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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi  7 avril 2010

Séance de 17 h

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Claude Birraux, député, Président

– Audition, ouverte à la presse, du Collège de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)

Audition, ouverte à la presse, du Collège de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)

— Présentation du rapport 2009 de l’ASN devant l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques —

M. Claude Birraux, député, Président de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est félicité de retrouver les commissaires de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) à l’occasion de la présentation de leur rapport annuel d’activité, ce rendez-vous devenant habituel depuis la constitution de l’ASN en Autorité administrative indépendante, en 2006. L’audition publique est publique, au sens où elle ouverte à la presse. Mais ce rendez-vous régulier n’est pas la seule occasion pour l’ASN de faire profiter l’OPECST de son expertise, puisque l’ASN a participé le 13 octobre 2009 à une autre audition publique, également ouverte à la presse, à propos de l’uranium de retraitement. Le statut d’Autorité administrative indépendante de l’ASN garantit l’absolue indépendance de ses missions de contrôle. Il est le résultat d’un long processus d’adaptation, que l’OPECST a voulu et accompagné depuis 1990, avec cette longue série de 24 rapports que l’Office parlementaire a consacrés aux questions de sûreté nucléaire ou de gestion des déchets nucléaires, et dont M. Claude Birraux fut le rapporteur pour quinze d’entre eux, seul ou conjointement. Ces rapports ont conclu à des demandes successives d’évolution de la structure administrative en charge de la sûreté nucléaire, qui est ainsi passée du statut de service du Ministère de l’industrie à celui de direction en 1991, puis de direction générale en 2002, et enfin de direction générale à Autorité administrative indépendante en 2006.

La présentation du rapport d’activité est l’occasion de rappeler que la responsabilité de l’ASN concerne toutes les formes d’exploitation des matières radioactives, c’est-à-dire non seulement celles liées à la production d’énergie nucléaire, mais aussi celles liées à l’utilisation de la radioactivité pour les soins médicaux. De ce point de vue, l’Office parlementaire s’est réjoui d’avoir vu se concrétiser l’idée qu’il avait soutenue de longue date que l’ASN voie ses compétences de contrôle étendues aux activités de radiologie. Il est en effet essentiel que tout le capital culturel d’éveil permanent à la vigilance et à la prudence qui s’est constitué au fil des années dans le monde de l’industrie nucléaire, intégrant un suivi très précis des conditions de travail des personnels, puisse bénéficier au monde de la médecine nucléaire.

M. Claude Birraux a rappelé que l’Office parlementaire était chargé par la loi ou les organes du Parlement de conduire des évaluations dans des domaines de la science présentant un enjeu politique crucial pour notre pays. Il a mentionné l’exemple de l’audition organisée en mars 2009 par M. Jean-Claude Etienne, sénateur, premier Vice-Président de l’OPECST, et Mme Brigitte Bout, sénateur, sur le traitement de l’obésité, ou encore de l’étude publiée en décembre 2009 par M. Christian Bataille, député, et lui-même, sur la performance énergétique des bâtiments. La fonction d’éclairage scientifique et technologique de l’Office parlementaire le place en position privilégiée pour contribuer à la fonction de contrôle du Parlement ; c’est la raison pour laquelle la loi du 13 juin 2008 sur la transparence et la sûreté en matière nucléaire l’investit de la tâche de se saisir du rapport annuel d’activité de l’ASN ; le rythme annuel de ce contact institutionnel est pertinent, car il permet de faire un point régulier sur les évolutions, sans perdre le fil des dossiers en cours.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’ASN, a expliqué qu’au-delà de l’obligation légale, c’était un honneur de rendre compte au Parlement, par l’intermédiaire de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; que c’était également un devoir moral, puisque le Parlement a balisé l’ensemble du parcours qui a conduit l’ASN dans son statut actuel. Il a ensuite indiqué que la présentation comporterait six interventions : celle de M. Jean-Christophe Niel, Directeur général de l’ASN, pour un bilan d’ensemble de l’année 2009 ; celle de M. Jean-Rémi Gouze, commissaire, à propos des centrales électronucléaires ; celle de M. Michel Bourguignon, commissaire, à propos des expositions médicales ; celle de Mme Marie-Pierre Comets, commissaire, concernant le rôle et le fonctionnement de l’ASN ; lui-même traitera de la coopération internationale et de la construction européenne, avant que M. Marc Sanson, commissaire, ne termine en évoquant les moyens de fonctionnement de l’ASN.

M. Jean-Christophe Niel, Directeur général, a rappelé que l’ASN contrôle deux grands domaines d’activité, d’une part le nucléaire de proximité, qui rassemble les usages des rayonnements ionisants dans le monde industriel, dans la recherche et en milieu médical, et d’autre part les installations nucléaires.

Les conditions de sûreté en milieu médical ont continué à progresser en 2009 par rapport aux années précédentes, même si la situation des centres de radiothérapie demeure hétérogène : l’ASN en a suspendu six, en raison principalement du nombre insuffisant de radiophysiciens et de manipulateurs ; mais quatre de ces centres ont de nouveau été autorisés à rouvrir à ce jour. Les problématiques de sécurité semblent mieux suivies par les professionnels du secteur, comme le suggère d’une part, l’accroissement du nombre d’événements indésirables déclarés à l’ASN en 2009 et, d’autre part, le succès de la conférence internationale organisée par l’ASN en début décembre 2009 sur la sécurité des soins en radiothérapie, qui a rassemblé 350 personnes de 34 pays, à la fois des professionnels (radiothérapeutes, radiophysiciens, dosimétristes, industriels des équipements de radiothérapie, représentants des administrations de régulation ou de contrôle) mais aussi et peut-être surtout des patients.

Une préoccupation nouvelle se fait jour concernant la radiologie interventionnelle, notamment pour certains actes de neurologie et de cardiologie, car les doses délivrées peuvent devenir très importantes à cette occasion.

L’année 2009, comme les années précédentes, a été assez satisfaisante du point de vue de la sûreté dans les installations nucléaires. Elle a cependant été marquée par deux incidents de niveau 2 : l’un dans l’usine MELOX, filiale d’AREVA à Marcoule, et l’autre dans l’atelier de technologie du plutonium (ATPu) du CEA à Cadarache. Par ailleurs, l’état des générateurs de vapeur de certaines centrales nucléaires constitue un sujet de préoccupation, de nouveaux défauts non-anticipés ayant été mis en évidence ces dernières années.

Le bilan de l’année 2009 a été plutôt satisfaisant pour EDF au plan de la radioprotection et de la sûreté nucléaire. Toutefois, les efforts entrepris depuis quelques années pour améliorer la rigueur d’exploitation des centrales nucléaires devront être poursuivis. Des actions correctrices seront nécessaires dans le domaine de la protection de l’environnement, un nombre plus important d’écarts ayant été constaté par rapport aux années précédentes en ce qui concerne les rejets non-radioactifs. Dans le cadre de la formulation d’un jugement d’ensemble sur les conditions dans lesquelles les dix-neuf sites d’EDF sont exploités, jugement fondé sur les inspections, les présences sur site lors des arrêts de réacteurs, l’analyse des événements déclarés et l’instruction des dossiers soumis à l’ASN, cinq sites se distinguent de manière positive : Golfech sur les aspects de sûreté nucléaire, de radioprotection et d’environnement ; Bugey, Gravelines et Penly en ce qui concerne la sûreté nucléaire, et Civaux en ce qui concerne la radioprotection. Quatre sites sont en retrait : Saint-Alban sur l’ensemble des aspects (sûreté nucléaire, radioprotection et protection de l’environnement), Chinon et Flamanville en matière de sûreté nucléaire, et Belleville en matière d’environnement.

Les installations du cycle du combustible ont connu plusieurs incidents en 2009, montrant des faiblesses dans l’organisation de la sûreté et de la radioprotection des installations du groupe AREVA. L’ASN attend en tout cas plus de rigueur dans le respect des critères de déclaration et de télétransmission des comptes rendus des événements. Le bilan de fonctionnement des usines de La Hague est satisfaisant, en particulier en ce qui concerne l’exposition des personnels. Toutefois, à l’occasion des réexamens de sûreté que la loi impose de manière décennale, il convient de faire un effort supplémentaire dans la rédaction des règles générales d’exploitation et dans la définition et l’identification des éléments importants pour la sûreté. S’agissant des installations du site du Tricastin, l’ASN considère comme positive la mise à l’arrêt des installations anciennes et leur remplacement par des usines dont la sûreté est renforcée, celles de Comurhex II et Georges Besse II. Toutefois, l’ASN est préoccupée par le report de certains projets, comme celui ayant trait au traitement des effluents ou au traitement des déchets sur ce site.

Concernant le CEA, outre l’incident de l’ATPu pour lequel l’ASN a rappelé au CEA l’importance de la rigueur dans l’exploitation de ses installations, l’ASN a également demandé au CEA de poursuivre la démarche dite des « grands engagements ». Cette démarche doit conduire à une meilleure maîtrise des projets complexes qui présentent par ailleurs des enjeux de sûreté nucléaire et de radioprotection. Il importe en effet que le CEA consacre les moyens nécessaires, tant budgétaires qu’humains, à la bonne réalisation de ces « grands engagements ». Dans son rapport annuel 2008, l’ASN avait indiqué qu’elle souhaitait un renforcement des moyens de contrôle de l’inspection nucléaire du CEA. Elle a donc noté avec satisfaction que des garanties avaient été apportées sur ce point. Elle regrette toutefois que le positionnement hiérarchique de l’Inspecteur général nucléaire, qui a un rôle tout à fait fondamental à jouer de son point de vue, n’ait pas évolué en rapport à son indépendance au sein du CEA et à ses missions.

M. Jean-Christophe Niel, Directeur général, a conclu son bilan global en signalant qu’en 2009, l’ASN avait réalisé 2 112 inspections tous domaines confondus (installations nucléaires, transport de matières radioactives, activités mettant en œuvre des rayonnements ionisants, inspection des organismes et laboratoires soumis à agrément et inspection des équipements sous pression). Le centre d’urgence de l’ASN a été gréé à cinq reprises : deux fois concernant le site du Blayais, sur l’estuaire de la Gironde, en raison de conditions climatiques dégradées, une fois sur le site de Cadarache en raison d’un incendie aux alentours du site, et deux fois pour des pertes de la source froide des centrales de Cruas et de Fessenheim. Les exploitants nucléaires ont déclaré 1 074 événements, dont 130 ont été classés au niveau 1 de l’échelle INES (International Nuclear Event Scale), trois au niveau 2 (les deux intervenus à Marcoule et à Cadarache, plus la perte de source froide de la centrale de Cruas, qui était une perte totale).

M. Jean-Rémi Gouze, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, s’est proposé d’analyser les conditions de la sûreté du parc de production électro-nucléaire au regard de trois enjeux d’avenir majeurs : la prolongation de l’exploitation des centrales au-delà de trente ans, la demande d’EDF d’une prolongation de l’exploitation au-delà de quarante ans, la mise en œuvre des réacteurs EPR.

Les 34 réacteurs de 900 MW mis en service entre 1977 et 1988 arrivent sur leur trentième année d’activité, et doivent faire l’objet de leur troisième réexamen de sûreté décennal et de leur troisième visite décennale. Ces opérations ont été engagées en 2009 pour Tricastin 1 et Fessenheim 1, et le seront en 2010 pour Tricastin 2. L’ASN a confirmé en juillet 2009 qu’elle n’avait pas identifié d’éléments génériques qui pourraient mettre en cause l’exploitation des réacteurs de 900 MW au-delà de trente ans, et qu’elle se déterminerait au cas par cas, en fixant au besoin les prescriptions techniques conditionnant l’autorisation de poursuite d’exploitation au-delà de trente ans. Les premières décisions seront prises fin 2010 pour Tricastin 1 et au printemps 2011 pour Fessenheim 1 ; les autres s’échelonneront jusqu’en 2020 lorsque viendra le tour des centrales de Chinon.

Par ailleurs, EDF a exprimé la demande de pouvoir exploiter ses réacteurs au-delà de quarante ans, en évoquant l’échéance de soixante ans. Cette problématique est très différente de la précédente, car il s’agit d’une durée qui va au-delà de celle qui était prévue à l’origine. L’ASN considère qu’il est légitime de se poser la question dès à présent pour préparer les choix industriels nécessaires, soit une évolution des réacteurs pour leur exploitation au-delà des quarante ans, soit un renouvellement du parc de production par de nouvelles unités, nucléaires ou non. Pour instruire cette demande, l’ASN, qui est soucieuse de l’amélioration continue du niveau de sûreté des réacteurs nucléaires, fera référence aux objectifs de sûreté de l’EPR. Par ailleurs, dans ce processus pour décider de la prolongation au-delà des quarante ans, l’ASN considère qu’il sera nécessaire de tenir un débat ouvert, sous une forme à déterminer, pour associer les différentes parties prenantes.

L’EPR respecte des principes de sûreté aboutis et reconnus internationalement, qui sont issus du retour d’expérience de Three Mile Island, de Tchernobyl et du 11 septembre 2001. La conception du contrôle-commande, qui est un dossier névralgique, n’a pas paru suffisamment fiable aux trois Autorités intéressées : l’ASN, le STUC finlandais et le HSE britannique, et elles l’ont fait savoir. En France, et parallèlement dans d’autres pays, EDF et ses fournisseurs travaillent maintenant à proposer des solutions pour la mise en conformité de ce contrôle-commande. Sur le chantier de Flamanville, l’ASN est vigilante sur les conditions de construction d’un nouvel EPR, car elles doivent respecter le cahier des charges prévu par EDF pour assurer la sûreté du fonctionnement futur du nouveau réacteur. L’ASN est également vigilante sur la gouvernance de l’EPR qui est envisagée à Penly. L’opérateur finalement retenu pour ce projet devra disposer, comme l’impose la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN), des compétences et des moyens financiers propres, indispensable pour la construction, l’exploitation et le démantèlement du réseau.

M. Michel Bourguignon, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, a fait le bilan de la situation de sûreté dans les domaines de l’exposition médicale diagnostique et de la radiothérapie.

Les plus fortes doses de rayonnements ionisants d’origine artificielle délivrés à la population sont le fait des expositions médicales à des fins de diagnostic. Elles ont augmenté de 57 % en cinq ans, selon un rapport récent de l'Institut de veille sanitaire (INVS) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Deux origines complémentaires à cette évolution : l’augmentation du nombre des examens réalisés et l’augmentation de la dose délivrée pour chaque examen. En raison de leur utilité, l’augmentation de ces expositions médicales apparaît inéluctable. Le problème est qu’il existe un risque potentiel de cancers à long terme après cumul de doses, en particulier chez des personnes jeunes. L’ASN a donc demandé un renforcement de la justification des examens, afin d’éliminer les examens inutiles. Le guide du bon usage des examens d’imagerie médicale est en cours de révision par les professionnels. L’ASN a demandé aussi un renforcement de l’optimisation de la réalisation de ces examens. Le manque de physiciens médicaux en France ne va malheureusement pas dans le sens de cette optimisation.

Le recours préférentiel à l’imagerie par résonance magnétique, méthode non-irradiante qui devrait s’imposer pour un nombre important d’examens, notamment du cerveau, de la moelle épinière, des articulations, pâtit de la limitation du parc des appareils disponibles en France. Les délais de rendez-vous sont de plusieurs semaines. Un doublement du parc serait nécessaire.

En ce qui concerne la radiothérapie, l’ASN a noté des progrès dans la sécurité des traitements des cancers, mais l’ASN reste très préoccupée par le manque de physiciens médicaux dans de nombreux centres de radiothérapie. Les mesures transitoires fixées par le Ministère de la santé sont détournées par certains centres, et l’adossement à des grands centres est presque virtuel dans la pratique. Une trentaine des 180 centres de radiothérapie français pourrait ne pas atteindre le critère de présence permanente de deux physiciens par centre fixé par l’Institut national du cancer. Or il s’agit d’une valeur minimale, car elle ne tient pas compte des rythmes réels d’activité, ni du cas où il existerait deux accélérateurs. Cinq ans après l’accident d’Epinal, le rythme d’accroissement des effectifs de physiciens médicaux est encore insuffisant, car une partie de ceux-ci, une fois formés, ne se tournent pas vers la radiothérapie, mais vers l’imagerie médicale, qui a aussi des besoins immenses. Les physiciens n’ont pas, dans notre pays, de statut à la hauteur des enjeux posés par la physique de haute technologie. En médecine, il n’y a toujours pas de filière universitaire pour des enseignants de physique médicale, à la différence de nos grands pays voisins.

Enfin, l’ASN souhaite que des travaux de recherche sur la radiosensibilité individuelle, phénomène en grande partie responsable des effets secondaires ou des complications de la radiothérapie en dehors de tout incident ou accident qui sont observés chez environ 5 % des patients (soit 10 000 personnes en France), soient encouragés et financés, de même que les traitements de ces complications par des greffes de cellules souches mésenchymateuses, qui pourraient être, dans la majorité des cas, autologues.

Mme Marie-Pierre Comets, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, a ouvert sa synthèse sur le rôle et le fonctionnement de l’ASN en rappelant que l’Autorité a pour mission le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et l’information du public. A ce titre, elle rend des avis au Gouvernement, prend des décisions vis-à-vis des exploitants, réalise des inspections, prend position sur des sujets majeurs, délivre la certification (c’est-à-dire l’approbation des options de sûreté) des nouveaux réacteurs.

Pour un petit nombre de grandes décisions concernant les installations nucléaires, comme la création ou la mise à l’arrêt définitif et le démantèlement, l’ASN instruit la demande, rend un avis au Gouvernement qui décide. Pour toutes les autres décisions (autorisations de mise en service, modifications, prescriptions, sanctions administratives), c’est l’ASN qui instruit et décide. Le collège de l’ASN prend ses décisions après une instruction approfondie, s’appuyant en particulier sur les expertises réalisées par l’IRSN. Il n’y a pas d’instance d’arbitrage de ses décisions. Comme pour d’autres autorités administratives indépendantes, celles-ci peuvent faire l’objet d’un recours contentieux devant le Conseil d’Etat.

Parmi les décisions prises en 2009, on peut citer l’autorisation de mise en service de l’installation GB II d’enrichissement d’uranium par centrifugation, la suspension du chantier de Flamanville 3 à la suite de la constatation de nombreux écarts dans le bétonnage, la décision de rebut des pièces du pressuriseur pour l’EPR de Flamanville, parce qu’elles avaient été fabriquées par un sous-traitant sans respecter les procédures de qualité requise ; la suspension des opérations de démantèlement dans l’ATPu (l’atelier de technologie du plutonium), après la découverte d’une masse importante de plutonium en rétention dans les boîtes à gants, et enfin des décisions de suspension de centres de radiothérapie offrant une présence insuffisante de radiophysiciens.

L’ASN a pris position publiquement sur les conditions et la durée nécessaires aux nouveaux pays souhaitant se doter d’un réacteur nucléaire, sur la production de radioéléments à usage médical, ou bien encore en rendant un avis défavorable sur un projet d’arrêté fixant la composition du dossier et les modalités d’information des consommateurs dans le cas d’une demande de dérogation à l’interdiction d’addition de radionucléides.

L’ASN remplit son rôle de façon responsable, en adaptant son contrôle aux enjeux de sûreté et de radioprotection, et en le réalisant de façon transparente. Elle ne le fait pas de façon isolée. Elle est reconnue au plan international, et c’est ainsi qu’elle a pris des positions communes avec certains de ses homologues étrangers, comme par exemple sur le système de contrôle-commande du réacteur EPR avec les Autorités de sûreté finlandaise et anglaise, ou bien encore sur des équipements fabriqués par Nordon pour l’EPR finlandais avec ses homologues finlandais, américain et anglais.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a évoqué ensuite l’activité de l’ASN en matière de coopération internationale et de construction européenne.

L’ASN consacre 5 % de ses effectifs aux affaires internationales, soit 20 à 25 personnes, ce qui correspond à un investissement très important par rapport aux autres Autorités de sûreté nucléaire dans le monde. La coopération internationale prend une forme bilatérale avec les homologues d’une vingtaine de pays. Dans certains cas, ces relations bilatérales vont jusqu’à l’échange de personnes sur longue durée et la réalisation d’inspections conjointes. L’ASN participe par ailleurs activement à l’élaboration des standards de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), normes sans caractère obligatoire, mais servant de référence de beaucoup de pays. L’Autorité concourt aussi aux travaux de deux structures informelles : le MDEP (Multinational Design Evaluation Program), destiné à permettre à un certain nombre d’Autorités de sûreté de partager la charge de la certification des nouveaux réacteurs, et l’INRA (International Nuclear Regulators Association) qui réunit neuf chefs d’Autorité de sûreté.

Au niveau européen, l’ASN est membre de l’association WENRA (Western European Nuclear Regulation’s Association) qui réunit les dix-sept chefs d’Autorité de sûreté nucléaire des pays nucléaires d’Europe sauf l’Arménie, la Russie et l’Ukraine. Cette association a d’ores et déjà publié des niveaux de référence de sûreté pour les réacteurs existants, et ses membres ont tous décidé de les transposer dans leurs réglementations respectives ; en France, un projet d’arrêté est soumis à consultation à cette fin. WENRA s’attache actuellement à élaborer des niveaux de référence pour les déchets nucléaires, et dresse un bilan des réacteurs de recherche anciens, en vue de leur arrêt éventuel. Enfin, WENRA a récemment soumis à consultation un projet définissant des objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs en Europe.

Un club des responsables des Autorités de radioprotection en Europe est en cours de création, l’HERCA (Head of European Radiation Control Authorities). Au cours de ses premières réunions, il a déjà pris un certain nombre d’initiatives, comme par exemple des contacts avec les fabricants d’appareils utilisés en radiothérapie pour les inciter à réduire les doses des appareils.

L’ASN a participé à l’élaboration de la directive européenne sur la sûreté nucléaire publiée le 25 juin 2009, et au projet de directive européenne sur les déchets actuellement en cours de discussion. Ces avancées montrent qu’un réseau européen en matière de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, dans lequel l’ASN joue un rôle de premier plan, est en train de s’organiser. Il ne vise nullement in fine à constituer une Autorité européenne de sûreté nucléaire ou une Autorité européenne de radioprotection. Il s’appuie lui-même sur un réseau d’organismes d’expertise technique, comprenant au premier chef, l’IRSN.

M. Marc Sanson, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, dans son évocation des moyens de l’indépendance de l’ASN, a commencé par préciser que l’ASN ne dispose pas de la personnalité morale, à la différence de l’Agence française de lutte contre le dopage ou de l’Autorité des marchés financiers. Son autorité est acceptée et reconnue en France et à l’étranger. Elle ne revendique donc pas par principe un changement de statut qui lui donnerait plus d’autonomie. Elle souhaite en revanche des aménagements simples de règles administratives et budgétaires, pour faciliter son fonctionnement. Plusieurs de ses homologues, les Autorités suisse, suédoise ou britannique, disposent du reste d’une large autonomie, notamment financière, qui leur permet de fonctionner efficacement.

Les aménagements souhaités portent sur deux points : l’évolution de la structure budgétaire et le régime des astreintes.

Le budget de l’ASN est aujourd’hui réparti entre quatre programmes distincts : le programme 181 (prévention des risques) pour 52 millions d’euros au titre des dépenses de personnel, du fonctionnement de l’ASN et des interventions de l’ASN ; le programme 190 (ancien programme 189 élargi) de recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de l’aménagement durable, dont 78 millions d’euros au titre de l’appui technique de l’IRSN à l’ASN ; le programme 217 de conduite et pilotage des politiques du ministère chargé de l’écologie, dont environ 9,5 millions d’euros au titre du fonctionnement des onze divisions territoriales de l’ASN ; le programme 218 de conduite et pilotage des politiques économiques et financières, dont environ 6,2 millions d’euros au titre du fonctionnement des services centraux de l’ASN.

Cet éclatement conduit à des difficultés en matière de préparation, d’arbitrage et d’exécution budgétaire. Elle conduit également d’une part à ce que les crédits d’appui de l’IRSN à l’ASN ne soient pas inscrits dans le programme 180, qui porte pourtant les crédits de fonctionnement et d’intervention de l’ASN, et d’autre part à ce que près d’un quart des effectifs de l’ASN n’apparaisse pas dans les documents budgétaires : ceux mis à disposition par des établissements publics, notamment l’IRSN et le CEA, comme le permet l’article 15 de la loi TSN de 2006. Ces effectifs ne sont pas comptés dans le plafond d’emploi de l’ASN et ne sont pas mentionnés au titre de l’ASN, même en commentaire dans les plafonds d’emploi des établissements publics correspondants. Par ailleurs, cet éclatement empêche les parlementaires et le public d’avoir une vision complète des moyens budgétaires affectés au contrôle de la sûreté nucléaire en France.

La meilleure solution consisterait à regrouper ces quatre programmes en un seul, qui serait intitulé « Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ». A défaut, il faudrait au moins regrouper les parties des programmes 181, 217 et 218 qui concernent l’ASN dans un programme unique dont le Président de l’ASN serait le responsable, comme le permet la loi organique relative aux lois de finances.

S’agissant de l’astreinte, l’ASN souhaite remplacer le système actuel dit « de foisonnement », qui repose sur le volontariat jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de monde pour gréer le centre de crise en cas d’incident ou d’accident. Ce système peut poser problème en période d’été ou de long week-end. La mise en place d’un système plus approprié, qui ne poserait aucun problème budgétaire puisque l’ASN puiserait dans ses ressources par redéploiement pour indemniser ses agents, se heurte à la réglementation existante. Cela suppose de prendre un arrêté, donc d’obtenir la signature d’au moins un ministre en charge du dossier, et donc un passage du projet d’arrêté en comité technique paritaire de ce ministère, par exemple le ministère chargé de l’écologie. Pourtant, les agents de l’ASN ne votent pas et n’ont pas de représentants à ce comité technique paritaire ministériel, ni à aucun autre, l’ASN disposant d’un comité technique paritaire propre, qui a du reste donné un avis favorable au projet. La mise en place du nouveau système se heurte en outre à l’interprétation du ministère chargé de la fonction publique, qui conteste le mode et le montant de l’indemnité prévue. L’ASN souhaiterait que l’OPECST apporte son concours à la concrétisation de ces évolutions indispensables.

M. Claude Birraux, député, Président de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ouvrant le débat, s’est interrogé sur la manière dont les parlementaires pourraient s’impliquer pour résoudre la carence de physiciens médicaux dans notre pays. Il a observé que cette difficulté se manifeste au niveau des effectifs de l’Ecole européenne de physique médicale, qui est située dans sa circonscription, et qui bénéficie du soutien et de l’expertise du CERN, tout proche. Elle forme des étudiants de troisième cycle dans deux domaines : la physique des accélérateurs et la physique biomédicale ; elle est ouverte à des praticiens en activité, et fonctionne par session d’une durée de six week-ends étendus. Or, à côté des nombreux étudiants qui viennent des pays de l’Est ou du Moyen-Orient, les Français sont rares. L’OPECST avait organisé une audition publique après les incidents d’Epinal et de Toulouse en 2007, et le tableau quasi-apocalyptique dressé à cette occasion par l’un des intervenants resterait donc d’actualité. Or, comme l’a signalé le professeur Bourguignon, la question des doses reçues par les patients se pose aujourd’hui avec acuité. L’amélioration de la formation des praticiens médicaux devient donc plus nécessaire encore aujourd’hui. Comment peut-on s’y prendre pour résoudre cette question ?

Par ailleurs, qu’en est-il du suivi des sous-traitants ? Lors de l’audition publique que nous avons organisée le 16 décembre dernier sur les conditions d’approvisionnement de notre pays en électricité cet hiver, le Président Proglio, a fini par lâcher cette phrase : « le monde est dominé par les financiers, mais je suis décidé à ce qu’une vision industrielle prenne la première place dans l’entreprise que je préside ». Si l’on découpe les tâches de maintenance en tranches toujours plus fines pour mieux tirer les prix à l’occasion de la passation des marchés, ce qui signifie le recours à des prestataires venus d’horizons de plus en plus divers, comment s’assurer de la double qualification indispensable des entreprises et des personnels intervenant en sous-traitance ? En outre, où en est la surveillance des travailleurs itinérants ? J’avais participé en 1997 à La Marche du siècle dans laquelle intervenait l’un de ces techniciens nomades, qui cumulent les doses en allant d’une centrale à l’autre pour ouvrir les couvercles de cuves ; il s’appelait Tintin. La règle est-elle toujours de demander au médecin du travail de leur entreprise de vérifier leur carnet de santé ? Je crains en effet que les préoccupations de médecine du travail ne se perdent un peu avec la multiplication des appels à la sous-traitance. Ne serait-il pas indispensable d’envisager une réforme drastique dans ce domaine, en ayant en quelque sorte une centralisation régionale de la médecine du travail auprès des DRIRE, qui vérifieraient les carnets d’habilitation avant les prestations, pour permettre ou non à ces personnes de venir faire leur travail ?

Le rapport d’activité mentionne un cas d’utilisation défaillante de la gammagraphie sur un chantier. Quelle est la part de l’activité de l’ASN qui est mobilisée en direction des utilisations industrielles de la radioactivité, à côté du contrôle de l’industrie nucléaire et de la radiologie médicale ?

Le démantèlement de l’atelier de technologie du plutonium à Cadarache est-il toujours suspendu ? L’ASN a-t-elle autorisé sa reprise, sachant que chacune des boîtes à gants contenait plus d’un kilo de plutonium, ce qui apparaît considérable ?

Par ailleurs, l’ASN a toujours indiqué qu’il n’y aurait pas d’autorisation générale de prolongation de la durée d’exploitation des centrales. Peut-on imaginer des limites technologiques ou techniques au relèvement des exigences de sûreté conditionnant la poursuite d’exploitation, à l’occasion de chaque révision décennale ?

Enfin, un grand journal du soir a dit, à propos de la quatrième génération, qu’elle semblait permettre à une ancienne piste technologique de renaître de ses cendres, tel le Phénix. Où en sont les réflexions de l’ASN à ce sujet ?

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, revenant sur la carence numérique des praticiens en radiophysique médicale, a observé que certains progrès ont été réalisés au cours des dernières années, puisque les effectifs sont plus nombreux au stade de la formation, la difficulté demeurant toutefois que beaucoup de diplômés se dirigent vers d’autres disciplines dans lesquelles ils sont également demandés. Cela traduit un manque de reconnaissance du radiophysicien comme doté d’une spécificité, ce qui impliquerait d’intervenir au niveau de son statut, dont la rémunération fait partie.

M. Michel Bourguignon, Commissaire de l’autorité, a indiqué que la formation des radiophysiciens intervient dans le cadre du DQPRM (Diplôme de qualification en physique radiologique médicale). Cette formation comporte d’abord une partie théorique, pendant quelques mois, puis une partie pratique dans les hôpitaux. Et c’est cette dernière qui pose problème, puisque la carence de praticiens se traduit aussi par un manque d’enseignants pour assurer cette partie pratique. Les étudiants sont répartis dans les différents services de radiothérapie, mais n’y sont pas accueillis. Le Président de la société de physique médicale a démissionné quand il a été mis devant ce fait. La situation est donc extrêmement difficile : il faudrait établir une vraie filière de formation universitaire pour encadrer les étudiants, comme celle dont bénéficient les jeunes médecins dans les hôpitaux, qui font un apprentissage de six mois aujourd’hui, et bientôt d’un an et demi, pour apprendre le métier sur le terrain.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a ajouté que l’Institut national du cancer a fixé certains critères que les centres de radiothérapie doivent remplir d’ici 2012, et qu’il est malheureusement tout à fait clair qu’en l’état actuel de la situation, un nombre important de centres ne seront pas en mesure de remplir ceux relatifs à la disponibilité des radiophysiciens.

M. Michel Bourguignon, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, a précisé qu’en l’occurrence, le critère concernait l’obligation de disposer de deux accélérateurs, deux radiothérapeutes et deux physiciens. Or avec deux physiciens, on ne peut pas couvrir une période de traitement allant de 7 heures du matin à 22 ou 23 heures le soir, si l’on tient compte des congés, des formations, des recettes à faire sur une nouvelle machine ; la recette d’un nouvel accélérateur de physique médical mobilise un physicien à plein temps pendant un mois. Les centres risquent de se retrouver avec des machines formidables, sans personne pour vraiment s’en occuper avant qu’elles ne soient utilisées avec les patients.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, Premier vice-Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, s’est inquiété des trop lentes avancées dans ce domaine, malgré la démarche entreprise, l’an dernier, à pareille époque, auprès du ministre chargé de la santé, par l’Office parlementaire. Le besoin d’effectif supplémentaire avait alors été évalué à environ 340 physiciens d’ici à 2012.

Dans le même courrier, l’Office parlementaire avait avancé la nécessité de prendre des mesures provisoires qui permettent au moins d’apporter rapidement plus de garanties pour le malade et les personnels. Elles devaient consister en une collaboration régionale entre les centres, et la prescription de doses reçues par les patients définie de façon séquencée, plus fréquente et plus précise.

Après avoir constaté qu’un an plus tard, la carence en radiophysiciens perdure, M. Jean-Claude Etienne s’est interrogé sur la mise en œuvre de ces mesures provisoires.

M. Michel Bourguignon, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, a expliqué que l’effectif de radiophysiciens formés avait progressé de 46 à 77, la promotion comporterait 100 étudiants l’an prochain. Mais comme 25 à 30 % des physiciens formés se tournent vers l’imagerie médicale, nous ne progressons finalement que d’une cinquantaine de physiciens par an, ce qui reste peu. Cela prendra donc encore plusieurs années avant d’atteindre un niveau satisfaisant, mais ne rattrapera toutefois pas le niveau de nos voisins.

L’adossement des services les moins bien dotés à des services plus grands reste bien souvent virtuel, malgré l’engagement contractuel. Les physiciens ont d’ailleurs expliqué qu’ils ne souhaitaient pas prendre en charge la machine de radiothérapie d’un autre service, car bien souvent ils ne connaissent pas cette machine. Même dans le cas où cet adossement a été réalisé, comme entre le Puy-en-Velay et Saint-Etienne, le service de Saint-Etienne (qui est un service beaucoup plus grand) avait donné son accord, à la condition que le nouvel accélérateur acheté au Puy soit de la même marque que le sien, auquel cas le physicien pouvait se transplanter d’un système sur l’autre. L’accélérateur qui a été acheté a pourtant été d’une autre marque. En pratique, les adossements ne fonctionnent donc pas bien.

Par ailleurs, le soutien qui doit être apporté reste encore partiel, car les physiciens ne peuvent distraire de leur planning que quelques heures. Ils ne peuvent pas s’impliquer à plein temps. Dans certains cas de détournement complet du dispositif, des services de radiothérapie se sont adossés à cinq services différents, avec un physicien différent par jour, ce qui ne permettait pourtant pas de couvrir la plage horaire complète de la journée. Les mécanismes mis en place ne sont donc pas satisfaisants, même si un progrès a été observé par rapport à l’année précédente.

Quant à l’approche dosimétrique séquencée, elle est bien mise en œuvre dans les grands services, mais les petites unités composées d’un seul physicien ont plus du mal à suivre les technologies de pointe que leur permettent les machines d’aujourd’hui. Ainsi, malheureusement, malgré les progrès réalisés d’un point de vue global, le risque d’accidents ponctuels demeure.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a confirmé la compétence de l’Autorité pour le contrôle de la sûreté et de l’utilisation des sources en milieu industriel, et M. Jean-Christophe Niel, Directeur général, a précisé que cela concernait effectivement la gammagraphie, technique utilisée pour vérifier la qualité d’ouvrage d’art ou de canalisation. Elle est source de forte activité, et donc potentiellement dangereuse ; de plus, elle est fréquemment utilisée dans des conditions accidentogènes : sur des chantiers, et souvent de nuit quand le chantier est arrêté. L’ASN suit donc ce sujet de très près, mais met en oeuvre une approche proportionnée aux risques potentiels, notamment quant à la pression réglementaire exercée. Les modes d’intervention sont de plusieurs ordres : en premier lieu, certaines activités sont soumises à autorisation ; l’entreprise utilisatrice doit se faire connaître et offrir un certain nombre de garanties, en particulier en termes de compétence des manipulateurs ; par ailleurs, comme les appareils circulent entre les chantiers, il est également nécessaire de disposer d’autorisations au titre du transport des matières radioactives.

Au-delà de ces dispositions réglementaires, la gammagraphie fait partie, dans le programme d’inspections élaboré tous les ans, de ce que l’on appelle le « noyau dur », qui doit faire l’objet d’un nombre minimum d’inspections régulières. En 2009, elle a suscité 119 inspections. Cela ne permet bien évidemment pas d’assurer une couverture exhaustive du risque, c’est pourquoi l’ASN s’applique parallèlement à développer une approche de sensibilisation, en s’appuyant sur ses divisions territoriales, qui ont élaboré avec les structures professionnelles une charte de bonnes pratiques en gammagraphie, visant à minimiser les risques.

Enfin, une réflexion a été engagée avec certains professionnels, comme la Confédération française pour les essais non-destructifs (COFREND), pour déterminer de quelle manière l’utilisation de la gammagraphie pourrait être remplacée par d’autres techniques potentiellement moins dangereuses. Ces travaux sont en cours. Il s’agit d’un exemple typique d’effort de mise en oeuvre du principe de justification. La radioprotection s’appuie en effet sur trois principes : le principe de limitation, qui vise à ce qu’aucune personne ne reçoive plus d’une certaine dose ; le principe d’optimisation, qui s’attache à ce que, même si une limite existe, la dose reçue par les personnes exposées doit restée la plus faible possible ; enfin, le principe de justification, qui veut que, si des méthodes alternatives rendant le même service dans les mêmes conditions existent, elles doivent être prioritairement utilisées. C’est au nom de ce même principe que l’ASN a engagé, voilà quelques années, un grand programme de reprise des détecteurs d’incendie contenant des sources radioactives, au motif qu‘il existe désormais sur le marché des détecteurs fondés sur des méthodes alternatives.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, revenant ensuite sur la durée d’exploitation des centrales nucléaires, a repris la distinction de Jean-Rémi Gouze entre deux dossiers disjoints : l’un est l’éventuel passage au-delà de trente ans de l’exploitation des réacteurs de 900 MW d’EDF, et l’autre, à peine ouvert, est l’éventuel passage au-delà de quarante ans de ces mêmes réacteurs.

La doctrine française est claire sur un point précis, de même que la doctrine européenne qui s’ébauche actuellement : le niveau de sûreté doit faire l’objet d’une progression continue. A l’occasion des réexamens décennaux, l’idée est de déterminer jusqu’à quel degré et dans quelles conditions la sûreté des réacteurs existants peut être améliorée. Cela s’applique au cas du passage au-delà de trente ans, qui est actuellement engagé. Cela s’appliquera plus encore au cas du passage au-delà de quarante ans, sachant que les réacteurs ont été construits à l’origine pour une durée de l’ordre de quarante ans.

Avec le projet d’un allongement de la durée de fonctionnement au-delà de quarante ans, on entre dans un domaine nouveau. Si EDF insiste pour aller au-delà de quarante ans, peut-être jusqu’à soixante ans, cela justifiera d’autant plus des exigences de mise à niveau des réacteurs existants. L’ASN considère que, dans cette hypothèse, les objectifs de sûreté de référence seront les objectifs de sûreté du réacteur EPR. Cela ne signifie pas qu’il sera exigé que les réacteurs existants atteignent les objectifs de sûreté du réacteur EPR, mais que l’examen s’effectuera au regard de ces objectifs de sûreté. C’est du reste un dossier à peine ouvert, sur lequel l’ASN aura l’occasion de revenir.

Le souci de voir la sûreté s’améliorer au cours du temps marque aussi l’approche de l’ASN s’agissant des futurs réacteurs de génération 4. Les réflexions sur ce sujet ont commencé au plan mondial voilà quelques années. Pour mémoire, les réacteurs actuels d’EDF, comme les réacteurs de la plupart des flottes de réacteurs à eau sous pression dans le monde, sont des réacteurs de génération 2. La génération 3 correspond au réacteur EPR et aux réacteurs équivalents ; ce sont grosso modo des réacteurs qui ont tiré les leçons de Three Mile Island, de Tchernobyl et du 11 septembre 2001. Au-delà, la génération 4 doit être l’occasion, non pas nécessairement d’un saut technologique, terme qui reste extrêmement ambigu, mais bien de progrès significatifs. La question du Président Birraux faisait référence d’une part, à une récente présentation par le CEA de sa vision actuelle de ce que pourrait être la génération 4, sous forme d’un réacteur au sodium, d’autre part, à un article du journal Le Monde qui a qualifié ce projet de « super super Phénix ». Pour l’ASN, la génération 4 doit être autre chose que la simple perpétuation ou la simple amélioration en continu de la génération précédente de réacteurs. Ce sera très certainement l’objet d’un dialogue avec les promoteurs du projet, c’est à dire certainement le CEA, mais aussi d’éventuels exploitants futurs comme EDF ou GDF Suez.

Mme Marie-Pierre Comets, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, est revenue ensuite sur l’incident intervenu à l’atelier de technologie du plutonium, APTu, qui avait pour origine la découverte par le CEA, lors du démantèlement de l’installation, d’un surcroît de plutonium non-prévu. L’atelier fabriquait du combustible MOX (un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium). Son démantèlement a été autorisé par un décret de mars 2009, et le 6 octobre 2009, le CEA a déclaré un incident lié à une sous-estimation des dépôts de plutonium dans les boîtes à gants. Comme le CEA n’a pas arrêté les opérations de lui-même, l’ASN le lui a imposé. Ensuite, les opérations de démantèlement ont repris sur certaines boîtes à gants, et l’ASN est dans l’attente d’un dossier de sûreté pour la reprise des opérations de démantèlement dans les dernières boîtes à gants.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a évoqué ensuite la sous-traitance, en rappelant en premier lieu l’importance du phénomène : EDF emploie quelque 15 000 à 20 000 sous-traitants. Ils relèvent d’une gamme extrêmement vaste de cas, qui va des ingénieurs et techniciens d’AREVA NP ou de Westinghouse, jusqu’à des intervenants pour des travaux non-spécialisés de peinture ou de nettoyage.

Il est évident que la surveillance des conditions dans lesquelles est employée une masse aussi importante de personnes est un sujet difficile, et il est tout à fait clair que les conditions dans les desquelles elles étaient employées étaient historiquement très peu satisfaisantes. Des progrès considérables ont pourtant été réalisés, en particulier avec l’intervention de mesures de nature légale et réglementaire pour éviter que les sous-traitants soient employés dans des conditions où ils saturaient la dose légale de rayonnements qu’ils pouvaient recevoir, ensuite de quoi ils étaient obligés de quitter leur fonction. Un système de prorata temporis a été mis en place par le ministère du Travail qui garantit, qu’en moyenne, l’ensemble des personnels ne reçoit pas plus de doses qu’il n’est permis au prorata du temps qu’ils consacrent au travail.

L’ASN met en œuvre deux types de surveillance. Le premier porte sur la façon dont EDF surveille lui-même ses sous-traitants : en effet, EDF doit exercer une surveillance en tant qu’employeur, et l’ASN a le rôle de surveiller la façon dont EDF exerce cette surveillance. Le second consiste à surveiller les conditions du fonctionnement, chantier par chantier et activité par activité.

M. Jean-Christophe Niel, Directeur général, a ajouté que cette surveillance s’exerce de différentes façons : d’abord, à travers des inspections, qui s’intéressent aux conditions d’habilitation, à la formation ou à la manière dont fonctionnent les équipes ; ensuite, par l’analyse des incidents, car 70 % des incidents relèvent de facteurs humains et organisationnels, et présentent par conséquent souvent un lien avec la question des sous-traitants ; enfin, à l’occasion de certains rendez-vous appelés les « groupes permanents » : il s’agit de processus assez lourds par lesquels EDF doit rendre compte de certains sujets, par exemple le management de la sûreté ou la maintenance ; cela donne souvent l’opportunité d’évoquer la question de la sous-traitance.

Par ailleurs, la loi TSN du 13 juin 2006 a donné à l’ASN la responsabilité de l’inspection du travail dans les centrales nucléaires, à l’exclusion des autres installations nucléaires de base ; cette responsabilité conduit à aborder directement la problématique de la sous-traitance, sachant qu’elle est plus spécifique aux centrales nucléaires et concerne moins les autres installations nucléaires de base.

Enfin, la question spécifique des sous-traitants venant de l’étranger est examinée dans le cadre du club HERCA des Autorités de radioprotection européenne, mentionné par André-Claude Lacoste précédemment. Les réflexions concernent la mise en place d’un passeport dosimétrique européen, qui permettrait que la dose intégrée par les personnes ayant travaillé dans une centrale en Allemagne ou en Suisse ne soit pas gommée quand ils passent la frontière.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, s’est félicité de la tenue de cette audition publique annuelle avec l’ASN, qui permet un suivi attentif et régulier par l’OPECST des questions de sûreté nucléaire ; puis, rappelant que l’accident de radiothérapie d’Epinal s’était produit dans sa région voilà cinq ans, il est revenu sur le manque de physiciens médicaux, en soulignant la nécessité de se concerter pour trouver une solution. Il a demandé que l’ASN évoque de manière plus approfondie la question des risques liés au cumul des doses délivrées dans un cadre thérapeutique, en précisant en quoi cette question pourrait éventuellement avoir un lien avec celle des faibles doses. Revenant sur la sous-traitance dans les centrales nucléaires, et mentionnant les engagements de M. Henri Proglio au cours de l’audition publique organisée par l’OPECST en décembre 2009 sur l’approvisionnement du pays en électricité, il a souhaité que l’ASN prenne à son tour position sur les conséquences pour la sûreté d’un découpage excessif (un « saucissonnage ») des tâches d’exploitation à seule fin de tirer au maximum les prix sur chacune des prestations. Il s’est interrogé sur les conséquences pour la centrale de Blayais, qui avait été victime de la tempête de 1999, de la récente tempête qui a frappé la Charente-Maritime et la Vendée. Il a constaté la mention, dans le rapport, du non respect des règles d’urbanisme dans les deux kilomètres entourant la centrale de Cattenom, puisque des permis de construire ont été accordés dans une zone où la population ne devrait pas augmenter, et a demandé si l’on observait ce non respect autour d’autres centrales, et si l’ASN disposait des moyens législatifs et réglementaires pour se montrer au besoin plus coercitive à ce sujet.

Revenant sur la demande d’EDF d’exploiter des réacteurs au-delà de quarante ans, et sur l’indication que l’ASN instruira cette demande en faisant référence aux objectifs de sûreté de l’EPR, il a souhaité mieux comprendre la justification et la portée de cette référence, en s’interrogeant sur la manière dont elle pourrait s’appliquer au cas de la centrale de Fessenheim. Il s’est demandé si les objectifs de sûreté devaient demeurer identiques quand la conception initiale du réacteur est différente.

Enfin, à propos du marché nucléaire perdu d’Abu Dhabi, il a souhaité entendre la position de l’ASN sur l’explication selon laquelle les normes en matière de sûreté imposées à l’offre française n’étaient pas les mêmes que celles imposées à l’offre coréenne, qui a emporté le marché. Il s’est interrogé sur l’état de l’harmonisation des normes de sûreté au niveau international, en se demandant si celles-ci n’étaient pas à géométrie variable, en fonction des endroits dans lesquels elles sont appliquées. Il a observé qu’une disparité des règles de sûreté selon les zones où les réacteurs sont installés risquerait de conduire à de nombreuses difficultés.

M. Christian Bataille, député, tout en se félicitant de ce que personne en France ou en Europe ne remette en cause l’élévation des normes de sûreté qui se concrétise au niveau de l’EPR, a constaté que le marché nucléaire d’Abu Dhabi a été emporté par une offre s’appuyant sur un réacteur de génération 2, dont l’ASN n’autorise plus la construction en France; il s’est alors interrogé sur les conditions d’un dialogue international relatif aux normes de sûreté dans le monde, justifié notamment par une forme de solidarité technique et médiatique générale : si une centrale se montre défaillante en Corée ou ailleurs dans le monde, c’est l’ensemble des installations nucléaires qui en pâtiront, dans le monde entier. Par conséquent, l’ASN devrait militer pour un dialogue international promouvant une norme de sûreté mondiale qui soit au standard français. A défaut, la compétition sur le marché mondial des nouvelles centrales sera inégale entre les offres nationales au standard élevé et celles appliquant des standards plus flous.

Il s’est interrogé ensuite sur le taux de disponibilité des centrales françaises, taux qui reste médiocre en comparaison de celui atteint aux Etats-Unis, et qui explique certains déficits de production. Il s’est demandé s’il était imputable aux arrêts techniques, les arrêts décennaux étant par exemple trop prolongés, et si l’ASN avait engagé un dialogue avec les exploitants sur ce point.

En réponse à M. Jean-Yves Le Déaut, M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire a confirmé qu’il apparaît effectivement un vrai problème de statut pour la profession de radiophysiciens.

M. Michel Bourguignon, Commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire, a indiqué que les études épidémiologiques démontrent le risque probabiliste de cancers au niveau de 100 mSv chez les adultes et environ 50 mSv chez les enfants. C’est là le résultat d’une vraie démonstration, et non pas d’un calcul. Des papiers apparaissent régulièrement dans la presse et sur le Web pour montrer, par le calcul, que la radiologie est responsable d’un certain nombre de cancers. Si l’on atteint des seuils de 50 mSv chez les enfants et de 100 mSv pour le corps entier chez les adultes, les seuils de significativité seront atteints, et l’épidémiologie finira par démontrer ces cancers dans quinze, vingt ou trente ans.

Un scanner du corps entier, en prenant le thorax, l’abdomen et le petit bassin, délivre une dose de 20 mSv. Après cinq scanners, le seuil de 100 mSv est donc atteint. Le seuil de 50 mSv est atteint pour un enfant avec deux scanners et demi. Nous suivons la progression des doses dans le monde entier. Aux Etats-Unis et au Japon, les doses d’origine médicale ont dépassé toutes les autres doses, y compris les doses d’origine naturelle. Or ces doses sont tout de même délivrées de façon intentionnelle. En France, l’institut de veille sanitaire et l’IRSN ont montré que ces doses avaient augmenté de 57 %, passant de 0,8 mSv à 1,3 mSv. Les Américains sont à 3 mSv et les Japonais à 5 mSv. C’est une moyenne par an et par habitant, et non par patient. Si le développement de ces doses se poursuivait sur le long terme, sur dix, quinze, vingt ou trente ans, les épidémiologistes démontreront que la radiologie médicale est responsable d’un certain nombre de cancers, et l’on trouvera des valeurs de risque de l’ordre de 5 % par sievert, en retombant sur les valeurs classiques d’épidémiologie des cas d’Hiroshima et Nagasaki et d’autres études.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a précisé les ordres de grandeur : un scanner du corps entier délivre 20 mSv, ce qui est la limite annuelle de dose que peut recevoir un travailleur. Cela ne relève donc pas du tout du domaine des faibles doses. L’ASN essaye de créer une discussion sur ce sujet avec ses homologues étrangères, en gardant en tête la caricature de ce qui peut arriver, c’est-à-dire la situation au Japon et aux Etats-Unis, où les expositions à des doses conséquentes se sont multipliées, sans doute de manière non justifiée.

S’agissant de l’exploitation des centrales nucléaires, et du risque que peut faire courir le fait de « saucissonner » des marchés pour mieux tirer les prix des prestations des sous-traitants, c’est un des points que l’ASN surveille. Le service des marchés d’EDF a ainsi été inspecté pour vérifier les conditions dans lesquelles le soumissionnaire était choisi, pour vérifier que le seul critère n’était pas d’être le moins-disant. Mais c’est un point sur lequel l’ASN va continuer à porter son attention ; elle surveille en direct les sous-traitants, mais aussi la façon dont EDF les sélectionne et les utilise.

La tempête qui a frappé récemment le littoral atlantique n’a eu aucune incidence sur les centrales françaises, grâce notamment aux mesures prises pour les protéger contre ce type de phénomène. De toute façon, cette tempête n’avait pas la puissance de celle de 1999.

M. Jean-Christophe Niel, Directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire, a précisé qu’en 2009, l’ASN a gréé deux fois son centre de crise pour le site du Blayais. En effet, des critères de pré-gréement existent depuis la tempête de 1999, en fonction de l’orientation du vent, qui doit être dans l’axe de la Gironde, et de sa force prévisible, estimée par Météo-France avec une anticipation de trois heures. Par ailleurs, l’ASN et EDF ont analysé les données de retour d’expérience de la tempête de 1999, et l’ensemble des centrales situées en bord de mer et en bord de rivière ont fait l’objet d’un réexamen au regard des risques d’inondation et de submersion.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a indiqué que le problème de l’habitat autour des centrales nucléaires constituait un sujet tout à fait sérieux, que l’ASN commence à aborder : on ne peut pas laisser se multiplier les constructions dans des zones où les habitants sont susceptibles d’être évacués. La loi TSN du 13 juin 2006 a fourni les moyens juridiques nécessaires. Mais l’ASN suit une démarche prudente, en liaison étroite avec le ministère de l’Ecologie.

S’agissant des objectifs de sûreté qui guideront l’examen conduit en vue de la prolongation de la durée d’exploitation des centrales, il faut bien distinguer le cas d’une prolongation au-delà de trente ans, de celui, beaucoup plus structurant, d’une prolongation au-delà de quarante ans. C’est clairement dans le second cas, reconduit éventuellement pour une prolongation de durée au-delà de quarante ans, qu’il sera fait référence aux objectifs de sûreté de l’EPR. Il est hors de question de demander à une centrale conçue voilà cinquante ans de répondre à des objectifs de sûreté nouveaux, mais il appartiendra à l’ASN de regarder jusqu’à quel degré il est possible d’améliorer la sûreté. L’ASN efforcera de suivre cette ligne de conduite de façon résolue et responsable.

En ce qui concerne le marché nucléaire d’Abu Dhabi, l’ASN n’a pas connaissance du détail du dispositif de sûreté du réacteur coréen qui a été retenu. En revanche, il n’existe aucune raison de penser que ce réacteur est un objet risible ou ridicule. La Corée du Sud est un pays nucléaire responsable, avec un programme nucléaire qui ressemble beaucoup à celui de la France des années 70 : il s’y construit chaque année un réacteur, dans le cadre d’un grand projet national auquel tout le monde s’attelle. C’est le même genre de programme, avec ses bons et ses mauvais côtés. Il n’est guère possible a priori d’aller plus avant dans le jugement sur le réacteur.

La question a été posée de savoir si l’on peut imposer de façon générale, au niveau mondial, la référence à des objectifs de sûreté comparables à ceux de l’EPR. En fait, l’ASN s’attache à ce que les objectifs de sûreté de l’EPR soient partagés au niveau européen par le biais de l’association WENRA, et a mis en consultation, dans ce cadre, une définition des objectifs de sûreté pour les réacteurs nouveaux, qui ressemble beaucoup aux objectifs de sûreté de l’EPR. L’avenir dira si cette définition sera retenue. Un dialogue est parallèlement en cours sur ce même thème avec les responsables américains. Mais, au-delà de ce cercle proche, l’espoir d’obtenir un accord avec d’autres pays, qui ont d’autres pratiques, reste mince. En Chine, par exemple, où les réacteurs en construction ne correspondent pas aux objectifs de génération 3, une telle démarche aurait peu de chance de susciter de l’enthousiasme.

Il se perpétue donc une vraie difficulté : l’existence de pratiques différentes dans les différents pays. Cela correspond toutefois au monde tel qu’il est. A cet égard, on peut rappeler un épisode qui est historiquement connu : il fut une période où les pays les plus avancés en matière nucléaire avaient convenu de ne pas vendre de réacteur au Pakistan ; la Chine a passé outre, et personne n’a rien reproché à la Chine. Le consensus international, et la bienséance internationale, ont donc leurs limites. L’ASN ne peut se transformer en gendarme du monde. En revanche, elle peut faire connaître sa doctrine, essayer de propager ses objectifs de sûreté et de les partager avec les Autorités qui lui ressemblent le plus, l’Autorité américaine ou les autres Autorités européennes.

M. Jean-Yves Le Déaut , député, a demandé si cette fonction de normalisation n’était pas du ressort de l’AIEA, qui pourrait alors servir de relais à la démarche, et M. André-Claude Lacoste l’a confirmé en indiquant qu’il présidait lui-même la Commission on Safety Standards (CSS), qui élabore les normes de l’AIEA. Mais il a rappelé aussi que l’AIEA était une agence de l’ONU, qui n’a aucun pouvoir contraignant sur les pays souverains, pour leur interdire, par exemple, de construire tel type de réacteurs. De même, il n’est pas imaginable que l’AIEA accepte de se charger d’un classement des réacteurs qui sont fabriqués dans le monde suivant des critères de sûreté. On peut regretter l’absence d’un ordre mondial, mais la seule option disponible consiste à tenter de le construire peu à peu, sur la base du consensus, en sachant que cela prendra du temps.

En ce qui concerne le taux de disponibilité des centrales nucléaires françaises, d’après les contacts pris, EDF l’explique par l’effet des grèves, qui ont retardé et désorganisé un certain nombre d’arrêts de tranches, mais aussi par l’insuffisance d’investissements dans certaines opérations de maintenance, principalement dans le domaine classique des turbines ou des turbo-alternateurs, en partie sans doute dans le domaine nucléaire. Il semble qu’il existe un réel problème chez EDF concernant l’organisation et la planification des arrêts de tranche. Ces sujets relèvent principalement d’EDF, mais l’ASN est disposée à participer à la réflexion sur le rétablissement de la situation, dans le respect de la déontologie. L’ASN est en fait moins concernée par l’augmentation du taux de disponibilité que par l’amélioration des conditions d’organisation des arrêts de tranches. Il y a là très certainement matière à s’inspirer des meilleurs modèles étrangers.

M. Claude Gatignol, député, a relevé le nombre important des inspections réalisées en 2009, 2 112, chiffre qui témoigne de l’intense activité de l’Autorité, et montre aussi que la création par le législateur d’un statut renforcé était bien nécessaire. Il a constaté que le bilan de l’année écoulée permettait de formuler une forte proportion de conclusions satisfaisantes, en ce qui concerne à la fois le parc nucléaire français et le domaine de la radiologie.

Il s’est interrogé sur la manière dont l’ASN dialoguait avec les organismes inspectés en vue de gérer au mieux la rectification de la situation suite au constat d’un défaut, et a pris comme exemple la découverte, sur le chantier de l’EPR à Flamanville, d’un écart de 64 dans le nombre total des épingles de ferraillage servant à l’armature du béton, sur un total de près de 4000, incident qui a eu comme conséquence un arrêt de plus de trois semaines du chantier, mais aussi, et c’est presque plus grave, la publication de divers titres de presse qui n’étaient pas encourageants. Il a évoqué ensuite le cas de l’évaluation du systéme de contrôle-commande des EPR, qui a donné lieu à des articles de presse laissant entendre que ce système ne convenait pas, et ne pourrait faire l’objet d’un agrément, alors même que les commentaires ultérieurs de l’ASN ont indiqué qu’il s’inspirait du système mis en œuvre sur les réacteurs N4, notamment à Civeaux, et qu’il donnait satisfaction à l’exploitant pour ce qui concerne l’interface homme machine ; en outre, les autorités américaines ont semblé faire bon accueil au passage à un dispositif de contrôle-commande numérique. Il s’est interrogé sur la possibilité d’améliorer les modalités de communication sur les positions prises par l’ASN en prenant mieux en compte ce qui est perçu publiquement à côté de ce qui est dit objectivement, par exemple en accompagnant les avis de commentaires compréhensibles pour le plus grand nombre, afin de laisser moins de place aux interprétations fâcheuses.

Revenant sur le marché nucléaire d’Abu Dhabi, il a noté qu’un quotidien parisien avait présenté l’offre coréenne comme deux fois moins chère que l’EPR français, et s’est interrogé sur le rôle des exigences de l’ASN dans la configuration technique de l’offre française ; il a demandé si le réacteur coréen était effectivement un produit low cost, et s’il serait possible un jour que le club mondial des autorités de sûreté nucléaire, dont l’ASN fait partie, en vienne à formuler un avis de classement, au regard des critères de sûreté, sur les offres adressées à tout Etat souhaitant se doter d’une industrie nucléaire civile.

Il a rappelé qu’un nouveau réacteur de troisième génération, de sigle ATMEA, conçu en collaboration par AREVA et Mitsubishi, et correspondant à une forte demande potentielle mondiale, serait bientôt disponible, et a demandé l’avis de l’ASN à son propos, en soulignant l’intérêt que ce réacteur puisse bénéficier rapidement d’un agrément. Il s’est interrogé sur la possibilité de passerelles entre l’Autorité de sûreté française et les Autorités de sûreté internationales, qui permettraient d’emblée de présenter des conclusions communes.

Il a sollicité la réaction de l’ASN sur l’avis défavorable de la commission d'enquête publique sur le démantèlement de l'ancienne centrale nucléaire de Brennilis. Il s’est interrogé sur l’intervention de l’ASN dans l’agrément des intervenants spécialisés lors des arrêts de tranche sur le parc EDF. Enfin, il a souhaité recueillir l’avis de l’ASN sur la possibilité de rétablir la stérilisation par ionisation des aliments risquant d’être contaminés par la flore microbienne.

Mme Annick Le Loch, députée, a indiqué qu’elle avait sollicité par écrit M. Jean-Louis Borloo, ministre d’Etat, sur la nécessité de saisir systématiquement la commission nationale du débat public à l’occasion du démantèlement des installations nucléaires en fin de vie, et a demandé si l’ASN confirmait son avis plutôt favorable à une telle évolution, tel que cela ressortait de ses positions publiques. Cette réforme permettrait de traiter les options de démantèlement par un débat au niveau national, qui est le niveau adéquat puisque l’enjeu est le devenir des déchets radioactifs.

M. Claude Birraux, député, Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a signalé qu’il avait publié, au nom de l’OPECST, en décembre 1994, une étude sur le démantèlement des installations nucléaire. On ne parlait pas à l’époque de débats publics, mais différentes options qui reviennent aujourd’hui à la surface étaient déjà mentionnées, notamment la possibilité de ne pas attendre cinquante ans pour conserver la mémoire des installations et procéder à des démantèlements immédiats. Ce rapport se trouve sur le site Internet de l’OPECST.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, a expliqué d’abord qu’elle avait pris bonne note des assurances de l’ASN quant à la faible vulnérabilité des centrales nucléaires situées en zone inondable, point important au regard de la prévention des désordres climatiques.

Elle a évoqué ensuite les appareils à fluorescence pour la détection du plomb, qui utilisent des sources contenant du cadmium 109 et du cobalt 57, et a demandé jusqu’où va le suivi par l’ASN du parc de ces appareils : nombre en circulation, nombre qui ont été perdus, etc. Il apparaît en effet qu’ils ont fait l’objet d’une large diffusion, et que les personnes chargées de la détection du plomb ne reçoivent qu’une formation superficielle, qui leur fait mal prendre conscience des risques. En outre, beaucoup de ces instruments ont par exemple été perdus dans le métro. C’est, a-t-elle précisé, moins grave qu’un accident d’EPR, mais l’usager qui reste assis sur la source n’a rien demandé à personne.

Elle a rappelé que le législateur avait décidé d’encadrer l’utilisation des appareils de détection de fumée, car ceux qui étaient sur le marché jusqu’à présent contenaient des sources radioactives, et les plus anciens contenaient même du plutonium. Elle a souhaité savoir où en est le décret, à l’élaboration duquel l’ASN doit contribuer, qui doit préciser que les appareils à source radioactive ne sont plus autorisés.

Elle s’est interrogée sur le sort réservé à l’IRSN dans les projets de regroupement des programmes budgétaires que l’ASN appelle de ses vœux, et notamment, sur l’impact que ces ajustements pourraient avoir sur l’indépendance de l’IRSN.

S’agissant de la transparence, elle a souligné que l’année 2009 a été l’occasion pour le grand public de découvrir l’exportation par EDF de ses matériaux radioactifs vers la Sibérie, sans que le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) ne le mentionne. Elle a demandé si le nouveau PNGMDR 2010-2012 marquerait une avancée dans l’exhaustivité des informations fournies.

Enfin, expliquant qu’à l’inverse de Claude Gatignol qui estime que la perte de 64 aiguilles sur un total de 4 000 reste négligeable, elle a trouvé considérable la différence entre 7 kilos de plutonium pesés à l’entrée de Cadarache et 39 retrouvés à la sortie, et observé qu’un apprenti cuistot qui gâcherait ses ingrédients de cette manière serait immédiatement licencié ; elle a souhaité entendre les analyses de l’ASN à ce sujet.

M. Paul Blanc, sénateur, a indiqué qu’en tant que médecin, il avait été particulièrement intéressé par l’exposé sur l’état de la sûreté dans le domaine de la radiologie médicale, qu’il avait bien compris les difficultés liées à la formation pratique des radiophysiciens, mais qu’il se demandait ce qu’il en était de cette même formation ailleurs en Europe, et si l’on ne pourrait pas concevoir des collaborations avec d’autres pays européens pour permettre aux médecins français de recevoir cette formation.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a mentionné qu’il s’efforcerait de répondre à ce nombre considérable de questions dans l’ordre où elles ont été posées, pour être certain de ne pas en omettre.

S’agissant de la surveillance de la construction du réacteur EPR Flamanville 3, l’écart sur le nombre d’épingles d’acier renvoyait aux conditions dans lesquelles s’effectuait le bétonnage qui a précédé la construction proprement dite. L’absence de ces 64 épingles n’était évidemment pas dramatique en soi du point de vue de sûreté, mais elle traduisait une défaillance dans l’organisation du suivi de la qualité. L’ASN a arrêté le chantier pour imposer à EDF et à Bouygues la mise en place d’un plan d’assurance qualité pour garantir que de pareils défauts ne se reproduiraient pas. Le problème était donc que le chantier n’était pas dirigé avec le souci de sûreté nécessaire.

A propos du contrôle-commande de l’EPR, c'est-à-dire un ensemble d’instruments servant à la conduite de l’installation, il s’agissait d’obtenir des garanties sur le système proposé par EDF et AREVA, qui comporte en fait deux plates-formes fournies par Siemens : l’une dédiée au pilotage de la fonction nucléaire, à qualité nucléaire et qui ne pose pas de problème en elle-même ; l’autre destinée a priori aux industriels tout venant, et qui, elle, pose problème. La Nuclear Regulatory Commission (NRC) américaine a certes donné, de son côté, son approbation, mais uniquement pour la plate-forme nucléaire, celle qui ne pose pas de problème, et la NRC et l’ASN sont donc parfaitement en phase. La prise de position de l’ASN a été du reste précédée de délibérations impliquant des membres d’autres Autorités nationales, notamment au sein d’un groupe consultatif permanent d’experts, où siègent des collègues des Autorités de sûreté finlandaise et britannique, et un agent du CEA actuellement détaché à l’Autorité d’Abu Dhabi.

En ce qui concerne le marché nucléaire d’Abu Dhabi, il est exact qu’une étude de l’Agence de l’Energie Nucléaire (AEN) de l’OCDE a souligné que le coût d’une installation nucléaire coréenne est deux fois moindre que celui d’une installation française. Même si cet écart ne concerne pas directement l’ASN, son origine se comprend facilement : d’un côté, un réacteur qui est le premier de sa série, construit dans un pays, la France, qui a perdu l’habitude de construire des réacteurs depuis quinze ou vingt ans, et de l’autre un pays, la Corée du Sud, qui construit une centrale nucléaire par an. Sur le site de Kori, visité récemment par l’ASN, on compte ainsi quatre réacteurs en fonctionnement et quatre autres réacteurs à des étapes différentes de construction. Les réacteurs sud-coréens sont donc construits comme des petits pains, comme dans la France des années 70. Il est évident qu’une fabrication à l’unité qui redémarre après quinze ou vingt ans d’arrêt ne peut pas proposer des prix du même ordre de grandeur qu’une production à grande échelle. Ces différences de coût n’ont donc que peu à voir avec des exigences différentes des Autorités de sûreté. Si ces exigences ont des conséquences, elles sont certainement du second ordre.

S’agissant du projet de réacteur ATMEA, présenté par AREVA comme le petit frère de l’EPR avec moins de boucles, AREVA a demandé à l’ASN d’étudier les options de sûreté de ce réacteur, mais n’a encore fourni aucun élément. L’ASN a indiqué que si elle recevait des éléments dans les prochaines semaines, un avis pourrait être rendu d’ici à la fin de l’année 2011. En tout état de cause, ce réacteur est loin d’être disponible à la vente ; il s’agit encore d’un projet.

En ce qui concerne la possibilité d’élaborer des conclusions communes à l’échelle internationale avec d’autres Autorités, notamment en vue de l’approbation des options de sûreté des principaux réacteurs, c’est l’objet même du club MDEP (Multinational Design Evaluation Program). La situation progresse donc dans ce domaine, mais il a fallu partir de loin, pour la raison que l’ensemble des programmes nucléaires des pays développés ont été conçus sur des bases purement et volontairement nationales et nationalistes. La France, par exemple, a acheté une licence Westinghouse dans les années 70, puis le gouvernement et les industriels (ainsi que l’Autorité de sûreté, sans doute) se sont attachés à franciser ce réacteur, de façon à ne plus payer des licences et à être autonomes. Un code de construction RCC-M français (Règles de conception et de construction des matériels mécaniques des îlots nucléaires) différent du code américain a alors été bâti, afin de développer une filière française. Maintenant qu’il s’agit de se rejoindre, il paraît assez moral qu’il faille payer quarante ans de volonté d’indépendance et de distance. Aujourd’hui, la Corée du sud se livre exactement à la même politique. Elle a acheté une licence américaine Combustion Egineering, qui se trouve maintenant appartenir à Westinghouse, et la Corée n’a de cesse de rendre ce réacteur le plus sud-coréen possible. C’est pour cette raison qu’elle construit un code de construction analogue au code français mais différent du code américain, pour développer une filière nationale. La Chine rêve sans doute de faire la même chose. C’est contre cette approche nationaliste des filières que se battent ceux qui, comme l’ASN, essaient de rendre les choses aussi comparables que possible. Ce sont les mêmes industriels, Framatome le premier, qui, en France, ont longtemps cherché à prendre autant de distance que possible vis-à-vis de la licence Westinghouse, qui entonnent aujourd’hui un chant d’amour et de gloire en faveur de l’harmonisation.

S’agissant du rôle que l’ASN pourrait jouer dans le choix des intervenants de sous-traitances d’EDF, c’est une voie dans laquelle l’ASN ne souhaite pas s’engager, et d’ailleurs, le nombre de pays où cette pratique a cours est très limité. Un exploitant de la taille d’EDF doit être capable de choisir lui-même ses exploitants, à charge pour l’ASN de surveiller comment il le fait ; mais il est sain qu’il choisisse lui-même.

La transparence est un objet de préoccupation constant de l’ASN, qui s’efforce à plus de transparence possible. Il est exact que, dans certains cas, cet effort de transparence ne s’accompagne pas d’un effort d’explication suffisant, et il convient de tirer les leçons de ces situations, mais la politique de l’ASN reste axée sur la transparence, sans aucune dérogation, en particulier parce que c’est ce qu’a voulu le législateur, via la loi qui a créé l’ASN.

La centrale de Brennilis est isolée, dans un site, celui des Monts d’Arrée, n’ayant aucune vocation à rester nucléaire. C’est un bon exemple de cas dans lequel il faudrait pousser le démantèlement aussi loin que possible, afin de rendre le site à la nature. C’est également un cas où il serait souhaitable que le démantèlement soit engagé aussi vite que possible, c’est-à-dire dans les vingt-cinq ans qui suivent l’arrêt. La commission d’enquête publique a dernièrement rendu un avis défavorable, mais il laisse la porte ouverte à la mise en œuvre de la phase II du démantèlement, que l’ASN proposera au Gouvernement d’autoriser (note : la phase II correspond à un état dans lequel la zone confinée est réduite à son minimum, la radioactivité pouvant subsister dans des zones qui sont alors confinées et scellées de façon à ce qu’aucune personne non autorisée ne puisse y accéder ; la surveillance de l’environnement est par ailleurs maintenue).

L’ASN confirme son soutien à l’idée que la politique de démantèlement pourrait faire l’objet d’une procédure de débat public. C’est une position déjà présentée l’an dernier devant l’Office parlementaire. L’ASN a élaboré sur la politique de démantèlement une note de doctrine, qui est publique, accessible sur le site Internet et qui a été soumise à consultation. Elle sera prochainement présentée au HCTISN (Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire). L’ASN est ouverte à l’idée d’organiser un débat public national sur cette question, mais ne peut pas le déclencher directement d’elle-même, car la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) ne peut être saisie que par un ministre, d’où le bien-fondé de la lettre qui a été écrite au Ministre de l’environnement.

La demande de regroupement des lignes budgétaires vient de ce que l’ASN compte quatre lignes budgétaires sur quatre programmes différents, ce qui est contraire à tout principe de gestion efficace. La meilleure solution consisterait à regrouper les quatre lignes sur un programme ou, à défaut, que trois des lignes budgétaires soient regroupées sur un programme. Cette velléité de rationalisation n’est en rien destinée à nuire au statut de l’IRSN, qui est l’appui technique de l’ASN, et dont l’apport est d’autant plus précieux qu’il peut donner un avis en toute liberté.

S’agissant de la détection du plomb dans les bâtiments et de l’usage de sources radioactives, l’ASN adhère à l’objectif social poursuivi à travers la détection du plomb dans les peintures d’anciens logements, mais conteste l’usage de sources radioactives à cette fin, car cela entraîne une dissémination de sources radioactives.

Le projet d’arrêté visant à interdire à terme l’usage des détecteurs de fumée utilisant des rayonnements ionisants est en cours de préparation. C’est en effet une mesure extrêmement lourde, car elle concerne des dizaines de millions de détecteurs de fumée. Elle consisterait à interdire la pose de nouveaux détecteurs de fumée utilisant des rayonnements ionisants, et à interdire les réparations lourdes sur ces détecteurs de fumée, pour que le parc existant s’éteigne. C’est un cas typique d’application du principe de justification : comme il existe d’autres méthodes pour détecter la fumée, il n’y a aucune raison de disséminer des sources radioactives.

S’agissant de l’uranium appauvri exporté en Russie pour y être enrichi à nouveau, il n’est pas tout à fait exact que rien n’était mentionné à ce sujet dans la précédente version du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). La procédure en était indiquée, c’est un point vérifié, et cela a été dit au cours de l’audition mentionnée par Claude Birraux. Au demeurant, la formulation n’était effectivement pas extraordinairement explicite, et elle a été améliorée dans la nouvelle version du PNGMDR. Cela dit, le problème évoqué soulève deux questions : premièrement, l’uranium appauvri et les restes du processus de réenrichissement de l’uranium appauvri constituent-ils un matériau ou un déchet ? Deuxièmement, quel jugement global peut-on former sur cette pratique du réenrichissement à l’étranger ?

Ce qui s’est produit dans l’atelier ATPu à Cadarache est grave du point de vue de l’ASN. Il est tout à fait anormal de découvrir trois fois plus de plutonium que prévu en démantelant des boîtes à gants. Malheureusement, on peut craindre que ce genre de décalage ne soit pas spécifique à l’ATPu, et qu’il existe sans doute un problème plus général d’évaluation des dépôts de plutonium dans les boîtes à gants. Ce sujet est tout à fait sérieux et l’ASN l’étudie globalement. Il s’agit d’un problème de qualité des mesures, qui empêche de déceler une dérive dans le temps. Comme l’a indiqué Marie-Pierre Comets, l’ASN a suspendu les opérations de démantèlement dès qu’elle a eu connaissance de l’événement, et le CEA a interrompu les travaux sur le champ.

S’agissant de l’idée de s’appuyer sur les formations dispensées à l’étranger pour renforcer l’effectif des radiophysiciens en France, elle ne peut apporter qu’une solution partielle, car l’objectif reste tout de même de disposer de radiophysiciens capables de pratiquer en France, et donc qui parlent français. Pour cette raison, la procédure d’agrément des radiophysiciens formés à l’étranger conduit à vérifier en particulier qu’ils parlent français. Il convient à ce propos de rappeler que l’un des premiers accidents de radiologie concernait l’utilisation de rayons X pour intervenir sur le crâne d’un patient. L’un des opérateurs a dit à l’autre : « Tu m’ouvres une fenêtre de 40 sur 40 ». Le premier s’exprimait en millimètres, et le second a compris en centimètres ! On ne peut pas importer des personnes compétentes sans s’assurer de leur maîtrise complète de la langue française. Il serait donc plus expédient de mettre en place un système français digne de ce nom pour répondre au besoin. Les solutions s’appuyant sur l’étranger ne peuvent intervenir qu’à titre palliatif.

M. Claude Birraux, Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a ensuite ouvert le débat aux questions des journalistes, qui ont concerné :

- le nombre de services de radiothérapie dont l’activité est toujours suspendue ;

- la possibilité d’un dialogue avec l’inspecteur général de la sûreté nucléaire d’EDF avant toute décision de l’ASN concernant l’entreprise ;

- le risque, s’agissant de l’appréciation de la sûreté dans les centrales en vue de la prolongation de leur exploitation au-delà de quarante ans, d’un décalage avec les Etats-Unis, où l’on ne demande que le maintien de la sûreté en l’état, et non pas l’amélioration continue de la sûreté ;

- la manière dont EDF se prépare à faire face au départ massif à la retraite des travailleurs de l’industrie nucléaire ;

- les problèmes rencontrés en 2009 sur les générateurs de vapeur ;

- l’organisation des arrêts de tranche et leur planification par EDF ;

- la pénurie d’isotopes médicaux pour la médecine nucléaire, en particulier le molybdène 99, et les solutions envisagées en France et au niveau international.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de Sûreté nucléaire, et M. Jean-Christophe Niel, Directeur général, ont apporté les éléments de réponse suivants :

- Deux centres de radiothérapie sont encore suspendus : ceux de Croix, dans le Nord, et de Poissy Saint-Germain. L’ASN ne peut pas faire d’hypothèse sur la date à laquelle ils pourraient redémarrer en respectant les conditions qui assurent une sécurité suffisante. Les quatre centres qui ont été suspendus puis rouverts en 2009 étaient ceux de Blois, Gap, Roanne et Nevers ;

- l’ASN se félicite qu’EDF compte en son sein une inspection générale pour la sûreté nucléaire assurée par des personnes dotées d’une très large marge d’indépendance, Pierre Wiroth puis Jean Tandonnet. Cela lui apparaît tout à fait fondamental pour exercer un regard à la fois externe et interne sur l’entreprise. Le souhait de Jean Tandonnet que le collège de l’ASN entende l’exploitant avant toute décision importante peut tout à fait être pris en compte. A noter qu’EDF a été auditionnée avant la décision sur le contrôle-commande d’EPR ;

- S’agissant de la prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de quarante ans et l’objectif d’augmenter la sûreté, l’ASN est en train de finaliser son approche, ce qui conduit à des échanges avec EDF et avec les autres Autorités nationales de sûreté confrontées au même sujet : allemande, belge, suisse et suédoise. Des échanges avec l’Autorité américaine sont également prévus. Il convient toutefois de conserver à l’esprit le fait qu’il y a un décalage entre les méthodes de mesures d’ancienneté des réacteurs en Europe et aux Etats-Unis. En Europe, on compte l’ancienneté ou l’âge depuis le premier fonctionnement, tandis qu’on tient compte aux Etats-Unis du début de la construction, ce qui peut entraîner parfois des décalages de dix ans. Une durée de soixante ans aux Etats-Unis ne correspond pas forcément à la même durée en France ;

- EDF fait très clairement un effort considérable de formation et d’embauche pour anticiper les importants départs à la retraite qui s’annoncent. Un effort identique est mené chez les autres exploitants nucléaires français, aussi bien le CEA, qui a pris des dispositions très particulières, y compris le CEA militaire, qu’AREVA qui embauche beaucoup et consent de nombreux efforts de formation ;

- L’ASN suit avec attention le sujet des générateurs de vapeur, car plusieurs types d’anomalies qui n’avaient pas été anticipés sont apparus au cours des dernières années. Le générateur de vapeur est l’endroit où la chaleur du circuit primaire s’échange avec le circuit secondaire. Il est composé de 3 500 à 5 600 tubes selon le type de générateur de vapeur. C’est un élément sensible du réacteur, qui fait l’objet d’un contrôle et d’une maintenance tout à fait poussés à chaque arrêt. L’ASN suit attentivement ces opérations, et dispose même d’une équipe dédiée à ce sujet. Quatre types d’anomalies sont apparus depuis 2006. Le premier est produit par un colmatage des générateurs de vapeur, qui conduit à solliciter les tubes de manière importante ; il s’ensuit des vibrations qui peuvent amener à des fissures et des fuites entre le circuit primaire et le circuit secondaire. Ce genre de phénomène peut arriver de temps à autres. EDF applique des procédures qui conduisent à l’arrêt du réacteur pour analyser la situation, l’une des solutions pour traiter ce problème consistant à mettre un bouchon sur les tubes. Un autre type d’anomalie est apparu en février 2008. Il s’agit de l’anomalie dite de « supportage », identifiée par les études entreprises à la suite de la rupture de tubes générateurs de vapeur aux Etats-Unis, à North Anna en 1987. Il est apparu que certains aspects du phénomène restaient à élucider, en particulier dans le cas du réacteur de Fessenheim 2. Là encore, à l’issue de ces travaux complémentaires, il a été décidé de boucher certains tubes. En troisième lieu, des problèmes de pose de bouchons sont apparus, et l’ASN a demandé à EDF de réexaminer les conditions de cette pose pour éviter que les bouchons ne se déplacent en cours d’exploitation. Enfin, le dernier phénomène concerne potentiellement huit réacteurs avec des générateurs de vapeur utilisant un matériau particulier. Ils sont en cours de remplacement. Sur ces huit réacteurs, après analyse, deux se sont révélés davantage concernés que les autres, ceux de Fessenheim 2 et Bugey 3. A la suite d’analyses complémentaires d’EDF, Fessenheim 2 a été autorisé à reprendre pour un cycle. Quant au réacteur de Bugey 3, qui est à l’arrêt depuis avril 2009, les discussions le concernant se poursuivent ; EDF n’a pas encore convaincu l’ASN de la capacité de ce réacteur à redémarrer pour un cycle, à l’issue duquel le générateur, en tout état de cause, devrait être remplacé ;

- Un arrêt de tranche est un arrêt périodique visant à conduire des opérations de maintenance, et éventuellement de renouvellement du combustible. Ces arrêts sont d’autant mieux menés et plus efficaces, et moins sujets à des incidents de sûreté, que leur contenu est fixé longtemps à l’avance, et que tout est parfaitement organisé. Or EDF peut faire des progrès sur la planification et l’organisation de ses arrêts de tranche. Cela suppose en particulier de ne pas se laisser aller au perfectionnisme et de ne pas avoir d’idées brillantes quinze jours avant un arrêt de tranche. Apparemment, les exploitants étrangers appliquent sur ce plan une discipline plus forte ;

- S’agissant de la pénurie d’isotopes médicaux, l’ASN souhaite qu’il ne soit pas nécessaire au niveau mondial de faire des choix extrêmement douloureux entre la sûreté nucléaire d’un certain nombre de vieux réacteurs de recherche utilisés pour produire ces isotopes, et la pénurie de radio-isotopes. Une partie du dilemme vient du fait que tout le monde s’est habitué à ce que ces radio-isotopes soient fabriqués dans de vieux réacteurs de recherche. S’ajoute à cela le fait qu’il n’a pas été possible au Canada de démarrer des réacteurs bâtis spécialement pour produire ces radio-isotopes. Le monde est donc suspendu aux conditions de fonctionnement, de maintenance et d’arrêt d’un certain nombre de réacteurs, que l’on peut qualifier de « vieux coucous », le réacteur NRU au Canada d’un côté, et le réacteur de Petten aux Pays-Bas. Il est extrêmement urgent que des investissements soient faits, pour que des moyens de production corrects soient mis en route. Il ne s’agit pas du tout d’un problème national, mais d’un problème mondial de fourniture d’un produit dont tout le monde a besoin. Les principaux utilisateurs de ce genre de produits sont les Etats-Unis, qui se trouvent être un pays qui n’en produit pas du tout. L’ASN a appelé l’attention sur ce sujet, via une prise de position du collège qui est publiée sur son site Internet.

M. Claude Birraux, Président de l’Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a ensuite remercié le Président, les commissaires, et le Directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire, pour la qualité de leur présentation, et l’honneur qu’ils font au Parlement de venir rendre compte devant lui de leurs activités. Il s’est félicité, en conclusion, de l’effort permanent de l’ASN pour améliorer les conditions de transparence de la politique de sûreté nucléaire, en publiant toutes les lettres de suite à ses contrôles, en organisant une concertation régulière avec l’ANCLI (Association Nationale des Commissions Locales d’information), en apportant son concours au Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire que préside Henri Revol, ancien membre et président de l’OPECST, et en s’impliquant dans une large consultation chaque fois qu’il convient d’améliorer la réglementation, le dernier exemple en date étant la consultation nationale lancée en février 2010 à propos de la refonte du régime des INB (installations nucléaires de base).