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Mercredi 19 mai 2010

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Maxime Bono

– Audition ouverte à la presse, de M. Fernand Verger, géographe, professeur à l’École normale supérieure, membre du Conseil national du littoral 

Mission d’information
sur les raisons des dégâts provoqués
par la tempête Xynthia

M. le président Maxime Bono. Je suis heureux d’accueillir M. le professeur Fernand Verger, spécialiste des espaces littoraux, que je remercie d’avoir accepté de participer à nos travaux.

Avant de nous faire part des résultats de ses réflexions, le professeur Verger va nous commenter une série d’images et de graphiques illustrant les problématiques qu’il a identifiées.

M. Fernand Verger, géographe, professeur à l’École normale supérieure, membre du Conseil national du littoral. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais avant tout dire une chose : la tempête Xynthia était certes exceptionnelle pour notre époque, mais ce phénomène s’est produit assez souvent au cours de l’histoire.

Je poursuivrai en rappelant les œuvres de Louis Chevalier, qui fut professeur au Collège de France et auteur de Classes laborieuses, classes dangereuses, ouvrage souvent réédité et qui fonde la géographie et la sociologie urbaines. Louis Chevalier, né en 1911 et mort en 1981, était natif de L’Aiguillon-sur-Mer. Il a publié avant de mourir un ouvrage de souvenirs intitulé Les Relais de la mer, dans lequel il rappelle que les populations oublient, que les souvenirs « s’enfouissent dans la vase » et qu’en 1738, une terrible tempête avait emporté le berger de la ferme de Ribaudon, entre L’Aiguillon-sur-Mer et Saint-Michel-en-L’Herm, qui mourut noyé avec plus de 300 moutons. En relisant ces pages, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la ferme de la Prée Mizottière, où le fermier, installé sur un terrain de la réserve de la baie de l’Aiguillon, a perdu avec Xynthia 600 brebis. Louis Chevalier rappelle en outre, dans Les relais de la mer, que deux ans après cette tempête de 1738, une autre avait conduit les eaux presque jusqu’au port de Luçon. Les phénomènes se répètent.

Voici comment le même auteur parle du pays de son enfance : « Il y a des vases que la haute mer recouvre encore, celles que les grandes marées seules atteignent, celles qui déjà se dessèchent et sont en passe de devenir, à l’abri de plusieurs épaisseurs de tamarins, terres de pâturage et bientôt de culture, à moins que la mer, dans un accès de colère, ne s’empare à nouveau de ce qui s’est édifié à son insu ou de ce qu’elle a laissé faire, mais qui reste son bien ». Ce texte montre à quel point Louis Chevalier était préoccupé par le fait que la mer reprenne son dû. C’est une inquiétude permanente pour les historiens et les géographes.

Plus près de nous, il y eut d’autres inondations : celle du 16 novembre 1940, avec un coefficient de 88, et celle de décembre 1999, avec un coefficient de 77 seulement. Cela m’a amené à écrire, en 2008, dans un fascicule du Conservatoire du Littoral : « On imagine mal ce que donnerait la conjonction d’une tempête exceptionnelle et d’un coefficient élevé ». Je ne pensais pas alors que cela se produirait si peu de temps après.

De tels événements sont prévisibles ; nous devons donc nous y attendre et nous en préoccuper. Dans les années 1970, j’ai écrit dans la notice accompagnant la carte géologique au 50 000e dont je suis l’auteur : « La défense contre la mer est préoccupante, surtout dans la région de L’Aiguillon ». En 2008, Stéphane Raison a lui aussi évoqué les digues de bordure du Lay.

C’est avec une certaine satisfaction que je constate le développement de ce que l’on appelle aujourd’hui la géohistoire. Je rencontre sur toutes les côtes des personnes qui se préoccupent de conserver la mémoire des cataclysmes. Leurs études sont un enseignement fort utile pour ceux qui sont amenés à prendre des décisions.

J’ai cherché à savoir, me déplaçant autour de l’anse de l’Aiguillon, à quel niveau était arrivée la mer. Beaucoup de bateaux se sont retrouvés sur les digues parce qu’ils ont été portés par un niveau d’eau supérieur à ces dernières. Leur étrave a frotté sur le sommet des digues et ils s’y sont immobilisés. Cet exemple montre combien il est important de déterminer la cote de la montée des eaux lors du passage de Xynthia.

Selon les prévisions du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) installé à Brest, cette cote aurait été, en tenant compte de l’élévation constatée par les marégraphes, de trois mètres à La Rochelle, avec une surcote de quarante centimètres, liée à la dépression atmosphérique, et une décote de quatre mètres. Il s’agit de cotes IGN 69, établies en fonction du nivellement général de la France (NGF) de l’Institut géographique national (IGN) de 1969. La cote NGF a été corrigée en 1969 pour la France métropolitaine et en 1972 pour la Corse, mais je préfère utiliser les cotes IGN 69 car les archives posent parfois des problèmes d’interprétation, d’autant que je préconise le recours aux archives anciennes.

Concernant les polders, il est important de les drainer, car une inondation d’eau salée est d’autant plus grave qu’elle dure longtemps. Il faut éviter que l’eau de mer stagne.

L’un de mes livres montre un schéma qui a fait dire à quelques méchantes âmes que j’étais prémonitoire en coloriant en bleu clair les polders – que l’on appelle en Vendée des prises – et en vert le marais, qui est plus ancien. Il se trouve en effet que ce schéma correspond pratiquement à celui de l’inondation provoquée par Xynthia.

Un profil que j’ai réalisé il y a plusieurs années décrit le niveau des prises successives édifiées au fil du temps : si le niveau des plus anciennes est plus bas, c’est parce qu’elles ont été conquises trop rapidement – lorsque les terres n’étaient pas « mûres », comme on disait autrefois. Pressés de conquérir du terrain, les gens édifiaient des polders trop bas, avec pour conséquence une déshydratation et un tassement de ceux-ci.

La submersion de la digue route qui conduit à la ferme de la Prée Mizottière a eu pour effet une érosion est très importante. Les eaux, par un effet de surverse, attaquent le revers de la digue et répandent les sédiments dans les polders intérieurs. C’est un phénomène dont il faut tenir compte.

À ce titre, la digue d’en Bas présente un grand intérêt. Il n’y a pas eu de brèche, mais la mer est passée au-dessus de la digue de mer, provoquant une forte érosion et envoyant les matériaux dans le polder de la digue d’en Bas, dans la commune de Sainte-Radégonde-des-Noyers.

Souvent, après l’érosion du revers d’une digue, la mer crée une brèche. Nous avons tendance à croire qu’il faut lutter en dressant une muraille du côté de la mer, qui est l’ennemie. Mais c’est son débordement ainsi que l’érosion qui s’ensuit de la partie interne de la digue, souvent mal protégée et trop raide, qui créent pratiquement toutes les brèches. C’est ce qui s’est produit pour la digue du Maroc.

Je voudrais à présent vous faire part du fruit de mes réflexions sur la « zone noire », que l’on appelle désormais « zone de solidarité nationale ». Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la façon dont elle a été délimitée, car elle ne tient pas assez compte de la géomorphologie. Ainsi, une maison située rue du Banc des Marsouins à La Faute-sur-Mer a été située en zone noire bien que construite sur un crochet dunaire d’une dénivellation de 1,50 m à 1,80 m. Les délimitations ont, selon moi, été établies dans une certaine précipitation. Elles auraient dû davantage tenir compte de la géomorphologie.

Tous ces exemples illustrent le caractère dramatique de ce qui s’est produit, mais n’oublions pas que le niveau de la mer a augmenté de vingt centimètres depuis 150 ans.

Il est clair que nous assistons à une accélération de la montée du niveau de la mer, ce que confirment les données altimétriques du satellite Topex-Poséidon et de ses successeurs, Jason-1 et Jason-2. Je rappelle qu’à l’ère quaternaire, après la dernière glaciation, la mer a augmenté d’une centaine de mètres, pour aboutir au niveau actuel. Dans une perspective géologique, on ne s’interdit pas d’imaginer que nous pourrions assister à des mouvements relatifs de la terre et de la mer. Les études prospectives à court et moyen terme en tiendront compte et je suis persuadé que nous serons amenés, au cours du XXIe siècle, à réfléchir à la montée du niveau de la mer.

Je voudrais maintenant aborder quelques questions que nous devons nous poser.

Faut-il conserver les digues de mer ? Pas toutes. Les exemples de dépoldérisation sont nombreux : on en compte une cinquantaine en Europe occidentale et un certain nombre aux États-Unis. Aux Pays-Bas, on a détruit le polder Hedwige, situé sur la rive gauche de l’Escaut occidental. En Grande-Bretagne, on a utilisé des bulldozers pour ouvrir des brèches dans un polder situé au bord du Wash. En France, le polder de Mortagne-sur-Gironde, qui servait autrefois uniquement à la céréaliculture, a été acheté par le Conservatoire du Littoral après la tempête de 1999, alors qu’il était envahi par la mer. Le Conservatoire a décidé de ne pas obstruer les brèches et de laisser faire les marées. Cette expérience a intéressé le Cemagref, et nous nous sommes aperçus que la dépoldérisation était bénéfique sur le plan écologique. Le polder a permis l’installation d’une nourricerie d’alevins de soles et de gobies, et de nombreux poissons s’y développent. Ainsi envahi par la mer, le polder est producteur de matières organiques et, étant soumis à la marée, il exporte cette matière.

Faut-il restaurer les digues ? La question se pose pour celle de la Bosse, qui est située entre la digue d’en Bas et la Prée Mizottière. Tout dépend en fait des enjeux que représentent les terrains protégés par la digue. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas systématiquement restaurer une digue. Il convient simplement de procéder à une étude économique, les coûts étant différents selon que l’exploitant agricole, par exemple, réside ou non sur le terrain en question.

Si l’on décide de conserver une digue, il faut surtout en préserver les revers. Souvent, les profils des digues sont trop raides et ne demandent qu’à s’effondrer par pans car leur matériau a été prélevé sur les prés salés – les schorres – qui sont composés d’argiles à structure prismatique, ce qui entraîne, du fait de l’évaporation de l’eau, l’apparition de fentes de dessiccation. J’ai pu en constater un trop grand nombre dans les digues que j’ai étudiées. De plus, si les digues étaient autrefois pâturées par des moutons qui, en piétinant, bouchaient les fentes et entretenaient le terrain, tel n’est plus le cas aujourd'hui : je n’ai pas vu le moindre mouton sur les digues de Vendée. Or, il faut craindre les brèches plus que la submersion. Si une digue résiste à la submersion, l’inondation n’est pas catastrophique, car on peut toujours évacuer l’eau salée vers les polders, ce qui n’est pas dommageable, je le répète, si l’inondation est courte. On peut toujours faire venir de l’eau douce et, si besoin est, du gypse, qui reste un traitement intéressant pour les digues en terre de prés salés, en dépit de ses effets déstabilisants sur celles-ci car il est très soluble dans l'eau à la température ambiante.

Du fait de l’élévation du niveau de la mer, faut-il empêcher toute submersion ? Peut-être pas, mais il faut éviter que la submersion entraîne la formation d’une brèche.

Dans les régions urbaines, industrielles et portuaires, il convient naturellement de protéger les digues. À cet égard, les autorités proposent de supprimer les habitations dans les zones inondables. C’est certainement une opération pédagogique à valeur d’exemple, mais si la tempête est passée en 1999 sur la Charente-Maritime et en 2010 sur la Vendée, principalement, et sur la Charente-Maritime à nouveau, elle pourrait passer dans beaucoup d’endroits ailleurs.

Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à Météo France. Lorsque j’ai entendu l’alerte le samedi soir à Bordeaux, non seulement la Charente-Maritime et la Vendée méridionale étaient parfaitement ciblées, mais il suffisait de regarder le ciel pour comprendre, en voyant la pleine lune, annonciatrice d’une grande marée, que le cumul d’un gros coefficient de marée et d’un avis de tempête ne pouvait qu’avoir des conséquences catastrophiques.

M. le président Maxime Bono. Les prévisions étaient en effet très précises, à douze heures de l’événement.

M. Fernand Verger. Que fallait-il faire ? L’évacuation, à mon avis, était impossible. Trop de gens étaient concernés, et nous ne savions pas que l’eau passerait dans la cuvette de La Faute-sur-Mer. Toute la zone de Longeville-sur-Mer à Chatelaillon était concernée, et les autorités ne pouvaient pas donner tardivement un ordre d’évacuation : le pont de l’Aiguillon aurait été encombré, des personnes auraient cherché à retrouver leur famille, les gens se seraient affolés, il y aurait eu des embouteillages et des accidents. Mais au moins auraient-elles dû donner un ordre de vigilance. Je vous avoue que si j’avais habité dans la région, je serais resté éveillé, tout habillé, avec des bottes, et j’aurais cherché un endroit où me réfugier en cas de problème.

M. le président Maxime Bono. La vigilance et le confinement vous semblent donc préférables à l’évacuation ?

M. Fernand Verger. Tout à fait ! Les gens pouvaient aller chez des amis qui habitent plus loin de la mer. J’ajoute que nous aurions pu assister à une attaque frontale de la mer, comme à la Belle-Henriette ou aux Sables d’Olonne. Il existe à la pointe d’Arçay des dunes assez hautes, sur lesquelles les populations auraient pu se réfugier.

Outre les digues de mer, il existe des digues de protection des zones industrielles et portuaires. À mon sens, le risque d’inondation n’est pas suffisamment pris en compte dans ces zones. Il ne s’agit pas de les entourer de digues, mais de faire en sorte qu’une submersion épargne les installations. Des précautions sont ainsi à prendre pour éviter l’ennoyage des canalisations électriques ou celui des bouches d’égout.

Le traitement des zones urbaines est plus délicat. Il est possible de détruire les maisons, comme il est proposé. Dans ce cas, il ne faut pas se limiter à Chatelaillon ou à La Faute-sur-Mer. Il faut aussi détruire les habitations présentant les mêmes risques, construites dans les Bas-champs picards, dans le platier d’Oye, en Flandre, ou encore autour du bassin d’Arcachon – j’y connais des zones fort dangereuses. De plus, la marée n’est pas le seul danger. En Camargue, les Saintes-Maries-de-la-Mer ne sont pas tout à fait préservées du risque en cas de violente tempête. Or, dans l’avenir, les tempêtes seront accentuées et rendues plus dangereuses par l’élévation du niveau de la mer : même si sa valeur à la fin du siècle n’est pas prévisible, cette élévation ne fait pas de doute. Je vous laisse le soin de réfléchir à la solution à apporter pour les habitations ainsi exposées, défense ou destruction.

Les Velux seraient interdits à La Faute-sur-Mer.

M. Dominique Caillaud. C’est vrai, de même que les maisons en élévation.

M. Fernand Verger. Il faut au contraire, dans ces zones, recommander les Velux et la construction de maisons en élévation. Elles doivent disposer au moins d’un refuge situé à deux mètres de haut. Au-delà, le risque est en effet très faible. Aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark, j’ai vu beaucoup de fermes établies sur des buttes refuges.

J’en viens aux digues dormantes, dénommées aux Pays-Bas slaperdijk. Pendant la dernière tempête, toutes les digues dormantes en France ont été submergées.

Les rapports publiés par les Ponts et Chaussées après les inondations de 1940 font apparaître un certain agacement envers l’attitude des paysans des communes de Beauvoir et de Bouin. Ceux-ci attendaient respectueusement la prescription trentenaire pour prélever les perrés, les pierres – bref l’ensemble du matériel – de toutes les digues dormantes afin de construire leurs maisons. Les Ponts et Chaussées voyaient là l’une des causes principales de leur dégradation.

Cependant, depuis cette date, les digues dormantes ont subi d’autres chocs encore. Ainsi, les abaissements aménagés pour permettre le passage des tracteurs et des lourds engins agricoles ont été causes d’entrées d’eau considérables.

J’ai aussi vu en Frise, aux Pays-Bas, des digues dormantes franchies par des routes. Pour autant, la digue était parfaitement entretenue. La route la traversait entre deux murs, qui ainsi la soutenaient. Dans chacun de ces deux murs avait été ménagée une encoche. Sur le toit de la digue étaient posés des madriers et des sacs de sable. Il était donc possible, en cas d’alerte, de barrer chacun des deux côtés de la passe avec les planches, et de remplir de sable l’espace au centre.

Les conditions de l’alerte donnée par Météo France auraient permis de procéder ainsi. En revanche, eu égard à l’état général des digues, l’intérêt d’une telle opération aurait été très limité.

Je ne vous propose pas un programme de restauration de toutes les digues dormantes de France. Il serait cependant possible de réfléchir à un système de « digues de retraite », pour reprendre le terme traditionnel des marais de l’Ouest, bref à la création de lignes de retraite. Cette idée mériterait d’autant plus examen s’il était décidé de laisser des possibilités de submersion des digues de mer – leur revers étant quant à lui protégé – lorsque les zones qu’elles isolent de la mer sont dépourvues d’habitat. La digue de retraite permettrait de protéger celui-ci.

M. le président Maxime Bono. Monsieur le professeur, les nombreuses informations que vous nous avez livrées répondent par anticipation à bien des questions que nous souhaitions vous poser.

En vous écoutant, j’ai l’impression que l’expérience des phénomènes antérieurs s’est perdue. Pour quelles raisons n’en avons-nous pas gardé la mémoire, et n’avons-nous pas pu profiter de retours d’expérience ?

M. Fernand Verger. J’ai constaté avec satisfaction qu’à Oléron, dans les Bas-champs picards, en Flandre des chercheurs ont entamé des études de géohistoire. En Flandre, l’élaboration d’une politique spécifiquement consacrée aux digues dormantes serait fondamentale.

Pourquoi la culture se perd-elle ? Peut-être du fait d’une référence insuffisante aux ouvrages publiés en la matière. Si aujourd’hui l’ouvrage de Louis Chevalier, Les relais de mer, voire le petit ouvrage que j’ai rédigé dans le cadre du Conservatoire du littoral, sont de nouveau cités, je n’ai jamais été amené à discuter de digues avant la tempête Xynthia. La sensibilisation aux études historiques doit être généralisée. L’intérêt pour ces dernières auquel on assiste ne doit pas être un feu de paille, mais au contraire être une source d’encouragement à la publication de nouvelles analyses.

M. le président Maxime Bono. L’expérience dont vous nous faites part nous rappelle en effet que le risque de submersion ou d’ouverture de brèches est permanent.

Vous nous avez présenté quelques exemples surprenants en matière de « zones noires ». Quelle appréciation portez-vous sur leur délimitation ? Avez-vous eu connaissance des paramètres qui ont été retenus à cette fin ?

M. Fernand Verger. Je n’ai bénéficié d’aucun contact avec les autorités qui déterminent ces zones, et je ne dispose d’aucun élément sur les paramètres de délimitation.

Je peux cependant vous faire part d’un certain étonnement. Certes, bien des parties de la cuvette de La Faute-sur-Mer ont été inondées et la mort de 31 personnes dans la seule anse de l’Aiguillon – sans parler des autres décès en Charente-Maritime – est une catastrophe d’autant plus affreuse qu’elle aurait pu être évitée. Il fallait donc annoncer très rapidement la prise de mesures, et, évidemment, boucher d’urgence les digues, pour éviter de nouveaux dégâts dus aux marées futures. Pour autant, la délimitation des périmètres a été effectuée trop rapidement. La période de l’équinoxe s’éloignait. Le travail pouvait être effectué sans précipitation, parcelle par parcelle.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Je partage votre avis. Le seul argument à porter à la décharge des décideurs est qu’il fallait donner rapidement des réponses aux habitants afin notamment de ne pas les laisser un an dans l’expectative avant de les autoriser ou non à réparer.

Depuis vingt ans, une incompatibilité ne s’est-elle pas développée entre la protection de l’environnement et celle des biens et des personnes ? Ne pâtissons-nous pas de la surprotection de l’un aux dépens des autres ? N’est-ce pas l’origine du délaissement de l’entretien des digues, en particulier vers Charron dans la baie de l’Aiguillon.

Par ailleurs, quelle évaluation portez-vous sur la gouvernance des digues ? Quelles propositions pourriez-vous tirer de votre expérience pour l’améliorer ?

M. Fernand Verger. Si la protection de l’environnement doit être intelligente, elle est tout à fait compatible avec celle des personnes. Ainsi, la dépoldérisation me paraît une protection à la fois de celles-ci et de l’environnement. Si la digue de la Bosse n’est pas reconquise sur la Sèvre, les digues situées en arrière seront protégées par le territoire littoral ainsi dépoldérisé.

Qu’il s’agisse de la préservation des prés salés ou de la protection des digues par des trottoirs, je ne vois nul type d’action où opposer les deux types de protection. C’est par le maintien des biotopes que l’obtention d’un équilibre est possible.

Réformer la gouvernance est difficile. Les digues appartiennent à des associations syndicales autorisées (ASA), qui les gèrent. La « digue d’En-Bas », par exemple, appartient à l’Association syndicale autorisée des marais desséchés de Champagné-les-Marais.

Si ces associations sont conscientes de la valeur de leurs digues, elles se sont sans doute plus préoccupées du drainage et de l’économie de l’eau aux fins de production que de protection.

Une association entre les ASA et les institutions ou associations protectrices de l’environnement serait sans doute la voie à suivre. On peut penser aux instances de gestion des réserves naturelles, à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) : ces types de littoraux sont fréquentés à la fois par les chasseurs et les oiseaux migrateurs. Devraient être aussi parties prenantes les scientifiques, les gestionnaires, et enfin, élément essentiel, les élus territoriaux : maires, conseillers généraux, conseillers régionaux. Des réunions collégiales seraient utiles à la gouvernance. Il ne faut pas opposer les catégories. Dans l’Europe du nord-ouest, par exemple aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne – où le rôle de coopération du National Trust, association de protection de la nature, est essentiel –, les concertations sont mieux organisées qu’en France. Le résultat y est aussi plus satisfaisant, même si tous les conflits ne sont pas évités : la dépoldérisation du polder Hedwige en Zélande, aux Pays-Bas, le long de l’Escaut, a nécessité l’intervention de la gendarmerie.

Mon message est donc qu’il faut favoriser les contacts entre gestionnaires, associations syndicales, associations de protection de la nature et pouvoirs politiques.

M. le président Maxime Bono. Quel regard portez-vous sur le rôle du Conseil national du littoral (CNL), au sein duquel vous siégez ? Quelles sont ses limites ? Quelles missions pourraient-elles lui être confiées pour élargir son champ d’action ? Pourrait-il être ce lieu de dialogue que vous préconisez ?

M. Fernand Verger. Je ne suis pas membre, mais simplement conseiller scientifique du CNL. Je suis aussi président du conseil d’organisation scientifique et technique du Forum des marais atlantiques, et membre du conseil scientifique de l’estuaire de la Gironde ; dans ce dernier cas, peut-être le préfet a-t-il été optimiste en me nommant pour cinq ans – j’en ai 81...

M. Dominique Souchet. Monsieur le professeur, permettez-moi de vous faire part de mon effroi devant vos propos sur la non-conservation de l’intégralité des digues de front de mer et la dépoldérisation.

Sur les communes de Saint-Michel-en-l’Herm, Triaize, Champagné-les-Marais, Sainte-Radegonde, Puyravault, les rendements des terres protégées par les digues de front de mer sont les meilleurs de France en blé – blé dur comme blé tendre – avec un très faible apport d’entrants. Vous avez mentionné la digue de la Bosse, très instable du fait de sa très mauvaise construction – des coquilles d’huîtres ont été utilisées comme matériaux. En dehors de ce cas très exceptionnel, quelles autres digues faudrait-il supprimer sur ce territoire ? Quels polders faudrait-il supprimer dans la baie de l’Aiguillon ? Sur la base de quels critères ?

M. Fernand Verger. C’est avec justesse que vous avez remarqué que, pour la baie de l’Aiguillon, je n’ai cité que la digue de la Bosse.

M. Dominique Souchet. Il faut donc conserver toutes les autres ?

M. Fernand Verger. J’en ai l’impression.

Mon propos est d’ordre général. Il faut comparer les frais entraînés par le confortement d’une digue aux bénéfices à en tirer. Sous cet angle, la dépoldérisation n’est pas toujours un désavantage.

Dans la baie de l’Aiguillon, je n’ai vu comme susceptible de dépoldérisation que le petit polder protégé par la digue de la Bosse. Il a du reste été touché par la tempête. En revanche, il est tout à fait envisageable de conforter la digue située en arrière de celui-ci.

Il serait aussi possible, tout en laissant intacte la digue du polder de 1873-1874, d’accepter une éventuelle submersion de celui-ci. Si elle survient un jour, elle ne sera pas dramatique : pour autant que je sache, ce polder n’est pas occupé par des fermes ; dès lors que la mer n’aura pas percé de brèche dans la digue, il ne sera pas perdu. Dans ce type de cas, c’est l’ouverture de brèches qu’il faut surtout éviter.

En revanche, dans d’autres endroits de France, il est possible de dépoldériser des terrains sans grand intérêt.

M. le rapporteur. La France dispose-t-elle d’une doctrine technologique de construction de digues, avec une normalisation, à l’exemple des Pays-Bas ? Dans ce pays, chaque digue est répertoriée, classée dans l’une des quatre catégories définies par un organisme, et régulièrement contrôlée par un autre organisme. Les perrés des revers de digues sont souvent maçonnés, pour éviter l’érosion. Une telle réflexion technologique a-t-elle même existé dans notre pays ?

M. Fernand Verger. Les digues françaises ne sont pas les mieux entretenues de celles que j’ai pu examiner au cours de ma carrière. Elles sont aussi souvent constituées d’un matériel local. Ainsi les vases de l’anse de l’Aiguillon ne sont-elles pas le meilleur des matériaux ; les digues, construites à partir des prises effectuées sur les lais de mer, sont d’un entretien difficile, notamment pour éviter les fentes de dessiccation.

Des enquêtes montrent cependant une amélioration : les conseils généraux ont fait réaliser des études des digues, avec des relevés de profils. Celles-ci ont montré la faiblesse et le mauvais état des digues de La Faute-sur-Mer. Il reste que les travaux ne sont souvent effectués que bien après les relevés. De plus, il n’a pas vraiment été établi de cotes de danger. Enfin, beaucoup ne s’attendaient pas à la cote exceptionnelle atteinte par la marée.

M. Dominique Caillaud. La situation du territoire de La Belle Henriette, qui s’est progressivement dégradée depuis nombre d’années, ne risque-t-elle pas d’aboutir à une prise à revers de l’intérieur par la mer, du fait des deux brèches qu’elle y a ouvertes ? Nous avons un différend avec l’État car il n’a pas réalisé les travaux dont il avait été chargé.

M. Fernand Verger. En 1906 déjà, la mer a rejoint le Lay par La Belle Henriette. Le préfet de Vendée s’est rendu sur place. Les mesures prises, pas toujours très heureuses, n’ont pas empêché le renouvellement de l’épisode dans les années 1920.

Pour protéger la route longeant le littoral, l’édification d’un mur de béton a alors été décidée. Le cordon littoral ne s’est en effet réellement développé qu’après la Seconde Guerre mondiale, en enserrant une lagune, considérée aujourd’hui comme une belle zone humide et dont nous recherchons à ce titre la conservation.

Des travaux considérables viennent d’être conduits. Les deux brèches ont été rebouchées, grâce au prélèvement sur l’estran d’un volume considérable de sable avec des tractopelles.

Je ne suis cependant pas certain que les conséquences de ce prélèvement sur l’aval des rives aient été pesées. Un mur de sable très épais a été constitué, sur un kilomètre environ. Il protège, pour un temps, La Belle Henriette. Suffira-t-il ? À longue échéance, je n’en suis pas sûr. Nous avons affaire à une zone d’instabilité littorale.

Le prélèvement de sable à une distance aussi proche de la dune ne me paraît pas tout à fait équilibré. Peut-être aurait-il mieux valu d’abord aspirer du sable au large avant d’effectuer des prélèvements à la tractopelle. Une modification du profil, avec creusement à l’avant et élévation d’un cordon à l’arrière, a bel et bien été effectuée.

M. Dominique Caillaud. Vous ne souhaitez pas le retour du Lay dans La Belle Henriette ?

M. Fernand Verger. On ne l’appellerait alors plus le Lay, mais la rivière de Saint-Benoist, comme autrefois, sur les portulans de Wagner.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous qui avez étudié les modifications de la côte depuis les trente ou quarante dernières années, quel est votre regard sur ses enjeux – l’urbanisation notamment – et leur évolution ? Les éléments scientifiques que vous nous avez présentés étaient-ils transmis aux autorités décisionnaires en matière d’aménagement et d’urbanisation ? Celles-ci en tenaient-elles compte ?

M. Jacques Remiller. Je voudrais préciser la question de notre rapporteur. Le savoir-faire des Pays-Bas en matière de digues est reconnu ; sans lui, la moitié de ce pays serait en permanence sous le niveau de la mer. Ce savoir-faire spécifique ne pourrait-il pas être transposé en France, au profit non seulement des territoires touchés par la dernière tempête, mais aussi d’un traitement de l’ensemble des endroits à risque de notre pays ?

M. Fernand Verger. Dans mes conférences, assez nombreuses, sur cette question, j’ai souvent été interrogé par des maires. Dans l’ouest du Cotentin, le CNL désirait acquérir des terrains qu’une évolution possible du « trait de côte » mettait en danger. Les maires ont répliqué sur le terrain de l’avenir : « Qu’allons-nous devenir si nous ne pouvons pas construire ? Le chômage est là. Il faut penser à la vie de nos petites localités ».

Cette question difficile n’est pas de mon ressort. Je peux juste exposer que, lorsque j’ai proposé des restrictions à l’action, j’ai souvent été écouté attentivement, mais avec une certaine angoisse.

Pour autant, il fait rester raisonnable. Lorsque j’étais directeur d’un laboratoire à l’École pratique des Hautes Études, j’ai été étonné, en effectuant les relevés de la pointe d’Arçay, de la mise en construction d’une zone de prés salés aussi basse et aussi peu protégée. En tout état de cause d’ailleurs, la protection me paraît aller contre la nature du lieu. Ces prés salés étaient le vase d’expansion du Lay ; ils étaient aussi régulièrement envahis par la marée haute, avec les avantages que cela comportait, et j’ai regretté de les voir endigués.

Une politique d’explication doit donc être conduite à l’attention des lotisseurs. Il existe d’autres zones disponibles pour la construction, même si elles sont peut-être moins directement placées au bord de l’eau. Les dangers doivent être expliqués. En outre, la protection de l’environnement par le biais de la conservation des paysages et de l’équilibre de la nature et la biodiversité, n’est pas une vaine affaire : continuer à sacrifier la biodiversité du littoral, c’est appauvrir les milieux littoraux. Les Néerlandais s’en sont bien rendus compte.

Les dangers que nous courons en France ne sont pas de même nature qu’aux Pays-Bas. Des installations et des polders y sont situés quatre mètres au-dessous du niveau moyen de la mer. En France, un seul territoire est nettement au-dessous de ce niveau : celui des Moëres, en Flandre, à proximité de la frontière belge – c’est un ancien lac asséché. L’angoisse n’est donc pas aussi prégnante qu’aux Pays-Bas.

Cela dit, j’ai vu dans le Marais poitevin des ouvrages entièrement descellés, isolés et endommagés par l’inondation. Le déficit d’entretien est donc réel.

Dans nombre d’endroits des Pays-Bas, des règlements prévoient des examens détaillés annuels de toutes les digues, avec notamment des sondages, selon un parcours précis. Jusqu’à présent, la France s’est contentée du nivellement des cotes. Les examens en profondeur commencent seulement à être pratiqués en Camargue, sur les digues du Rhône – Grand Rhône et Petit Rhône. Elles sont en effet vulnérables non seulement par surverse, en cas de crue, mais aussi par infiltration et canalisation intérieure, du fait notamment des nombreux terriers que les renards y creusent.

En revanche je n’ai pas observé dans l’anse de l’Aiguillon de terriers traversant la digue.

M. Dominique Souchet. Les ragondins y constituent pourtant une menace.

M. le professeur Fernand Verger. C’est vrai. Cependant, pour autant que j’en sache, ils ne creusent pas de galeries dans les digues de mer.

M. Dominique Souchet. En effet, ils sont plutôt installés en retrait.

M. le président Maxime Bono. Merci, monsieur le professeur, pour ces propos que – je crois me faire l’interprète de tous les membres de la mission ici présents – nous avons infiniment appréciés.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia

Réunion du mercredi 19 mai 2010 à 16 h 45

Présents. - M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Dominique Caillaud, Mme Claude Darciaux, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Louis Léonard, M. Jacques Remiller, M. Dominique Souchet

Excusée. - Mme Marguerite Lamour