-être justifier une interdiction qui n’aurait pas grand-chose à voir avec le respect des convictions religieuses.

Par ailleurs, dans l’arrêt Dorgu, la Cour précise que l’on peut interdire le port des vêtements religieux « notamment » dans les établissements publics, ce qui laisse entendre qu’on pourrait fort bien, au regard des principes européens, étendre l’interdiction.

Il ne faudrait pas croire non plus qu’une interdiction passerait automatiquement devant la Cour car des difficultés subsistent, en particulier celles qu’a signalées Mme Françoise Tulkens, juge belge à la Cour, qui avait rendu une opinion dissidente dans l’arrêt Leyla Şahin en faisant remarquer que toutes ces interdictions avaient tendance à opposer laïcité, liberté, égalité, alors que l’objectif serait plutôt de les combiner.

J’observe toutefois que si l’on interdisait uniquement le voile intégral, si cette interdiction n’était pas étendue à toutes les tenues vestimentaires qui posent un problème de sécurité ou d’identification, il y aurait sans doute un risque de condamnation pour violation de l’article 14, voire au titre de la discrimination collective, au sens d’un très important arrêt D.H. contre République tchèque du 13 novembre 2007.

Il pourrait y avoir également, même si cela vous semblera sans doute paradoxal, un problème de discrimination entre les hommes et les femmes. Cela nous amène à notre deuxième partie : le voile intégral, symbole de la domination de la femme, et à passer de la notion de laïcité à celle de dignité.

La Convention européenne des droits de l’homme, rédigée en 1950, n’utilise jamais le mot « dignité ». La jurisprudence de la Cour a néanmoins fait émerger cette notion. Ainsi, pour affirmer et renforcer les droits de la femme, dans les arrêts C.R. et S.W. contre Royaume-Uni du 22 novembre 1995, elle a admis que l’article 7 de la Convention n’empêchait pas la répression du viol entre époux et affirmé à cette occasion que la liberté et la dignité étaient les deux fondements de la Convention.

Dans l’arrêt M. C. contre Bulgarie du 4 décembre 2003, estimant qu’il peut y avoir viol, même sans résistance physique, la Cour prône une nouvelle définition du viol. L’arrêt Opuz contre Turquie du 9 juin 2009 fait obligation aux États d’incriminer et de sanctionner pénalement les violences conjugales. La protection de la femme est ainsi au cœur de la jurisprudence de la Cour, notamment à partir du concept de dignité.

Un lien important est également fait entre la laïcité et la protection de la femme. Le fameux arrêt Refah Partisi contre Turquie concernait l’interdiction d’un parti dont certains des membres s’étaient laissés aller à dire qu’une fois au pouvoir, ils installeraient la Charia. Il s’agissait de savoir si la dissolution de ce parti était contraire à l’article 11. La Cour a considéré cette dissolution conforme à la Convention, celle-ci étant absolument incompatible avec la Charia, qui réserve une position inférieure à la femme. La protection de la femme est donc au cœur de la jurisprudence. Mais pourrait-elle aller jusqu’à justifier une interdiction du port du voile intégral ? Il peut y avoir là quelques difficultés.

On a pu observer dans certains arrêts, notamment, dans les opinions dissidentes de Mme  Tulkens, qu’au nom de l’éradication de l’obscurantisme religieux, on peut aboutir à des discriminations entre l’homme et la femme. Les interdictions du voile, même dans les écoles, frappent les petites filles et pas les garçons, ce qui est paradoxal quand il s’agit de faire disparaître des pratiques imposées aux femmes par l’homme dominateur...

Cela peut avoir des conséquences assez graves. L’arrêt Şerife Yiğit contre Turquie du 20 janvier 2009, qui n’est pas définitif, porte sur un mariage religieux célébré en Turquie, le mariage civil n’ayant pu avoir lieu en raison du décès du futur époux. La veuve (au plan religieux) s’est vu refuser les droits à réversion et les droits de santé, au motif qu’elle n’était pas mariée (au plan civil) et qu’il était justifié d’établir des discriminations entre les couples mariés et non mariés. Or on s’est aperçu, après que cet arrêt a été rendu, que, dans une même situation, le veuf (au plan religieux) n’aurait pas été privé de tels droits. Ainsi, la Cour européenne, en faisant jouer le principe de laïcité dans ses extrêmes conséquences, s’est rendu compte qu’elle avait établi une discrimination au détriment de la femme.

Enfin, beaucoup de femmes portant le voile intégral disent qu’elles le font volontairement – même si je ne suis pas sûr que ce soit la vérité. Dans l’arrêt Leyla Şahin, Mme Turkens a émis une opinion dissidente assez retentissante en disant que protéger les femmes consentantes contre elles-mêmes était une atteinte à leur autonomie personnelle – tant qu’on n’avait pas la preuve qu’elles avaient été contraintes. Elle était la seule de son avis, sur dix-sept membres de la Grande chambre. Mais c’est une idée qui compte et je ne suis pas sûr que ces questions seront définitivement résolues tant qu’on n’aura pas examiné tous ces arguments.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le professeur, vous avez clairement centré votre analyse sur la laïcité, l’égalité et la dignité. Certains de vos collègues juristes avaient exclu la dignité, au motif qu’elle ne pouvait être un critère objectif ni servir de fondement juridique à une démarche législative.

Vous avez dit que des interdictions ponctuelles étaient possibles, au nom de l’ordre public. Est-ce que l’interdiction de toute dissimulation d’identité, d’une façon ou d’une autre, vous paraît choquante ? L’ordre public ne pourrait-il pas constituer une troisième voie, un fondement incontestable ?

M. Jacques Myard. Une loi pourrait décider que nul ne peut se déplacer dans l’espace public sans être à visage découvert. Je ne vois pas comment une telle loi pourrait être attaquée : elle n’est pas discriminatoire ; elle ne remet pas en cause l’égalité des sexes. Et bien évidemment, on n’y parle pas de religion, parce que ce n’est pas le problème.

M. Jean-Pierre Marguénaud. Je n’ai pas dit que l’on pourrait fonder une telle interdiction sur le concept de dignité, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. J’ai simplement précisé que la Cour européenne des droits de l’homme, pour protéger la femme, utilisait quelquefois le concept de dignité, mais que, quelquefois, elle ne le faisait pas.

Est-ce que l’ordre public pourrait constituer un troisième élément ? Du point de vue de la technique du droit de la Convention, la question ne se pose pas exactement de cette manière-là. Pour savoir si un droit reconnu par la Convention, en l’occurrence le droit à la liberté de religion, a été violé ou non, il faut respecter une démarche en trois temps. Premièrement, il faut vérifier si l’ingérence dénoncée était prévue par la loi. Il peut s’agit de la loi votée par le Parlement, ou d’un avis du Conseil d’État renvoyant à un règlement intérieur, comme on l’a vu précédemment. Deuxièmement, il faut vérifier si cette ingérence prévue par la loi poursuivait un but légitime. Parmi les buts légitimes, figure la protection de l’ordre public. Troisièmement, il faut que cette mesure, prévue par la loi, poursuivant un but légitime, soit proportionnée – on parle du contrôle de proportionnalité. Dans ces questions de port du voile et de laïcité, les États disposent d’une marge d’appréciation extrêmement large. Mais, pour que l’on considère que la mesure est proportionnée, il faut qu’elle obéisse à un but social impérieux. Or, et c’est un des reproches formulés par Mme Tulkens, jamais, dans les arrêts que je vous ai cités, la Cour n’a démontré en quoi il y avait une nécessité sociale impérieuse d’interdire telle ou telle pratique. C’est un des éléments de la discussion qui est encore en cours.

M. Jacques Myard. C’est le peuple souverain qui décide !

M. Jean-Pierre Marguénaud. Oui, mais il arrive que le peuple souverain entraîne, en raison d’une loi qu’il a votée, une condamnation de la France.

M. Jacques Myard. En droit international général, l’opportunité et l’appréciation politique d’un fait relèvent absolument des États souverains. Un État a le droit de nationaliser et personne ne peut le contester. L’Assemblée nationale décide. Elle peut parfaitement estimer que cette situation doit cesser et prendre, pour y parvenir, une mesure impersonnelle, générale et non discriminatoire. La Cour n’est jamais intervenue dans un tel domaine, car elle ne peut pas se substituer à une assemblée démocratique.

M. Jean-Pierre Marguénaud. C’est un autre débat qui porte, non sur l’interdiction du voile intégral, mais sur le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme. Si tous ces mécanismes sont en place, c’est parce que la France a ratifié la Convention le 3 mai 1974, c’est parce que le recours individuel a été admis en octobre 1981 et parce que la France a ratifié le Protocole n° 11, le 3 avril 1996. Je n’y suis pour rien.

Dans un arrêt célèbre, Zielinski, Pradal et Gonzalez et autres, la France a été condamnée pour avoir appliqué une loi que le Conseil constitutionnel avait validée. Par la suite, le Conseil constitutionnel modifia sa propre jurisprudence concernant les lois rétroactives. Aujourd’hui, on peut compter par dizaines les lois que le législateur français a remises sur le métier après une condamnation par la Cour européenne. Je n’en suis pas responsable…

M. André Gerin, président. Merci beaucoup, Monsieur le professeur.

Audition de M. Pascal Hilout, représentant de l’association Riposte laïque.

M. André Gerin, président. Nous recevons à présent M. Pascal Hilout, de l’association Riposte laïque.

Votre association, Monsieur Hilout, mène un combat très clair contre le voile intégral, notamment par la voie d’une pétition lancée sur Internet. Nous voudrions savoir pourquoi vous avez pris cette initiative.

Nous aimerions également savoir comment vous interprétez l’extension de la pratique du voile intégral. Est-ce la manifestation religieuse d’un islam qui veut revenir à une tradition moyenâgeuse supposée ou plutôt la manifestation d’un courant sectaire intégriste dont les visées politiques sont réelles, mais qui n’ont rien à voir avec la religion ?

Enfin, au nom de quels principes pourrait-on interdire le port du voile intégral dans l’espace public ? Nos auditions ont montré que la laïcité n’est sans doute pas le bon terrain, puisqu’elle ne concerne que les rapports entre les institutions publiques et les personnes.

M. Pascal Hilout, représentant de l’association Riposte laïque. Pour le bien de nos concitoyennes musulmanes et des générations futures qu’elles engendreront, la République doit être inflexible sur les principes qui fondent notre vivre-ensemble. C’est pour défendre ces principes que j’ai adhéré au projet de Riposte laïque, qui est aussi profondément féministe et humaniste. La République est fondée sur des principes qui font rêver bien des peuples ; elle a des lois qu’il faudrait tout simplement appliquer, comme c’est le cas dans nos établissements scolaires publics. Sans exclure personne, la République se fait respecter lorsqu’elle en a la ferme volonté ! Vous êtes, Mesdames et Messieurs, l’expression de cette volonté, et je crois que nous pouvons compter sur vous pour consolider notre vivre-ensemble. Je dis bien « ensemble », et non pas enfermés, cloisonnés, à part ou à l’écart.

C’est depuis les années quatre-vingt que nous sommes confrontés à une offensive politique, drapée d’oripeaux religieux. Son but est de nous « dés-intégrer » à tout jamais, de consolider des enclos communautaires et sociaux sur les fameux territoires perdus de la République, et d’y installer un ordre social contraire à celui fondé sur les principes de la République.

Dans le temps qui m’est imparti, je traiterai, d’abord, du voile intégral, ensuite, de ce qu’il ne doit surtout pas nous occulter et, finalement, des moyens qui nous permettront de relever les défis auxquels la France et l’Europe sont confrontées.

Premièrement, le voile intégral.

Je suis né musulman et suis fils d’une femme voilée intégralement. Ma mère l’a été au Maroc dans les années soixante et soixante-dix. Le mot « islamiste » n’existait pas et mes parents étaient tout simplement des musulmans.

Pour les avoir pratiqués toute ma vie, je peux vous dire que les musulmans sont généralement des êtres sensibles, chaleureux et profondément respectables. Mais des pratiques sociales, dites islamiques, issues des enseignements du Coran et de Mahomet, ont peu de respect pour les êtres. Ce sont les musulmans qui en pâtissent les premiers, je tâcherai de le démontrer.

Le voile intégral est d’abord une remise en question de la liberté de disposer de son corps et de sa personne. La privation de ces deux droits transforme la femme en objet asservi à une communauté. Finie l’Égalité ! La femme est mise sous tutelle de sa famille et de son mari. Elle a besoin de chaperons, de surveillants pour pouvoir se déplacer. Dans l’espace public, elle se présente d’abord, si ce n’est uniquement, comme un élément anonyme d’une communauté qui montre ainsi qu’elle a de quoi nous faire peur.

L’individualité disparaît au profit d’une visibilité accrue et agressive d’un magma communautaire indifférencié. C’est une remise en question de ce qui constitue un des acquis les plus précieux de toute l’Europe.

Il nous faut à nouveau trancher la question au profit de l’épanouissement individuel et au détriment des communautés religieuses. Pour utiliser une formule célèbre, je vous dirai : il nous faut tout refuser aux musulmans en tant que groupe communautaire et tout garantir aux musulmans en tant qu’individus et citoyens.

Sous le voile intégral, les femmes perdent leur identité propre et, par conséquent, toute dignité et toute autonomie. Mais elles se croient valorisées, investies d’un pouvoir accru et mises en avant comme fers de lance et porte-drapeaux d’une communauté régie par un code vestimentaire, sexuel et matrimonial particulier, fondé en religion. Ce code islamique, tout à fait contraire aux acquis de nos sociétés démocratiques, libres, fraternelles et ouvertes, se résume en trois points.

D’abord, la musulmane n’a pas le droit de montrer la beauté de sa conformation, excepté à son mari, aux membres les plus proches de sa famille, aux enfants en bas âge et aux hommes que les femmes n’intéressent pas. Et c’est ainsi que la musulmane n’a même pas le droit de se mélanger aux invités masculins.

Ensuite, elle n’a pas le droit de se « bécoter sur les bancs publics », d’aller à la plage, à la piscine, au gymnase et, a fortiori, de disposer sexuellement de son corps, même si elle est adulte et célibataire.

Enfin, elle n’a le droit d’épouser que des musulmans ou des convertis bien circoncis. Cela garantit qu’elle n’engendrera que des musulmanes et des musulmans, et renforcera ainsi la communauté.

Vous l’aurez donc compris, le voile intégral est le grillage le plus abouti qui enserre et délimite le territoire le plus défendu par la communauté musulmane, à savoir le corps de la femme. Il s’agit là d’un lieu stratégique. Il s’agit du creuset de fusion où nous avons tous été conçus. Si ce territoire venait à s’ouvrir aux autres, complètement autres, à s’émanciper, c’en serait fini de nos enclos communautaires et des ghettos que les religions savent si bien consolider en érigeant des cloisons et des murs, tangibles ou symboliques, autour des êtres, notamment le corps des femmes, maillon reproducteur de bien des chaînes. Les musulmanes en France et en Europe sont aujourd’hui un enjeu stratégique majeur : ou bien elles permettront aux musulmans de fusionner avec les autres et donc de se diluer dans la société, ou bien elles perpétueront l’endogamie qui est une ségrégation immonde, parce que les lois édictées à La Mecque il y a quatorze siècles le sont.

Deuxièmement, le voile intégral ne doit surtout pas occulter le reste.

Les enclos communautaires sont un vrai danger pour la République et pour l’Europe. Ils sont à même d’installer des zones grises dans le pays et de handicaper durablement notre intégration, notre assimilation, notre fusion et notre enracinement, ici et maintenant. Voilà le vrai défi que la République doit relever. Nous pouvons le relever si nous ne reculons pas d’un pouce sur nos principes républicains.

Certaines pratiques sociales et religieuses diffuses et très basiques sont à l’œuvre, depuis un certain temps, en France et en Europe, non pas pour nous y intégrer, mais pour nous séparer et consolider un vivre à part et à l’écart.

Allons sur la place de nos marchés populaires pour constater que certaines pratiques archaïques ont déjà réussi à vicier les regards et nos relations humaines, à culpabiliser en quelque sorte les deux moitiés de l’humanité, à nous séparer par des cloisons infranchissables qui interdisent toute mixité. La séparation et le refus de mixité sont déjà là, dans la vie au quotidien : dans les fêtes, mêmes privées ; dans les mosquées, même modérées ; dans les salles de conférences – surtout celles de M. Ramadan : les femmes à droite, les hommes à gauche ! – ; sur la place du marché et dans les cafés qui entourent cette place ; dans les quartiers populaires et leurs commerces communautaires qui n’offrent plus certains produits du terroir ; dans les gymnases et dans les piscines où il y a de moins en moins de filles ; dans les cantines scolaires et dans les restaurants d’entreprises ; et bientôt dans nos banques !

Mais nous détournons le regard, comme si tout cela ne nous regardait pas !

Troisièmement, que faut-il faire pour relever ce défi ?

La République n’est pas respectée lorsque des élus acceptent, partout, des entorses à la laïcité en finançant des mosquées à hauteur de 30 %. Ce sont des estimations du ministère de l’intérieur que révélait une enquête publiée par Le Figaro et où Dalil Boubakeur affirmait tranquillement, je cite : « Aujourd’hui, les maires sont les premiers bâtisseurs de mosquées ».

D’autres entorses à la laïcité, que nous n’osons plus croire, sont de notoriété publique et se passent sous nos yeux : les préfets laissent occuper des rues entières par des prieurs du vendredi, alors que l’islam permet de prier chez soi, seul ou en petits groupes – c’est d’ailleurs ce que font les m’as-tu-vu en cas d’intempéries. Des mosquées sont financées par milliers et, malgré cela, la loi est toujours bafouée au vu et au su de tout le monde, avec une certaine complicité de la maréchaussée.

Quant aux entorses à la mixité et à l’égalité entre filles et garçons dans nos cités, piscines, gymnases, etc., la présidente de Ni Putes Ni Soumises vous en a parlé mieux que moi.

Bref, nos responsables sur le terrain ont, à chaque fois, trouvé des arrangements clientélistes et accepté de plus en plus d’accommodements où aucune réciprocité n’est exigée des partenaires musulmans. Et en matière de marchandage, les barbus sont autrement plus doués que nos maires : ils ne vous délivreront rien de concret – que des bonnes paroles et des promesses jamais tenues ! Et pendant ce temps-là, le Dr Moussaoui, à la suite du Dr Boubakeur, ne délivre que des somnifères à Marianne.

Ne nous étonnons donc pas que des ghettos communautaires se soient constitués petit à petit et que les voiles de plus en plus couvrants aient fini par enterrer vivantes nos concitoyennes musulmanes. Le voile intégral n’est que la partie apparente d’un iceberg tout à fait capable de nous déchirer et de nous disloquer.

Nous ne sommes ni en 1905 ni en 1968. Le champ social a totalement changé et nous devons changer d’optique pour y voir clair. Face à certaines pratiques de l’islam, plus ou moins visibles à l’œil nu, nos catégories intellectuelles habituelles sont tout simplement inopérantes et obsolètes.

Il nous faut donc, à nouveau, apprendre à discerner.

Il y a, d’une part, la question sociale qui ne m’a pas attendu, moi le musulman, pour se poser. Et elle se posera tant que la misère africaine et asiatique poussera des êtres à chercher de meilleures conditions de vie à nos côtés. Nous devons tout faire pour réduire les inégalités, les discriminations et les injustices sociales qui ne touchent pas que des musulmans. La misère est aveugle à nos appartenances.

Il y a, d’autre part, ce qu’il faut bien appeler la question islamique. Oui, il y a une question islamique qui s’ajoute à la question sociale. Elle se pose en France et en Europe parce que l’islam est muni de mécanismes internes fondés sur des interdits et des restrictions. Leur mise en pratique conduit à la constitution de ghettos culinaires, vestimentaires, sexuels, esthétiques, médicaux, matrimoniaux, sépulcraux, et je pourrais ajouter commerciaux et, bientôt, bancaires – qui enferment pendant toute une vie, de la conception à la mort. Même si nous vivons sous le même ciel, des pratiques religieuses très basiques nous condamnent à vivre – et à mourir – séparés, à part ou à l’écart.

Tous les citoyens, aussi bien musulmans que non-musulmans, doivent dire non à toutes les prescriptions, attitudes et pratiques sociales liberticides, sexistes, séparatistes et ségrégationnistes, même si elles sont, à tort ou à raison, fondées en religion.

Il nous faut oser dire non ! La religion avec ses lois archaïques ne régentera pas la vie dans nos quartiers ! La République et les républicains doivent reconquérir leurs droits là où ils les ont abandonnés à des caïds et à des manipulateurs de consciences, quelquefois par télé ou écran interposé – vous en avez eu un exemple ici !

M. Jacques Myard. Monsieur Hilout, quelle conception du corps humain ont les islamistes radicaux ?

Mme Françoise Hostalier. Les femmes les plus revendicatrices sont souvent des converties, des Françaises issues de milieux « normaux » et de l’École de la République, et non des jeunes femmes originaires d’autres pays et ne parlant pas la langue française. Comment expliquer cet échec de la République ?

Si votre exposé va dans le sens de ce que nous pensons tous ici, que feriez-vous à notre place, notre problème aujourd’hui étant le seul voile intégral. Comment gommer ce « sommet d’un iceberg » dont vous parlez ? Faut-il une loi ou non, et si oui, sur quels principes doit-elle se fonder ?

Mme Pascale Crozon. Au cours de l’histoire, le corps des femmes a toujours été un enjeu important à la fois pour les politiques et les religieux, car il est le réceptacle de la vie et que le problème a pendant longtemps été de savoir si l’enfant était bien issu du père. L’histoire des femmes est très longue, nous nous battons depuis très longtemps et j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet. Aujourd’hui, si les femmes sont à égalité dans la loi, elles ne le sont pas tout à fait dans la société. Certaines mentalités doivent encore évoluer et nous n’allons pas baisser les bras aujourd’hui, alors que nous avons déjà gagné beaucoup de choses.

M. Pascal Hilout. Monsieur Myard, ce ne sont pas les seuls intégristes qui ont un problème avec le corps, mais c’est tout simplement le Moyen-Orient, et bien avant l’islam. À un islamologue réputé faisant semblant de ne pas voir la différence entre Orient et Occident, j’ai répondu qu’une ficelle reliant une statue d’Apollon placée en Turquie à une statue de Vénus placée du côté de l’Espagne est en quelque sorte un marqueur entre l’Europe, l’Occident, où l’on honore la beauté du nu, et le Sud, l’Orient, où l’on ne considère pas le corps comme une beauté, où elle est cachée. Le problème vient donc de l’islam, c’est-à-dire du Coran, de Mahomet et de tous les musulmans. C’est culturel.

Madame Hostalier, d’abord, tous les convertis veulent montrer qu’ils adhèrent beaucoup plus. Ensuite, ces femmes, croyant sortir d’une communauté ayant perdu ses valeurs, où la chrétienté est totalement diluée, entrevoient une communauté musulmane très soudée et chaleureuse, avec des valeurs, et qui leur donnera plus de force. Malheureusement, la communauté se sert d’elles comme de porte-drapeaux. En outre, en masquant leur visage, elles n’existent pas, elles existent seulement aux yeux de la communauté – jeu que savent parfaitement utiliser toutes les sectes au détriment des jeunes, des faibles et des exclus.

Il est très difficile de répondre à la question de savoir ce que je ferai à votre place ! J’ai écouté pratiquement toutes vos auditions : même les juristes ne savent pas très bien y répondre. On vit d’ailleurs dans une époque formidable, car en suivant le travail de nos députés, on se sent vraiment citoyens. Je crois, moi, qu’il faut avoir le courage politique de donner une impulsion nouvelle, car cela peut ouvrir des portes auxquelles on n’avait jamais pensé.

Le législateur n’ayant jamais eu à définir le droit et l’obligation d’être soi-même dans le code civil, le moment est venu de faire évoluer le droit, car ces dames n’existent pas – c’est la communauté qui existe –, alors que la personne humaine est inaliénable ! Moi, le musulman, je vous le dis très franchement : la République s’est malheureusement laissée aller à discuter avec des représentants de communautés, dont un que vous venez de recevoir ! Eh bien non, dans une République, on connaît les communautés, mais on ne les reconnaît pas !

Madame Crozon, nous avons toujours besoin des femmes pour le maintien du genre humain et pour porter les enfants durant neuf mois ! Dans l’Antiquité et même du temps de Mahomet, la force de travail était rare et il fallait engendrer plus de forces. La femme est donc une force économique. En laissant neuf veuves interdites de remariage, Mahomet a signifié sa capacité à entretenir neuf femmes et sa volonté d’avoir une descendance que Dieu avait réservée à Abraham et à sa descendance.

Mme Pascale Crozon. Il y a encore peu de temps dans notre pays, on se mariait dans le même village ou à côté, et les femmes faisaient obligatoirement partie de la famille du mari. Nous souhaitons qu’elles ne se retrouvent pas dans cette situation aujourd’hui : enfermées.

Riposte Laïque m’envoie beaucoup d’écrits, et je lis tous les vôtres. Si j’approuve beaucoup de choses, j’ai cependant vu au fil du temps une critique de plus en plus forte à l’égard de Caroline Fourest, que j’apprécie beaucoup. La situation s’est progressivement dégradée entre vous.

M. Pascal Hilout. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour Mme Fourest. Elle a écrit des livres formidables, a immédiatement publié dans sa revue ProChoix le premier article que je lui ai envoyé, et fait partie de ceux que j’appelle nos amis contradicteurs – et c’est cela qui est bien en République : la variété. Cependant, comme je l’ai écrit, elle louvoie autour du pot sacré. Croire que Ghaleb Bencheikh ou des soi-disant modérés de France vont changer la situation sans toucher à l’essentiel – aux deux pieds de sable de l’islam, le Coran et Mahomet, intrinsèquement incompatibles avec la liberté et l’égalité, donc la démocratie – est une illusion, une de plus chez les musulmans depuis 1850. Autrement dit, les gens qui prétendent faire la réforme de l’islam sans toucher à Mahomet et au Coran se trompent complètement, et je l’ai expliqué plusieurs fois à Mme Fourest. M. Tariq Ramadan est un musulman tout court, pas un musulman progressiste, puisqu’il utilise un discours islamique archaïque !

Si l’on veut vraiment toucher à l’islam, on peut dire par exemple : « J’ai demandé à être enterré en rang à côté de mes voisins et concitoyens du village ». C’est tout ! J’ai aussi proposé aux musulmans de sacrifier pour l’humanitaire au lieu de sacrifier un mouton. C’est du concret ! Il est tellement simple de toucher à l’essentiel ! Bien d’autres choses sont possibles. Caroline Fourest devrait comprendre certaines choses et nous dire en face, à nous musulmans, que l’islam n’est malheureusement pas adapté à notre temps.

M. André Gerin, président. Ce débat est entre Mme Fourest et vous. L’objectif de notre mission est de combattre le voile intégral – qui n’est pas un signe religieux – et ce qu’il recouvre : une dérive communautariste, intégriste, fondamentaliste. Nous souhaitons aussi déboucher sur des préconisations qui soient partagées par les responsables du culte musulman et la majorité des musulmans pour créer les conditions d’un islam de France dans le respect du principe de laïcité.

L’enjeu est politique, voire géopolitique, et nous sommes plus que déterminés à tenir cette ligne avec les musulmans et la population française pour laisser toute sa place à la deuxième religion de France, faire reculer ces intégristes, ces fondamentalistes qui pourrissent la vie de nos quartiers et instrumentalisent l’islam à des fins politiques, et parvenir au vivre ensemble.

Je vous remercie, Monsieur Hilout, pour votre exposé.

L’audition s’achève à dix-neuf heures quarante .