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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi  30 mars 2011

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Claude Birraux, député, Président

– Nomination de rapporteurs

– Audition, ouverte à la presse, du Collège de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : Présentation du rapport d’activité 2010 de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et point sur la situation au Japon.

– Nomination de rapporteurs –

M. Claude Birraux, député, Président de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : Monsieur le Président, mes chers collègues, vous savez que nous avons été saisis, conformément au souhait du Président de l’Assemblée nationale et du Président du Sénat, d’une part par le Bureau de l’Assemblée, d’autre part par la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, d'une étude sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir. Nous devons donc procéder à la nomination des rapporteurs. En accord avec les deux présidents, Bernard Accoyer et Gérard Larcher, nous envisageons de désigner, d’une part, Christian Bataille et, d’autre part, Bruno Sido, comme rapporteurs. Il nous a été demandé d’élargir les travaux de l’Office à des membres des commissions des Affaires économiques et du Développement durable de l’Assemblée nationale ainsi que de l’Economie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire du Sénat. Huit députés et huit sénateurs se joindront aux travaux de l’Office parlementaire. Les séances seront ouvertes et publiques. Dès la mi avril, nous réunirons pour la première fois les membres de cette commission élargie, laquelle fonctionnera comme une mission d’information ouverte dont le programme sera communiqué le plus tôt possible.

– Présentation du rapport d’activité 2010 de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) –

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres du collège de l'ASN, je commencerai par adresser un salut particulier aux deux nouveaux membres, Messieurs Jean-Jacques Dumont et Philippe Jamet.

C’est, pour le Président de l’Office parlementaire, un plaisir de retrouver votre collège et les responsables de l’Autorité de sûreté nucléaire à l’occasion de la présentation de son rapport annuel d’activité. Ce rendez-vous devient habituel depuis la constitution de l’Autorité de sûreté nucléaire en autorité administrative indépendante, en 2006. C’est la quatrième année que nous organisons cette audition publique pour la présentation de votre rapport d’activité, mais cette année, des circonstances exceptionnelles interfèrent avec cet exercice, puisque l’ASN se trouve intensément mobilisée par le suivi de la crise nucléaire de Fukushima. Cet événement entraîne aussi une mobilisation exceptionnelle de l’Office parlementaire. Les présidents respectifs des Assemblées, Messieurs Accoyer et Larcher, nous ont demandé de conduire une étude sur les enseignements à tirer de la situation à Fukushima pour la sûreté et la sécurité nucléaire française, ainsi que pour l’avenir de la filière. Le Premier ministre ayant missionné l’ASN, la semaine dernière, pour procéder à une revue complète de la sûreté des installations nucléaires d’ici à la fin de l’année, nous allons être amenés à travailler souvent ensemble dans les prochaines semaines.

Le statut d’autorité administrative de l’ASN garantit l’absolue intégrité de ses missions de contrôle. Il est le résultat d’un long processus d’adaptation que l’Office parlementaire a voulu accompagner depuis 1990, consacrant une longue série de rapports, sous un angle ou sous un autre, aux questions de sûreté nucléaire. Ces rapports ont conduit à des demandes successives d’évolution de votre structure, qui est passée de service du ministère de l’Industrie, à direction en 1991, puis à direction générale en 2002, enfin de direction générale à autorité administrative indépendante en 2006.

La présentation de votre rapport d’activité est l’occasion de rappeler que la responsabilité de l’ASN concerne toutes les formes d’exploitation des matières radioactives, non seulement celles liées à la production d’énergie nucléaire, mais également celles résultant de l’utilisation de la radioactivité en tant qu’instrument de soins médicaux. Sur ce plan, nous ne pouvons que nous réjouir d’avoir vu se concrétiser l’idée, soutenue de longue date par l'Office parlementaire, que les compétences de contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire soient étendues aux activités de radiologie. Il est essentiel que le capital culturel d’éveil permanent à la vigilance et à la prudence qui s’est constitué au fil des années dans le monde de l’industrie nucléaire, intégrant un suivi très précis des conditions de travail des personnels, puisse bénéficier au monde de la médecine nucléaire.

Notre fonction d’éclairage scientifique et technologique nous place en position privilégiée pour contribuer à la fonction de contrôle du Parlement. C’est la raison pour laquelle la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sûreté des matières nucléaires nous invite à nous saisir, au nom du Parlement, de votre rapport annuel d’activité.

Je tiens à souligner la pertinence de ce rythme annuel de contact et d’échange institutionnels, qui permet de faire un point régulier des évolutions sans perdre le fil des dossiers en cours. Avant de vous laisser la parole, j’aimerais vous remercier de l’honneur que vous faites au Parlement et à l’Office parlementaire en venant présenter, devant les parlementaires, votre rapport annuel. Rien ne vous oblige, en tant qu’autorité administrative indépendante, à remettre ce rapport devant le Parlement. C’est votre volonté, parce qu’il y a une continuité entre les évolutions de l’Autorité de sûreté nucléaire et les travaux de l’Office parlementaire. Tous mes collègues vous en remercient chaleureusement.

M. André-Claude Lacoste, Président de l’ASN : Merci Monsieur le Président pour ces mots de bienvenue. Pour l’Autorité de sûreté nucléaire, c’est à la fois un devoir et un honneur que de rendre compte de notre activité au Parlement.

Les circonstances de cette année sont particulières. Dans un premier temps, je vous propose de regarder ensemble le rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2010, puis, dans un second temps, nous évoquerons le sujet du Japon, qui, de toute évidence, sera amené à interférer avec ce que nous ferons cette année et les années suivantes.

Commençons donc, si vous l’acceptez, par notre rapport annuel. Il s’ouvre par une phrase qui énonce que l’année 2010 a été, sur le plan de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, « assez satisfaisante ». Il faut jauger le sens de cette expression « assez satisfaisante » à l’aune de notre mission. Celle-ci ne consiste pas à pousser des cris d’enthousiasme si les choses fonctionnent bien. Elle consiste à porter un jugement aussi sérieux que possible sur la situation. Ce jugement est porté par référence à une exigence forte, dont nous sommes porteurs, en matière de sûreté et de radioprotection. Cela nous a été reproché récemment. Il a été dit que l’ASN courait le risque d’en faire trop. J’entends moins de remarques de ce genre actuellement. C’est vraiment à l’aune de cette exigence qu’il faut juger les mots « année assez satisfaisante ».

De manière plus précise, en survolant l’ensemble des activités que nous avons été amenés à contrôler dans le secteur des grosses installations et du nucléaire de proximité, qui comprend la médecine, je demanderai à Monsieur Niel de faire une présentation.

M. Jean-Christophe Niel, Directeur général de l'ASN : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, l’année 2010 a été assez satisfaisante sur le plan de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. De ce point de vue, elle s’inscrit dans la continuité des années précédentes.

L’ASN estime que les efforts engagés par EDF, depuis plusieurs années, en matière d’exploitation au quotidien, portent leurs fruits sur certains sites, mais doivent être poursuivis sur d’autres. Concernant la maintenance ou le remplacement des composants, certaines opérations n’ont pas été assez anticipées. Elles ont pu conduire à des opérations correctives de grande ampleur ou délicates. Ce fût notamment le cas à l’occasion du remplacement des générateurs de vapeur du réacteur de Bugey 3. Tous les ans, depuis maintenant quatre ans, nous portons une appréciation sur les sites d’EDF. Cette appréciation est basée sur nos inspections, le suivi des arrêts de tranche, l’analyse des incidents et l’instruction des dossiers en cours. Cette année, cinq sites se détachent favorablement : les sites de Bugey, Penly et Tricastin, en termes de sûreté nucléaire, et les sites de Civaux et Golfech, en termes de radioprotection. Quatre sites sont en retrait : le site de Saint-Alban, le site de Chinon, notamment en termes de rigueur d’exploitation, ainsi que les sites de Chooz et de Nogent, en termes de protection de l’environnement.

L’ASN poursuit ses examens décennaux des réacteurs ; cinquante-huit réacteurs en France sont soumis à cet exercice qu’impose la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN). Après avoir rendu un avis générique sur le palier 900 MW en juillet 2009, l’ASN a donné, en novembre 2010, son accord pour la poursuite d’exploitation du réacteur de Tricastin 1, de trente à quarante ans. Bien évidemment, cette autorisation s’accompagne de la poursuite, par l’ASN, de son action de contrôle au quotidien de ce réacteur. L’ASN devrait rendre un avis, dans les prochains mois, sur les réacteurs de 900 MW suivants : Fessenheim 1, Bugey 1, Fessenheim 2 et Tricastin 2. Pour mémoire, le dernier réacteur de 900 MW à avoir sa troisième visite décennale devra attendre 2020.

L’ASN poursuit aussi le contrôle de la construction du réacteur EPR et l’instruction préalable à sa mise en service. En 2010, nous avons effectué trente-sept inspections de chantier, neuf inspections dans les services d’ingénierie et deux cents contrôles ont été pratiqués sur les composants sous pression. L’ASN poursuivra le contrôle du chantier et s’attachera à l’examen de la qualification des matériels et des études de sûreté.

Concernant le cycle du combustible - Areva et ses filiales -, l’ASN a noté, avec satisfaction, l’arrêt annoncé d’Eurodif en 2012, qui sera remplacé par une installation Georges Besse II, plus sûre, notamment eu égard à la quantité d’hexafluorure d’uranium mise en œuvre. Par ailleurs, l’ASN est très attentive aux opérations de reprise des déchets anciens non conditionnés du site de La Hague. Areva doit procéder aux investissements nécessaires sur le sujet.

Concernant le Commissariat à l’Énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’année 2010 n’a été marquée par aucun événement majeur. L’ASN a constaté les progrès du CEA dans le management de la sûreté. La démarche de grands engagements doit être poursuivie avec rigueur. Cette démarche vise à protéger des aléas budgétaires des projets à fort enjeu en termes de sûreté nucléaire et de radioprotection. L’ASN est préoccupée par le report de certaines opérations de désentreposage de déchets ou de matières et de démantèlement.

La gestion des déchets est un sujet important pour l’opinion publique et pour l’ASN. La sûreté dans la gestion des déchets repose sur trois piliers. D’abord un cadre législatif, avec deux lois, portées notamment par l’OPECST : la loi sur la transparence et sécurité en matière de nucléaire, ainsi que la loi sur la gestion des déchets radioactifs, toutes deux promulguées en juin 2006. Les autres piliers sont une feuille de route, qui est le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, ainsi qu’une agence en charge spécifiquement de ces dossiers. La deuxième version du plan national, pour la période 2010-2012, a été remise au Parlement. L’Office a rendu son avis, il y a quelques mois. L’ASN est préoccupée par l’absence de stockage pour les déchets à vie longue et à faible activité. Elle poursuit l’inspection des éléments fournis par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sur le site de Bure, notamment en ce qui concerne les options de conception, la sûreté en exploitation et la sûreté à long terme. L’ASN est attachée à ce que l’ANDRA assume pleinement les missions que lui a confiées la loi, que ce soit sur la conception, la réalisation ou l’exploitation des stockages de déchets radioactifs.

Le deuxième grand domaine que contrôle l’ASN est le nucléaire de proximité, en particulier le domaine médical. Les progrès enregistrés, en 2009, par la radiothérapie en matière de sécurité des patients se confirment, notamment grâce au renforcement des effectifs en radiophysique médicale. Il y avait 430 radiophysiciens en fin d’année 2010, et l’objectif consiste à porter leur nombre à 600 fin 2012. En outre, les procédures de management de la qualité et de la sécurité des soins dans les établissements ont été mises en place de manière progressive.

Toutefois, les avancées sont hétérogènes. Dans certains centres, l’organisation reste fragile. Le nombre d’événements déclarés à l’ASN dans le domaine médical est de 419, soit 50 % de plus qu’en 2008 : 265 concernent la radiothérapie, 7 ont été classés au niveau deux et cent soixante et onze au niveau un.

L’ASN considère que la baisse du nombre de centres qui n’ont pas déclaré d’évènements, de 29 en 2009 à 20 en 2010, traduit une prise de conscience des professionnels quant à l’importance de la déclaration.

L’imagerie médicale est un autre domaine de préoccupation de l’ASN. Il s’agit des examens à visée diagnostic. L’ASN fait le constat, comme c’est déjà le cas au Japon et aux Etats-Unis, d’une augmentation des doses délivrées par ces examens, de 50 % en cinq ans, en France. Ces doses sont notamment délivrées à l’occasion des examens par scanner. Un scanner du corps entier peut délivrer une dose allant jusqu’à vingt millisieverts, soit la limite haute des travailleurs du nucléaire. Cette augmentation est donc un sujet de préoccupation. Trois actions peuvent contribuer à limiter ce phénomène : une augmentation du nombre d’Imagerie par résonance magnétique (IRM), technologie non-irradiante, le développement de l’assurance-qualité et le renforcement du nombre de radiophysiciens.

En 2010, l’activité internationale s’est poursuivie, notamment par la rédaction d’un projet de directive sur la gestion des déchets radioactifs. Ce projet vient compléter la directive sur la sûreté nucléaire adoptée en 2009. Par ailleurs, les travaux du club rassemblant les chefs d’autorité de sûreté des pays européens ont abouti à une position partagée sur les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs qui seraient à construire en Europe.

L’ASN a poursuivi son travail sur la mise en œuvre de la réglementation qui découle de la loi TSN. Elle a aussi travaillé sur la maîtrise de l’urbanisation, qui est l’un des piliers de la maîtrise de la gestion du risque autour des installations nucléaires.

Enfin, l’ASN a ouvert, avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le site « mesure-radioactivite.fr », lequel rassemble l’ensemble des mesures de radioactivité effectuées dans l’environnement. Il s’agit d’un outil unique en Europe. Nous avons également rendu public un livre blanc du tritium, résultat d’une démarche pluraliste consacrée à ce radioélément qui soulève quelques questions.

Pour conclure, je voudrais citer quelques chiffres. En 2010, l’ASN a effectué1 964 inspections, dont 25 % inopinées. Depuis cette année, toutes nos lettres d’inspection sont publiques. Nous avons notamment réalisé deux inspections de revue, qui sont des inspections massives, l’une sur l’installation MELOX, autour du thème de la criticité, et l’autre sur le centre de Saclay, sur le thème du management de la sûreté.

1 107 ont été classés, dont 140 au niveau un et 3 au niveau deux. Je voudrais mentionner deux pollutions radioactives : l’une dans l’installation Formetal, consécutive à la découpe intempestive d’une source de cobalt 60, et l’autre à Saint-Maur des Fossés suite à la sortie d’un centre du CEA d’un dispositif contenant du tritium, alors que ce dispositif était considéré comme non-radioactif.

Le centre de crise de l’ASN a été créé à l’occasion de la tempête Xynthia de manière préventive. Les critères de repli de la tranche du Blayais n’ont pas été atteints, donc la tranche est restée en fonctionnement.

Enfin, nous avons procédé à sept exercices de crise.

Je vous remercie de votre attention.

M. André-Claude Lacoste : Je voudrais souligner trois points qui sont dans la ligne de ce que nous avons fait en 2010 et qui devaient constituer des priorités pour 2011.

L’un de ces points est la gestion des déchets. Entre les lois de 1991 et de 2006, la création de l’ANDRA et le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, la France bénéficie d’un cadre législatif, réglementaire et conceptuel de gestion des déchets tout à fait unique. Nous devons poursuivre les progrès qui ont d’ores et déjà été constatés en la matière, avec deux objets principaux : la création d’un stockage souterrain aux environs de Bure, pour les déchets de haute activité, et la recherche d’un site pour les déchets de faible activité à vie longue. C’est clairement la responsabilité de l’ANDRA.

Dans le secteur médical, nos soucis portent sur la radiothérapie et la croissance des doses dans le secteur de l’imagerie médicale. En radiothérapie, des progrès sont en cours. Quant à la croissance des doses dans le secteur de l’imagerie médicale, il s’agit d’un souci majeur. Nous ne voudrions pas nous retrouver, à terme, avec une croissance des doses inadmissible, comme c’est déjà le cas au Japon et aux Etats-Unis à partir de l’imagerie médicale.

Les moyens de l’ASN sont un troisième sujet. Il serait tout à fait indécent de plaider devant vous des dossiers qui ont matière à être plaidés ailleurs. Je dirai donc simplement que notre budget est modeste, avec 70 millions d'euros directement et 80 millions d'euros qui s’y ajoutent, au titre du financement de l’assistance technique que nous apporte l’IRSN. Ces sommes sont éparpillées sur cinq programmes budgétaires, ce qui conduit à des difficultés de gestion absolument invraisemblables, sans compter qu’il est extrêmement difficile de faire un rapport, en particulier à l’Office, sur ce que sont nos moyens. A l’évidence, cette structure doit être simplifiée. Une réflexion doit également être menée sur les sources de financement de l’ASN, en tenant compte de l’élément nouveau constitué par la création d’une taxe alimentant l’assistante technique que nous fournit l’IRSN.

Voilà, Monsieur le président, ce que nous souhaitions dire en introduction aux questions.

M. Claude Birraux : Merci Monsieur le président. Je vous propose de procéder ainsi : nous allons d’abord prendre quelques questions sur votre rapport annuel, puis nous aborderons la situation au Japon et les informations que vous pourrez nous donner. Pour ceux qui ne le sauraient pas, je vous rappelle que le 15 janvier, nous avons rendu, avec Christian Bataille, un rapport sur l’évaluation du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Nous l’avons appelé « Se méfier du paradoxe de la tranquillité ». Au travers de ce rapport, nous avons procédé à deux rappels à la loi.

Le premier concerne le Gouvernement. Dans la loi de 2006, le Parlement a voulu qu’une commission d’évaluation financière évalue les coûts de gestion des déchets nucléaires. Je répète que pour des questions d’argutie qui ne relèvent pas du législatif, cette commission, qui devait rendre un rapport avant le 30 juin 2007, ne s’est toujours pas réunie.

Le deuxième rappel à la loi s’adresse à EDF. EDF doit respecter la loi. Celle-ci a confié à l’ANDRA le soin de gérer l’ensemble des déchets radioactifs. Au passage, je vous rappelle le débat, ô combien vain, à l’aune de ce qui se passe au Japon, sur le coût de la sûreté et le trop de sûreté. Au sein de l’Office parlementaire, nous avons toujours estimé que seule comptait la sûreté.

J’aurai deux petites questions pour lancer le débat. Vous dites, dans votre rapport, qu’EDF « joue un peu la montre » pour mettre en œuvre des opérations de maintenance indispensables. Vous jugez que cette attitude est inacceptable. Vous avez raison. Quels sont les moyens juridiques qui peuvent contraindre EDF à accélérer le pas ?

Par ailleurs, vous faites encore état, comme les années précédentes, d’un gros besoin de rattrapage pour garantir la sûreté d’installations de radiologie ou d’imagerie médicale. Après une audition organisée par l’OPECST sur l’imagerie médicale, j’ai envoyé un courrier à la ministre de la Santé. Soit ma lettre n’est pas arrivée, soit sa réponse s’est égarée, mais je l’attends toujours.

M. André-Claude Lacoste : Je commencerai par votre seconde question sur le besoin de rattrapage en radiologie médicale. Nous sommes face à un problème qui concerne une multitude d’acteurs. Les responsables finaux de la prescription des actes sont les médecins. Ils sont extrêmement nombreux. Il est hors de question d’agir par quelque voie autoritaire que ce soit. Un important effort d’information et de persuasion doit être effectué. Nous nous y attachons en liaison avec des représentants et les ordres des professions intéressées.

Une seconde manière de faire consiste à veiller à ce que les solutions offertes pour répondre aux prescriptions médicales soient effectivement présentes. Ainsi, nous avons le sentiment que trop de scanners sont prescrits. Probablement le scanner est-il indispensable dans un certain nombre de cas. Néanmoins, il est tout à fait possible que l’on ne songe pas suffisamment à utiliser une technique alternative, telle que l’IRM. Encore faut-il que les médecins soient conscients de son existence, et que les appareils soient disponibles. L’un de nos soucis est donc d’obtenir un rééquilibrage du parc, en France, entre les scanners et les IRM. Ce n’est pas qu’un problème technique. Il s’agit également d’un problème d’image. Clairement, il est aujourd'hui plus glorieux d’inaugurer la mise en fonctionnement d’un scanner que la mise en place d’un IRM. Cet indispensable rééquilibrage ne me paraît pas relever d’une démarche autoritaire, mais plutôt d’une démarche de conviction, d’investissement et d’explication.

S’agissant des moyens de contraindre EDF, nous possédons toute une panoplie d’armes de mise en demeure et de suspension. Ce sont des armes de dernier recours. Dans certains cas, les discussions avec EDF sont difficiles. Un cas limite a été évoqué, à savoir le temps qu’a mis EDF à entendre raison quant au changement du générateur de vapeur sur l’un des réacteurs de Bugey, mais nous ne sommes pas arrivés jusqu’aux armes extrêmes.

Cela pose une question : de quel type d’exploitant avons-nous besoin face à nous ? Nous avons besoin d’exploitants qui soient responsables, compétents et suffisamment riches pour ne pas nous opposer leur absence de moyens. Assez souvent, il m’est demandé si la distinction entre les exploitants selon qu’ils suivent ou non ce que nous leur prescrivons tient à leur caractère public ou privé. Prenons le cas de la Finlande : deux réacteurs sont exploités par une société privée et deux le sont par une société publique. Les difficultés sont du même ordre avec les deux catégories d’exploitants. En France, nous avons quatre exploitants : EDF, le CEA, l’ANDRA et Areva. Celui qui nous oppose le plus souvent l’argument du manque de moyens pour respecter ses engagements en temps utile est l’exploitant le plus étatique, c'est-à-dire le CEA. La réponse n’est donc pas forcément que l’exploitant public est bon pour obéir à nos ordres et que l’exploitant soumis au marché est mauvais. C’est plus compliqué que cela.

M. Christian Bataille, député , membre de l'OPECST : Mes questions porteront sur les réacteurs. M. Niel a fait allusion au vieillissement des réacteurs. Il est beaucoup question de ceux qui ont dépassé trente ans. Pouvez-vous nous rappeler les critères à partir desquels vous autorisez la prolongation pour dix ans de l’activité d’un réacteur ? Quelle est la sécurité de ces réacteurs par rapport à des réacteurs nouveaux ?

Ma seconde question porte sur ces réacteurs nouveaux. Dans le monde, de nombreux types de réacteurs sont construits. La France est centrée sur le concept d’EPR. Quels sont les critères à partir desquels vous autorisez la construction d’un réacteur nouveau ? Autorisez-vous la construction de réacteurs à eau pressurisée tel celui de Civaux ou vous en tenez-vous désormais à des réacteurs très sûrs comme l’EPR ?

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, membre de l'OPECST : Je suis satisfaite que dans le nouveau Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, nous ayons obtenu la citation des matières valorisables exportées, ce qui n’était pas le cas dans les précédents rapports de l’ASN, ainsi que dans le compte-rendu du plan national. Nous étions dans le mensonge par omission. Tout est à présent rentré dans l’ordre.

Le nucléaire est une industrie spéciale, pour laquelle il existe une loi spéciale, une autorité spéciale, ainsi qu’une gestion particulière. N’est-il pas temps d’imposer une gestion particulière des salariés, avec l’internalisation des ressources humaines des nettoyeurs sous-traitants ? Dans d’autres domaines, des problèmes de sécurité ont éclaté et ont été résolus grâce à l’expertise d’usage. Ce sont des ouvriers très modestes qui ont fait sortir le débat sur l’amiante. C’est une pneumologue très modeste qui a révélé l’affaire du Mediator. N’auriez-vous pas intérêt à développer un système de visite et de contrôle des sites d’exploitation épaulé par la parole des sous-traitants nettoyeurs, qui ont beaucoup de choses à dire ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député , Vice-président de l'OPECST : Je voudrais d’abord féliciter les membres de l’ASN pour leur rapport, qui traite de manière globale la sûreté nucléaire et la radioprotection. Il y a une dizaine d’années, nous avions deux services séparés. C’est l’Office qui a demandé leur regroupement. L’exemple du Japon nous montre que ces deux sujets sont liés.

Un audit est demandé sur la sûreté des centrales françaises et des réacteurs, au regard de catastrophes éventuelles. Il y a une dizaine d’années, l’Office parlementaire a traité le sujet de la centrale du Blayais, qui avait été soumise à la tempête de 1999. Les critères de sûreté que vous allez appliquer seront-ils les mêmes que ceux qui ont été appliqués par le passé, ou les renforcerez-vous pour tenir compte des risques de séisme, d’inondation, de perte de capacité des circuits de refroidissement ou de vieillissement des installations ? Quels seront ces critères de sûreté ?

Une autre question se pose en corollaire. Les centrales construites aujourd'hui sont-elles beaucoup plus sures que les centrales construites voilà trente-cinq ans ? Si tel est le cas, des décisions doivent probablement être prises en matière de sûreté.

Par ailleurs, vous avez indiqué que vous alliez insister sur la nécessité d’une politique de stockage des déchets radioactifs. Ce n’est pas l’avis de tous. Deux lois ont été votées en 1991 et en 2006. L’Office en a été l’un des acteurs principaux. Certains pensent que le stockage au pied des centrales est une solution. Maintenez-vous votre position au regard de ce qui vient de se passer ? Maintenez-vous qu’il est indispensable d’avoir un site de stockage et un plan de gestion du stockage des déchets radioactifs ?

Enfin, nous avons un grand dossier « investissements d’avenir »” en France. Vous venez de parler des dossiers de radioprotection et de médecine nucléaire. Aucun dossier de médecine nucléaire n’a été retenu dans les grandes infrastructures en matière de biologie santé, ce qui me paraît être une aberration.

M. Michel Lejeune, député, membre de l'OPECST : Il existe actuellement un projet bien avancé d’installation d’EPR à Penly. Certains réclament un moratoire. Quel est l’avis de l’Autorité sur ce sujet ?

Mon deuxième sujet dépasse nos frontières. Récemment, nous avons vécu un échec dans un appel d’offres, peut-être dû à des centrales vendues bon marché, mais pas très sûres. L’ASN peut-elle prévoir quelque chose pour éviter un commerce mondial de centrales au rabais ?

M. André-Claude Lacoste : La procédure de réexamen décennal de la sûreté des installations nucléaires en France ne s’applique pas qu’aux centrales nucléaires, mais à l’ensemble des installations. Cet examen décennal, voulu par la loi, comprend deux types d’opérations, et d’abord une vérification de conformité. Nous obligeons l’exploitant à regarder si son installation est conforme aux règles qui s’appliquent. Nous procédons ensuite à une réévaluation de sûreté. Dans ce cadre, nous obligeons l’exploitant à regarder ce qui peut être amélioré, en termes de sûreté, sur son installation. Le but n’est pas d’imposer tout ce qui peut être imaginé, mais d’imposer tout ce qui est raisonnablement possible pour améliorer la sûreté. L’ASN prend parti au terme de ce réexamen décennal. Nous pouvons donner un feu vert pour cinq ou dix ans d’exploitation supplémentaire. Nous pouvons également arrêter les installations.

Nous procédons à ce réexamen sur l’ensemble des installations, en particulier sur les réacteurs d’EDF de 900 MW qui atteignent trente ans de durée d’exploitation. Nous avons pris une première position générique : il n’y a pas de difficulté à ce que nous examinions chacun des réacteurs au cas par cas. Nous avons autorisé le fonctionnement du réacteur de Tricastin 1, pour dix ans supplémentaires. Notre prochain rendez-vous sera la position que nous prendrons quant au réacteur de Fessenheim 1.

Le but de cette procédure consiste à vérifier que la sûreté des installations ne s’est pas dégradée, et à l’améliorer, autant que possible. Ce processus est assez largement européen. Un certain nombre de pays dans le monde ne connaissent absolument pas ce genre de rendez-vous solennisé, tous les dix ans. Ce rendez-vous n’est pas exclusif de tout ce qui est fait. Nous inspectons les centrales régulièrement. Si quelque chose de nouveau apparaît, nous sommes capables d’imposer que les leçons soient tirées. Ainsi, nous avons donné notre feu vert pour l’exploitation, pendant dix ans, du réacteur 1 de Tricastin, mais s’il apparaît, au vu du retour d'expérience de ce qui se passe au Japon, que quelque chose de supplémentaire doit être imposé, nous le ferons. Notre feu vert n’est pas une feuille blanche. Nous pouvons imposer des prescriptions complémentaires.

C’est un peu le même souci de progrès qui nous anime avec les réacteurs nouveaux. Un certain temps est nécessaire pour tirer pleinement les conséquences, sur le plan technique, des progrès et des accidents. Le réacteur EPR, de même que l’AP1000 de Westinghouse, sont les premiers réacteurs qui s’efforcent de tirer les conséquences de Three Miles Island et de Tchernobyl. C’est là-dessus qu’ils ont été bâtis, avec le double souci de réduire la probabilité d’occurrence d’accidents et de réduire les conséquences des accidents. Cela prend un temps considérable. C’est dès 1991 que nous avions indiqué qu’il n’était plus question de construire en France des réacteurs correspondant au palier N4. Or la construction d’EPR a commencé après 2000.

Notre position est tout à fait claire : nous n’admettrions pas qu’il soit construit autre chose que des réacteurs de génération 3, ou équivalents à l’EPR. Nous avons le pouvoir d’empêcher qu’ils ne soient construits en France, mais nous n’avons aucun pouvoir d’empêcher qu’ils soient construits à l’étranger. Simplement, si jamais il était question de construire, quelque part, sous le drapeau français, un réacteur qui ne répondrait pas aux critères de génération 3, nous serions amenés à dire que ce réacteur ne serait pas admis en France. Nous ne nous occupons pas de politique nucléaire ou de politique d’exportation nucléaire. Nous sommes dans notre rôle. Toutefois, l’ambiance a changé. Il est moins question d’exportations à tout va de réacteurs divers.

A propos du PNGMDR, nous tenons compte des remarques et des critiques. Le PNGMDR n’est pas un produit de l’ASN. Il est élaboré par un groupe de travail que l’ASN co-préside. Les discussions sont parfois extrêmement vives. Au fur et à mesure qu’apparaissent des lacunes, nous nous efforçons de les combler. Clairement, il a été tenu compte d’éléments qui n’étaient pas pris en compte dans les versions précédentes. Je ne connais pas l’équivalent ailleurs de cette construction pluraliste du PNGMDR, qui est le fruit de la loi et d’une volonté de tous les acteurs.

Le sujet de la sous-traitance est extrêmement compliqué et important. Nous avons décidé de nous en saisir voilà déjà plusieurs mois. Ce problème n’est pas limité à EDF, même s’il y est particulièrement massif, avec près de vingt mille emplois sous-traités.. Je ne crois pas que la sous-traitance soit condamnable. Encore faut-il qu’elle se réalise dans les meilleures conditions. Il y a très sûrement des progrès à faire. Nous avons initié des réflexions et des discussions avec les exploitants pour essayer d’améliorer la situation.

J’entends la réflexion qui été faite pour réduire les zones d’ombre. Je puis vous assurer que c’est le type de souci que nous avons. Comment éviter qu’un jour, nous ne nous réveillions avec un gros sujet qui aurait été masqué ? Nous sommes prêts à entendre et à étudier tout renseignement qui nous parvient, quelle que soit la manière dont il nous parvient, de manière collective - de la part des syndicats ou des associations - ou individuelle, que le renseignement soit signé ou anonyme. Nous regardons tout. Notre souci consiste à réduire les zones d’ombre, dont nous sommes conscients qu’elles peuvent exister.

Je n’ai aucun doute quant au fait que les centrales d’aujourd'hui sont plus sûres que celles d’il y a trente-cinq ans. Il existe une véritable politique de progrès, et je m’élève vigoureusement contre certains de nos collègues. Nous avons eu des contacts récents avec deux commissaires américains qui nous ont déclaré, froidement, que les réacteurs américains étaient sûrs, et qu’il n’y avait pas de raison de changer leur conception. C’est une vision un peu figée. Pour notre part, nous avons toujours été porteurs de la nécessité du progrès, même si cela ne nous rend pas forcément populaires.

Les stockages dispersés nous paraissent une très mauvaise idée, car cela consiste à multiplier les sources de difficulté. Je n’aime pas du tout la politique américaine qui consiste à stocker les combustibles usés au pied des centrales, sous forme de containers, dans ce qui, vu de l’extérieur, ressemble furieusement à un parking. Ce n’est pas la bonne solution. Il faut avoir un stockage centralisé et digne de ce nom.

Le problème de l’exportation vers Abu Dhabi me paraît presque relever d’un autre monde. Le marché a été conclu avec la Corée du Sud. Nous ne connaissons pas dans le détail le degré de sûreté des quatre centrales vendues. Il est tout à fait possible que les autorités d’Abu Dhabi imposent des améliorations. Je serais étonné qu’aucune conséquence ne soit tirée des évènements du Japon alors que la construction des quatre centrales n’a pas débuté. Le sujet est ouvert, mais l’ASN n’a pas matière à s’opposer à un contrat signé entre Abu Dhabi et la Corée du Sud.

M. Jean-Yves Le Déaut : N’est-ce pas l’IRSN qui est l’appui technique à Abu Dhabi ?

M. André-Claude Lacoste : Lorsqu’Abu Dhabi propose à l’IRSN de l’aider sur le plan technique, un problème se pose : avons-nous le sentiment de participer à une mauvaise action ou cela peut-il concourir à améliorer la sûreté de l’installation ? Clairement, ce qui compte, c’est bien d’améliorer la sûreté. Peu importe que l’installation soit française ou non. Toutefois, je suis conscient du problème posé.

Vous avez également posé la question d’un moratoire sur la construction d’un éventuel réacteur EPR. Il s’écoulera du temps avant que quelque chose ne soit construit. Si la question d’un moratoire se posait, et nous nous la posons, ce serait sur la construction de Flamanville 3. Il s’agit typiquement du genre de réflexion que nous aurons à mener, dans les prochains mois, au sein de l’ASN.

M. Bruno Sido, sénateur, Premier vice-président de l'OPECST : Votre rapport rappelle que l’ANDRA est investie, par la loi, de la gestion de projets de stockage géologique. Le dernier rapport de notre Office s’émeut de la démarche d’EDF, et des producteurs de déchets à haute activité, visant à proposer un projet alternatif à celui de l’ANDRA, sans tenir compte des procédures de concertation prévues par la loi du 28 juin 2006. Avez-vous été sollicités directement par les producteurs de déchets pour donner une appréciation sur la sûreté de ce contre-projet ?

M. François Loos, député : Je voudrais revenir sur le cas particulier de Fessenheim. Vous avez estimé évident que les nouvelles centrales étaient plus sûres que les centrales construites il y a trente ou quarante ans. Ceci alimente la thèse de la fermeture nécessaire, un jour prochain, de Fessenheim. J’aimerais obtenir une réponse précise de votre part quant au fait que dans cette centrale, des installations sont anciennes et démodées. Cela les empêche-t-elles de garantir la sûreté du site ?

J’ai envie d’extrapoler ce cas particulier aux questions internationales. Une centrale frontalière pose la question de l’autorité comparée entre l’autorité française, que nous respectons et dont les avis sont des décisions, et celle des pays voisins. Avez-vous trouvé les voies et moyens pour que le type d’autorité que nous avons initié en France puisse fonctionner avec la même autorité scientifique dans les pays voisins avec lesquels nous avons à entretenir des relations ? Les manifestations sont principalement le fait d’étrangers. Comment faire pour que le dialogue avec ces voisins se déroule dans des conditions similaires à ce que nous connaissons en France ?

M. Claude Leteurtre, député, membre de l'OPECST : Je vous remercie d’avoir parlé de la radioprotection au niveau des examens. En tant que professionnel, je n’avais pas notion de l’importance des doses délivrées lors d’un scanner. Nous avons du mal à positionner les usages respectifs de l’IRM et du scanner. Deux vraies difficultés se posent. Tout d’abord, il est plus difficile d’accéder à une IRM. De plus, nous sommes confrontés à l’obligation de moyen, ce qui pose le problème de la responsabilité médicale. Je ne voudrais pas parler du principe de précaution, mais il en découle un certain nombre de conséquences en termes de responsabilité médicale. Les sociétés savantes doivent être informées. Nous sommes vraiment dans le flou. Le coût médical d’un examen n’est pas le même : dans nombre de cas, l’IRM est plus coûteuse que le scanner. Il est nécessaire d’alerter les sociétés savantes sur le sujet.

Par ailleurs, vous nous avez dit que les nouvelles constructions étaient indiscutablement plus sûres que les anciennes. Est-il donc encore légitime de travailler sur le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires ?

M. André-Claude Lacoste : Le sujet de la radioprotection dans le secteur médical est très complexe. Nous ne pouvons pas avancer avec la certitude d’une vérité absolue. Il s’agit d’un objet de préoccupation. Nous ne voulons pas suivre le modèle japonais ou américain, avec une multiplication des examens et un accroissement des doses non maîtrisé. Nous ne pourrons éviter cela qu’avec un effort collectif qui inclut les sociétés savantes. Nous travaillons extrêmement bien avec la société française de radiologie, que nous recevons régulièrement et avec laquelle nous avons organisé un séminaire interne en septembre dernier. Nous avions pu échanger très librement sur l’ensemble des sujets. C’est vraiment en liaison avec les professionnels que nous souhaitons avancer. Les problèmes sont connus. Tant que l’accès sera plus facile au scanner qu’à l’IRM, il est évident que la seconde technique ne sera pas une alternative à la première. Le rééquilibrage du parc renvoie au ministère de la Santé, aux ARS et aux autorisations d’équipement. Il renvoie également à des sujets difficiles de responsabilité médicale. Le médecin prescrit-il un moyen ou le résultat final ? Comment est-il éclairé ? Nous avons commencé à discuter de tous ces sujets. Nous organiserons à nouveau une journée spéciale avec les professionnels.

S’agissant des installations nucléaires et de l’ANDRA, nous appliquons la loi. L’ANDRA est chargée de concevoir, de préparer, de mettre en place et de gérer les installations de stockage des déchets nucléaires. En face de nous, nous n’avons que l’ANDRA. Lorsqu’EDF a voulu nous présenter en direct un projet alternatif, nous avons répondu que nous n’étions pas concernés et qu’EDF devait en discuter avec l’ANDRA. Depuis, nous sommes revenus à un régime plus civil. Un médiateur est en cours de nomination pour rapprocher des points de vue extrêmement antagonistes. Encore une fois, face à nous, il n’y a que l’ANDRA.

A la construction, il est tout à fait clair que les nouvelles centrales sont plus sûres que les anciennes, sinon il n’y aurait aucun progrès. C’est la raison pour laquelle nous n’envisageons pas, en France, d’autoriser la construction d’autre chose que des centrales de génération 3, EPR ou son équivalent. En contrepartie, nous nous attachons à améliorer la sûreté des centrales existantes à l’occasion des réexamens décennaux. Des progrès considérables sont effectués. Cela contribue à améliorer la sûreté du parc existant. Pour être tout à fait clair, nous nous posons chaque fois la question de l’homogénéité de la sûreté dans l’ensemble du parc.

Les centrales frontalières sont un cas particulier. Il est paradoxal que nous posions la question d’une prolongation de la durée de fonctionnement de la centrale de Fessenheim au-delà de trente ans alors que de l’autre côté de la frontière, des centrales dépassent quarante ans. Ce sujet pose un problème de cohérence entre autorités de sûreté. Nous nous efforçons de bâtir cette cohérence via des projets bilatéraux et multilatéraux, comme le club des chefs d’autorité, via également la directive européenne sur la sûreté nucléaire. Sur le cas plus précis de l’Allemagne, je me bornerai à dire que fonctionner dans un système de « stop and go » politique sur la durée de fonctionnement des centrales n’est pas facile.

M. Claude Birraux : Le système d’un bilan d’amélioration , tous les dix ans, existe-t-il en Allemagne ? Dans l’accord conclu entre le SPD et leurs alliés verts, n’y a-t-il pas eu une cristallisation des règles de sûreté, de manière à ce que les exploitants ne soient pas amenés à faire face à de nouvelles contraintes ? J’ai discuté du vieillissement des centrales allemandes avec l’autorité de sûreté. Il m’a été répondu que ce qui s’était passé dans les vingt premières années de fonctionnement avait été analysé et que l’attention était portée sur les incidents les plus fréquents.

M. André-Claude Lacoste : L’accord de sortie du nucléaire, signé il y a une dizaine d’années, prévoyait d’accorder, à chaque exploitant, une capacité de production exprimée en killowatt-heure. En contrepartie, il était indiqué que le niveau de sûreté des centrales nucléaires allemandes était extrêmement élevé et qu’il n’était pas besoin de s’interroger sur son amélioration. Il est tout à fait clair que les décisions sur la durée d’exploitation des réacteurs allemands sont prises à un niveau politique dans lequel l’autorité de sûreté ne joue pas le même rôle qu’en France. Cela rend la situation très compliquée. Je me souviens d’une époque lointaine, lorsque nous coopérions très fortement avec l’autorité allemande. Avant 1998, avec mon collègue allemand de l’époque, nous avions même pour projet de former un office franco-allemand de la sûreté nucléaire…

M. Claude Gatignol, député, Vice-président de l'OPECST : Le système d’évaluation de notre parc nucléaire est qualifié de générique, bien qu’il soit composé de trois niveaux - 900, 1 300 et 1 450 MW. Les visites décennales et les contrôles permanents que vous menez vous permettent de retirer des informations et de réaliser des comparatifs. Pouvez-vous procéder à une classification des éléments sensibles qui permettent de relativiser l’âge d’une centrale ? Prenons l’exemple du changement des générateurs de vapeur. Un grand programme a été annoncé. Existe-t-il d’autres éléments qui permettent d’accompagner cet énorme investissement industriel que nécessitent un réacteur et une centrale nucléaire ?

En lisant avec attention votre rapport 2010, j’ai pu constater que vous vous attachiez beaucoup à la notion de bon fonctionnement, en évoquant le facteur humain, le respect des prescriptions, à chaque étape de l’usage de l’énergie atomique.

Nous sommes confrontés à l’évaluation du matériel et à l’évaluation des méthodes de fonctionnement à l’intérieur d’une centrale.

Sur le plan technique, alors que vous venez de nous rappeler que vous n’autoriseriez pas la construction d’un réacteur qui ne serait pas de troisième génération, pourriez-vous nous dire où vous en êtes de la validation et de l’acceptation de l’« ATMEA » ?

Enfin, les « peer reviews » vous semblent-elles constituer un élément pour avancer sur la voie d’une harmonisation internationale, voire européenne ?

Mme Geneviève Fioraso, députée, membre de l'OPECST : Je voudrais d’abord remercier les responsables de l’ASN pour la transparence de leurs réponses. Cette filière n’a pas toujours brillé par cette caractéristique.

Dans une filière aussi complexe que le nucléaire, la cohérence et la cohésion sont nécessaires. Les autorités de sûreté doivent contribuer à cette cohérence et à cette cohésion. Je représente le Parlement au conseil d'administration de l’ANDRA. Qu’il y ait un fossé important entre un opérateur, qui doit payer, et une autorité, dont la mission consiste à préconiser la sûreté la plus grande possible, n’est pas complètement anormal. C’est même tout à fait logique. La manière dont ce différend sera arbitré, en veillant à ce que la sécurité ne soit pas obérée par des problèmes financiers, pose problème. Nous sommes obligés de nommer un médiateur. Les débats ont duré un an. Des administrateurs ont quitté le conseil d'administration. Vous avez un peu botté en touche en précisant que vous ne répondiez qu’à l’ANDRA, mais il existe tout de même un problème de fond dans l’organisation. L’ASN n’aurait-elle pas un rôle naturel de médiateur à jouer ? Ne devrait-elle pas être plus active, par exemple en étant présente au conseil d'administration de l’ANDRA et en intervenant plus en amont ? Certaines déclarations publiques n’étaient pas de nature à harmoniser le débat et à faire converger les points de vue.

Je m’interroge également sur le renforcement des liens entre les autorités de sûreté. Avant l’accident japonais, nous avons pu entendre des déclarations très divergentes, en particulier sur la sûreté des EPR. Les différentes autorités de sûreté sont-elles complètement déconnectées des intérêts commerciaux ? Nous pouvons nous le demander. N’est-il pas dommageable qu’elles aient témoigné d’une telle incohérence ? Il faudrait trouver une convergence au niveau européen. Or les réactions de la Suisse et de l’Allemagne, après l’accident japonais, ont démontré qu’il n’existait pas de cohérence européenne dans le positionnement des autorités de sûreté. Comment améliorer cela à un niveau européen et international ? Comment y contribuez-vous ?

M. Christian Kert, député, membre de l'OPECST : Quel est votre sentiment quant à la prise en compte du risque sismique dans la conception et l’exploitation des installations nucléaires en France ? S’agit-il d’une vraie préoccupation ? Les niveaux de référence, dont certains sont peut-être obsolètes compte tenu de l’actualisation des connaissances scientifiques et technologiques, ont-ils été évalués ? En France, un certain nombre de structures nucléaires sont construites dans des zones sismiques, aussi bien dans le sud qu’en Alsace. S’agit-il d’une véritable préoccupation pour vous ?

L’an dernier, votre délégation avait organisé une journée de réflexion à Marseille. Envisagez-vous de poursuivre cette réflexion, et peut-être de prendre des dispositions nouvelles compte tenu des évènements auxquels nous avons assisté ces dernières années ?

M. André-Claude Lacoste : Pour évaluer la sûreté d’une installation, il faut à la fois tenir compte du matériel et de la manière dont cette installation est gérée. La manière dont EDF renouvelle peu à peu son personnel, donc ses compétences, pour tenir compte des départs en retraite est un phénomène massif, dont l’on parle peu, mais qui est fondamental, et qui est jusqu’à présent bien conduit. C’est l’un de nos soucis.

S’agissant du matériel, nous sommes amenés à distinguer la cuve et l’enceinte, qui ne sont pas remplaçables. Beaucoup d’autres choses peuvent être remplacées, notamment les générateurs de vapeur ou des tuyauteries primaires. A l’occasion des examens, nous vérifions également le vieillissement des éprouvettes placées dans les cuves, mais toujours en conservant un certain équilibre entre le matériel et les facteurs humains et organisationnels.

« ATMEA » est un projet de réacteur. Sa conception nous a été soumise. Nous comptons rendre notre avis d’ici la fin de l’année. Nous ne pouvons pas être plus précis.

Vous avez évoqué la tension entre l’ANDRA et les industriels producteurs de déchets. In fine, c’est nous qui prendrons parti sur l’acceptabilité du projet qui nous sera soumis par l’ANDRA. La difficulté tient à notre positionnement amont, avec le risque de devenir porteur d’un projet que nous aurons déjugé. C’est une difficulté. Le médiateur est en cours de nomination. Nous envisageons, aussi bien l’ASN que l’IRSN, de jouer un rôle d’observateur dans les débats qui vont avoir lieu.

Plusieurs questions ont été posées sur l’harmonisation européenne et les liens entre les autorités de sûreté. A l’origine, l’ensemble des règles nationales ont été construites dans une vision nationaliste. Lorsque la France a choisi d’abandonner sa filière nationale et d’opter pour une filière américaine, elle a fait le choix, après des débats furieux, de la filière Westinghouse. Les industriels ont acheté la licence Westinghouse, puis ils n’ont eu de cesse de s’en démarquer, pour cesser de payer des droits et bâtir une filière française. Tout a été francisé. Un code de calcul français démarqué du modèle américain a été bâti. C’est exactement ce que font les Sud-coréens. Ils ont acheté une licence, et font tout pour s’en démarquer et créer une filière sud-coréenne. Historiquement, l’idée était vraiment de créer des filières nationales. Aujourd'hui, il existe un nouveau courant, dont je suis tout à fait porteur, qui plaide pour l’harmonisation, mais pendant des décennies, la politique a été radicalement différente. Les industriels n’ont eu de cesse de se démarquer, chacun sur un plan national.

Il existe deux manières d’harmoniser : par le haut et par le bas. Il y a un début d’harmonisation par le haut en Europe, avec une directive sur la sûreté nucléaire et un projet de directive sur les déchets qui se bornent à rendre obligatoire l’application d’un certain nombre de principes généraux sur lesquels tout le monde est d’accord. Il existe également un effort de bas en haut, via un groupe d’autorités de sûreté. Nous sommes dix-sept. Nous avons publié des niveaux de sûreté et de référence. A Bratislava, en novembre, nous avons adopté des objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs. Mon collègue russe était présent en tant qu’observateur. C’est le début d’un processus d’harmonisation. Il sera très difficile. Gardez en mémoire d’où nous partons. Les Etats-Unis n’utilisent pas la même unité de mesure que nous. Ils n’utilisent pas le sievert. Pour eux, appliquer les standards de l’AIEA reviendrait à obéir à une agence de l’ONU. Voilà la réalité. Je crois aux efforts patients, longs et difficiles. En particulier, je crois tout à fait à un effort d’harmonisation européenne, sans oublier ce que j’ai dit sur l’Allemagne. Soyons prêts à investir sur le long terme, mais n’attendons pas de résultats miraculeux. Cas par cas, nous nous efforçons d’être cohérents.

Un effort positif remarquable de cohérence a été accompli entre les autorités françaises, britanniques et finlandaises, pour prendre une position sur un sujet technique compliqué, en l’occurrence le contrôle commande de l’EPR. In fine, les solutions mises en œuvre ne seront sans doute pas les mêmes. En France, nous avons la pratique du contrôle commande numérique sur les réacteurs du palier N4. Il est clair qu’en Finlande et au Royaume-Uni, il n’y a pas assez d’expérience, d’où leur besoin de solutions digitales en secours de la solution numérique. C’est leur responsabilité. Nous avons été aussi loin que possible dans le partage et la compréhension des difficultés.

Nous nous efforçons, périodiquement, de réévaluer les aléas et d’en tirer les conséquences. A Cadarache, cela nous a décidés à fermer un atelier de traitement de plutonium. Nous avons considéré que cet atelier ne résistait pas correctement aux aléas sismiques. Pendant des années, Areva a tenté de trouver des solutions techniques, mais aucune n’a fonctionné.

Une réflexion est en cours, au niveau international, sur différentes manières de prendre en compte l’aléa sismique. Nous sommes conscients de cela. Nous nous efforçons d’agir de manière transparente. Une journée de réflexion s’est tenue à Marseille. Une autre a été organisée dans les mêmes conditions avec nos collègues belges, à Fessenheim, afin de partager aussi sereinement que possible les questions que nous nous posons. Nous sommes ouverts à toute évolution méthodologique. Nous sommes prêts à en tirer les conséquences. Clairement, l’aléa sismique est, avec le tsunami ou l’inondation, l’un des aléas que nous devons revisiter à la lumière de ce qui s’est passé au Japon. Nous sommes tout à fait prêts à le faire, de manière aussi ouverte que possible et sans masquer les difficultés méthodologiques. Comment définir l’aléa sismique à prendre en compte ?

M. Jean-Marie Bockel, sénateur : Le risque sismique, tel qu’il a été pris en compte au moment de la construction de Fessenheim, est la référence au tremblement de terre de Bâle de 1356. Aujourd'hui, nous sommes confrontés au débat public et à l’inquiétude des populations à court terme. J’ai entendu dire, par des spécialistes, que la capacité de résistance était égale à deux fois Bâle. Evidemment, cela ne veut rien dire. Toutefois, en attendant d’aller plus loin et de revisiter tout cela, pouvons-nous, à court terme, être plutôt rassurants ou plutôt dubitatifs ? Que pouvez-vous dire de plus précis par rapport à cet aléa, qui a la caractéristique de s’être déjà produit ?

M. Lionel Tardy, député : Je voudrais revenir sur le sujet de l’harmonisation. S’agissant du nucléaire, un problème local a des conséquences mondiales. L’harmonisation se met en place au niveau de l’Europe, mais la vraie question est celle de l’harmonisation mondiale, et peut-être d’un devoir d’ingérence sur ces sujets. Dans certains pays, il existe des centrales qui ne sont pas très sûres. Qu’est-ce qui peut être fait ? Sur de tels sujets, les conséquences sont graves pour tout le monde. N’est-il pas temps de se donner les moyens ? Je conçois que c’est compliqué, mais si une leçon doit être tirée, n’est-ce pas celle-ci ?

S’agissant des implantations, la construction de centrales sur la côte Pacifique du Japon, plus exposée aux risques de tsunamis que la face coréenne, amène à se poser des questions. J’ose parler de droit d’ingérence. Sur de tels sujets, les conséquences ne se limitent pas aux frontières. Que pouvons-nous faire pour voir ce qui se passe dans les pays qui n’ont pas les moyens financiers de moderniser leurs infrastructures ?

M. Claude Birraux : Il est tout de même incroyable qu’il faille nommer un médiateur entre l’ANDRA et les producteurs. En Suède, il existe une coopérative des producteurs de déchets qui est chargée de gérer les déchets pour ses membres. Il n’y a pas de médiateur. Cela dépasse toute mesure. C’est hors la loi.

M. André-Claude Lacoste : Il n’y a pas encore eu nomination d’un médiateur, mais simple accord entre les parties sur le principe.

Je crois à l’harmonisation européenne et mondiale. En revanche, comment appliquer le devoir d’ingérence vis-à-vis des grands pays ? Par exemple, comment l’appliquer lorsque la Chine vend un réacteur au Pakistan ?

M. André-Claude Lacoste : Concernant la situation au Japon, je voudrais d’abord faire trois remarques liminaires afin de vous dire ce que nous avons sur le cœur.

En France, nous avons tendance à nous centrer sur la crise nucléaire. Toutes les informations dont nous disposons sur ce qui est perçu au Japon, c’est un drame absolu qui se traduira par au moins vingt cinq mille morts, une zone totalement dévastée, des moyens de communication en lambeaux, cinq cents mille réfugiés et des problèmes aigus d’alimentation et de soin de ces réfugiés. Il est absolument invraisemblable de voir cela dans un pays civilisé. La crise nucléaire est une partie d’une énorme crise que vit le Japon.

De plus, nous ne disposons, en France, que d’informations parcellaires et incomplètes. Sur le site, la plupart des instruments de mesure alimentés par électricité ont été perdus. Les Japonais eux-mêmes ne connaissent pas un certain nombre de données techniques. Les travailleurs ont beaucoup de difficultés à accéder au site. Vous pouvez toujours dire qu’à cela s’ajoute la conception que les Japonais ont de la transparence, mais fondamentalement, il est difficile d’avoir des données et de les traiter. Par ailleurs, nos interlocuteurs sont absorbés par une priorité absolue, qui est de réussir à garder le contrôle de la situation. Leur priorité ne peut pas être de donner des informations à l’étranger. Ils s’efforcent de le faire, mais mettons-nous à leur place, et rappelez-vous la panique qui avait saisi la France après les tempêtes de 1999-2000, dont l’ordre de grandeur était infiniment différent de ce qui se passe au Japon. Gardons à l’idée que ce pays vit un véritable drame.

Nous obtenons des informations via l’attaché nucléaire de l’Ambassade de France au Japon, via l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et via nos homologues : nous avons régulièrement une audioconférence avec nos collègues américains, canadiens et britanniques. Nos collègues américains de la Nuclear regulatory commission (NRC) ont une dizaine de membres de leur personnel au Japon pour aider. Pourquoi les Japonais ont-ils choisi l’autorité américaine ? D’une part parce qu’elle connaît les réacteurs bouillants, d’autre part en raison de la proximité politico-économique, avec, par exemple, une forte présence de bases militaires américaines au Japon. A ces sources de renseignement, j’ajoute les relations personnelles qu’un certain nombre d’entre nous avons avec des personnes, au Japon et ailleurs, qui ont accès aux informations. De plus, une mission de Tepco a présenté la situation à l’attaché nucléaire français à Tokyo, il y a une dizaine de jours. Hier, nous avons reçu hier une mission japonaise d’information. Au final, nous rassemblons un certain nombre d’informations, mais nous n’avons pas accès à l’ensemble des informations. Les Japonais eux-mêmes n’y ont pas accès. Nous nous efforçons de ne communiquer que sur ce dont nous sommes raisonnablement sûrs.

Enfin, nous ne sommes pas l’autorité nucléaire. Nous ne demandons donc pas d’informations directement à Tepco. Supposons que nous ayons le même malheur en France : je ne tolèrerais pas que les autorités japonaises posent des questions en direct à l’exploitant français. Mettons-nous à chaque fois dans la situation réciproque.

Tout cela pour vous expliquer les difficultés que nous avons à formaliser un jugement. Il importe d’essayer d’avoir un jugement global. Nous nous centrons sur la centrale de Fukushima et sur les six réacteurs qui constituent sa partie nord. Pour l’essentiel, les inquiétudes portent sur trois réacteurs et trois piscines. L’exploitant japonais est maintenant capable de faire des appoints d’eau douce, et non plus des appoints d’eau salée. L’appoint d’eau salée présentait deux inconvénients. Il risquait, à terme, d’entraîner une cristallisation du sel, donc de bloquer des conduites et des vannes. Il pouvait corroder les installations. Il était important de remplacer aussi tôt que possible l’eau de mer par de l’eau douce. L’eau douce arrive par des barges qui déchargent un bateau. Ce sont des moyens de fortune. De plus, l’exploitant japonais a désormais moins d’inquiétudes sur les piscines.

Pour autant, la situation reste très grave. Nous sommes face à une situation de crise tout à fait majeure. Nous en sortirons lorsque plusieurs conditions seront réunies. Sur l’ensemble des installations, il faut un refroidissement permanent par de l’eau douce. L’alimentation s’est d’abord faite par camions, pour amener l’eau de mer, puis l’eau douce. A présent, des motos-pompes sont capables d’injecter l’eau dans les enceintes des réacteurs. Il faut remplacer cela par un système normal, dans lequel des pompes alimentées de manière électrique font circuler l’eau douce. Cela ne suffit pas. Il faut qu’il y ait retour d’une source froide, sinon l’eau douce sera recyclée en circuit fermé sans diminution de chaleur. Tant que l’alimentation se fait par des circuits de fortune, l’eau injectée a deux devenirs : elle peut se transformer en vapeur, donc être injectée ; elle peut également fuir, donc polluer les sols et la mer. Il faut aboutir à un circuit d’eau douce fermée avec une source froide.

Pour y parvenir, il faudra des semaines, sinon des mois. Un espoir est né lorsque Tepco a annoncé être capable de tirer des lignes électriques jusqu’au transformateur alimentant les installations, mais il s’écoulera au moins un mois avant que les pompes ne soient branchées sur l’électricité. Il faut tenir compte de cette estimation, qui est sans doute très optimiste. L’ensemble des installations à brancher ont été noyées, soit par le tsunami, soit par les fuites.

De plus, les conditions d’intervention des travailleurs sont extrêmement difficiles. Ne tombons pas dans un tragique, dont je crois qu’il n’est pas fondé. Les ouvriers travaillent dans des conditions extrêmes, mais qui, à notre connaissance, sont des conditions prévues en cas d’urgence, et des conditions analogues à celles qui seraient appliquées en France en cas d’urgence. La limite de dose que peut recevoir un travailleur dans le nucléaire, en temps normal, est de vingt millisieverts par an. En cas d’urgence, cette limite peut être portée à cent millisieverts et s’il s’agit de sauver des vies, elle peut être portée à deux cent cinquante millisieverts Sur ce plan, le ministre japonais de la Santé a pris une décision. Nous avons les mêmes règles en France. Si Tepco obéit aux règles, c’est cela qui se passe. Un certain nombre d’interventions sont limitées à vingt minutes. Imaginez ce qu’il est possible de faire en vingt minutes. J’ajoute que l’eau radioactive est une gêne considérable pour intervenir. Il est question d’eau extrêmement contaminée. Il est urgent, pour les Japonais, d’arriver à pomper cette eau, mais pour en faire quoi ? Une idée consiste à la réinjecter dans les réacteurs, une autre à trouver un entreposage quelque part, une autre encore à la mettre à la mer. En tout cas, cette eau est une gêne considérable pour intervenir.

Il faut vraiment avoir en tête l’idée que pour retrouver un état des installations acceptable sur le plan de la sûreté, pour sortir des moyens actuels, c’est une question de semaines, voire de mois. Il faut bien avoir cela en tête. Nous sommes dans une crise de longue durée. C’est frustrant, insatisfaisant, mais c’est ça.

Pendant toute cette période, il y a deux types de rejet de radioactivité. Certains rejets sont gérés. Des décisions sont prises pour relâcher des rejets, afin de diminuer la pression dans les enceintes de confinement. Il y a également des fuites.

J’en viens maintenant aux conséquences radiologiques. Il faut vraiment distinguer trois zones. Clairement, sur le site et à proximité, la radioactivité est intense, et les conditions de travail sont très difficiles. Autour du site, les autorités japonaises ont pris des décisions de protection de la population qui, dès le début, nous sont apparues comme raisonnables, avec une zone de vingt kilomètres pour évacuer la population, puis une zone de mise à l’abri entre vingt et trente kilomètres. Une quantité considérable de personnes ont été évacuées. Je ne suis pas certain que nous pourrions assurer les mêmes conditions en France. Les personnes qui sont dans les zones de vingt à trente kilomètres vivent apparemment très mal, dans la mesure où plus aucun fournisseur ne veut accéder à cette zone pour apporter des denrées de première nécessité. D’eux-mêmes, les gens partent. Le gouvernement japonais ne les en empêche pas. Il constate la difficulté de vivre dans cette zone et pense probablement que ces gens qui partent d’eux-mêmes allégeront de possibles évacuations futures.

Cette zone de trente kilomètres n’est absolument pas une borne à la contamination. Il existe très probablement de la contamination au-delà de cette zone. Nous ne savons pas dans quelles quantités. Les autorités japonaises réalisent des mesures. Il existe très probablement des zones dans lesquelles la radioactivité s’est concentrée. Je ne peux pas aller plus avant. Il importe aux Japonais de faire les mesures et de prendre des décisions. Ce qui est certain, c’est qu’en fonction de l’état de la contamination, la gestion de ces territoires sera une difficulté extrême pendant des années, sinon des décennies.

S’il existe des ordres de grandeur que je souhaite partager avec vous, ce sont ceux-là : le retour à une situation de sûreté à peu près acceptable sur le site est une question de semaines, sans doute de mois ; la gestion de la contamination en dehors même de la centrale, qui est clairement un site perdu, est une question d’années, sinon de décennies.

Clairement, la masse d’air légèrement contaminée qui est passée au-dessus de la France n’a entraîné aucune conséquence. Les appareils normaux de mesure de la radioactivité dans l’air n’ont rien lu. Nous collectons les résultats des mesures des appareils plus perfectionnés. Il n’y a rien. Cela confirme les résultats obtenus par les pays scandinaves ou aux Etats-Unis.

M. Claude Birraux : Un certain nombre de communiqués disent qu’en France, nous n’avons pas suffisamment de balises et que nous n’avons pas mesuré l’iode gazeux. D’autres pays ont davantage de balises. Ont-ils mesuré l’iode gazeux ? Leurs balises ont-elles dit des choses différentes des nôtres ?

M. André-Claude Lacoste : C’est un point que l’IRSN vérifie, mais je crois qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont : nous sommes dans la zone de rien du tout. Il n’y a pas de conséquence environnementale. Il n’y a pas de conséquence sanitaire en France. Au calme, on pourra se poser la question de la mesure de l’iode particulaire et de l’iode gazeux, mais encore une fois, toutes les mesures faites dans l’ensemble du monde montrent qu’il n’y a aucune conséquence. Je ne souhaite pas, sauf pour des besoins de retour d'expérience, que l’on s’attarde sur cette polémique qui n’a pas lieu d’être.

J’en viens maintenant aux leçons à tirer. Deux processus sont en cours.

Le Premier ministre a écrit à l’ASN, pour nous demander de mener un audit sur la sûreté des installations françaises, en particulier les centrales. Le Premier ministre a tout à fait latitude pour poser ce genre de question à l’ASN. C’est prévu par l’article 8 de la loi TSN. En toute indépendance, nous fournirons notre rapport. Je souhaiterais que nous puissions le présenter à l’Office. A nous d’établir le cahier des charges. Il comportera cinq points : l’aléa sismique, l’aléa lié aux inondations, le risque de perte d’alimentation électrique, le risque de perte de refroidissement et la gestion de crise, avec le cumul de ces aléas. Nous avons présenté ce cahier des charges à la sûreté nucléaire. Nous en discuterons avec les différentes parties prenantes. Nous serons aussi clairs et transparents que possible, en entrée et en sortie de processus, sachant que le processus technique lui-même sera une décision de l’ASN, demandant aux exploitants de nous fournir les réponses aux questions que nous posons. L’idée est que nous obtenions de premiers éléments à la fin de l’année.

Le second processus est européen. Il a été lancé par le commissaire Oettinger, et approuvé par le Conseil Européen. Les questions de stress tests ne sont pas définies. Une proposition technique sera élaborée par le groupe de régulateurs. Nous avons formé une task force sur le sujet. Elle est présidée par l’un des directeurs généraux adjoints de l’ASN. Les stress tests sont destinés à évaluer les marges de sûreté. Nous ferons ce qu’il faut pour que les stress tests européens et les audits français convergent. In fine, il devrait s’agir des mêmes questions adressées aux mêmes exploitants par les mêmes autorités. Nous avons donc tout intérêt à essayer de ménager les ressources et à unifier autant que possible les sources. Nous-mêmes et l’IRSN sommes en train de regarder les conditions matérielles dans lesquelles nous pourrons rapidement mobiliser des ressources complémentaires pour faire face à ce surcroît de travail dans des délais courts, dans le cadre d’une demande politique qui est radicalement légitime.

M. Claude Birraux : Je vous propose de passer aux questions.

Mme Marie-Christine Blandin : Nous n’oublions pas la souffrance des Japonais, mais la réunion d’aujourd'hui porte sur le nucléaire. Il est humainement possible de remédier aux dégâts du tsunami. En revanche, il faudra des décennies pour remédier aux dégâts du nucléaire. Il est donc normal que les gens s’interrogent.

Ma question porte sur les déclarations du représentant de l’AIEA, à propos de l’évacuation dans l’océan. Il a considéré que c’était bien mieux que dans l’atmosphère, car cela ne contaminait pas les gens immédiatement, et que ça allait se dissoudre. Je suis désolée, mais les élèves de collège savent très bien que les faibles doses se concentrent, au fur et à mesure de la chaîne alimentaire. J’ai l’impression que les commentateurs et ingénieurs ont une solide formation de physique-chimie, mais n’ont pas été très attentifs à la contamination de la chaîne alimentaire. Je souhaite attirer votre attention sur ce point.

M. Lionel Tardy : Nous avons bien compris que le site était perdu. Nous en sommes conscients. Tout cela prendra un certain nombre de semaines, de mois et d’années. Néanmoins, il faudra bien trouver une solution à la fin. Inévitablement, la question de la mise en place d’un sarcophage sur ces installations se posera. Or la situation est complètement différente de Tchernobyl, où il ne restait plus grand-chose. Dans le cas présent, plusieurs réacteurs sont touchés. L’accès aux réacteurs et aux piscines est encombré par des gravats qui risquent de s’écrouler sur eux-mêmes. Comment voyez-vous les choses ? Au-delà de tous les dommages actuels, il se posera un vrai souci pour réussir à recouvrir l’ensemble. Quel est votre avis d’expert ?

M. Jean-Yves Le Déaut : Dans l’un des premiers communiqués, l’IRSN a indiqué que la quantité de radioactivité qui pourrait être rejetée dans l’atmosphère pourrait être équivalente à celle de Tchernobyl. Avez-vous des éléments d’information à ce sujet ?

Par ailleurs, y a-t-il du corium, c'est-à-dire fusion et enfoncement de ces parties radioactives dans le sol, donc contamination d’eaux souterraines ? Avez-vous des éléments d’information à ce sujet ?

Enfin, existe-t-il un danger particulier, notamment de contamination par du plutonium, avec les réacteurs qui fonctionnent au combustible MOX ?

M. Claude Birraux : Pourrait-on mettre du béton, sachant que s’il n’y avait plus grand-chose dans le réacteur à Tchernobyl, dans le cas présent il reste du combustible, éventuellement fondu ? Quelle serait l’interaction entre le béton et le combustible ?

M. André-Claude Lacoste : Il y a des quantités non-négligeables d’eau extrêmement contaminée sur le site de la centrale. Tant que cette eau restera là, les travailleurs auront des difficultés énormes à intervenir. Que faire de cette eau ? La solution la meilleure serait de la rejeter dans des endroits contaminés, à défaut de l’entreposer quelque part, à défaut encore de l’évacuer vers les barges qui ont servi à amener de l’eau douce, et si rien de cela ne fonctionne, les Japonais seront amenés à rejeter cette eau dans la mer. Il y a déjà des fuites qui vont vers la mer. Le volume de la mer est-il suffisant pour que la contamination soit nuisible au-delà d’une certaine zone ? Je comprends parfaitement la question posée, mais cette eau ne pourra empêcher durablement les travailleurs d’intervenir. C’est un problème difficile.

Il n’est pas du tout évident qu’il faille imaginer un sarcophage. A Three Miles Island, où la moitié du cœur avait fondu, il n’y a pas eu de sarcophage. C’est un problème ouvert. Je ne peux pas aller plus avant.

L’un des réacteurs, le numéro trois, était partiellement moxé. Clairement, cela ne change pas les données. Dès lors qu’un réacteur fonctionne en utilisant du combustible à l’uranium, une partie du combustible se transforme en plutonium. Cela ne change pas les ordres de grandeur. Il n’est pas étonnant que l’on trouve du plutonium alentour, dans un nombre limité de zones. Cela prouve simplement que le combustible a fondu, ce que l’on sait.

Nous ne savons pas s’il y a production de corium.

Enfin, s’agissant du volume susceptible d’être mobilisé dans l’accident en cours, comparé à Tchernobyl, l’IRSN l’estime pour le moment à 10 %. Il faut bien garder à l’esprit que, dans le cas de Tchernobyl, le réacteur avait explosé, avec émission d’un nuage en l’air. Les conditions de dispersion étaient donc différentes de celles que l’on observe à Fukushima.

M. Claude Birraux ouvre alors la discussion à la presse; les questions des journalistes concernent :

- la responsabilité de la définition des méthodes d’évaluation de l’aléa sismique et l’opportunité d’un réexamen de celles-ci ;

- la justification du caractère complexe de la question de la sous-traitance ;

- l’importance du risque de tsunamis en Atlantique du Nord, par exemple à la suite d’un effondrement côtier ;

- le doute induit par les événements de Fukushima sur la capacité à maîtriser un risque nucléaire ;

- la teneur des trois incidents de niveau 2 intervenus en 2010 ;

- une éventuelle révision des critères d’exclusion et de confinement suite à un accident nucléaire ;

- la capacité à mettre en oeuvre, en France, une évacuation des populations dans un périmètre de vingt à trente kilomètres autour des centrales ;

- l’augmentation des coûts de maintenance consécutifs à une réévaluation des exigences de sûreté ;

- les conditions d’une prolongation de quarante à soixante ans de l’autorisation d’exploitation des centrales.

M. André-Claude Lacoste : L’ASN a établi des règles sur ce qu’il convient de faire en matière d’aléa sismique. Typiquement, dans le cas de Fessenheim, nous avons regardé, avec l’IRSN, l’aléa sismique le plus important que nous ayons connu, en l’occurrence le tremblement de terre de Bâle en 1356. Nous avons également regardé ce que nous pouvions trouver comme paléoséismes - séismes dont il ne subsiste plus que des traces géologiques. Nous regardons tout cela et nous évaluons l’importance du séisme. Nous le plaçons à l’endroit où il serait susceptible de faire le plus de mal à l’installation, puis nous le majorons de 0,5, ce qui revient à multiplier sa puissance par 5. L’installation doit répondre à cela.

Cela nous conduit à revisiter régulièrement un certain nombre d’aléas sismiques. Le danger peut être augmenté ou majoré. Voilà la doctrine française. A l’évidence, elle est soumise à discussion. Ce n’est pas un hasard si deux séminaires ont été organisés à Marseille et près de Fessenheim. Nous devrons nous poser la question des conséquences à tirer de ce qu’il se passe au Japon. Tout ceci est radicalement soumis à discussion. Nous ne sommes pas nourris de certitudes tranquilles.

M. Claude Birraux : En ce qui concerne les sous-traitants du nucléaire, les « nomades » du nucléaire, sachez que le sujet a été évoqué dans un rapport de l’Office parlementaire de 1997.

M. André-Claude Lacoste : La sous-traitance est un problème complexe. Historiquement, il provient du fait que les industriels du nucléaire ont décidé de sous-traiter une partie des tâches jusque là assurées par leur personnel. C’est un processus tout à fait classique et connu dans l’industrie. Le problème s’est d’abord posé en termes de radioprotection des sous-traitants. Des modifications réglementaires ont été apportées. Aujourd'hui, le problème est davantage posé en termes de conditions de travail et de conditions de vie des sous-traitants. Ce problème est majeur et difficile. Nous sommes face à une complexité d’organisation redoutable. La qualification de sous-traitant englobe aussi bien Areva NP que la petite entreprise de quatre personnes qui repeint des installations. La gamme couverte est donc extrêmement diverse, de même que la nature des travaux. Il faut essayer de faire la police qu’il faut. Il est clair que pour nous, le responsable d’une bonne sous-traitance est l’industriel qui sous-traite. Il y a quelques années, nous avions mené une inspection dans les services centraux d’EDF pour observer de quelle manière étaient passés les marchés de sous-traitance. Nous allons recommencer ce type d’action.

Je n’ai pas souvenir que le sujet des tsunamis ait été évoqué en France. Il faut qu’on le revisite, y compris sous l’angle du cumul. Dans le cas de Fukushima, il est tout à fait possible que ce soit le tremblement de terre qui ait démoli les installations d’alimentation électrique externes, et que ce soit le tsunami qui ait empêché les diesels de démarrer. Comment faire face à un cumul d’agressions de ce type ? C’est un sujet que, jusqu’à présent, nous avons peu vu en France, et qui peut pourtant avoir des conséquences. Ne faut-il pas imaginer un parc de secours de diesels centralisé pour l’ensemble des installations nucléaires en France ? Faut-il imaginer, pour les centrales installées le long d’une côté, que les diesels soient plutôt installés sur les falaises qu’en bas ?

M. André-Claude Lacoste : La position constante de l’ASN a toujours été la suivante : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais en France un accident nucléaire. Je dis ce que je dis, et je répète une position constante de l’ASN française. Tant que les autorités japonaises sont capables de faire ce qu’elles font pour garder la maîtrise des installations, elles ont à le faire. Perdre la maîtrise des installations supposerait qu’il n’y a plus rien à faire, si ce n’est se borner à constater la catastrophe. Elles font des choses pour conserver la maîtrise de leurs installations dans des conditions extrêmement difficiles.

Les trois incidents de niveau 2 survenus en France sont importants, mais nous ne sommes pas au même niveau.

M. Jean-Christophe Niel : Le premier incident s’est produit sur le site de Chinon, en avril. Lors d’une visite dans une piscine de transfert, un opérateur a découvert un objet au fond de la piscine, l’a pris à la main et l’a manipulé. Son dosimètre ayant sonné, il l’a mis dans un sceau pour l’évacuer de la piscine. La dose reçue par cet opérateur était d’un niveau tel que l’incident a été classé niveau 2. L’ASN a réalisé une inspection réactive et a demandé à EDF de mieux préparer les interventions de ce type.

Le deuxième incident est un évènement reclassé. Il s’agit encore d’un évènement de radioprotection, intervenu sur le site de La Hague, en 2009. Un travailleur manipulait une « boîte à gant » avec du plutonium. Son gant a été perforé par un fil de fer, conduisant à une contamination interne évaluée par l’IRSN. Les résultats sont longs à venir. L’incident a été classé au niveau 2 au vu du taux de contamination.

Enfin, une source de cobalt 60 a été détruite par une manœuvre intempestive visant à débloquer un gammagraphe dans une salle protégée. L’opération de déblocage d’une source visait à tronçonner un cordon. Le tronçonnage s’est fait sur la source, qui est un petit objet. L’intérieur de l’installation a été contaminé. Trois travailleurs ont reçu des doses inférieures au millisievert. C’est donc sans enjeu pour leur santé. L’incident a été classé au niveau 2 vu l’ampleur de l’évènement.

M. André-Claude Lacoste : À propos de l’évacuation à Fukushima des personnes dans un rayon de zéro à vingt kilomètres, ma remarque portait sur le fait qu’elle me semblait avoir fonctionné. Je me suis borné à indiquer que nous devions nous demander si nous serions capables d’assurer quelque chose de ce genre en France. Ce sujet est à regarder. Cela nécessite un retour d'expérience. Nous connaissons la capacité des Américains à réaliser des évacuations de ce genre, mais dans des zones où il y a moins d’habitants. Quant au dossier de l’extension de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires de quarante à soixante ans, il n’a pas bougé d’un pouce ces dernières semaines. Nous avons d’autres soucis en tête.

M. Claude Birraux : L’Autorité de Sûreté ne fera pas comme dans d’autres pays, en particulier les Etats-Unis, en donnant des autorisations générales et génériques pour l’extension de la durée de vie des centrales. Ça se fera au cas par cas. Ce point important nous différencie d’un certain nombre d’autres pays qui s’alignent sur les pratiques de la NRC américaine.

M. André-Claude Lacoste : Tout ceci sera révisé à la lueur de ce qui se passe au Japon. L’évacuation n’est pas facile, mais le confinement n’est pas facile à tenir longtemps. Nous sommes confrontés à de vraies difficultés. Depuis 5 ans, l’ASN réfléchit au post-accidentel, autrement dit à ce qui se passe une fois l’installation revenue dans un état acceptable. Que faire ? Quid du retour des habitants évacués, de la consommation et de la vente des produits alimentaires ? Quid des déchets et des constructions ? Nous avons tenu un premier séminaire fin 2008. Nous en tiendrons un autre en juin prochain. Nous avons fait une offre de services à nos homologues japonais. Nous nous sommes proposé de leur apporter notre réflexion quant au zonage. Nous n’avons pas encore obtenu de réponse. Il est tout à fait possible que l’un de nos commissaires parte ce soir au Japon en liaison avec la visite du Président Sarkozy. Ce sera l’occasion de réitérer à nos collègues japonais cette offre de services. La gestion durera des années et des décennies. Il importe de ne pas faire d’erreurs au départ.

M. Claude Birraux : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire, je voudrais vous remercier pour cette présentation. Merci à l’Autorité de sûreté nucléaire pour les conditions dans lesquelles, année après année, elle contribue à améliorer la transparence de la sûreté nucléaire.