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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 18 janvier 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Claude Birraux, député, Président

– Présentation du rapport de MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés, sur « l’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs » 2

– Nomination de rapporteur(s) sur la saisine du Bureau de l’Assemblée nationale « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques majeurs »  10

– Présentation de l’étude de faisabilité de MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, députés, sur « « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques majeurs »

– Présentation du rapport de MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés, sur « l’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs »

M. Claude Birraux, député, rapporteur, président de l’OPECST. La publication de notre rapport d’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) marque un double anniversaire pour les travaux que l’Office a consacré à la question de l’énergie nucléaire. D’abord, vingt ans nous séparent de la publication des deux premiers rapports de l’Office sur cette question : le 14 décembre 1990, Christian Bataille présentait son rapport sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité ; trois jours plus tard, mon rapport sur la sécurité des installations nucléaires était publié. Ensuite, il s’agit du vingt-cinquième rapport de l’OPECST sur ces sujets.

Conformément à la loi du 28 juin 2006, ce deuxième PNGMDR couvrant la période 2010-2012, a été transmis au Parlement, au nom du Premier ministre, le 3 mars dernier. L’OPECST s’est saisi de l’évaluation en nous désignant, Christian Bataille et moi-même, en tant que rapporteurs, le 31 mars 2010. Notre évaluation s’est appuyée sur une vingtaine d’auditions, deux visites en région et trois missions en Espagne, en Russie et en Suède, qui nous ont permis de consulter au total soixante quinze personnes en France et à l’étranger.

Au sortir de cette évaluation, nous pensons que le bilan du dispositif de gestion des déchets nucléaires est plutôt encourageant. Les institutions prévues, dont le groupe de travail du PNGMDR, fonctionnent correctement. Le dialogue avec les associations aussi. D'autres aspects nous semblent nettement plus préoccupants : les recherches sur la transmutation, les tensions sur le stockage des déchets radioactifs à vie longue, significatives d'un malaise plus profond dans l'ensemble de la filière nucléaire, et les conditions du débat public.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. La loi du 30 décembre 1991 va avoir vingt ans en 2011. Ces vingt années ne représentent pas tout à fait une demi-période par rapport à l’unité de temps nucléaire, dont on peut considérer qu’elle est d’une cinquantaine d’années.

Comme vient de le dire Claude Birraux, cette deuxième édition du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs répond de façon satisfaisante, par son contenu, aux objectifs fixés par la loi du 28 juin 2006. Nous avons noté l’effort réalisé pour couvrir des types de déchets peu ou pas pris en compte dans l’édition précédente : par exemple, les résidus miniers ou encore ce qu’on appelle la radioactivité naturelle renforcée.

Mais d'autres aspects sont à améliorer. Le plan ne prévoit pas de façon assez complète toutes les options stratégiques d’évolution de la filière nucléaire pouvant être retenues à la suite d’un nouveau choix politique de la Nation. De la même façon, le plan doit comporter un descriptif des enjeux financiers car les sommes mises en jeux suscitent la convoitise.

Nous avons, par ailleurs, compris que le plan avait dépassé les objectifs institutionnels fixés par la loi. Il est devenu, pour les associations et le public, une référence sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Nous faisons donc plusieurs recommandations qui visent à transformer ce plan en un document lisible pour tout un chacun.

M. Claude Birraux. Comme l’a indiqué Christian Bataille, les progrès accomplis par le dernier PNGMDR sont satisfaisants. Cela signifie que le groupe de travail pluraliste qui participe à l’élaboration du PNGMDR fonctionne également de façon satisfaisante.

Toutefois, plusieurs associations nous ont fait part des difficultés qu’elles avaient rencontrées dans le fonctionnement actuel du groupe de travail. Certaines d’entre elles nous ont semblées assez simples à résoudre : éviter que certaines catégories de participants, en surnombre, déséquilibrent le groupe de travail, ou encore diffuser les documents de travail assez tôt, avant les réunions. Nos recommandations portent sur ces améliorations.

Nous pensons aussi que, si la recherche du consensus est indispensable, dans certains cas, il faut acter des désaccords. Cela n’empêche pas le Gouvernement de prendre ses responsabilités. Mais, en ce cas, les positions des uns et des autres doivent être explicitées dans le document final. Enfin, nous recommandons de mettre en place des filières de formation, avec les organismes scientifiques, pour des jeunes associatifs, qui voudraient s’impliquer dans les discussions techniques et prendre ainsi le relais de leurs grands anciens.

M. Christian Bataille. La séparation-transmutation est l’un des trois objectifs de recherche définis par les lois de 1991 et 2006. Ce n’est pas par hasard, car cette solution vise à réduire le risque pour les générations futures, en éliminant directement les radioéléments les plus nocifs. La transmutation doit, avant tout, être vue comme un moyen de diminuer à la fois le volume et la température des déchets radioactifs les plus nocifs. Le gain se traduira par une réduction de la taille du stockage géologique profond, donc de son coût.

La faisabilité de la transmutation a été scientifiquement démontrée. Mais nous n’ignorons pas toutes les difficultés pratiques que pose son industrialisation à grande échelle. Nous estimons que ces obstacles ne doivent pas conduire à une remise en cause de l’objectif de long terme de la séparation-transmutation. Devant ces difficultés, les acteurs de l’industrie nucléaire, particulièrement EDF, sont tentés de privilégier un prétendu réalisme économique et veulent freiner les recherches. Ils oublient juste que ce réalisme joue contre le développement à long terme de la filière nucléaire.

Pourtant, en 1993, à l’occasion d’une mission sur le choix d’un site pour le laboratoire de recherche souterrain, j’avais pu constater que mes interlocuteurs au sein d’EDF, du CEA et des prédécesseurs d’AREVA considéraient le coût de la recherche sur le stockage des déchets ou la séparation-transmutation comme relativement faible en regard de l’énormité des enjeux pour la filière nucléaire nationale. A l’époque, ils s’accordaient pour dire qu’elle n’avait pas de prix.

Nous estimons que la coopération internationale constitue un moyen efficace de mutualiser les recherches, donc de réduire leur coût. Nous approuvons les initiatives prises en ce sens par le CEA, avec les pays d’Europe centrale sur le projet Allegro, avec la Belgique sur le projet Myrrha et avec le Japon et la Russie, sur les réacteurs au sodium.

M. Claude Birraux. Je veux ajouter que notre mission en Russie nous a permis de constater la très forte volonté de Rosatom de collaborer avec la France sur ces recherches. Sur le stockage, la France est l’un des premiers pays à s’être dotés de centres de stockage pour leurs déchets radioactifs à vie courte : dès 1969, pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs et, en 2004, pour ceux de très faible activité. La France s’est également préoccupée très tôt, avec les lois de 1991 et 2006, des déchets radioactifs à vie longue.

En 2009, le projet lancé pour les déchets de faible activité à vie longue a tourné court. Après avoir auditionné les principaux intervenants, nous avons constaté que ce dossier a d’abord été traité par le Gouvernement dans la précipitation pour recueillir les candidatures des communes, et, qu’ensuite, celui-ci a tergiversé pendant huit mois pour faire un choix. Ce délai injustifiable de huit mois a été mis à profit par des militants antinucléaires pour obliger les élus locaux à revenir sur leur décision initiale, avec des méthodes contestables, y compris des menaces de mort. Nous dénonçons le fait que ces élus n’ont bénéficié d’aucun soutien de l’Etat, bien qu’il s’agissait d’un dossier d’importance nationale. Depuis lors, nous approuvons la décision du Gouvernement de desserrer le calendrier du projet afin de laisser le temps nécessaire à une démarche sereine. Nous insistons sur la nécessité d’écarter tout compromis sur la sûreté du stockage.

En ce qui concerne le projet stratégique du stockage géologique profond des déchets de haute activité à vie longue, dont l’ouverture est prévue en 2025, les délais fixés par la loi devraient être tenus, grâce à l’action efficace de l’Agence nationale en charge de la gestion des déchets radioactifs - l’ANDRA. Malheureusement des tensions sont apparues voici quelques mois entre l’ANDRA et les industriels, particulièrement EDF. Ces tensions font suite à l’annonce par l’ANDRA d’une estimation de coût du futur stockage, nettement plus élevée que la précédente. Les industriels proposent des solutions techniques alternatives dont l’impact sur la sécurité reste totalement à évaluer. Par ailleurs, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) devra émettre un avis sur la sûreté du stockage. La démarche des industriels contredit la loi qui confie à l’ANDRA la mission “De concevoir, d’implanter, de réaliser et d’assurer la gestion ... des centres de stockage de déchets radioactifs ... ainsi que d’effectuer à ces fins toutes les études nécessaires”. La perspective d’une prise en charge par les producteurs de la gestion de leurs déchets radioactifs est d’ailleurs inacceptable, non seulement sur le plan légal, mais aussi sur le plan éthique. Nous comprenons la crainte des producteurs de déchets face à un risque d’inflation excessive des coûts. Mais nous rappelons également que ces discussions de concertation doivent se dérouler dans le cadre institutionnel défini par la loi. En fait, nous adressons aux producteurs de déchets un rappel à la loi.

A ce propos, j’ai eu récemment la grande satisfaction de présider une conférence internationale de l’OCDE intitulée réversibilité/récupérabilité. Tous les pays membres de l’OCDE participants avaient intégré ces notions à leurs projets de stockage. J’ai constaté qu’une catégorie d’acteurs était absente des discussions : les producteurs d’électricité. Aussi, dans ma conclusion, j’ai indiqué que, plutôt que de se lamenter dans les couloirs sur la facture qui allait leur être présentée, les producteurs feraient mieux de se mettre autour de la table pour en discuter.

Enfin, nous estimons aussi que le Gouvernement n’a que trop tardé à mettre en place la Commission nationale d'évaluation financière (CNEF) prévue par la loi de 2006. Cette commission, composée de parlementaires et de spécialistes, aurait, en effet, pu aider à désamorcer ce conflit, en assurant un rôle d’arbitre entre les différents acteurs.

M. Christian Bataille. Les tensions au sein de la filière nucléaire dépassent largement le cadre de la gestion des déchets. Elles concernent le groupe Areva, la loi NOME et l’exportation.

Concernant le groupe Areva, sa création en 2001 visait à constituer une entreprise compétitive au niveau international, en regroupant les compétences de service de l’industrie nucléaire française. Force est de constater que les efforts d’Anne Lauvergeon ont permis de concrétiser cet objectif en faisant du groupe Areva le leader mondial de son secteur. Pourtant, les rumeurs de son départ reviennent sans cesse et le groupe Areva fait l’objet d’annonces répétées de restructuration. Nous tenons à dire ici, haut et fort, que le remplacement d’Anne Lauvergeon serait contre-productif et un regroupement différent des activités de la filière un frein, plutôt qu’une aide, au développement international. De plus, ces changements n’aideraient, en rien, à résoudre des problèmes d’EDF, comme la faiblesse du coefficient d’utilisation du parc nucléaire, ou les retards de construction de l’European Pressurized Reactor (EPR) de Flamanville.

Concernant la loi NOME, elle s'appuie sur un modèle inadapté, celui d’activités dépendant d’un réseau dont le coût d’utilisation se limite essentiellement aux frais de maintenance, comme pour les télécoms, le gaz ou l’électricité. Ce schéma s’avère inadapté, car il ouvre la porte de l’offre électronucléaire à des “passagers clandestins”, qui profiteraient des bas coûts de la production nucléaire, sans supporter les contreparties en termes d’engagement de responsabilité. Nous opposons à ce modèle celui des pays du Nord de l’Europe, comme les consortiums finlandais (Fortum, TVO, Fennovoima), au sein desquels des entreprises se regroupent, pour investir conjointement dans la construction des centrales nucléaires, et se partager ensuite les parts de production. Ce modèle peut rendre compatible un “accès” à l’offre électronucléaire, et une tarification favorable au consommateur.

Le dernier point de tension a été mis en évidence par la perte du marché d’Abou Dhabi. Il s’agit du manque de coordination de l’offre nucléaire française à l’étranger. Mais la très grande diversité des attentes des clients internationaux, incluant des pays primo-accédants, des pays déjà équipés et des opérateurs, pour certains concurrents d’EDF, s’oppose à la mise en place d’une offre monolithique, d’où l’intérêt de maintenir l’autonomie des différents acteurs de notre filière nucléaire, notamment celle d’Areva vis-à-vis d’EDF. La qualité de l’offre française doit reposer sur une cohésion plurielle et non sur une offre monopolistique. A cet égard, nous suggérons notamment de renforcer la structure créée en 2008 par le CEA : l’Agence France Nucléaire Internationale (AFNI) qui a été conçue pour combiner au mieux les efforts à conduire simultanément dans les domaines de l’investissement, de la sûreté et de la formation pour établir un « système » nucléaire. A ce sujet, j’ajoute qu’il conviendrait d’avancer très vite sur la normalisation internationale en matière de sûreté des centrales nucléaires. En effet, La France n’est pas, pour l’instant, à égalité avec des pays tels que la Corée, moins exigeants en ce domaine.

M. Claude Birraux. Pour compléter les propos de Christian Bataille sur la concurrence internationale, je crois utile de rappeler que Rosatom construit actuellement dix centrales dans le monde et en a onze en commande. De plus, Rosatom peut former jusqu’à quatre mille opérateurs, russes ou étrangers, par an.

La loi du 28 juin 2006 prévoit que l’autorisation de construire un site de stockage géologique profond, prévue en 2015, doit être précédée d’une procédure de consultation publique. Malheureusement, le précédent du débat public sur les nanotechnologies a montré que quelques dizaines de personnes très motivées pouvaient interdire à leurs concitoyens, opposants compris, toute possibilité de dialogue. Nous proposons que l’échec d’une procédure ouverte de débat public, entraîne la possibilité de mettre en œuvre une procédure restreinte, permettant une consultation sereine de toutes les associations ouvertes à la discussion. Le débat démocratique sur un sujet qui engage toute la société ne pourrait ainsi plus être empêché par la volonté de quelques individus. Nous préconisons également, en complément, l’organisation, sur le modèle suédois, d’un cadre juridictionnel spécifique au droit de l’environnement qui éviterait la multiplication des procédures longues et désordonnées.

M. Christian Bataille. A la sortie de cette évaluation, nous pensons que le bilan de la mise en œuvre du dispositif de gestion des déchets nucléaires et du fonctionnement de son groupe de travail est plutôt positif. Nous avions donc la faiblesse de penser que l’investissement au long cours de l’Office avait finalement porté ses fruits. Mais notre évaluation nous a, au contraire, conduits à une analogie avec une théorie des marchés financiers appelée “paradoxe de la tranquillité”, qui veut que les crises menacent quand la situation se stabilise dans l'économie, car les circonstances favorables poussent certains opérateurs à s’endetter de façon déraisonnable.

De la même façon, dans le domaine nucléaire, le bon fonctionnement des instances de transparence et de dialogue mises en place par les lois de 1991 et 2006, semble avoir fait oublier la prudence aux acteurs industriels ; et aussi toutes les étapes antérieures qui ont été nécessaires pour atteindre progressivement ce palier.

Je voudrais revenir sur la polémique concernant le fond de gestion des déchets nucléaires qui finance toutes les recherches : sur la séparation-transmutation, le laboratoire de Bure, et d’autres recherches à venir. Je crois qu’il faut marteler que les sommes provisionnées ne sont pas propriété d’EDF, qu’elles ne relèvent pas de l’initiative du président d’EDF. Ces sommes sont provisionnées au bénéfice de la recherche en général et doivent être mises a disposition de ceux qui décident des programmes de recherche. Certes, il faut sans doute que l’ANDRA modère des visions parfois vertigineuses. Pour autant, cet argent provisionné dans les caisses d’EDF n’appartient pas à EDF, mais aux consommateurs, à la recherche, à l’Etat, en fin de compte à la Nation. Il faut arrêter la polémique. Le président d’EDF doit arrêter de dire que ces recherches lui coûtent cher. Ces recherches ne lui coûtent rien. EDF n’a pas à ouvrir sa bourse. Il y a là une incompréhension totale de la loi de 2006.

L’amélioration du contexte amène les producteurs, au nom de la rentabilité à court terme, à remettre en cause la conduite par l’ANDRA du projet de stockage géologique, ou la pertinence de la réduction de l’activité des déchets par transmutation. C’est une grande imprudence que de remettre ces axes de recherche en question, car tout cela peut rouvrir un débat qui a été apaisé depuis une vingtaine d’années.

Les tensions internes à la filière nucléaire, évoquées précédemment, confirment le recentrage des producteurs sur des préoccupations de courte vue.

Ce faisant, ils risquent de remettre en cause toute la crédibilité du dispositif. Notre message de conclusion est donc que les acteurs de l’industrie nucléaire doivent se reprendre, et ne pas céder au paradoxe de la tranquillité. Il conviendrait qu’ils se réapproprient l’idée que l’avenir de la filière dépend crucialement de sa capacité à démontrer qu’elle sait gérer les déchets radioactifs dans les meilleurs conditions de sûreté, au travers d’un dialogue serein entre partenaires scientifiques et industriels, et avec les associations.

L’Office a contribué à assurer la crédibilité de la gestion des déchets. Toute avancée dans la gestion des déchets radioactifs fait grincer des dents du côté des opposants à l’énergie nucléaire, qui sont à l’affût du moindre impair. Il ne faudrait pas qu’EDF, pour des préoccupations financières de courte vue, fasse ainsi le jeu des opposants.

M. Claude Birraux. Il est grand temps que tout le monde se mette autour de la table et que chacun n’oublie pas les termes de la loi de 2006 qui confie la mission du stockage à l’ANDRA. Il est dit dans un autre article que l’ANDRA “propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs...” et, qu’après avoir recueilli les observations des producteurs et l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, “le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation de ces coûts”. Nous ne sommes pas des juges, mais nous nous permettons de faire un rappel à la loi.

– Débat sur les conclusions du rapport

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l’OPECST. Je voudrais féliciter les rapporteurs d’être parvenus à traiter les principaux problèmes affectant aujourd’hui la filière nucléaire. Les récents soubresauts révèlent des velléités de remise en cause du consensus existant depuis vingt ans sur la gestion des déchets, que le Parlement a contribué, au travers de l’Office, à bâtir. Les progrès réalisés semblent aussi bien gêner EDF, pour des raisons financières, que les opposants au nucléaire.

S’agissant de la CNEF, son installation apparaît plus que jamais indispensable. L’apparition, à côté de l’opérateur historique, d’autres acteurs, impose de fixer de nouvelles règles du jeu pour les producteurs et les vendeurs d’électricité. Ces derniers doivent apporter leur contribution, au moins en affectant une partie de leur prix de vente à la gestion des déchets et aux démantèlements. Si nous n’avions pas relevé ce problème, cela nous aurait été reproché, d’autant qu’il est mieux pris en compte dans d’autres pays.

Sur la séparation-transmutation, la France dispose d’une réelle expertise. L’évaluation par le Parlement des recherches sur la quatrième génération, prévue en 2012, doit permettre de mettre en évidence les gains possibles. Les fuites sur les déclarations du président d’EDF, formulées à Bure, à l’égard de l’ANDRA, la bataille entre Areva et EDF, le blocage de la participation japonaise au capital d’Areva par un autre acteur, l’échec d’Abu Dhabi, tout cela montre le désordre de la filière nucléaire. Je crois que votre rappel à l’ordre s’imposait et qu’il aura du succès. Faute de redresser la situation, cette filière essentielle pour la France risque de se déliter.

Je terminerai par les déchets FAVL (faible activité vie longue). Il faut continuer à traiter de cette question. Je partage votre analyse. Je suis dans une région qui a accepté d’accueillir le laboratoire souterrain, suite à une concertation réussie qui a abouti à un consensus global. La même démarche n’a pas été adoptée pour les déchets FAVL. Cet échec me rappelle celui des quatre sites auxquels nous avions été contraints de renoncer voici vingt ans. A l’époque, le projet avait été traité au niveau des communes laissées livrées à elles-mêmes. Nous en avions tiré les conséquences en considérant que, pour traiter des sujets d’importance nationale, le niveau communal n’est pas approprié. La démarche adoptée pour les FAVL n’a pas tenu compte de cette expérience. Faute de tenir compte de l’histoire, on a refait les mêmes erreurs. Par ailleurs, je considère qu’il ne faut pas spécialiser une région dans la gestion des déchets. Si la même partie du territoire accueille les déchets à vie longue, le laboratoire souterrain et le stockage géologique du CO2, on dira très vite que la Champagne-Ardenne ou la Lorraine sont les poubelles de la France.

M. Claude Birraux. Ma proposition de création de la CNEF résultait du bilan positif de la CNE, formée d’experts indépendants, qui joue un rôle d’aiguillon pour la recherche. La nécessité de vérifier l’adéquation du financement de la gestion des déchets motivait mon amendement, aucun dispositif adapté n’étant prévu par le texte du Gouvernement. Il s’agissait de s’assurer que l’argent nécessaire était bien disponible, pas seulement sous forme de provisions, mais aussi d’actifs dédiés. J’avais été frappé par l’exemple de la privatisation de British Energy qui avait révélé la disparition des provisions pour les déchets et les démantèlements. Il s’agit donc d’une garantie fondamentale. Aucun des arguments fournis pour expliquer le retard dans l’installation de la CNEF ne m’a convaincu. Il n’est pas sérieux d’arguer de difficultés pour assurer son secrétariat, alors que de nombreux inspecteurs des finances ou cadres de la Caisse des dépôts et consignations en retraite seraient ravis de le prendre en charge.

Sur la transmutation, le programme de recherche Curien n’est pas entièrement accompli puisque Phénix est arrêté et Super-Phénix démantelé. Pour continuer et passer de l’échelle de quelques milligrammes à quelques grammes, se pose la question de la coopération internationale. Alors que les Japonais rencontrent toujours des difficultés, le réacteur russe BN-600, qui délivre 600MW, fonctionne sans problème depuis plusieurs décennies, après avoir rencontré des incidents parfaitement gérés. Nous l’avons visité en fonctionnement, ainsi que le chantier du BN-800. Les Russes ont en projet un modèle de 1200MW. Conformément à l’idée du forum génération IV, la coopération internationale permet de partager les frais de la recherche et, le cas échéant, les bénéfices résultant des applications.

Sur les FAVL, le maire d’Auxon nous a expliqué qu’un opposant lui avait indiqué que leur objectif était d’empêcher l’utilisation du site d’Auxon, géologiquement adapté, pour contraindre le Gouvernement à choisir un autre site, politiquement satisfaisant mais inadapté sur le plan géologique, et ainsi pouvoir attaquer légitimement ce nouveau choix de site.

Mme Geneviève Fioraso, députée. En tant que représentante du Parlement au Conseil d’administration de l’ANDRA, je suis témoin des tensions avec EDF. Au Congrès mondial de l’énergie, j’ai ainsi entendu le président d’EDF affirmer sommairement que quelques tunneliers remplaceraient avantageusement l’ANDRA. Pourtant, je peux attester du sérieux des travaux de l’ANDRA. D’autre part, je m’interroge sur l’influence des modifications intervenues en matière de fiscalité, notamment avec la suppression de la taxe professionnelle, sur l’attitude des élus locaux.

M. Claude Birraux. Pour le laboratoire souterrain de Bure, les départements et les communes bénéficient d’une redevance ad hoc équivalente, calée sur le modèle de la taxe sur les installations nucléaires de base.

M. Bruno Sido, sénateur, Premier vice-président. Les deux Groupements d’intérêt public ont effectivement la chance de bénéficier d’une taxe additionnelle spéciale sur les installations nucléaires de base, partagée entre les deux départements, équivalente à celle d’une tranche nucléaire.

Mme Geneviève Fioraso. En tout cas, l’ANDRA a fait des efforts en matière de concertation. Toutes les présentations faites par le directeur scientifique, M. Patrick Landais, étaient très convaincantes. Mettre dans la balance l’appel à quelques tunneliers révèle un mépris injustifié de l’opérateur national à l’égard de l’ANDRA.

Pour le reste, je fais partie de ceux qui déplorent qu’on se ridiculise, à l’exportation, par nos bisbilles, alors même qu’on dispose d’une expertise formidable, y compris en matière de traitement des déchets. Celle-ci pourrait être valorisée à l’exportation. Aussi, un échec sur le projet de stockage géologique profond conduirait également à perdre un débouché commercial à l’étranger. L’ANDRA a accumulé une expertise significative en ingénierie du stockage, sans équivalent à l’étranger, qui pourrait, une fois intégrée à notre offre commerciale, lui donner une valeur ajoutée supplémentaire. Je regrette qu’on se prive de la valorisation de cette expertise.

Je soutiens le rappel de l’Office sur le nécessaire respect de la loi et la remise en ordre de la filière. Je ne souhaite diaboliser personne. Le président d’EDF a trouvé une situation très difficile, avec un taux d’indisponibilité des centrales tellement élevé qu’il révèle une perte de compétences et de savoir-faire. Je crois qu’il convient de remettre de l’ordre rapidement dans cette maison.

M. Claude Birraux. Je crois comme vous qu’il faut une véritable réflexion stratégique à ce sujet. Si nous ne savons pas valoriser notre savoir-faire en matière de stockage, Rosatom va en tirer profit. Ils ont engagé l’exploration géologique des formations granitiques de la région de Krasnoyarsk et vont prochainement se doter d’une loi sur la gestion des déchets nucléaires. Ils se préparent à annoncer une offre pour louer des alvéoles à qui voudra bien leur confier ses déchets radioactifs. D’autre part, pour assurer sa crédibilité face aux industriels, l’ANDRA aurait tout intérêt à muscler son ingénierie, si nécessaire en faisant appel à l’assistance à maîtrise d’ouvrage.

M. Bruno Sido. Sur la question des déchets FAVL, c’est l’exemple même de conduite de dossier à éviter. Le résultat s’est avéré catastrophique tout simplement parce que l’échelon communal n’est pas le bon échelon pour traiter cette question. Seuls, les maires ne sont pas assez forts pour faire face aux oppositions. En creux, pour le stockage géologique profond, il me semble que le législateur de l’époque, Christian Bataille, a bien vu que le département était l’échelon adéquat. Par la suite, une autre décision judicieuse a consisté à s’appuyer sur deux départements et deux régions, donnant un socle encore plus solide à la démarche.

Je voudrais aussi évoquer la question des provisions. Il est essentiel de veiller à ce que les provisions soient faites et ne soient pas considérées par EDF comme sa propriété. Etant présents sur le terrain quasiment en permanence, nous savons très bien que les détracteurs du programme nucléaire et de son aval, c’est à dire les déchets, vont jusqu’à prétendre que les provisions ne sont pas suffisantes et que l’électricité nucléaire n’est donc pas à son véritable prix. Il est donc très important de prouver que les provisions sont suffisantes, sont disponibles et ne sont pas propriété d’EDF. D’ailleurs, les démantèlements ne sont pas réalisés. Il est quand même incroyable de voir Brenilis, en Bretagne, toujours debout. L’Office pourrait peut être s’intéresser à ces questions.

M. Claude Birraux. Dès 2003, dans un rapport de l’OPECST sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs, je posais un certain nombre de questions sur le démantèlement que tout le monde se pose à nouveau aujourd’hui.

M. Bruno Sido. Si les compétences d’EDF sont limitées en matière de creusement, il serait dommage que l’ANDRA se prive, en raison des tensions survenues avec les producteurs, des compétences d’Areva. D’autre part, il est essentiel de ne pas poursuivre cette polémique au risque de donner le sentiment aux populations que l’on va vers un stockage au rabais. Ce serait catastrophique.

M. Christian Bataille. Bruno Sido a raison, le département constitue le bon échelon. Je me souviens avoir consulté dix départements avant d’en retenir quatre aux caractéristiques géologiques adéquates. Il est en effet nécessaire de réunir à la fois les critères humains et géologiques. Sur le dossier des FAVL, je pense que les choses ont été précipitées par le ministère. Je rejoins Jean-Yves Le Déaut pour considérer que le dossier du stockage géologique profond ne doit pas être pollué par d’autres dossiers mineurs. Il faut donc que l’ANDRA cherche une solution dans d’autres départements et d’autres régions. Je regrette qu’une décision politique également malheureuse ait conduit à renoncer à un deuxième laboratoire souterrain, par exemple à Marcoule. Sur la question des provisions, j’estime que Claude Birraux et moi devrions exiger du Gouvernement un bilan sur le montant exact des sommes provisionnées. Nous l’avions réclamé dans le précédent rapport d’évaluation et nous le réclamons à nouveau. Il faudrait avoir des indications claires. EDF ne veut pas en entendre parler, car ces sommes sont diluées dans ses comptes. Je me souviens que, lors du vote de la loi de 2006, Pierre Gadonneix, à l’époque président d’EDF, s’était opposé à l’idée de la création d’un fond dédié. A mon sens, l’actuel président réagit de la même façon. Je pense que le Parlement est en position de réclamer des éclaircissements à ce sujet.

M. le Claude Birraux. Tout à fait, cela fait d’ailleurs partie de nos recommandations et des questions posées à la Direction générale de l’énergie et du climat.

A la suite de cet échange, les recommandations du rapport ont été approuvées à l’unanimité et sa publication autorisée.

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– Nomination de rapporteur(s) sur la saisine du Bureau de l’Assemblée nationale « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques majeurs »

Puis l’Office parlementaire a désigné MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut comme rapporteurs du thème dont ils ont été saisis par le Bureau de l’Assemblée nationale, à la demande du président du groupe SRC, sur « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques majeurs ».

– Présentation de l’étude de faisabilité de MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, députés, sur « « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques majeurs »



M. Claude Birraux
. Ce rapport permettra de réfléchir aux conditions nécessaires pour que l’innovation ait un rôle moteur dans la société moderne, en tirant les leçons des expériences réussies, en réfléchissant aux caractéristiques humaines, scientifiques, techniques et financières de l’innovation, en étudiant son utilité économique et sociale et sa nécessité, en étudiant pourquoi des peurs plus ou moins rationnelles la freinent et empêchent les entreprises de mettre en œuvre les solutions leur permettant d’être compétitives dans un monde de plus en plus globalisé. Il abordera la plupart des technologies clés, concernant notamment la maîtrise de l’énergie, le traitement et le stockage géologique des déchets nucléaires, l’agroalimentaire, la gestion de l’eau, la mise au point de nouveaux médicaments et de nouveaux vaccins, la recherche sur le génome humain et ses applications. Il étudiera comment l’école prépare à la société de l’innovation, et récompense la créativité et l’inventivité. Il examinera le rôle des organismes publics de financement de l’innovation.

Les deux rapporteurs s’interrogeront sur les causes de l’échec de la stratégie de Lisbonne que l’Union européenne avait définie en 2000 afin de faire de son économie la plus compétitive du monde, et sur la capacité du système français à innover, en le comparant aux systèmes d’autres pays industrialisés et de certains pays émergents, en se demandant pourquoi les peurs peuvent y être plus faibles, et quels sont les liens entre innovation et formation.

Une étude particulière sera faite des transferts de technologie aux pays émergents et de leur impact sur leur croissance et leur développement. Les rapporteurs tenteront d’anticiper les innovations majeures qui pourraient marquer les vingt ou les quarante prochaines années. Ils s’interrogeront sur l’opportunité de proposer de nouveaux types de gouvernance de l’innovation et du pilotage de l’évaluation en France, en combinant les enseignements tirés d’expériences étrangères et des réflexions découlant du contexte européen. Ils chercheront, à cette fin, des réponses à trois grandes questions : Faut-il faire évoluer le cadre actuel de programmation de l’innovation ? Faut-il faire évoluer son financement ? Comment mener un débat public pour préparer l’arrivée d’une innovation ?

Ce rapport reposera sur une centaine d’auditions par les rapporteurs, sur l’organisation de trois auditions publiques sur l’innovation face aux risques, sur les liens entre innovation, éthique, responsabilité et solidarité, et sur l’apport des expériences étrangères. Il comportera de nombreuses comparaisons internationales et donnera lieu à une expérience originale de dialogue intergénérationnel avec des jeunes lycéens de première, des étudiants de master 2, des experts et des responsables politiques.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l’OPECST. Les risques sont l’un des freins à l’innovation, qu’ils soient connus ou incertains, qu’ils soient étudiés selon des approches statistiques ou déterministes reposant sur des scénarios. La difficulté du politique étant de prendre des décisions en situation d’incertitude, il est intéressant de définir une échelle des risques perçus, qu’ils soient naturels ou technologiques, dans un contexte où les générations ne réagissent pas de la même manière, et où l’obscurantisme s’oppose au scientisme.

Ce rapport étudiera l’approche des assureurs (qui n’assurent que certains risques et n’assurent pas ce qu’ils ne connaissent pas), ainsi que l’approche cindynique qui différencie les risques réglés et les risques gérés. Il s’appuiera sur les retours d’expérience.

Il comparera, dans divers pays, les risques perçus et les risques sous-jacents. Il traitera de l’impact des nouveaux moyens de communication sur la gestion du risque, sur les nouveaux moyens de diffusion de l’innovation, les formes d’aversion au risque, les besoins de sécurité, et reposera sur une analyse intergénérationnelle.

Il reprendra les travaux de l’Office et ceux du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (le CEC), notamment sur le principe de précaution, en se demandant s’il faut l’encadrer, et comment le faire, afin d’éviter certaines erreurs dans son application, comme dans le domaine des ondes électromagnétiques.

Il s’interrogera sur la maîtrise du risque, sur les nouvelles formes de débat public, sur les principes à poser en matière d’éthique et de régulation, afin de se demander si l’innovation peut être freinée par les risques.

Il cherchera à comprendre pourquoi l’innovation et le transfert de technologie se sont développés uniquement dans quelques pays du Nord, et pourquoi seuls certains pays émergents ont réussi à se développer. Il traitera de la problématique des pays du Sud.

Sa dernière partie portera sur le pilotage et la gouvernance du risque, ainsi que sur la communication sur le risque en poursuivant la réflexion engagée lors du rapport sur l’accident de l’usine AZF.

L’objectif est ambitieux et le sujet important. Les auditions et les missions permettront de le délimiter et d’aboutir à des conclusions sur la manière de favoriser l’innovation en France, sur les solutions permettant à l’innovation de bénéficier le plus possible à tous les pays du monde.

Mme Geneviève Fioraso. Ce travail va être passionnant. Il faudra aussi qu’il puisse permettre de parler d’applications industrielles et de travailler avec des industriels qui pourraient être représentés dans le comité de pilotage.

M. Claude Birraux. Le comité de pilotage de cette étude sera composé de spécialistes provenant de diverses disciplines. L’étude reposera sur l’audition de nombreux industriels. Son titre gagnerait en généralité s’il était allégé de l’adjectif « majeurs ».

M. Yves Le Déaut, député, vice-président de l’OPECST, donnant son accord pour ce nouveau titre, l’OPECST a alors décidé d’autoriser cette étude sur « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques ».