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Mardi 29 juin 2010

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Maxime Bono

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Borloo, Ministre d’État, Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer.

Mission d’information
sur les raisons des dégâts provoqués
par la tempête Xynthia

M. le président Maxime Bono. Monsieur le ministre d’État, merci d’être venu parmi nous.

Dans le cadre de notre Mission d’information, dont les travaux touchent à leur terme, nous avons procédé, en dix semaines, à vingt et une auditions et entendu quarante et une personnes. Nous nous sommes rendus sur place (deux jours en Charente-Maritime, deux jours en Vendée) et avons rencontré les préfets et leurs collaborateurs, les représentants des différents secteurs économiques et des associations de défense des sinistrés, des élus, parmi lesquels les maires des communes touchées par la tempête, ainsi que les représentants des services départementaux d’incendie et de secours.

La question des zonages – les zones de solidarité – divise nos concitoyens touchés par la tempête. Si chacun se réjouit de l’intérêt porté par la Nation à l’égard des sinistrés, qui pourront vendre leurs biens dans les conditions qui étaient celles d’avant la tempête, beaucoup d’entre eux se considèrent comme frappés une seconde fois par un événement qu’ils ne maîtrisent pas. L’ensemble des membres de la Mission a le sentiment que les réponses apportées à cette catastrophe ont été précipitées. Certes, l’émotion, bien légitime après ce qui s’est passé, a pu conduire à des décisions incompatibles avec l’exigence scientifique. Mais aujourd’hui, avec le recul, monsieur le ministre d’État, procéderiez-vous de la même façon et formuleriez-vous les mêmes demandes auprès des « experts », entre guillemets, chargés d’établir les zones de solidarité ?

La dernière fois que vous vous êtes rendu en Charente-Maritime, vous aviez garanti à tous les sinistrés que leur situation serait examinée au cas par cas et qu’ils ne seraient pas traités en anonymes habitants de telle ou telle zone. Or il semble que ce discours, qui les avait rassurés et qui avait emporté l’adhésion des élus, ne soit plus celui qui est tenu.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, chargé des technologies vertes et des négociations sur le climat. Je ferai d’emblée une remarque : face à ce drame, tout le monde s’est bien comporté et a agi de façon solidaire, sans mettre en cause qui que ce soit. Dans une société qui est fréquemment celle de la dénonciation, il y a lieu de s’en féliciter.

Nous nous sommes trouvés face à un événement dont la forme et l’ampleur étaient inconnues. La veille, personne n’imaginait ce qui allait se passer. Celui qui aurait parlé d’un risque eût été considéré comme un oiseau de mauvais augure. Maintenant, il s’agit moins de chercher à savoir comment on aurait dû agir, que d’anticiper d’autres événements – quelqu’un m’a expliqué, par exemple, que si le Lay, rivière qui arrive directement sur le littoral, avait été en crue, c’eût été bien pire. Il nous faut donc prendre en compte non plus les risques connus, mais les risques possibles, évidemment difficiles à apprécier.

Avec le recul et l’expérience, si un événement de cette nature se reproduisait, que faudrait-il faire ? Très honnêtement, je ne peux répondre à cette question avec une totale certitude.

Les sinistrés de la tempête Xynthia ne sont pas les plus fortunés du pays et leurs biens immobiliers constituaient l’essentiel de leur patrimoine. Ils n’ont pas forcément envie de vivre dans un endroit dévasté, traumatisé, où les biens perdront irrémédiablement de leur valeur et où de tels événements risquent de se reproduire avec encore plus de gravité.

Il a été décidé, et c’est une décision de caractère politique, que les biens des sinistrés conserveraient la valeur qu’ils avaient avant la tempête. Ceux qui souhaitent vendre leur bien bénéficient ainsi d’une mesure exorbitante du droit commun. Il n’était pas possible de faire une distinction parmi les habitants de ces zones, entre ceux qui auraient été traumatisés et ceux qui ne l’auraient pas été, entre ceux qui auraient pu entrer dans le dispositif et ceux qui ne l’auraient pas pu.

Les zones de solidarité sont des zones qui créent un droit. On ne pouvait pas agir au cas par cas. Avec le recul, je pense que la démarche adoptée était la bonne – même si la dénomination « zones noires », du fait de son ambiguïté, a pu faire naître des difficultés.

Ceux qui ne souhaitent pas vendre à l’amiable leur bien à l’État rentrent dans une procédure classique de droit public qui passe par une analyse des dangers, laquelle ne peut se faire qu’au cas par cas.

D’autres problèmes – de densité, de mitage, d’isolement – vont de toutes façons se poser. On devine bien que ce n’est pas simple, d’autant que certaines zones nécessitent des travaux de sécurisation complémentaires.

Dans deux ou trois ans, on pourra sans doute adapter le dispositif en tirant les leçons de ce qui a été fait. Cela dit, j’observe qu’à l’heure actuelle 300 familles (279 il y a dix jours) ont souhaité bénéficier de cette mesure de solidarité. On appréciera ensuite, au cas par cas, les zones de risques.

L’exercice consistant à analyser les zones de risque est, par nature, très difficile pour les experts. On leur demande de dire qu’à tel endroit il n’y a pas de risques mortels et qu’il n’y en aura plus jamais, quelles que soient les conditions futures, que l’on ne connaît pas.

La tempête Xynthia constitue un événement exceptionnel. Cela dit, on observe que les incidents climatiques se sont multipliés et aggravés en Europe en général, et en France en particulier : crues soudaines, précipitations, phénomènes délicats à expliquer. Je suis là avec l’humilité qui sied à une personne qui essaie de gérer une situation complexe.

M. le président Maxime Bono. Chacun mesure la difficulté de l’exercice qui est le vôtre.

Vous disiez que nous avions créé un droit au bénéfice de toute personne qui souhaiterait l’exercer. Le problème est que ces zones créent également des obligations pour ceux qui ne souhaitent absolument pas l’exercer et qui risquent de devoir quitter, le cas échéant, un bien auquel ils sont très attachés. La procédure d’expropriation est parfois douloureusement vécue.

Avez-vous le sentiment que les délais impartis pour déterminer ces zones aient été suffisants pour mener une analyse scientifique sereine, précise et probante à l’égard des personnes sinistrées ? Nous risquons d’avoir du mal à nous montrer très convaincants sur le terrain.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Monsieur le ministre d’État, personne ne conteste cette mesure de solidarité, qui est assez exceptionnelle et qui a été mise en place très rapidement. Sauf qu’elle a été appliquée d’une manière uniforme dans des endroits qui ne l’étaient pas. Elle a été fort bien été accueillie à La Faute-sur-Mer ou à Charron – où sont localisées les offres de France Domaine. Ailleurs, des problèmes se posent.

Je voudrais revenir sur le délai de détermination des zonages : entre la circulaire du 18 mars aux préfets, signée par votre directeur de cabinet, et le 21 mars, date qui leur était imposée pour remettre leurs cartes de zones d’extrême danger. Cela me paraît un peu court, pour ne pas dire extrêmement court, pour ne pas dire tout à fait surprenant !

Les expertises ont été menées de façon superficielle, de l’avis de tous les maires qui y ont assisté sur le terrain – encore faut-il qu’ils aient rencontré des experts… Et elles leur ont été présentées de façon encore plus brutale. Certains d’experts que nous avons auditionnés, n’ont pas remis d’expertise à proprement parler. L’un d’eux nous a même confié que le délai de la commande était strictement incompatible avec un travail au résultat avéré ! Cela signifie que les zones de solidarité ont été tracées avec quelque légèreté !

Il semblerait enfin que les dernières décisions ne s’appuyaient que sur une seule expertise.

Il y a également beaucoup à dire sur le discours utilisé.

Sous le coup de la terreur, on a d’abord annoncé qu’il faudrait « tout raser ». C’est ce qu’envisageait le préfet de Charente-Maritime, le jour de Pâques, pour le village des Boucholeurs – à l’époque en zone rouge. Il y avait de quoi s’inquiéter.

Heureusement, le 15 avril, vous êtes venu en Charente-Maritime et vous avez « redressé » le discours. À partir de ce moment-là, on n’a plus parlé de « zones noires », mais de « zones de solidarité ».

Le 8 juin 2010, dans un courrier que vous m’aviez adressé, vous indiquiez qu’il y avait trois solutions : premièrement, l’acquisition amiable dans les zones de solidarité ; deuxièmement, en cas d’extrême danger, la déclaration d’utilité publique selon une procédure rodée, au terme de laquelle le juge se prononce ; troisièmement, et je vous cite : « Comme indiqué dans mon courrier du 15 avril 2010, des expertises complémentaires seront menées au cas par cas, afin d’examiner si les critères justifiant un extrême danger sont bien remplis pour les logements concernés. Si tel n’est pas le cas, les logements ainsi considérés seront retirés de la zone de solidarité et ce, avant même le lancement de l’enquête publique relative à la procédure de déclaration d’utilité publique ».

Les choses étaient donc parfaitement claires et je dois dire que, sur ces éléments, tout le monde pensait que cela se passerait relativement bien. Mais ce n’est pas tout à fait ce que l’on constate sur le terrain, monsieur le ministre d’État. À en croire les lettres des préfets adressées aux maires, notamment à ceux de Fouras et de Châtelaillon, qui se trouvent dans des zones qui auraient dû faire l’objet d’expertises complémentaires, il n’y a plus que deux solutions : la vente amiable ou la procédure. Je tiens ces lettres à votre disposition.

Celle que le préfet de Charente-Maritime a envoyée à des habitants de la zone noire va dans le même sens. En voici quelques extraits :

« Une partie de votre propriété est située dans cette zone de solidarité. J’ai donc souhaité, comme je l’ai déjà fait pour les habitants des autres communes concernées par les zones de solidarité, m’adresser directement à vous.

« Par une mesure exceptionnelle de solidarité nationale, le Gouvernement a décidé de vous proposer une acquisition amiable », précisant dans sa lettre : « au prix du marché avant la tempête ». Puis il ajoute : « Ainsi que l’a indiqué le Gouvernement, vous pouvez ne pas souhaiter souscrire à cette offre d’acquisition amiable. Une déclaration d’utilité publique, pour raisons de sécurité, sera alors mise en œuvre, dans le cadre de laquelle sera effectuée une expertise […] de chaque parcelle,… »

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Une expertise « contradictoire », « au cas par cas », de chaque parcelle !

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. « …donc de chaque habitation, pour évaluer les risques. Au terme de cette procédure, les juridictions compétentes se prononceront sur une éventuelle expropriation et, le cas échéant, sur la valeur de l’indemnisation. Ceci étant, ce montant risque, à l’issue de la procédure judiciaire d’expropriation, de se trouver en décalage avec les prix de l’immobilier pour un bien équivalent. »

On n’évoque plus la possibilité d’extraire une habitation de la zone de solidarité, mais on n’oublie pas de préciser qu’au terme d’une éventuelle procédure le bien n’aura pas la même valeur.

Monsieur le ministre d’État, le discours a changé. Nous aimerions donc savoir laquelle de ces procédures va s’appliquer.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Je veux bien concéder une maladresse de forme. Reste que vous ne pouvez pas sauter des mots comme « au cas par cas » ou « contradictoire ». Le préfet aurait dû préciser aux habitants qu’ils pourraient rester chez eux s’ils n’étaient pas concernés par cet examen au cas par cas. Quoi qu’il en soit, le processus reste le même.

Les travaux qui ont été réalisés, et dont je vous communiquerai la liste, ont nécessité 5 000 heures d’expertise. Il est normal de dire que l’on n’est pas d’accord, mais il faut reconnaître ce qui est. Certains ont pourtant déclaré – j’ai les dépêches en ma possession – que l’institution de ces zones de solidarité et l’achat, par l’État, des maisons sinistrées revenait à gaspiller l’argent public. Il y a de quoi être surpris !

Je reconnais que l’élu local, dans une période post-traumatique, marquée par l’urgence, se trouve dans une situation épouvantable. Ses administrés, ceux avec lesquels il a une relation de confiance, lui demandent la vérité et attendent des réponses immédiates à leurs questions – que va-t-il nous arriver, sommes-nous dans une zone où l’on va pouvoir vendre ? Mais pour que l’élu leur apporte des réponses, il faut que ceux qui sont chargés du dossier puissent déjà lui en apporter.

La lettre que j’ai adressée aux élus a été rédigée en accord avec l’ensemble des élus rencontrés.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Et elle me convient tout à fait !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Elle convient à tout le monde, parce que nous l’avons rédigée ensemble. Mais comme celui qui « débarque » pour essayer de traiter le dossier ne ressent pas la même émotion et la même inquiétude, on peut être confronté à des problèmes de formulation.

Si l’on s’en était tenu aux examens au cas par cas, aujourd’hui, trois mois après la tempête, bien des gens qui ne pourront jamais réintégrer leur maison attendraient encore et seraient en pleine dépression, voire pis.

Il est un peu sévère de critiquer les services décentralisés de l’État qui ont mis au point une opération de solidarité unique, laquelle a nécessité deux textes de loi. Que je sache, douze ou treize semaines plus tard, les premiers chèques sont arrivés !

Je le répète, dans de tels cas, la position des élus est épouvantable. S’il le faut, nous reprendrons nos explications, en précisant bien le processus, notamment pour ce qui se passe lorsque l’on ne se trouve pas sur une parcelle de risque avéré.

D’autres problèmes vont se poser, qu’il conviendra d’examiner. Certaines communes perdront en densité parce que des gens auront vendu. Ces ventes ne seront pas sans conséquences pour les finances de la commune, et pour les habitants qui resteront.

Je prends note du fait que, sous le coup de l’angoisse et en lisant vite, on peut se dire qu’on n’a plus que deux solutions : l’expropriation ou la vente amiable. Une lecture attentive ne mène pas aux mêmes conclusions. Mais je reconnais que ce qui compte, c’est le ressenti des gens.

M. le président Maxime Bono. Monsieur le ministre d’État, merci d’avoir précisé la manière dont doit être interprété le périmètre des zones de solidarité.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre d’Etat, l’État a bien agi en disant aux populations qu’il sera là si elles ne veulent plus rester où elles habitent. À ma connaissance, c’est la première fois qu’une réponse urgente de ce type est apportée.

À présent, il faut se poser la question de savoir de quelle façon l’État sera là.

Quelle est la nature des aléas – je reprends volontairement le vocabulaire utilisé par votre ministère –, comment sont-ils déterminés, quelles sont les expertises, la connaissance du milieu, les critères pris en compte ? La démonstration nous a été faite que ce n’était pas si simple.

Je suis maire de Gonfreville-l’Orcher, près du Havre, où se trouve une très importante zone industrielle. Pour notre plan de prévention des risques technologiques (PPRT) en cours, l’établissement de la cartographie des aléas et des conditions à remplir pour établir la dangerosité prendra déjà deux ans !

Après l’immédiateté d’une réponse de solidarité, il faut maintenant prendre le temps d’une réponse sereine, et donc durable.

Pendant longtemps, les zones de danger ont été définies de manière déterministe : à tel danger, tel périmètre. Aujourd’hui, un élément nouveau est pris en compte dans les PPRT, y compris par votre ministère : la notion de probabilité. Par conséquent, sur toutes les questions touchant au risque, telles la vague de Nice et les inondations, on doit non seulement réagir d’urgence, mais aussi prendre le temps de mettre en place des plans de prévention des risques.

Votre souci, comme celui des élus, est de protéger les habitants. « Plus jamais ça ! » signifie : « plus jamais de morts » !

L’alerte, les exercices pour la mise en sûreté des habitants, les plans communaux de sauvegarde sont des outils qu’il faut résolument mettre en œuvre, avec des moyens mis à disposition par votre ministère.

Ces zones « noires », ces zones « de solidarité », sont pour moi des zones floues, non déterminées pour l’avenir. A-t-on les moyens de réduire le risque à la source, grâce à des endiguements, par exemple ? Est-on capable d’apprécier les enjeux ? Les notions d’alerte, d’exercices, de connaissance du risque par les habitants peuvent-elles faire évoluer les zones de danger ?

Mme Pascale Got. Monsieur le ministre d’État, vous évoquez à juste titre l’aggravation des aléas, à la fois par leur puissance et leur nombre.

La tempête de 1999 a certainement été le point de départ : les aléas survenus depuis lors, y compris les dernières crues du Var, montrent l’ampleur de ces phénomènes.

En dépit de cela, on peut noter une certaine stagnation en termes de moyens d’alerte. Même si le principe de précaution – je pense notamment aux avertissements de Météo France – fonctionne plutôt bien, il est selon moi nécessaire de monter en puissance sur la gouvernance de la gestion des risques et pour une meilleure grille de lecture de la gestion de l’aléa. Un exemple : il ne faut plus, en France, se contenter d’un simple SMS pour prévenir la population de tel ou tel risque. En Europe, des pays beaucoup plus sensibilisés que le nôtre, comme les Pays-Bas, ont déployé des systèmes assez poussés, dont nous ferions bien de nous inspirer.

Avez-vous d’ores et déjà l’intention d’agir plus rapidement pour la mise en place d’une meilleure gouvernance ?

M. Philippe Plisson. S’agissant des réparations d’urgence des digues avant les tempêtes d’équinoxe, il semblerait – comme nous l’avons entendu, en particulier de la bouche d’un préfet – que les crédits attendus tardent à venir.

Quant à la restauration à long terme des digues, pouvez-vous nous confirmer l’engagement de l’État et nous préciser sa hauteur ? Nous avons entendu dire qu’il serait compris entre 40 % et 50 %. Il nous faudra des engagements fermes dans la durée et, éventuellement, demander aux collectivités territoriales de trouver les 50 % restants, ce qui n’est pas gagné.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Afin de « caler » les modèles mathématiques et scientifiques capables de définir les aléas, et d’avoir une cartographie suffisamment fine des régions sensibles, des systèmes ont été lancés, mais n’aboutiront pas avant dix-huit mois, voire deux ans.

Parallèlement, les préfets ont demandé aux maires des communes comportant des « zones noires » de fournir dans un délai de six mois un projet de protection globale de leurs communes respectives, faute de quoi les « zones noires » pourraient être étendues.

Ces deux délais étant incompatibles, existe-t-il une situation intermédiaire aujourd’hui ?

Mme Marie-Line Reynaud. Alors que la Vendée et la Charente-Maritime n’ont absolument pas la même configuration, les critères, comme celui du recul de la ligne de côte, s’y appliquent d’une façon égale. Ni M. le rapporteur ni nous-mêmes ne comprenons cette doctrine. Pourquoi ne pas améliorer le système de protection aux Boucholeurs, par exemple, où nous nous sommes rendus, ou dans d’autres communes ?

S’il est important que les communes se dotent rapidement d’un plan de prévention des risques, beaucoup des maires que nous avons rencontrés nous ont dit ne pas en avoir mis un en place. Que comptez-vous faire pour accélérer les choses ?

À Blaye, dans l’estuaire de la Gironde, un système de modélisation a été utilisé pour réaliser des prévisions en cas d’aléa grave. Sachant que certaines personnes auditionnées ont souligné l’insuffisance de crédits pour acquérir les techniques scientifiques permettant de fournir les prévisions les plus fines, quels moyens financiers prévoyez-vous ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. L’alerte météo la plus précise en Europe est départementale. Ainsi, en cas d’incertitude sur un point de fixation locale inconnu, qui peut être un peu plus élevé, il faudrait passer systématiquement à la vigilance rouge. Mais si cela se produit soixante-douze fois par an, la vigilance « rouge » n’a plus aucun sens ! Dans le Var, les services de Météo France ont d’abord tous été d’accord, en coordination avec le ministère, sur l’alerte orange, mais un événement totalement inconnu et localisé est intervenu, et ils ont hésité sur l’opportunité de donner l’alerte rouge. Le problème est donc celui de la taille et du niveau d’alerte. C’est pourquoi Météo France a présenté une demande de financement de radars plus précis, qui permettent de définir des zones infra-départementales. Ils seront expérimentés.

Dans la mesure où il y a pratiquement autant de types d’alerte que de communes, les plans communaux de sauvegarde sont vitaux – le terme n’est pas excessif. Il y a trois ans, 10 000 PPRI étaient jugés nécessaires ; leur nombre est passé à 12 000 aujourd’hui. Ceux effectivement réalisés sont au nombre de 6 500. Sur ces 6 500, les plans communaux de sauvegarde, obligatoires pour les communes couvertes par un PPRI, s’élèvent à 2 000. C’est pourquoi, à la demande des préfets, nous allons mobiliser des équipes de soutien itinérantes pour aider les collectivités, en association avec les départements, à mettre sur pied un plan communal de sauvegarde.

Mais la loi ne suffit pas : une méthodologie peut faire gagner un temps considérable pour mettre en place cet outil local. Le plan sera lancé à la rentrée.

Concernant la détermination des zones d’aléa et d’urgence, les règles sont différentes pour les PPRT et les PPRI. La loi Grenelle 2 a renforcé la capacité de l’État à accélérer et à imposer les PPRI. La législation en la matière est d’ailleurs récente : il y a quelques années, Michel Barnier a voulu que les élus soient associés au débat. Certes, tous les PPRI doivent être mis sur pied pour l’avenir, mais ne pensons pas qu’ils nous protègent : à Draguignan, un PPRI existait. C’est le plan communal de sauvegarde qui protège en cas de situation d’urgence.

Ma réponse sur la gouvernance tient donc en deux points : information infra-départementale et plan communal de sauvegarde. Néanmoins, toute proposition complémentaire issue de votre Mission sera étudiée avec le plus grand soin.

Enfin, s’agissant du financement des digues, l’engagement sera de 40 % au titre de l’État, et de 10 % au titre des fonds structurels. L’une des deux collectivités locales a fait savoir qu’elle financerait le complément, et j’ai cru comprendre que la seconde le ferait également. Je n’ai donc pas le sentiment que cela soit un problème insurmontable ni pour la Vendée, ni pour la Charente-Maritime.

M. le président Maxime Bono. Y aura-t-il une « jurisprudence Xynthia » ? Autrement dit, la solidarité nationale mise en œuvre pour la Vendée et la Charente-Maritime s’exprimera-t-elle de la même façon à l’égard des personnes frappées par une catastrophe naturelle, notamment par une inondation, dans le Var ou ailleurs ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Dans cette période de traumatisme, avoir utilisé les mêmes mots, le même processus et le même calendrier pour deux situations géographiques sensiblement différentes a probablement été une erreur. À mon avis, la plupart de nos difficultés viennent de là. Cela a entraîné les mêmes incompréhensions, y compris à partir de la lettre citée par M. le rapporteur.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Sauf à Charron !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. En effet.

À l’avenir, il faudra donc veiller, en cas de situations objectivement différentes sur un site, à ne pas employer le même calendrier, ni les mêmes mots, ni lancé le même processus. Cela ne veut pas dire que cela n’aboutira pas à l’ouverture d’un petit droit – il n’y a pas de raison qu’un seul département en bénéficie.

Je répondrai à votre question par l’affirmative, mais de façon modulée : face à des événements d’une telle gravité, où le traumatisme sur un territoire n’est pas isolé, où les gens et leurs enfants ont le sentiment d’avoir tout perdu, il nous faut instaurer une solidarité nationale, mais être très mesurés sur ce type de procédure.

Par ailleurs, il faut prendre garde de tomber dans l’appréciation souveraine discriminante de l’État. Le problème n’est pas celui du danger : c’est le critère. L’appréciation de la perte de valeur du bien est, quant à elle, plus aléatoire. En outre, retirer des habitations des zones de solidarité est complexe.

Ainsi, je pense que la « jurisprudence Xynthia » devra être maintenue à l’avenir sur d’autres zones très traumatisées. Néanmoins, il faudra en tirer les leçons car jamais un processus aussi solidaire n’a été mis en place. Paradoxalement, il est cependant ressenti comme étant contre les gens ! On a donc raté quelque chose !

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Y a-t-il un délai au-delà duquel les gens ne pourront plus accepter une vente amiable en Vendée et en Charente-Maritime ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Oui, car c’est une procédure exceptionnelle. Cela étant dit, c’est un droit, et je ne veux en aucun cas donner le sentiment qu’une pression est exercée sur les gens. La date n’est pas définie, et elle devra être fixée avec délicatesse.

On a inventé un circuit, en s’appuyant sur deux articles de loi et trois décrets, on a ouvert un compte en banque, de nouvelles procédures existent, et on a déjà l’argent ! Tant que les hommes qui l’ont inventé seront là, cela fonctionnera !

Dans cette procédure exceptionnelle, malgré les imperfections, des gens ont énormément travaillé, jour et nuit ! Au total, 779 propositions écrites ont été chiffrées, dont aucune à ce jour n’a été jugée indigne : elles sont plutôt considérées comme très raisonnablement évaluées. Des virements ont déjà été effectués, et beaucoup d’interlocuteurs sont concernés dans la chaîne, y compris le TPG et la Caisse des dépôts.

Mme Catherine Quéré. Y a-t-il suffisamment d’argent ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Pour l’heure, nous n’avons pas de difficulté.

M. Dominique Caillaud. Dans le secteur de La Faute-sur-Mer, les expressions publiques des premiers jours ont été très différentes et souvent trop brutales.

Sur la définition des zones, certaines incohérences ont entraîné des incompréhensions. Utiliser les termes « zone noire », avec un périmètre tracé à la hache, a créé un vrai conflit car, cela a été dit, il n’y avait pas de salut à l’intérieur de cette zone : les gens devaient partir. On aurait pu éviter ce traumatisme en définissant plutôt une « zone à risque ». En revanche, l’indemnisation a été parfaite. Aujourd’hui, deux mois après le drame Xynthia, c’est l’indemnisation qui définit la zone : ainsi, la zone noire est devenue un petit périmètre par rapport à ce qu’elle était au départ. Je reste persuadé que c’est la bonne approche pour l’avenir.

En outre, il a été indiqué que la zone initiale allait éventuellement être modifiée par les préfets. Or on n’a pas eu le sentiment que cela ait été suivi d’effet.

Par ailleurs, le ministère doit, à mon sens, clarifier la doctrine en matière de protections car, après la tempête, les discours publics sur les digues ont beaucoup varié. Nous avons commencé par entendre dire que l’on ferait comme s’il n’y avait pas les digues. Cela est intenable pour l’habitat existant dans un certain nombre de cas, où il faut réaffirmer la nécessité absolue des protections. Parfois, il faut également accepter des dérogations en matière d’urbanisme dans les zones à risque. Si des élévations, ne serait-ce que d’un étage, avaient été acceptées à La Faute-sur-Mer, le risque mortel, même dans la zone la plus exposée, aurait été quasiment nul. Il faudra donc avancer sur les contraintes architecturales dans les zones à risque.

Enfin, s’agissant des décisions prises par les services de l’État et les élus, il conviendrait de s’inspirer de la jurisprudence utilisée pour l’Association des maires de France, qui recherche la responsabilité du maire uniquement en cas de faute inexcusable ou grave. Celui qui a pris, en l’état de la science ou des informations disponibles, les décisions qui paraissaient collectivement bonnes ne doit pas être traduit devant les tribunaux quinze ans plus tard en référence à des situations qu’il ne pouvait pas anticiper. Soulager les services de l’État et les élus de responsabilités pénales massives dans la définition de l’aléa de catastrophe naturelle leur permettrait d’aborder plus sereinement les zones inondables et les plans de sauvegarde, et d’accepter que nos populations vivent, comme elles y sont habituées dans nos régions, avec un risque normal.

M. Philippe Plisson. Si la Gironde a été très peu touchée par la tempête Xynthia par rapport à celle 1999, une ou deux familles vivant sur la presqu’île d’Ambès et régulièrement inondées l’ont été et souhaiteraient bénéficier de l’expropriation. Est-ce envisageable, sachant qu’elles ne sont pas dans les zones de solidarité ?

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur. Ouvrez-vous la possibilité à des propositions de ce genre en Vendée et en Charente-Maritime ? Des habitations totalement isolées dans le marais peuvent-elles être expertisées si la commune où elles sont implantées n’est pas concernée par le zonage ?

Pouvez-vous préciser clairement que, dans les zones de solidarité, ce sera soit la vente amiable, soit le maintien de l’habitation s’il est avéré que celle-ci n’a pas été impactée par la tempête ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. La question n’est pas de savoir si l’habitation a été ou non impactée par la tempête, mais celle de savoir si elle met en danger du fait de son emplacement. Nous regardons de bonne foi et de manière contradictoire si le danger est avéré ; si c’est le cas, notre responsabilité collective, en notre âme et conscience, nous conduira à dire qu’il n’est pas raisonnable de laisser les gens là où ils habitent.

Je vais réécrire les procédures et vous enverrai le document avant de le signer pour éviter toute ambiguïté.

M. le président Maxime Bono. Le contradictoire a manqué jusqu’ici, monsieur le ministre d’État. La Mission permettra peut-être de surmonter les imperfections qui ont pu exister.

Mme Pascale Got. La notion de zonage dépasse la Charente-Maritime et la Vendée. Des particuliers habitant dans des zones inondables souhaitent surélever leur maison d’un étage afin de se sécuriser. Mais aujourd’hui, plus personne ne leur accorde l’autorisation de travaux, sous le prétexte que l’on ne sait pas s’ils devront, à terme, quitter leur emplacement. Beaucoup de personnes viennent ainsi me voir dans ma permanence pour me demander si elles peuvent d’ores et déjà se mettre en sécurité avant la définition, probable, de zones en Gironde.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Même imparfait, un zonage ouvre un droit. Sans zonage, il n’y a aucune raison que des milliers d’endroits ne bénéficient pas du même droit au titre du principe d’égalité entre les citoyens. Il n’est pas interdit d’examiner un point particulier, mais l’ouverture d’un droit sur tout le territoire, quelles que soient les circonstances, est impossible car elle poserait d’énormes difficultés non seulement du fait de la masse, mais aussi des critères d’appréciation, qu’il faudrait préciser. C’est pourquoi, au-delà de mon émotion, je dois rester ferme. On a ouvert un droit exorbitant du droit commun !

Par conséquent, on en reste à la date, à cet événement et à cette zone.

Les plans communaux de sauvegarde sont d’une importance majeure : ils sont indispensables pour empêcher que la somme des principes angoissants ne rende invivables nombre de parties du territoire.

M. le président Maxime Bono. Monsieur le ministre d’État, merci pour ces réponses et pour le temps que vous nous avez consacré.

La Mission rendra probablement son rapport dans les jours prochains. Elle souhaite, avec son rapporteur, éclairer ceux qui seront amenés à prendre des décisions, afin que celles-ci soient mieux comprises, et contribuer à une évolution de la législation, notamment par le développement des plans communaux de sauvegarde, qui vous tiennent à cœur.

—fpfp—

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia

Réunion du mardi 29 juin 2010 à 18 heures

Présents. - M. Jean-Claude Beaulieu, Mme Véronique Besse, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Dominique Caillaud, Mme Pascale Got, M. Christian Kert, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Louis Léonard, M. Jean-Marie Morisset, M. Philippe Plisson, M. Jean Proriol, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud

Excusés. - Mme Françoise Branget, Mme Marguerite Lamour, M. Dominique Souchet