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Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Mercredi 27 mai 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Guy Geoffroy, Rapporteur

– Audition de Mme Catherine Wintgens, chef de bureau des politiques sociales du logement au ministère du développement durable, et de Mme Solange Alidières, adjointe au chef de bureau de la lutte contre l’exclusion à la direction générale de l’action sociale

– Audition de Mme Nadine Neulat et de Mme Anne Rebeyrol, de la direction générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale

La mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné Mme Catherine Wintgens, chef de bureau des politiques sociales du logement au ministère du développement durable, et de Mme Solange Alidières, adjointe au chef de bureau de la lutte contre l’exclusion à la direction générale de l’action sociale.

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. Guy Geoffroy, président. Je vous prie de bien vouloir excuser Mme Bousquet, présidente de la mission.

Nous avons le plaisir de vous accueillir, Mesdames, pour une table ronde consacrée à l’hébergement et au logement des femmes victimes de violences.

Une conviction, d’abord : les situations sont très différentes d’un département à l’autre. Globalement, le nombre de logements d’urgence, de moyen terme et de long terme pour les femmes victimes est insuffisant. Lorsqu’ils existent, les places d’hébergement et les logements ne sont pas toujours adaptés aux besoins des victimes – ils ne permettent pas d’accueillir la mère et ses enfants, par exemple. Quant aux possibilités d’hébergement des auteurs de violences faisant l’objet d’une mesure d’éviction du domicile, elles demeurent très rares. Mesdames, vous avez la parole.

Mme Solange Alidières. Comme en témoigne la circulaire du 4 août 2008, signée de Mme Boutin et de Mme Létard, la question de l’hébergement et du logement des femmes victimes de violence fait l’objet d’un travail interministériel approfondi. Par ailleurs, elle a été introduite systématiquement dans les plans gouvernementaux récents et dans les travaux de recueil de données.

Toutefois, cette problématique demeure incluse dans celle, plus générale, des personnes sans abri ou mal logées. Il est difficile d’établir des priorités ; les femmes victimes de violences bénéficient donc, au même titre que les autres publics en difficulté, des améliorations que nous nous efforçons d’apporter à la situation du logement, tant sur un plan qualitatif que quantitatif.

Les mesures contenues dans le plan de cohésion sociale, dans le plan d’action renforcé en direction des personnes sans abri de 2007, dans le plan Pinte en 2008 et dans l’actuel plan de relance visent à améliorer les conditions d’accès aux structures d’hébergement, spécialisées ou non.

Le principe de continuité a été inscrit dans la loi : il affirme, afin d’éviter le retour à la rue, que toute personne accueillie dans un centre d’hébergement d’urgence peut y demeurer et, depuis la loi du 25 mars 2009, y bénéficier d’un accompagnement social jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée.

Le plan d’humanisation des structures d’hébergement, amplifié par le plan de relance, vise à mieux préserver l’intimité des personnes : des chambres comportant un ou deux lits et des unités familiales sont prévues.

Par ailleurs, l’accompagnement social est renforcé dans les structures d’hébergement d’urgence, afin que la prise en charge soit effective dès l’entrée dans le dispositif.

Les réponses doivent être fondées sur un diagnostic territorial partagé entre les associations, l’État et les collectivités locales. Déjà dans le cadre du plan Pinte, les diagnostics établis durant l’été 2008 incluaient la question de l’accueil des femmes victimes de violence. Ce travail devrait être poursuivi au travers des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion, prévus par la loi "Mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion" du 25 mars 2009.

Ces plans quinquennaux feront un état de l’existant et apprécieront les besoins des publics spécifiques. Afin de garantir une meilleure articulation entre hébergement et logement, ils sont inclus dans les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées.

Si l’ENVEFF a montré que la violence était partagée par tous les milieux sociaux, les victimes qui s’adressent à nos services sont pour la plupart en situation de précarité. Notre priorité – rappelée par la circulaire de 2008 – est de les maintenir dans leur logement, lorsque c’est possible et si elles le souhaitent – ce qui n’est pas le cas de toutes les victimes, et qui pose aussi, parfois, des problèmes juridiques. Nous privilégions ensuite l’accès à un logement, ordinaire ou adapté. Les structures d’hébergement jouent quant à elles un double rôle : elles permettent d’accueillir les victimes dans l’urgence mais aussi, sur le moyen terme, de leur fournir une présence bienveillante et un accompagnement social renforcé.

Même si elle fait débat parmi les associations, l’idée de doter chaque département d’une structure dédiée à l’hébergement des femmes victimes de violences mérite notre attention. Une alternative est de doter une structure généraliste d’une équipe formée et compétente dans le domaine, comme cela se fait pour l’hébergement des victimes de la traite des êtres humains.

Si la majorité des départements disposent déjà d’une structure spécialisée, l’offre de certains départements, comme à Paris et dans d’autres départements où la question du logement est aiguë, reste insuffisante. En revanche, dans les départements ruraux, un ou deux appartements, avec accompagnement social, peuvent suffire. Les situations sont variables d’une ville à l’autre, d’une personne à l’autre.

En 2005, on dénombrait plus d’une centaine de structures spécialisées. Une enquête flash, réalisée au mois de juin 2008, a montré que nous disposions de presque 3000 places d’accueil spécialisées. Une enquête plus approfondie menée par le ministère sur l’hébergement et le logement temporaire devrait fournir des résultats actualisés fin 2009. Bien entendu, le nombre de victimes accueillies dépasse celui des places spécialisées, puisque les structures généralistes accueillant les femmes ou les publics mixtes leur sont également ouvertes.

Les crédits affectés à l’hébergement et au logement adapté, tous publics confondus, représentent 1 milliard d’euros pour l’année 2009, en incluant les crédits du plan de relance ; si l’on s’en tient aux 3000 places d’accueil spécialisées dans l’accueil des victimes de violences conjugales, 15 500 euros étant consacrés en moyenne à chacune, on peut évaluer à environ 46, 5 millions d’euros le coût de ces places.

C’est principalement contre le manque de fluidité que nous devons lutter. L’offre étant insuffisante, les places en hébergement demeurent occupées par des personnes qui pourraient vivre en logement, éventuellement adapté et avec un accompagnement social. Du coup, les structures sont embouteillées. C’est un problème considérable, plus crucial encore dans les zones « tendues ».

Mme Catherine Wintgens. Rappelons que la crise du logement est ressentie différemment sur le territoire. Ainsi 90 % des recours permis par la loi DALO sont concentrés dans six régions – et tout au plus dans 25 départements – et deux tiers d’entre eux concernent la région parisienne !

Mme Solange Alidières. Même si nous continuons de créer des places d’hébergement – notamment grâce au plan de relance – nous tendons à stabiliser leur nombre et à porter tous nos efforts sur l’accès au logement.

Les femmes accueillies en CHRS (Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale) sont le plus souvent en situation de précarité. Comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours devant le Conseil économique et social, l’accueil en hébergement d’urgence est inconditionnel : il n’y a aucun obstacle législatif ou réglementaire à l’accueil des personnes en situation irrégulière. Les femmes hébergées cumulent le plus souvent les difficultés, ce qui leur rend d’autant plus difficile l’accès à l’autonomie.

S’agissant de l’accueil des jeunes filles victimes ou en risque de mariage forcé, les associations compétentes pour ce problème signent des conventions avec les associations spécialisées dans l’hébergement. Une structure spécifique pourrait ouvrir ses portes en 2010 – le plan de relance a prévu une quinzaine de places à cet effet. Par ailleurs, un département du Sud a lancé une initiative visant à réserver à ces victimes certaines places en accueil familial.

Dans le cadre du premier plan de lutte contre les violences faites aux femmes, une expérience a été lancée dans trois départements afin de développer l’accueil familial. L’expérience se poursuit actuellement à la Réunion, le dispositif ayant été étendu à l’ensemble des publics en difficulté. Dans le cadre du deuxième plan, le dispositif a été mis en place dans d’autres départements. La principale difficulté tient à la délivrance des agréments, certains conseils généraux estimant que ce n’est pas de leur ressort. L’objectif de cent familles d’accueil recrutées n’est pas encore atteint.

Les conseils généraux comptent parmi leurs compétences la protection de l’enfance. La loi du 25 mars 2009 précise dans son article 68 que cette compétence inclut la prise en charge des femmes isolées, enceintes ou accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Avant l’entrée en vigueur de cette loi, la moitié des départements finançaient déjà par convention l’accueil de ces femmes dans les structures d’État. Pour les autres départements, l’équilibre était le plus souvent respecté, les conseils généraux pouvant contribuer à la prise en charge des publics en difficulté, sans distinction. Nous souhaitons toutefois que la loi de 2009 soit clairement appliquée à cet égard.

Si certains départements prévoient de manière systématique l’accueil du conjoint violent en CHRS, la circulaire de 2008 rappelle que l’éviction du domicile n’entraîne pas nécessairement l’hébergement. En effet, les auteurs peuvent la plupart du temps subvenir à leur logement sans dépendre des financements publics. Nous ne disposons pas de statistiques nationales à ce sujet.

La question de l’accueil des femmes victimes de violences doit bénéficier d’un bon pilotage, aussi bien sur le plan national que local. Elle doit être traitée en partenariat par l’ensemble des acteurs concernés, et faire en particulier l’objet d’échanges entre la justice et les services de l’Etat chargés de l’hébergement. Le Service des droits des femmes a joué un rôle particulièrement important dans l’établissement des diagnostics Pinte à l’été 2008 ; il devra être associé à l’élaboration des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion afin de déterminer précisément les besoins spécifiques pour l’accueil des femmes victimes de violences.

Mme Catherine Wintgens. L’accueil des victimes de violences conjugales découle d’une politique interministérielle, comme en témoigne la circulaire signée de Mmes Boutin et Létard. Mon bureau – sous tutelle du ministère du logement – collabore de manière étroite avec la DGAS.

La loi du 25 mars 2009 constitue une avancée pour les femmes victimes de violences. L’article 80 assouplit les règles de calcul relatives au respect des plafonds de ressources pour l’attribution d’un logement social : il prévoit que les ressources prises en compte ne sont plus celles du couple, mais celles du demandeur, sous réserve qu’un récépissé de dépôt de plainte accompagne cette demande. Par ailleurs, l’article 81 crée une nouvelle catégorie de demandeurs prioritaires : les personnes mariées, liées par un pacs ou vivant maritalement pouvant justifier de violences au sein du couple.

L’article 69 de la même loi permettra d’accroître considérablement la fluidité de la chaîne : il prévoit l’établissement de plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion, intégrés aux plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées. L’analyse de l’offre et celle des besoins en matière d’hébergement et de logement seront ainsi parfaitement articulées, afin d’offrir une palette de solutions aussi large que possible.

Votre mission s’est interrogée sur les possibilités de transfert de bail. Seuls les couples mariés bénéficient automatiquement de la cotitularité du bail. Le bailleur n’est pas tenu d’accepter qu’un couple demandeur, pacsé ou en vie maritale, obtienne la cotitularité et, a fortiori si le locataire célibataire se pacse pendant la durée de son bail. Si elle n’est pas cotitulaire, la femme pacsée ou concubine n’a aucun droit au maintien dans les lieux.

Il n’existe pas de disposition particulière permettant de rompre le bail détenu par le conjoint violent. Certes, le bailleur peut donner congé pour motif légitime et sérieux, comme un trouble de jouissance, mais dans ce cas, la femme en subira également les conséquences. La seule possibilité de transfert repose sur l’article 14 de la loi de 1989 sur les rapports locatifs, qui prévoit qu’en cas d’abandon – départ brusque et imprévisible ou décès – le bail peut être transféré au conjoint.

Enfin, les bailleurs sociaux peuvent accepter que la femme change de logement, sous réserve qu’elle constitue une nouvelle demande et que les plafonds de ressources soient respectés. Rappelons qu’en vertu de la loi du 25 mars 2009, seules ses ressources seront prises en compte et sa demande sera considérée comme prioritaire.

M. Bernard Lesterlin. En d’autres termes, une femme active, battue par un conjoint chômeur titulaire du bail, est vouée à rester à la rue si ses ressources dépassent le plafond prévu pour l’attribution d’un logement social !

Mme Catherine Wintgens. L’accès au logement social est en effet conditionné par les ressources.

M. Guy Geoffroy, président. Notre mission prend très au sérieux cette question : nous savons que le conjoint violent peut avoir développé une démarche très structurée de captation des ressources, quand bien même elles sont apportées par la victime. Les ressources apparentes entrant dans le calcul pour une demande de logement ne seront donc pas toujours les ressources réelles. Pensez-vous que nous devions imaginer des dispositions législatives exorbitantes du droit commun, et ce afin que l’avancée de la loi du 25 mars 2009 soit réelle ?

Mme Catherine Wintgens. Le parc locatif social n’accueille pas que des personnes sans ressources : 60 % de la population remplit les conditions de ressources pour accéder à un logement. Mais la difficulté tient plus à l’insuffisance des logements et à la concurrence pour les obtenir, même si la politique des bailleurs sociaux est de mixer les différents types de population.

La crise du logement transparaît dans le nombre de recours amiables déposés dans le cadre de la loi DALO : à la fin du mois de mars, on en dénombrait 78 000, pour 9 000 relogements seulement. Les demandeurs reconnus comme prioritaires par les commissions DALO s’ajoutent aux autres personnes prioritaires, si bien que l’on se retrouve à arbitrer entre demandes toutes prioritaires…

M. Guy Geoffroy, président. Il arrive que des communes, du fait d’un partenariat actif avec les bailleurs sociaux et de leur implication auprès des associations gestionnaires de CHRS, cherchent elles-mêmes des solutions de logement afin de fluidifier le passage de l’hébergement au logement. Selon vous, les pouvoirs publics peuvent-ils jouer un rôle de facilitateur et aider ces communes, dont ce n’est pas la compétence, dans le financement de ces projets ?

Mme Catherine Wintgens. De fait, la compétence logement est partagée puisque les aides à la pierre sont déléguées – 50 % sont entre les mains des collectivités locales, notamment des EPCI – dans le cadre de conventions avec l’État.

Les coûts de fonctionnement d’un logement peuvent être compensés par le loyer, ce qui n’est pas le cas des places en hébergement. Dans le cadre du chantier national prioritaire des sans abri et des mal logés et du plan de relance, l’État envisage un surfinancement pour l’humanisation des places en CHRS.

Mme Solange Alidières. Les communes peuvent utiliser l’aide au logement temporaire – ALT –, qui permet de compenser les charges de loyer. C’est le cas d’une municipalité qui met deux appartements à la disposition des femmes victimes de violences conjugales. Par ailleurs, les communes peuvent aider à la mobilisation du parc privé, dans le cadre des dispositifs impulsés par l’État.

M. Bernard Lesterlin. Ce débat sur le financement du logement social est certes intéressant mais ne répond pas à la préoccupation de notre mission : comment apporter une réponse aux situation aiguës dans lesquelles se trouvent les femmes victimes de violences ?

La complexité des mécanismes – qui nécessite d’ailleurs ce travail en complémentarité dont vous vous prévalez – illustre bien leur inadaptation aux situations qui intéressent notre mission. Nous parlons ici de l’urgence, pas de l’aide à la pierre, et nous cherchons à identifier les éléments de législation et de réglementation qui font obstacle à la mise en œuvre d’une réponse rapide. C’est la question de l’hébergement qui doit retenir toute notre attention. Le problème de l’articulation entre hébergement et logement, pour être important, est moins aigu.

En la matière, la compétence est celle du juge, qui évalue le caractère d’urgence. La mise en œuvre d’un dispositif physique pour l’accueil des victimes est bien de la responsabilité de l’État, même si les maîtres d’ouvrage peuvent être des collectivités locales. De la même manière, les départements sont compétents en matière de protection de l’enfance, mais il incombe au juge des enfants de déterminer l’urgence.

Pensez-vous que nos préconisations puissent contribuer à réhabiliter l’État dans cette fonction régalienne ? Il s’agirait de recommander que l’État, lorsqu’il est relayé dans l’exécution du projet par les collectivités, abonde les maîtres d’ouvrage. 

Par ailleurs, nous raisonnons de manière locale alors que certaines situations justifient un éloignement géographique : une femme doit pouvoir être hébergée provisoirement dans une autre région afin de ne plus être importunée par son conjoint violent. L’État peut-il intervenir afin de favoriser la mobilité, l’interdépartementalité ?

Enfin, une situation juridique choquante veut que l’éviction du domicile du conjoint violent soit impossible lorsque celui-ci détient le bail. La loi devrait-elle permettre d’y déroger, lorsqu’il y a urgence et dans le cadre d’un contrôle strict ?

Mme Françoise Branget. Dans mon département, les associations qui prennent en charge les situations d’urgence ont une délégation de service public. Je pense notamment à une association, forte d’un réseau de 500 membres, qui accueille dans ses locaux, sur décision du juge, les femmes accompagnées d’enfants. L’établissement est financé à 60 % par l’État et à 30 % par la collectivité. C’est un dispositif qui fonctionne très bien et qui est à même de répondre à tous types de situations. Mais ce qui pose problème est la phase suivante, celle de l’installation dans un logement. Les femmes qui ne veulent pas réintégrer le domicile conjugal éprouvent des difficultés à trouver un logement dans un délai convenable.

Mme Monique Boulestin. En matière de logement, les disparités territoriales, vous l’avez souligné, sont immenses. Cependant, la question des violences conjugales est spécifique : la personne est placée dans une situation d’urgence et doit trouver dans les 24 heures une solution, sous peine de se mettre en danger, elle et ses enfants.

Or la complexité des lois constitue un tel obstacle que, souvent, les femmes choisissent de ne pas quitter le domicile. Il est déjà difficile pour elles de faire admettre à la société qu’elles courent un danger, il est plus compliqué encore d’y échapper en trouvant une solution d’hébergement. Nous vous demandons de nous donner des pistes afin d’améliorer la législation sur ce point.

Mme Solange Alidières. Souvent, dans l’urgence, les femmes se rendent dans une association, avant même d’en appeler à la justice. Elles ne recherchent pas toujours une solution d’hébergement, mais une écoute, une parole. C’est la raison pour laquelle la loi devrait au moins prévoir, dans chaque département, un lieu d’information et d’accueil pour les femmes victimes de violence.

Mais les solutions ne découlent pas toutes de la loi. Comment expliquer que, dans un même cadre législatif, les dispositifs fonctionnent dans certains départements et pas dans d’autres ? Il s’agit sans doute d’une question de pratiques, de bonne coordination entre les différents acteurs, et de moyens.

Mme Catherine Wintgens. Il faudrait en effet que chaque département mette en place un dispositif d’urgence, ouvert la nuit, consacré à l’écoute et à l’hébergement. Mais cela pourrait prendre des formes différentes d’un département à l’autre.

M. Guy Geoffroy, président. Il faut veiller à ce que la réponse à l’urgence soit la plus équitable possible d’un département à l’autre. Globalement, la réponse apportée en matière d’hébergement est satisfaisante, mais cela ne suffit pas. C’est le lien entre l’hébergement et le logement qui pose problème. Il arrive trop souvent que la personne, bien qu’entrée dans une phase de reconstruction, bute sur le problème de son relogement. L’hébergement dure alors au-delà du nécessaire, ce qui obère d’autant les capacités d’accueil du centre.

Mme Catherine Wintgens. De nombreux plans départementaux prennent en compte cette articulation et tentent de faciliter l’accès au logement social des femmes victimes de violences en raccourcissant les délais d’attribution.

Mme Solange Alidières. L’interdépartementalisation des dispositifs d’accueil existe, à une échelle plus modeste, pour les victimes de la traite des êtres humains. Une femme en danger à Nice peut être hébergée à Brest.

Mme Catherine Wintgens. L’interdépartementalisation a été introduite par la loi DALO. Elle fonctionne d’ores et déjà en Ile de France, sous l’autorité du préfet de région.

M. Guy Geoffroy, président. Mesdames, je vous remercie d’avoir contribué à notre réflexion.

*

* *

La mission a ensuite auditionné Mme Nadine Neulat et de Mme Anne Rebeyrol, de la direction générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale.

M. Bernard Lesterlin, président. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Nadine Neulat, en charge du bureau de l’action sanitaire et sociale et de la prévention à la direction générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, et Mme Anne Rebeyrol, chargée de mission parité hommes/femmes et laïcité-intégration au même ministère.

Un questionnaire vous a été adressé, mesdames, comprenant trois volets : les violences en milieu scolaire ; l’éducation à l’égalité filles/garçons, à la sexualité et au respect ; et la problématique des enfants exposés indirectement aux violences faites aux femmes, c’est-à-dire aux violences conjugales. Je vous propose, dans un propos liminaire, de nous donner vos premières réponses à ces questions.

Mme Nadine Neulat. Un nouveau système de recueil des faits de violence en milieu scolaire a été mis en place à la rentrée 2007, en remplacement du dispositif SIGNA qui a été opérationnel de 2001 à 2006. Ce dernier a été interrompu de manière assez brutale après que Le Point a publié, à partir de données brutes tirées de ce dispositif, un « palmarès » des établissements les plus « dangereux ». Cela avait entraîné une forte réticence des chefs d’établissement à fournir des renseignements, si bien qu’il y a eu une interruption d’un an dans le recueil des données de violence.

Le nouveau système, SIVIS – système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire – consiste en une enquête menée tout au long de l’année par la direction chargée des études statistiques du ministère auprès d’un échantillon national d’un millier d’établissements publics du second degré et comprenant deux parties : un recensement des faits de violence les plus graves, et des questions sur l’ambiance au sein des établissements scolaires et son évolution. C’est la première partie qui est exploitée de manière approfondie par la direction des études statistiques. Un bilan est diffusé chaque année et disponible sur le site du ministère.

Le logiciel SIVIS permet un recensement plus homogène des faits de violence puisqu’il s’en tient aux faits les plus graves, ceux qui ont donné lieu, soit à des soins pour la victime, soit à un dépôt de plainte. Les faits d’incivilité ne sont pas relevés. Le dernier état montre que les faits de violence sont concentrés sur un nombre relativement restreint d’établissements, principalement sur les collèges et les lycées professionnels.

Une autre enquête est en cours qui, contrairement à SIVIS – qui est réalisé à partir des déclarations des chefs d’établissement –, consiste à interroger directement, soit les élèves, soit les personnels, qui ont pu être victimes de faits de violence mais n’ont pas forcément porté plainte ni ne l’ont signalé. Le questionnaire de cette enquête de victimation a été élaboré avec des personnels de terrain et en lien avec l’Observatoire national de la délinquance. Elle est actuellement expérimentée dans l’académie de Lille. Ce type d’enquête est réalisé en population générale, ce qui permet notamment de recueillir des données sur les violences faites aux femmes.

Les données recueillies par SIVIS sont sexuées, à la fois pour les auteurs et pour les victimes. Comme ces données n’ont pas encore été exploitées, j’ai demandé, en vue de cette audition, à la direction de l’évaluation et de la prospective – DEP – d’en faire une exploitation sexuée, que nous vous ferons parvenir. Les dernières données dont nous disposons émanent de l’ancienne enquête SIGNA. En 2004, une note d’information de la DEP intitulée « Auteurs et victimes des actes de violence signalés par les établissements publics du second degré » indique que les filles représentent 30 % des élèves victimes d’incidents. Elles sont moins exposées que les garçons aux violences physiques avec ou sans armes, mais presque autant aux insultes et au vol. Les filles sont auteurs d’un acte sur six commis par les élèves mais sont rarement auteurs d’atteintes physiques à autrui, de dégradations ou de port d’arme. Les faits les plus violents ne sont pas imputables aux filles. L’académie de Strasbourg a réalisé une étude sur les relations entre garçons et filles intitulée « Filles et garçons face aux violences scolaires ». C’est un exemple d’analyse académique de bonne pratique que nous pourrons vous laisser en attendant l’analyse plus globale de la DEP.

Plutôt que d’analyser une à une les propositions du rapport de Mme Belloubet-Frier, Mme Rebeyrol et moi-même vous ferons une réponse globale sur les suites qui leur ont été données. Plusieurs dispositifs ont été mis en place et plusieurs textes ont été publiés depuis quelques années, dont certains émanent de ce rapport.

L’éducation à la sexualité est un des leviers sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour travailler sur les relations entre filles et garçons. La loi de 2001 sur l’IVG a imposé à l’Éducation nationale de mettre en place des séances d’éducation à la sexualité à l’école primaire, au collège et au lycée. Il n’en existait auparavant qu’en quatrième et troisième. À la suite de cette loi, nous avons publié une circulaire qui donne des indications très précises sur le cadre de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire et sur son organisation.

Nous avons édité un guide d’intervention pour les collèges et les lycées proposant des fiches pour les intervenants qui sont, soit des personnels de l’Éducation nationale, soit des personnes extérieures, puisque les associations habilitées peuvent s’y associer, en cohérence avec le projet d’établissement. Nous sommes en train de terminer un document destiné plus spécifiquement à l’école primaire. Nous nous fondons, pour cela, sur les nouveaux programmes qui mentionnent l’éducation à la sexualité en fin d’école primaire – en CM1 et CM2. Nous mettons l’accent sur le respect de l’autre, la relation à l’autre, le respect entre filles et garçons, la connaissance du corps, avec des approches adaptées à l’âge des élèves.

Dans le socle commun de connaissances et de compétences, qui est aujourd’hui le texte de référence, il est inscrit, dans le pilier 6, qui concerne les compétences civiques et sociales, que tout élève doit être éduqué à la santé et à la sexualité.

Un autre cadre sur lequel nous nous appuyons pour travailler sur ces questions est le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté, qui figure maintenant dans le code de l’éducation comme une instance de pilotage de l’établissement scolaire du second degré. Placé sous la responsabilité du chef d’établissement, il intègre à la fois des personnels de l’établissement, des élèves, des parents et des partenaires extérieurs. Il a pour vocation de fédérer un ensemble d’axes de travail dans les domaines de l’éducation à la santé et à la sexualité et de la prévention de la violence. Une circulaire de 2006 organise le travail de ces comités.

Enfin, nous avons travaillé, à la demande du cabinet, sur un certain nombre de mesures à préconiser en cas de violences intrafamiliales, ces dernières ayant des conséquences désastreuses sur les enfants. Elles ont pour but de mieux former les enseignants et les personnels sociaux et de santé au repérage des enfants en souffrance et à leur meilleure prise en charge. Elles tendent également à préciser le rôle des personnels de l’Éducation nationale dans les procédures, prévues par la loi, de signalement des enfants en danger afin de parvenir à une meilleure efficacité.

Mme Anne Rebeyrol. La circulaire de rentrée 2009, qui donne les grandes orientations pour l’année scolaire 2009-2010, a été publiée il y a une semaine. Elle comprend un chapitre consacré à la lutte contre la violence et les discriminations. En plus du rappel de l’importance de l’éducation civique et du socle commun, elle souligne l’idée que l’école – je cite le texte introductif de la circulaire – « est un lieu où s’affirme l’égale dignité de tous les êtres humains : la communauté éducative doit faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande fermeté à l’égard de toutes les formes de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie et de sexisme. Tout propos, tout comportement qui réduit l’autre à une appartenance religieuse ou ethnique, à une orientation sexuelle, à une apparence physique, appelle une réponse qui, selon les cas, relève des champs pédagogique, disciplinaire, pénal ou de plusieurs d’entre eux. »

Cette volonté de lutter contre toutes les formes de violence doit également figurer dans les règlements intérieurs. La circulaire précise explicitement que ces derniers « doivent impérativement mentionner le refus de toutes les formes de discrimination et les nommer clairement ; ainsi que l’interdiction de tout harcèlement discriminatoire portant atteinte à la dignité de la personne. Il en va de même pour les propos injurieux ou diffamatoires. » C’est un vrai pas en avant car ce règlement est la base de la communauté éducative, et de plus il est très souvent travaillé en classe : en sixième ou en seconde – souvent, dans ce dernier cas, dans le cadre de l’ECJS, l’éducation civique, juridique et sociale.

Je souhaite, par rapport au questionnaire, insister sur trois points : les programmes, la formation des enseignants, et les travaux de la convention interministérielle sur l’égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes dans le système éducatif.

Comme l’a rappelé Mme Neulat, le socle commun de connaissances et de compétences est aujourd’hui la base de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire l’école élémentaire et le collège, en fonction de laquelle sont faites les évaluations. Le respect de soi, le respect des autres et le refus de l’intolérance y figurent en bonne place.

On peut souligner deux aspects dans ces programmes : la place du respect de l’autre et du refus des discriminations, mais aussi la question de la place des femmes dans la société et de leur présence dans l’histoire. Les nouveaux programmes du primaire, mis en place en 2008, ont introduit dès l’école primaire une instruction civique et morale dans laquelle sont enseignés l’« interdiction absolue des atteintes à la personne d’autrui, l’estime de soi, le respect de l’intégrité des personnes, y compris de la leur, le refus des discriminations de toutes natures ». Les élèves en fin de CM 2 doivent avoir intégré ces valeurs et les mettre en pratique.

La place des femmes dans les programmes de l’école primaire n’est pas très importante. D’aucuns se sont même plaints d’un recul par rapport au programme précédent. Ce n’est pas tout à fait vrai. Au primaire, ne sont abordés en histoire-géographie que quelques points d’appui qui seront ensuite développés au collège, où le programme est repris à l’exception de la préhistoire. Parmi les éléments abordés figurent, cependant, le suffrage universel masculin – l’ajout de l’adjectif « masculin » fait réfléchir les enfants – et le droit de vote des femmes en France.

Mme Monique Boulestin. Au moment de l’élection des députés juniors, un travail est réalisé dans les classes de CM2 sur la représentation nationale. Lorsque nous nous rendons dans les classes, nous faisons un peu d’histoire des institutions.

Mme Anne Rebeyrol. Il y a, effectivement, de quoi travailler.

Les nouveaux programmes d’éducation civique au collège (je rappelle qu’on parle d’instruction civique et morale dans le primaire, d’éducation civique au collège et d’ECJS, éducation civique, juridique et sociale, au lycée), qui sont de la compétence des professeurs d’histoire-géographie, mettent l’accent sur l’égalité – l’égalité filles/garçons est approchée à travers le droit à l’instruction pour tous en sixième – et la lutte contre les discriminations, particulièrement en classe de cinquième. Le programme de cette classe s’appelle « De la diversité à l’égalité » et traite de sujets tels que « des êtres humains, une seule humanité », « différents mais égaux », « égalité : un principe républicain », ou encore « responsabilité collective et individuelle dans la réduction des inégalités ». À partir de situations concrètes, qui peuvent être tirées d’un journal, le professeur fait réfléchir les élèves afin de les rendre capables de reconnaître une situation de discrimination, de savoir comment y répondre, de connaître les dispositions de la loi concernant ce type de situations et de monter des actions pour y remédier.

Comme les programmes d’histoire sont axés sur l’histoire politique, les femmes y sont moins présentes que s’il s’agissait d’une histoire économique et sociale. Leur place est, cependant, étudiée au moment de la Révolution française, en classe de quatrième, au moment de la révolution industrielle et dans leur conquête du pouvoir politique en classe de troisième.

Dans les programmes d’histoire des premières et terminales générales, le rôle et le statut des femmes en France, en Europe et dans le monde sont un axe d’étude à aborder, tout au long de l’année, lorsqu’un sujet d’histoire s’y prête.

Les plus grandes avancées se rencontrent dans les programmes des lycées professionnels, où peuvent se rencontrer des situations conflictuelles entre les filles et les garçons.

En seconde professionnelle, le programme d’éducation civique porte sur les thèmes du « vivre en citoyen », de l’égalité, des différences, de la discrimination. Les trois grands sujets d’étude parmi lesquels les enseignants doivent choisir sont : premièrement, l’exclusion, qu’il s’agisse du racisme, du sexisme ou du handicap ; deuxièmement, les salaires hommes/femmes et, troisièmement, la discrimination positive. La réflexion est menée à partir de sujets d’actualité.

En première, l’un des sujets obligatoires porte sur les femmes dans la société française de la Belle Époque à nos jours et ce sujet peut se décliner selon trois grandes thématiques : Louise Weiss et le vote des femmes, la scolarisation des filles, Simone Veil et l’IVG. Cette approche est nouvelle par rapport aux anciens programmes des lycées professionnels.

Dans le cadre de l’éducation civique, juridique et sociale, sont abordés, de la seconde à la terminale, de grands thèmes comme la citoyenneté, « République et particularismes », « citoyenneté et droits de l’homme ». Ces thèmes, qui brassent des notions souvent polysémiques, permettent de travailler sur les rapports entre filles et garçons.

J’aborderai la question de la formation des enseignants sous trois angles.

Le premier est le rôle d’impulsion joué par le ministère de l’Éducation nationale. Il organise, à l’intention des cadres de l’Éducation nationale, des séminaires nationaux sur des problématiques qu’il demande ensuite aux académies de reprendre et de décliner. En mars 2008, il y en a eu un sur « Égalité filles/garçons à l’école : quelles réalités, quelles perspectives ? ». Un autre se tiendra en octobre prochain sur le thème : « Lutter contre les discriminations : la diversité à l’école », dans lequel la problématique filles/garçons sera également abordée.

Le deuxième angle est la formation initiale des enseignants. Le cahier des charges des IUFM mentionne par deux fois, parmi les compétences attendues des futurs enseignants, la mixité, l’égalité filles/garçons et le respect des valeurs de la République. Cela étant, il appartenait à chaque IUFM de décliner celui-ci et, si nombre d’instituts ont proposé des cours sur ces sujets, il serait faux d’affirmer que c’était le cas de tous. Dans le cadre de la formation générale, qui est transversale, étaient prévus des cours sur les valeurs de la République, l’égalité filles/garçons, la laïcité, la psychologie des adolescents mais, dans les formations disciplinaires, destinées à aider les jeunes certifiés, agrégés ou professeurs des écoles, ces sujets n’étaient pas abordés partout. J’ai vu, cependant, des formations où les futurs enseignants étaient éclairés sur ce qu’était le genre en histoire et sur la manière dont on pouvait travailler sur l’égalité politique de la Révolution à nos jours. Les initiatives en ce domaine sont un peu éparses et je ne sais pas du tout ce qu’il va advenir dans le futur, mais on ne peut pas dire que le sujet soit absent.

Troisième et dernier angle : la formation continue, à laquelle tout enseignant peut s’inscrire, même s’il ne dispose que de peu d’heures à cet effet et que ces dernières doivent être remplacées. Il y a, en ce domaine, des verrous, l’un d’eux étant – je puis en témoigner, ayant été moi-même enseignante – qu’il est très difficile pour des enseignants de se penser comme producteurs d’inégalité et, donc, comme ayant besoin d’une formation sur l’égalité filles/garçons. Des formations spécifiques ont été proposées sur ce thème mais les enseignants ne s’y inscrivaient pas. Il faut donc réfléchir à une façon différente de procéder. La solution me semblerait être d’organiser des formations sur d’autres thèmes – par exemple, le développement durable – et d’aborder la question de l’égalité hommes/femmes à cette occasion.

Je conclurai sur la convention interministérielle, qui a été renouvelée en 2006. Elle est déclinée dans les deux tiers au moins des académies par des conventions académiques pour l’égalité filles/garçons. Un comité de pilotage a été mis en place pour travailler à cette déclinaison.

La convention comprend trois grands axes : une orientation plus diversifiée des filles et des garçons, le respect mutuel entre les filles et les garçons, et la formation des enseignants. Depuis la nomination de Mme Marie-Jeanne Philippe, rectrice de l’académie de Besançon, nous avons mis en place des journées interacadémiques destinées, d’une part, à faire remonter des bonnes pratiques et, d’autre part, à réfléchir à la manière de mettre en synergie nos réseaux avec ceux de nos partenaires : service des droits des femmes, ministères de l’agriculture et de la culture, enseignement supérieur, etc. Une première journée interacadémique a eu lieu à Nancy il y a un mois. La prochaine aura lieu le 4 juin à Lyon. Il en est prévu cinq. De nombreuses expériences positives sont menées dans les académies et dans les collèges. Des outils pédagogiques sont élaborés, des liens tissés avec des associations qu’il est intéressant de connaître et de faire connaître.

L’expérience menée à l’académie de Strasbourg de remontée des faits de violence sexués est un exemple de bonne pratique à mettre en valeur lors des journées interacadémiques.

Mme Nadine Neulat. Nous travaillons également actuellement, en collaboration avec le service des droits des femmes, à la rédaction d’une brochure sur les violences à caractère sexiste destinée aux établissements scolaires. Elle sera mise en ligne sur le site Eduscol pour la rentrée scolaire.

M. Bernard Lesterlin, président. Jusqu’à présent, nos auditions étaient plus focalisées sur le constat des violences faites aux femmes et les réponses que nous devions y apporter. Mais notre mission porte également sur la prévention, laquelle commence, bien évidemment, par l’éducation des enfants sur le respect mutuel, la reconnaissance des autres et l’acceptation des différences. Cet entretien nous est donc, de ce point de vue, tout à fait utile.

Y a-t-il une courbe interprétable sur l’âge des enfants responsables de violence ou victimes de violence ? Observe-t-on un pic à la fin de l’enfance, à la jeune adolescence ? Le phénomène a-t-il tendance à augmenter dans le temps en masse et en âge ? Quelles sont les grandes interprétations que l’on peut tirer des statistiques disponibles ? L’outil statistique semble s’être amélioré et l’articulation avec l’observatoire national de la délinquance peut permettre des comparaisons intéressantes.

Vous n’avez pas développé la question des enfants exposés aux violences conjugales. Y a-t-il une réponse particulière dans l’école ? Le concept de repérage que vous avez mis en avant me semble correspondre à une nécessité : pour pouvoir signaler, il faut d’abord repérer. Il faut que les acteurs qui sont en contact avec les enfants puissent le faire sans violation de la vie privée des familles.

Mme Françoise Branget. Dans le cadre de la prévention des violences faites aux femmes, il est important de mettre en garde les petites filles contre l’idée d’un asservissement, d’une soumission par rapport aux garçons véhiculée par certaines religions. Aborder ce phénomène nécessite une véritable formation. Cet aspect est-il pris en compte dans les formations des enseignants ? Les comités d’éducation associant personnels de l’éducation, élèves et parents peuvent-ils aborder ces sujets ?

Deuxièmement, quel est le regard porté par les enfants sur la violence faite à leur mère ? Comment faire pour repérer les enfants dont la mère est victime de violences ?

Mme Monique Boulestin. Vous avez indiqué que les plus grandes avancées, pour la promotion de la place des femmes dans la société et l’histoire, se trouvaient dans les programmes scolaires des lycées professionnels. Or ceux-ci me semblent bien abstraits pour des élèves pré-adultes – ils ne sont plus tout à fait adolescents. Le passage des études de quatre à trois ans oblige les enseignants à faire des choix, si bien que la Seconde guerre mondiale n’est plus enseignée comme elle devrait l’être. Cette période, certes très sombre, de notre histoire marque pourtant le début de la reconnaissance de la place des femmes dans la société. Le rôle qu’elles ont joué au moment des déportations et de la Résistance en est une illustration qu’il est dommage de ne pas étudier dans les lycées professionnels.

L’académie de Toulouse a eu la chance d’avoir trois femmes d’exception comme rectrices : Mme Nicole Belloubet-Frier dont vous avez parlé, Mme Liliane Kerjan, qui s’occupe aujourd'hui de la Maison de Solenn avec Mme Chirac, et, actuellement, Mme Martine Daoust. Elles ont toutes travaillé dans une même continuité, ce qui a permis des initiatives tout à fait intéressantes concernant l’égalité hommes/femmes. Il serait bien que puisse circuler, au niveau national, un petit répertoire des bonnes pratiques élaborées sur le territoire. Cela donnerait des idées et permettrait d’améliorer l’existant.

Une réflexion sur l’égalité filles/garçons amène les garçons à envisager leur vie en couple différemment, d’autant qu’ils s’aperçoivent que des métiers jusque-là exclusivement masculins, comme celui d’ingénieur, par exemple, sont investis par les femmes.

Notre mission d’évaluation a besoin de connaître toutes les pistes permettant d’améliorer ce qui existe. Nous souhaitons avoir avec vous un échange riche afin d’être une force de propositions.

Mme Nadine Neulat. En matière de statistiques, nous n’avons, avec SIVIS, qu’un recul d’une année, ce qui n’est pas suffisant pour dresser un tableau qui ait un sens.

Comme je l’ai déjà indiqué, les actes de violence se concentrent sur les années de collège. On voit bien que le passage de l’enfance à l’adolescence est un maillon difficile. Une attention particulière doit être apportée à cette période. Le lycée professionnel, quant à lui, pose une autre problématique. Mais je ne me hasarderai pas à faire des comparaisons. Nous aurons plus de recul dans deux ou trois ans.

L’enquête européenne HBSC – Health Behaviour in School-aged Children – réalisée tous les quatre ans sur la population générale avec le rectorat de Toulouse et l’INPES – Institut national de prévention et d’éducation pour la santé – comporte des données sur les faits de violence, dont certaines, je pense, sur les violences sexuées. Je n’ai pas les chiffres ici mais je pourrai facilement vous les communiquer.

Concernant les enfants exposés aux violences conjugales, je souligne tout d’abord que l’école ne peut pas tout faire. La société fait déjà peser sur elle un grand poids. Pour être efficace, elle doit cibler ce qui relève de ses missions et ce qui n’en relève pas et savoir passer la main quand ce n’est pas de son ressort.

Trois niveaux d’intervention sont à considérer.

Le premier est le repérage, au sens positif du terme : ce n’est pas une stigmatisation. Il relève de la mission de l’ensemble du personnel scolaire mais, plus particulièrement des enseignants et des CPE – conseillers principaux d’éducation – qui sont en contact quotidien avec les enfants.

Le deuxième niveau est celui de l’analyse des situations repérées par les enseignants. Elle est davantage du ressort des personnels de santé : infirmières et assistantes sociales des établissements.

Le troisième niveau est celui du signalement, soit au procureur, soit au président du conseil général. Le traitement des situations se fait alors en dehors de l’école.

Pour aider les personnels enseignants et les personnels sociaux et de santé, nous projetons d’élaborer des « grilles de repérage » énumérant les signes qui indiquent qu’un enfant est en souffrance et que sa situation doit être signalée. Souvent les enseignants voient qu’un enfant va mal mais ne savent que faire. Nous voulons faire en sorte que les établissements soient clairement structurés de telle sorte que les enseignants sachent ce qu’ils ont à faire quand ils repèrent un enfant qui va mal.

Quant à savoir quel est le regard porté par un enfant sur les violences faites à sa mère, cela sort presque entièrement du rôle de l’école. Cela ne peut être mis au jour que dans un dialogue face à face avec l’enfant, ce que ne peuvent faire qu’un professionnel spécialisé, un organisme ou une association adaptés. On pourrait arriver à des catastrophes si un enseignant prenait en charge directement la situation particulière d’un élève.

Mme Françoise Branget. Sans qu’il soit question de prise en charge, des situations peuvent être évoquées dans le cadre de réflexions menées dans un but préventif.

Mme Nadine Neulat. Vous avez raison. Lors de séances de prévention, des enfants peuvent être amenés à faire des révélations sur leur situation. Dans un tel cas, il ne faut pas chercher à régler la situation dans le groupe mais à prendre l’élève à part ensuite.

M. Bernard Lesterlin, président. Lorsqu’un enfant est perçu comme étant en souffrance ou décroche sur le plan scolaire, il est important d’inclure au nombre des causes possibles, en plus des problèmes de santé et des troubles psychiatriques, l’hypothèse de violences à la maison. C’est une piste à ne pas négliger car, nos auditions nous l’ont montré, les violences faites aux femmes font des victimes collatérales : les enfants. Dans ce cas, il faut trouver l’angle d’approche, par les professionnels de santé de l’établissement – infirmière, médecin scolaire, psychologue – permettant à l’enfant de s’exprimer et, ensuite, passer le relais aux professionnels dont c’est le métier.

Mme Nadine Neulat. Nous avons organisé avec l’ONED – l’Observatoire national de l’enfance en danger – une campagne d’affichage du numéro 119 dans tous les établissements scolaires. C’est également un moyen de dire à l’enfant qu’il peut faire confiance à l’école sur ces sujets-là aussi.

Les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté présentent l’avantage de pouvoir associer personnels de l’établissement, élèves et parents et de proposer des réflexions en lien avec les enseignements. Ce serait mentir d’affirmer qu’ils sont en place et efficaces dans tous les établissements. Nous réalisons actuellement une étude sur un échantillon de ces derniers, sur le fonctionnement des comités et les sujets qui y sont traités. Les résultats de cette étude devraient être connus à la rentrée.

Sur les questions d’égalité filles/garçons, on peut imaginer que ces comités s’emparent d’un sujet et qu’un groupe de travail se mette en place pour organiser une réflexion et des actions en relation, non seulement avec les enseignements, mais aussi avec l’éducation à la sexualité dont tout un module concerne les violences et les exploitations sexuelles et permet un travail sur l’identité sexuelle, les rôles et les stéréotypes de rôles. D’où l’importance d’avoir le plus de personnels possible – internes et externes – formés à l’éducation à la sexualité et, également, de faire remonter toutes les bonnes pratiques développées dans les établissements.

Mme Anne Rebeyrol. Les programmes d’histoire des lycées professionnels comportent des sujets assez concrets. L’approche est différente de celle des autres lycées : l’histoire est étudiée à partir de moments historiques particuliers ou de thèmes. En première, cinq thèmes sont obligatoires : être ouvrier en France, les femmes dans la société française de la Belle Époque à nos jours, la République et le fait religieux depuis 1880 – avec la notion de laïcité –, de l’État français à la Quatrième République, 1940-1946. Contrairement à ce que vous avez dit, la Résistance est étudiée dans les lycées professionnels : on présente le régime de Vichy et la révolution nationale, la collaboration de ce dernier avec l’Allemagne nazie, sa part de responsabilité dans le génocide juif. Quand on étudie la mise en place de la Quatrième République, on montre qu’elle s’appuie sur les idéaux de la Résistance intérieure et extérieure. Un enseignant peut très bien parler, à ce moment-là, du rôle des femmes dans la Résistance.

Quant à votre suggestion de créer un répertoire national des bonnes pratiques pour diffuser celles-ci, je la trouve très bonne. Je vais essayer de la faire passer.

M. Bernard Lesterlin, président. Nous vous remercions.

Mme Anne Rebeyrol. Je signale, par ailleurs, que nous éditons une petite brochure sur l’orientation intitulée « Filles et garçons sur le chemin de l’égalité de l’école à l’enseignement supérieur » que nous réactualisons tous les ans.

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