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Mercredi 26 mai 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Maxime Bono puis de M. Jérôme Bignon

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Rocchi, président du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), accompagné de Mme Nicole Lenôtre, MM. Rodrigo Pedreros et Manuel Garcin (département « risques naturels et sécurité du stockage du CO2 »).

Mission d’information
sur les raisons des dégâts provoqués
par la tempête Xynthia

M. le président Maxime Bono. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui les représentants du Bureau de recherches géologiques et minières.

Pouvez-vous nous présenter le BRGM, puis nous préciser dans quel cadre il a effectué une mission de terrain du 8 au 12 mars à la suite de la tempête Xynthia ? Quels en ont été les objectifs et les conclusions ?

M. François Rocchi, président du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La délégation qui m’accompagne est formée de Mme Nicole Lenôtre, responsable de l’unité littoral au sein de notre service « risques naturels », ainsi que de MM. Rodrigo Pedreros et Manuel Garcin, ingénieurs dans cette unité et coauteurs du compte rendu de la mission préliminaire réalisée par l’établissement immédiatement après la tempête.

Le Bureau de recherches géologiques et minières, établissement public industriel et commercial, vient de fêter ses cinquante ans. Depuis sa création en 1959, il est passé d’une activité de bureau minier de l’outre-mer français à celles d’un service géologique national et d’un établissement multifonctionnel tourné essentiellement vers les métiers du développement durable dans sa spécialité, le sous-sol.

Notre activité porte donc sur : la géologie pure ; des applications énergétiques, par exemple la géothermie, pour laquelle le BRGM est le premier spécialiste en France ; les stockages de gaz carbonique, forme nouvelle de maîtrise des risques énergétiques, à la demande de la Commission européenne ; l’eau profonde (nappes aquatiques, eau en sous-sol), notre domaine de prédilection ; les risques naturels, importante activité développée par le BRGM depuis vingt-cinq à trente ans.

Nous avons ainsi une compétence assez affirmée en matière de risque sismique. Nous touchons également au volcanisme dans sa dimension souterraine. Nous regardons les risques de pollution susceptibles de survenir sous la surface, dans l’eau en particulier. À la demande des pouvoirs publics, nous avons aussi développé une importante activité autour des cavités – grottes et trous – et tenons une base de données du sous-sol – BSS –, consultable dans l’ensemble de nos unités régionales et dans laquelle se trouvent toutes les déclarations de forage à partir de douze mètres, y compris des particuliers pour leur jardin. Ainsi, la France –c’est à l’honneur du législateur qui l’a créée – dispose de la base de données la plus complète au monde en matière de forage souterrain, ce qui permet de savoir ce qu’il est possible ou non de faire à un endroit donné

S’agissant du littoral, le BRGM est compétent pour l’érosion du trait de côte dans la mesure où les dommages qu’elle provoque touchent directement les sous-sols. Par ailleurs, étant donné que des échanges se produisent entre le milieu salé et le milieu de l’eau douce, nous nous intéressons aux phénomènes exceptionnels comme les tempêtes, mais aussi, à la demande des pouvoirs publics, à la remontée de l’eau marine, dans le cadre des changements climatiques, le service que dirige Mme Lenôtre étant très présent dans le Grenelle de la mer.

Toutes nos activités sont à la fois de recherche, mais également de service public avec une forte composante internationale. Les activités de recherche touchant au littoral français portent à titre régulier sur un certain nombre de sites où nous observons la vulnérabilité des zones côtières et testons différentes méthodes. Ainsi, un important projet, sur le point d’être achevé, porte sur la vulnérabilité des côtes basses à la submersion marine. Récemment, nous avons également travaillé sur les sites de Sète, du Bassin d’Arcachon, de Noirmoutier et de Dunkerque. Nos activités de service public portent sur des modèles relatifs à l’impact des houles de tempête ou cycloniques, aussi bien en France métropolitaine qu’outre-mer. Nous sommes impliqués dans des observatoires et des réseaux d’observation du littoral, y compris outre-mer, à la Réunion, à Mayotte et en Guadeloupe. À la demande du gouvernement territorial de la Polynésie, où un ouragan a sévi récemment, nous menons des études multi-aléas à travers un gros programme, ARAI 1 et ARAI 2. Selon le gouvernement territorial, les modèles que nous avons développés ont aidé à la préparation des plans de prévention des risques dans cette région et permis de la sorte de maîtriser les conséquences humaines et économiques de ce type d’événement.

Établissement de taille moyenne, le BRGM emploie un peu plus de mille salariés de droit privé, sans statut particulier. Nos activités sont exclusivement financées par l’extérieur : nous n’avons pas de recettes propres et sommes, dans l’activité de service public, producteurs d’activités gratuites, en particulier en appui aux politiques publiques. Nous recevons des dotations du ministère de la recherche pour nos activités de recherche, et du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer pour nos activités de service public. Nous avons des contrats avec les collectivités territoriales, en particulier les régions dans le cadre notamment des contrats de plan État-régions. À l’international, nous avons une série de financeurs publics, mais aussi privés dans le cadre de contrats miniers avec des entreprises.

Dans le domaine des ressources minérales, M. Borloo a en quelque sorte relancé, dans sa communication du 27 avril dernier, un plan minier français, en nous chargeant de reprendre, aussi bien sur terre qu’en mer, avec nos collègues de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer IFREMER les inventaires miniers délaissés depuis une vingtaine d’années, et de travailler sur les nouvelles actions de prospection, notamment sur les modèles de recherche qui les sous-tendent.

S’agissant de la tempête Xynthia, l’étude que notre établissement a menée prend place dans sa mission de service public. Il s’est en fait auto-mandaté, en se mettant spontanément au service de la collectivité. Le compte rendu de mission préliminaire apporte une première contribution. Si les pouvoirs publics veulent aller au-delà, cela devra faire l’objet d’une commande spécifique.

M. Manuel Garcin, ingénieur au département « risques naturel et sécurité du stockage du CO2 ». La première partie du compte rendu relate le déroulement de notre mission préliminaire sur la tempête Xynthia La mission de terrain a été réalisée du 8 au 12 mars 2010 dans le cadre d’un projet de recherche BRGM sur la submersion marine, dénommé RISCOTE, dont les objectifs sont multiples : développement, validation, application d’outils de modélisation numérique des vagues, des courants, des niveaux d’eau, évolution morpho-dynamique liée à la submersion marine. Ce projet nous amène à travailler sur les développements méthodologiques et instrumentaux (acquisition et traitement de données), sur l’établissement de courbes et indicateurs de vulnérabilité des différents environnements côtiers, notamment des plages, et sur les fonctions d’endommagement structurel dû au processus de submersion.

L’objectif de cette mission, menée en collaboration avec l’Office national des forêts – ONF – qui gère les dunes domaniales côtières, et avec l’Observatoire de la côte aquitaine (OCA), a été de recueillir, avant que les traces ne soient effacées, des informations sur les évolutions morphologiques du littoral, notamment les processus d’érosion, les niveaux d’inondation maximum, les dégâts induits, et les processus s’étant produits durant cette tempête. À moyen terme, ces données nous permettront de valider nos approches par modélisation.

Notre mission a effectué environ 300 observations géolocalisées dans une zone correspondant à 240 kilomètres de linéaire côtier à dominante sableuse, avec des formations dunaires plus ou moins développées qui isolent très fréquemment des zones de marais étendues, des secteurs à dominante vaseuse dans quelques baies et une artificialisation assez importante du littoral, avec des levées, des digues, des ouvrages portuaires.

Nos principales constatations portent sur l’érosion, la submersion et les dommages.

Nous avons noté, avec l’ONF, l’érosion de l’ensemble du cordon dunaire. Le recul est en moyenne de 3 à 5 mètres, avec des valeurs atteignant 22 mètres à l’Île de Ré et Olonne-sur-Mer. D’une façon générale, les dunes ont bien joué leur rôle de protection, car il n’y a pas eu de brèche ni de surverse, sauf une brèche dans le secteur de la Belle Henriette à la Faute-sur-Mer. D’où l’importance de suivre l’évolution des dunes, protections naturelles contre les submersions marines.

Nous avons constaté une submersion marine très importante. La cote absolue dépasse 4,5 mètres NGF aux Moutiers-en-Retz, à Charron, La Faute-sur-Mer, L’Aiguillon-sur-Mer – à comparer au niveau extrême de référence centennal, inférieur à 4 mètres NGF.

Les cartographies que nous avons réalisées dans certains secteurs pour établir des limites précises des inondations nous permettront de valider nos modélisations numériques.

Nous avons constaté des dommages sur le bâti, liés à l’érosion et à l’affouillement sous les fondations, en particulier à La Tranche-sur-Mer où beaucoup de maisons ont fortement souffert, parfois de façon irréversible à cause des fissurations, à l’action directe des vagues dans la zone de déferlement et à la subversion marine.

Les dommages sur les infrastructures concernent tous les ports, du fait du débordement, ainsi que les digues et les enrochements. Nous avons noté la formation de « renards » hydrauliques sur des digues solides construites en pierre, notamment dans la baie de L’Aiguillon, et même des projections de bloc d’enrochement de l’autre côté de l’embarcadère de La Tranche-sur-Mer !

Les dommages sur les réseaux routiers sont de plusieurs types. La destruction complète par petits fragments d’une route secondaire, due à la surverse sur la digue de L’Aiguillon, puis au ravinement, a mis a nu les réseaux. À la Faute-sur-Mer, la brèche de la dune de la Belle Henriette, l’invasion de la mer et la submersion au-dessus d’une structure de protection datant des années 1970 ont provoqué des dégâts sur la route et un ensablement des champs en aval.

M. Rodrigo Pedreros, ingénieur au département « risques naturels » et sécurité du stockage du CO2. La deuxième partie de notre compte rendu concerne les apports de la modélisation numérique.

De façon plus générale, différents processus peuvent être observés lors d’une tempête : une hausse du niveau de la mer, liée à la marée, avec un marnage qui peut être prédit ; une surcote atmosphérique générée par la conjonction du vent et de la dépression atmosphérique ; un déferlement des vagues du large vers la côte, dû au vent et entraînant deux processus : des courants longitudinaux ou perpendiculaires à la côte, mais aussi une surélévation du niveau de la mer. À ce niveau statique de la mer, on parle de set-up, ou surcote liée aux vagues. S’y superpose le niveau instantané : les vagues elles-mêmes dont le mouvement de va-et-vient s’appelle le jet de rive ou swash, et l’altitude maximale le run-up. En fonction de la topographie, il peut y avoir débordement ou pas.

En l’état actuel de nos connaissances scientifiques, nous arrivons à faire de très bonnes prévisions des vagues au large et des niveaux d’eau au large, mais avons plus de difficultés pour calculer le set-up et la submersion marine. En effet, le déferlement des vagues est un phénomène chaotique et le sédiment des plages bouge, d’où la création de brèches et la nécessité de savoir si les ouvrages de défense peuvent retenir l’énergie des vagues et du niveau d’eau.

Nous avons par ailleurs une mauvaise connaissance de la topographie : nous travaillons souvent avec les modèles numériques de terrain de l’Institut géographique national, dans lesquels l’erreur en altitude est plurimétrique. Il nous faudrait des données beaucoup plus précises pour prédire la surverse.

Pour mieux connaître le phénomène de la submersion, nous travaillons énormément sur des projets de recherche destinés caractériser la submersion à l’échelle régionale, avec des approches paramétriques, mais aussi sur des secteurs plus petits avec des données très fines en bathymétrie et en topographie.

J’en viens à nos observations relatives à la tempête Xynthia.

Le zéro hydrographique, c’est-à-dire le repère en altitude du Service hydrographique et océanographique de la Marine, n’est pas homogène sur toutes les côtes de France : d’après ses données de plus basse mer, la marée prédite à La Rochelle-La Pallice atteignait 6,48 mètres. Or le niveau d’eau observé a été de 8,1 mètres. Nous en déduisons donc une surcote atmosphérique de 1,53 mètre.

Qui plus est, les marégraphes sont difficilement utilisables pour obtenir une mesure du niveau d’eau : destinés à prédire la marée et à être utilisés pour la navigation, ils sont installés dans des zones protégées des vagues, essentiellement les ports. Ils enregistrent donc la marée, la surcote atmosphérique, mais pas d’ensemble du set-up. C’est pourquoi nos mesures sur le terrain, près des ports, établissent un niveau de l’eau, mais aussi un niveau de l’avancée de l’eau supérieurs à ceux enregistrés par le marégraphe.

Les 8,1 mètres équivalent à 4,5 mètres NGF. Le nivellement général de la France permet de comparer des altitudes d’un endroit à l’autre. En effet, on a l’habitude de raisonner en « zéro hydraulique » ou par rapport au niveau moyen des océans, alors qu’en matière de submersion il faudrait raisonner par rapport à un référent homogène pour toute la France.

Xynthia est un phénomène peu commun. Lors de la tempête de 1999, le niveau avait atteint 3,25 mètres NGF. À Brest en 1987, la surcote mesurée avait été de 1,40 mètre.

Cette tempête est un phénomène exceptionnel, au point que l’on ne peut pas utiliser les courbes habituelles de période de retour pour la qualifier. Tout ce que l’on peut dire est que les valeurs enregistrées sont supérieures au niveau de période de retour centennal.

M. le président Maxime Bono. Il y a eu une polémique à ce sujet.

M. Rodrigo Pedreros. En effet, nos propos antérieurs ont été mal interprétés, et nous avons demandé une correction au Journal Sud Ouest, qui l’a publiée le 29 avril 2010. Ce journal avait écrit le 21 avril que le BRGM prévoyait une période de retour de l’événement Xynthia de 10 000 ans, d’où l’arrivée du prochain en 12 010. Nous avons réagi en remettant en cause la validité des méthodes statistiques pour caractériser des phénomènes extrêmes, mais aussi la courbe de durée des observations. En effet, à La Rochelle, si les mesures sont effectuées depuis 1941, soit 69,5 années, le marégraphe a été si souvent en panne que le nombre total d’années complètes tombe à 25,5. Partant de là, il est difficile d’extrapoler des phénomènes. Ainsi, le journal Sud Ouest a corrigé ses informations en écrivant, à notre demande : « Attribuer une période de retour de l’événement Xynthia de 10 000 ans par simple extrapolation spatiale des données statistiques serait absurde, car les données disponibles sont de trop courte durée ».

M. le président Maxime Bono. Il est très gênant de s’appuyer sur un outil très imparfait. Si un marégraphe est hors service ou ne fonctionne pas en temps réel, comme nous l’avons entendu ici, il est difficile de faire des calculs statistiques.

M. Rodrigo Pedreros. À Brest, les mesures existent depuis 1846, soit 164,5 années, mais le marégraphe est très performant : il a fonctionné pendant 149,5 années complètes.

M. le président Maxime Bono. Faut-il rendre cet outil plus fiable ou s’appuyer sur des outils différents ?

M. Rodrigo Pedreros. Le marégraphe de La Rochelle a été changé en 1997 ; il est donc plus fiable. Néanmoins, mesurer les phénomènes lors d’une tempête nécessite de placer des capteurs en dehors des ports – ce qui est plus compliqué, mais les technologies existent. Nous le faisons nous-mêmes lors de campagnes de terrain, en plaçant des capteurs pendant deux à trois semaines afin de mesurer l’ensemble du processus.

Après Xynthia, nous avons fait un travail de modélisation en réalisant deux types de simulations numériques : une pour les niveaux d’eau et une pour les vagues. Il faut savoir qu’il n’existe pas de modèle unique mathématique et numérique permettant de simuler ou de prévoir l’ensemble des processus – il faut les séparer. Nous avons utilisé des modèles numériques que nous avions implantés sur le site dès 2006 – nous étudiions la mobilité sédimentaire dans ces secteurs – et validés avec des mesures.

Notre modélisation du niveau d’eau, le 28 février 2010 à quatre heures trente, heure locale, s’est appuyée sur le modèle MARS 2DH, développé par l’IFREMER. Nous avons utilisé un maillage avec quatre modes de calcul – quatre grilles imbriquées, du Portugal aux îles britanniques et très au large. Au départ, le calcul n’est pas très précis avec des mailles spatiales d’environ 6 kilomètres, mais au fur et à mesure que l’on se rapproche du site auquel nous nous intéressons, il est plus précis avec des mailles de 200 mètres. Nous avons également utilisé une base de données sur la marée au large – FES 2004 –, publiée par le laboratoire LEGOS de Toulouse, et le modèle américain de champ de vent GFS (global forecast system).

Nous constatons un niveau d’eau de 4,20 mètres NGF au pic de la tempête – à comparer aux 4,5 mètres NGF cités plus haut. Cette première évaluation quantitative n’est donc pas trop éloignée de la réalité. Cependant, ce modèle ne calcule par le set-up et l’on peut estimer que le marégraphe en a enregistré une partie.

Ensuite, nous constatons que le secteur le plus touché est Charron, en raison de la configuration de la côte, en forme d’entonnoir, où l’eau s’est engouffrée. D’après nos calculs, la hauteur d’eau ici a été d’environ 4 mètres NGF. Châtelaillon-Plage et La Tranche-sur-Mer ont également été très touchées. Avec des informations sur la répartition des niveaux d’eau, nous validons qualitativement notre modèle.

Pour notre modélisation des vagues, nous avons utilisé le code de calcul SWAN, développé aux Pays-Bas, le même champ de vent GFS, mais aussi le modèle de vagues global NOAA WW3, avec deux grilles imbriquées, de 1 kilomètre et 300 mètres. Dans le secteur, les houlographes n’ont pas fonctionné, sauf celui du SHOM, implanté sur le site en janvier 2010, qui a enregistré entre 7,30 et 7,40 mètres. Le SHOM m’a envoyé les données et notre modélisation m’a permis d’établir qu’au large de l’Île d’Oléron, les vagues ont pu atteindre entre 6,50 et 6,60 mètres, soit une erreur en hauteur significative des vagues inférieure à 10 %.

Là aussi, nous constatons que des secteurs sont plus exposés aux vagues que d’autres, notamment l’Île de Ré, où un recul de la dune de 22 mètres a été enregistré, et La Tranche-sur-Mer où, on l’a vu, le niveau d’eau a été très important. D’autres secteurs, comme Charron, ont été soumis à un niveau d’eau assez important, mais pas aux vagues.

En résumé, nous avons observé une érosion significative du cordon dunaire ; une submersion marine de grande ampleur – de 4,5 mètres NGF – ; des dégâts sur le bâti liés à plusieurs processus (érosion, action directe des vagues, projection de blocs, submersion) ; et des dégâts importants sur les infrastructures (port, réseaux, digues).

Pour renforcer la prévention, on peut améliorer la prévision du niveau d’eau au rivage : à l’échelle régionale, en augmentant la résolution spatiale et en tenant compte du set-up ; à l’échelle locale, grâce à une topographie fine qui permettra d’appliquer des modèles beaucoup plus sophistiqués et, ainsi de réaliser des simulations réalistes de la submersion à terre permettant de voir comment s’engouffre l’eau dans les rues... Tout cela nécessite des modèles numériques de terrain – MNT – haute résolution et des bases de données des ouvrages.

M. Jean-François Rocchi. Ces exposés ne sont que nos premiers constats, en raison de tâtonnements inévitables. En effet, le mauvais état des matériels ne nous a pas permis de disposer de mesures très fiables, et les modèles sont sujets à évolution. De notre repérage de quelques jours, nous ne pouvons donc pas tirer des conclusions sûres pour l’avenir.

Si les pouvoirs publics souhaitent voir ces travaux améliorés, il faudrait aller un peu plus loin dans les moyens mis en œuvre et la définition de certains modèles. À cet égard, nous pensons utile de pouvoir mieux mesurer ces phénomènes, en utilisant une méthodologie plus fine qui porterait sur un modèle numérique de terrain doté d’une meilleure résolution, et en prenant mieux en compte le set-up.

Au regard du phénomène, le coût de cet effort représenterait une dépense relativement modérée, comprise entre 2 et 2,5 millions d’euros maximum – soit l’équivalent de deux kilomètres de digues. Un tel projet, qui serait mené à bien en trois ans, nous serait fort précieux.

M. le président Maxime Bono. Pouvez-vous préciser à quoi servirait cette dépense ?

Mme Nicole Lenôtre, responsable du département « risques naturels et sécurité de stockage du CO2 ». Ces deux millions n’incluent pas l’achat des données. Ils concernent notre travail technique pour réaliser, à l’échelle régionale, une prévision améliorée sur la métropole grâce à l’achat d’un modèle de terrain étranger plus précis : InterMap. Nous n’avons pas, pour l’instant, évalué la dépense pour l’outre-mer, où les problèmes sont différents.

Dans le cadre du Grenelle de la mer, je préconise l’utilisation de LIDAR, une technologie dont sont déjà dotées toutes les zones basses anglaises, allemandes, belges et hollandaises, mais pas la métropole, sauf dans le Golfe du Morbihan et la rade de Toulon et au travers de quelques initiatives régionales en cours, notamment de la DREAL (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) du Nord-Pas-de-Calais. Cette technologie est également en cours de déploiement outre-mer, aux Antilles, à la Réunion et à Mayotte.

Pour prévoir des submersions, il faut des données de base précises et améliorer nos modèles.

Mme Marie-Line Reynaud. Comparés au service apporté aux populations, ces 2 millions ne représentent pas grand-chose ! Nous ne pouvons qu’appuyer votre demande.

Pour ce travail, notre pays est-il éligible aux aides européennes dans le cadre de la directive européenne relative aux risques d’inondation ?

Quels enseignements tirez-vous de ce que vous avez pu voir sur place – l’état des dunes et des infrastructures, notamment les digues – et quelles sont vos préconisations ?

Quelles sont vos relations avec l’IFREMER et PREVIMER ? Vos nouveaux outils permettront-ils une coordination propice à de justes prévisions ?

M. Nicole Lenôtre. Nous travaillons avec PREVIMER, dont le comité directeur se réunit aujourd’hui, et avons passé des accords cadres avec l’IFREMER.

J’ai envoyé aujourd’hui des demandes à PREVIMER qui portent sur la réalisation de zooms plus précis sur le littoral, pour détailler et améliorer les prévisions dans les zones où les enjeux sont importants.

S’agissant du financement, la Direction générale de la prévention des risques est chargée de la transposition de la directive cadre européenne de 2007. Manuel Garcin fait partie du groupe concernant la submersion marine. Un calendrier doit être suivi, car il faut fournir une évaluation préliminaire des risques d’inondation au 22 décembre 2011. La méthode « niveau zéro » est en cours et nous avons proposé d’aller un peu plus loin que ce calendrier pour prendre en compte l’ensemble des phénomènes. À ce stade, nous n’avons pas trop de financement. Ce travail est réalisé avec le Centre d’études techniques maritimes et fluviales – CETMEFet le CT Méditerranée, qui a donné les zones d’altitude basse, et nous l’enverrons à la DREAL.

CETMEF, BRGM et CT Méditerranée se sont réparti le travail consistant à suivre les DREAL qui examineront, avec leurs experts régionaux, la modification des limites. C’est un travail difficile au vu des échéances, et sans financement.

M. Manuel Garcin. Dans le cadre de notre mission, nous avons fait des observations ponctuelles, quelques petites cartographies, mais pas une observation exhaustive du linéaire côtier. Les ouvrages ne font par exemple pas partie de notre cœur de métier. Nous n’avons donc pas pu capitaliser toutes les informations.

M. le président Maxime Bono. Votre compte rendu propose la création d’une base de données sur les ouvrages de défense. Que devrait-elle comprendre ? Qui en serait responsable ?

Mme Nicole Lenôtre. Le CETMEF met actuellement en place cette base de données. Le BRGM est plus centré sur les ouvrages de défense naturelle, les dunes.

Nous travaillons en partenariat sur une base de données nationale, BOSCO (Base d’observations pour le suivi des côtes) et avons des échanges dans le cadre de plusieurs projets.

Je tiens à souligner l’importance des dunes, dont on parle peu. Ces ouvrages naturels doivent être entretenus, mais aussi préservés des enrochements qui accentuent le problème car, même s’ils le paraissent le résoudre localement, les voisins en paient les conséquences.

M. le président Maxime Bono. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur PREVIMER ?

Mme Nicole Lenôtre. Dans le cadre du service national d’océanographie côtière opérationnelle, PREVIMER est le seul projet tangible. Il a été financé par le FEDER et le CPER de Bretagne, et compte parmi ses principaux partenaires l’IFREMER, Météo France, le SHOM et le BRGM, ainsi que, de façon plus marginale, l’IRD et le CNRS.

M. le président Maxime Bono. Permet-il des prévisions beaucoup plus fines ?

Mme Nicole Lenôtre. PREVIMER réalise des prévisions des états de mer au large pour les façades métropolitaines. Il ne fournit pas le niveau de submersion en mer.

Nous encourageons l’établissement de zooms plus précis près de la côte, mais toujours en mer.

M. Rodrigo Pedreros. PREVIMER est un système de prévision à une semaine sur les courants, les niveaux d’eau et les états de mer.

Le BRGM ne travaille pas sur la prévision avec PREVIMER, mais fait de la recherche et développement au travers de projets communs avec l’IFREMER pour améliorer les modèles. Il s’agit de savoir comment un modèle 3D est plus performant qu’un modèle 2D et s’il prend en compte la transmission de la force des vents à la surface ; comment valider ce modèle avec des marégraphes et extraire le set-up ; et comment calculer le set-up pour que les futures cartes de PREVIMER en tiennent compte. Cela nécessite de trouver des formules paramétriques. Cette partie du projet a commencé en décembre 2009 et se poursuivra jusqu’en 2011.

Le but est également d’apporter tous ces aspects en Méditerranée, où PREVIMER n’est pas implanté, seule Marseille disposant de données.

M. le président Maxime Bono. Vos constatations à la suite de cette mission sont multiples. L’une d’entre elles vous paraît-elle primer ?

M. Rodrigo Pedreros. Actuellement, le système de prévision du niveau d’eau n’est absolument pas adapté à la submersion marine. L’organisme référent, Météo France, fait des calculs de vagues et de surcotes, mais ce sont des modèles hauturiers, avec des mailles encore plus lâches que celles de PREVIMER.

Dans la mesure où l’on ne sait pas comment ces grosses vagues au large se traduisent en submersion à terre – pour lesquelles des alertes interviennent vingt à trente fois par an –, il faut adapter ces systèmes de prévision, ce qui est possible si tous les organismes s’y efforcent. Des choses peuvent être faites rapidement grâce à l’IFREMER, qui développe des modèles, le SHOM, qui fait des mesures, et nous-mêmes. Je pense également au MNT NextMap, beaucoup plus précis avec une résolution spatiale de 5 mètres et une marge d’erreur inférieure à un mètre.

Sur le terrain, avec nos ordinateurs et au vu de documents MNT et de quelques valeurs de vague au large, nous avons constaté, en croisant nos propres observations, qu’il était possible d’établir sur une carte jusqu’où l’eau est allée !

M. Jérôme Bignon. Et Mercator océan ?

M. Rodrigo Pedreros. C’est un opérateur opérationnel en océanographie au large, PREVIMER l’étant pour l’océanographie côtière, d’où un lien direct entre eux. Il manque le lien avec le littoral, le rivage. Bien sûr, nous travaillons ensemble.

M. le président Maxime Bono. Quelles sont vos relations avec l’IGN ? Avez-vous des programmes communs ?

M. Rodrigo Pedreros. Nous sommes acheteurs de données.

Mme Nicole Lenôtre. Nous avons en commun le Géoportail, où l’IGN fait la visualisation, et nous le catalogage.

Le comité des utilisateurs du projet Litto3D, mené par le SHOM et l’IGN, est présidé par l’IFREMER, la vice-présidence est assurée par la région Haute-Normandie, et le secrétariat par le BRGM. Mais c’est un programme lourd où des priorités devraient, à mon sens, être fixées, notamment sur les zones basses.

En dehors de cela, nous n’avons pas de relation avec l’IGN. Nous en avons beaucoup avec le SHOM, l’IFREMER, Météo France avec lesquels nous étudions l’application des modélisations, avec des mailles larges, à notre petit littoral, et les prévisions en termes de vagues, d’élévation du niveau de la mer au regard du changement climatique. Nous avons une thèse en commun.

M. Jérôme Bignon. Tout ceci commence au large… Faites-vous partie du GIP Mercator océan ?

Mme Nicole Lenôtre. Non, c’est un opérateur pour le hauturier. Comme nous sommes dans PREVIMER, il nous suffit de récupérer les données.

M. Rodrigo Pedreros. Tout ne commence pas au large, cela dépend des phénomènes. Pour Xynthia, c’est le Golfe de Gascogne. Le modèle de Mercator Océan s’arrête à 200 mètres de profondeur.

Mme Nicole Lenôtre. Mercator océan fait des prévisions au large jusqu’à 200 mètres de profondeur, PREVIMER de 500 mètres à une zone de recouvrement de 10 mètres, et nous-mêmes travaillons de 30 à 50 mètres à plus 10 mètres, puisque nous traitons l’inondation à terre.

Mme Marie-Line Reynaud. Comment voyez-vous la collaboration idéale entre tous ces organismes pour que, à l’approche d’une tempête, toutes les données soient utilisées ? Certaines personnes auditionnées nous ont dit penser à PREVIMER pour gérer l’ensemble, donner des prévisions et lancer l’alerte. Qu’en pensez-vous ?

Mme Nicole Lenôtre. Le BRGM n’est pas dimensionné pour l’alerte, mais nous pouvons nous situer en amont.

Nous pouvons apporter la « brique » submersion à terre, hauteur d’eau et profondeur. Cela nécessite un travail en amont très important avec le SHOM, PREVIMER, Météo France et l’IGN, si ces deux derniers acceptent de nous fournir des données gratuitement – elles sont actuellement payantes et nous utilisons des données américaines.

M. le président Maxime Bono. Vos conventions prévoient-elles la mise à disposition de données gratuites ?

Mme Nicole Lenôtre. Non. Nous n’avons pas de convention avec Météo France.

M. le président Maxime Bono. Chaque « brique » est parfaite, mais pour Xynthia, le bulletin de Météo France dont disposait le préfet a été difficile à décrypter pour les élus locaux que nous sommes. Ainsi, l’alerte à la submersion a été sous-estimée.

M. Jérôme Bignon. Les régions outre-mer sont plus armées en matière d’alerte cyclonique.

M. Jean-François Rocchi. Dans le cadre du programme ARAI pour la Polynésie, les plans de prévention des risques que nous avons bâtis ont permis, grâce à des mécanismes d’alerte très précis, de faire reculer la population de 500 mètres à l’intérieur des terres. Ainsi, on a eu à y déplorer seulement une ou deux victimes lors du phénomène récent.

M. Jérôme Bignon. À la Réunion récemment, les populations ont été prévenues bien avant l’arrivée du cyclone.

M. Jean-François Rocchi. Oui, grâce à l’outil technique qui existe et une simplicité administrative : il n’y a pas une pluralité d’intervenants.

En France, il faudrait qu’une institution – peut-être les préfectures maritimes – ait un rôle de coordination.

Mme Nicole Lenôtre. Dans le cadre des plans séismes, nous faisons des scénarios de crise dans les Bouches du Rhône, les Hautes-Pyrénées, et du côté de Mulhouse. Le BRGM imagine un scénario plausible, et tous les services, notamment de la Sécurité civile, se réunissent pour réfléchir à ce qu’il faudrait faire. Ensuite, le retour d’expérience permet d’améliorer la gestion de crise. Ces exercices sont organisés sous l’égide du préfet.

Une telle méthode permettrait à tous les services de s’organiser pour relever les points forts et les dysfonctionnements.

M. Jean-François Rocchi. Il existe des préfets coordinateurs de bassin et, au regard du phénomène déclenchant, le préfet maritime est en effet bien placé, même si les effets s’en font sentir à terre.

M. Jérôme Bignon. Il s’agit d’une responsabilité de l’État et cela pourrait être une recommandation de notre mission.

Dans notre pays, beaucoup de choses sont remarquables, mais manquent de coordination. C’est un problème de gouvernance.

Mme Nicole Lenôtre. Des plans de prévention des risques littoraux existent. La demande du Président de la République d’accélérer tous les plans de prévention des risques est une bonne chose, mais il faudrait les établir par bassin de risque pour garantir une homogénéité entre les communes.

En outre, dans la mesure où des progrès dans la connaissance ont été réalisés, il faudrait réviser les guides méthodologiques des plans de prévention. Nous nous sommes en effet rendu compte qu’à la Guadeloupe, par exemple, l’érosion avait progressé et que les zones rouges n’étaient plus valables. Il faudrait également prendre en considération l’élévation du niveau de la mer dû au changement climatique.

M. Jérôme Bignon. La notion de bassin de risque n’existe pas d’un point de vue administratif.

Mme Nicole Lenôtre. Nous entendons par bassin de risque la cellule sédimentaire.

Il serait même intéressant de prévoir les aménagements – digues ou épis – à l’échelle du bassin de risque, car procéder à l’échelle administrative ne fait que reporter le problème chez le voisin.

M. Jérôme Bignon. Dans le cadre de l’étude sur la création du parc naturel marin des Trois estuaires, si l’on ne regarde pas l’ensemble – la courantologie dans la Manche avec les eaux de la mer du Nord qui s’engouffrent dans le détroit, les eaux de la Manche qui essaient de rentrer dans la mer du Nord, et les courants littoraux –, on n’a rien regardé !

Traiter une plage reporte en effet le problème sur celle d’à côté !

M. Rodrigo Pedreros. Notre premier travail consiste à segmenter la côte en zones homogènes par rapport au forçage maritime (vagues, courants, niveaux d’eau) et à la morphologie côtière. C’est la base. Les Hollandais et les Britanniques sont très en avance dans ce domaine. Travailler sur des unités homogènes permettra d’anticiper la résistance des ouvrages en cas d’inondation.

M. Jérôme Bignon. En tant que président du Conservatoire du littoral, j’ai rencontré le secrétaire général de la Commission internationale de l’Escaut. Je suis frappé du niveau de compréhension de nos amis hollandais ! Cela étant dit, ils ont encore au fond de leur cœur et de leur tête le drame de 1953, alors que la mémoire collective en France ne remonte pas très loin.

Mme Nicole Lenôtre. Au début du Grenelle de la mer, les Anglais et les Hollandais étaient toujours cités en exemple, car ils ont consacré énormément de financements dans ce domaine. Les Pays-Bas ont créé le Rikjwaterstaat.

M. Jérôme Bignon. Ce que fait cet organisme est remarquable.

Mme Nicole Lenôtre. Avec beaucoup de moyens : 500 personnes !

Nous-mêmes constituons, avec seulement 25 personnes, la plus grosse équipe française sur ces problèmes d’érosion, de submersion marine et de tsunami. À côté de cela, quelques universitaires et quelques bureaux d’étude (SOGREAH, CREOCEAN) s’intéressent au problème.

M. Jérôme Bignon. Au fond, un savoir-faire français est probablement ignoré du grand public, voire des pouvoirs publics. Entre le BRGM, PREVIMER et Mercator Océan, il y a un potentiel de travail. La France dispose du deuxième espace maritime du monde ! Il nous faut tirer les conséquences du drame Xynthia qui a provoqué la mort de plusieurs personnes.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia

Réunion du mercredi 26 mai 2010 à 17 heures

Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Maxime Bono, Mme Françoise Branget, Mme Marie-Line Reynaud

Excusé. - Mme Marguerite Lamour